APPENDICE

 

La famille de Nicolazic

 

Les premiers historiens du pèlerinage, attentifs à décrire l'origine miraculeuse de la dévotion ont laissé dans l'ombre la famille d'Yves Nicolazic, le pieux voyant de Ker-Anna. À peine nous donnent-ils quelques détails au cours de leur récit : nous savons par eux que son père et sa mère étaient déjà morts à l'époque des premières apparitions ; il avait un frère Pierre et une sœur Yvonnette ; il épousa Guillemette Le Roux, dont il eut, après quinze ans de stérilité, un fils nommé Sylvestre et qui deviendra prêtre, puis une fille dont on ne nous dit rien de plus. Les documents d'archives nous avaient déjà fourni quelques heureux éclaircissements. MM. Buléon et Le Garrec, en produisant l'acte d'inhumation de Louis Le Roux, beau-frère de Nicolazic, tranchaient la question de son prénom en faveur du P. Kernatoux, contre le P. Hugues qui le nommait Jean. Ils mirent au jour également les actes de baptême des deux enfants de Nicolazic : Sylvestre et Jeanne. Un autre document signalait encore une « sœur germaine de Jeanne », appelée Paterne.

 

Jeanne Nicolazic épousa François Le Marouil du Gorvenec, en Plumergat, et mourut en janvier 1679 ; elle fut enterrée dans l'église paroissiale de Plumergat. La date de la mort de Sylvestre Nicolazic (vers 1660, selon le P. Kernatoux) et le lieu de sa sépulture demeuraient inconnus. On ne connaissait pas davantage la date exacte de la naissance d'Yves Nicolazic, ni les noms de ses père et mère. Le P. Hugues et le P. Kernatoux s'accordaient à lui donner 43 ans au moment de la découverte de l’image sainte, le 7 mars 1625, et 63 ans quand il mourut, le 13 mai 1645. En s'autorisant de ces témoignages on plaçait généralement sa naissance en 1582, mais toutes les recherches pour découvrir son acte de baptême, à cette date, étaient demeurées vaines.

 

D'intéressantes précisions ont été apportées par M. le Docteur Bénard, médecin-chef des Hôpitaux de Paris. Ses recherches généalogiques le conduisirent à Pluneret où se conserve la collection des registres paroissiaux, ininterrompue de 1582 à 1792. Il eut le bonheur non seulement de reconnaître un lien de parenté avec le voyant de Ker-Anna mais de retrouver son acte de baptême et de reconstituer toute sa famille.

 

 

I. - L'ACTE DE BAPTÊME D'YVON NICOLAZIC

 

Dans les registres de Pluneret on peut lire l'acte de baptême suivant : « Le dimanche des Rameaulx, IIIe jour d'apvril 1591, fut baptisé Yvon Nicolasic, fils légitime de Jean Nicolasic et de Jeanne Le Thominec, sa compaigne. Furent compère Messire Yves Rodoué, recteur de la cure et paroisse de Plœneret et Gilles Bullion, commère Anne Nicolasic. Messire Yves Le Héno, curé, fist le baptistouère led jour et an. En tesmoing de quoy ay signé. Arresté led jour et an. (Signé) Y. Le Héno, Y. Rodoué. »

 

L'acte est entièrement rédigé de la main du recteur et l'écriture assez difficile à déchiffrer. On serait tenté de lire 1592 mais c'est bien 1591 car l'acte vient immédiatement après le dernier de 1590 et en tête de ceux de 1591. Le recteur se nomme Rodoué ét non Rodouez et cette orthographe employée d'une manière constante par les deux recteurs de ce nom qui se succédèrent à Pluneret, adoptée également par Luco dans son « Pouillé du diocèse de Vannes » doit être retenue. Le nom exact du sous-curé est aussi Le Thominec et non Thominec. De même on écrit Nicolasic plutôt que Nicolazic.

