***

L'AMI
 
 

La règle la plus importante de la
science divine, c'est qu'il faut en
savoir la pratique avant d'en pro-
pager la théorie.
J. Bœhme.







     En raison de la dureté de nos cœurs, la Providence emploie nos morales, nos religions et nos livres, pour nous stimuler dans le Bien, cependant que les Cultes les plus pompeux de ce monde, les morales les plus sublimes, n'ont jamais fait naître en l'homme une seule vertu appartenant à l'Éternité, et même, il faut bien reconnaître que le germe d'amour contenu dans chaque être est fortement comprimé par ces faux cultes.

     Les écrits et les paroles, pénétrant dans nos sens, ne peuvent pas nous apporter la Vérité, car tout ce que nos sens peuvent saisir, ici comme ailleurs, appartient au temps ; et c'est là la lettre qui tue.

     Jamais la sagesse ne sera possédée par la mémoire et par la simple culture de l'entendement, car, de même que l'amour maternel, la sagesse ne peut se faire sentir réellement que par les multiples fatigues de la gestation et des douleurs de l'enfantement.

     Toutes les misères qui accablent l'Humanité ne sont que les fruits naturels de sa prévarication originelle : c'est l'éloignement de la volonté de l'homme, de celle de Dieu qui nous a précipités tous dans la corruption, le désordre, la confusion et la mort. Nous sommes entraînés sur une mer en furie, dans une nuit profonde. Ah ! Quel moteur aveugle que la volonté humaine détachée de Dieu !

     Or, celui qui a fait naufrage n'est pressé que du besoin d'atteindre le port ; c'est pourquoi, l'homme doit combattre le mal qui est en lui dans sa propre nature et s'efforcer d'atteindre à la renaissance en Dieu : tout le reste n'est qu'illusion et mensonge.

     Mais « l'homme animal, nous dit Saint Paul, jamais ne comprendra rien à ce qui est de Dieu », la raison en est bien simple : cet homme vit en dehors de la Divinité pour se jeter dans la vie inférieure, dans la nature corrompue, sa mère terrestre ; cependant que toute connaissance réelle doit naître en nous. Nous ne pouvons connaître les choses que dans la mesure où nous recevons en nous, leur esprit.

     C'est perdre son temps que de tâcher d'obtenir la connaissance réelle d'une chose, avant que de posséder la chose elle-même. C'est l'esprit de Dieu en nous qui y fait germer la vie divine.

     La lumière naît de la propre vie de Dieu. Lui seul peut la produire, sans que nulle créature puisse y participer, autrement que par une naissance véritable, en elle, de la Nature divine, qui est inséparable de la lumière. Et rien ne peut être connu de la science divine que par la voie unique, qui est la renaissance en Dieu. C'est dans le Christ seul que nous pouvons recevoir la lumière divine, car lui seul possède le complément de la vertu réparatrice ; de sorte que les « guides », les meilleurs livres, tout ce qui n'est pas la Vie et la Lumière, ne peuvent remplir auprès de nous que le rôle restreint d'Indicateurs, en nous montrant l'étroit sentier qui mène à la Vérité et à la Vie ; et ils nous aident aussi, d'autre part, à éviter les écueils, les pièges nombreux semés par l'ennemi.

     La mission de l'Ami ou du meilleur Livre, se borne à inciter l'homme à devenir meilleur, à combattre le mal, sans le chercher ailleurs qu'en lui-même et à éveiller dans son cœur la vertu cachée de la Rédemption. Il explique la distinction des deux substances qui composent l'homme et qui sont la source des bonnes et des mauvaises pensées, ce qui prouve que l'homme renferme en lui le Bien et le Mal ; et il expose que, seul aussi, ce miroir prouve l'existence de l'Être supérieur lorsqu'il est net et pur. Quant à nos misères et à notre privation, il nous démontre irréfutablement que ce sont là les preuves de l'existence d'une justice intégrale ainsi que celle de notre altération libre et volontaire.

     L'Ami avoue qu'il y a des choses que l'on ne peut pas dire même à l'esprit, puisqu'elles sont au-dessus de lui et que, dans ce règne, Dieu veut être seul à instruire l'homme : pour cela, il faut que le nouvel Être se développe en nous car, sans cette nouvelle naissance, toutes les morales et tous les livres du monde sont incapables de nous révéler les Mystères divins. Il souligne que le véritable remède pour tous, c'est d'atteindre à la vie réelle et à la Nature divine, parce que lorsqu'elles sont manifestées en nous, nous touchons au Port de la Vie et du Bonheur éternels.

