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Saint Alphonse-Marie de Liguori

St Alphonse

La Voie du Salut


Table des matières

  1. Le salut éternel
  2. Le péché déshonore Dieu
  3. Patience de Dieu à l'égard des pécheurs
  4. Il faut mourir
  5. À la mort, on perd tout
  6. La grande pensée de l'éternité
  7. La mort de Jésus Christ
  8. Abus de la miséricorde de Dieu
  9. Notre vie s'évanouit comme un songe
  10. Le péché est un mépris de Dieu
  11. La peine du dam
  12. Le jugement particulier
  13. Il faut préparer ses comptes, avant l'échéance du jour des comptes
  14. Les peines du damné dans les facultés de son âme
  15. La dévotion à la sainte Vierge, Mère de Dieu
  16. Jésus a payé la dette de tous nos péchés
  17. L'unique nécessaire
  18. Le pécheur refuse l'obéissance à Dieu
  19. Dieu menace pour ne pas punir
  20. Dieu attend, mais n'attend pas toujours
  21. La mort est un passage à l'éternité
  22. Il faut réformer notre vie avant l'heure de la mort
  23. L'Agneau de Dieu, victime volontaire pour nous obtenir le pardon
  24. Le prix du temps
  25. Terreur des moribonds à la vue du jugement tout proche
  26. Le feu de l'enfer
  27. Néant des biens de ce monde
  28. Le nombre des péchés
  29. Folie de l'homme qui vit dans la disgrâce de Dieu
  30. Les blessures de Jésus Christ blessent nos coeurs d'amour
  31. La grande affaire de notre salut
  32. Pour bien mourir, il faut penser à la mort
  33. Par le péché, l'homme se détourne de Dieu
  34. Miséricordieux appels de Dieu pour ramener le pécheur
  35. L'âme devant le tribunal de Jésus Christ
  36. Vie malheureuse du pécheur
  37. Le crucifix, foyer d'amour
  38. Dieu veut sauver quiconque veut se sauver
  39. La mort est proche
  40. Abandon du pécheur dans son péché
  41. Le jugement particulier
  42. Le voyage à l'éternité
  43. Jésus, Homme de douleurs
  44. Folie de celui qui ne s'applique pas à sauver son âme
  45. Le moment de la mort
  46. Dieu poursuit les pécheurs pour les sauver
  47. La sentence au jugement particulier
  48. Je puis mourir subitement
  49. Éternité de l'enfer
  50. Dieu daignera-t-il m'appeler encore?
  51. Jésus meurt pour l'amour des hommes
  52. Pas de milieu: ou sauvé ou damné
  53. La mort est certaine
  54. A quoi sert le monde entier à l'heure de la mort?
  55. En péchant, l'homme afflige le coeur de Dieu
  56. Le jugement général
  57. Les peines de l'enfer sont des peines sans mélange
  58. L'amour crucifié
  59. Se damner, c'est un mal irréparable
  60. Il faut mourir
  61. Dieu accueille avec amour le pécheur repentant
  62. Artifices du démon pour faire retomber les pécheurs
  63. La résurrection des corps au jugement général
  64. Amour que Dieu nous a témoigné par le don de son divin Fils
  65. Pour faire son salut, il faut prendre de la peine
  66. Portrait d'un homme qui vient d'expirer
  67. Le cadavre dans la tombe
  68. Après la mort, on est oublié de tout le monde
  69. Comparution dans la vallée de Josaphat
  70. Aveugles, ceux qui disent : « Si je vais en enfer, je n'y serai pas seul »
  71. La mesure des grâces
  72. Un Dieu est mort pour moi, et j'oserais ne pas l'aimer!
  73. Décidons-nous à sauver notre âme
  74. À la mort, on perd tout
  75. Avoir les sentiments qu'on aurait si l'on était déjà mort, ou sur le point de mourir
  76. Examen des péchés au jugement dernier
  77. Combien Dieu aime nos âmes
  78. Remords du damné
  79. Jésus, Roi d'amour
  80. Mort misérable du pécheur
  81. Bienheureuse mort des justes
  82. Jugeons de toutes choses comme si nous étions sur le point de mourir
  83. Témérité de celui qui offense Dieu par le péché mortel
  84. Parabole de l'enfant prodigue
  85. Quel mal est la tiédeur
  86. Dieu se donne tout entier à qui se donne à lui tout entier
  87. Le temps de la mort n'est que trouble et confusion
  88. Le pécheur chasse Dieu de son âme
  89. L'abus des grâces
  90. L'amour triomphe de Dieu
  91. Sentence des réprouvés au jugement général
  92. Sentence des élus
  93. Les pécheurs déshonorent Dieu par leur péchés
  94. Joie de Jésus retrouvant la brebis perdue
  95. Jésus porte la peine de nos péchés
  96. Quel bien est la grâce de Dieu! Quel mal sa disgrâce!
  97. Identification de notre volonté avec la volonté de Dieu


1 - LE SALUT ÉTERNEL
 

 1. Une affaire dépasse en importance toutes les autres: c'est l'affaire de notre salut éternel; il y va de notre fortune ou de notre ruine éternelle. Impossible, en effet, d'échapper à l'une de ces deux alternatives: nous sauver ou nous perdre pour toujours, mériter une éternité de joies ou une éternité de supplices, vivre à jamais heureux ou malheureux.

 Mon Dieu, qu'en sera-t-il de moi? Me sauverai-je? Me perdrai-je? Il est possible que je me sauve, il est possible que je me perde. Mais si je puis me perdre, pourquoi ne pas prendre la résolution d'embrasser une vie qui assure la vie éternelle?

 Mon Jésus, vous êtes mort pour me sauver. Et moi, je me suis perdu tant de fois, en vous perdant vous, le Bien infini! Ne permettez pas que j'en vienne encore à me perdre.

 2. Aux yeux des hommes, une grande affaire, c'est de gagner un procès, d'obtenir une place, d'acquérir un domaine; mais rien de ce qui finit tôt ou tard ne mérite le nom de grand. Tous les biens de ce monde doivent finir un jour pour nous: ou c'est nous qui les quitterons, ou ce sont eux qui nous quitteront. Il ne faut donc appeler grande que la seule affaire du salut, d'où dépend un bonheur, ou un malheur sans fin.

 Ô Jésus, mon Sauveur, je vous en supplie, ne me rejetez pas de devant votre face, comme je ne le mérite que trop. Je suis un pécheur, c'est vrai; mais je regrette de tout mon coeur de vous avoir offensé, vous, Bonté infinie. Par le passé, je vous ai méprisé; mais maintenant, je vous aime plus que toute chose. À l'avenir, vous serez mon unique bien, mon unique amour. Ayez pitié d'un pécheur que le repentir ramène à vos pieds et qui veut vous aimer. Si je vous ai beaucoup outragé, je veux vous aimer beaucoup. Qu'en serait-il de moi, si vous m'aviez fait mourir, quand j'étais dans votre disgrâce? Seigneur, puisque vous avez eu tant de bonté pour moi, donnez-moi maintenant la force de me sanctifier.

 3. Ranimons notre foi en ces vérités: il y a un enfer éternel, un paradis éternel; il faut que l'un ou l'autre devienne un jour notre partage.

 Ah! Mon Dieu, comment ai-je pu, sachant que par mes péchés je me condamnais à une éternité de tourments, tant de fois pécher et perdre volontairement votre grâce? Sachant que vous êtes mon Dieu et mon Rédempteur, comment ai-je pu tant de fois vous tourner le dos pour un misérable plaisir? Seigneur, je suis affligé plus que de tout autre mal de vous avoir ainsi méprisé. Maintenant je vous aime par-dessus toute chose et j'aime mieux désormais tout perdre que de perdre votre amitié. Donnez-moi la force de vous être fidèle.

 Vous aussi, aidez-moi, ô Marie, mon Espérance.
 
 
 

LE PÉCHÉ DÉSHONORE DIEU
 
 

 1. « Par la violation de la loi, tu déshonores Dieu » (Rm 2, 23).

 Quand le pécheur se met à délibérer s'il donnera, ou refusera son consentement au péché, il prend, pour ainsi parler, une balance en main, puis il examine de quel côté doit pencher son choix: sur la divine grâce, ou sur cette vengeance, cet avantage temporel, ce plaisir. Quand, après avoir délibéré, il donne son consentement à la tentation, que fait-il? Il déclare qu'à ses yeux un misérable plaisir a plus de valeur que la grâce de Dieu. Voilà donc comment il déshonore Dieu; par son choix délibéré, il déclare que, pour lui, cette misérable satisfaction l'emporte sur l'amitié de Dieu.

 Que de fois, ô mon Dieu, je vous ai déshonoré de la sorte! Que de fois je vous ai préféré mes mauvais penchants!

 2. C'est de cette injure que se plaint le Seigneur : « Ils me déshonoreraient, dit-il, pour une poignée d'orge et pour un morceau de pain » (Ez 13, 19). Si le pécheur échangeait Dieu contre un monceau de pierres précieuses, contre un royaume, ce serait un grand mal, parce que Dieu vaut infiniment plus que tous les biens et tous les royaumes de la terre. Mais ce Dieu, contre quoi tant de malheureux l'échangent-ils? Contre un vain point d'honneur, contre un peu d'argent ou de terre, contre un plaisir empoisonné, qui s'évanouit, à peine goûté.

 Oh! Mon Dieu, comment ai-je pu avoir si souvent le courage de vous mépriser pour des choses de rien, vous qui m'avez tant aimé? Mais daignez considérer, ô mon Rédempteur, que je vous aime maintenant plus que toute chose; et, parce que je vous aime, je suis plus affligé de vous avoir perdu, vous, mon Dieu, que si j'avais perdu tous mes biens, même la vie. Ayez pitié de moi et pardonnez-moi, je ne veux plus me voir en votre disgrâce. Si je devais encore vous offenser, je vous en supplie, faites-moi plutôt mourir.

 3. « Qui est semblable à Dieu? » (Ps 35/34, 10). Oui, mon Dieu, quel bien peut-on comparer à vous, qui êtes le Bien infini? Comment, alors, ai-je pu vous tourner le dos, pour m'attacher aux viles jouissances, aux misérables avantages que me présentait le péché? Votre sang est mon espérance, ô mon Jésus! Vous avez promis d'exaucer l'âme qui vous prie. Ce ne sont pas les biens de la terre que je vous demande; je demande le pardon de toutes les offenses que je vous ai  faites; je m'en repens comme du plus grand des maux. Je vous demande la persévérance dans votre grâce jusqu'à la mort. Je vous demande le don de votre saint amour; car mon âme s'est éprise de votre beauté: Seigneur, exaucez-moi. Faites que je vous aime à jamais en cette vie et en l'autre; puis, disposez de moi comme il vous plaît. Ô  Seigneur, mon Dieu et mon unique Bien, ne permettez pas que je vous perde encore.

 Vous aussi, ô Marie, Mère de Dieu, exaucez-moi; obtenez que je sois toujours à Dieu et que Dieu soit toujours à moi.
 
 
 

PATIENCE DE DIEU À L'ÉGARD DES PÉCHEURS
 

 1. Où trouver en ce monde quelqu'un dont la patience envers ses semblables égale la patience du Seigneur envers nous, ses créatures? Après tant d'offenses que nous lui avons faites, non seulement il nous supporte, mais il attend notre repentir.

 Ah! Mon Dieu, si l'un de nos frères, si mon propre père avait reçu de moi les injures que je n'ai pas craint de vous faire, depuis combien de temps ne m'aurait-il pas interdit de paraître en sa présence? Mais vous, ô Père des miséricordes, « ne me rejetez pas de devant votre face » (Ps 51-50, 13); ayez pitié de moi.
 

 2. « Seigneur, s'écrie le sage, en s'adressant à Dieu lui-même, vous avez pitié de tous, parce que vous pouvez tout; et vous fermez les yeux sur les péchés des hommes, pour qu'ils se repentent » (Sg 11, 23).

 Les hommes ferment les yeux sur les injures qu'ils ont reçues: les uns par vertu, car ils savent qu'ils n'ont pas le droit de se venger; les autres par impuissance, car ils n'ont pas la force nécessaire pour se venger. Mais vous, ô mon Dieu, vous avez le droit de tirer vengeance des injures commises contre votre Majesté infinie; et vous avez le pouvoir de vous venger toutes les fois que vous voulez. Néanmoins vous fermez les yeux. Ces hommes vous méprisent, ils vous font des promesses, puis ils vous manquent de parole: vous feignez de ne pas vous en apercevoir, comme si vous étiez indifférent à votre honneur.

 Telle fut, Seigneur, votre miséricorde envers moi. Aussi je ne veux plus jamais vous mépriser, ô mon Dieu, Bonté infinie; je ne veux plus jamais provoquer votre colère, ni vous forcer à me châtier. Eh quoi! Voudrai-je donc, pour revenir à vous, attendre que vous m'ayiez abandonné définitivement, et irrévocablement condamné à l'enfer? Je me repens, ô souverain Bien, de tous les déplaisirs que je vous ai causés. Que ne suis-je mort plutôt que de vous offenser! Vous êtes mon souverain Seigneur et Maître, vous m'avez racheté par votre mort; vous seul m'avez aimé, vous seul méritez d'être aimé; et c'est vous seul que je veux aimer.
 

 3. Comment as-tu pu, ô mon âme, te conduire envers ton Dieu avec tant d'ingratitude et de témérité? Au moment même où tu l'offensais, il pouvait te frapper de mort subite et te précipiter en enfer; mais il t'attendait; au lieu de te punir, il te conservait la vie et te comblait de bienfaits. Et toi, au lieu de lui témoigner de la reconnaissance et de répondre par ton amour à son immense amour, tu continuais à l'offenser!

 Ô Seigneur mon Dieu, vous m'avez attendu vraiment avec une miséricorde étonnante; je vous en remercie; je me repens de vous avoir offensé et je vous aime. Je devrais maintenant me trouver en enfer, où je ne pourrais ni me repentir ni vous aimer. Mais, à cette heure je le puis; je me repens donc de tout mon coeur de vous avoir offensé, vous, la Bonté infinie; je vous aime plus que toute chose, je vous aime plus que moi-même. Pardonnez-moi, et faites que, désormais, je vous aime vous seul qui m'avez tant aimé. Que je vive uniquement pour vous, mon Rédempteur, qui êtes mort pour moi! J'espère tout par les mérites de votre Passion.

 Ô Marie, Mère de Dieu, aidez-moi, priez pour moi.
 
 
 

IL FAUT MOURIR
 

 1. IL faut mourir. Oh! La terrible parole! Il faut mourir; telle est la sentence déjà portée: « Il a été décrété que les hommes mourront une fois » (He 9, 27).

 Vous êtes homme, vous devez mourir. Chacun de nous, dit saint Cyprien, naît la corde au cou, et chaque pas fait dans la vie, rapproche du gibet (S. Cyprien, Du bien de la Sagesse, n. 12; PL 4, 630; De la mortalité, n. 22; PL 4, 597), je veux dire de la maladie qui mettra fin à nos jour d'ici-bas. Insensé serait l'homme qui se flatterait de ne pas mourir. Un pauvre peut espérer devenir riche; un sujet, ambitionner de monter sur un trône; mais qui peut se promettre d'échapper à la mort? Les uns prolongent leurs jours jusqu'à la vieillesse, d'autres se voient arrêtés à l'entrée de la vie; mais tous aboutissent inévitablement à la tombe.

 Voilà donc mon sort, à moi aussi; un jour je mourrai, et j'entrerai dans l'éternité. Mais quelle éternité sera la mienne? L'Éternité malheureuse? Sauvez-moi, ô Jésus, mon Sauveur.
 

 2. De tous ceux qui vivaient sur la terre, au commencement du siècle dernier, en est-il un seul qui vive encore? Les princes les plus puissants et les plus renommés ont disparu; à peine en conserve-t-on le souvenir et quelques ossements desséchés dans un mausolée de pierre!

 De grâce, ô mon Dieu, faites-moi comprendre de plus en plus la folie de ceux qui s'attachent aux biens de ce monde et qui, pour se les procurer, vous abandonnent, vous, le Bien infini! Hélas! Cet aveuglement fut le mien; combien je le regrette, et combien je vous remercie de m'avoir ouvert les yeux!
 

 3. Avant cent ans révolus, mon cher lecteur, ni vous qui me lisez, ni moi qui écris ceci, ne serons plus sur cette terre; nous aurons l'un et l'autre fait notre entrée dans la maison de notre éternité. Pour vous comme pour moi, un jour, une heure, un moment viendra qui sera le dernier. Cette heure, ce moment, Dieu les a déjà fixés; comment pouvons-nous avoir à coeur autre chose que d'aimer ce Dieu, notre futur souverain Juge!

 Hélas! Quelle sera ma mort? Que deviendrai-je, ô Jésus, mon Juge, quand je comparaîtrai devant votre tribunal pour vous rendre compte de toute ma vie? De grâce, pardonnez-moi avant qu'arrive le moment décisif de mon bonheur ou de mon malheur éternel. Je me repens de vous avoir méprisé, ô mon souverain Bien. Jusqu'ici je ne vous ai pas aimé, mais maintenant je vous aime de toute mon âme. Donnez-moi la sainte persévérance.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, ayez pitié de moi.
 
  
 

À LA MORT, ON PERD TOUT
 

 1. « Il est proche le jour de perdition » (Dt 32, 35). Pourquoi l'Écriture appelle-t-elle « jour de perdition » le jour de la mort? C'est parce que, ce jour-là, l'homme perd tout ce qu'il a possédé pendant sa vie. Honneurs, amis, richesses, domaines, puissance, tout lui est enlevé.

 Quelle utilité, donc, dans la possession de l'univers entier, s'il faut tout laisser sur le lit de mort, sans pouvoir rien emporter?

 « A-t-on jamais vu, disait saint Ignace à François-Xavier, dans cet entretien où la grâce fit la conquête du grand apôtre des Indes, a-t-on jamais vu monarque emporter au-delà de la tombe un seul fil de son manteau de pourpre, en signe de sa dignité? Quel riche, en quittant ce monde, a pu se faire suivre d'une seule pièce d'argent, ou d'un seul serviteur? » (O. Bartoli, Saint Ignace de Loyola, trad. J. Terrien, liv. 2, Ch. 1, Paris, 1893, 217 « en est-il un seul (riche) qui ait emporté seulement un denier, pour s'en servir au-delà de la tombe, qui ait emmené avec lui un esclave... pour l'avoir à sa suite; un seul qui ait gardé même un fil de pourpre usé par le temps, pour montrer au moins, dans cet autre monde, qu'il avait été roi sur la terre? »). Mourir, c'est tout laisser. L'âme entre seule dans l'éternité; seules, la suivent ses oeuvres.

 Malheureux que je suis! Où sont les oeuvres dont je puisse me faire un cortège pour me présenter à la porte de l'éternité bienheureuse? Je ne découvre en ma vie que des péchés, des titres à l'enfer.
 

 2. Inégale est la condition des hommes, lorsqu'ils viennent au monde. L'un naît riche, l'autre pauvre, celui-ci noble, celui-là roturier. Mais la mort vient tôt ou tard établir entre tous la plus complète égalité.

 Entrez dans un cimetière; considérez tous ces cadavres; cherchez une différence entre le cadavre du maître et celui du serviteur, entre le cadavre du monarque et celui du sujet; vous ne la trouverez pas. Suivant l'expression d'Horace « entre le sceptre et la houe, la mort met l'égalité: sceptra ligonibus oequat » (Saint Alphonse cite ici une partie d'un vers latin qu'il attribue à Horace, et que saint Antonin cite en entier: « Mors dominum servo, mors sceptra ligonibus aequat », en l'attribuant seulement au poète sans préciser le nom. S. Antonin, Summa Theologica, tome 4, Vérone 1740, 812. Horace, dans Odes I, 4, 13-14, dit l'équivalent: « Pallida mors aequo pulsat pede pauperum tabernas regumque turres »).

 Ah! Mon Dieu, que les autres courent après les richesses de ce monde! Je ne veux, moi, d'autres richesses que votre grâce. Mon unique Trésor, c'est Vous pour cette vie et pour l'autre.
 

 3. Somme toute, rien sur cette terre qui n'ait un terme. Richesses et misères finiront; honneurs et humiliations finiront; plaisirs et souffrances finiront.

 Heureux au moment de la mort, non pas celui dont la vie s'écoula dans les richesses, les honneurs et les plaisirs, mais heureux celui qui supporta patiemment la pauvreté, les mépris et les souffrances! Au moment de la mort, ce qui console, ce n'est pas ce qu'on possède, mais cela seulement qu'on a fait et souffert pour Dieu.

 Mon Jésus, détachez-moi de ce monde, avant que la mort m'en arrache. Vous connaissez ma faiblesse; venez donc m'aider de votre grâce; ne permettez pas que je vous sois encore infidèle comme je l'ai été jusqu'ici. Je me repens, ô mon bien-aimé Seigneur, de vous avoir si souvent méprisé. Maintenant je vous aime plus que tous les biens de la terre; je suis résolu de perdre la vie mille fois plutôt que de perdre votre amitié. Mais l'enfer ne cesse pas de me tenter; ayez pitié de moi, ne m'abandonnez pas. Ne permettez pas que je me sépare encore de votre amour.

 Ô Marie, mon Espérance, obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 

LA GRANDE PENSÉE DE L'ÉTERNITÉ
 

 1. C'est saint Augustin qui proclame grande la pensée de l'Éternité: « Magna cogitatio » (S. Augustin, Enarrations sur les Psaumes, Ps. 76, n. 8; PL 36, 976). Au fait, quelle pensée a porté tant de solitaires à passer leur vie dans les déserts;  ? tant de chrétiens, même des rois et des reines, à s'enfermer dans les cloîtres; ?  tant de martyrs à subir toutes sortes de tortures? C'est la pensée de l'Éternité, de l'Éternité bienheureuse du ciel pour la mériter, de l'Éternité malheureuse de l'enfer pour l'éviter.

 Le vénérable Jean d'Avila convertit une dame avec ce sermon très court: « Madame, pensez à ces deux mots: « Toujours, jamais » (C.A. Cattaneo, Esercizio della buona morte, disc. 11 Milan 1713, 47: « Jean d'Avila, voyant venir à lui une dame toute infatuée de vanité, lui dit sur un ton dramatique ces simples mots: « Toujours, Jamais », qui, médités par cette personne, emportèrent caprices et frivolités comme feuilles mortes au vent d'automne »).

 Un moine s'était réfugié dans un tombeau pour penser sans cesse à l'Éternité; là, sans cesse il s'écriait: « Ô Éternité! Ô Éternité! » (Il serait question de S. Jean le Reclus, dont Theororet a tracé un portrait: Histoire Ecclésiastique 21; PG 82, 1431).

 Mon Dieu, que de fois j'ai mérité l'Éternité de l'enfer! Que ne vous ai-je jamais offensé! Donnez-moi la douleur de mes péchés, ayez pitié de moi.
 

 2. « Celui qui croit à l'Éternité et ne se sanctifie pas, disait le même Jean d'Avila, mérite d'être consigné dans une maison de fous » (Jean d'Avila, dans Oeuvres très complètes de sainte Thérèse, tome 4, liv. 1, lettre 23, Paris, 1845, 55-61). Quand un homme se bâtit une maison, il s'efforce de la faire commode, saine et belle. « Sans doute, ? dit-il, ?  je me fatigue; mais c'est ici que je dois passer toute ma vie. » Cet homme, que fait-il pour la demeure de son éternité?

 À notre entrée dans l'Éternité, il ne s'agira pas de nous installer dans un maison plus ou moins confortable plus ou moins belle; il s'agira de nous fixer dans un palais de délices ou dans un abîme de maux; et pour combien de temps? Non pas pour quarante ou cinquante années, mais pour toujours, tant que Dieu sera Dieu!

 Les saints croyaient faire peu pour leur salut, en passant toute leur vie dans les pénitences, les oraisons et les bonnes oeuvres. Et nous, que faisons-nous?

 Ah! Mon Dieu! Tant d'années de ma vie se sont écoulées, déjà la mort approche: jusqu'ici qu'ai-je fait pour vous? De grâce, éclairez-moi; donnez-moi la force de consacrer à votre service le reste de mes jours. Je ne vous ai que trop offensé. Désormais je veux vous aimer.
 

 3. « Opérez votre salut avec crainte et tremblement » (Ph 2, 12).

 Pour nous sauver, il faut craindre de nous damner, de façon, toutefois, à craindre moins l'enfer que le péché; car le péché seul peut nous conduire en enfer. Qu'est-ce que craindre le péché? C'est fuir les occasions dangereuses, se recommander souvent à Dieu, prendre les moyens de se tenir en état de grâce. Agir ainsi, c'est se sauver; agir autrement, c'est rendre son salut moralement impossible. Réfléchissons sur cette sentence de saint Bernard: « Quand l'éternité est en danger, on ne peut prendre trop de précautions: nulla nimia securitas ubi periclitatur aeternitas » (Cette sentence bien connue résume la pensée de saint Bernard qui s'est exprimé plusieurs fois à ce sujet, par ex. Sermon 30, n. 1, PL 183, 622. S. Paul de la Croix dans Lettres, 25 oct. 1768, tome 4, Rome 1924, 77, la cite également en l'attribuant à S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, 1, 9, ch. 45; PL 75, 897).

 C'est votre Sang, ô mon Rédempteur, qui fait toute mon assurance. Mes péchés m'ont perdu; mais vous m'offrez de me les pardonner, si je me repens de les avoir commis. Eh bien! Oui, Bonté infinie, je me repens de tout mon coeur de vous avoir offensé. Ô Bien suprême, je vous aime plus que tous les biens. Je vois que vous voulez mon salut; moi, je veux me sauver, pour vous aimer à jamais.

 Ô Marie, Mère de Dieu, priez Jésus pour moi.
 
 
 

LA MORT DE JÉSUS CHRIST
 

 1. Est-il possible de croire que le Créateur ait voulu mourir pour les hommes, ses créatures? La Foi nous l'enseigne. Il est nécessaire de le croire. Voici l'article de foi que nous impose le concile de Nicée: « Je crois en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu... Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel... Crucifié pour nous... il souffrit sa passion et fut mis au tombeau » (Concile de Nicée I, Le Symbole de Nicée; Denzinger-Schonmetzer, Fribourg 1976, n. 125).

 S'il est vrai, ô Dieu, comme on n'en peut douter, que vous êtes mort par amour pour les hommes, pourra-t-on, parmi les hommes, en rencontrer un seul qui croie ce prodige d'amour et ne vous aime pas? Hélas! Combien grand le nombre des ingrats, et moi-même je suis l'un d'eux! Non seulement je ne vous ai pas aimé; mais que de fois, pour me procurer de misérables jouissances, des plaisirs empoisonnés, n'ai-je pas sacrifié votre grâce et votre amour!
 

 2. Ainsi donc, ô mon Seigneur et mon Dieu, vous êtes mort pour moi, je le savais, comment ai-je pu tant de fois vous méconnaître et vous tourner le dos? Mais ô mon Sauveur, vous êtes descendu du ciel sur la terre pour nous tirer de l'abîme: « Le fils de l'homme, disiez-vous, est venu sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10). Mon ingratitude ne peut donc me faire désespérer du pardon.

 Oui, mon Jésus, j'espère que vous me pardonnerez toutes les injures que je vous ai faites, et que vous me les pardonnerez précisément à cause de votre mort endurée pour moi sur le Calvaire. Que ne puis-je mourir de douleur et d'amour, chaque fois que je me rappelle mes offenses contre vous et votre amour pour moi! Dites-moi vous-même, Seigneur, ce que je dois faire à l'avenir pour réparer une si noire ingratitude. Faites-moi ressouvenir toujours de la mort amère que vous avez subie pour moi, afin que je vous aime et ne vous offense plus jamais.

 3. Un Dieu est donc mort pour moi, et moi, je pourrais aimer autre chose que ce Dieu? Non, ô mon Jésus, cela ne sera pas: vous êtes l'unique objet de mon amour, je le veux; vous m'avez trop aimé. Vous ne pouvez rien faire de plus pour me contraindre à vous aimer. Par mes péchés, je vous ai mis dans l'obligation de me chasser loin de vous. Je vois cependant que vous ne m'avez pas encore abandonné, je vois que vous me regardez encore d'un oeil bienveillant; je sens que vous continuez de m'appeler à votre amour. Je ne veux pas résister davantage. Je vous aime, ô mon souverain Bien; je vous aime, ô mon Dieu, digne d'un amour infini; je vous aime, ô mon Dieu, mort pour moi. Je vous aime; mais je vous aime trop peu, donnez-moi plus d'amour. Faites que j'abandonne tout, que j'oublie tout, pour n'avoir plus qu'une occupation: vous aimer, vous faire plaisir, ô mon Rédempteur, mon Amour, mon Tout!

 Ô Marie, mon Espérance, recommandez-moi à votre Divin Fils.
 
 
 
 

ABUS DE LA MISÉRICORDE DE DIEU
 

 1. Pour tromper l'homme et le perdre éternellement, le démon emploie sans cesse deux ruses.

 Après le péché, il le pousse au désespoir en lui mettant sous les yeux la divine justice avec toutes ses rigueurs.

 Avant le péché, et pour l'y faire tomber, il excite dans son coeur une confiance excessive en la divine miséricorde. Cette seconde ruse lui réussit mieux que la première, et l'espoir du pardon perd beaucoup plus d'âmes que la crainte du jugement.