Sommes-nous en présence de l'acte de baptême du voyant de Ker-Anna qui serait ainsi neuf ans plus jeune que ne l'affirme la tradition ? Le docteur Bénard n'hésite pas à répondre par l'affirmative. En 1582, le nom de Nicolazic n'apparaît en effet qu'une seule fois, dans la personne de Marguerite Nicolazic, sœur du père d'Yvon. Les années suivantes, on ne trouve mention d'aucun autre Yves Nicolazic jusqu'en 1636. Reste l'hypothèse de la naissance antérieure à 1582, date du plus ancien registre. Mais comme cet Yvon Nicolazic a bien un frère nommé Pierre et une sœur Yvonne, nés comme lui de Jean Nicolazic et de Jeanne Le Thominec, nous sommes fondés à croire qu'il s'agit bien ici du paysan de Pluneret à qui apparut sainte Anne.

 

Comment expliquer alors l'erreur de témoins aussi autorisés que le P. Kernatoux qui a pu interroger le fils de Nicolazic et son beau-frère Louis Le Roux, que le P. Hugues surtout qui a connu Nicolazic lui-même ? Les traditions en matière d'âge et de dates sont toujours sujettes à caution. Quand, vers 1660, on commença de préciser, dans les actes d'inhumation, l'âge du défunt, on le faisait suivre de la mention « environ » et il n'est pas rare de voir attribuer 90 ans à qui n'en avait que 78 ou 80. Le P. Hugues lui-même insinue que le fils de Nicolazic naquit moins d'un an après la découverte de la statue, alors que l'acte de baptême nous donne la date du 18 janvier 1628.

Comme le fait justement remarquer le docteur Bénard, ce rajeunissement de Nicolazic, importe peu à l'histoire du pèlerinage. S'il avait, au moment des apparitions, 32 ans et non 41 « il n'était pas pour autant un gamin ». De même le fait d'avoir eu son premier enfant à 37 ans au lieu de 46, n'enlève rien à la croyance qu'il devait sa naissance à une faveur de sa « Patronne », car un homme marié depuis de longues années et resté sans enfant jusqu'à cet âge a des craintes fondées de n'en avoir jamais.

Ainsi donc la naissance de Nicolazic doit être ramenée à l'année 1591 : quand il mourut, le 13 mai 1645, il avait 54 ans.

 

 

II. - LA FAMILLE D'YVON NICOLAZIC

 

L'acte de baptême de Nicolazic nous révèle les noms jusque-là ignorés de son père et de sa mère. Son père, Jean Nicolazic, descendait, sans aucun doute, de cet autre Jean Nicolazic qui fit aveu en 1540 pour sa tenue sise au village de Ker-Anna. Il épousa en premières noces Françoise Corlobé dont il eut au moins deux filles : Marie-Anne, en 1584, et Vincente, en 1586, puis, en secondes noces, vers 1590, Jeanne Le Thominec. Yvon Nicolazic est l'aîné des enfants de ce second lit. Après lui, naquirent successivement Julien en 1593, Pierre en 1596, Yvonne en 1600, Jean en 1605, un autre Jean en 1609. C'était donc une famille nombreuse que celle de Jean Nicolazic.

 

Elle s'était établie, semble-t-il, depuis relativement peu de temps dans la paroisse de Pluneret, mais son aisance lui donnait droit à une certaine considération. Dans la longue liste des parrains et marraines – il y en eut régulièrement trois pour chaque baptême jusqu'en 1599 – on trouve peu de Nicolazic et c'est presque une exception de voir comme marraine d'Yvon Nicolazic Annette, une sœur de son père. Ordinairement on était contraint de faire appel au voisinage ou aux relations, ce qui prouve le peu d'étendue de la parenté. Il n'est pas rare de rencontrer des noms nobles, tel celui de Jeanne d'Auray. Le frère de Nicolazic, Pierre « le lettré de la famille » qui parle couramment le français et signe d'une belle écriture, choisira pour « nommer » ses enfants, des personnes de condition : Anne de Larlan, dame de Penran, Jean de la Motte, seigneur des Fontaines, Julien du Rohello, etc. Il est donc vraisemblable, et cette conclusion rejoint celle de MM. Buléon et Le Garrec, que le fermier du Bocenno, sans être riche, jouissait d'une certaine aisance.