     L'immense amour de Dieu pour les hommes a semé des clartés et des lumières pour tous les âges : ce Dieu de bonté a même concentré toutes ses puissances ; il s'est anéanti, suspendu pour ainsi dire, afin de pénétrer dans la région du néant et du silence, pour sauver l'homme. Aussi l'Ami nous dit qu'il n'y a pas de joie comparable à celle d'entrer dans le néant et le silence, dépouillé du vieil homme, pour s'assimiler aux vérités éternelles, jusqu'au renouvellement de notre être ; c'est alors que nous pouvons entrer dans l'Amour et sentir Dieu....

     Telles sont les grandes lignes de l'enseignement de celui qui ne veut ni égarer les disciples, ni les retarder.

     Nous sommes prévenus qu'à la fin des Temps, il paraîtra des prophètes d'erreurs et de mensonges, qui, par leurs doctrines séduisantes, par leurs prodiges, pourront séduire les Élus même ; mais il est un signe particulier ne trompant jamais sur la qualité du Berger : si on voit un homme avide d'éloges et universellement admiré, on peut en conclure que c'est là le Maître, l'orgueilleux, celui qui recherche la réputation de sage, d'éclairé, et qui ne possède qu'une portion de la science acquise ; or, cette science acquise constitue un invincible obstacle à la science infuse, qui rend doux et humble l'homme ayant le bonheur de la posséder.

    Jamais l'Esprit Saint n'a conféré la gloire terrestre à l'homme qu'il emploie ; et l'être inspiré par la Divinité ne s'inquiète nullement d'être effacé de la mémoire des hommes, pourvu qu'il soit dans celle de Dieu. Comme le Souverain guide des guides, il ne s'irrite ni des persécutions ni des calomnies, car, possédant la véritable humilité et trouvant Dieu partout, il considère les louanges des hommes comme une croix et le mépris comme une épreuve de sa fidélité envers Dieu.

     Le Véritable Ami est doux et humble ; il sait que c'est le Seigneur qui fait tout le Bien, et l'homme tout le mal ; aussi, il ne se permet nul autre jugement que celui de ses propres défauts. Il possède la bonté du cœur, ainsi que la sûreté de Doctrine ; et ce sont là des dons qui ne peuvent se feindre. L'Ami vrai s'oublie pour ses frères ; il vit et meurt en Dieu ; il se méfie de l'Amour-propre, de ce monstre à têtes multiples qui lutte et renaît jusqu'à la fin du combat, avec l'espoir tenace de jeter l'homme dans l'abîme, En véritable disciple du Seigneur, l'Ami suit les traces des Prophètes ; il a la charité des Apôtres de l'Évangile et il possède surtout le signe sensible des aimés de Dieu, c'est-à-dire la souffrance, le pain des Élus (2).

     Si nous avons l'immense bonheur de posséder un tel ami, il faut nous tourner vers lui, suivre ses pas, et nous attacher à son esprit, car c'est là un Ministre de notre Rédempteur, qui prêche le règne de Dieu et non le sien, il est l'Ami de choix, qui a eu le bonheur de répondre à son élection.

     Il nous détournera des sentiers dangereux, tout en respectant notre liberté d'agir. Son esprit, même désincarné, nous mènera par les humbles sentiers, au terme de notre destination primitive, c'est-à-dire dans l'Amour et la Félicité éternels. Ah, quel privilège que l'amitié sainte ! Quel terrestre trésor pourrait-il être mis en balance avec ce céleste soutien, paraissant dénué au dehors mais rempli de biens au-dedans !...

     Qu'Il est humble et caché, cet Ami, et pourtant combien grande est son élévation intérieure : il est pour ainsi dire, mort à cette vie, mais il montre à ses disciples le chemin de la Vie divine !

     Ô, Seigneur, ô Bonté souveraine, accordez-nous un pareil Guide !...
 
 

***


(2) Ici, ma pensée et mon meilleur souvenir s'en vont vers notre cher et vénéré Disparu, M. le Docteur Lalande et vers son Ami, M. le Professeur Rougier, enlevés tôt de la Terre par la Divine Bonté, qui a trouvé qu'ils avaient assez souffert.