 « Dieu est miséricordieux », telle est la réponse habituelle des pécheurs obstinés, quand on les presse de se convertir. Sans doute, Dieu est miséricordieux; mais il faut remarquer ce que dit la Sainte Vierge dans son cantique: « La miséricorde s'étende sur ceux qui le craignent » (Lc 1, 50); en d'autres termes, le Seigneur use de miséricorde envers ceux qui craignent de l'offenser, mais non pas envers ceux qui comptent sur sa miséricorde pour l'offenser davantage.

 Seigneur, je vous remercie de la lumière que vous m'accordez en ce moment: vous me faites connaître votre longue patience à supporter mes égarements. Hélas! Je suis un de ces malheureux qui se sont prévalus de votre bonté pour multiplier leurs offenses.

 2. « Dieu est miséricordieux. » Assurément, mais il est juste aussi. Les pécheurs voudraient que Dieu se contentât d'exercer la miséricorde sans jamais sévir.

 Or, pardonner toujours et ne punir jamais, Dieu ne le peut pas; c'en serait fait de sa justice. « Si Dieu tolérait indéfiniment les pécheurs présomptueux qui s'appuyent sur sa miséricorde, ? disait le vénérable Jean d'Avila, ? il attenterait à sa justice » (Jean d'Avila, Oeuvres très complètes de sainte Thérèse, liv. 3, lettre 21, tome 4, Paris, 1845, 119). Il est obligé de châtier les ingrats. Il les supporte quelque temps, mais il finit toujours par les livrer aux rigueurs de sa colère.

 Mon bien-aimé Seigneur, je vois que vous ne m'avez pas frappé comme je l'ai mérité; si vous l'aviez fait, à cette heure, je gémirais en enfer, ou, tout au moins, abandonné de vous, je m'obstinerais dans le mal. Je veux, au contraire, me convertir, je ne veux plus vous offenser; je déteste de tout mon coeur les offenses dont je me suis rendu coupable envers vous. Désormais, je veux vous aimer; même je veux surpasser tous les autres en amour, puisque votre patience à mon égard a surpassé votre patience à l'égard de tous les autres.
 

 3. « On ne se moque pas de Dieu » (Ga 6, 7), dit l'Apôtre. N'est-ce pas se moquer de Dieu, que de vouloir l'offenser sans fin en cette vie, avec la prétention d'aller jouir de lui pendant l'Éternité?

 « Ce que l'homme aura semé, dit encore l'Apôtre, c'est cela qu'il recueillera » (Ga 6, 8). Celui qui sème de bonnes oeuvres, recueillera des récompenses; celui qui sème des péchés, ne moissonnera que des châtiments.

 Elle est en horreur aux yeux de Dieu, l'espérance de ceux qui pèchent parce que le Seigneur est enclin à pardonner: « Leur espérance, dit Job, est une chose détestable » (Jb 11, 20). Aussi n'a-t-elle d'autre résultat que d'attirer plus tôt sur eux l'exécution de ses menaces: est-ce qu'un roi tarde à frapper des sujets qui s'autorisent de sa bonté pour continuer à l'outrager?

 Mon Jésus, je n'ai que trop imité ces sujets rebelles. Oui, parce que je vous savais très miséricordieux, j'ai fait peu de cas de vos commandements. Je confesse mon ingratitude et je déteste toutes mes offenses. Maintenant je vous aime plus que moi-même; je ne veux plus vous causer le moindre déplaisir. Quel malheur pour moi, si je venais encore à vous offenser par le péché mortel! Mon Dieu, ne le permettez pas, faites-moi plutôt mourir.

 Ô Marie, vous êtes la Mère de la persévérance, aidez-moi.
 
 
 

NOTRE VIE S'ÉVANOUIT COMME UN SONGE
 

 1. Qu'est-ce que le bonheur dont on peut jouir ici-bas? « Il est semblable, répond le roi David, au songe de celui qui se réveille » (Ps 73, 20).

 A l'heure de la mort, toutes les grandeurs et toutes les gloires de ce monde ne sont plus pour les pauvres mondains que comme ces vaines entrevues dans un rêve: au réveil, le songe s'évanouit; avec lui s'évanouit aussi la brillante fortune que l'on croyait posséder. Il avait donc bien raison cet homme, qui, dans son désenchantement, écrivit sur une tête de mort ces simples mots: « Cogitanti vilescunt omnia: Aux yeux de celui qui pense à la mort, toutes choses perdent leur valeur. » Comment, en effet, considérés à la lumière de la mort, plaisirs et richesses n'apparaîtraient-ils pas dans leur insignifiante réalité, c'est-à-dire, vils et passagers? Comment, dès lors, s'attacher à des choses qu'on sait devoir quitter bientôt?

 Que de fois, ô mon Dieu, j'ai méprisé votre grâce pour les misérables biens de la terre! Désormais je veux penser uniquement à vous servir, à vous aimer. Prêtez-moi toujours aide et assistance.
 

 2. « Voilà donc où viennent aboutir les grandeurs et les plus hautes dignités de ce monde! » (P. Suau, S. J., Histoire de saint François de Borgia, Paris, 1910, 62 ss. L'auteur souligne l'impression profonde que fit le cadavre de la Reine sur François de Borgia, accentuant encore son besoin de réformer sa vie, mais il n'eut à cet instant aucune attitude théâtrale. S. Alphonse se fait ici l'écho de la légende et des articles qui ont décrit François de Borgia bouleversé et prononçant des paroles telles que celles rapportées dans cette méditation).

 Telles furent les paroles qui s'échappèrent des lèvres de saint François de Borgia, à la vue du cadavre de la reine Isabelle, morte à la fleur de l'âge. Absorbé par cette pensée, il prit bientôt la résolution de quitter le monde pour se donner tout à Dieu. « Je veux, se disait-il, servir un maître qui ne puisse plus me faire défaut. »

 Il faut se détacher des choses de la terre, avant que la mort vienne nous les arracher. Quelle folie de perdre notre âme, en nous attachant à des biens dont il faudra sous peu nous séparer! Car, un jour, il nous sera dit: « Maintenant tu peux quitter ce monde, âme chrétienne. Quitte-le ». (Rituel: Sacrement pour les malades 1977, 95. La Recommandation du mourant).

 Mon Jésus, que ne vous ai-je toujours aimé! De toutes les offenses que je vous ai faites, quel gain me reste-t-il? Dites-moi ce que je dois faire pour réparer ma vie passée si déréglée; je veux vous obéir en tout. Admettez à l'honneur de vous aimer un pécheur repentant qui vous aime plus que lui-même et vous demande miséricorde.
 

 3. Pensez-y: vous n'êtes pas en ce monde pour y rester toujours. Le pays où vous vivez, il faudra le quitter. Cette maison que vous habitez, il faudra que vous en sortiez pour n'y plus rentrer. Cette chambre où vous lisez ce livre, beaucoup d'autres, vos ancêtres, vos parents, l'ont occupée avant vous; ce lit, ils y ont dormi. Maintenant, où sont-ils? Dans l'Éternité. Vous aussi, vous serez, un jour, dans l'Éternité.

 Mon Dieu, faites-moi comprendre la gravité de l'injure que je vous ai faite en vous tournant le dos, à vous, le Bien infini; pénétrez-moi de douleur pour pleurer, comme je le dois, mon ingratitude. Ah! Que ne suis-je mort avant de vous offenser pour la première fois! De grâce, ne me laissez pas vivre plus longtemps sans répondre à l'amour que vous m'avez porté. Je vous aime plus que toute chose, ô mon bien-aimé Rédempteur, je veux vous aimer de toutes mes forces jusqu'à ma mort. Venez pour votre grâce au secours de ma faiblesse.

 Ô Marie, Mère de Dieu, aidez-moi de vos prières.
 
 
 
 

LE PÉCHÉ EST UN MÉPRIS DE DIEU
 

 1. Voici la déclaration et la plainte expresse de Dieu lui-même: « J'ai nourri des fils et je les ai élevés; mais eux m'ont méprisé » (Es 1, 2).

 Ils l'ont méprisé avec une cruelle ingratitude.

 Quel est donc ce Dieu que les hommes ont l'audace de mépriser?

 C'est le Créateur du ciel et de la terre, c'est un Bien infini, ? c'est un Seigneur tellement grand qu'auprès de lui les Anges et les hommes ne sont plus qu'une goutte d'eau, un grain de poussière (Es 40, 15). Et même, ? continue le prophète Isaïe,    ? toutes les créatures réunies, «  toutes les nations sont devant l'infinie Majesté de Dieu un pur néant » (Es 40, 15).

 Voici à vos pieds, ô mon Dieu, le téméraire qui, tant de fois, osa vous mépriser, vous, Majesté infinie. Mais votre miséricorde n'est pas moins infinie que votre Majesté. Je vous aime, Seigneur, et parce que je vous aime, je me repens de vous avoir offensé; ayant pitié de moi.
 

 2. Qui suis-je, ô mon Dieu, moi qui vous ai méprisé? Un pauvre ver de terre, qui ne peut rien et qui tient de votre bonté tout ce qu'il a. Âme, corps, usage de la raison, avantages temporels, tout m'est venu de votre libéralité, et je me suis servi de tout pour vous offenser, vous, mon Bienfaiteur. Bien plus, dans le temps même où vous me conserviez la vie pour m'empêcher de tomber dans l'enfer trop mérité, je me suis obstiné dans ma révolte.

 Ah! Mon Sauveur, comment avez-vous eu tant de patience avec moi? Malheureux, que de nuits j'ai passées dans votre disgrâce! Mais vous ne voulez pas que je désespère. Mon Jésus, j'attends de votre Passion la force de changer de vie. Non, qu'il ne soit pas perdu pour moi, ce Sang que vous avez répandu pour mon amour avec tant de douleur!
 

 3. Ô mon Dieu, qu'ai-je fait? Vous, ô mon Rédempteur, vous avez tant estimé mon âme, que, pour ne pas la voir à jamais perdue, vous avez donné tout votre Sang; moi, au contraire, méprisant votre grâce et votre amour, je l'ai sacrifiée pour un rien, un caprice, une vengeance, un misérable plaisir. En vérité, si la foi ne m'enseignait que vous avez promis de pardonner au pécheur repentant, je n'oserais pas vous demander pardon.

 Je baise donc vos plaies sacrées, ô mon Sauveur; au nom de ces mêmes plaies, je vous supplie d'oublier les injures que je vous ai faites. « Si le pécheur fait pénitence, avez-vous dit, je ne me souviendrai plus d'aucune de ses iniquités » (Ez 18, 21-22). Je suis affligé plus que de tout autre mal de vous avoir offensé, ô Bien suprême! Pardonnez-moi selon votre promesse, pardonnez sans retard. Car à présent je vous aime plus que moi-même; je ne veux plus me voir dans votre disgrâce.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, secourez un pécheur qui se recommande à vous.
 
 
 
 

LA PEINE DU DAM
 

 1. Ni le feu, ni les ténèbres, ni l'infection, ni aucun autre des tourments réunis dans l'enfer, ? cette prison des désespérés, ? en constituent la plus grande peine: ce qui fait proprement l'enfer, c'est la peine du dam, ou la douleur d'avoir perdu Dieu.

 L'âme est créée pour vivre éternellement unie à Dieu et jouir de la vue de son infinie beauté. Dieu est sa fin dernière et son unique bien. Aussi, sans Dieu, toutes les autres jouissances, tous les biens du ciel et de la terre sont-ils incapables de la contenter; par contre, si le damné possédait Dieu et l'aimait dans l'enfer, il trouverait le ciel dans ce séjour de tous les supplices. Mais sa grande peine, celle qui le rendra pour toujours malheureux, sans mesure, ce sera de se voir éternellement privé de Dieu, sans espérance de pouvoir jamais le contempler ni l'aimer.

 Ô Jésus, mon Rédempteur, transpercé pour moi sur la Croix, vous êtes mon Espérance.

 Ah! Que ne suis-je mort plutôt que de vous avoir jamais offensé!
 

 2. Créée pour Dieu, l'âme tend, par un instinct naturel, à s'unir à son Bien suprême, Dieu; mais elle est unie au corps. S'engage-t-elle dans le bourbier du vice? Le charme séducteur des choses sensibles l'enveloppe de ténèbres épaisses qui lui dérobent la vraie lumière: elle perd peu à peu la connaissance de Dieu, elle perd même le désir de s'unir à lui. Vienne le jour où, sortie du corps et dégagée des objets sensibles, elle voit que Dieu seul est le bien capable de la rendre heureuse: aussitôt, elle est emportée vers lui par l'irrésistible élan de sa nature; elle veut l'étreindre, le posséder.

 Mais la mort l'a surprise en état de péché mortel. Ce péché, pareil à une lourde chaîne, ne l'empêche pas seulement de monter; il l'entraîne vers l'enfer, pour y demeurer à jamais éloignée, à jamais séparée de Dieu. Au fond de l'abîme éternel, elle sait combien Dieu est beau, mais elle ne pourra jamais le voir. Elle sait combien il est aimable, mais elle ne pourra jamais l'aimer. Que dis-je? Sous le poids accablant de son péché, elle devra le haïr toujours. L'enfer de son enfer, ce sera de comprendre qu'elle hait un Dieu souverainement digne d'être aimé. Si c'était possible, avec quelle joie elle s'anéantirait elle-même, dans son dépit de devoir haïr un Dieu tout aimable! Telle sera l'occupation éternelle de cette infortunée.

 Seigneur, ayez pitié de moi.
 

 3. Ce n'est pas assez de cet épouvantable supplice: la reconnaissance de toutes les grâces dont Dieu la combla, l'amour qu'il lui témoigna, l'accroissent encore immensément. L'âme damnée sait surtout combien Jésus Christ l'aima, combien il désirait la sauver, alors qu'il donnait pour elle son sang et sa vie. « Quelle noire ingratitude fut la mienne, se dira-t-elle, pour me procurer de viles satisfactions, j'ai délibérément perdu Dieu, mon souverain Bien! Et je vois clairement que je l'ai perdu sans espoir de le recouvrer jamais! »

 Ô mon Dieu, si j'étais en enfer, je ne pourrais plus ni vous aimer ni me repentir de mes péchés. Maintenant, donc, que je puis encore me repentir et vous aimer, je me repens de toute mon âme de vous avoir offensé et je vous aime plus que toute chose. Vous même, Seigneur, mon Dieu, rappelez-moi toujours que j'ai mérité l'enfer, afin que, toujours, je vous aime plus ardemment.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, ne m'abandonnez pas.
 
 
 
 

LE JUGEMENT PARTICULIER
 

 1. « Il est arrêté que les hommes meurent une fois; après quoi vient le jugement » (He 9, 27).

 Premier article de foi: C'est aussitôt après notre mort que nous serons jugés sur toutes les actions de notre vie.

 Second article de foi: De ce jugement dépendra notre salut éternel ou notre perte éternelle. (Concile de Lyon II, session IV, Denzinger-Schonmetzer, Enchiridion Symbolorum, Fribourg 1976, n. 856-859).

 Figurez-vous donc, que vous êtes à l'agonie, qu'il ne vous reste qu'un souffle de vie. Réfléchissez que vous êtes sur le point de comparaître devant Jésus Christ pour rendre compte de toutes vos oeuvres: qu'alors, malheureux, rien ne vous causera plus de frayeurs que la vue des péchés commis.

 Ah! Mon divin Rédempteur, pardonnez-moi, avant que vous veniez me juger. Plus d'une fois, je le sais, j'ai mérité la sentence de mort éternelle; pourtant, je ne veux pas paraître devant vous en coupable, mais en pécheur repentant et absous. Je me repens, ô mon souverain Bien, de vous avoir offensé.
 

 2. Ô ciel! Quelle épouvante saisit l'âme qui trouve en Jésus Christ, la première fois qu'elle le voit, un Juge et un Juge irrité!

 Au même instant, elle voit tout ce que Jésus Christ souffrit par amour pour elle; elle voit avec quelle immense miséricorde il la traita toujours, quels grands moyens de salut il lui mit entre les mains; elle voit la magnificence des biens éternels, la bassesse des plaisirs mondains qu'elle préféra cependant. Elle voit, elle comprend, mais inutilement, il est trop tard pour réparer ses fautes; ce qui est fait, est fait à jamais. Au moins pourra-t-elle jeter dans la balance noblesse, richesses, dignités? Non. Rien n'y est admis, rien ne pèse que ses oeuvres.

 Ah! Mon Jésus! Faites qu'en ce jour où je vous verrai pour la première fois, je vous trouve apaisé, et, pour cela, faites que j'emploie le reste de ma vie à déplorer l'injure que je vous ai faite en vous tournant le dos pour satisfaire mes passions. Non, je ne veux plus allumer votre juste colère contre moi; je vous aime et je veux vous aimer toujours.
 

 3. Voyez, sur le lit de mort, l'un de ces chrétiens qui vivent loin du monde pour se donner à Dieu, qui refusent à leurs sens les plaisirs défendus. Si, quelquefois, il est tombé, il a fait une sincère pénitence. Quel bonheur ne goûte-t-il pas!

 Par contre, quelle n'est pas la douleur de ce pauvre chrétien qui, toujours retombé dans les mêmes péchés, se voit réduit sur son lit de mort à se dire: « Dans quelques instants, je paraîtrai certainement devant Jésus Christ, mon Juge, et je n'ai pas encore changé de vie! Tant de fois j'ai promis de me convertir, jamais je n'ai tenu parole! Quel sera mon sort dans un bref délai? »

 Je vous remercie, ô Jésus, mon Juge, de votre patience à m'attendre si longtemps. Combien de fois n'ai-je pas écrit moi-même ma condamnation à l'enfer! Mais vous ne m'avez attendu que pour me pardonner. Ne me repoussez pas, maintenant que je suis à vos pieds. Par les mérites de votre Passion, faites-moi grâce et miséricorde. Ô Souverain Bien, je me repens de vous avoir méprisé; je vous aime plus que toute chose. Dieu de mon coeur, je ne veux plus jamais me séparer de vous!

 Ô Marie, recommandez-moi à Jésus, votre Fils, et ne m'abandonnez pas.
 
 
 
 

IL FAUT PRÉPARER SES COMPTES,
AVANT L'ÉCHÉANCE DU JOUR DES COMPTES

 

 1. « Soyez prêts; car le Fils de l'homme, à l'heure que vous ne pensez pas, viendra vous juger » (Lc 12, 40).

 Le temps de la mort n'est pas le temps favorable pour se préparer à bien mourir. Pour bien mourir et mourir en paix, il faut être prêt à mourir avant que la mort arrive.

 À la mort, il n'est plus temps de déraciner les mauvaises habitudes, d'arracher du coeur les passions qui le dominent, d'éteindre l'affection aux biens de la terre. « La nuit vient pendant laquelle personne ne peut agir » (Jn 9, 4). À la mort, il fait nuit; on ne voit plus rien; aussi n'est-on plus capable de rien faire. Endurcissement du coeur, aveuglement et confusion de l'esprit, terreurs de la mort et du jugement, désirs de guérison, tout contribue à mettre ce moribond dans l'impossibilité de remédier au désordre d'une conscience chargée de péchés. Ce qui est fait, est fait. Si l'on arrive au lit de mort en état de grâce, on mourra dans la grâce de Dieu; mais si l'on se trouve alors en état de péché, c'est en état de péché qu'on mourra.

 Ô Plaies sacrées de mon Rédempteur, je vous adore, je vous baise et j'espère en vous.
 

 2. Jetons un regard attentif sur les saints: ils font de leur vie entière une préparation à la mort. Pénitences, oraisons, bonnes oeuvres, n'ont pas d'autre but; pourtant, arrivés au moment suprême, ils croient avoir fait bien peu. Quelles ne sont pas alors leurs craintes!

 Quand on avertit de sa fin prochaine le vénérable Jean d'Avila, il ne put, malgré la sainte vie qu'il avait menée depuis sa jeunesse, s'empêcher de dire: « Que n'ai-je encore un peu de temps pour me préparer à la mort! » (Louis de Grenade, Vie du Vénérable Jean d'Avila, ch. 7, dans Oeuvres complètes, trad. Abbé Bareille, tome 18, Paris 1866, 643). Nous, que dirons-nous, quand on nous annoncera cette terrible nouvelle?

 Non, mon Dieu! Je ne veux pas mourir dans cet état d'anxiété et d'ingratitude où la mort me surprendrait, si j'expirais à l'instant. Je veux changer de vie; je veux pleurer.

 Je veux pleurer toutes les offenses que je vous ai faites; je veux vous aimer de tout mon coeur. Seigneur, aidez-moi; faites qu'avant de mourir je fasse quelque chose pour vous, mon Dieu, qui êtes mort pour moi.
 

 3. « Le temps est court » (1 Co 7, 29). (S. Paul utilise ici un terme technique de la navigation. Littéralement: « Le temps a cargué ses voiles »). Tel est l'avertissement que nous donne l'Apôtre: il est si court, le temps qui nous reste pour préparer nos comptes!

 Aussi l'Esprit Saint nous dit-il: « Tout ce que peut faire ta main, hâte-toi de le faire » (Ecclésiaste 9, 10). Mon frère, ce que vous pouvez faire aujourd'hui, ne le remettez pas à demain; car le jour présent passe, demain vous apportera peut-être la mort qui viendra vous lier les mains et vous rendre incapable non seulement de faire aucun bien, mais de réparer le mal commis. Malheur à nous, si la mort nous trouve encore attachés au monde!

 Mon bien-aimé Seigneur, que d'années j'ai passées loin de vous! Comment avez-vous eu la patience de m'attendre si longtemps et de m'appeler si souvent à la pénitence? Je vous en remercie, ô mon Sauveur, j'espère vous en remercier éternellement dans le ciel: « Éternellement, je chanterai les miséricordes de Dieu » (Ps 89/88, 2). Par le passé, je ne vous ai pas aimé, je me suis peu soucié d'être aimé de vous; maintenant, je vous aime de tout mon coeur, je vous aime plus que toute chose, plus que moi-même; je n'ai pas d'autre désir que d'être aimé de vous. Quand je pense que j'ai méprisé votre amour, je voudrais mourir de douleur. Mon Jésus, donnez-moi la sainte persévérance.

 Ô Marie, ma Mère, obtenez-moi d'être fidèle à Dieu.
 
 
 
 
 

LES PEINES DU DAMNÉ DANS LES FACULTÉS DE SON ÂME

(Cette méditation paraît inspirée d'une semblable de C. G. Rossignoli, Verità eterne, Lezione 6; Bologne 1689, 111-119).
 

 1. Le damné est tourmenté dans sa mémoire. Plongé dans un abîme de souffrances, l'infortuné voit sans cesse, pour son plus grand tourment, sans que rien puisse jamais l'en distraire, les années qui lui furent accordées sur la terre pour faire le bien et réparer ses fautes. « Mais, hélas! Est-il obligé de se dire, de toute évidence, ma situation est sans espoir, irrémédiable. Tant de lumières reçues de Dieu, tant d'invitations pleines d'amour, tant d'offres de pardon, j'ai tout méprisé! Tout est fini pour moi, je le constate. Que me reste-il? Une seule chose, souffrir et désespérer durant toute l'éternité. »

 Ah! Mon Jésus, votre Sang et votre Mort sont mon espérance. Je vous en conjure; ne permettez pas que j'aille en enfer maudire les grâces mêmes dont vous m'avez comblé.
 

 2. Le damné est tourmenté dans son intelligence. La cause de ce tourment, c'est la continuelle pensée de ce beau ciel qu'il a volontairement perdu.

 L'immense félicité dont les Bienheureux jouissent dans cette patrie de délices, il l'aura sans cesse devant les yeux, il ne pourra l'écarter; ce bonheur ineffable, lui rendra plus douloureux le supplice qu'il endure et doit endurer éternellement dans la prison du désespoir.

 Ainsi donc, ô mon Rédempteur, si j'étais mort l'un de ces tristes jours où je vivais dans le péché, je n'aurais plus aucun espoir de vous posséder en paradis! Vous avez donné votre vie pour m'obtenir le ciel; moi, pour un rien, je l'ai perdu, j'ai perdu votre grâce! Seigneur, je vous aime; je me repens de vous avoir offensé; j'espère par les mérites de votre Passion aller vous aimer éternellement en Paradis.
 

 3. Le damné est tourmenté plus cruellement encore dans sa volonté. Il se voit privé de tous les biens qu'il désire, en prise à tous les maux qu'il abhorre.

 Ainsi le malheureux n'a jamais rien de ce qu'il veut, il a toujours ce qu'il ne veut pas. Sans cesse il tente de s'élancer hors de sa prison et de goûter un peu de repos. Vains efforts! Jamais il n'aura de repos; les supplices de l'enfer le retiennent et l'accablent éternellement.

 Plus que tout le reste, sa volonté le torture. Dieu est le souverain Bien, il mérite un amour infini. Le damné le sait; mais la perversité de sa volonté l'oblige à la haine de l'être infiniment aimable!

 Oui, mon Dieu, vous êtes un bien infini, digne d'un amour infini; moi, je vous ai sacrifié pour des riens! Que ne suis-je mort avant de vous avoir fait pareille injure! Je vous aime, ô mon Bien suprême. Ayez pitié de moi, ne permettez pas que je continue d'être ingrat. Loin de moi tous les plaisirs de la terre! J'y renonce, je vous choisis pour mon Unique Bien. Me voici tout à vous et pour toujours. Vous serez donc toujours à moi. C'est mon espérance, ô mon Dieu, mon Amour, mon Tout. « Deus meus, et omnia » (C. Chalippe, Vie de saint François d'Assise, nouvelle édition, tome 2; Avignon 1824, 260: « Voici une autre (prière) qu'il disait tous les jours: Mon Dieu et mon tout... Je voudrais vous aimer, Seigneur très saint, je voudrais vous aimer...).

 Ô Marie, vous pouvez tout auprès de Dieu, rendez-moi saint.
 
 
 
 

LA DÉVOTION À LA SAINTE VIERGE, MÈRE DE DIEU
 

 1. Jésus est médiateur de justice; Marie est médiatrice de grâce.

 D'après saint Bernard, saint Bonaventure, saint Bernadin de Sienne, saint Germain, saint Antonin et beaucoup d'autres (S. Bernard, Avent, Sermon 2, n. 5; PL 183, 43; TZ 51. -- S. Bonaventure, Évangile de Luc, ch. 1, n. 38, Vivès tome 10, 234. -- S. Bernardin de Sienne, Sermon 52 De salutatione angelica, a. 1, ch. 2. Opera omnia, tome 2, Quaracchi 1950, 157. -- S. Germain, Hommage à la demeure de la BMV; PG 98, 379. --S. Antonin, Summa theologica, tome 4, Verone 1740, 1061), voici le plan, la volonté formelle de Dieu:

 Toutes les grâces qu'il accordera jamais aux hommes, toutes sans exception, passeront par les mains de Marie.

 Aux yeux de Dieu, les prières des saints sont des prières d'amis; mais les prières de Marie sont des prières de mère. Heureux ceux qui recourent toujours avec confiance à cette divine Mère! Ce recours perpétuel, voilà de toutes nos dévotions, celle qui lui plaît le plus. Redisons sans cesse: « Ô Marie, priez Jésus pour moi ».
 

 2. De même que Jésus est tout-puissant par nature, ainsi Marie est toute-puissante par grâce; aussi, tout ce qu'elle demande, elle l'obtient.

 « Quand Marie réclame de son divin Fils une faveur pour ses clients, impossible, écrit saint Antonin, impossible qu'elle ne l'obtienne pas! » (S. Antonin, Ibid., 1029). Car Jésus se fait un bonheur d'honorer sa Mère en exauçant toutes les prières qu'elle lui adresse. De là, cette exhortation de saint Bernard: « Cherchons la grâce, et cherchons-la par Marie; car Elle est Mère, Elle ne peut essuyer un refus » (S. Bernard, Nativité de Marie, n. 8; PL 183, 441; TZ 704). Avons-nous à coeur notre salut? Implorons sans cesse Marie, afin qu'elle prie pour nous; car ses prières sont toujours exaucées.

 Ô Marie de miséricorde, ayez pitié de moi. Vous vous glorifiez d'être l'Avocate des pécheurs: venez au secours d'un pécheur qui met en vous toute sa confiance.
 

 3. Ne craignons pas que Marie refuse de nous écouter, quand nous la prions.

 Pourquoi se réjouit-elle de son tout-puissant crédit auprès de Dieu? Précisément parce qu'elle peut nous obtenir toutes les grâces que nous désirons. Demander une grâce à Marie, c'est l'obtenir. Sommes-nous indignes d'être exaucés? Marie nous rend dignes de l'être, par sa puissante intercession. C'est uniquement afin de pouvoir nous sauver qu'Elle désire avec tant d'ardeur être priée par nous. Quel pécheur s'est jamais perdu, s'il a prié Marie, Refuge des pécheurs, avec confiance et persévérance! Celui-là se perd, qui ne recourt pas à Marie.

 Ô Marie, ma Mère et mon Espérance, je me réfugie sous le manteau de votre protection; ne me repoussez pas, comme je le mérite. Regardez ma misère, ayez pitié de moi. Obtenez-moi le pardon de mes péchés; obtenez-moi la sainte persévérance, l'amour de Dieu, une bonne mort, le paradis. J'espère tout de vous, parce que vous êtes toute-puissante auprès de Dieu. Faites de moi un saint, puisque vous le pouvez. C'est sur vous que je compte, ô Marie; c'est en vous que je place toutes mes espérances.
 
 
 
 
 

JÉSUS A PAYÉ LA DETTE DE TOUS NOS PÉCHÉS
 

 1. Quand Dieu vit les hommes, tous à jamais perdus pour leurs péchés, son coeur voulut user de miséricorde envers eux; mais aussitôt la divine justice revendiqua ses droits, une satisfaction proportionnée. Parmi les créatures, personne qui pût la fournir.

