Grégoire le Sinaïte.

Saint Grégoire le Sinaïte naquit vers la fin du XIIIème siècle et mourut au mont Paroria, près de la ville moderne de Burgas, en Bulgarie, le 27 novembre 1346. Ce fut un moine, un théologien, un mystique, et le plus éminent des défenseurs médiévaux de l'hésychasme.
Après s'être fait moine à Chypre, Grégoire rejoignit l'une des communautés du mont Sinaï. Il parcourut longuement la Terre Sainte et pratiqua l'hésychasme, dans la ligne tracée par saint Jean Climmaque et par saint Syméon le Nouveau Théologien. Il s'établit ensuite au mont Athos et y développa une forme modérée d'hésychasme qui fit de l'Athos l'une des sources de l'influence hésychaste. Devant les incessantes attaques des Turcs Ottomans, il s'enfuit vers la mer Noire et, vers 1325, il fonda, au mont Paroria, un monastère dont l'influence rayonna sur les Balkans.
Sa doctrine hésychaste se trouve dans ses "Cent trente-sept chapitres ou méditations spirituelles". Elle contribua à la diffusion de l'hésychasme en Europe comme dans le monde byzantin. Cet hésychasme exprime le but essentiel de la spiritualité grecque : combler l'immense fossé existant entre l'existence humaine et la Divinité. Par la prière, l'hésychaste aspire à la plus haute forme de la communion avec Dieu, sous la forme d'une vision de la "Divine Lumière", cette "Énergie Incréée", semblable à celle de la Transfiguration. Pour y parvenir, l'adepte doit passer par une phase d'intense concentration, tout en contrôlant sa respiration et en répétant sans cesse la "prière de Jésus". La justification théologique de la doctrine de saint Grégoire le Sinaïte fut établie par son contemporain, saint Grégoire Palamas.
La Philocalie a retenu de lui, outre ses "Centre trente-sept chapitres" plusieurs autres petits ouvrages d'une haute portée spirituelle.
Pardonnez-moi, mes Soeurs et mes Frères en Christ qui préférez de cortes citations : je n'avais pas le droit de "censurer" saint Grégoire...

Citations des "Cent trente-sept chapitres".

99. Celui qui cherche l'hésykhia doit avoir pour fondement d'abord ces cinq vertus sur lesquelles l'oeuvre s'édifie : le silence, la tempérance, la veille, l'humilité et la patience; ensuite les trois oeuvres qui plaisent à Dieu : la psalmodie, la prière, la lecture, et aussi le travail manuel si l'on est faible. Car les vertus que nous venons de dire, non seulement contiennent toutes les autres, mais elles s'unissent les unes aux autres. À la première heure, dès l'aurore, se consacrer au souvenir de Dieu par la prière et l'hésykhia du coeur, prier continuellement; à la deuxième heure, lire; à la troisième, psalmodier; à la quatrième, prier; à la cinquième, lire; à la sixième, psalmodier; à la septième, prier; à la huitième, lire; à la neuvième, psalmodier; à la dixième, manger; à la onzième, dormir si c'est nécessaire; à la douzième, psalmodier les vêpres. Bien passer ainsi le stade du jour plaît à Dieu.
102. Il nous faut parler également de la nourriture. Une livre de pain suffit à quiconque mène le combat pour l'hésykhia. Boire deux verres de vin pur et trois d'eau, se nourrir des aliments qu'on a, non ceux que la nature recherche en son désir, mais user sobrement de tout ce que donne la providence. C'est une science excellente et concise pour ceux qui veulent mener rigoureusement leur vie : observer les trois oeuvres qui contiennent les vertus - je veux dire le jeûne, la veille et la prière - et qui assurent à tous le soutien le plus solide.
111. Le commencement de la prière intellectuelle est l'énergie, c'est-à-dire la puissance purificatrice de l'Esprit, et la célébration mystique de l'intelligence. De même, le commencement de l'hésykhia est l'étude. Le milieu est la puissance illuminante et la contemplation. Et la fin est l'extase, le ravissement de l'intelligence auprès de Dieu.
