Nouvelles difficultés

 

Pendant que les habitants de Ker-Anna venaient voir eux-mêmes, avec les autres témoins, l'image qui avait été trouvée pendant la nuit, les deux hommes refirent le même voyage que la veille, en se disant que, cette fois-ci du moins, on ne refuserait pas de les croire, puisqu'ils apportaient une preuve décisive de la volonté de Dieu.

Nicolazic montra au Recteur les pièces d'argent que celui-ci n'avait pas encore vues et lui raconta en détail la découverte qu'il venait de faire dans son champ devant témoins.

— Nous étions six, lui dit-il, et Lézulit ici présent était avec nous.

Lézulit, prenant la parole à son tour, confirma le récit de Nicolazic.

 

Messire Rodoué les écouta l'un et l'autre. Que pensait-il au fond de tous ces événements ?... Toujours est-il qu'il se montra incrédule ; il fut même plus intraitable que jamais, il alla jusqu'à qualifier Nicolazic d'hypocrite ou d'imposteur. « Les pièces d'argent, disait-il, c'est vous qui les avez supposées ; et quant au morceau de bois pourri que vous avez trouvé en terre, qu'est-ce que cela prouve, et que voulez-vous que j'en fasse ?... C'est le diable qui est en tout cela... »

Dom Le Thominec, faisant écho aux invectives du Recteur, ajouta qu'il fallait être un sot ou un fou pour accepter de telles extravagances.

— Il n'y a rien à faire ici, se dit Nicolazic. Et il se retira respectueusement sans rien répliquer.

 

Les deux paysans alors, continuant leur chemin jusqu'à Auray, se rendent chez M, de Kerloguen. Nicolazic trouvait opportun d'aller annoncer la découverte au seigneur de sa tenue qui lui avait promis, le jour précédent, de fournir l'emplacement de la chapelle.

M. de Kerloguen fut très ému de cette nouvelle ; mais, apprenant la façon dont les deux paysans avaient été éconduits par le Recteur de Pluneret, il voulut que les Pères Capucins, qui avaient gardé la veille une réserve déconcertante, eussent eux-mêmes connaissance du nouveau fait.

Ceux-ci écoutèrent ; mais ils ne changèrent pas leur manière de voir : à leur avis, il n'y avait toujours pas lieu de bâtir une chapelle.

Au retour, et avant de rentrer chez eux, les deux amis voulurent revoir l'image plus à loisir, et ils passèrent par le Bocenno.

 

Il y avait là en ce moment un grand nombre de personnes, entre autres deux prêtres venus tout exprès, dom Yves Richard, qui était du village, et dom Mazur, aumônier de la flotte royale qui avait relâché depuis peu dans les eaux du Morbihan. Là se trouvaient aussi deux religieux Capucins que le hasard seul semblait y avoir amenés.

 

L'objet qui attirait l'attention de tous était la Statue : et maintenant qu'on l'avait nettoyée et lavée, il était facile de reconnaître encore sur elle, quoique les extrémités en fussent détériorées par un long séjour dans le sol, les plis de sa robe, et même, chose étonnante, des couleurs « blanc et azur ». Elle mesurait environ trois pieds de haut et elle était faite d'un bois très dur. Les deux paysans la mirent debout sur le talus, et se retirèrent.

Cette journée du 8 mars avait été pour Nicolazic très fatigante comme la veille ; et en somme, malgré le miracle de la nuit précédente, il ne semblait guère plus avancé dans ses projets. Et, maintenant que les Pères Capucins s'étaient déclarés, eux aussi, contre la construction d'une chapelle, il avait bien conscience que l'opposition du Recteur serait plus invincible que jamais.

 

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Un événement, qui se produisit le lendemain, parut d'abord manifester que le ciel à son tour se déclarait contre lui.

Ce jour-là, la foule accourue au lieu du prodige était encore bien plus nombreuse que la veille : c'était le dimanche.

Nicolazic se dirigeait lui-même vers le Bocenno, tout en devisant avec Le Pélicart son voisin, à qui il racontait ses mésaventures et qui le consolait quand tout à coup il entendit crier « au feu » derrière lui.

Il se retourne, revient précipitamment sur ses pas : sa grange tout entière est en flammes.

On accourt, on travaille à éteindre l'incendie, on jette de l'eau en abondance. Mais on a beau faire, l'édifice est consumé en un clin d'œil. L'accident fut diversement interprété dans la foule ; quelques-uns y virent une punition du ciel. Mais les autres, en y regardant de près, furent bien obligés de convenir que c'était plutôt un nouveau miracle.

Le feu avait agi si activement en effet, et d'une manière si intense, que les pierres elles-mêmes étaient brûlées. Mais, d'autre part, il avait complètement respecté deux meules de blé, qui se trouvaient tout près de la grange et dans la direction où soufflait le vent. Tous les objets à l'intérieur étaient demeurés intacts au milieu de l'embrasement !

Ce qui confirmait cette interprétation, ce fut le récit de quelques hommes qui se rendaient en ce moment-là de Mériadec à Pluneret : à l'heure même où l'incendie se déclarait, ils avaient aperçu un trait de feu qui tombait, à travers un ciel très pur, sur le village de Ker-Anna.

Pendant que la foule était ainsi partagée en sentiments contraires, Nicolazic devina tout de suite la raison que le ciel avait eue d'allumer cet incendie.

Cette grange était toute neuve, et on se rappelle que son père en la construisant avait fait entrer dans ses murs les pierres de l'ancienne chapelle : or Dieu ne voulait pas abandonner à un usage profane des choses qui lui avaient été consacrées.

Il ne se laissa donc pas émouvoir par les blâmes qui arrivaient jusqu'à ses oreilles. Du reste, les prodiges, qui se renouvelaient presque tous les jours, venaient le rassurer.

Ainsi, deux jours après cet événement, il fut de nouveau transporté miraculeusement à l'endroit de la chapelle ; et dans ce ravissement Dieu lui fit goûter des joies capables de le dédommager de toutes les contradictions.