 Que fit alors le Seigneur notre Dieu?

 Il envoya sur la terre son Fils se faire homme et prendre sur lui le fardeau de nos péchés: « Le Seigneur, dit le prophète, a fait retomber sur lui l'iniquité de nous tous » (Es 53, 6). Il le chargea de payer notre dette. Ainsi, la divine justice fut satisfaite, et les hommes, sauvés.

 Ô Dieu éternel, pour nous inspirer une grande confiance en votre miséricorde et nous attirer puissamment à votre amour, pouvez-vous faire plus que de nous donner votre propre Fils? Après un tel bienfait, comment ai-je pu me rendre coupable de tant d'injures? Ah! Seigneur, par amour pour votre divin Fils, ayez pitié de moi. Je suis plus affligé de vous avoir offensé que de tous les autres maux. Mais, si je vous ai beaucoup offensé, désormais je vous aimerai beaucoup. Donnez-moi la force de tenir ma résolution.
 

 2. Dieu le Père « a fait retomber sur son Fils l'iniquité de nous tous ». Va-t-il se contenter de n'importe quelle satisfaction?

 Sans doute, toute satisfaction, même la plus minime, suffisait de la part du Verbe divin, pour expier tous nos péchés. Mais la prédiction d'Isaïe doit s'accomplir: « Le Seigneur a voulu le broyer par la souffrance » (Es 53, 10). Fouets, épines, clous, autres supplices, il faut que Jésus Christ endure tout, jusqu'à ce que, brisé, anéanti même par l'excès de tourments, il meure enfin de douleur sur un infâme gibet.

 Ah! Seigneur, si la foi ne nous en donnait la certitude, qui pourrait croire que vous avez poussé votre amour pour nous à cet excès? Ô Dieu, ô Seigneur infiniment aimable, ne permettez pas que nous soyons plus longtemps ingrats envers vous. Éclairez-nous, donnez-nous la force de répondre désormais à cet excès d'amour. Accordez-nous cette grâce: je la demande au  nom de votre amour pour ce Fils bien-aimé que vous nous avez donné.
 

 3. Le Père Éternel a manifesté sa volonté. Pour nous pardonner nos péchés, il exige que son propre Fils endure les plus épouvantables tourments. Que fait le Fils de Dieu? Tout humilié, tout obéissance envers son Père et tout amour pour nous, il choisit de mener sur la terre une vie de continuelles souffrances et de mourir dans un océan de douleurs, lui, l'innocence même. « Il s'est abaissé lui-même, dit l'Apôtre, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix » (Ph 2, 8).

 Ah! Mon bien-aimé Sauveur, permettez que je vous dise, comme autrefois le roi pénitent Ézéchias: « Vous avez retiré mon âme de la fosse de perdition; vous avez jeté derrière votre dos tous mes péchés » (Es 38, 17). Déjà, par mes péchés, j'avais condamné mon âme à brûler éternellement en enfer; mais vous m'avez tiré de l'abîme, vous m'avez pardonné, j'en ai la douce confiance. J'ai misérablement offensé votre divine Majesté; mais vous vous êtes chargé de mes péchés et vous les avez expiés à ma place. Après cet excès d'amour, quelles peines seraient capables de me châtier dignement, si je recommençais à vous offenser, si je ne vous aimais pas de tout mon coeur? Mon bien-aimé Jésus, unique amour de mon âme, je me repens souverainement de vous avoir outragé. Je me donne à vous tout entier et sans réserve; daignez m'accepter et ne permettez pas que je vous perde encore.

 Sainte Vierge Marie, ô ma Mère, priez votre divin Fils d'accepter le don que je lui fais de moi-même; demandez-lui de le rendre parfait.
 
 
 
 

L'UNIQUE NÉCESSAIRE
 

 1. « Une seule chose est nécessaire » (Lc 10, 43) (S. Alphonse donne une libre interprétation de ce texte. TOB note t. En fait ce verset s'applique à la Parole; une seule chose est nécessaire: écouter la Parole qui appelle à la foi et à l'engagement), a dit Notre Seigneur.

 Cette chose, la seule nécessaire, c'est le salut de notre âme. Grandeur, noblesse, fortune, santé florissante, rien de tout cela n'est nécessaire: l'unique nécessaire, c'est de nous sauver.

 Pourquoi Dieu nous place-t-il sur la terre? Est-ce pour que nous puissions nous élever aux honneurs, acquérir des richesses, jouir de tous les plaisirs? Non pas. Son but est de nous faire mériter, par nos bonnes oeuvres, le royaume éternel, magnifique récompense réservée à ceux qui combattent vaillamment et triomphent des ennemis de leur salut.

 Ah! Mon Jésus, que de fois il m'est arrivé de renoncer au paradis, en renonçant à votre grâce! Mon bien-aimé Seigneur,  je suis plus affligé d'avoir perdu votre amitié que d'avoir perdu le ciel. Donnez-moi, mon Jésus, une vive douleur de mes péchés, et pardonnez-moi.
 

 2. Qu'importe à l'homme de passer sa vie entière dans la misère et l'obscurité, dans la maladie et les humiliations, s'il a finalement le bonheur de mourir en état de grâce et de se sauver? Que dis-je? Plus cet homme aura passé par le creuset des tribulations, plus, aussi, la patience avec laquelle il aura souffert augmentera sa gloire éternelle, son éternelle félicité.

 Par contre, quel profit retirera-t-il d'avoir été comblé de richesses et d'honneurs, s'il a le malheur de mourir dans le péché et de se damner? Loin d'en retirer le moindre gain, il n'en recueillera qu'un accroissement de peine: le souvenir de tous ces biens dont il aura joui sur la terre, deviendra pour lui une source intarissable d'amers regrets.

 Ô mon Dieu, daignez m'accorder votre lumière. Faites-moi comprendre qu'en ce monde il n'y a pour moi qu'un mal: vous offenser; qu'il n'y a pour moi qu'un bien: vous aimer. Donnez-moi la force d'employer à vous servir le reste de mes jours.
 

 3. Nous sauver, c'est une nécessité, parce que, si nous ne nous sauvons pas, nous nous damnons. Pas de milieu: ou sauvés, ou damnés.

 C'est en vain que quelqu'un dira: « Il me suffit de ne pas aller en enfer; peu m'importe d'être exclu du paradis. » Il n'y a que deux possibilités: ou le ciel, ou l'enfer; ou bien toujours heureux avec Dieu dans le ciel dans un océan de délices, ou bien toujours malheureux en enfer dans un abîme de feu et de tourments. Ou sauvés, ou perdus: pas de milieu.

 Bien des fois, ô mon Jésus, j'ai choisi l'enfer pour mon partage; j'y serais depuis de longues années, si vous ne m'aviez supporté par pure miséricorde. Je vous remercie, ô mon Sauveur; je suis affligé de vous avoir offensé plus que de tout autre mal. J'espère, avec l'aide de votre grâce, ne plus m'engager à l'avenir sur le chemin de l'enfer. Je vous aime, ô mon Dieu suprême, je veux vous aimer à jamais. Au nom du Sang précieux que vous avez versé pour moi, donnez-moi la sainte persévérance et sauvez-moi.

 Ô Marie, mon Espérance, priez pour moi.
 
 
 
 

LE PÉCHEUR REFUSE L'OBÉISSANCE À DIEU
 

 1. « Qui est le Seigneur, pour que j'écoute sa voix? Je ne connais pas le Seigneur » (Ex 5,2).

 Telle fut la réponse insolente du roi d'Égypte, lorsque Moïse lui transmit, de la part de Dieu, l'ordre de laisser partir en liberté le peuple hébreux. Tel est aussi le langage que le pécheur a l'audace de tenir à Dieu, lorsque la conscience lui dit: « La loi divine te défend de commettre ce péché. » L'homme répond: « Pour le moment, j'ignore Dieu; je sais qu'il est mon Maître; il m'interdit cette action, je la ferai; délibérément, je lui refuse obéissance! »

 Voilà ce que je vous ai dit, ô mon Dieu, toutes les fois que j'ai péché. Si vous n'étiez mort pour moi, ô mon Rédempteur, je n'aurais même pas le courage de solliciter mon pardon, mais vous-même, du haut de la Croix, vous me l'offrez: je n'ai qu'à l'accepter. De grand coeur, je l'accepte ; je me repens de vous avoir méprisé; ô souverain Bien! Plutôt mourir que de vous offenser encore!
 

 2. « Tu as brisé mon joug... tu as dit: je ne servirai pas » (Jr 2, 20). (TOB note w. Jérémie revient souvent sur cette perversion foncière d'Israël, sur cette indocilité qui ne peut supporter la moindre contrainte, et crie à l'esclavage à propos de toute entrave à ses caprices...)

 Au moment de la tentation, le pécheur entend la voix de Dieu lui dire: « Mon enfant, ne te venge pas; abstiens-toi de ce honteux plaisir; ne prend pas le bien d'autrui. » ? « Seigneur, répond le pécheur par son acte déréglé, je ne veux pas vous obéir; vous me défendez cet acte, eh bien! Il me plaît à moi de le faire! »

 Combien de fois, Seigneur mon Dieu, n'ai-je pas eu la témérité de vous tenir ce langage, non pas en paroles, mais par ma conduite et par ma volonté! De grâce, ne me rejetez pas de devant vous: « Ne me rejetez pas loin de votre face » (Ps 51/50, 13). Je comprends maintenant l'injure que je vous ai faite en échangeant votre amitié contre de viles satisfactions. Que ne suis-je mort avant de vous offenser!

 3. « Seigneur, toutes choses sont soumises à votre pouvoir, il n'est personne qui puisse faire obstacle à votre volonté » (Esther 13, 9). (Cf. TOB, Livre d'Esther (grec), C, 2, 1908).

 Dieu est le maître de tout, parce qu'il a tout créé; aussi tout lui rend-il obéissance: les cieux, la mer, la terre, les éléments, les brutes, tout, ô prodige, excepté l'homme! Il est la créature la plus aimée, la plus favorisée de Dieu; lui seul refuse d'obéir à Dieu; lui seul ne craint pas de perdre la grâce de Dieu.

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de m'avoir attendu. Que serais-je devenu, si vous m'aviez fait mourir l'une de ces nuits que j'ai passées dans votre disgrâce? Vous m'avez attendu: c'est un signe que vous voulez me pardonner. Oh! Oui, pardonnez-moi, mon Jésus. Je suis affligé plus que de tout autre mal de vous avoir tant de fois méprisé. Alors je ne vous aimais pas; aujourd'hui je vous aime plus que moi-même, je suis prêt à perdre mille fois la vie plutôt que de perdre votre amitié. Vous avez dit: « J'aime ceux qui m'aiment » (Pr 8, 17). Je vous aime, Seigneur; aimez-moi donc aussi; accordez-moi la grâce de vivre et de mourir dans votre amour pour vous aimer éternellement.

 Marie, mon Refuge, je compte sur vous pour être fidèle à Dieu jusqu'à la mort.
 
 
 
 

DIEU MENACE POUR NE PAS PUNIR
 

 1. Dieu, Bonté infinie, ne veut que notre bien; il veut même nous communiquer son propre bonheur. Nous punit-il? C'est qu'il y est contraint par nos péchés. « Il fait alors, déclare le prophète Isaïe, une oeuvre qui lui est contraire, une oeuvre étrangère » (Es 28, 21) (TOB, note i. En effet le Seigneur va combattre son peuple en utilisant les Assyriens). Nous pardonner, nous combler de bienfaits, nous rendre tous contents et heureux, voilà l'oeuvre propre de Dieu.

 Quoi! Seigneur! C'est cette Bonté infinie que les pécheurs offensent et méprisent; c'est de cette bonté infinie qu'ils provoquent les châtiments! Malheureux que je suis, je l'ai moi-même outragée!
 

 2. Comprenons donc bien pourquoi Dieu nous menace de ses châtiments: ce n'est pas pour le plaisir qu'il éprouverait à nous frapper; loin de là; il nous menace précisément pour n'avoir pas à nous punir; il menace parce qu'il veut exercer sa miséricorde. « Seigneur, s'écrie le Psalmiste, vous vous êtes irrité, et vous avez eu pitié de nous » (Ps 60/59, 3). Quoi donc? Dieu s'irrite-t-il pour faire éclater sa miséricorde? Assurément; il nous montre un visage irrité, pour que nous nous corrigions et qu'il puisse ainsi nous pardonner et nous sauver. Donc, s'il nous châtie en cette vie pour les péchés commis, ce châtiment même est un effet de sa miséricorde: il ne nous l'inflige que pour nous préserver de l'enfer éternel. Malheur au pécheur qui n'est pas puni maintenant!

 Puisqu'il en est ainsi et que je vous ai tant offensé, ô mon Dieu, punissez-moi sans retard, afin que vous puissiez me pardonner dans l'éternité. J'ai mérité l'enfer, j'en suis certain, je le reconnais; j'accepte donc tous les maux, pourvu que vous me rendiez votre grâce et que vous me préserviez de l'enfer, de cet intolérable enfer qui me séparerait de vous à jamais. Seigneur, donnez-moi lumière et force, pour surmonter toutes les difficultés et vous faire plaisir toujours.
 

 3. « L'homme digne de reproche, qui, le cou raidi, méprise celui qui le reprend, sera frappé d'une mort soudaine et sans remède » (Pr 29, 1).

 Tel est le châtiment suspendu sur la tête de l'homme assez insensé pour faire peu de cas des menaces divines, après avoir dédaigné les avertissements de Dieu, il sera surpris par la mort subite; il n'aura pas le temps de se prémunir contre la ruine éternelle.

 Ainsi finirent tant de malheureux, ô mon Jésus; moi-même, combien de fois n'ai-je pas mérité pareil sort? Mais, ô mon bien-aimé Rédempteur, vous m'avez traité plus miséricordieusement que beaucoup de pécheurs, dont les fautes furent moins graves et qui gémissent maintenant en enfer, sans espoir de recouvrer jamais votre grâce. Je le vois, Seigneur, vous voulez me sauver; à mon tour, je veux me sauver. Pour vous faire plaisir, je quitte tout et je me tourne vers vous, qui êtes mon Dieu, mon unique Bien. Je crois en vous, j'espère en vous, je n'aime que vous, Bonté infinie; je regrette souverainement de vous avoir, par le passé, tant outragée; je préférerais avoir enduré tous les maux, plutôt que de vous avoir offensée. Ne permettez pas que je me sépare encore de vous. Faites-moi mourir plutôt que de me laisser retomber dans le péché. Mon Jésus crucifié, je me confie en vous.

 O Marie, Mère de Jésus, recommandez-moi à votre Fils.
 
 
 
 

DIEU ATTEND, MAIS N'ATTEND PAS TOUJOURS
 

 1. Plus grandes ont été envers une âme les miséricordes de Dieu, plus cette âme doit craindre d'en abuser encore, sinon l'heure du châtiment sonnera: « À moi la vengeance, dit le Seigneur; au temps marqué je ferai la rétribution » (Dt 32, 35). Quand une âme refuse de mettre fin à ses infidélités, Dieu se charge lui-même d'y mettre un terme.

 Ah! Seigneur, mon Dieu, je vous remercie de n'en avoir pas fini avec moi après tant de trahisons. Faites-moi comprendre combien je suis coupable d'avoir tant mis à l'épreuve votre patience; donnez-moi le regret profond de vous avoir tant offensé. Non, je ne veux plus jamais abuser de votre miséricorde.
 

 2. « Commets ce péché, tu n'auras qu'à le confesser. »

 Telle est la ruse employée ordinairement par le démon pour entraîner les âmes en enfer. Tant de chrétiens y gémissent ? à cette heure ? pour n'avoir pas su la déjouer!

 « Le Seigneur attend, pour vous faire grâce » (Es 30, 18), dit le prophète. Dieu, donc, attend le pécheur afin que le pécheur se convertisse et rende ainsi possible l'exercice de la miséricorde; mais voit-il ce malheureux, au lieu d'employer ce temps de grâce à faire pénitence, s'en prévaloir pour multiplier ses infidélités... il n'attend plus, il le frappe impitoyablement à proportion de ses péchés.

 Mon Dieu, pardonnez-moi, car je ne veux plus vous offenser. Eh quoi! Pour me convertir, attendrai-je que vous me précipitiez en enfer? Je vois bien que vous ne pouvez plus me supporter. Assez, assez d'outrages! J'en suis profondément affligé, profondément contrit. J'espère mon pardon du sang que vous avez répandu pour moi.
 

 3. « C'est grâce à la miséricorde du Seigneur, que nous ne sommes pas anéantis » (Lm 3, 22).

 Ce cri de reconnaissance doit s'échapper du coeur de quiconque eut le malheur de multiplier ses péchés. De quels remerciements n'est-il pas redevable à ce Dieu qui ne l'a pas fait mourir dans ce triste état! Combien rigoureusement est-il tenu, par gratitude, de ne plus l'offenser! Autrement, le Seigneur lui jettera ce reproche à la face: « Qu'y avait-il à faire de plus à la vigne, que je n'aie pas fait pour elle? » (Es 5, 4). Ingrat, lui dira-t-il, ingrat dont les offenses sont innombrables, si tu les avais faites au dernier des hommes, il ne les aurait certainement pas supportées. Par contre, moi je t'ai répondu par de nouveaux bienfaits. Invitations, lumières, grâces du pardon, j'ai tout prodigué. Que pouvais-je faire de plus? Le temps de la vengeance est arrivé; celui du pardon, à jamais passé.

 Ce reproche, combien de malheureux l'ont entendu de la bouche de Dieu! Ils ont été engloutis par l'enfer, et ce qui met le comble à leur infortune, c'est précisément le souvenir des grâces reçues en abondance.

 Moi aussi, ô Jésus, mon Rédempteur et mon Juge, j'ai mérité d'entendre le même langage indigné; mais je sais que vous m'offrez encore le pardon: « Reviens au Seigneur ton Dieu » (Os 14, 2), me dites-vous. Péchés, maudits péchés que j'ai commis, je vous déteste, je vous ai en horreur, c'est vous qui m'avez fait perdre mon bien-aimé Seigneur. À cette heure, mon Seigneur et mon Dieu, je reviens à vous de tout mon coeur. Je vous aime, ô mon souverain Bien; et parce que je vous aime, je me repens de toute mon âme de vous avoir tant de fois méprisé. Mon Dieu, je ne veux plus vous déplaire, plus jamais; donnez-moi votre amour, donnez-moi la persévérance.

 Ô Marie, mon refuge, secourez-moi.
 
 
 
 

LA MORT EST UN PASSAGE À L'ÉTERNITÉ
 

 1. Deux vérités de foi: mon âme est éternelle; un jour, alors que j'y penserai le moins, je devrai quitter ce monde. (Concile de Latran V, session 8; Denzinger-Schonmetzer, Enchiridion Symbolorum, Fribourg 1976, n. 1440).

 Il faut donc de toute nécessité m'assurer un bonheur qui ne finisse pas avec la vie présente, mais qui soit éternel comme je suis éternel. Quelle fortune plus brillante sur cette terre que celle d'Alexandre-le-Grand, de César-Auguste? Elle a cessé depuis bien des siècles; depuis ces longs siècles, ils ont commencé une autre vie, malheureuse celle-là, qui n'aura point de fin.

 Hélas! Ô mon Dieu, que ne vous ai-je toujours aimé! De tant d'années passées dans le péché, que me reste-t-il, sinon des peines et des remords de conscience? Mais puisque vous me donnez le temps de remédier au mal commis, me voici, Seigneur, dites-moi ce que je dois faire, je ne veux rien omettre pour vous contenter. Je ne vivrai plus, ? c'est  ma résolution ferme, ? que pour pleurer les amertumes dont je vous ai abreuvé, pour vous aimer de toutes mes forces, vous, mon Dieu et tout mon bien.
 

 2. Supposez qu'on puisse en ce monde trouver le bonheur sans Dieu, et qu'en fait on goûte ici-bas de toutes les joies possibles. À quoi bon, s'il faut ensuite être malheureux toute l'éternité?

 Savoir à n'en pouvoir douter qu'on mourra, ? qu'après la mort commence pour chacun de nous une éternité de délices ou de tourments, ? que de la mort bonne ou mauvaise dépend un bonheur ou un malheur sans fin, savoir tout cela sans prendre tous les moyens de s'assurer une bonne mort, quelle folie.

 Esprit Saint, éclairez-moi, donnez-moi la force de vivre désormais et toujours, jusqu'à la mort dans votre amitié. Bonté infinie, je reconnais le mal que j'ai fait en vous offensant, je le déteste; je reconnais que vous seul méritez mon amour et je vous aime plus que toute chose.
 

 3. En quoi se résument finalement toutes les prospérités d'ici-bas? En un convoi funèbre, une tombe, la décomposition. L'ombre de la mort voile et obscurcit l'éclat des plus hautes dignités. Heureux, donc, celui-là seul qui sert Dieu sur la terre et s'assure, par ce service plein d'amour, l'éternelle béatitude!

 Mon Jésus, je suis affligé plus que de tout autre mal d'avoir fait, par le passé, si peu de cas de votre amour. Maintenant je vous aime plus que toute chose; je n'ai plus qu'un désir: vous aimer. Désormais vous serez mon Amour, mon Tout; vous aimer, vous aimer sans cesse en cette vie et en l'autre, c'est l'unique fortune que j'ambitionne et que je vous demande. Par les mérites de votre Passion, accordez-moi la persévérance.

 Marie, Mère de Dieu, vous êtes mon Espérance.
 
 
 
 

IL FAUT RÉFORMER NOTRE VIE AVANT L'HEURE DE LA MORT
 

 1. Personne qui ne désire mourir saintement! Mais est-il possible de mourir saintement, après une vie passée dans le désordre jusqu'à la mort? ? de mourir dans l'amitié de Dieu, quand on a continuellement vécu dans l'inimitié de Dieu?

 Les saints, pour s'assurer une bonne mort, abandonnèrent richesses, plaisirs, espérances mondaines; ils embrassèrent volontairement une vie pauvre et mortifiée. Ils s'ensevelirent vivants dans des déserts, dans des couvents, pour ne pas courir le danger d'être ensevelis, après leur mort, dans l'enfer.

 Depuis combien d'années, Seigneur, mon Dieu, n'ai-je pas mérité d'être enseveli dans l'enfer, sans espoir de pardon, dans l'impuissance de vous aimer jamais? Mais vous m'avez attendu pour me pardonner. De tout mon coeur, je me repens de vous avoir offensé, ô mon Bien suprême! Ayez pitié de moi; ne permettez plus que je vous outrage encore.
 

 2. « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas » (Jn 7, 34).
(TOB, note w. Cette parole volontairement ambiguë donnera lieu à une interprétation qui se veut sarcastique et qui n'en est pas moins prophétique).

 C'est la menace que Dieu fait aux pécheurs: « Malheureux, quand vous verrez venir la mort, vous me chercherez, mais sans me trouver. »

 Pourquoi les pécheurs, à cette heure terrible, cherchent-t-ils Dieu, mais en vain? Parce qu'ils le cherchent, non par amour, mais par crainte, par la seule crainte de l'enfer; ils le cherchent donc sans quitter l'affection au péché. Voilà le motif par lequel les pécheurs ne trouvent pas Dieu.

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le moment de la mort pour vous chercher. Dès maintenant je vous cherche et vous désire. Quelle tristesse j'éprouve d'avoir autrefois, par la poursuite de mes propres satisfactions, causé tant de déplaisirs à votre infinie bonté! Mais vous m'interdisez le désespoir; au contraire, vous commandez la joie au coeur qui vous cherche. « Que la joie inonde, avez-vous dit, le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur » (Ps 105/104, 3).

 Oui, Seigneur, je vous cherche et vous aime plus que moi-même.
 

 3. Malheur à celui qui se trouve en face de la mort sans avoir employé une bonne partie de sa vie à pleurer ses péchés!

 Sans doute, même alors il peut se convertir; je ne le nie pas; mais les ténèbres de l'esprit, l'endurcissement du coeur, les mauvaises habitudes profondément enracinées, les passions régnant en maîtresses, rendent la conversion moralement impossible. Il faudrait une grâce extraordinaire; mais Dieu serait-il par hasard, tenu de l'accorder à celui qui l'a payé d'ingratitude jusqu'à son dernier jour?

 Ô ciel! À quelle extrémité se réduisent les pécheurs, quand il s'agit de parer à leur ruine éternelle!

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le moment de la mort pour me repentir de vous avoir offensé; dès maintenant je vous aime de tout mon coeur. Ne permettez pas que je vous tourne le dos encore une fois; faites-moi plutôt mourir.

 Ô Marie, ma Mère, obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 
 

L'AGNEAU DE DIEU,
VICTIME VOLONTAIRE POUR NOUS OBTENIR LE PARDON

 

 1. « Voici l'Agneau de Dieu: Ecce Agnus Dei » (Jn 1, 29).

 C'est le nom donné par saint Jean-Baptiste à notre divin Sauveur. « Agneau de Dieu », il l'est: il offre à Dieu le sacrifice de son sang et de sa vie, pour nous obtenir le pardon et le salut éternel.

 Voyez-le dans le prétoire de Pilate; non seulement il se laisse dépouiller de tout, comme l'agneau de sa laine; mais il laisse déchirer sa chair sacrée par les fouets et les épines. « Il sera comme un agneau devant celui qui le tond, avait prédit Isaïe; il gardera le silence, il n'ouvrira pas même la bouche » (Es 53, 7). De fait, pas une parole ne sort de sa bouche, pas une plainte; car il s'est offert spontanément à solder par ses souffrances les supplices que nous avions mérités.

 Que les anges, que toutes les créatures bénissent, ô mon Rédempteur, votre infinie miséricorde envers nous, l'immense amour que vous avez daigné témoigner aux hommes! Nous avons commis les fautes, et c'est vous qui les expiez!
 

 2. Voyez-le, plus tard, sur la route du Calvaire. Il se laisse conduire par les bourreaux vers le lieu de son supplice, afin que, victime volontaire du grand holocauste, il accomplisse l'oeuvre de notre Rédemption. « Moi, je suis comme un agneau familier, avait-il dit lui-même par la bouche du prophète, comme un agneau familier qu'on mène à la boucherie » (Jr 11, 19).

 Dites-moi, ô mon Jésus, chargé de cette lourde croix, où portez-vous vos pas? Où vous conduisent ces hommes qui vous ont déjà si cruellement tourmenté? Vous me répondez: Ils me conduisent à la mort; je les suis, le coeur comblé de joie, parce que je vais mourir pour te sauver et te faire comprendre l'infinité de mon amour.

 Moi, Seigneur, comment vous ai-je prouvé l'amour que je vous devais? Hélas! Vous ne le savez que trop: par des injures et des outrages, par le mépris mille fois renouvelé de votre grâce et de votre amitié... Mais votre mort est mon espérance. Je me repens, ô mon Dieu, de vous avoir offensé; je me repens et je vous aime.
 

 3. À la vue d'un agneau conduit à la boucherie, saint François d'Assise ne pouvait retenir ses larmes: « Comme cet agneau qui va tomber sous le couteau, disait-il, ainsi mon innocent Jésus fut un jour conduit à la mort pour mon salut » (S. Bonaventure, Legenda Major, ch. 8, n. 6, DV 636).

 Mon Jésus, vous ne refusez pas d'immoler votre vie par amour pour moi; et moi, j'oserais vous refuser tout mon coeur? Car vous le réclamez tout entier: « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur » (Mt 22, 37). Mon Jésus, je vous le donne tout entier: vous aimer et vous aimer de tout mon coeur, c'est mon unique désir. Vous m'avez aimé sans réserve; sans réserve aussi je veux vous aimer. Je suis affligé de vous avoir offensé, ô divin Agneau; je me donne tout à vous. Acceptez-moi, mon Jésus; faites par votre grâce, que je vous sois fidèle.

 Ô Marie, Mère de mon Sauveur, faites par vos prières, que je sois tout à lui
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LE PRIX DU TEMPS
 

 1. Le temps est un trésor inestimable; car, à chaque minute, nous pouvons acquérir des trésors de grâce et de gloire éternelle.

 En enfer, qu'est-ce qui fait verser des larmes aux damnés? C'est la claire vision qu'il n'y a plus de temps pour eux, qu'il n'y a plus moyen de conjurer leur ruine éternelle. Les infortunés! De quel prix ne payeraient-ils pas une seule heure, qu'ils emploieraient à faire un acte de contrition, à changer leur triste destinée!

 Au ciel, on ne verse pas de larmes; mais si les élus pouvaient en verser, ce serait au souvenir du temps perdu: « En notre vie, gémiraient-ils, que d'instants inutilisés! Instants précieux dont nous aurions pu tirer profit pour mériter une plus grande gloire, instants qui ne reviendront jamais! »

 Mon Dieu, vous me donnez le temps de pleurer mes péchés et de réparer par mon amour les offenses que je vous ai faites: soyez-en mille fois remercié!
 

 2. Rien n'égale donc la valeur du temps.

 Mais comment se fait-il que, parmi les hommes, le temps soit la chose la plus méprisée? Celui-ci s'amuse à jouer, cinq, six heures par jour; celui-là, arrêté devant une fenêtre ou dans une rue, perd une bonne partie de la journée à regarder les passants. Leur demandez-vous ce qu'ils font? Ils répondent immanquablement: « Nous passons notre temps. »

 Ô temps si méprisé, c'est toi qu'ils désireront le plus, quand ils seront sur le point de mourir! Ils demanderont une heure seulement de ce temps si longuement gaspillé; ils s'offriront à faire n'importe quel sacrifice pour l'obtenir; mais ce sera trop tard! Pour toute réponse, ils recevront l'ordre de quitter la terre: « Pars de ce monde, âme chrétienne! Pars, il n'y a plus de temps pour toi! » (Rituel: Sacrement pour les malades. La Recommandation des mourants: « Maintenant tu peux quitter ce monde, âme chrétienne. Quitte-le. » 1977, 95). ? « Hélas! Diront-ils en gémissant, j'ai perdu ma vie! Durant les années que Dieu me prodigua, je pouvais me sanctifier, et je ne l'ai pas fait; maintenant, c'est trop tard! ? À quoi bon ces regrets, alors que le moribond touche à l'instant redoutable qui décidera de son éternité?
 