113. La prière, chez les novices, est comme un feu de joie qui monte du coeur Mais chez les parfaits, elle est comme une lumière active et odorante. Ou encore, la prière est la prédication des apôtres, l'énergie de la foi, ou plutôt la foi immédiate, le fondement de ce qu'on espère z, l'amour actif, le mouvement angélique, la puissance des incorporels, leur oeuvre et leur réjouissance, l'Évangile de Dieu, la plénitude du coeur, l'espérance du salut, le signe de la pureté, le symbole de la sainteté, la connaissance de Dieu, la manifestation du baptême, la purification du bain, les armes de l'Esprit Saint, l'exultation de Jésus, la joie de l'âme, la pitié de Dieu, le signe de la réconciliation, le sceau du Christ, le rayon du soleil spirituel, l'étoile matinale des coeurs, la certitude du christianisme, le signe de l'absolution divine, la grâce de Dieu, la sagesse de Dieu, ou plutôt le commencement de la sagesse en soi, la manifestation de Dieu, l'oeuvre des moines, la vie de ceux qui se consacrent à l'hésykhia, l'origine de l'hésykhia le témoignage de la vie angélique. Que dire de plus ? Dieu qui accomplit tout en tous, est prière. Car une est l'énergie du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui accomplit tout dans le Christ Jésus.
119. Non seulement la foi, mais aussi la prière active est une grâce. Car la prière qui agit par l'amour dans l'Esprit montre la vraie foi, celle qui porte la révélation de la vie de Jésus. Donc en celui qui ne l'éprouve pas agir en lui, la foi est contraire, morte, sans vie.
Mais qu'on n'aille pas appeler vraiment fidèle celui qui ne croit qu'en parole, et dont la foi n'est pas mise en couvre par les commandements ou par l'Esprit. Il faut donc la montrer manifestée par les progrès dans les oeuvres ou la porter rayonnante, accomplie dans la lumière par les oeuvres. Comme dit l'Apôtre divin: "Montre-moi ta foi par tes oeuvres, et moi je te montrerai mes oeuvres par ma foi", signifiant dès maintenant que par les oeuvres des commandements est manifestée la foi de la grâce, de même que les commandements sont accomplis et rayonnent par la foi vécue dans la grâce. Car la racine des commandements est la foi, ou plutôt elle est la source qui les arrose pour les faire croître, et se divise en deux, la confession et la grâce, bien qu'elle soit indivisible de nature.

-Citation d'un autre chapitre.

1. Tous ceux qui ont été baptisés en Christ doivent passer par tous les stades de la vie du Christ. Car ils ont reçu leur puissance. Et à travers les commandements, ils peuvent les découvrir et les apprendre. La conception est le gage de l'Esprit. La naissance est l'énergie de la joie. Le baptême est la puissance purificatrice du feu de l'Esprit. La transfiguration est la contemplation de la lumière divine. La crucifixion est la mort au monde. L'ensevelissement est la garde de l'amour divin dans le coeur. La résurrection est dans l'âme le réveil vivifiant. L'ascension est l'extase vers Dieu et le ravissement de l'intelligence. Celui qui n'a ni découvert ni senti le passage par ces stades est encore un enfant dans son corps et son esprit, quand bien même il serait pour tous un homme comblé d'années et d'actions.
Ce n'est pas strictement un "chapitre sur la prière". Mais c'est si beau...

-Citations d'un traité sur l'hésykhia.

1. Il y a deux modes d'union, ou plutôt deux entrées menant de part et d'autre à la prière de l'intelligence qui, par l'Esprit agit dans le coeur Par ces deux modes, ou bien l'intelligence adhérant au Seigneur', selon l'Écriture, reçoit d'abord la prière dans le coeur, ou bien l'énergie s'éveillant peu à peu dans le feu de la joie, la prière attire l'intelligence et l'attache à invoquer le Seigneur Jésus et à s'unir à lui.
