LA RAISON ET LE COEUR


     Je méditais dernièrement sur la grande difficulté éprouvée par la plupart des hommes à, surmonter la barrière des mots. Combien, qui vous écouteraient volontiers parler de la Vie mais qui se révoltent dès qu'on prononce le nom de Dieu, de la Vierge, du St-Esprit, dès qu'on emploie la terminologie religieuse !

     Ma méditation devenait rêverie...mon regard pénétrait l'invisible... je discernais dans l'intérieur de la Terre un peuple entier né dans ces Ténèbres ! - Après des siècles sans nombres, cette humanité évoluait, parvenait à une sorte de civilisation, se rendait maîtresse des Forces de la Nature, créait une lumière artificielle brillante, mais rien ne lui faisait pressentir notre resplendissant soleil, mystérieux et inépuisable réservoir de vie. Continuant ma rêverie ; poursuivant ma contemplation intérieure, je distingue un homme différent des autres. Tout ne lui semble pas parfait dans son monde ; il pressent une lumière plus éclatante, un air plus pur et plus vivifiant... il est troublé, il pense ; il cherche. Au lieu de jouir paresseusement de sa vie, un beau jour, il quitte tout : famille, parents, amis, il parvient aux confins du monde connu, s'engage dans des sentiers que, de mémoire d'homme, nul n'a foulés. Il tombe, se blesse, pénètre sans trembler dans de terribles défilés, en des cavernes sombres ; il perd tout contact avec les siens ; rien ne l'arrête et, un jour après bien des épreuves, un dernier effort le conduit au but ; il parvient à la surface et, brusquement, la lumière du soleil l'éblouit...il habitue progressivement ses yeux, il regarde... Une végétation merveilleuse, des fleurs, des fruits inconnus dépassant mille fois tous ceux qui lui étaient familiers, frappent ses regards... Ah ! Qu'il est sublime le monde nouveau ! Toutes ses peines sont oubliées... Son bonheur est immense il pense à ses frères ; il veut les amener aussi vers ces splendeurs. Repérant soigneusement son chemin, il retourne vers eux ; il leur raconte son voyage, leur affirme que leur lumière est fausse... mais on le traite de visionnaire : nul ne le croit. Ainsi notre pauvre terre a traité ceux qui ayant vu la Vérité ont essayé de montrer le chemin qui y conduit. Les « Ténèbres ont repoussé la Lumière »... Ils pensèrent alors, ces missionnés, à organiser toute une série de gestes, de chants, de paroles, de rites enfin, destinés à préparer peu à peu les hommes à trouver par eux-mêmes. Un jour, sans s'en douter, les chemins qui les mèneront à la découverte du soleil véritable, de la Vérité totale, de la Lumière éternelle auprès de laquelle tout est ténèbre.

     Telle fut une des causes des rituels religieux ; tel est leur but. Ils nous conduisent, lentement, mais sûrement, à la vérité donnée à notre terre d'abord par les sauveurs et missionnés envoyés par le Christ pour préparer sa venue, puis par le Verbe fait chair lui-même.

     C'est pourquoi nous devrions considérer les pratiques religieuses comme des moyens destinés à nous amener peu à peu comme l'Être intuitif de ma rêverie, à la surface de la matière pour y découvrir la splendeur de l'esprit.

     Au lieu de mépriser ces rites et la phraséologie religieuse, tâchons de comprendre qu'ils dissimulent des Lumières telles que notre coeur seul peut en supporter l'éclat. Et nous n'y arriverons que par l'humilité d'une part et ensuite, en étant certains de l'impuissance de notre raison devant le surnaturel.

     L'humilité vraie nous apprendra tout d'abord à ne jamais nous laisser effrayer par des mots. Puis, nous comprendrons clairement que notre pire ennemi, c'est notre mental tyrannique. Ce seront les deux leçons que cet article a pour but de proposer.

     Un exemple fera bien comprendre ma pensée : une de ces « choses trop dures pour notre mental », c'est entre autre la fameuse définition de l'Église catholique : Marie, Mère de Dieu. Une femme mère d'un Dieu ! Parole inadmissible, folie ! Et cependant, réfléchissons ; demandons-nous ce qu'est une mère. Son rôle n'est-il pas de manifester un être primitivement caché ? De rendre visible ce qui était invisible ? Ce qui échappait, non seulement à tous nos sens matériels, mais même à notre prévision spirituelle ? Et, qu'est-ce Dieu ? N'est-ce pas le Principe, l'Être, la Force par excellence absolument cachés ? Et le rôle de la Vierge Marie n'a-t-il pas été précisément de rendre visible et tangible cet Être, cette Force à jamais inconnaissable ? Ainsi, par l'humilité, une vérité qui paraît une folie à notre raison, devient parfaitement admissible à notre coeur.

     Autre exemple : c'est une parole du Christ, recommandant. « D'aimer Dieu, de tout son coeur, de toute son âme et de tout son esprit ». C'est la base essentielle, de tous nos efforts pour sortir de l'état d'infériorité où nous sommes et parvenir à notre but final : la participation consciente de notre esprit total aux mouvements de la vie absolue, sa réintégration dans le Plan Central de l'Univers, avec tous nos pouvoirs reconquis.