 3. « Marchez, pendant que vous avez la lumière » (Jn 12, 35), dit Notre Seigneur. « Car, dit-il encore, la nuit vient pendant laquelle personne ne peut travailler » (Jn 9,4) (TOB, note y. La durée de la vie et de l'activité d'un homme est souvent comparée à celle d'une journée de travail).

 Le  moment de la mort, c'est la nuit; on n'y voit plus, on n'est plus en état de rien faire. Aussi le Saint Esprit nous donne-t-il le salutaire avertissement de marcher par le chemin des commandements de Dieu, pendant que nous avons sa divine lumière et qu'il fait jour. Quoi! Nous voyons approcher le moment où va se trancher la grande question de notre éternité, et nous osons perdre notre temps! Hâtons-nous plutôt, tenons nos comtes prêts; car voici ce que dit encore Notre Seigneur, lui qui doit nous juger: « À l'heure que vous ne pensez pas, le Fils de l'homme viendra » (Lc 12, 40).

 Sans retard, ô mon Jésus, sans retard pardonnez-moi donc. Et qu'est-ce que j'attends?

 Serait-ce d'être d'abord jeté dans cette éternelle prison où je n'aurai d'autre ressource que de pleurer et de redire à jamais avec tous les damnés: « Il n'y a plus de temps, et nous ne sommes pas sauvés? » (Jr 8, 20). Non, Seigneur, je ne veux plus résister à vos appels pleins d'amour. Qui sait si cette méditation que je lis, n'est pas la dernière invitation que vous m'adressez? Je me repens, ô Bien suprême, de vous avoir offensé; je vous consacre le reste de mes jours. Je vous prie de m'accorder la sainte persévérance. Je ne veux plus vous causer aucun déplaisir; je veux vous aimer toujours.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, je mets en vous ma confiance.
 
 
 
 

TERREUR DES MORIBONDS À LA VUE DU JUGEMENT TOUT PROCHE
 

 1. « Je vais mourir bientôt, se dit le mourant épouvanté; bientôt je comparaîtrai devant le tribunal de Jésus Christ, mon Juge, pour lui rendre compte de toute ma vie. » Il est venu, le moment du grand passage: il faut passer de ce monde à l'autre, du temps à l'éternité.

 Alors rien ne le torture autant que la claire vision de ses péchés.

 Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, pendant sa dernière maladie, pensait au jugement: elle tremblait. « Soyez sans crainte » lui dit le confesseur. « Mon Père, répondit-elle, que c'est terrible d'avoir à comparaître devant Jésus Christ, devenu mon Juge! » (V. Puccini, Vita della ven. Suor M. Maddalena de' Pazzi, P 1, c. 73; Florence 1611, 104). Ainsi parlait cette vierge, qui fut sainte dès l'enfance; que dira celui qui, tant de fois, a mérité l'enfer?
 

 2. Après de longues années de pénitence, l'abbé Agathon tremblait encore et s'écriait: « Au jour du jugement, qu'en sera-t-il de moi? » (Vie des Pères, Paroles d'Anciens, Agathon, liv. 3, n. 161; PL 73, 793). Comment donc ne tremblerait-il pas, le chrétien qui s'est rendu coupable de nombreux péchés mortels et n'en a pas fait pénitence? Bon gré mal gré, à l'approche de la mort, le souvenir des péchés, la rigueur des jugements de Dieu, l'incertitude de la sentence qui sera portée, produiront dans son âme une affreuse tempête de troubles et d'angoisses. Hâtons-nous donc d'embrasser les pieds de Jésus Christ; assurons-nous notre pardon avant l'échéance du redoutable jour des comptes.

 Ah! Mon Jésus, mon Rédempteur, mais aussi mon Juge, ayez pitié de moi, avant que soit arrivé le jour de votre justice. Voyez à vos pieds le traître qui, tant de fois, vous promit fidélité, et puis, vous tourna le dos. Non, mon Dieu, vous ne méritiez pas d'être traité comme je vous ai traité. Pardonnez-moi; je veux sincèrement changer de vie. Je me repens, ô Bien suprême, de vous avoir méprisé; ayez pitié de moi.
 

 3. Alors, la grande affaire de notre salut éternel est sur le point de se décider: décision redoutable qui va nous proclamer sauvés ou damnés pour toujours, heureux ou malheureux à jamais.

 Tout le monde sait, tout le monde le dit: « C'est la vérité. » Mais, si c'est la vérité, pourquoi tout le monde ne renonce-t-il pas à tout pour ne plus s'occuper que de se sanctifier et d'assurer son salut éternel?

 Mon Dieu, je vous remercie des lumières que vous me donnez. Mon Jésus, souvenez-vous que vous êtes mort pour me sauver. Faites-moi la grâce de vous trouver apaisé, quand je vous verrai pour la première fois. Par le passé, j'ai méprisé votre amitié, maintenant je la mets au-dessus de tous les biens. Je vous aime, ô Bonté infinie, et, parce que je vous aime, je suis affligé de vous avoir offensé. Par le passé, je vous ai délaissé; maintenant, je vous désire et vous cherche; faites que je vous trouve, ô Dieu de mon âme!

 Marie, ma Mère, recommandez-moi à Jésus.
 
 
 
 
 

LE FEU DE L'ENFER

(Cette méditation rappelle d'une certaine façon un semblable de C. A. Cattaneo, Esercizi spirituali, med. 3 dell'inferno, Venise 1735, 100-101).
 

 1. Un abîme de feu, dans lequel les malheureux damnés subissent et subiront à jamais le plus cruel supplice: voilà sans doute possible ce qu'est l'enfer.

 Sur la terre, déjà, il n'est pas de supplice plus terrible, plus douloureux que celui du feu. Bien plus puissant sera l'énergie du feu de l'enfer pour torturer ses victimes: Dieu l'a créé tout exprès pour être le bourreau (Mt 25, 41). Telle sera la sentence des réprouvés.

 Pourquoi, dans la sentence de condamnation, cette mention spéciale du feu? Parce que, de tous les supplices endurés par les sens du damné, le feu constitue le plus grand.

 Ô mon Dieu, depuis combien d'années n'ai-je pas mérité de brûler dans ce feu! Vous m'avez attendu; pourquoi? Pour me voir brûler, non pas de ce feu terrifiant, mais du feu si doux de votre amour. Oui, je vous aime, ô mon souverain Bien; je veux vous aimer éternellement.
 

 2. En ce monde, le feu tourmente les corps à l'extérieur; il ne les pénètre pas. Dans l'enfer, le feu pénètre les damnés pour les tourmenter à l'intérieur comme à l'extérieur. « Vous les rendrez comme une fournaise ardente » (Ps 21/20, 10), dit à Dieu le prophète. Qu'arrivera-t-il donc à ces fournaises ardentes? Leur coeur brûlera dans leur poitrine, leurs entrailles dans leur ventre, leur cerveau dans leur tête, leur sang dans leurs veines, tout brûlera, même la moelle de leurs os.

 Ô pécheurs; que pensez-vous de ce feu? Vous qui ne pouvez souffrir une étincelle échappée par hasard d'un foyer, vous qu'une chambre surchauffée incommode, vous, à qui un rayon de soleil donne la migraine, comment pourrez-vous supporter d'être plongés dans cet océan de feu, où vous souffrirez une continuelle mort, sans mourir jamais.

 Ah! Mon Rédempteur, qu'il ne soit pas perdu pour moi, le Sang que vous avez répandu par amour pour moi! Donnez-moi la douleur de mes péchés; donnez-moi votre saint amour?
 

 3. « Qui de vous, interroge le prophète, sera capable de séjourner dans le feu dévorant? » (Es 33, 14) (TOB, note n. En réalité le feu dévorant est dans le contexte symbole de la présence du Seigneur qui va se manifester contre les impies).

 Comme une bête féroce dévore un chevreau, ainsi le feu de l'enfer dévore le damné; il le dévore sans cesse, mais sans jamais le faire mourir.

 « Continue, s'écrie saint Pierre Damien, continue, pécheur; continue, voluptueux, à satisfaire ta chair. Le jour approche où toutes tes impuretés se changeront en une poix bouillante; elles ne serviront qu'à nourrir, à rendre plus vives et plus cruelles les flammes qui te tourmenteront pendant l'éternité ». (S. Pierre Damien, Le célibat des prêtres, ch. 3; PL 145, 385).

 Ô  mon Dieu, que j'ai méprisé et que j'ai perdu, pardonnez-moi; ne permettez pas que je vous perde encore. Je suis affligé plus que de tout mal de vous avoir offensé. Recevez-moi dans votre grâce, maintenant que je vous promets de vous aimer et de n'aimer que vous.

 Très sainte Marie, délivrez-moi de l'enfer.
 
 
 
 

NÉANT DES BIENS DE CE MONDE
 

 1. « Qu'est-ce que votre vie? Une vapeur qui paraît un instant et s'évanouit ensuite » (Jc 4, 14).

 Les vapeurs qui s'élèvent de la terre et baignent dans les rayons du soleil, présentent parfois un bel aspect; mais au moindre souffle du vent, tout se dissipe, tout s'évanouit. C'est l'image des grandeurs de ce monde. Tel seigneur est aujourd'hui redouté, flatté, entouré d'hommages par la foule: la mort le frappe-t-elle demain? Dès demain, on n'aura plus pour lui que mépris et malédictions. Oui, la mort est la fin de tout; honneurs, richesses, plaisirs.

 Je vous en supplie, ô mon Dieu! Faites-moi connaître quel bien immense vous êtes, afin que je vous aimer et rien que vous.
 

 2. La mort dépouille l'homme de tout ce qu'il possède; elle ne lui laisse rien. Voyez ce riche qu'on porte, après sa mort, hors de son palais: quel triste spectacle! Il n'y rentrera pas. D'autres viendront prendre possession de tout ce qui lui appartenait, trésors et domaines. Les serviteurs l'accompagnent jusqu'à la tombe, et se hâtent de l'abandonner en pâture aux vers. Personne ne l'estime plus, plus un seul flatteur! Hier, sur un signe de lui, tous obéissaient; aujourd'hui, on ne tient nul compte de ses ordres.

 Que je suis malheureux d'avoir couru si longtemps après les vanités du monde et de vous avoir fui, ô Bien infini! Désormais, vous serez mon Dieu, mon unique richesse, mon unique amour.
 

 3. « Pourquoi s'enorgueillit ce qui est poussière et cendre? » (Si 10, 9).

 Ô homme, dit le Seigneur, ne vois-tu pas que, bientôt, tu ne seras que poussière et cendre? Cependant, vers quoi tournes-tu ton esprit et ton coeur? Considère qu'avant peu la mort te dépouillera de tout et te bannira de ce monde; puis, il te faudra rendre compte de toute ta vie. Si tu te trouves alors en défaut, quel sera ton sort pendant l'éternité?

 Ah! Mon Dieu, je vous remercie. Vous m'avertissez, parce que vous voulez me sauver. Vous m'ouvrez le sein de vos miséricordes. Vous avez promis le pardon au pécheur qui se repent; de tout mon coeur je me repens; pardonnez-moi donc. Vous avez promis d'aimer qui vous aime. Je vous aime plus que toute chose; aimez-moi donc. Ne me haïssez plus comme je l'ai mérité.

 Ô Marie, mon Avocate, votre protection est mon espérance.
 
 
  

LE NOMBRE DES PÉCHÉS

(Pour la question débattue du nombre et de la mesure des péchés nous renvoyons au volume 9 de l'édition critique italienne: S. Alfonso, Opere ascetiche. Roma 1965, 175-176. S. Alphonse, guidé par une prudente intuition pastorale, commençait d'abord par prêcher la mesure des grâces, puis après montrait aux pécheurs l'infinie miséricorde de Dieu, appliquant en cela une pédagogie à l'opposé de celle du démon qui, avant la faute insuffle la confiance et ensuite pousse au désespoir. Jamais néanmoins saint Alphonse ne s'est risqué à formuler la théorie qui refuse toute grâce au pécheur après un nombre déterminé de fautes. Au contraire il se fit l'adversaire de cette position pour qu'à la première occasion s'établisse un climat de confiance filiale envers le coeur paternel de Dieu. On lui a attribué à tort des propositions qui ne sont jamais sorties de sa plume).
 

 1. De même que le Seigneur a fixé pour chacun la mesure des talents, des biens temporels et des années de vie qu'il veut lui accorder, ainsi a-t-il déterminé pour chacun le nombre de péchés qu'il consent à lui pardonner. Ce nombre une fois atteint, c'est le châtiment impitoyable; il n'y a plus de pardon. Tel est l'enseignement de saint Basile, de saint Jérôme, de saint Ambroise, de saint Augustin et de beaucoup d'autres.

 « Tant que le pécheur, dit saint Augustin, n'a pas comblé la mesure fixée par Dieu, Dieu le supporte; mais, une fois la mesure comble, il n'y a plus de pardon pour lui ». (S. Augustin, La vie chrétienne, ch. 4; PL 40, 1035).

 Mon Dieu, je vois que, dans le passé, j'ai par trop exaspéré votre patience; mais je vois aussi que vous ne m'avez pas encore abandonné, puisque j'ai la douleur de vous avoir offensé et que cette douleur est un signe que vous m'aimez encore. Seigneur, je ne veux pas vous offenser davantage. Ayez pitié de moi, ne me délaissez pas.
 

 2. « Le Seigneur, pour punir les nations, attend avec patience qu'elles aient comblé la mesure de leurs iniquités: c'est alors l'heure du jugement » (2 Mac 6, 14).

 Ainsi pour le pécheur: Dieu prend patience et attend jusqu'au jour où la mesure de ses péchés sera comble. Alors il n'attend plus, il châtie impitoyablement.

 Ah! Seigneur, attendez, ne m'abandonnez pas encore; car j'espère, avec votre secours, ne plus provoquer votre indignation. Je me repens, ô Bonté infinie, de vous avoir offensée; je vous promets de ne plus vous trahir. Maintenant je préfère votre amitié à tous les biens du monde.
 

 3. Nous péchons et nous ne prenons pas garde au poids toujours croissant de nos iniquités. Ah! Tremblons: craignons que notre sort ne soit finalement celui du roi Balthazar: « Tu as été pesé dans la balance, lui fut-il dit, et tu as été trouvé trop léger » (Dn 5, 27).

?Qu'importe, suggère le démon, dix ou bien onze péchés?

 N'écoutez pas ce menteur; il vous trompe. Un péché de plus augmente le poids et fait d'autant plus pencher la balance de la divine Justice. Elle finira par se trouver en bas: vous serez passibles de l'enfer. Mon cher frère, si vous ne vivez pas dans la crainte qu'un nouveau péché mortel, s'ajoutant à ceux que vous avez déjà commis, ne vous ferme le sein de la divine miséricorde; si cette pensée ne vous fait pas trembler, vous vous damnerez facilement.

 Mon Dieu, vous m'avez trop longtemps supporté; non, je ne veux plus abuser de votre bonté. Soyez béni de m'avoir attendu jusqu'à ce jour. Il suffit que je vous aie perdu, hélas! Tant de fois! Je ne veux plus vous perdre à l'avenir. Puisque vous ne m'avez pas encore abandonné, faites vous-même que je vous trouve. Je vous aime, mon Jésus; de tout mon coeur je me repens de vous avoir tourné le dos. Non, je ne veux plus vous perdre; aidez-moi de votre grâce.

 Vous aussi, ô Marie, ma Reine et ma Mère, aidez-moi; priez pour moi.
 
 
 
 
 

FOLIE DE L'HOMME QUI VIT DANS LA DISGRÂCE DE DIEU
 

 1. Les saints sur la terre méprisent les honneurs, les richesses, plaisirs des sens; ils se complaisent dans la pauvreté, les mépris, la pénitence; les pécheurs les considèrent et les traitent comme des insensés. Mais le grand jour du jugement final viendra; leur langage, alors, sera tout autre: « Nous avons traité de folie la vie des saints : les insensés, c'était nous! » (Sg 5, 4).

 Est-il, en effet, plus grande démence que de vivre sans Dieu? N'est-ce pas se condamner à traîner ici-bas une vie malheureuse, pour tomber dans une autre incomparablement plus malheureuse, en enfer?

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le jour du jugement, pour reconnaître ma folie; dès maintenant je la proclame: par mes offenses, ô mon souverain Bien, je me suis conduit envers vous comme un misérable insensé. « Mon Père, je ne mérite plus d'être appelé votre fils » (Lc 15, 21).

 Je ne suis pas digne d'obtenir mon pardon; mais ce pardon, je l'espère par le Sang précieux que vous avez répandu sur moi. Mon Jésus, je me repens de vous avoir méprisé; je vous aime plus que toutes choses.
 

 2. Pauvres pécheurs! Les passions les aveuglent tellement qu'ils en perdent le simple bon sens.

 Que dirait-on, en effet, d'un homme qui vendrait un royaume pour une obole? Que dire, par conséquent, de l'homme qui, pour un plaisir, pour une fumée, pour un caprice, vend le ciel, vend la grâce de Dieu? Tel est l'aveuglement des pécheurs: ils ne pensent qu'à la vie présente qui doit bientôt finir; quant à celle qui ne finira jamais, ils agissent comme s'ils voulaient la passer en enfer.

 Ah! Mon Dieu, ne permettez pas que je reste aveugle plus longtemps: je n'ai que trop couru, dans le passé, après la satisfaction de mes mauvais penchants; je vous ai trop méprisé, vous le Bien infini. Maintenant je déteste toutes mes iniquités et je vous aime plus que toute chose.
 

 3. Infortunés mondains! Ils déploreront leur folie un jour; mais quand? Hélas! Quand il n'y aura plus de remède à leur malheur. « À quoi nous a servi l'orgueil? ? gémiront-ils ? Que nous a rapporté la richesse avec la jactance? Tout a passé comme une ombre » (Sg 5, 8-9). En effet, pareils à des ombres rapides, tous leurs plaisirs se seront évanouis; de leurs honneurs et de leurs richesses, ils ne retireront que des supplices et des pleurs éternels.

 Mon Jésus, ayez pitié de moi. Je vous ai misérablement oublié; mais vous, vous ne m'avez pas oublié, je le vois. Je vous aime, ô mon Amour, de toute mon âme; plus que tout autre mal je déteste mes offenses. Pardonnez-moi, ô mon Dieu; oubliez toutes les peines que je vous ai faites. Vous connaissez ma faiblesse: ne m'abandonnez donc pas. Donnez-moi la force de surmonter, pour vous faire plaisir, toute difficulté.

 Ô Marie, Mère de Dieu, je place en vous toutes mes espérances.
 
 
 
 
 

LES BLESSURES DE JÉSUS CHRIST BLESSENT NOS COEURS D'AMOUR
 

 1. Saint Bonaventure veut nous faire comprendre les merveilleux effets que produit habituellement la contemplation des plaies de Jésus Christ. Il s'écrie: « Les blessures dont mon Jésus est couvert, de la tête aux pieds, attendrissent les coeurs les plus durs, enflamment d'amour les âmes les plus glacées ». (S. Bonaventure, L'aiguillon de l'amour, P. 1, ch. 1, Vivès, tome 12, 635).

 De fait, est-il possible de croire au mystère d'un Dieu, librement et de son plein gré souffleté, flagellé, couronné d'épines, mourant, enfin, sur la croix, par amour pour nous, sans lui rendre amour pour amour? Cependant, quelle n'est pas à son égard notre ingratitude? Comme l'on comprend que saint François ait parcouru la campagne en pleurant et en redisant: « L'amour n'est pas aimé! L'amour n'est pas aimé! » (A. de Torres, Gesù Bambino, rag. 8, Naples 1731, 100).

 Mon Jésus, je suis, moi, l'un de ces ingrats. Depuis tant d'années que je vis ici-bas, je ne vous ai jamais aimé. Vais-je continuer, maintenant, de vous payer d'ingratitude? Non, ô mon divin Rédempteur. Avant de mourir, je veux vous aimer, je veux me donner tout à vous; ayez pitié de moi; daignez m'accueillir et m'aider.
 

 2. « Regardez, chante la sainte Église, en nous montrant Jésus Christ mort sur la croix, voyez comme tout en lui respire l'amour, inspire l'amour: sa tête inclinée, ses bras étendus, son côté percé ». (Breviaire Romain, le vendredi après le dimanche de la Passion, Office de la B. V. M. des Sept Douleurs. Matines: Répons 1). Ô hommes, considérez donc votre Dieu mort par amour pour vous: remarquez qu'il a les bras ouverts pour vous embrasser, la tête penchée pour vous donner le baiser de paix, le côté transpercé pour vous donner asile dans son coeur, si, toutefois, vous voulez l'aimer.

 Oui, je veux vous aimer, ô Jésus, mon Trésor, mon Amour, mon Tout. Qui donc voudrais-je aimer, si je n'aime pas un Dieu mort par amour pour moi?
 

 3. « La charité du Christ nous presse » (2 Co 5, 14).
 Vous êtes mort, ô mon divin Rédempteur, par amour pour les hommes. Pourquoi les hommes ne vous rendent-ils pas amour pour amour? Parce qu'ils passent leur vie sans penser à la mort que vous avez endurée pour les sauver. S'ils y pensaient, nul doute qu'ils ne pourraient vivre sans vous aimer. « Savoir que Jésus Christ, vrai Dieu, nous a aimés jusqu'à souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, cela, dit saint François de Sales, cela n'est-ce pas avoir nos coeurs sous le pressoir, les sentir presser de force, en sentir exprimer de l'amour par une contrainte d'autant plus forte, qu'elle est plus aimable? » (S. François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, liv. 7, ch. 8, AN tome 5, 33; RVP 687). C'est précisément de cette douce contrainte, exercée sur nos coeurs par l'amour de Jésus Christ, que saint Paul parle, quand il dit: « L'amour que Jésus Christ nous a témoigné, nous presse, nous force à l'aimer. »

 Mon bien-aimé Seigneur, par le passé, je vous ai méprisé; maintenant je vous préfère à tout, je vous aime plus que ma vie. Ma douleur la plus vive est celle que j'éprouve au souvenir de tous les déplaisirs que je vous ai causés, ô mon Amour! De grâce, ô mon Jésus, pardonnez-moi; attirez à vous mon coeur tout entier, afin que, désormais, je ne désire que vous, ne cherche que vous, ne soupire qu'après vous.

 Ô Marie, ma Mère, prêtez-moi votre secours pour aimer Jésus.
 
 
 
 

LA GRANDE AFFAIRE DE NOTRE SALUT
 

 1. L'affaire du salut éternel est pour nous la plus importante de toutes les affaires. Pourtant, en fait, avec quel soin la traitons-nous?

 Pour assurer le succès d'un projet temporel, quelle diligence déployée! Pour obtenir telle place, gagner tel procès, conclure tel mariage, que de conseils sollicités, que de précautions prises! L'on en perd l'appétit et le sommeil! Par contre, pour assurer son salut éternel, que fait-on? Rien, moins que rien, puisqu'on fait tout pour perdre son âme; comme si l'enfer, le ciel, l'éternité, étaient, non des vérités de foi, mais des fables et des mensonges.

 Ah! Mon Dieu, éclairez-moi de votre lumière; ne permettez pas que je continue, comme par le passé, à vivre en aveugle.
 

 2. Une maison a-t-elle subi quelque dégât? Vite on y remédie. Un bijou s'est-il égaré? Tout est mis sens dessus-dessous pour le retrouver. Perd-on son âme, perd-on la grâce de Dieu? L'on persiste à dormir, à rire comme si de rien n'était. D'un côté, sollicitude infinie pour les biens temporels; de l'autre, négligence extrême pour le salut éternel! « Heureux, dites-vous, ceux qui se sont détachés de tout pour l'amour de Dieu! » Vous n'en demeurez pas moins attachés aux choses de la terre.

 Vous avez pris un tel soin, ô mon Jésus, de mon salut, que vous avez donné votre sang et votre vie pour l'assurer. Moi, j'ai fait si peu de cas de votre grâce, que je l'ai méprisée et perdue pour des riens. Je me repens, Seigneur, de vous avoir infligé pareil outrage. Loin de mon coeur, désormais, tous les biens terrestres! Je veux m'appliquer uniquement à vous aimer, vous, mon Dieu! Dieu digne d'un amour infini!
 

 3. Pour sauver nos âmes, le Fils de Dieu donna sa vie; pour les perdre, le démon fait tout au monde. Nous pour nous sauver, que faisons-nous? Rien. Nous sommes la négligence même.

 « Insensé, disait saint Philippe de Néri, celui qui ne s'applique pas à sauver son âme! » (G. Bacci, Vita di San Filippo Neri Fiorentino, liv. 2, ch. 1: « Celui qui pense être sage sans la vraie sagesse ou sauvé sans l'aide du Sauveur, n'est pas raisonnable, mais anormal, pas sage mais fou. » La traduction française ne donne qu'un résumé du texte italien où la phrase ci-dessus ne figure pas). Ranimons notre foi. Qu'après cette courte vie, nous attende une autre vie, éternellement heureuse, éternellement malheureuse, c'est une certitude absolue. Dieu lui-même nous l'enseigne: « Devant les hommes sont la vie et la mort, le bien et le mal; ce qu'il aura choisi, lui sera donné » (Si 15, 17). Choisissons; mais ne faisons pas le choix qui nous forcerait à nous repentir éternellement.

 Mon Dieu, faites-moi comprendre quelle grave injure je vous ai faite en vous offensant, en vous abandonnant pour courir après les créatures. De toute mon âme, je me repens de vous avoir méprisé, vous, le souverain Bien. Maintenant je reviens à vous, ne me repoussez pas. Je vous aime plus que toute chose: à l'avenir je veux tout perdre plutôt que de perdre votre grâce. Au nom de l'amour que vous me portiez en mourant pour moi, secourez-moi toujours, ne m'abandonnez jamais.

 Ô Marie, Mère de Dieu, soyez mon Avocate.
 
 
 
 
 

POUR BIEN MOURIR, IL FAUT PENSER À LA MORT
 

 1. Les mondains sont très attentifs à chasser la pensée de la mort, comme si, pour échapper à la mort, il suffisait de ne pas y penser. Mais, hélas! En fuyant la pensée de la mort, que font-ils, sinon se mettre en un plus grand danger de faire une mauvaise mort?

 Il n'y a pas de remède contre la mort: tôt ou tard il faut mourir, et, chose qui doit être souverainement prise en considération, on ne meurt qu'une fois; mourir mal cette unique fois, c'est mourir mal pour toujours.

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de la lumière que vous me donnez. Je n'ai que trop perdu d'années jusqu'ici! Tout le reste de ma vie, je veux vous le consacrer. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse: je n'ai qu'une ambition, vous plaire en tout.
 

 2. Quand les saints fuyaient le monde, s'enfonçaient dans les déserts pour s'assurer une bonne mort, ils n'emportaient avec eux que l'un ou l'autre livre spirituel, et une tête de mort. À la vue de cette tête de mort, ils se redisaient sans cesse: « Mon corps ressemblera bientôt à ces os desséchés; mais mon âme, où sera-t-elle alors? » (Vie des Pères, SS. Balaam et Josaphat, liv. 1, ch. 23; PL 73, 531). Aussi, tous leurs efforts tendaient-ils à l'acquisition des biens, non de la vie présente qui passe, mais de la vie qui ne passe pas.

 Seigneur, je vous remercie de ne m'avoir pas fait mourir quand j'étais en état de péché. Je me repens de vous avoir offensé; j'espère obtenir mon pardon par les mérites de votre sang. Mon Jésus, je veux me détacher de tout et faire tout ce que je puis pour vous contenter.
 

 3. Sur le point de mourir, un saint ermite laissait éclater sa joie. On lui demanda la raison de cette surprenante allégresse: « J'ai toujours eu la mort devant les yeux, répondit-il; maintenant que je la vois arriver, elle ne m'épouvante pas ». (G. Campadelli, Sermoni sacri morali, disc. 23 post Pent. Venise 1751, 553. Cet auteur était apprécié de saint Alphonse qui emporta le livre avec lui quand il fut nommé évêque de Sainte-Agathe-des-Goths). À ceux qui, pendant leur vie, n'ont cherché que la satisfaction de leurs mauvais penchants, sans s'occuper de leur fin dernière, la mort apporte l'effroi; mais elle n'offre rien d'effrayant à ceux qui, gardant toute leur vie la pensée de la mort, ont méprisé les biens terrestres et se sont efforcés de n'aimer que Dieu.

 Mon bien-aimé Sauveur, je vois que ma mort approche; je vois non moins clairement que je n'ai jamais rien fait pour vous, qui êtes mort pour moi. Non! Il n'en sera pas toujours ainsi. Je veux vous aimer ardemment avant de mourir, ô Dieu digne d'un amour infini! Par le passé, je n'ai fait que vous déshonorer par mes offenses: je m'en repens de tout mon coeur; je veux désormais vous honorer en vous aimant de toutes mes forces. Éclairez-moi, donnez-moi le courage d'accomplir ma résolution. Vous voulez que je sois tout à vous: tout à vous je veux être. Prêtez-moi toujours aide et secours. J'espère en vous.