 

Ses relations avec le clergé de la paroisse étaient aussi des plus cordiales et des plus suivies. Il n'est pas téméraire de croire que Jeanne Le Thominec, la mère de Nicolazic, était une parente, peut-être la sœur du sous-curé de Pluneret. Le premier parrain d'Yvon, celui qui lui a donné son nom, n'est autre que le recteur de la paroisse, lui-même, Yves Rodoué qui, vers 1600, résignera son bénéfice en faveur de son neveu Sylvestre. Il est fort probable que le second, Gilles Bullion, appartenait à la famille illustrée par Dom Jacques Bullion, bachelier en Sorbonne et recteur de Moréac, qui fut chargé d'interroger Nicolazic au lendemain de la découverte de la statue, et que l'on retrouve, en 1636, comme parrain d'un de ses neveux. Le docteur Bénard explique par ces relations ou même cette parenté, l'attitude si violente du recteur et du curé de Pluneret à l'égard du voyant. Non seulement, les deux prêtres entendent garder leur paroisse d'un scandale, mais ils craignent d'être compromis dans une aventure qui risque de tourner à leur confusion. Lorsqu'ils disent à Nicolazic « qu'il faisait grand tort à sa famille et qu'on la soupçonnerait cy-après de folie comme luy », ils ne font que défendre leur propre réputation.

 

 

III. - LES ENFANTS DE NICOLAZIC

 

Yvon Nicolazic épousa Guillemette Le Roux. Quand ils moururent, en 1645, le P. Hugues nous dit qu'ils laissaient après eux « un fils et une fille, celuy-là, en 1'âge de 19 ans, que la glorieuse Sainte leur avait donné par miracle l'année que commença sa dévotion ». En réalité, le fils de Nicolazic, baptisé le 18 janvier 1628, n'avait alors que 17 ans. L'irascible recteur de Pluneret, revenu de ses préventions, avait tenu à être le parrain et lui avait donné son nom, Sylvestre. La fille se nommait Jeanne et avait été baptisée le 25 mars 1630. Poussant plus loin ses investigations, M. le Docteur Bénard a découvert deux autres enfants de Nicolazic : Yves, né en 1636, et Julien, en 1640. Par contre, il n'a pas trouvé trace de Paterne, la « sœur germaine » de Jeanne.

Les deux plus jeunes enfants de Nicolazic furent bien vite ravis à son affection : Yves mourut huit mois après sa naissance et Julien à l'âge de trois ans. Du moins le vieux laboureur, retiré dans sa métairie de Pluneret, pouvait se réjouir du progrès de ses deux autres enfants. L'aîné surtout le consolait : il avait commencé ses études en vue du sacerdoce, auprès des Carmes de Sainte-Anne ; il assistera son père dans ses derniers moments. Devenu prêtre, Sylvestre Nicolazic se dépensera au service de sa paroisse natale et aussi dans les missions organisées par les Pères Jésuites. On lit sa signature dans de nombreux actes de baptême, toujours suivie de la mention « prêtre indigne ». Hélas ! son ministère ne fut que de courte durée : il mourut en effet à l'âge de 31 ans, ainsi qu'en témoigne son acte d'inhumation découvert encore par le docteur Bénard : « Messire Sylvestre Nicolazic, prêtre de la paroisse de Pluneret, estant décédé en la communion de Nostre la Sainte Eglise (sic), après avoir reçu les Saints-Sacrements de Pénitence et d'Extrême-Onction, a été enterré en l'église paroissiale de Pluneret, le vingt-deuxième jour de juillet an mil six cens cinquante et neuff par MM. les Recteurs. »

 

Les premiers historiens du pèlerinage avaient pour ainsi dire arraché Nicolazic à son milieu familial pour nous le montrer en tête à tête avec sa « bonne Patronne ». Les documents d'archives nous permettent désormais de le contempler au sein d'une bonne et belle famille paysanne de la paroisse de Pluneret.

 

Abbé Joseph DANIGO,

Professeur au Petit Séminaire

de Sainte-Anne-d'Auray