L'AME dans le SANCTUAIRE



     Les noms divins, que l'Écriture donne à Dieu, expriment ses perfections, ses attributs et ses opérations hors de Lui-même.

     En se manifestant, Dieu communique l'existence ; Il est comme une essence, un baume qui est répandu dans toute la création et qui pénètre tous les êtres. Leur existence n'a lieu que par une communication des insignes divins dans chaque créature.

     Les êtres sont toujours un, quant au principe, mais toujours variés quant à eux, afin de manifester la diversité des attributs et des perfections de la Divinité, l'abondance de ses richesses et la fécondité de cette source inépuisable, qui fait jaillir continuellement des êtres diversifiés à l'infini. Or, ces êtres, sortis de cet abîme de lumière et de vie, possèdent une effusion de l'essence divine, une émanation de sa Sagesse, de sa Toute Puissance et de sa Bonté. Aussi pour que le monde et les créatures remplissent leur vocation et puissent rentrer dans leur fin, qui est la paix et le bonheur, il faut que ces créatures n'aient ni effacé ni défiguré cette émanation sainte, car l'altérer, c'est se mettre en danger de la perdre.

     Ce que nous appelons beauté en Dieu, c'est sa perfection ; si la créature, douée de cet admirable attribut, s'en sert pour offenser le divin Distributeur, elle flétrit en elle l'image de Dieu, au lieu de la refléter. Il en est de même de la Sagesse, de l'Intelligence, de l'Amour, de chaque vertu, qualité ou attribut confiés à l'homme : tous doivent être développés et manifestés pour la plus grande gloire du Créateur et non comme stimulants de l'orgueil de la créature.

      Que de splendeurs peuvent apparaître au disciple fidèle dans la contemplation de foi pure des Écritures ! L'âme, quelquefois, semble rompre les chaînes corporelles, entièrement plongée dans le monde spirituel, ravie d'amour, de joie et d'admiration.

     La Révélation ne nous enseigne pas seulement à contempler les perfections divines mais aussi les merveilles de l'oeuvre du Verbe créateur. Dans le sanctuaire l'âme entrevoit les mystères divins et perçoit l'exécution des décrets éternels de Dieu à l'égard des êtres réfléchissant, comme autant de miroirs, ses infinies perfections.

     Devant le Ternaire abyssal, devant les arcanes sublimes du nom divin d'Élohim : « Lui, trois en un », l'âme demeure anéantie et comme éblouie par l'insoutenable irradiation de la Parole créatrice et ordonnatrice de l'univers. C'est dans le nom d'Élohim, le Dieu Tri-Un, que sont résumées les lois de toute relation entre la Divinité et les hommes. Là est la source de tous les noms donnés à Dieu dans sa triple manifestation au sein du cosmos ; là se concentrent tous les rayons sensibles de la vraie Lumière.

     Lorsque l'âme atteint ce sanctuaire où toutes les vérités apparaissent vivantes et actives, elle peut redescendre ensuite vers le monde. En elle a été déposé le germe incorruptible de la contemplation infuse qui se développe en elle sans effort. L'absence des vérités qu'elle percevait dans le lieu saint la fait souffrir sans la révolter. Et dans cet état de calme résignation, le germe agit et se développe jusqu'à ce qu'elle sente ces mêmes vérités vivre en elle. Entre temps, l'âme expérimente une union surpassant tout entendement. C'est alors que s'accomplit la parole de l'Écriture : « Voici, je vais vous donner la santé et la guérison, et je vous ferai connaître l'abondance de la paix et de la vérité » (Jér., XXXIII, 6).

     Mais, dans cette phase de transition, de telles grâces sont brèves et distantes. Entre elles, au contraire, il semble que l'abîme qui la sépare de son Seigneur s'approfondisse encore tandis que les épreuves viennent l'assaillir. Ainsi, par une nuit d'orage, l'obscurité semble plus profonde dans l'intervalle de deux éclairs.

     Mais, dans cette obscurité même, l'âme n'est pas seule ; elle baigne dans une atmosphère d'amour où elle puise sa force et sa persévérance inattaquable. Au terme de l'épreuve, elle habite désormais le sanctuaire de la suprême Sagesse sans perdre pour cela la perception aiguë du monde. Comme la Bien-Aimée du Cantique, elle a rejoint son Seigneur qui lui ouvre ses celliers et lui verse le vin précieux qui donne la paix et le repos à ses facultés, là où l'Amour et la Connaissance se rejoignent. Comme Moïse sur la montagne, elle reçoit sa révélation et comme lui, elle doit voiler son front rayonnant quand elle redescend parmi les hommes. À ce degré, Dieu parle à l'âme qui écoute comme Marie-Magdeleine aux pieds de Jésus. Mais ce colloque ineffable, aucun langage humain n'en peut traduire les arcanes. Ceux qui ont expérimenté cet état, voulussent-ils le décrire que leur description nous resterait lettre morte. Du moins, nous ont-ils fait connaître le chemin qui y conduit. Telle est la pauvreté en Esprit, l'état où rien d'égoïste ne se mêle plus aux désirs. Elle est indescriptible, car nous ne pouvons même pas imaginer ce qu'est un être réellement sans égoïsme et n'ayant d'autre but que d'être un instrument docile, par lequel la Gloire du Seigneur sera manifestée dans le monde. Ici encore, le modèle d'un tel état est le Christ qui, du haut de la croix où il agonisait pour nous, proféra l'insondable parole : « Mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné ? » En ces deux mots : « Mon Père », se résument un amour et une soumission indicibles, que souligne l'effrayante fin de phrase.

     Dieu exige de nous des sacrifices ; Il pousse quelquefois jusqu'à l'extrémité afin d'éprouver notre fidélité et notre courage ; alors Il nous laisse crier sur la croix et dans les tourments : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » mais l'âme qui veut le sacrifice le veut absolument, elle s'abandonne toute pour que son holocauste soit consommé.

     Comprendre cette admirable doctrine est une grâce, mais pour l'expérimenter, il faut que Dieu prépare ses enfants adoptifs, sur lesquels Il veut régner. C'est alors Jésus-Christ qui vient, en eux, renouveler son immolation.

     Seules les âmes d'élite peuvent supporter ces sacrifices terribles qui révoltent la nature inférieure ; l'âme élue consent du fond du coeur, mais jamais aux commençants ne sont proposés de semblables abandons ; car pour les accepter il faut depuis longtemps, ne plus vivre en soi-même, mais vivre en Dieu et être absorbé par son amour. Il faut être renouvelé par le Saint-Esprit, c'est-à-dire être dépouillé de l'homme animal, de cette créature engendrée dans le mal, l'égoïsme et la haine. Il faut changer cet esprit, réfractaire aux choses divines, et dépouiller cette intelligence faussée par une lumière luciférienne, fascinante, destinée à retenir l'homme dans les pièges d'une science fragmentaire, changeante et contradictoire.