 Ô Marie, ma Mère et mon Espérance, je me confie aussi en vous.
 
 
 
 

PAR LE PÉCHÉ, L'HOMME SE DÉTOURNE DE DIEU
 

 1. Qu'est-ce que le péché mortel? Saint Augustin et saint Thomas répondent: « Aversio o Deo: l'acte par lequel on se détourne de Dieu, l'acte par lequel on tourne le dos à Dieu » (S. Thomas d'Aquin, 1-2, q. 87, a. 4; RJ, Le péché 3, trad. R. Bernard, 187, S.Augustin, Du libre arbitre, liv. 2, ch. 19; PL 32, 1269; BA, 6, 317), délaissant le Créateur pour lui préférer la créature. Quel châtiment ne mériterait pas un sujet qui, recevant un ordre de son roi, lui tournerait le dos, avec un mépris profond de son autorité, pour aller transgresser l'ordre intimé? Telle est la conduite du pécheur, tel est le crime puni dans l'enfer par la peine du dam, c'est-à-dire de la privation de Dieu: juste châtiment de celui qui, délibérément, a tourné le dos à Dieu.

 Que de fois, mon Dieu, ce crime de vous tourner le dos, ne l'ai-je pas commis! Pourtant, je vois que vous ne m'avez pas abandonné; je vois que vous me cherchez encore et que vous m'offrez le pardon en m'invitant au repentir. Oui, Seigneur, je suis affligé plus que de tout mal de vous avoir offensé; ayez pitié de moi.
 

 2. « Jérusalem, Jérusalem, dit le Seigneur, tu m'as abandonné, pour te retirer en arrière » (Jr 15, 6).

 C'est le reproche que Dieu fait au pécheur sur le ton de la crainte: « Ingrat, lui dit-il, tu m'as abandonné. Jamais je ne t'aurais laissé, moi, si, le premier, tu ne m'avais tourné le dos. » Ô ciel! Quelle épouvante s'emparera du pécheur, lorsque, sur le point d'entendre la sentence du souverain Juge assis au redoutable tribunal, il lui faudra d'abord entendre ces paroles de trop juste indignation!

 Ces terribles paroles, ô mon Sauveur, vous me les adressez maintenant, non pour me condamner, mais pour me porter au repentir de toutes mes offenses. Mon Jésus, je suis très affligé de tous les déplaisirs que je vous ai causés. Pour de misérables satisfactions, je vous ai quitté, vous le Bien infini! Mais voici que, contrit et humilié, je reviens à vous, mon Dieu: ne me repoussez pas!
 

 3. « Pourquoi mourriez-vous, maison d'Israël... revenez à moi, et vivez » (Ez 18, 31-32).

 Ô hommes, dit Jésus Christ, je suis mort pour vous sauver. Et vous, pourquoi voulez-vous par le péché vous condamner à une mort éternelle? Revenez à moi, vous recouvrerez ainsi la vie de la grâce.

 Jamais, ô mon Jésus, je n'aurais la hardiesse de vous demander miséricorde, si je ne savais que vous êtes mort pour me pardonner. Hélas! Que de fois j'ai méprisé votre grâce et votre amour! Ah! Que ne suis-je mort plutôt que de vous faire cette grave injure! Vous qui m'avez cherché dans le temps même que je vous offensais, vous ne me repousserez pas maintenant que je vous aime et ne cherche que vous seul. « Deus meus et omnia: Mon Dieu, mon tout »; ne me laissez pas tomber dans mon ingratitude passée.

 Ô Marie, ma Reine et ma Mère, obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 
 

MISÉRICORDIEUX APPELS DE DIEU POUR RAMENER LE PÉCHEUR
 

 1. « Adam, où es-tu? » (Gn 3, 9).

 Parole d'un père, remarque un interprète, paroles d'un père à la recherche du fils qu'il vient de perdre.

 Elle est vraiment sans bornes, la miséricorde de notre Dieu! Adam pèche, il tourne le dos à Dieu. Dieu ne l'abandonne pas; bien plus, il se met à sa recherche: « Adam, mon fils, lui crie-t-il, où es-tu? Hélas! Je t'ai perdu, je te cherche partout ».

 Que de fois, ô mon âme, n'as-tu pas fait l'expérience de cette miséricorde divine! Par le péché, tu as délaissé ton Dieu; mais lui n'a pas cessé de te chercher. Lumières intérieures, remords de conscience, saintes inspirations, il a tout employé: c'étaient autant d'appels de miséricorde et d'amour.

 Ô Dieu de miséricorde et d'amour, comment ai-je pu vous offenser si gravement, vous montrer tant d'ingratitude?
 

 2. Comme un père, à la vue d'un fils sur le point de se jeter dans un précipice, s'élance avec des cris de douleur pour le retenir et le préserver de la mort, ainsi, mon Dieu, vous êtes-vous conduit envers moi. Par le chemin du péché multiplié, j'allais me précipiter en enfer: vous m'avez arrêté. Je vois clairement, mon bien-aimé Seigneur, l'amour que vous m'avez témoigné, j'espère aller au ciel « chanter à jamais vos miséricordes: Misericordias Domini in aeternum cantabo » (Ps 89/88, 2).

 Oui, je le sais, ô mon Jésus, vous voulez me sauver. Mais j'ignore si vous m'avez pardonné. De grâce, donnez-moi une grande douleur de mes péchés, donnez-moi un grand amour pour vous! Que ce soient là les signes de votre pardon accordé!
 

 3. Mais, ô mon Sauveur, comment puis-je craindre que vous me refusiez votre pardon, puisque vous-même me l'offrez et que vous m'ouvrez les bras pour me presser sur votre coeur, si je reviens à vous? Oui, je reviens à vous, pénétré de regret et vivement touché de voir qu'après tant d'offenses reçues de moi, vous m'aimez encore! Que ne vous ai-je jamais contristé, ô mon souverain Bien! De tout mon coeur, je me repens. Pardonnez-moi, ô mon Jésus; je ne veux plus vous causer le moindre déplaisir. Je ne me contente pas du pardon, daignez le remarquer; je veux en outre que vous me donniez un grand amour pour vous. Trop souvent, jusqu'ici, j'ai mérité de brûler dans le feu de l'enfer, je veux désormais brûler du feu de votre amour. Je vous aime, mon Amour; je vous aime, ma Vie, mon Trésor, mon Tout!

 Ô Marie, ma Protectrice, faites que je sois fidèle à Dieu jusqu'à la mort.
 
 
 
 

L'ÂME DEVANT LE TRIBUNAL DE JÉSUS CHRIST
 

 1. On a vu des criminels saisis d'une telle frayeur, au moment de leur comparution devant les Juges, qu'ils tremblaient de tous leurs membres et qu'une sueur froide les couvrait de la tête aux pieds. Pourtant, ils espéraient encore qu'on ne pourrait pas prouver leurs crimes, ou que les magistrats, d'eux-mêmes, adouciraient les peines méritées.

 Mais, ô ciel, qui dira jamais la terreur de l'âme coupable comparaissant au tribunal de Jésus Christ? Jésus Christ, c'est le Juge suprême, le Juge qui porte des sentences en toute rigueur de justice, le Juge à qui rien n'est caché. « Je suis moi-même, lui dira-t-il alors, le Juge et le témoin » (Jr 29, 23). J'ai vu toutes les injures que tu m'as faites...

 Mon Jésus, si l'heure de mon jugement avait déjà sonné, c'est avec cette rigueur que vous m'auriez traité! Mais maintenant, je vous entends dire que, si je me repens de vous avoir offensé, vous oublierez tous mes torts envers vous: « Je ne me souviendrai plus d'aucune de ses iniquités » (Ez 18, 22).
 

 2. C'est le sentiment des docteurs que le jugement particulier se tient à l'endroit même où l'âme se sépare du corps et qu'au moment précis où l'homme expire, se décide la question de son éternité, heureuse ou malheureuse.

 Si l'âme a le malheur d'être en état de péché mortel, que répondra-t-elle à Jésus Christ, lorsqu'il fera passer sous ses yeux, en un clin d'oeil, toutes les miséricordes, toutes les années, toutes les invitations, tous les autres moyens prodigués pour la sauver?

 Jésus, mon Rédempteur, vous condamnez les pécheurs obstinés, mais non pas ceux qui vous aiment et se repentent de vous avoir offensé. Je suis pécheur, mais je vous aime plus que moi-même, et je suis souverainement affligé de vous avoir causé du déplaisir. Je vous en supplie, pardonnez-moi avant que vous ayez à me juger.
 

 3. « À l'heure que vous ne pensez pas, le Fils de l'homme viendra » (Luc 12, 40).

 Ô Mon Jésus! Ô mon divin Juge! Quand, après ma mort, je comparaîtrai devant vous, vos plaies sacrées seront pour moi, sans doute, un sujet d'effroi, car elles me reprocheront mon ingratitude envers cet immense amour qui vous fit souffrir et mourir pour me sauver; maintenant, elles me remplissent de courage et me donnent l'espoir d'être pardonné par vous, mon Rédempteur! N'est-ce pas pour n'avoir pas à me condamner que vous avez voulu délibérément être couvert de plaies et crucifié pour mon amour? « Venez donc au secours de vos serviteurs que vous avez rachetés par votre précieux sang ». (Hymne: Te Deum). De grâce, ô mon Jésus, ayez pitié de l'une de ces brebis pour lesquelles vous avez répandu votre Sang adorable. Autrefois, je vous ai méprisé; maintenant j'estime plus que toutes choses vos infinies perfections, et je vous aime plus que toutes choses. Faites-moi connaître les moyens que je dois prendre pour me sauver; donnez-moi la force d'accomplir en tout votre volonté! Loin de moi le malheur d'abuser de votre bonté! Vous m'avez enchaîné par vos bienfaits: je ne puis plus vivre loin de vous et sans vous aimer.

 Ô Marie, Mère de miséricorde, ayez compassion de moi.
 
 
 
 

VIE MALHEUREUSE DU PÉCHEUR
 

 1. « Il n'y a point de paix pour les impies, dit le Seigneur » (Es 48, 22).

 La grande ruse employée par le démon pour séduire les pauvres pécheurs, c'est de leur faire croire que la jouissance de tel plaisir, l'assouvissement de tel désir de vengeance, la possession de tel bien pris au prochain, leur apporteront le bonheur et la paix; mais il arrive tout le contraire: après le péché, l'âme est plus inquiète et plus tourmentée qu'auparavant.

 Créés pour cette terre, seuls, les animaux trouvent satisfaction complète dans les jouissances terrestres; mais l'homme est créé pour posséder Dieu: par conséquent, toutes les créatures ensemble sont incapables d'apaiser sa soif de bonheur. Dieu seul peut le contenter.

 Ah! Seigneur, que me reste-t-il, à cette heure, des plaisirs que j'ai goûté en vous offensant? Rien, sinon des peines et des chagrins qui me transpercent l'âme. Pourtant, ce qui m'afflige, ce n'est pas l'amertume que je me sens au coeur, mais celle que j'ai causée au vôtre, ô mon Dieu qui m'avez tant aimé!
 

 2. « Les méchants sont pareils à la mer bouillonnante, qui ne peut se calmer » (Es 57, 20).

 Qu'est-ce qu'une âme dans la disgrâce de Dieu? Une mer que la tempête agite perpétuellement, sans lui laisser aucun repos. Un flot s'élève, un autre le suit, et cette succession sans fin n'est qu'angoisses et souffrances.

 Que tout, en ce monde, arrive au gré de chacun, c'est chose impossible. Mais celui qui aime Dieu, se résigne dans l'adversité; cette soumission aux volontés divines lui fait trouver la paix; le pécheur n'aime pas Dieu, il est son ennemi: comment pourrait-il se reposer dans le bon plaisir divin? S'y consoler? En outre, il porte partout avec lui la crainte de la vengeance divine: « Le méchant fuit sans qu'on le poursuive » (Pr 28, 1). Il fuit sans cesse sous la pression de son péché même, dont le remords, cette continuelle morsure intérieure, lui fait éprouver un enfer anticipé.

 Mon bien-aimé Seigneur, je me repens de vous avoir abandonné; pardonnez-moi; ne permettez pas que j'aie le malheur de vous perdre.
 

 3. « Cherche les délices dans le Seigneur; il réalisera les désirs de ton coeur » (Ps 37/36, 4).

 Ô homme, pourquoi vas-tu chercher de-ci de-là, parmi les créatures, de quoi vivre heureux? Cherche Dieu, Dieu comblera tous tes désirs. « Cherche, dit saint Augustin, l'unique Bien, qui renferme tous les biens ». (S. Augustin, Manuel, ch. 24; PL 40, 966). Considère saint François. Dépouillé de tout, il trouve dans son union à Dieu, dès ici-bas, le paradis; il ne se lasse pas de redire sans cesse: « Mon Dieu, mon Tout! » (C. Chalippe, Vie de saint François d'Assise, nouvelle édition, tome 2, Avignon 1824, 280: « Voici une autre (prière) qu'il disait tous les jours: Mon Dieu et mon tout... Je voudrais vous aimer, Seigneur très saint, je voudrais vous aimer... »). Heureux qui laisse tout pour Dieu! En Dieu, il recouvrera tout.

 Au lieu de m'abandonner comme je le méritais, ô mon Jésus, vous m'offrez le pardon et vous m'invitez à vous aimer. Je me hâte de répondre à vos avances, désolé de vous avoir offensé, mais profondément touché de voir que vous m'aimez encore, après tant d'offenses. Vous m'aimez, eh bien! Moi, je vous aime aussi, je vous aime plus que moi-même. Recevez-moi dans votre grâce, faites de moi ce qu'il vous plaît. Ne me privez pas de votre amour: c'est la seule chose qui m'intéresse.

 Ô Marie, ma Mère, ayez pitié de moi.
 
 
 
 

LE CRUCIFIX, FOYER D'AMOUR
 

 1. « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et qu'est-ce que je veux, sinon qu'il s'allume? » (Lc 12, 40).

 Ces paroles de notre très aimant Rédempteur nous dévoilent le motif de sa venue sur la terre. Ce motif, ce fut d'allumer le feu de l'amour divin dans tous les coeurs et de l'y voir brûler à jamais. Depuis lors, quels prodiges n'a pas opérés la contemplation d'un Dieu crucifié! Combien d'âmes ont eu le bonheur de s'embraser tellement de son amour, qu'elles ont tout quitté pour ne plus s'occuper que de l'aimer! Au reste, pour gagner notre amour, Jésus Christ pouvait-il faire plus qu'il n'a fait? Il a donné sa vie en expirant de douleur sur une croix par amour pour nous: qu'y a-t-il au-delà de cet héroïsme? Aussi saint François de Paule avait-il raison de s'écrier dans une extase, les yeux fixés sur le crucifix: « Ô charité! Ô charité! Ô charité! » (Claude du Vivier, Vie et Miracles de saint François de Paule, Paris, 1609, ch. 24, 738).
 

 2. Mais comment se fait-il que les hommes vivent, hélas! dans l'oubli de ce Dieu tout enflammé d'amour pour eux? Si le dernier de mes semblables, si l'un de mes serviteurs avait fait et souffert pour moi ce qu'a fait et souffert Jésus Christ, comment pourrais-je vivre sans l'aimer? Ô ciel! Quel est celui que je vois suspendu à la croix? C'est mon Dieu qui m'a créé, oui, lui-même, et mon Créateur meurt crucifié par amour pour moi! Ah! Comme cette croix, ces épines, ces clous, comme ces plaies sanglantes surtout, me crient: « Rends donc amour pour amour! ».
 

 3. « Ô mon Jésus, disait saint François d'Assise, que je meure par amour de votre amour, puisque vous êtes mort par amour de mon amour! » (S. François d'Assise, Prière d'offrande totale..., DV 155). Pour reconnaître dignement l'amour d'un Dieu mort par amour, ne faudrait-il pas qu'un autre Dieu mourût pour lui par amour? Ce serait donc fort peu, même rien, si tous les hommes donnaient mille fois leur vie par amour pour Jésus Christ. Cependant Jésus Christ se contente du don de notre coeur; mais il n'est satisfait que du don total. Pour quel motif est-il mort? « Pour régner sur les vivants et sur les morts », répond l'Apôtre (Rm 14, 9); en d'autres termes, pour obtenir tout l'amour de tous les coeurs.

 Est-il possible, ô mon bien-aimé Rédempteur, que je continue à vous oublier? Comment aimer autre chose que vous, lorsque je vous considère mort de douleur sur un bois infâme pour expier mes péchés? Comment ne pas mourir de douleur moi-même au souvenir de mes offenses qui vous ont réduit à cette extrémité? Ah! Mon Jésus, aidez-moi; c'est vous seul que je veux et rien de plus; aidez-moi à vous aimer.

 Vous, ô Marie, mon Espérance, aidez-moi de vos prières.
 
 
 
 

DIEU VEUT SAUVER QUICONQUE VEUT SE SAUVER
 

 1. « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (Tm 2, 4). « Dieu ne veut pas que quelques-uns périssent, mais que tous reviennent à la pénitence » (2 P 3, 9).

 Tel est l'enseignement de saint Pierre et de saint Paul. Pour nous sauver, le Fils de Dieu descendit du ciel, se fit homme, passa trente-trois années dans les travaux et les souffrances, répandit finalement son sang et donna sa vie. Nous, en retour, voudrons-nous nous perdre?

 Ainsi donc, ô mon Sauveur, c'est à l'oeuvre de mon salut que vous avez consumé toute votre vie; moi, quelle fin ai-je poursuivie pendant tant d'années déjà passées sur la terre? Quels fruits vous ai-je rapportés jusqu'ici? Tel qu'un arbre stérile, j'ai bien mérité de tomber sous les coups de la cognée et d'être jeté dans l'enfer. Mais « vous ne voulez pas la mort du pécheur, vous voulez sa conversion et sa vie » (Ez 33, 11). Vous-même l'avez dit. Eh bien! Oui, mon Dieu, je quitte tout pour revenir à vous. Je vous aime, et, parce que je vous aime, je me repens de vous avoir offensé. Daignez m'accueillir, et ne permettez pas que je m'éloigne encore de vous.
 

 2. Que n'ont pas fait les saints pour assurer leur salut éternel! Combien de grands seigneurs ont laissé leurs domaines, combien de rois, même, sont descendus du trône, pour aller s'enfermer dans un cloître! Combien de jeunes gens ont abandonné parents et patrie, pour aller vivre dans quelque caverne, au milieu d'un désert! Combien de martyrs ont affronté les supplices les plus raffinés, et y sont morts! Pourquoi? Pour sauver leur âme. Pour sauver la nôtre, que faisons-nous?

 Infortuné que je suis! La mort n'est peut-être pas loin, et je n'y pense pas! Non, mon Dieu, je ne veux plus vivre séparé de vous. Qu'est-ce que j'attends? Sans doute, que la mort me surprenne dans le triste état où je me trouve maintenant? Non, mon Dieu, qu'il n'en soit pas ainsi! Prêtez-moi plutôt aide et assistance, pour que je me prépare à la mort.
 

 3. Ô ciel! Que de grâces le Seigneur m'a faites dans son désir ardent de me voir sauvé! Il m'a fait naître dans le sein de la véritable Église; il m'a très souvent pardonné mes offenses; il m'a donné d'innombrables lumières au pied de la chaire de vérité, dans l'oraison, dans les communions, durant les Exercices spirituels de mes retraites; il a prodigué ses pressants appels pour m'attirer à son amour. Pourquoi tant de grâces qu'il n'a pas accordées à tant d'autres ? grâce de choix, ? sinon pour que je travaille énergiquement à me sanctifier?

 Quand donc, ô mon Dieu, prendrai-je la résolution de me détacher du monde et de me livrer tout entier à vous? Me voici, ô Jésus! Je ne veux plus vous résister. Vous m'avez comblé de trop de bienfaits. Je veux être tout à vous; acceptez-moi; ne dédaignez pas l'amour d'un pécheur, coupable de vous avoir jusqu'ici tant de fois méprisé. Je vous aime, mon Dieu, mon Amour, mon Tout; ayez pitié de moi.

 Ô Marie, vous êtes mon Espérance.
 
 
 
 

LA MORT EST PROCHE
 

 1. Il faut mourir. Personne ne l'ignore. Malheureusement, beaucoup reculent la mort dans un avenir si lointain, qu'elle leur paraît ne devoir jamais arriver. Ne nous faisons pas illusion; notre vie est courte, la mort est proche; nous n'avons que peu de jours à passer sur cette terre, beaucoup moins, peut-être, que nous ne pensons. Au fait, qu'est-ce que notre vie, sinon une vapeur légère qui se dissipe au moindre souffle de vent, un brin d'herbe qu'un rayon de soleil dessèche et fait périr?

 Mon Dieu, vous ne m'avez pas fait mourir quand j'étais dans votre disgrâce, parce que vous voulez, non pas que je me perde, mais que je vous aime. Eh bien! Oui, Seigneur, je veux vous aimer.
 

 2. « Mes jours, disait Job, battent à la course les coureurs » (Jb 9, 25).

 Oui, plus rapide qu'un coureur, la mort se précipite à notre rencontre; nous aussi, nous courons vers la mort; chaque pas, chaque respiration, chaque minute, nous en rapproche. À l'heure de la mort, comme nous soupirerons après l'un de ces jours, après l'une même de ces heures, que nous gaspillons maintenant!

 Ah! Seigneur, si l'on m'annonçait à l'instant que l'heure de ma mort va sonner, aurais-je quelques bonnes oeuvres à vous offrir? Je vous en supplie, ayez pitié de moi; ne permettez pas que je meure ingrat envers vous, comme je l'ai été jusqu'ici. Donnez-moi la douleur de mes péchés, donnez-moi votre amour, donnez-moi la sainte persévérance.
 

 3. La mort se hâte. Il faut donc nous hâter aussi, nous hâter de faire le bien et régler nos comptes, afin qu'ils soient bien en règle le jour où la mort nous frappera; ce jour-là, elle nous ôtera tout moyen de réparer le mal commis. Combien de gens sont en enfer pour avoir dit: « Je me convertirai plus tard! » La mort les a surpris et précipités dans les supplices éternels!

 Mon bien-aimé Rédempteur, je ne veux plus résister à vos appels. Vous m'offrez le pardon, je le désire ardemment, je vous le demande et je l'espère par les miséricordes de cette mort que vous avez, ô mon Jésus, endurée précisément pour me pardonner. Je me repens, ô Bonté infinie, de vous avoir offensée. Vous, ô mon Jésus, vous êtes mort pour moi, et moi, j'ai préféré mes misérables satisfactions à votre amitié! Mais, avec votre secours, j'espère vous aimer toujours à l'avenir. Je vous aime, mon Dieu; je vous aime. Vous êtes et vous serez toujours mon unique Bien, mon unique Amour.

 Ô Marie, Mère de Dieu, daignez jeter un regard sur moi; ayez pitié de moi.
 
 
 
 

ABANDON DU PÉCHEUR DANS SON PÉCHÉ
 

 1. Dieu inflige au pécheur un grand châtiment, quand il le fait mourir en état de péché; pourtant, ce châtiment n'est pas le plus grand: le plus grand consiste à l'abandonner dans son péché. « Pas de punition plus terrible, écrit Bellarmin, que celle où le péché devient la punition du péché ». (S. Robert Bellarmin, Explanatio in psalmum 67, 32, Opera, tome 5, Cologne 1617, 495).

 Je vous remercie, ô mon Jésus, de ne m'avoir pas fait mourir en état de péché, surtout de ne m'avoir pas abandonné dans mon péché. Dans quel abîme d'iniquités ne serais-je pas tombé, si votre main ne m'avait retenu! Continuez, ô mon Sauveur, à me préserver du péché: ne m'abandonnez jamais.
 

 2. « J'arracherai la haie, et la vigne sera livrée au pillage » (Es 5, 5).

 Quand le maître d'une vigne arrache la haie, et la laisse ouverte à tout venant, c'est signe qu'il la considère comme perdue et qu'il l'abandonne définitivement. Ainsi fait Dieu, quand il abandonne une âme; il détruit la haie de sa sainte crainte, de sa lumière, de sa parole; désormais l'âme, frappée d'aveuglement, enlacée dans ses vices, ne fera plus que tout mépriser: grâce divine, ciel, avertissements, censures, sa damnation même, jusqu'au jour où, des épaisses brûlures de ses péchés, l'infortunée tombera dans les ténèbres éternelles de l'enfer: « L'impie, lorsqu'il est descendu au fond de l'abîme du péché, se moque » (Pr 18, 3).

 Voilà, Seigneur, ce que j'ai mérité pour avoir tant de fois méprisé vos lumières et vos appels! Mais vous ne m'avez pas encore abandonné, je le vois. Mon Dieu, je vous aime et j'espère en vous.
 

 3. « Nous avons soigné Babylone, mais elle n'a pas guéri; laissons-la » (Jr 51, 9).

 Le médecin considère attentivement son malade, lui prescrit des remèdes, le reprend de ses excès; mais voit-il que le malade, faute d'obéir, va de mal en pis? Il se retire et l'abandonne. Ainsi Dieu traite-il les obstinés: il ne leur parle plus que rarement; à peine leur donne-t-il ces grâces suffisantes avec lesquelles on peut se sauver, mais avec lesquelles on peut se sauver, mais avec lesquelles, en fait, on ne se sauve pas. Les ténèbres de leur esprit, l'endurcissement de leur coeur, les mauvaises habitudes invétérées, rendent leur salut moralement impossible.

 Puisque j'entends, ô mon Dieu, votre voix m'appeler à la pénitence, c'est une preuve que vous ne m'avez pas abandonné; je suis résolu de ne plus vous quitter. Je vous aime, Bonté infinie, et, parce que je vous aime, je suis souverainement affligé de vous avoir offensée. Mon Jésus, je vous aime, et j'espère, par les mérites de votre Sang, la grâce de vous aimer toujours. Ne permettez pas que je me sépare encore de vous.

 Sainte Vierge Marie, soyez mon Avocate.
 
 
 
 

LE JUGEMENT PARTICULIER
 

 1. À l'instant même et dans le lieu même où l'homme expire, le tribunal divin est dressé, la cause instruite, la sentence prononcée. « Ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils... il les a glorifiés, etc. » (Rm 8, 29-30), dit l'apôtre saint Paul. Donc, pour être jugés dignes de la gloire éternelle, il faudra que notre vie soit trouvée conforme à la vie de Jésus Christ. Aussi saint Pierre, parlant du jugement, affirme-t-il à juste titre: « Le juste lui-même ne se sauvera qu'avec peine » (1 P 4, 8).

 Ô mon Jésus, ô mon Juge! Qu'en sera-t-il de moi, dont la vie est toute différente de la vôtre? Mais votre Passion est mon espérance. Je suis pécheur sans doute, mais vous pouvez me changer en vrai saint; j'espère cette grâce de votre bonté.
 

 2. Lorsque le vénérable Louis du Pont considérant le jugement qui devait suivre sa mort et le compte que Dieu lui demanderait de toute sa vie, il tremblait tellement que sa chambre elle-même en tremblait. (F. Cachupin, Vie du vénérable Louis du Pont, ch. 38, Paris 1861, 338). Il faut donc que nous tremblions, nous aussi, à la pensée de ce terrible compte à rendre; efforçons-nous de suivre fidèlement l'avis du Seigneur: « Cherchez le Seigneur, pendant que vous pouvez le trouver » (Es 55, 6). Si nous arrivons à l'heure de la mort en état de péché, il nous sera bien difficile de le trouver; cherchons-le dès maintenant par le repentir et par l'amour, et nous le trouverons.

 Seigneur, je suis affligé ? plus que de tout autre mal ? de vous avoir méprisé. Maintenant je vous mets au-dessus de tout et je vous aime plus que tous les biens.
 

 3. « Que ferai-je, s'écriait Job, lorsque Dieu se lèvera pour me juger? Et lorsqu'il m'interrogera, que répondrai-je? » (Jb 31, 14). À mon tour, je me demande ce que je pourrai répondre au Seigneur, si je lui résiste encore, après tant de miséricordes, après tant d'invitations pressantes.

 Non, je ne veux plus vous résister, ô mon Dieu; je veux mettre un terme à mon ingratitude. Que d'outrages je vous ai faits! Que de fois je vous ai trahi! Mais vous avez donné votre Sang pour me laver de mes iniquités. « Ayez pitié, ô Jésus, de vos serviteurs, que vous avez rachetés par votre précieux Sang ». (Hymne: Te Deum). Ô Bien suprême, je me repens de vous avoir offensé; je vous aime de tout mon coeur; ayez pitié de moi.

 Je vous en supplie, ô Marie, ma Mère, ne m'abandonnez pas.
 
 
 
 

LE VOYAGE À L'ÉTERNITÉ
 

 1. « l'Homme ira dans la maison de son éternité » (Qo 12, 5).

 Cette terre n'est pas notre patrie, mais seulement un lieu de passage pour entrer dans notre demeure éternelle. Le pays où je me trouve, la maison que j'habite, ne sont ni mon pays, ni ma maison, mais une hôtellerie qu'il me faudra quitter bientôt, et plus tôt que je ne l'imagine. Quelle sera la demeure de mon corps jusqu'au jour du jugement général? Une fosse. Quelle sera la demeure de mon âme? L'Éternité, c'est-à-dire le ciel, si je me sauve; l'enfer, si je me damne.

 Folie donc, de m'attacher à des choses que je dois quitter! Je veux m'assurer une bonne demeure dans l'éternité que je dois habiter à jamais.
 