Car si l'Esprit agit en chacun comme il veut, ainsi que dit l'Apôtre, il arrive qu'en certains, une des formes dont nous venons de parler précède l'autre. Tantôt l'énergie vient dans le coeur lorsque diminuent les passions et se manifeste la chaleur divine, par l'invocation continuelle de Jésus-Christ, car notre Dieu est un feu qui consume les passions, dit l'Écriture. Tantôt l'Esprit attire l'intelligence à lui, l'enserrant dans la profondeur du choeur et empêchant son mouvement habituel. L'intelligence alors n'est plus une captive menée vers les Assyriens hors de Jérusalem, mais un changement bien meilleur la ramène de Babylone en Sion, et elle peut dire, elle aussi, avec le Prophète : "À Toi, Dieu, revient l'hymne en Sion, et à Toi est portée la prière en Jérusalem." Et encore : "Quand le Seigneur fera revenir les captifs de Sion." Et : "Jacob exultera et Israël se réjouira", c'est-à-dire l'intelligence active et contemplative qui, par l'action, avec l'aide de Dieu, vainc les passions, et par la contemplation voit Dieu lui-même, autant que cela lui est possible. Alors l'intelligence, conviée à une table abondante et réjouie dans les délices divines, chante : "Tu as préparé devant moi une table, en face des démons et des passions qui me tourmentent."
2. Le matin, dit Salomon, sème ta semence, c'est-à-dire la prière, et que le soir, ta main ne se relâche pas, afin de ne pas interrompre dans le temps la continuité de la prière et de ne pas manquer le moment où elle sera exaucée. Car tu ne sais pas, est-il dit, ce qui réussira, ceci ou cela.
Dès le matin, assis sur un petit banc, fais sortir de la raison l'intelligence, enserre-la dans le coeur, et garde-la en lui. Péniblement courbé, une vive douleur à la poitrine, aux épaules et à la nuque, dis avec persévérance dans ton intelligence ou dans ton âme : "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi." Ensuite, à cause de la gêne et de la peine, et peut-être aussi de la continuité pesante (non à cause de l'unique et continuelle nourriture du triple nom, car "ceux qui mangent, est-il dit, auront encore faim"), porte l'intelligence sur l'autre moitié, et dis : "Fils de Dieu, aie pitié de moi." Dis de nombreuses fois cette moitié. Mais tu ne dois pas, par négligence, changer continuellement. Les plantes qu'on repique trop souvent ne s'enracinent pas. Retiens la remontée du souffle, afin de ne pas respirer facilement. Car le mouvement des souffles qui monte du coeur obscurcit l'intelligence et agite la pensée. Il la détourne ou même la livre captive à l'oubli, ou bien il la fait s'occuper d'une chose après l'autre, et elle se retrouve insensiblement dans ce qu'il ne faut pas.
Si tu vois les impuretés des esprits mauvais ou des pensées monter, ou prendre forme dans ton intelligence, ne te trouble pas. Et si te viennent sur les choses de bonnes pensées, n'y attache pas ton attention. Mais autant qu'il est possible, retiens l'expiration, enferme l'intelligence dans le coeur, et invoque continuellement, avec persévérance, le Seigneur Jésus. Tu les brûleras et les repousseras rapidement, les flagellant invisiblement avec le nom divin. Jean Climaque dit en effet: "Flagelle avec le nom de Jésus ceux qui te combattent. Il n'est pas d'arme plus forte dans le ciel et sur la terre."
4. "Celui qui est las, dit Jean Climaque, se lèvera pour prier. Puis il se rassiéra et reprendra courageusement son premier travail." Il parle de ce que doit faire l'intelligence quand elle est parvenue à la garde du coeur. Mais il va de soi qu'il parle aussi de la psalmodie. On dit que le grand Barsanuphe fut un jour interrogé sur la psalmodie, sur la manière de psalmodier, et l'ancien répondit : "Les Heures et les odes sont des traditions de l'Église, et il est bon qu'elles nous aient été transmises pour la vie commune. Mais les moines de Scété ne chantent pas les Heures et n'ont pas d'odes. Ils ont un travail manuel, une méditation solitaire, et une prière intermittente. Quand tu te lèves pour prier, dis le Trisagion et le Notre Père. Demande à Dieu de te délivrer du vieil homme. Et ne t'attarde pas; car c'est tout le jour que ton intelligence est en prière. L'ancien voulait montrer que la méditation solitaire, c'est la prière du coeur, et que la prière intermittente, c'est la station de la psalmodie. Le grand Jean Climaque dit aussi très clairement : "L'oeuvre de l'hésykhia est l'absence de soucis en tout, puis la prière active (c'est la station) et en troisième lieu, l'oeuvre indéfectible du coeur." Tel est le siège de la prière, et donc de l'hésykhia.