     Aimer Dieu ! Que ces mots sont froids et inutiles tant que notre sensibilité n'a pas su reconnaître le divin secret qu'ils renferment ! Que de fois ils nous ont écartés - et que de fois nous sommes restés immobiles et glacés dans notre triste état de mort spirituelle en les entendant prononcer ! C'est que nous n'avions pas encore renoncé aux fausses lumières de notre monde et accompli le dur travail nécessaire pour parvenir à la surface du Pays merveilleux où les yeux de notre âme éblouis ont pu contempler sans voile, le Vrai Soleil de Gloire, la Vraie Vie incréée ; mais, dès que notre mental s'est calmé ; dès qu'il a reflété suffisamment la vérité entrevue tout change. À ce mot : aimer ! Tout en nous a tressailli ; notre coeur a bondi dans notre poitrine et s'est fondu en une céleste douceur ; il s'est élancé éperdument vers le coeur de l'Être Ineffable, du Maître adoré qui est l'Amour Même, tout l'Amour, qui est « Dieu ». Et « le vrai sens de la parole nous est apparu » Aimer Dieu, c'est vouloir vivre, c'est sentir, rechercher, tendre de toutes nos forces vers la vie totale ; se fondre en Elle, disparaître dans ses Profondeurs, s'y baigner, comme notre corps est plongé avec ivresse dans l'air pur, dans les rayons du soleil visible, par un beau jour d'été !.. 
« O mon Dieu, vous voulez être aimé pour vous-même, que le « langage humain est peu fait pour traduire l'adoration absolue de mon âme qui vient à Vous et Vous cherche ! Seul ! Le silence total me paraît capable d'exprimer, seulement pour Vous, Notre Christ, et ses Anges, le Divin Mystère de notre Union ! »

     Mais revenons et terminons en examinant les difficultés qu'opposent notre cerveau et ce qu'on appelle notre raison, à notre évolution spirituelle et pourquoi ?

     Je n'ai jamais pu entendre sans les plaindre ces théoriciens, qui ont de nos jours repris les négations anciennes du surnaturel et dont quelques-unes remontent presque à l'origine du christianisme. Pour ces adeptes de la philosophie religieuse, le Spiritualisme, la Foi en l'Esprit, en Dieu sont des vérités certaines, mais ils repoussent comme d'enfantines rêveries nos mystères chrétiens.

     Il ne m'est guère plus aisé d'accepter les déclarations de beaucoup de théologiens affirmant qu'on peut, à l'aide de la raison pure, admettre l'existence de Dieu. Certes, je puis me dire : Je n'ai pas vu la source de ce fleuve, mais j'y crois parce qu'il est raisonnable de penser qu'un cours d'eau sort d'une source. Mais, c'est une partie bien extérieure de moi-même qui sera atteinte ; et si, à la rigueur, je puis croire en, Dieu de cette façon, je m'arrêterai là, et comme les déistes, je rejetterai la naissance surnaturelle du Verbe, sa Divinité, sa mort réelle et sa Résurrection totale Jamais ma raison n'admettra les enseignements du Christianisme ; elle est en effet, ma raison, un flambeau nécessaire, une boussole indispensable pour la traversée de la forêt inextricable de mon existence, terrestre, mais elle ne peut servir qu'à cela ; elle est la manifestation tangible de mon cerveau qui a été construit pour fonctionner dans un certain mode du temps et de l'espace ; mais, si je veux l'appliquer à autre chose, la vie incréée, je ne puis commettre que des erreurs. Non, ce n'est pas ainsi qu'il faut chercher le chemin qui mène à Dieu. Non, je ne resterai pas parmi ces hommes, sincères, peut-être, mais qui, en reconnaissant seulement la Raison, se limitent par trop ; je ne me contenterai pas de m'asseoir sur les bords du Fleuve et de croire en sa source, parce « cela est raisonnable », je remonterai à travers tous les obstacles vers cette source, je franchirai des montagnes, et des précipices, j'y épuiserai mes forces ; mais parvenu à mon but, je contemplerai la vie et je pourrai alors m'écrier : non je ne crois pas : je sais, je vois, sans doute possible. Tel est l'état de l'homme que Jésus a conduit par la main et à qui Il a révélé ce qu'est son Père - et, d'abord, ce qu'Il est Lui-même. Et, peu à peu, tous les éclaircissements utiles nous seront donnés ; seules demeureront les obscurités nécessaires, car, il y a beaucoup de voiles qui ne peuvent encore être levés.
 
 

*
* *

     Ainsi, mes chers lecteurs, évitons ces deux pièges que j'ai tenté de vous signaler nettement, suivons avec fidélité et constance, Celui que le Père, nous a envoyé. Si nous le reconnaissons comme tel ; si nous sommes assez simples pour lire en nous le merveilleux message et assez fidèles pour accomplir ses commandements, il enflammera notre coeur, et nous l'aimerons enfin, comme Il veut être aimé.
Nos âmes, et nos corps sortiront pour jamais des ténèbres ; aucune fausse lumière ne les attirera plus et, quittant définitivement le monde souterrain du mal, nous n'y retournerons plus que par amour, pour tendre une main secourable à nos frères épuisés et encore aveugles.
 

Août 1927 PHANEG.