 2. « L'homme ira dans la maison de son éternité. » « Il ira », dit le prophète, pour nous faire comprendre que chacun a le choix de sa demeure définitive. On ne l'y portera pas, il s'y rendra de lui-même. Il y a, dans l'autre vie, ? la foi nous l'enseigne, ? deux demeures: l'une, c'est un palais royal avec tous les délices dans une félicité sans fin, le ciel; l'autre, c'est une prison avec tous les tourments et les pleurs éternels, l'enfer. Vois, mon âme, où tu veux aller. Mais si tu veux le ciel, sache qu'il faut prendre le chemin du ciel; en suivant le chemin de l'enfer, tu te retrouveras un jour en enfer.

 Mon Jésus, éclairez-moi, fortifiez-moi. « Ne permettez pas que je me sépare de vous. » (Invocation tirée de la prière Anima Christi, longtemps attribuée à S. Ignace de Loyola, mais attestée dès le XIVe siècle).
 

 3. « L'homme ira dans la maison de son éternité. »

 Donc, si je me sauve et que j'entre dans le séjour du bonheur, je serai heureux, non pas pendant quelques années ou quelques siècles, mais pendant toute l'éternité; mais si je me damne et que j'entre dans le séjour des tourments, je serai malheureux, non pas pendant quelques années ou quelques siècles, mais pendant toute l'éternité. Pour me sauver, il faut donc que j'aie toujours devant les yeux cette éternité. Celui qui vit dans la pensée de l'éternité, ne s'attache pas aux biens de ce monde: il se sauve. Toutes mes oeuvres seront désormais autant de pas vers l'Éternité bienheureuse: ce sera là ma grande préoccupation.

 Mon Dieu, je crois à la vie éternelle. À l'avenir, je ne veux plus vivre que pour vous. Par le passé, j'ai vécu pour moi-même; je vous ai perdu, vous, le Bien infini. Je suis résolu de ne plus vous perdre, mais de vous servir et de vous aimer toujours. Mon Jésus, ne m'abandonnez pas; aidez-moi.

 Ô Marie, ma Mère, protégez-moi.
 
 
 
 

JÉSUS, HOMME DE DOULEURS
 

 1. Isaïe, contemplant dans la lumière prophétique le divin Rédempteur, l'appelle « un homme de douleur » (Es 53, 3). Pas d'expression plus exacte, puisque toute la vie de Jésus Christ fut une vie de souffrances. Il avait pris sur lui toutes nos dettes. Assurément, en tant que Dieu-homme, il aurait pu, par une seule prière, satisfaire pour les péchés du monde entier; mais il ne se contente pas d'une satisfaction suffisante: il voulut offrir à la justice divine une satisfaction rigoureuse. Pour ce motif, if embrasse toute une vie de mépris et de douleurs; il en vint même, par amour pour nous, jusqu'à se laisser comme le dernier et le plus vil des hommes, selon la prédiction du même Isaïe: « Nous l'avons vu, lui l'homme méprisé; lui, le dernier des hommes » (Es 53, 2-3).

 Ô mon Jésus méprisé! C'est donc à force de mépris endurés pour moi que vous avez expié les mépris dont je me suis rendu coupable envers vous! Ah! Que ne suis-je mort avant de vous avoir offensé!
 

 2. Ô ciel! Quel homme sur la terre fut jamais la proie des afflictions et des tourments à l'égal de notre très aimant Rédempteur? Tout homme, ici-bas, quelque éprouvé qu'il soit, a de temps en temps des soulagements et des consolations. C'est ainsi que Dieu traite miséricordieusement ses créatures, même celles qui sont ingrates et révoltées contre lui. Mais telle ne fut pas sa conduite envers son Fils bien-aimé: la vie de Jésus Christ en ce monde ne fut pas seulement la vie la plus pénible, mais elle fut un supplice continuel, depuis le premier instant de son existence jusqu'à sa mort, sans aucune consolation, sans aucun soulagement. En un mot, le Verbe de Dieu naquit pour souffrir, pour être « l'Homme de douleurs ».

 Ô mon Jésus! Malheur à celui qui ne vous aime pas, ou qui vous aime peu, Vous qui nous avez tant aimés, nous, misérables vers de terre, malgré tant d'offenses! Donnez-moi la force de vous aimer, je vous en conjure, de vous aimer seul désormais, puisque seul vous méritez d'être aimé.
 

 3. Ordinairement, les hommes ne portent qu'une fois le poids de leurs peines, je veux dire au moment même qu'ils les endurent, parce qu'ils ne connaissent pas celles qui leur sont réservées dans l'avenir. Mais Jésus Christ avait, en tant que Dieu, la parfaite connaissance de tous les événements futurs: il ressentit donc, à chaque instant de sa vie, non seulement les peines qui fondaient sur lui à l'instant même, mais encore toutes celles qui l'attendaient, particulièrement les horribles tortures de sa Passion. Il eut continuellement devant les yeux la flagellation, le couronnement d'épines, le crucifiement, cette mort cruelle, enfin, dans un océan de douleur et d'ignominies.

 Ô mon Jésus, sainte Marie-Madeleine de Pazzi n'avait-elle pas raison de vous proclamer « fou d'amour pour nous? » (V. Puccini, Vita della veneranda suor M. Maddalena de' Pazzi, liv; I, ch. 11, Florence 1611, 18). Ah! Pourquoi tant souffrir pour qui vous a tant offensé? Aussi, je vous en conjure, laissez-moi vous aimer. Oui, Jésus, mon Amour et mon Tout, accueillez-moi, fortifiez-moi. Je veux me sanctifier uniquement pour vous faire plaisir. Vous voulez que je sois tout à vous, et moi je veux être tout vôtre.

 Ô Marie, vous êtes mon Espérance.
 
 
 
 

FOLIE DE CELUI QUI NE S'APPLIQUE PAS À SAUVER SON ÂME
 
 

 1. « À quoi bon, dit le Seigneur, gagner le monde entier, si l'on perd son âme » (Mt 16, 26).

 Combien de riches, de nobles, de rois, sont maintenant en enfer? Quel profit retirent-ils de leurs richesses et de leurs dignités, sinon des remords et des regrets qui déchirent leur coeur et le déchireront toute l'éternité?

 Je vous en conjure, mon Dieu: donnez-moi votre lumière et votre secours. Je ne veux pas vivre plus longtemps privé de votre grâce. Ayez pitié d'un pécheur qui veut vous aimer.
 

 2. « Quel est ce mystère? ? s'écrie Salvien ? les hommes croient à la mort, au jugement, à l'enfer, à l'éternité, et vivent sans trembler! Comment expliquer que le chrétien croie à la vie future, et ne tremble pas pour cette vie future? » (Salvien, L'avarice, liv. 3; PL 53, 220). Tous croient à l'enfer; pourtant, beaucoup vont en enfer. Pourquoi, ô ciel? Parce que, tout en croyant à l'enfer, ils n'y pensent pas et, faute d'y penser, finissent par y tomber.

 Hélas! Je fus longtemps, ô mon Dieu, du nombre de ces insensés. Je savais parfaitement qu'en vous offensant je perdais votre amitié et que j'écrivais moi-même la sentence de ma condamnation à l'enfer; malgré cela, je n'ai pas reculé devant le péché. « Ne me rejetez pas de devant votre face » (Ps 51/50, 13). Je reconnais la grandeur du crime que j'ai commis en vous méprisant vous, mon Dieu; j'en suis profondément affligé. De grâce, ne me rejetez pas loin de vous.
 

 3. « Et puis... et puis?... » (C'est-à-dire après que vous aurez fait ceci, cela, cela encore, ne vous faudra-t-il pas mourir?) Quelle force merveilleuse n'eurent pas ces deux paroles adressées par saint Philippe de Néri au jeune François Lazzera! Elles furent tellement efficaces, que le jeune homme prit aussitôt la résolution de quitter le monde et de se donner entièrement à Dieu. (G. Bacci, La vie admirable de saint Philippe Néri, trad. R. P. N. D. C., liv. 2, ch. 15 Lyon 1643, 306-307).

 « Plût à Dieu qu'ils eussent la sagesse et l'intelligence, pour penser et se préparer à leurs fins dernières! » (Dt 32, 29). La mort, le jugement, l'éternité, voilà nos fins dernières: la mort, qui nous enlève tout; le jugement, qui manifeste le fond des coeurs; l'éternité, heureuse ou malheureuse, dont l'une sera nécessairement notre partage! Si tous y pensaient et vivaient dans la pensée de leurs fins dernières, certainement personne ne se damnerait. Mais on ne considère que le jour présent, et l'on manque ainsi son salut éternel.

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de votre patience à m'attendre si longtemps et des lumières que vous m'accordez maintenant. Même quand je vous oubliais, vous ne m'avez pas oublié, je le vois. Je me repens de vous avoir tourné le dos, ô mon Souverain Bien! À l'instant même, je prends la résolution de me donner tout à vous. Du reste, pourquoi remettre à plus tard? Dois-je attendre que vous m'abandonniez et que la mort me surprenne dans l'état de misère et d'ingratitude où j'ai vécu jusqu'ici? Non, mon Dieu, je ne veux plus vous causer aucun déplaisir; je veux vous aimer, je vous aime, ô Bonté infinie; donnez-moi la sainte persévérance et votre amour; je ne vous demande rien de plus.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, priez pour moi.
 
 
 
 

LE MOMENT DE LA MORT
 

 1. Quel moment que celui d'où dépend notre éternité!

 Oui, quelle minute importante, que la dernière minute de notre vie! Quel soupir important, que le dernier soupir de nos lèvres! Il vaut une éternité de toutes les joies, ou bien une éternité de tous les supplices; il vaut une vie à jamais heureuse, ou bien une vie à jamais malheureuse. Quelle folie donc de s'exposer, pour un plaisir misérable et fugitif, au danger de faire une mauvaise mort, aussitôt suivie d'une éternité de tourments!

 Ô ciel! Quel sera le dernier instant de ma vie ici-bas? Que deviendrai-je alors? Mon Jésus, vous êtes mort pour me sauver; ne permettez pas que je me perde, ni que je vous perde, vous, mon unique Bien.
 

 2. Représentez-vous par l'imagination les infortunés criminels condamnés par la justice à jouer leur vie au sort. Comme ils tremblent en ouvrant la main pour amener ce coup de dé qui va décider de leur vie ou de leur mort? Dites-moi, mon cher lecteur: si vous courriez pareil péril, que ne donneriez-vous pas pour en être libéré? Or, c'est un article de foi, qu'un jour sonnera pour vous l'heure grave entre toutes ? d'où dépend votre vie éternelle ou votre mort éternelle. « Me voici sur le point, ? me direz vous alors, ? de devenir heureux pour toujours avec Dieu, ou malheureux à jamais loin de Dieu! »

 Non, je ne veux pas vous perdre, ô mon Dieu! Si, par le passé, je vous ai perdu, je m'en repens, j'en suis désolé. Je ne veux plus jamais vous perdre.
 

 3. Ou nous croyons, ou nous ne croyons pas. Si nous croyons qu'il y a une éternité, qu'il faut mourir et qu'on ne meurt qu'une fois; partant, que manquer son salut au moment de la mort, c'est le manquer pour toujours, sans espoir aucun de remédier à ce désastre: pourquoi ne pas nous résoudre à supprimer tout danger de nous perdre, à prendre tous les moyens de nous assurer une bonne mort? On ne saurait prendre trop de précautions, quand il s'agit de vie éternelle. Chaque jour qui s'écoule, est une grâce que Dieu nous donne, afin que nos comptes soient en règle à l'heure de la mort. Hâtons-nous; car nous n'avons que peu de temps à perdre.

 Me voici, ô mon Dieu, dites-moi ce que je dois faire pour me sauver. Tout ce que vous m'indiquerez, je suis prêt à l'accomplir. Je vous ai tourné le dos, je m'en repens souverainement, j'en voudrais mourir de douleur. Seigneur, pardonnez-moi; ne permettez pas que je vous abandonne encore. Je vous aime plus que toute chose; je ne veux plus jamais cesser de vous aimer.

 Sainte Vierge Marie, obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 
 

DIEU POURSUIT LES PÉCHEURS POUR LES SAUVER
 

 1. Ne sommes-nous pas en présence d'une chose tout à fait étonnante? L'homme, misérable ver de terre, est comblé de bienfaits par Dieu, aimé jusqu'à voir son Dieu donner sa vie pour lui; eh bien! Cet homme a la hardiesse d'offenser son Dieu, de lui tourner le dos, de mépriser son amitié! Mais nous voici devant un prodige beaucoup plus étonnant: Dieu, ce même Dieu, méprisé de la sorte par l'homme, se met à la recherche de l'homme pour l'inviter au repentir et lui faire miséricorde, comme si Dieu avait besoin de l'homme et que l'homme n'eût pas besoin de Dieu! Mon Jésus, vous me cherchez; je vous cherche aussi; vous me voulez, je ne veux que vous seul, rien de plus.
 

 2. L'Apôtre écrit: « Nous vous en conjurons de la part du Christ: réconciliez-vous avec Dieu » (2 Co 5, 20).

 Saint Jean Chrysostome fait cette réflexion: « Quoi donc! C'est Dieu qui prie les pécheurs! Et que leur demande-t-il? De vouloir se réconcilier avec lui, d'accepter ses propositions de paix » (S. Jean Chrysostome, In ep. II ad Cor. Hom. XI, n. 3, PG 50, 478).

 Ah! Jésus, mon Rédempteur, comment avez-vous pu tant m'aimer, moi qui vous ai tant offensé? J'abhorre plus que tout autre mal les déplaisirs que je vous ai causés. Augmentez ma douleur et mon amour, afin que je pleure mes péchés moins pour les châtiments qu'ils m'ont mérités, que pour la peine qu'ils vous ont faite, à vous, mon Dieu, si bon, si digne d'être aimé.
 

 3. « Ô Dieu éternel, s'écrie Job, qu'est-ce que l'homme, pour que vous l'ayez tant exalté? Comment pouvez-vous l'aimer à ce point? » (Jb 7, 17).

 Quel bien, Seigneur, avez-vous reçu de moi? Quel bien espérez-vous de moi, pour me porter tant d'affection et me chercher avec tant d'ardeur? Peut-être avez-vous oublié la multitude de mes outrages et de mes infidélités? Puisque vous m'aimez si tendrement, c'est une nécessité, ? je le vois ? qu'a mon tour, moi, pauvre ver de terre, je vous aime, vous, mon Créateur et mon Rédempteur. Oui, je vous aime, mon Dieu; je vous aime de tout mon coeur, je vous aime plus que moi-même; et, parce que je vous aime, je veux faire en tout votre bon plaisir. Ma peine la plus cuisante ? sachez-le, ? c'est de penser que j'ai si souvent méprisé votre amour. J'espère compenser désormais par l'intensité de mon amour tous les déplaisirs que je vous ai causés. Daignez m'aider vous-même, je vous en supplie par les mérites du Sang que vous avez versé pour moi.

 Vous aussi, ô Marie, aidez-moi par amour pour votre divin Fils, mort pour mon salut.
 
 
 
 

LA SENTENCE AU JUGEMENT PARTICULIER
 

 1. Oh! Quelle joie éprouve celui qui, sortant de cette vie dans l'amitié de Dieu, se présente devant Jésus Christ et reçoit de lui l'accueil le plus bienveillant! Quelle joie d'entendre le souverain Juge lui dire avec un doux sourire ces consolantes paroles: « C'est bien, serviteur bon et fidèle: parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup: entre dans la joie de ton Maître! » (Mt 25, 21).

 Si je devais comparaître à l'instant devant votre tribunal, ô mon Jésus, quel motif aurais-je d'être appelé par vous « serviteur bon et fidèle », puisque, jusqu'ici, j'ai poussé la malice et l'infidélité jusqu'à faire de mes promesses autant de trahisons? Mais je veux désormais ne plus vous manquer de parole; je préfère mille fois perdre la vie plutôt que votre grâce. C'est vous qui devez me donner la force de tenir ma résolution.

 2. Par contre, quelle n'est pas l'épouvante de celui qui, mort en état de péché grave, n'aperçoit, lors de sa comparution devant le redoutable tribunal, qu'un juge irrité! L'âme, partie de ce monde dans la disgrâce de Dieu, n'attend pas la condamnation du souverain Juge: elle se condamne elle-même; puis, elle entend sortir de la bouche de Jésus Christ la terrible sentence: « Va loin de moi, maudit, au feu éternel » (Mt 25, 41). Oui, retire-toi loin de moi, ingrat que tu es, va-t-en au feu éternel, et ne reparais jamais en ma présence!

 Telle est donc, Seigneur, mon Dieu, la sentence que vous auriez pu porter, contre moi chaque fois que je vous ai offensé par le péché mortel! À la mort, vous serez mon juge; maintenant, vous êtes mon Rédempteur et mon Père; vous voulez me pardonner, à la seule condition du repentir. Eh bien! Oui, Seigneur, je me repens de toute mon âme de toutes mes fautes. Je suis affligé de les avoir commises, sans doute à cause de l'enfer mérité, mais surtout à cause de la peine faite à votre coeur qui m'a tant aimé.
 

 3. Un homme meurt; l'âme se sépare du corps: « Vit-il encore? A-t-il expiré? » se demandent les assistants. Mais déjà son âme est entrée dans l'Éternité. Quand tous sont d'avis qu'il est mort, le prêtre récite la prière du Rituel. « Venez, saints du ciel, allez à sa rencontre, anges du Seigneur. Venez pour accueillir cette âme et la présenter devant la face du Dieu Très-Haut » (Rituel: Sacrement pour les malades, 1977, La recommandation des mourants, 98). Mais à quoi bon réclamer l'intervention des Anges et des Saints en faveur d'une âme qui se trouve dans l'inimitié de Dieu et qu'une sentence irrévocable a condamnée à l'enfer?

 Ah! Mes saints patrons, mon Ange gardien, saint Michel, saint Joseph, ma protectrice Marie, secourez-moi, maintenant que vous pouvez me secourir. Vous, mon Sauveur, pardonnez-mi, maintenant que vous pouvez me pardonner. Je suis désolé de vous avoir offensé, je vous aime de toute mon âme. Aidez-moi, Seigneur, à ne plus vous offenser.

 Ô Marie, gardez-moi toujours sous votre manteau tutélaire.
 
 
 
 

JE PUIS MOURIR SUBITEMENT
 

 1. Rien de plus certain que la mort; rien de plus incertain que l'heure de la mort! Que le Seigneur ait fixé l'année et le jour où chacun de nous doit mourir, c'est certain; mais cette année, ce jour, nous ne les connaissons pas, et Dieu veut que nous ne les connaissions pas. Pourquoi? Afin que nous nous tenions toujours prêts à mourir.

 Je vous remercie, mon Jésus, de m'avoir attendu, de ne m'avoir pas frappé de mort, quand j'étais en état de péché. Je veux employer tout le reste de ma vie uniquement à pleurer mes péchés, à vous aimer de toutes mes forces. Puisque je dois mourir, je veux, avec le secours de votre grâce, me préparer à faire une bonne mort.
 

 2. Jésus Christ nous avertit cependant de notre dernière heure, quand il dit: « À l'heure que vous ne penserez pas, le Fils de l'homme viendra » (Lc 12, 40). Quelle sera donc l'heure de notre mort? Celle où nous pensons le moins à mourir. Ainsi saint Bernard conclut-il sagement: « Puisque la mort peut nous frapper à chaque instant, c'est une nécessité pour nous qu'à chaque instant nous l'attendions et tenions nos comptes prêts. » (S. Bernard (Hughes de saint Victor selon Glorieux 71), La condition humaine, ch. 3, n. 10; PL 184, 491).

 Non, ô mon Jésus, je ne veux pas attendre la mort pour me donner à vous. Vous avez dit: « Cherchez, et vous trouverez » (Mt 7, 7). Quiconque, donc, vous cherche, vous trouve. Je vous cherche, je vous désire, ô Bonté infinie, je me repens de vous avoir offensée; je ne veux plus désormais vous faire aucune peine.
 

 3. Donc, mon cher lecteur, quand vous êtes tenté de pécher sous prétexte que vous vous confesserez demain, dites-vous à vous-même. Qui sait si ce jour, cet instant où je vais pécher, ne sera pas le dernier de ma vie? Si je meurs à cet instant-là, où irai-je? Ô ciel! Combien de malheureux furent emportés par la mort dans le temps même qu'ils goûtaient le fruit défendu! Le démon vous dira: « Ce malheur ne t'arrivera pas. » Répondez-lui: « S'il m'arrive, quel sera mon sort durant toute l'éternité? »

 En effet, ô mon Dieu, pourquoi serais-je préservé de la mort imprévue qui frappa tant d'infortunés? Combien gémissent en enfer pour des péchés moins nombreux que les miens! Mon Jésus, je vous remercie de votre longue patience à me supporter et des lumières que vous me donnez maintenant. J'ai mal fait de vous abandonner, je voudrais en mourir de douleur. Puisque vous m'accordez encore du temps, je ne veux plus penser désormais qu'à vous aimer. Vous-même aidez-moi de votre grâce.

 Vous aussi, ô Marie, aidez-moi par vos prières.
 
 
 
 

ÉTERNITÉ DE L'ENFER
 

 1. Si l'enfer n'étais pas éternel, il ne serait pas l'enfer. Le véritable enfer est essentiellement éternel.

 Une peine qui ne dure pas longtemps, n'est pas une grande peine. Par contre, une légère souffrance devient insupportable par la seule durée. Quel ennui ne serait-ce pas d'être obligé, toute une vie durant, d'assister à la même comédie, d'entendre toujours le même morceau de musique! Que sera-ce donc de subir tous les supplices de l'enfer? Et pendant combien de temps? Durant toute l'éternité!

 Nous regarderions comme atteint de démence l'homme qui, pour une journée de plaisir, s'exposerait à brûler vif. N'est-il pas insensé celui qui, pour une satisfaction sensuelle d'un moment, se condamne au feu de l'enfer où les réprouvés endurent le perpétuel déchirement de la mort sans jamais mourir?

 Par votre grâce, ô mon Dieu, gardez-moi dans votre amitié! Que je serais à plaindre, si, après toutes les miséricordes dont vous m'avez comblé, j'osais encore vous tourner le dos! Mon Dieu, préservez-moi de ce grand malheur, ne m'abandonnez pas à moi-même!
 

 2. Ranimons notre foi. Que celui qui se damne se damne pour toujours sans conserver la moindre espérance de réparer un jour ce désastre, c'est une vérité certaine: « Ils iront au supplice éternel, a dit le souverain Juge lui-même » (Mt 25, 46). Quiconque entre dans cette prison, ne peut plus en sortir. Ne pourra-t-il pas, au moins, se bercer d'un faux espoir et dire: « Qui sait? Peut-être un jour le Seigneur aura pitié de moi; il me tirera de cette prison? » Non, parce que l'infortuné sait bien que l'enfer n'aura pas de fin, et que ce qu'il souffre à chaque instant, il le souffrira toujours, aussi longtemps que Dieu sera Dieu.

 Mon bien-aimé Rédempteur, j'ai la certitude d'avoir autrefois perdu votre grâce et d'avoir été condamné à l'enfer. J'ignore si vous m'avez pardonné. Pardonnez-moi, mon Jésus; oui, hâtez-vous de me pardonner, maintenant que je regrette amèrement de vous avoir offensé. Ne permettez pas que je vous offense encore.
 

 3. En cette vie rien ne nous épouvante autant que la mort; en enfer rien n'est plus ardemment désiré que la mort. « Ils souhaitent la mort, et la mort fuira loin d'eux » (Ap 9, 6). Dans l'impossibilité de mourir, trouveront-ils au moins, près d'eux, quelqu'un qui compatisse à l'excès de leurs tourments? Non: personne en enfer qui ne les haïsse, personne qui ne soit heureux de leurs souffrances sans fin, sans trêve, éternelles. La trompette de la justice divine retentit sans interruption, et jette aux oreilles des réprouvés ces deux mots désespérants: « Toujours, toujours; jamais, jamais! »

 C'est parmi ces infortunés que je devrais me trouver, ô mon Jésus; mais vous m'avez préservé de ce malheur. Achevez votre oeuvre en me sauvant du péché, qui, seul, peut me précipiter en enfer. Ah! Ne permettez pas que je redevienne votre ennemi. Je vous aime, ô Bonté infinie; je me repens de vous avoir offensée. Pardonnez-moi; faites qu'au lieu de brûler pour toujours dans les flammes de l'enfer, comme je l'ai mérité, je brûle pour toujours du feu de votre saint Amour.

 Ô Marie, ô Marie, je me confie en vous.
 
 
 
 

DIEU DAIGNERA-T-IL M'APPELER ENCORE?
 

 1. « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur et ne diffère pas de jour en jour; car sa colère éclatera tout à coup, et, au jour de la vengeance, il te perdra » (Si 5, 7).

 Par ces paroles, le Seigneur nous avertit que nous devons nous convertir sans retard, si nous voulons nous sauver. Différer de jour en jour notre conversion, c'est nous exposer à voir se lever le jour de la vengeance, jour terrible où Dieu cesse d'abord d'appeler, puis d'attendre: c'est ainsi qu'à la mort en état de péché mortel succède l'irréparable damnation éternelle. Pourquoi Dieu nous donne-t-il cet avertissement? Parce qu'il nous aime et ne peut se résoudre à nous voir perdus.

 Je le vois, mon Dieu, vous voulez me sauver; vous voulez me faire miséricorde. En retour, je ne veux plus vous causer aucun déplaisir.
 

 2. À combien de pauvres âmes le Seigneur n'a-t-il pas déjà donné les mêmes avertissements! Elles n'en ont pas tenu compte, hélas! Maintenant, ce sont les glaives qui leur transpercent le plus cruellement le coeur, au fond de l'abîme. La raison en est claire: plus grandes sont les bontés de Dieu, plus graves sont les péchés.

 Ainsi, ô mon Jésus, si vous m'aviez traité comme je le méritais, je serais maintenant en enfer, en proie au pires supplices, précisément parce que vous m'avez comblé de tant et de si grandes faveurs. Non, je ne veux pas être plus longtemps ingrat. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, je veux vous obéir en tout. Je me repens de vous avoir tant de fois contristé; je ne veux plus désormais chercher mon plaisir, mais le vôtre uniquement, ô mon Dieu, mon Tout.
 

 3. Chose étonnante! Les hommes sont tout prévoyance et tout ardeur pour leurs affaires temporelles; mais, pour la grande affaire de leur éternité, ils sont tout négligence et tout froideur. Ont-ils à récupérer une somme d'argent? Ils s'empressent d'exiger toutes garanties en se disant: « Qui sait ce qui peut arriver? » Mais s'agit-il de leur âme à sauver? Les mêmes hommes passent des mois, des années, dans le péché. Pourquoi? Parce qu'ils ne se posent pas en faveur de leur âme la question qu'ils se posent en faveur de chacune de leurs affaires temporelles: « Qui sait ce qui peut arriver? » Cependant, s'ils perdent une somme d'argent, même considérable, tout n'est pas perdu; par contre, s'ils perdent leur âme, tout est perdu, et tout est perdu pour toujours, même l'espoir de pouvoir réparer le désastre.

 Mon bien-aimé Rédempteur, vous avez donné votre vie pour me rendre digne de votre grâce; cette grâce, je l'ai souvent perdue pour des riens. Pardonnez-moi, ô Bonté infinie! Car, de tout mon coeur, je regrette ma conduite insensée. Vous m'avez trop obligé, Seigneur, à vous aimer. Je veux donc vous aimer de toutes mes forces. Je vous aime, ô mon Souverain Bien, je vous aime plus que moi-même. Ne permettez pas, ô mon Dieu, que je cesse jamais de vous aimer.

 Ô Marie, ma Mère, aidez-moi.
 
 
 
 

JÉSUS MEURT POUR L'AMOUR DES HOMMES
 

 1. Est-il possible que Dieu, le Créateur de toutes choses, ait voulu mourir par amour pour ses créatures? Oui; c'est même un article de foi: « Le Christ, dit l'Apôtre, nous a aimés, et il s'est livré pour mourir » (Ep 5, 2). Un jour, le ciel et la terre frappés de stupeur furent témoins de ce spectacle. Jésus, le Fils unique de Dieu, le Maître absolu de tout l'univers, expirait de pure douleur comme un vil criminel, sur le bois infâme de la croix. Pourquoi? Par amour pour les hommes. Et, parmi les hommes, il s'en trouve qui croient à cet ineffable amour de Jésus Christ pour eux, et qui ne lui rendent pas amour pour amour!

 Seigneur, je suis du nombre de ces hommes. Votre Passion, je l'ai connue, et non seulement je ne vous ai pas aimé, mais je vous ai très souvent offensé. Je vous en supplie, pardonnez-moi; rappelez-moi sans cesse la mort que vous avez endurée par amour pour moi, afin que je ne vous outrage plus et que je vous aime toujours.
 

 2. La mort du fils de Dieu n'était pas nécessaire pour sauver les hommes; une seule goutte de sang, une seule larme, une seule prière suffisait de sa part pour sauver le monde et mille mondes; car cette goutte de sang, cette larme, cette prière avait certainement une valeur infinie. Mais vous, ô mon Jésus, vous avez voulu tant souffrir, afin de nous faire comprendre la grandeur de votre amour pour nous. « Pourquoi donc, vous disait saint Bonaventure, (je vous le dis avec bien plus de raison, moi qui vous ai tant offensé), pourquoi m'avez-vous tant aimé? Pourquoi, Seigneur? Pourquoi? Car qui suis-je? » (S. Bonaventure, L'aiguillon de l'amour, ch. 13, Vivès, tome 12, 657).