5. Les uns enseignent à beaucoup psalmodier; d'autres, peu; d'autres, pas du tout, mais seulement à prier, à se donner de la peine, à travailler de ses mains, ou à se repentir, ou à faire quelque autre oeuvre difficile. Quelle est la différence ?
La réponse est là: ceux qui, après beaucoup de peines et d'années, ont trouvé la grâce par la vie active, enseignent à autrui comme ils ont appris, et ils ne veulent pas admettre que d'autres puissent y atteindre en peu de temps par l'étude, la miséricorde de Dieu et une foi ardente, comme dit saint Isaac. Trompés par l'ignorance et la présomption, ils les blâment, et affirment qu'agir autrement qu'eux est une illusion et non une énergie de la grâce. Ils ne savent pas qu'aux yeux du Seigneur, selon l'Écriture, il est aisé de donner soudain la richesse au pauvre, et que "le commencement de la sagesse, c'est d'acquérir la sagesse", la grâce, dit le Proverbe. L'Apôtre reprend aussi ses disciples qui ignorent la grâce, quand il dit : "Ne savez-vous pas que Jésus-Christ demeure en vous ? Ou seriez-vous réprouvés", c'est-à-dire incapables de progresser à cause de votre négligence ? Dans leur incrédulité et leur suffisance, ils n'admettent pas les oeuvres extraordinaires propres à la prière, que l'Esprit accomplit singulièrement en certains.
6. Objection. Dis-moi : jeûner, s'abstenir, veiller, demeurer debout, faire des métanies, pleurer, être pauvre, n'est-ce pas là une action ? Comment peux-tu dire, en avançant uniquement la psalmodie, que sans vie active il est impossible de tenir la prière ? Ces choses ne sont-elles pas des actions ?
Réponse. Si la bouche prie et si l'intelligence s'agite, où est l'avantage ? "L'un édifie et l'autre détruit. On a peiné pour rien." Mais l'intelligence doit travailler comme le corps. Sinon on serait juste de corps, mais le coeur serait empli de toute acédie et de toute impureté. L'Apôtre le confirme : "Si je prie en langue, c'est-à-dire avec la bouche, mon esprit est en prière, et c'est ma voix, mais mon intelligence est stérile. Je prie avec la bouche. Je prierai aussi avec l'intelligence." Et : "J'aime mieux dire cinq paroles"... etc. Témoin Jean Climaque. Voici ce qu'il dit : "Le grand artisan de la grande prière, de la prière parfaite, l'affirme : J'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, etc."
Il y a beaucoup d'oeuvres, mais elles sont partielles. La grande oeuvre englobante, la source des vertus, selon Jean Climaque, c'est la prière du coeur, par laquelle se découvre tout bien. "Il n'y a rien de plus terrible, dit saint Maxime, que la pensée de la mort, ni rien de plus grand que le souvenir de Dieu." Il montre ici la transcendance de l'oeuvre. Mais plusieurs, aveuglés par leur extrême insensibilité et leur ignorance, ont bien peu de foi et ne veulent même pas entendre qu'il y ait une grâce dans le temps présent.
7. Je pense que ceux qui psalmodient peu font bien. Ils observent la juste proportion - selon les sages, toute mesure est excellente -, ils n'épuisent pas toute la puissance de la prière dans la vie active. Ainsi l'intelligence ne se trouvant pas négligente à la prière, ne se relâche pas devant elle. Mais s'ils ne psalmodient qu'en partie, ils se déploient le plus possible dans la prière. Il y a pourtant des moments où, essoufflée par son appel continu et par la constante concentration, l'intelligence peut prendre un peu de répit et quitter le resserrement de l'hésykhia pour les étendues de la psalmodie. C'est là l'ordre le meilleur et l'enseignement des hommes les plus sages.
8. Ceux qui ne psalmodient pas du tout font bien, s'ils sont assez avancés. Ils n'ont pas besoin de psaumes, mais de silence, de prière continue et de contemplation, s'il leur a été donné de recevoir la lumière. Ils sont unis à Dieu et n'ont pas besoin de détacher de lui leur intelligence pour la jeter dans la confusion. La volonté propre fait tomber l'obéissant, dit Jean Climaque. Et l'interruption de la prière fait tomber l'hésychaste. Quand elle se sépare du souvenir de Dieu comme de son époux, leur intelligence devient adultère. Elle se prend d'amour pour les plus petites choses.
