Les contradicteurs de Nicolazic

 

On se souvient dans quelles circonstances le vicaire avait brutalement renversé du talus où elle avait été dressée, la statue miraculeuse. Mal lui en prit. Deux jours après, il fut saisi, à la jointure du bras, d'un mal inexplicable et douloureux que nul ne put guérir ni adoucir ; et il en mourut au bout de trois ans, après avoir reconnu sa faute.

La punition du Recteur fut plus significative encore.

Trois semaines après la découverte de la statue, il fut frappé de paralysie dans des circonstances mystérieuses. Une nuit, étant couché dans son presbytère, il eut la sensation qu'on le rouait de coups, bien qu'il fût seul dans sa maison. Il crut même que des malfaiteurs s'étaient introduits chez lui pour le tuer, et il appela au secours. La douleur qu'il ressentait dans les bras était intolérable. Et ce ne fut pas un mal passager : ses bras étaient réellement perclus, et il demeura paralysé.

Toutefois son infirmité ne changea rien à ses sentiments, et n'arrêta pas ses invectives contre Nicolazic.

Un ecclésiastique de ses amis lui insinua enfin que peut-être il ne prenait pas les vrais moyens pour guérir le mal inexplicable dont il souffrait ; pourquoi ne pas recourir à la Sainte qui avait parlé à Nicolazic ?

Dom Rodoué obéit à ce conseil : neuf fois de suite, il se rendit au Bocenno, la nuit, furtivement, par des chemins détournés. Le neuvième jour, il se traîna jusqu'à la fontaine, et comme il ne pouvait se servir de ses bras lui-même, il se fit assister pour baigner dans la source ses membres paralysés. Instantanément, il se trouva guéri. Aussitôt, il alla s'agenouiller devant la statue, dont la découverte lui avait fait proférer des paroles dédaigneuses et blessantes. Le voilà désormais transformé : d'adversaire obstiné qu'il était, il va devenir un des appuis de la dévotion.

Il fit réparation publique à sainte Anne, et promit de venir célébrer lui-même la première messe qui se dirait en ce lieu béni. Il fit aussi réparation à Nicolazic, reconnaissant qu'il avait eu tort de le traiter en visionnaire ; il redevint son ami, et lorsque, deux ans plus tard, le pieux laboureur eut enfin la joie d'être père, le Recteur voulut être le parrain de son enfant.

 

Il y avait au village de Ker-Anna un paysan qui jalousait Nicolazic : c'était Marc Erdeven.

En voyant l'image retirée de la terre et encore souillée de boue, il en rit : « Ça, dit-il, une statue de sainte Anne ! Pour que j'y croie, il faudrait que ce morceau de bois, transporté dans ma maison, revînt de lui-même en cet endroit-ci. » À peine eut-il prononcé ce défi qu'il eut à s'en repentir : il tomba malade sur-le-champ et se trouva bientôt en danger de mort. Mais il s'humilia, reconnut sa faute et eut recours à la Sainte qu'il avait outragée : sa guérison fut immédiate.

 

À la même époque, un gentilhomme de Pluvigner, le sire de Coatmenez, rencontra dans une lande voisine du Bocenno un groupe de nombreux pèlerins : il les apostropha, les traita de fainéants et de coureurs ; il leur reprocha surtout d'abandonner leurs villages, avec un si beau temps, « sur les rêveries d'un pauvre idiot » qui s'imaginait avoir des révélations.

Il parlait encore, quand tout à coup une flamme l'environna : le tonnerre éclate, et son cheval cabré le fait rouler à terre. Il se relève aussitôt, sans blessure, remonte à cheval, et continue ses invectives : un nouveau coup de foudre, aussi inattendu que le premier, le désarçonne une seconde fois, et le jette sous son cheval.

Il ne regimba plus : converti dans les mêmes circonstances que saint Paul, il se fit comme lui, à partir de ce moment, l'apôtre de ce qu'il avait combattu.

Quelques instants après, on vit arriver au Bocenno le gentilhomme menant humblement son cheval par la bride, et suivi des pèlerins qu'il avait d'abord dissuadés de venir en ce lieu.

 

Ainsi l'histoire nous montre ceux qui ont combattu avec le plus d'âpreté les projets de Nicolazic, venir l'un après l'autre rendre hommage à sa bonne foi, reconnaître la véracité de sa parole, et s'incliner avec respect devant l'image qui était le signe sensible de sa mission.

 

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À côté de ces contradicteurs violents, qui combattaient ouvertement la mission de Nicolazic, il y en avait d'autres, particulièrement dans les châteaux et dans les presbytères, qui mettaient tour à tour en question la personne du Voyant et l'opportunité d'une nouvelle chapelle et dont malheureusement la sourde hostilité n'était pas sans influence sur l'opinion publique.

Mais devant ces contradicteurs nouveaux avait surgi à propos un défenseur spirituel et ardent de Nicolazic. Parmi les Pères Capucins que l'Évêque avait envoyés à Ker-Anna pour le service des pèlerins, il s'en trouvait un qui, en toute rencontre, avait réponse à toutes les objections.

— Qu'est-ce que Nicolazic ? disait-on un jour devant lui, un paysan qui a perdu la tête, à moins que ce ne soit un fourbe qui réussit à tromper :

À quoi le P. Ambroise répondait : « Je connais Nicolazic pour l'avoir examiné de très près. Et, je vous le dis en vérité, je voudrais être aussi parfait dans ma condition qu'il l'est lui-même dans la sienne. »

 

Une autre fois on lui disait encore : Vous avez donc foi dans les dires de ce paysan ignorant et sans mérite ?

— Sans doute. Dieu a choisi Nicolazic comme autrefois les apôtres, parmi le peuple. Pourquoi ? Parce que c'est son bon plaisir. Et qui donc parmi nous pourrait se plaindre de n'avoir pas été consulté par lui !

 

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Aussi, malgré les résistances, l'Évêque – constatant que les différentes enquêtes étaient toutes favorables à Nicolazic, apprenant en outre que les pèlerins accouraient en foule et de toutes parts, apportant pour la future chapelle de larges offrandes – consentit enfin à ce qu'on construisit une chapelle dans le champ de Bocenno ; et, en attendant qu'elle fût construite, il autorisa à y célébrer la messe dans une cabane en planches.

Ce fut le recteur de la paroisse qui, revenu de ses injustes préventions, la célébra pour la première fois le 26 juillet 1625.