 Ô mon divin Pasteur, je suis la brebis perdue que vous êtes venu chercher pour la rapporter au bercail. Ingrat que j'étais, j'ai fui loin de vous; mais vous, oubliant toutes les amertumes dont je n'ai pas criant d'abreuver votre coeur, vous daignez m'appeler encore à votre amour. Aussi, tout misérable que je suis, je me présente devant vous. Profondément touché par votre immense bonté, j'embrasse vos pieds transpercés pour mon salut. Ô Jésus, mon Amour, mon Trésor, je vous aime, et, parce que je vous aime, je me repens de vous avoir offensé.
 

 3. Saint Bernard se représente Jésus au moment où Pilate vient de prononcer contre lui la sentence de condamnation. Il lui dit avec une tendre compassion: « Ô mon Sauveur, vous êtes l'innocence même; comment se fait-il que je vous entende condamné à la mort, et à la mort de la croix? Quel crime avez-vous commis? » ? Ah! répond le saint docteur, votre péché, c'est votre amour! » (S. Bernard, Lamentation sur la passion, n. 3; PL 184, 770). Comme s'il eût dit: « Je ne le comprends que trop: l'amour, l'amour excessif que vous nous avez porté, voilà tout votre crime! Votre condamnation à mort est moins l'oeuvre de Pilate que celle de votre amour. »

 Au souvenir des injures que je vous ai faites, ô mon bien-aimé Rédempteur, ce qui me désole, c'est moins l'enfer que j'ai mérité, que l'amour immense dont vous m'avez donné la preuve. Mon Jésus crucifié, je veux désormais être tout à vous, je ne veux plus aimer que vous. Aidez ma faiblesse; faites que je vous sois à jamais fidèle.

 Marie, ma Mère, faites que j'aime Jésus Christ: c'est l'unique grâce que je vous demande.
 
 
 
 

PAS DE MILIEU: OU SAUVÉ OU DAMNÉ
 

 1. « Opérez votre salut avec crainte et tremblement » (Ph 2, 12).

 C'est le conseil que donnait saint Paul aux fidèles de Philippes.

 Pour se sauver, il faut craindre de se damner, parce qu'il n'y a pas de milieu entre le salut et la damnation. Ou sauvés, ou damnés, voilà ce que nous serons nécessairement un jour. Au fait, qui ne tremble pas pour son salut, ne s'en soucie que médiocrement et n'en prend pas les moyens; il ne peut que se perdre. Sans doute Dieu veut que tous les hommes soient sauvés; sans doute il donne à tous son secours; mais il veut aussi notre coopération. Tous les hommes voudraient se sauver; mais beaucoup ne se sauvent pas, parce qu'ils n'en prennent pas les moyens. « Le ciel, disait saint Philippe Néri, n'est pas pour les lâches. » (G. Bacci, Vita di San Filippo Neri Fiorentino, liv. 2, ch. 5, n. 8. Ce paragraphe qui figure dans les éditions italiennes est omis dans la traduction française).

 Éclairez-moi, Seigneur; faites-moi connaître ce que je dois faire et ce que je dois éviter; je veux vous obéir en tout. Oui, je veux me sauver.
 

 2. « Une âme, une éternité! Mes chères filles » (Ste Thérèse d'Avila, Avis, n. 68; MA 1054), disait sainte Thérèse à ses religieuses. Que voulait-elle dire? Qu'en ce monde nous ne devons avoir qu'une préoccupation: le salut de notre âme. En effet, l'âme perdue, tout est perdu; et l'âme une fois perdue, tout est perdu pour toujours.

 Le pape Benoît XII donnait audience à certain ambassadeur que le roi son maître avait chargé d'obtenir une faveur très importante; mais cette faveur, le Pape ne pouvait l'accorder sans forfaire à sa conscience: « Allez dire à votre roi, répondit-il à l'ambassadeur, que si j'avais deux âmes, je pourrais en sacrifier une pour lui; mais je n'en ai qu'une, je ne puis pas et ne veux pas la perdre. » (Raynaldus (Rinaldi Odorico) Annales ecclesiastici, année 1337: (Le pape Benoît XII répondit à Philippe VI de Valois, roi de France): « que s'il avait deux âmes il en donnerait une volontiers et qu'il la sacrifierait pour lui. Mais il n'en avait qu'une, qu'il chérissait par-dessus tout et qu'il tenait à garder quoi qu'il arrive. »). C'est ainsi que nous devons répondre au démon, au monde, quand ils nous présentent quelque fruit défendu.
 

 3. Heureuse l'âme qui comprend cette grande maxime de saint François-Xavier: « Il n'y a dans ce monde qu'un seul bien et qu'un seul mal! » Se damner, c'est le seul mal; se sauver, c'est le seul bien. Les maladies, la pauvreté, les humiliations, ne sont pas des maux, puisque supportés patiemment, elles augmentent notre bonheur éternel. La santé, les richesses, les honneurs ne sont pas des biens pour la plupart des pécheurs, puisqu'ils ne leur servent qu'à mériter un enfer plus rigoureux.

 Sauvez-moi donc, ô Dieu de mon âme, puis faites de moi ce qu'il vous plaît. Vous savez et vous voulez ce qu'il y a de mieux en moi. Je m'abandonne entre les mais de votre miséricorde: « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains » (Ps 31/30, 6 ? Lc 23, 46). Que je suis désolé d'avoir, par le passé, osé résister à vos volontés! Je voudrais en mourir de douleur. Maintenant je vous aime, et ne veux que ce que vous-même voulez. Donnez-moi votre amour, afin que je vous sois fidèle.

 Et vous, ô Marie, aidez-moi.
 
 
 
 

LA MORT EST CERTAINE
 

 1. Ô ciel! Comment est-il possible que des chrétiens poussent si loin la folie? Ils savent par la foi qu'ils doivent mourir un jour et que leur mort sera suivie d'une éternité de joies ou d'une éternité de tourments; ils savent que l'instant de leur mort décidera de leur sort à jamais heureux ou malheureux, et ils ne prennent pas tous les moyens de s'assurer une bonne mort!

 Ah! Seigneur, donnez-moi des larmes pour pleurer mes offenses. En vous offensant, je perdais votre grâce, je me condamnais aux tourments sans fin, je le savais, et, néanmoins, je vous outrageais, quand je vous préférais de misérables satisfactions: ayez pitié de moi.
 

 2. Entendons-nous dire: « Un tel est mort subitement; un tel qui vécut toujours sans se soucier de la mort », aussitôt nous disons avec un sentiment de compassion: « Hélas! Sa pauvre âme, qu'est-elle devenue? » Mais alors, pourquoi nous-mêmes n'avons-nous pas soin de nous tenir toujours prêts à mourir? Est-ce que le même malheur de la mort subite ne peut pas nous frapper? Du reste, un peu plus tôt, un peu plus tard, ? soudainement ou non, ? que nous y pensions, que nous n'y pensions pas ? un jour nous serons étendus sur un lit pour rendre notre âme à Dieu. Déjà l'instrument de notre mort est fixé par la Providence, je veux dire la maladie qui doit nous emporter hors de ce monde. Chaque jour nous en rapproche: pourquoi ne pas nous efforcer de nous unir chaque jour plus étroitement à Jésus Christ qui doit nous juger aussitôt après la mort?

 Mon Rédempteur, ce sont les mérites de votre mort qui me donnent la confiance de vivre et de mourir dans votre grâce. Je vous aime, ô Bonté infinie! J'espère vous aimer toujours, en cette vie et durant toute l'éternité.
 

 3. Chaque siècle voit les villes et les royaumes renouveler leur population; nos devanciers sont tous descendus dans la tombe. Ceux qui vivaient dans nos contrées, il y a cent ans, où sont-ils? Dans l'Éternité. Ainsi, mon cher lecteur, dans cent ans, même beaucoup plus tôt, ni vous ni moi ne serons plus en vie; nous serons tous deux entrés dans l'Éternité heureuse ou malheureuse; nous serons tous deux sauvés ou damnés à jamais: l'une des deux éternités sera notre partage, c'est une nécessité.

 Il est donc possible, ô mon Dieu, que je me sauve comme je l'espère; mais il est possible aussi que je me perde par mes péchés. Je puis donc me damner, et je ne prends pas tous les moyens de me sauver!

 Ô funeste aveuglement! Seigneur, éclairez-moi, faites-moi connaître ce que je dois faire pour me sauver; avec le secours de votre grâce, j'accomplirai tout ce que vous me direz. Bien que je vous aie manqué de respect si souvent, ô mon Père, vous n'avez pas cessé de me vouloir du bien. De toute la haine dont je suis capable je déteste les déplaisirs que je vous ai causés et de toute mon âme, ô mon Dieu, je vous aime. Bénissez-moi, mon Père; ne permettez pas que je vous perde encore.

 Ô Marie, ma tendre mère, ayez pitié de moi.
 
 
 
 

À QUOI SERT LE MONDE ENTIER À L'HEURE DE LA MORT?
 

 1. « La tombe, voilà tout ce qui me reste », disait Job (Jb 17, 1).

 Les jours passent, les années passent, les plaisirs, les applaudissements, le faste, passent. Quelle sera la fin de tout cela? La mort, qui viendra nous dépouiller de tout. Puis, on nous jettera dans une fosse, où nous pourrirons, abandonnés, oubliés de tout le monde. Ô ciel! À l'heure de la mort, le souvenir de tous les gains réalisés pendant la vie, n'a d'autre effet que de redoubler nos angoisses et notre incertitude du salut!

 Ô mort! Ô mort! Ne t'éloigne plus jamais de mes yeux! Mon Dieu, éclairez-moi.
 

 2. « Le fil de nos jours est coupé par Dieu comme la trame par le tisserand » (Es 38, 12).

 Combien n'en voit-on pas qui sont frappés par la mort, alors qu'ils déploient le plus d'activités pour exécuter des projets longuement mûris! La mort tranche tout. Vus du lit de mort, les biens de la terre n'apportent à ceux qui s'y sont attachés, que tristesse et remords, tristesse de les perdre, remords de les avoir trop aimés. Pendant la vie, ces biens apparaissent aux yeux aveuglés des mondains comme quelque chose de grand; mais la mort les dépouille de leur faux éclat, elle les montre tels qu'ils sont en réalité, c'est-à-dire, fange, fumée, néant. À la lumière sinistre du dernier flambeau, s'évanouissent toutes les grandeurs de ce monde; les plus hautes fortunes, les gloires les plus brillantes perdent toute valeur et toute splendeur; les sceptres eux-mêmes et les couronnes sont obscurcis par l'ombre de la mort.

 Ah! Mon Dieu, donnez-moi votre grâce, je ne vous demande rien de plus. Autrefois je l'ai méprisée, mais aujourd'hui je pleure ces dédains. Mon Jésus, ayez pitié de moi.
 

 3. À quoi servent les richesses au moribond, puisqu'il n'a plus besoin que de quelques planches et d'un vieux haillon pour couvrir son cadavre? À quoi servent au moribond les honneurs, les dignités, puisqu'il ne peut plus avoir en partage qu'un convoi funèbre, un tombeau de marbre dont son âme ne profitera pas, si elle est perdue? À quoi sert au moribond la beauté du corps, puisque ce corps est sur le point de devenir la pâture des vers, un amas de pourriture, un objet d'horreur?

 Hélas! Mon Rédempteur, je savais qu'en péchant je perdais votre amitié et, délibérément, j'ai voulu la perdre. Mais j'espère que vous me pardonnerez: n'êtes-vous pas mort pour pouvoir me pardonner? Ô Dieu de mon coeur, puissé-je ne vous avoir jamais offensé! Je vois l'immensité de l'amour que vous me portez; cet amour accroît la douleur que vous me portez; cet amour accroît la douleur que j'ai de vous avoir déplu, à vous, mon Père infiniment bon. Seigneur, je vous aime; je ne veux plus vivre sans vous aimer; donnez-moi la persévérance.

 Ô Marie, ma Mère, priez Jésus pour moi.
 
 
 
 

EN PÉCHANT, L'HOMME AFFLIGE LE COEUR DE DIEU
 

 1. « Les pécheurs, dit le roi-prophète, ont affligé le coeur du Très-Haut » (Ps 77/78, 56).

 Dieu, souverainement parfait, immuable, ne peut souffrir; il est supérieur à la douleur. Mais, si, par impossible, il était capable de souffrir, chaque péché commis par les hommes suffirait à le contrister, à lui faire perdre la paix.

 Voilà donc, ô mon Dieu, la reconnaissance que je vous ai témoignée en retour de votre grand amour! Que de fois j'ai préféré quelque vile satisfaction à votre amitié! Bonté infinie, pardonnez-moi; oui, pardonnez-moi, précisément parce que vous êtes la bonté infinie.
 

 2. Le péché mortel ne se contente pas d'affliger le coeur de Dieu: il pousse plus loin sa malice. « Autant qu'il est en lui, dit saint Bernard, il donne la mort à Dieu ». (Jean de Medina, De poenitentia, tr. 3 de satisfactione, q. 1, Ingolstadt 1581, 248). Au fait, quelle peine profonde n'éprouvons-nous pas, lorsque nous voyons une personne enrichie par nos bienfaits, comblée des marques spéciales de notre affection, avoir l'audace de nous offenser? Dieu nous a prodigué ses bienfaits; même un jour, dans l'excès de son amour, il est allé jusqu'à donner pour nous son sang et sa vie. Après cela, de quel spectacle est-il témoin? Hélas! Il voit les hommes lui tourner le dos, mépriser sa grâce, la sacrifier pour des riens, pour assouvir un mouvement de colère, pour jouir d'une misérable et fugitive satisfaction. Assurément, si Dieu pouvait ressentir la tristesse, pareille conduite lui causerait une peine si profonde qu'il en mourrait.

 Mon bien-aimé Jésus, je suis une pauvre brebis perdue par ma faute; mais vous êtes mon bon Pasteur. Vous avez donné votre vie pour toutes vos brebis: ayez donc pitié de moi; pardonnez-moi toutes les amertumes dont je vous ai abreuvé. Ô mon Jésus, je suis très affligé de mes offenses; je vous aime de toute mon âme.
 

 3. Pourquoi notre divin Rédempteur fut-il toute sa vie accablé de souffrances et d'afflictions? Parce que ce très aimant Rédempteur eut sans cesse devant les yeux la multitude de nos péchés.

 Et, notamment, quelle fut la cause de cette sueur de sang, de cette agonie mortelle qu'il eut à subir au jardin des oliviers et lui fit jeter ce cri de détresse: « Mon âme est triste jusqu'à en mourir! » (Mt 26, 38) c'est-à-dire,ma tristesse est si grande, que je suis à chaque instant sur le point de rendre le dernier soupir? Oui, quelle fut la cause de cette agonie mortelle et de cette sueur de sang? Sans nul doute, la vue de nos péchés.

 Je vous en supplie, ô mon Jésus, faites-moi participer à la profonde douleur que vous causèrent mes péchés dans le jardin de Gethsémani; faites que je les pleure sans cesse jusqu'à la mort. Que ne puis-je même mourir de contrition, si tel est votre bon plaisir! Mon Jésus, je ne veux plus jamais vous causer aucune peine; non, je ne veux plus contrister votre coeur; je veux, au contraire, vous aimer de toutes mes forces, ô mon Amour, ma Vie, mon Tout! Ne permettez pas que je vous offense encore.

 Ô Marie, mon Espérance, ayez pitié de moi.
 
 
 
 

LE JUGEMENT GÉNÉRAL
 

 1. « Jour de colère... jour d'affliction et de misère » (So 1, 15).

 Tel sera, d'après la sainte Écriture, le jugement général pour tous ceux que la mort aura frappés en état de péché mortel. Alors, en effet, ces malheureux verront toutes leurs iniquités, même les plus secrètes, dévoilées devant le genre humain tout entier; ils seront publiquement chassés de la compagnie des saints et jetés dans la prison éternelle de l'enfer, pour y subir une mort ininterrompue.

 Saint Jérôme, retiré dans sa grotte de Bethléem, passant les jours et les nuits dans la prière et les austérités, tremblait à la seule pensée du jugement général. (Sur la crainte du jugement éprouvé par S. Jérôme; PL 22, 354 et 644). Le vénérable Juvénal Ancina, pendant qu'il écoutait attentivement le chant du Dies Irae, dies illa, fut saisi d'une telle frayeur, à la pensée du jugement universel, qu'il quitta le monde et se fit religieux. (G. Forti, Vita del Ven. Servo di Dio Giovenale Ancina, ch. 4, Macerata 1679, 15-16: « En 1572, à l'âge de 27 ans, un matin il s'attarda à écouter une messe chantée des défunts... Quand ces paroles: « Dies irae, dies illa, etc. » vinrent frapper ses oreilles, ce furent autant de flèches qui lui percèrent le coeur et le déterminèrent à se consacrer au service de Dieu. »)

 Ô mon Jésus! En ce jour redoutable, qu'en sera-t-il de moi? Où me trouverai-je? À droite, avec les élus? À gauche, avec les réprouvés? Je sais que j'ai mérité d'être à votre gauche; mais je sais aussi que vous pouvez encore me pardonner, si je me repens de vous avoir offensé. Oh! Oui, je m'en repens de tout mon coeur; je veux mourir plutôt que de vous offenser encore.
 

 2. Jour d'épouvante et de torture pour les damnés, le jour du jugement final sera pour les élus un jour de triomphe et d'allégresse. Car alors, en présence de tous les hommes réunis, leurs âmes bienheureuses seront proclamées reines du paradis, épouses bien-aimées de l'Agneau sans tache.

 Mon Jésus, votre Sang est mon espérance. Daignez oublier mes outrages, embrasez-moi tout entier de votre saint amour, Je vous aime, ô mon Souverain Bien; j'espère me trouver au dernier jugement parmi les âmes aimantes, destinées à vous louer et à vous aimer durant toute l'éternité.
 

 3. Mon âme, choisis, et choisis sans retard.

 Veux-tu la couronne éternelle de ce bienheureux royaume où l'on voit, où l'on aime Dieu face à face dans la compagnie des Saints, des Anges, de la divine Mère? Veux-tu la prison éternelle de l'enfer, où l'on pleure à jamais, abandonné de toutes les créatures et privé de Dieu? Ô mon âme, fais ton choix.

 « Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous! »

 Oui, divin Agneau, vous qui, pour nous préserver de l'enfer, avez voulu sacrifier votre vie en mourant de douleur sur une croix, ayez pitié de nous, mais ayez surtout pitié de moi, qui vous ai offensé plus que les autres, je veux vous aimer plus que les autres. Je suis souverainement affligé de vous avoir déshonoré par mes péchés; j'espère vous rendre gloire au jour du jugement, devant tous les hommes et tous les anges, en proclamant vos miséricordes envers moi. Mon Jésus, aidez-moi à vous aimer; je ne veux que vous, rien de plus.

 Ô Marie, ma Reine, en ce grand jour, tenez-moi près de vous.
 
 
 
 

LES PEINES DE L'ENFER SONT DES PEINES SANS MÉLANGE
 

 1. En cette vie, pas de maux dont la violence ne se calme ou ne s'interrompe au moins de temps en temps. Ce malade endure toute la journée des douleurs d'entrailles ou de goutte; mais, la nuit venue, il dort quelques heures, il ne souffre plus. Pour vous, malheureux damnés, il n'y a jamais ni soulagement, ni répit; toujours gémir, toujours souffrir, et souffrir des tourments effroyables, sans avoir jamais, durant toute l'éternité, un moment de relâche, voilà votre sort!

 Ce sort serait le mien, ô mon Jésus, si vous m'aviez fait mourir, quand je me trouvais en état de péché. Mon bien-aimé Rédempteur, je ne refuse pas de souffrir, mais je veux vous aimer.
 

 2. En cette vie, la prolongation des mêmes souffrances crée l'habitude de les supporter; au bout d'un certain temps, la douleur se fait moins sentir qu'au commencement. Les malheureux damnés souffrent pendant toute l'éternité les mêmes tourments: bénéficient-ils des avantages de l'habitude? Leurs tourments en sont-ils diminués, rendus moins cuisants par l'accoutumance? Non pas; car telle est la continuité comme l'acuité des supplices éternels, qu'après des centaines et des milliers d'années, ils torturent autant qu'au premier instant.

 « Seigneur, j'ai mis ma confiance en vous; que jamais je ne sois confondu! » (Ps 31/30, 2). Je sais que j'ai souvent mérité l'enfer, mais je sais aussi que vous ne voulez pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie. Mon Dieu, je ne veux pas être un pécheur obstiné, de toute mon âme je me repens de vous avoir offensé; je vous aime plus que moi-même; rendez-moi la vie, la vie de votre sainte grâce.
 

 3. Sur cette terre, quelqu'un souffre-t-il beaucoup? Il trouve du soulagement au moins dans la compassion de ses parents et de ses amis. Mais quelle ne serait pas l'affliction, l'agonie de celui qui, se roulant convulsivement par terre dans l'excès de sa douleur, verrait arriver ses parents, ses amis pour le fouler aux pieds, l'accabler de reproches, et lui crier sans pitié: « Tu peux bien te livrer à la rage, au désespoir; tes méfaits l'ont mérité! »

 Les malheureux réprouvés! À quel état misérable ne sont-ils pas réduits? Ils endurent les pires tourments, sans trêve ni merci, sans arrêt ni soulagement, et, pour comble de malheur, ils n'excitent jamais la moindre compassion. Au reste, d'où leur viendrait-elle? De Dieu? Ils l'ont pour ennemi. De la divine Mère, des Anges, des Saints? Les Anges, les Saints, la divine Mère ne peuvent que louer la justice de Dieu. Quant aux démons, que font-ils? Ils foulent aux pieds les réprouvés et leur reprochent les offenses qui sont la cause de ces justes châtiments.

 Ô Marie, ma Mère, ayez pitié de moi, maintenant que vous pouvez encore compatir à ma misère et me recommander au Seigneur. Et vous, ô mon Jésus, qui, par compassion pour moi, avez volontairement manqué de compassion pour vous-même en mourant pour moi sur la croix, sauvez-moi, et que mon salut soit de vous aimer éternellement. Je me repens, Seigneur, de vous avoir offensé; je vous aime de tout mon coeur.
 
 
 
 

L'AMOUR CRUCIFIÉ
 

 1. En vérité, seul Jésus Christ, le Fils de Dieu, le souverain Maître de l'univers, pouvait concevoir et réaliser ce prodige de générosité: mourir sur une croix pour nous faire comprendre l'immensité de son amour. À la pensée de qui pouvait-il venir que le Créateur mourût pour ses créatures? C'est donc avec raison que Moïse et Élie, sur le mont Thabor, appelaient la mort de Jésus un excès d'amour: « Ils s'entretenaient de l'excès d'amour, qui devait s'accomplir dans Jérusalem » (Lc 9, 31). Quel excès en effet, que de voir le Créateur mourir par amour pour ses créatures!

 Pour reconnaître votre amour, ô mon Rédempteur, il faudrait qu'un autre Dieu mourût pour vous. C'est donc bien peu, même ce n'est rien, que nous, misérables vers de terre, nous vous sacrifions notre vie, à vous qui, le premier, avez voulu mourir pour nous.
 

 2. Un autre motif très propre à nous embraser d'amour pour notre Dieu-Charité, c'est le désir ardent qu'il eut perpétuellement de voir arriver l'heure de sa mort pour nous donner la preuve éclatante de son amour pour nous. Il allait par le chemin de la vie, disant et redisant: « Je dois encore être baptisé d'un baptême, et quelle angoisse en moi, jusqu'à ce qu'il soit accompli! » (Lc 12, 50). Ce baptême, c'est celui de mon Sang dans lequel je laverai tous les péchés des hommes: voilà pourquoi, je me sens mourir du désir que vienne enfin le jour de ma passion et de ma mort!

 Ô mon âme! Lève les yeux, regarde ton Seigneur qui pend à cet infâme gibet; considère ce Sang qui l'inonde, ces plaies qui le couvrent: autant de marques d'amour qui réclament ton amour. Il semble que ton Rédempteur veuille obtenir, à force de souffrances, que tu l'aimes, au moins par compassion.

 Ah! Mon Jésus! Vous ne m'avez donc rien refusé, ni votre Sang, ni votre vie; et moi, j'aurai le coeur de vous refuser un sacrifice demandé par vous? Non, ô mon Jésus! Vous avez daigné vous donner à moi sans réserve, c'est sans réserve aussi que je me donne à vous.
 

 3. « L'amour du Christ (pour nous) nous presse » (2 Co 5, 14), disait saint Paul.

 Saint François de Sales commente admirablement ces paroles du grand Apôtre: « Sachant que Jésus Christ, vrai Dieu, nous a aimés jusqu'à souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, n'est-ce pas cela avoir nos coeurs sous le pressoir, les sentir presser de force, sentir exprimer de l'amour, par une contrainte d'autant plus violente qu'elle est plus aimable? » Puis il ajoute cette conclusion pratique: « Eh! Que ne nous jetons-nous en esprit sur Jésus Crucifié pour mourir sur la croix, avec lui, qui pour l'amour de nous, a bien voulu mourir! Je le tiendrai, devrions-nous dire, et ne le quitterai jamais; je mourrai avec lui et brûlerai dans les flammes de son amour. Un même feu consumera ce divin Créateur et sa chétive créature. Mon Jésus est tout à moi, et je suis tout à lui; je vivrai et mourrai sur sa poitrine; ni la mort ni la vie ne me sépareront jamais de lui. » (S. François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, liv. 7, ch. 8, AN tome 5, 33; RVP 687). « Ô Amour éternel, mon âme vous cherche, et vous choisit éternellement. » (Ibid, liv. 12, ch. 13, AN 346, RVP 972).

 Ô Marie, Mère de Dieu, faites que je sois tout à Jésus.
 
 
 
 

SE DAMNER, C'EST UN MAL IRRÉPARABLE
 

 1. Pas de faute comparable à l'insouciance du salut éternel!

 À tout autre mal, il y a quelque remède. Vous perdez, fût-ce par votre imprudence, une place avantageuse, vous pouvez, avec le temps, la recouvrer. Vous subissez la perte d'une partie de votre fortune, c'est un malheur que, peut-être, vous réparerez. Pour celui qui se damne, plus de remède, plus d'espoir. On ne meurt qu'une fois: perdre son âme à la mort, c'est la perdre pour toujours; jamais, durant toute l'éternité, vous ne pourrez réparer pareille catastrophe.

 Ô mon Dieu, voici devant vous un pauvre pécheur qui devrait, depuis des années, gémir en enfer sans espérance de salut; mais, prosterné maintenant à vos pieds, il vous aime, il est affligé plus que de tout autre mal de vous avoir offensé; il espère grâce et miséricorde.
 

 2. Quelle est l'occupation de tant de malheureux déjà détenus dans la prison de l'enfer? Livrés au désespoir, il ne leur reste qu'à pleurer amèrement, à proclamer leur erreur: « Ergo erravimus! Nous nous sommes donc trompés! » (Sg 5, 6), s'écrient-ils. Notre erreur est à jamais irréparable; nous en porterons les conséquences, aussi longtemps que Dieu sera Dieu!

 Ah! Mon Rédempteur, si j'étais en enfer, je ne pourrais plus jamais ni me repentir ni vous aimer. Je vous remercie de m'avoir patiemment supporté, lorsque j'étais digne de l'enfer. Puisqu'il m'est encore loisible de me repentir et de vous aimer, oui, de tout mon coeur, je me repens des déplaisirs que je vous ai causés, ô Bonté infinie. Je vous aime plus que toute chose, plus que moi-même. Je vous en supplie, ô mon Jésus, ne permettez pas que je cesse de vous aimer.
 

 3. Quel supplice pour le damné que cette pensée obsédante: « Je savais pourtant que j'étais hors du bon chemin et qu'en y restant je finirais par me perdre: c'est donc bien par ma faute que je me suis perdu! » Quelqu'un perd-il par négligence un anneau, une pièce d'or? Il est inconsolable de l'avoir perdu par sa faute. Ô ciel! Quelle ne sera pas l'acuité du regret du damné! « J'ai perdu mon âme, se dira-t-il éternellement, j'ai perdu le paradis, Dieu lui-même; j'ai tout perdu, et tout cela, je l'ai perdu par ma faute! »

 Mon doux Sauveur, je ne veux pas vous perdre. En vous perdant volontairement par le passé, je fus un criminel, je le reconnais. Je me repens de toute mon âme et je vous aime plus que toutes choses. Mon Jésus, c'est afin que je vous aime, que vous ne m'avez pas jeté en enfer. Eh bien! Oui, je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup. Donnez-moi la grâce de réparer par l'ardeur de mon amour toute la peine que je vous ai faite.

 Vierge sainte, ô Marie, vous êtes mon Espérance.
 
 
 
 

IL FAUT MOURIR
 

 1. Quel terrible sermon que cette seule parole: « Il faut mourir! ».

 Mon frère, un jour, vous mourrez: le doute n'est pas possible. Un jour, on vous a inscrit sur le registre des baptêmes; un jour, ? déjà fixé par Dieu, ? on vous inscrira sur le registre des décès. Vous dites, en parlant de vos parents qui ne sont plus: Feu mon père, feu mon oncle, feu mon frère. Ainsi parleront de vous les parents qui vous survivront. Que de fois vous avez entendu les cloches annoncer la mort des autres! Un jour, les autres entendront ces mêmes cloches annoncer votre mort, et vous serez déjà dans l'Éternité.

 Ah! Mon Dieu, dans quelle éternité serai-je alors? Heureuse ou malheureuse? Quand on portera mon corps à l'église et qu'on célébrera pour moi la messe, où se trouvera mon âme? Aidez-moi, Seigneur, à faire quelque chose pour vous, avant que la mort arrive. Malheur à moi, si elle me frappait à l'instant.
 