Il n'est pas toujours possible d'enseigner aux autres cet ordre de prière. Aux simples et aux illettrés qui vivent dans l'obéissance, oui : car l'obéissance, par l'humilité, participe à toute vertu. Mais à ceux qui n'obéissent pas, qu'ils soient simples ou savants, on ne donnera pas, afin qu'ils ne soient pas portés à l'égarement. Celui qui ne suit que lui-même, en effet, ne peut échapper à la présomption, qui accompagne naturellement l'erreur, comme dit saint Isaac.
Certains, qui ne voient pas le danger des conséquences, n'enseignent que cet ordre de prière à ceux qu'ils rencontrent, pour que leur intelligence, disent-ils, se fasse à l'usage et à l'amour du souvenir de Dieu. Mais cela est inadmissible, surtout avec des moines indépendants. Car leur intelligence est encore impure, à cause de la négligence et de la suffisance. Elle n'est pas purifiée par les larmes, et reflète les images mauvaises des pensées plutôt que la prière, quand les esprits impurs qui sont dans le coeur, troublés par le nom terrible,, grondent et cherchent à détruire celui qui les flagelle. Si le moine indépendant écoute, s'il reçoit l'enseignement touchant cette oeuvre et veut la tenir, il tombera dans l'un de ces deux maux : ou bien il s'évertuera, il se trompera et ne sera pas guéri. Ou bien il sera négligent, et ne fera aucun progrès durant toute sa vie.
9. Je dirai moi-même, dans la mesure où je connais un peu la chose par expérience : lorsque tu demeures dans l'hésykhia, le jour ou la nuit, priant continuellement Dieu, sans pensées, humblement, et que l'intelligence est épuisée d'appeler, que le corps est douloureux et que le coeur n'éprouve plus ni chaleur ni joie, trop concentré par la fréquente invocation de Jésus, qui donne la résolution et la patience à celui qui combat, alors lève-toi, psalmodie, seul ou avec ton disciple, ou occupe-toi à méditer une parole, à te souvenir de la mort, à travailler de tes mains ou avec les autres membres. Ou bien applique-toi à la lecture, plutôt debout, pour que le corps soit à la peine.
Quand tu es debout à psalmodier seul, dis le Trisagion puis la prière du Seigneur, avec ton âme ou en esprit, et l'intelligence attentive au coeur. Si l'acédie te presse, dis encore deux ou trois psaumes et deux tropaires pénitentiels, sans chanter. Ces tropaires ne se chantent pas, dit Jean Climaque. La peine du coeur, vouée à la piété, leur suffit en effet pour apporter la joie, comme dit saint Marc, et la chaleur de l'Esprit leur est donnée, avec la grâce et la réjouissance. Pendant le psaume, dis aussi la prière en esprit ou avec ton âme, sans distraction, et l'Alléluia. Tel est l'ordre des saints Pères, de Barsanuphe, de Diadoque, et des autres. Comme dit le divin Basile, il faut varier chaque jour les psaumes, pour stimuler la résolution, et pour que l'intelligence ne soit pas lassée d'avoir à chanter toujours les mêmes psaumes. Au contraire, il faut lui laisser la liberté, et elle sera renforcée dans sa résolution. Mais si tu psalmodies en compagnie d'un disciple fidèle, que ce soit lui qui dise les psaumes. Toi, secrètement attentif et priant dans ton coeur, garde-toi. Avec l'aide de la prière, méprise toutes les pensées qui montent du coeur, qu'elles viennent des sens ou de l'intelligence. L'hésykhia est, en effet, le dépouillement momentané des pensées qui ne viennent pas de l'Esprit, afin qu'en prêtant attention à ce qu'il y a de bon en elles, tu ne perdes pas le meilleur disciple fidèle, que ce soit lui qui dise les psaumes. Toi, secrètement attentif et priant dans ton coeur, garde-toi. Avec l'aide de la prière, méprise toutes les pensées qui montent du coeur, qu'elles viennent des sens ou de l'intelligence. L'hésykhia est, en effet, le dépouillement momentané des pensées qui ne viennent pas de l'Esprit, afin qu'en prêtant attention à ce qu'il y a de bon en elles, tu ne perdes pas le meilleur.
