CHAPITRE VI

DES EMPÈCHEMENTS DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

Plusieurs se trompent en effet, de telle sorte qu'ils ne peuvent atteindre à la vie contemplative, ni à ce qui est sans mesure (vision sans bornes) ; et ceux qui ne peuvent y parvenir, sont assurément retenus par quelques empêchements. Certes, quiconque se multiplie au dehors et observe curieusement les autres, ceux que retiennent les soucis étrangers (à l'amour divin) des amitiés et de la famille, ceux qui recherchent avec sollicitude les choses nécessaires à leur propre existence, ne sauraient prétendre à la connaissance des trésors divins. Car le discernement prudent et prévoyant, ou la discrète providence, est chose bonne ; mais quiconque est plein d'anxiété et de sollicitude, ne connaît nullement la prudence.

Se porter extérieurement vers la vie agréable aux sens, élimine le véritable exercice intérieur ; et ceux qui satisfont leur (goût) sensible et lui complaisent extérieurement, ne jouissent en eux-mêmes d'aucune véritable liberté ; mais étant, au dehors, paresseux, négligents et sans préparation, ils sont, au dedans, déréglés dans la prospérité et l'adversité. Et, bien que, peut-être, ils puissent se trouver dans cet état, sans faute mortelle, cependant, avec de tels empêchements, l'homme ne saurait atteindre son propre fonds.

Enfin, ceux que les (vaines) images des choses extérieures occupent, ne peuvent parvenir à la contemplation de ce qui est sans bornes (exempt de mesure).

« Et comment pourrais-tu monter jusqu'à Dieu, même …
« Si tu n'es occupé que des choses d'en bas ?
« Le coeur toujours borné se livre à ce qu'il aime
« Tu prétends aimer Dieu... mais ne le connais pas !
 

CHAPITRE VII

CE QUI CONDUIT A LA VÉRITABLE CONTEMPLATION

Or, quiconque veut se préparer à la contemplation, doit entrer dans les voies qui y conduisent : ce sont, la pureté sans taches de la conscience, l'innocence bien ordonnée de la vie, la douce et paisible honnêteté des moeurs, la modestie de tous les sens, la répression et la contrainte des penchants désordonnés de la nature, et l'aide discrète et raisonnable qu'on prête à cette dernière dans les nécessités : en se portant extérieurement vers tous les indigents, avec une douceur et une bénignité bien égale ; et intérieurement, en demeurant dans une sainte oisiveté, qui n'admette aucune image, mais les exclue toutes ; l'intuition ou le regard intérieur élevé et ouvert sur l'éternelle vérité ; la stabilité ou l'intimé et simple persévérance dans la paix véritable ; le recueillement qu'aucun vice, aucun désordre n'incommode ou ne trouble ; l'amour embrasé de dévotion ; la flamme ardente de la piété qui s'élance vers la divine bonté ; l'abnégation et le renoncement à sa propre personnalité, pour que s'accomplisse la libre volonté de Dieu ; l'union de toutes les vertus de l'âme dans l'unité de l'esprit, pour louer Dieu dans une adoration éternelle, lui rendre grâces, l'honorer et le servir toujours dignement.

Quiconque ne refuse pas de s'adonner, par amour, à ces vertus, peut espérer d'atteindre la vie contemplative. S'il reste fidèle à Dieu et à lui-même, dès qu'il plaira à Dieu de se montrer à lui, il le contemplera.

Et la soif de ce Dieu, prodigue de lui-même,
Quand l'âme veut se fondre avec Celui qu'elle aime,
Pendant l' Eternité
Il faut que le portrait soit semblable au modèle,
Car Dieu ne peut aimer que sa propre beauté.
Il doit se reconnaître en tout âme fidèle,
Qui se pâme d'amour devant sa Majesté.