11. "Tu es un ouvrier, dit Jean Climaque. Ce que tu lis doit regarder l'action. Cette oeuvre rend superflue toute autre lecture ." Ne cesse de lire des livres sur l'hésykhia et la prière, tels l'Échelle, saint Isaac, les écrits de saint Maxime, du Nouveau Théologien, de son disciple Stèthatos, d'Hésychius, de Philothée le Sinaïte, et de tout ce qui, ailleurs, est du même ordre. Mais laisse les autres écrits jusqu'à ce que vienne le temps, non qu'il faille les rejeter, mais ils n'ont pas le même but. Ils portent l'intelligence vers ce qu'ils cherchent, et ils la détournent de la prière.
Que ta lecture soit solitaire, dite d'une voix sans emphase, sans éloquence recherchée, sans élégance de langage ou de modulation, sans sortir de toi de manière passionnée et inconsciente, absent là où tu es, pour plaire à quelques-uns, et sans être non plus insatiable, car toute mesure est excellente. Lis sans rudesse, ni lenteur, ni négligence, mais modestement, doucement, posément, de manière compréhensible et harmonieuse, avec ton intelligence, ton âme et ta raison. L'intelligence en est confortée. Elle reçoit en elle la force de prier intensément. Mais dans les conditions contraires dont nous avons parlé, elle ne peut trouver qu'obscurité, relâchement et trouble. La raison finit par donner mal à la tête, et elle est épuisée pour la prière.
12. Sois attentif à examiner précisément à toute heure où te porte ta résolution, si elle mène selon Dieu à ce bien qu'est l'hésykhia pour l'avantage de l'âme, ou à la psalmodie, ou à la lecture, ou à la prière, ou à l'oeuvre des vertus semblables, afin de n'être pas dévasté sans le savoir si tu te trouvais n'être ouvrier que pour la forme, et voulais, dans ton mode de vie et tes pensées, plaire aux hommes, et non à Dieu.
Car les pièges du malin sont nombreux. Au plus profond du secret, ignoré de la plupart, il voit le penchant de la résolution, et ne cesse de vouloir dévaster l'oeuvre sans qu'on le sache, afin que ce qui se fait ne se fasse pas selon Dieu. Quand bien même mènerait-il contre toi un combat inflexible et surviendrait-il effrontément, toi, sûr de ta résolution devant Dieu, ne te laisse absolument pas dévaster, même si l'impulsion de ta volonté, forcée par le malin, te pousse à t'égarer malgré toi dans la rêverie. Il se peut, et la maladie aidant, qu'on soit vaincu sans le vouloir. Mais on est vite pardonné et encouragé par Celui qui connaît les résolutions et les coeurs.
Cette passion, je veux dire la vaine gloire, ne laisse pas le moine avancer dans la vertu, mais il reste avec ses peines, et il atteint la vieillesse sans porter de fruits. Elle peut toujours toucher les trois - le novice, le moyen et le parfait - et les dépouiller de l'oeuvre des vertus.
13. Je dis, pour l'avoir appris, que le moine ne pourra jamais progresser sans ces vertus : le jeûne, la tempérance, la veille, la patience, le courage, l'hésykhia, la prière, le silence, le deuil, l'humilité. Car elles s'engendrent et se gardent les unes les autres. Le désir consumé par le jeûne continuel
enfante la tempérance. La tempérance, la veille. La veille, la patience. La patience, le courage. Le courage, l'hésykhia. L'hésykhia, la prière. La prière, le silence. Le silence, le deuil. Le deuil, l'humilité. Réciproquement, l'humilité enfante le deuil. Et revenant en sens inverse, tu découvriras comment les filles, à leur tour, enfantent les mères. Entre les vertus, aucune n'est plus grande que cet enfantement réciproque. Car tous voient alors très clairement leurs contraires.

Citations de "Comment l'hésychaste doit être assis en prière et ne pas se hâter de se relever".

Tantôt, la plupart du temps - car c'est pénible -, sois assis sur un banc. Tantôt, rarement, pour un moment et pour te détendre, allonge-toi sur ta couche. Tu dois demeurer assis avec patience, à cause de celui qui a dit : "Persévérez dans la prière", et ne pas te hâter de te relever par négligence, quand l'appel spirituel de l'intelligence et la longue immobilité te font souffrir. "Voici, dit le prophète, que m'ont pris les douleurs, comme celle qui enfante." Mais courbé vers le bas, rassemblant l'intelligence dans le coeur s'il s'ouvre, appelle à l'aide le Seigneur Jésus. Tu auras mal aux épaules, et souvent ta tête sera douloureuse. Mais persévère dans la peine et l'amour, cherchant dans le coeur le Seigneur. Car le Royaume des cieux est aux violents et les violents s'en emparent. Le Seigneur a montré en vérité comment nous devions nous donner de telles peines. La patience et la persévérance en tout enfantent les peines du corps et de l'âme.
Parmi les Pères, les uns demandent de dire toute la prière - "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi" - et les autres, d'en dire la moitié - "Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi" -, ce qui est plus facile pour la faiblesse de l'intelligence. Car nul, seul et de lui-même, ne peut dire dans le mystère "Seigneur Jésus", purement et parfaitement, sinon par l'Esprit Saint. Comme l'enfant qui balbutie encore, il est incapable de l'articuler pleinement. Il ne faut pas alterner souvent les invocations, par négligence, mais ne le faire que rarement, pour la persévérance.
De même, les uns enseignent à dire la prière avec la bouche, d'autres avec l'intelligence. Je pense qu'il faut faire les deux. En effet, tantôt l'intelligence et tantôt la bouche sont prises d'acédie et ne peuvent parler. On doit donc prier avec les deux, la bouche et l'intelligence. Mais on doit appeler également calmement et sans trouble, pour que la voix ne vienne pas brouiller et entraver la perception et l'attention de l'intelligence, jusqu'à ce que celle-ci, dressée à l'oeuvre, ait progressé et reçu de l'Esprit le pouvoir de prier totalement et intensément. Alors il n'est pas besoin de parler avec la bouche. Car on ne le peut même plus. L'intelligence suffit à faire l'oeuvre tout entière.
Aucun novice ne chasse jamais une pensée que Dieu ne chasse d'abord. Il appartient aux forts de combattre et de chasser les pensées. Encore ceux-ci ne les chassent-ils pas d'eux-mêmes. C'est avec Dieu, et revêtus de son armure, qu'ils mènent le combat contre elles. Quand viennent les pensées, appelle le Seigneur Jésus, souvent, avec persévérance, et elles s'enfuiront. Car elles ne supportent pas la chaleur qui de la prière monte dans le coeur, et elles fuient, comme brûlées par le feu. "Par le nom de Jésus, dit Jean Climaque, fustige ceux qui te combattent." Car notre Dieu est un feu qui consume la perversité. Le Seigneur vient vite à l'aide, et rend aussitôt justice à ceux qui, de toute leur âme, l'appellent jour et nuit.
Mais celui qui n'a pas l'énergie de la prière peut renverser les pensées d'une autre manière, en imitant Moïse. S'il demeure debout, les mains et les yeux tournés vers le ciel, Dieu fait fuir les pensées. Puis il s'assied à nouveau, et se met à la prière avec persévérance. C'est ce que doit faire celui qui n'a pas encore acquis la force de la prière. Et même celui qui a l'énergie de la prière, toutes les fois où il affronte les passions du corps, je veux dire l'acédie et la prostitution, les plus dures et les plus lourdes des passions, doit aussi tendre les mains pour appeler à l'aide contre elles. Mais pour ne pas tomber dans l'illusion, il ne doit pas faire cela longtemps, et il s'assied à nouveau de peur que l'ennemi ne vienne par l'imagination tromper d'en-haut son intelligence, en lui montrant une prétendue forme de vérité. Car avoir l'intelligence infaillible en-haut et en-bas, dans le coeur et en tous lieux, et la garder sauve, n'appartient qu'aux purs et aux parfaits.
"Durant la nuit, dit Jean Climaque, donne beaucoup de ton temps à la prière, mais peu à la psalmodie." C'est ce que tu dois faire. Quand, là où tu es assis, tu vois la prière agir et ne pas cesser d'être en mouvement dans le coeur, ne va pas la laisser et te relever pour psalmodier un moment, si d'elle-même elle ne t'abandonne pas. Délaissant Dieu au-dedans de toi, tu te lèves pour parler à l'extérieur, tu te détournes de ce qui est élevé vers ce qui est bas, et tu crées une confusion. Tu troubles l'intelligence hors de son calme. Car l'hésychaste garde aussi l'action, dès lors qu'il la maintient dans la paix et la sérénité, comme son nom l'indique. Dieu est paix, au-delà de la confusion et du bruit. Notre louange, comme notre manière de vivre, doit être angélique, et non charnelle. Psalmodier en appelant de toutes nos voix n'est jamais qu'un symbole de l'appel de l'intelligence. La psalmodie nous est donnée à cause de notre négligence et de notre rusticité, pour nous ramener vers ce qui est vrai. Ceux qui ne connaissent pas la prière qui est, selon Jean Climaque, la source des vertus arrosant les plantes, c'est-à-dire les puissances de l'âme, doivent psalmodier beaucoup, sans mesure, toujours avec une grande diversité, et ne jamais cesser, jusqu'à ce que cette longue action pénible les ait menés à la contemplation et qu'ils puissent découvrir la prière intellectuelle active au-dedans d'eux. Car autre est l'acte de l'hésykhia, autre celui de la vie commune. Chacun, s'il persévère sur la voie où il a été appelé, sera sauvé. Aussi, quand je te vois revenir au milieu d'eux, j'ai bien peur de n'écrire que pour les faibles
Tous ceux qui essaient de vivre la prière à partir de ce qu'ils ont entendu ou appris ne peuvent que se perdre, s'ils n'ont personne pour les guider. Celui qui a goûté la grâce doit, selon les Pères, psalmodier avec mesure et se consacrer surtout à la prière. Mais aux heures de nonchalance, il doit psalmodier ou lire les actes des Pères. Le navire n'a pas besoin de rames lorsque le vent tend la voile et que le souffle lui apporte une brise favorable pour voguer à la surface de la mer saumâtre des passions. Mais quand il est arrêté, il est tiré par les rames ou par la barque. Si certains, qui aiment la dispute, avancent que les saints Pères, ou d'autres aujourd'hui, debout toute la nuit et psalmodiaient continuellement, nous leur répondrons avec l'Écriture que tout n'est pas parfait en tous, que l'ardeur et la force peuvent manquer, et que ce qui est petit n'est pas nécessairement petit pour les grands, ni ce qui est grand n'est pas nécessairement parfait pour les petits.
Il y a trois vertus de l'hésykhia, qu'il faut garder strictement, en examinant à toute heure si nous vivons toujours en elles et si, trompés par l'oubli, nous ne marchons pas en dehors. Ce sont la tempérance, le silence, et le blâme de soi-même, c'est-à-dire l'humilité. Elles se contiennent et se gardent les unes les autres. D'elles la prière naît et croît continuellement.
Le commencement de la grâce dans la prière n'apparaît pas en tous de la même manière. Et le partage de l'Esprit, dit l'Apôtre, se révèle et se connaît sous bien des formes, selon sa volonté. Il se manifeste en nous comme à Élie le Thesbite. Chez certains, un esprit de crainte, fendant les montagnes des passions et brisant les rochers, les coeurs durs, vient clouer la chair de frayeur et la rendre morte. Chez d'autres, un tremblement, ou une exultation toute immatérielle et essentielle, car ce qui n'a ni être ni substance n'existe pas (et c'est ce que les Père appellent plus clairement un bondissement) ébranle le coeur. Chez d'autres enfin, surtout en ceux qui ont progressé dans la prière, Dieu suscite une brise légère et paisible de lumière, le Christ demeurant dans le coeur, selon l'Apôtre, et se révélant mystiquement en esprit. C'est pourquoi Dieu disait à Élie sur le mont Horeb que le Seigneur n'était ni ici ni là, dans les actions partielles des novices, mais il disait que le Seigneur était dans la brise légère de lumière, et il montrait la perfection de la prière.