 2. Que diriez-vous, si vous voyiez un criminel conduit à l'échafaud, rire aux éclats, jeter partout des regards curieux, l'esprit tout occupé des plaisirs du monde? « C'est un fou, diriez-vous, ou bien un incroyant. » Vous-même, n'êtes-vous pas toujours en marche vers la mort? De quoi vous occupez-vous?

 Vous savez qu'il faut mourir et qu'on ne meurt qu'une fois. Vous croyez qu'après cette vie, il y en a une autre qui ne finira jamais; vous croyez que la vie éternelle sera heureuse, ou malheureuse suivant les comptes que vous apporterez au jugement. Alors, comment expliquer qu'un homme, convaincu de ces vérités, s'occupe d'autre chose que de s'assurer une bonne mort?

 Mon Dieu, donnez-moi votre lumière; faites que je pense toujours à la mort, à l'éternité qui m'attendent.
 

 3. Allez dans un cimetière. Considérez tous ces squelettes; écoutez leur langage, chacun vous dit: « Ce qui m'est arrivé, doit t'arriver aussi. » Regardez autour de vous les portraits de vos parents défunts, les papiers écrits de leur main, les chambres, les lits, les habits dont vous avez hérité: toutes ces choses, autrefois possédées par eux, vous crient: « La mort t'attend ».

 Ô mon Jésus crucifié! Pour vous embrasser, je ne veux pas attendre l'heure où l'on vous approchera de mes lèvres mourantes. Dès maintenant je vous embrasse et vous presse sur mon coeur. Autrefois je vous ai souvent chassé de mon âme; mais aujourd'hui, je vous aime plus que moi-même, je me repens de vous avoir méprisé; désormais, je serai tout à vous et vous serez tout à moi. Je l'espère par les mérites de votre Passion.

 Je l'espère aussi par votre intercession, ô Marie.
 
 
 
 

DIEU ACCUEILLE AVEC AMOUR LE PÉCHEUR REPENTANT
 

 1. Les rois de la terre chassent de leur présence les sujets rebelles qui viennent implorer leur pardon. Est-ce ainsi que Jésus Christ traite le pécheur repentant, prosterné devant lui? Non pas. Lui-même atteste qu'il ne le repoussera jamais: « Celui qui vient à moi, je ne le jetterai point dehors » (Jn 6, 37). Déjà le Prophète-Roi avait dit: « Seigneur, vous ne mépriserez pas le coeur contrit et humilié » (Ps 51/50n 19).

 Mon Jésus, je ne mérite pas le pardon des injures que je vous ai faites. Sachez, cependant, que rien ne m'afflige autant que le souvenir de vous avoir offensé.
 

 2. Du reste, comment pourrais-je craindre d'être rejeté par vous, ô mon Dieu, puisque vous-même m'invitez à revenir et m'offrez le pardon? « Reviens à moi..., dites-vous, je te recevrai » (Jr 3, 1). Comment me défier de celui qui promet de nous ouvrir ses bras, si nous nous convertissons? « Revenez à moi, et je reviendrai à vous » (Za 1, 3).

 Cessez donc, Seigneur, de vous détourner de moi, car je quitte tout pour me convertir à vous, mon Bien suprême. Assez, assez d'offenses jusqu'ici! Désormais, je veux vous aimer.
 

 3. Dieu va jusqu'à nous assurer qu'il veut oublier toutes les iniquités du pécheur, pourvu que le pécheur s'en repente: « Si l'impie fait pénitence, il vivra certainement et ne mourra pas. Je ne me souviendrai d'aucune des iniquités qu'il a commises » (Ez 18, 21-22).

 Moi, mon bien-aimé Sauveur, je ne veux jamais perdre le souvenir de mes péchés, afin de ne cesser jamais de pleurer tant d'outrages que je vous ai faits. Vous, ô mon Jésus, veuillez oublier selon votre promesse, tout mon malheureux passé, car je ne veux pas que mes péchés vous empêchent de m'aimer. Vous-même n'avez-vous pas dit: « J'aime ceux qui m'aiment? » (Pr 8, 17). Autrefois, je ne vous ai pas aimé, j'ai mérité votre haine. Maintenant que je vous aime, je ne veux plus que vous me haïssiez. Oubliez donc le passé; pardonnez-moi; enchaînez-moi fortement à vous et ne permettez pas que je vous quitte de nouveau.

 Ô Marie, priez pour moi.
 
 
 
 

ARTIFICES DU DÉMON POUR FAIRE RETOMBER LES PÉCHEURS
 

 1. « Dieu est miséricordieux »; voilà, mon âme, ce que dira le démon quand il reviendra te solliciter au mal. Réfléchis alors envers quelles âmes le Seigneur use de miséricorde. La divine Mère nous l'enseigne dans son cantique: « La miséricorde s'étend sur ceux qui le craignent » (Lc 1, 50), mais non sur ceux qui le méprisent. Que Dieu soit miséricordieux, qui le nie? Combien d'âmes néanmoins n'envoie-t-il pas chaque jour en enfer! Dieu est miséricordieux, mais juste aussi. En conséquence, il traite miséricordieusement celui qui se repent de ses péchés, mais non celui qui s'appuie sur sa miséricorde pour l'outrager davantage.

 Ah! Seigneur, que de fois j'ai de la sorte abusé de votre clémence! Que de fois je vous ai offensé, parce que vous êtes bon!
 

 2. Le démon te dira: « Dieu t'a déjà pardonné tant de péchés; il te pardonnera de même celui que tu vas commettre. » Réponds à ce menteur: C'est précisément parce que Dieu m'a pardonné tant de péchés, que je dois redouter d'en commettre un nouveau. Sa patience pourrait se lasser. Il me refuserait le pardon et châtierait en une fois toute mes offenses. C'est l'avis que me donne le Saint-Esprit: « Mon fils, ne dis pas: '' J'ai péché, et que m'est-il arrivé de fâcheux? '' Car le Très-Haut attend pour rendre selon le mérite » (Si 5, 4).

 Mon Dieu, j'ai donc eu l'audace de rivaliser avec vous; hélas! De quelle façon! Vous persistiez à me pardonner; moi, je persistais à vous faire des injures; vous persistiez à me combler de faveurs; moi, je persistait à vous outrager. Ah! Mon Dieu, que désormais il n'en soit plus ainsi! Plus vous avez mis de patience à me supporter, plus je veux vous aimer. Seigneur, aidez ma faiblesse.
 

 3. Le démon te dira: « Ne vois-tu pas que tu ne peux pas, en ce moment, résister à la tentation? »

 Réponds-lui: Si je ne résiste pas maintenant, comment résisterai-je plus tard quand ma nouvelle défaite m'aura affaibli, quand les secours divins me feront défaut? Folle présomption d'espérer que Dieu multipliera ses grâces à mesure que je multiplierai mes iniquités!

 Dernière ruse: « Même après ce péché, il est encore possible que tu te sauves. »

 Réponds-lui: Il demeure possible que je me sauve; mais, en attendant, j'écris moi-même ma sentence de condamnation à l'enfer. Si, tout de même, il se peut que je me sauve, il se peut aussi que je me damne; c'est même l'éventualité la plus probable. Sur un pareil « peut-être », je risquerais mon salut? On ne risque pas une affaire aussi grave sur un « peut-être ».

 Seigneur, vous êtes bien l'infinie Bonté! J'ai multiplié mes torts, vous avez multiplié vos bienfaits. Plus j'y pense, plus je sens redoubler ma douleur de vous avoir abreuvé de tant d'amertumes. Mon Dieu, pourquoi vous ai-je offensé, vous la Bonté même? Que ne puis-je mourir de regret! Mon Jésus, aidez-moi, je veux être à vous, tout à vous.

 Ô Marie, obtenez-moi la sainte persévérance. Ne permettez pas que je sois plus longtemps ingrat envers ce Dieu qui m'a tant aimé.
 
 
 
 

LA RÉSURECTION DES CORPS AU JUGEMENT GÉNÉRAL
 

 1. Un jour doit venir qui sera le dernier des jours, ? avec lequel finira toute la scène de ce monde. Avant l'arrivée du Juge, un feu descendra du ciel: « Alors, dit saint Pierre, la terre sera consumée avec les ouvrages qu'elle renferme » (2 P 3, 10). Tout ici-bas passera par les flammes; tout sera réduit en cendres. Quel cas, ô ciel! ferons-nous alors de toutes ces vanités auxquelles beaucoup sacrifient leur salut? Que deviendront alors toutes les grandeurs de ce monde, la pourpre royale, les sceptres, les couronnes?

 Ô folie de ceux qui les auront aimées! Ô regrets de ceux qui, subjugués par ces riens, auraient perdu leur Dieu!
 

 2. « La trompette retentira, les morts ressusciteront » (2 Co 15, 52), (TOB, note p: « la trompette est un accessoire traditionnel de l'imagerie apocalyptique »), écrit l'Apôtre.

 Tous ressusciteront à l'appel de la trompette, pour comparaître devant le Juge suprême. Regardez! Qu'ils sont beaux, resplendissants les corps des bienheureux! En vérité, « ils brillent comme le soleil » (Mt 13, 43), selon la parole du divin Maître. Par contre, qu'ils sont horribles, affreux les corps des réprouvés! Quel supplice pour leurs âmes infortunées de rentrer dans ces corps qu'elles ont flattés jusqu'à leur sacrifier le paradis et Dieu lui-même! Quel supplice d'être précipités ensemble dans l'abîme, pour y brûler éternellement!

 Heureux alors ceux qui, volontairement, auront privé leurs sens des plaisirs qui déplaisent à Dieu! Heureux ceux qui, pour mieux dompter leur chair, l'auront mortifiée par des jeûnes et d'autres austérités!

 Je vous supplie, mon Jésus, « ne détournez pas de moi votre face » (Ps 143/142, 7). Je ne mérite pas que vous me regardiez. Que de fois, en effet, j'ai préféré la satisfaction de mes sens à votre amitié! Que ne suis-je mort plutôt que de vous infliger ce déshonneur! Ayez pitié de moi.
 

 3. À peine ressuscités, les hommes entendront l'appel des anges: « Peuples, peuples dans la vallée de la décision du jugement définitif! » (Jo 4, 14). Ils se mettent en marche vers la vallée de Josaphat, pour être jugés dans l'assemblée du genre humain tout entier.

 Ah! Mon Dieu, moi aussi, je devrai me rendre à cette vallée redoutable. Quelle y sera ma place? Parmi les élus, dans la gloire? Parmi les damnés, dans les chaînes? Mon bien-aimé Rédempteur, votre Sang est mon espérance. Malheureux! Combien de fois n'ai-je pas mérité d'être jeté dans l'abîme éternel, pour toujours, banni loin de vous, sans pouvoir jamais plus vous aimer! Mon Jésus, je veux vous aimer toujours, en cette vie d'abord, puis dans l'autre. Ne permettez pas que le péché me sépare encore de vous. Vous connaissez ma faiblesse; mon Jésus, aidez-moi toujours, ne m'abandonnez pas.

 Marie, mon Avocate, obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 
 

AMOUR QUE DIEU NOUS A TÉMOIGNÉ PAR LE DON DE SON DIVIN FILS
 

 1. Dès le commencement, Dieu combla l'homme de grâces et de biens. Mais son amour pour nous est si grand, qu'il en vint à nous donner son propre Fils: « Dieu, dit saint Jean, a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Que sommes-nous ici-bas? De misérables vers de terre, et c'est pour nous que le Père éternel envoya son Fils bien-aimé, avec l'ordre de mener en ce monde une vie de souffrances et d'humiliations, puis de subir la mort la plus ignominieuse, la plus cruelle que, jamais homme ait endurée, enfin d'expirer, à force de douleurs intérieures et extérieures, dans une affliction extrême: « Mon Dieu, mon Dieu, disait-il, pourquoi m'avez-vous abandonné? » (Mt 27, 46).

 Assurément, Seigneur, aucun autre que vous n'aurait pu nous faire ce don d'une valeur infinie; car seul vous êtes un Dieu capable d'aimer infiniment. Je vous aime donc, Bonté infinie; je vous aime, Amour infini!
 

 2. « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous » (Rm 8, 32).

 Mais, ô Père éternel, ce Fils, à qui vous avez donné l'ordre de mourir, est innocent; il vous a toujours rendu pleine et entière obéissance, vous l'aimez autant que vous-même: comment pouvez-vous le condamner à mort pour nos péchés?

 ?  Précisément, répond le Père éternel, parce qu'il est mon Fils, parce qu'il est parfaitement innocent, parce qu'il m'est soumis en tout, je veux qu'il donne sa vie pour vous, afin que vous sachiez quel amour vous porte aussi mon Fils bien-aimé.

 Que toutes les créatures louent sans cesse, ô mon Dieu, cet excès d'amour qui vous fit vouloir la mort de votre propre Fils pour procurer la délivrance de misérables esclaves! Pour l'amour de votre Fils, ayez pitié de moi! Pardonnez-moi! Sauvez-moi! Que mon salut consiste à vous aimer toujours en cette vie et durant toute l'éternité.
 

 3. « Dieu, si riche en miséricorde, ? par l'amour excessif dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par nos offenses, ? nous a vivifiés dans le Christ » (Ep 2, 4-5).

 Trop grand et dépassant les bornes, tel apparaît, au regard de l'Apôtre, l'amour que Dieu daigne avoir pour nous. Nous étions morts par le péché. Pour nous rendre la vie, que fait-il? Il nous accorde généreusement la mort de son Fils.

 Toutefois ? à considérer en elle-même la bonté de Dieu, ? cet amour ne présente rien d'excessif; car la bonté de Dieu ne peut être qu'infinie. Infini dans toutes ses perfections, Dieu l'est également dans son amour.

 Mais alors, Seigneur, comment se fait-il qu'après tant de preuves de votre amour, il y ait si peu d'hommes qui vous aiment? Je veux être, moi, de ce petit nombre. Par le passé, hélas! Je vous ai délaissé; maintenant je m'en repens de tout mon coeur et je vous aime. Telle est l'ardeur de mon amour, que si tous les hommes vous abandonnaient, moi, je ne vous abandonnerais pas, mon Dieu, mon Amour, mon Tout.

 Ô Marie, unissez-moi par des liens toujours plus étroits à mon bien-aimé Jésus.
 
 
 
 

POUR FAIRE SON SALUT, IL FAUT PRENDRE DE LA PEINE
 

 1. Pour se sauver, il ne suffit pas de faire juste, ou à peu près, ce qui est absolument commandé, absolument nécessaire. ? Certains, par exemple, se proposent d'éviter tous les péchés mortels, mais ne tiennent aucun compte des péchés véniels: ils finiront par tomber, sans grande résistance, dans le péché mortel, et ne se sauveront pas. D'autres sont décidés à fuir les occasions de péché, mais seulement les occasions prochaines; ils demeurent attachés aux occasions éloignées; il leur arrivera facilement de tomber dans le péché grave, et, partant, ne se sauveront pas.

 Ô ciel! Quel zèle ne met-on pas au service des grands de la terre! On évite de leur causer le moindre déplaisir par crainte de perdre leurs bonnes grâces; mais, hélas! Quelle négligence au service de Dieu! Que de précautions prises pour écarter tout danger de compromettre la vie du corps; quelle témérité, par contre, en face des périls que court la vie de l'âme!

 Je le reconnais, ô mon Dieu, jusqu'ici je me suis rendu coupable, à votre service, de la plus lamentable négligence; je veux désormais vous servir avec la plus grande sollicitude. Daignez m'aider.
 

 2. Mon frère, si Dieu lésinait avec vous comme vous lésinez avec lui, que vous seriez à plaindre! S'il décidait de ne vous donner que la grâce strictement suffisante, arriveriez-vous au salut? Vous pourriez, à la rigueur, vous sauver; mais en fait, vous ne vous sauveriez pas. Cela, pour une raison: dans la vie il se présente souvent des tentations tellement violentes, qu'il est moralement impossible d'y résister sans un secours spécial de Dieu. Or, ces secours spéciaux, Dieu les refuse à ceux qui sont avares envers lui: « Celui qui sème peu, moissonne peu » (2 Co 9, 6), dit l'Apôtre. Il est juste que, donnant peu, l'on reçoive peu.

 Seigneur, ce n'est pas avec parcimonie que vous m'avez traité. J'ai payé vos faveurs par l'ingratitude, par le grand nombre de mes nouvelles offenses; et vous, au lieu de me châtier, vous avez redoublé vos grâces! Non, non! Mon Dieu! Je ne veux plus être ingrat, comme je le fus par le passé.
 

 3. Le salut n'est pas une entreprise facile, mais difficile, même très difficile. Nous portons avec nous une chair rebelle, toujours prête à se révolter contre la raison, toujours prompte à nous entraîner dans les plaisirs des sens. Autour de nous, que d'ennemis suscités par le monde et par l'enfer! Ennemis du dehors, ennemis du dedans, tous nous poussent violemment au mal.

 Sans doute il y a la grâce de Dieu, qui ne nous abandonne jamais; mais la grâce ne fait pas tout. Elle exige qu'avec son secours nous prenions la peine de résister vigoureusement aux tentations, surtout de prier pour obtenir un secours plus puissant dans les périls plus grands.

 Mon Jésus, je ne veux plus jamais me voir séparé de vous et privé de votre amour. Jusqu'ici, je ne vous ai témoigné que de l'ingratitude en vous tournant le dos bien souvent; maintenant, je vous aime de toute mon âme; je crains moins tous les maux que l'affreux malheur de ne plus vous aimer. Vous connaissez ma faiblesse, aidez-moi; je mets en Vous ma confiance.

 Ô Marie, ma Reine, ne cessez pas de prier pour moi.
 
 
 
 

PORTRAIT D'UN HOMME QUI VIENT D'EXPIRER
 

 1. « Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière et que tu retournes en poussière » (Gn 3, 19). (Formule de la liturgie du mercredi des cendres).

 Réfléchissez, mon frère: qu'êtes-vous? Un peu de terre. Que deviendrez-vous? Un peu de poussière. Maintenant vous voyez, vous entendez, vous parlez, vous marchez. Un jour viendra nécessairement où vous ne verrez plus, n'entendrez plus, ne parlerez plus, ne marcherez plus. Quand votre âme aura quitté votre corps, celui-ci restera, ? pour devenir la pâture des vers, être bientôt réduit en poussière; l'âme se trouvera déjà dans celle des deux éternités que vous aurez méritée par vos oeuvres.

 Ô mon Dieu, mes oeuvres ne m'ont mérité jusqu'ici que votre disgrâce et l'enfer; mais vous m'interdisez de me livrer au désespoir; vous voulez que je me repente, que je vous aime et que j'espère.
 

 2. Représentez-vous par l'imagination un homme qui vient de rendre le dernier soupir. Voyez ce cadavre gisant encore sur son lit de mort, cette tête qui tombe sur la poitrine, ces cheveux en désordre, encore tout baignés des sueurs de l'agonie, ces yeux enfoncés, ces joues décharnées, ce visage couleur de cendre, cette langue et ces lèvres noirâtres. Quiconque le regarde, est pris de dégoût et d'horreur. Voilà, mon cher lecteur, l'état qui doit être un jour celui de notre corps, de ce corps que vous flattez tant aujourd'hui.

 Non, mon Dieu, je ne veux plus résister à vos multiples appels. Des satisfactions accordées à ce corps, que me reste-t-il sinon des remords qui me tourmentent sans répit? Ah! Que ne suis-je mort, avant d'avoir eu le malheur de vous offenser!
 

 3. Avec la corruption qui commence, c'est un redoublement de dégoût et d'horreur. Vingt-quatre heures ne se sont pas écoulées depuis la mort de ce jeune homme, qu'il s'en exhale une odeur insupportable. Il faut ouvrir les fenêtres, brûler de l'encens, pour empêcher l'infection d'envahir toute la maison. Aussi, quel n'est pas l'empressement des parents à le faire enterrer le plus tôt possible! (S. Ambroise, Hexameron, liv. 3, ch. 8, n. 51; PL 14, 263).

 Ce cadavre, c'est peut-être celui d'un de ces grands personnages, habituellement idolâtres de leur corps. À quoi servent maintenant les soins excessifs, prodigués pendant la vie? À lui faire répandre une puanteur plus repoussante.

 Mon bien-aimé Rédempteur, je savais que chacun de mes péchés vous contristait profondément; pourtant je vous fis cette peine. Pour une satisfaction d'un instant, j'eus la triste audace de sacrifier l'inestimable trésor de votre grâce. Désolé, je me jette à vos pieds: pardonnez-moi, je vous en supplie par les mérites de votre Sang versé pour moi! Accordez-moi de nouveau votre amitié, puis, châtiez-moi comme il vous plaira. J'accepte tout, pourvu que je ne sois pas privé de votre amour. Je vous aime, Dieu de mon coeur; je vous aime plus que moi-même. Faites que je vous sois fidèle jusqu'à la mort.

 Ô Marie, mon Espérance, intercédez pour moi.
 
 
 
 

LE CADAVRE DANS LA TOMBE
 

 1. Considérez, mon frère, ce que deviendra votre corps, une fois mis en terre. Il prend d'abord un aspect jaune puis noir. Il se forme ensuite et s'étend des pieds à la tête une sorte de duvet blanchâtre et répugnant, d'où ne tarde pas à sortir une matière visqueuse et fétide. Cette pourriture horrible engendre une multitude de vers qui se nourrissent des chairs en putréfaction. Les rats accourent réclamer leur part: les uns rôdent autour du cadavre; les autres pénètrent dans la bouche, ou dans les entrailles. Telle est la destinée de ce corps dont on contente si souvent les appétits en contristant Dieu!

 Non, mon Dieu, je ne veux plus vous faire de la peine. Assez, assez, trop d'offenses jusqu'ici! Donnez-moi lumière et force contre les tentations.
 

 2. Regardez la tête: elle est entamée; les joues, les lèvres, les cheveux se détachent. La corruption s'acharne sur les côtes, les bras, les jambes, les dépouille jusqu'aux os. Les vers, après avoir dévoré toutes les chairs, se dévorent entre eux. Un squelette infect, c'est tout ce qui reste de l'homme; encore, la mort n'a-t-elle pas achevé son oeuvre: avec le temps elle sépare la tête du buste, tous les os les uns des autres. L'homme, considéré dans ce qu'il a de mortel, le voilà dans sa réalité!

 Seigneur, ayez pitié de moi. Depuis combien d'années ne devrais-je pas brûler en enfer! Je vous ai quitté, ô mon Dieu; mais je vois que vous ne m'avez pas abandonné. Je vous en supplie, pardonnez-moi; ne permettez pas que je vous délaisse de nouveau; faites qu'au moment de la tentation je vous appelle toujours à mon aide.
 

 3. Voulez-vous voir ce gentilhomme qu'on appelait le charme, l'âme des sociétés? Ne le cherchez pas dans sa maison: il l'a quittée pour toujours. D'autres personnages s'y sont installés; lit, vêtements, armes, ils se sont emparés de tout. Pour le voir, allez à la fosse: vous l'y trouverez en proie à la pourriture, objet d'horreur pour les yeux, d'intolérable puanteur pour l'odorat.

 Ô Saints du paradis, bienheureux êtes-vous d'avoir tant mortifié votre chair par amour pour Dieu, que seul vous avez aimé sur cette terre! Vos ossements sacrés sont maintenant vénérés sur les autels; vos âmes, ravissantes de beauté, contemplent Dieu face à face, jouissent de lui pleinement, en attendant le dernier jour. Alors, corps et âmes s'uniront pour partager à jamais les joies du ciel comme ils ont partagé les souffrances d'ici-bas.

 Loin de m'affliger, Seigneur, mon Dieu, je me réjouis que mon corps doive subir la corruption, ? ce corps pour lequel je vous ai tant offensé. Mon grand sujet de tristesse, ce sont les amertumes dont j'ai abreuvé votre infinie Bonté. Mon Jésus, je vous aime, et je vous dis, avec sainte Catherine de Gênes: « Ô mon Amour, plus de péchés! Non, plus de péchés! » (G. Izard, Sainte Catherine de Gênes, Paris 1969, 98).

 Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi.
 
 
 
 

APRÈS LA MORT, ON EST OUBLIÉ DE TOUT LE MONDE
 

 1. Voyez ce mondain qui meurt à la fleur de l'âge. Hier encore, il était désiré dans toutes les sociétés, partout accueilli, fêté; aujourd'hui qu'il est mort, il est un objet de répulsion et de dégoût pour tout spectateur. Les parents n'ont plus qu'une pensée: l'éloigner de la maison, appeler des porteurs qui l'enlèvent le plus vite possible et le jettent dans une fosse. Malheureux donc quiconque, par complaisance pour des parents ou d'autres gens du monde, consent à perdre Dieu!

 Mon bien-aimé Rédempteur, que tout le monde m'oublie, je le veux bien, pourvu que vous ne m'oubliez pas, vous qui avez donné votre vie pour me sauver. Ah! Puissé-je ne vous avoir jamais offensé!
 

 2. La renommée de son esprit, de sa politesse, de ses belles manières, de ses bons mots, volait de bouche en bouche; il n'a pas expiré depuis vingt-quatre heures, qu'on en perd le souvenir. À la nouvelle de sa mort, l'un dit: « Il faisait belle figure dans le monde »; un autre: « J'en suis fâché, il était si aimable, si gracieux. » Celui-ci le regrette, parce qu'il lui plaisait et lui rendait service; celui-là se réjouit de sa mort, parce qu'il en résulte pour lui certains avantages.

 Du reste, bientôt il n'en sera plus question. Les plus proches parents eux-mêmes ne voudront plus en entendre parler, par crainte de voir se raviver leur douleur. Aussi, dans les visites de condoléances, s'entretient-on de tout, excepté du défunt. Quelqu'un essai-t-il de le rappeler: « De grâce, s'écrie-t-on, ne prononcez pas son nom. » Voilà donc à quoi se réduit l'affection que nous portent nos parents et nos amis du monde!

 Mon Dieu, votre amour pour moi me suffit; je veux n'aimer que vous.
 

 3. Il est vrai que les premiers jours de votre famille vous pleurera; mais aux larmes succédera vite la joie de se partager votre héritage. Dans la chambre même où vous aurez rendu le dernier soupir, où vous aurez été jugé par Jésus Christ, on fera bonne chère, on jouera, on dansera, on rira. Votre âme, où sera-t-elle alors?

 Donnez-moi du temps, Seigneur, pour pleurer mes péchés, avant que vous veniez me juger. Je ne veux plus résister à votre voix: qui sait si cette méditation n'est pas le dernier appel que vous m'adressez? Je le reconnais, je mérite l'enfer, que dis-je? Autant d'enfers que j'ai commis de péchés mortels; mais vous ne savez pas mépriser les pécheurs repentants. Je me repens donc, ô mon Dieu, de toute mon âme d'avoir outragé votre bonté infinie pour satisfaire mes misérables inclinations.

 Ô Marie, je me réfugie sous le manteau de votre protection, et je me confie en vous.
 
 
 
 

COMPARUTION DANS LA VALLÉE DE JOSAPHAT
 

 1. « Les Anges descendront du ciel, et ils sépareront les méchants d'avec les justes » (Mt 13, 49).

 Quelle ne serait pas la confusion d'une personne qui, surprise dans une église au milieu d'un grand nombre de fidèles, se verrait traînée dehors à coup de pied, comme ayant encouru par ses crimes la plus grave des sentences ecclésiastiques, l'excommunication? Incomparablement plus grande sera la honte des réprouvés, lorsque, pour leurs iniquités enfin dévoilées, ils se verront chassés de la compagnie des saints sous les yeux de tous les hommes.

 Aussi longtemps que dure la scène de ce monde, nous voyons les méchants comblés d'honneurs autant, et même plus que les bons. Au dernier jour, quand la scène aura pris fin, les bons, rangés à droite, s'élèveront dans les airs comme pour aller à la rencontre du divin Juge qui vient les couronner: « Nous serons emportés sur les nuées au-devant du Christ dans les airs » (1 Th 4, 16). Par contre, les damnés, ignominieusement relégués à gauche, entourés des démons, leurs bourreaux, attendent la venue du divin Juge qui doit prononcer leur condamnation devant le genre humain tout entier.

 Insensés partisans du monde, vous qui méprisez maintenant la conduite des vrais chrétiens, je vous attends à la vallée de Josaphat! Là, vous changerez de sentiment. Alors vous reconnaîtrez votre folie, irrémédiable, hélas!
 

 2. Quelle belle figure feront en ce jour les saints qui se seront détachés de tout pour Jésus Christ, tant de jeunes gens qui, foulant aux pieds richesses et plaisirs terrestres, se seront retirés dans les déserts ou dans les cloîtres pour ne songer qu'à leur salut éternel; tant de martyrs accablés de tourments et d'opprobres par la cruauté des tyrans! Quelle gloire quand ils seront proclamés pour l'éternité, membres de la Cour royale de Jésus Christ! Quelle triste figure, au contraire, feront alors les Hérode, les Pilate, les Néron, tant d'autres qui auront tenu grande place parmi les hommes, mais seront morts dans la disgrâce de Dieu!

 Mon Dieu, j'embrasse votre croix. Quelle valeur ont à mes yeux les richesses, les honneurs, le monde? Je ne veux que vous, rien de plus.
 

 3. Mon âme, où sera ta place en ce jour? À droite? À gauche?

 Veux-tu te trouver à droite? Prends-en le chemin; car il est impossible que, par le chemin qui mène à gauche, on arrive à droite.

 Agneau de Dieu, venu sur la terre pour effacer les péchés, ayez pitié de moi. Je suis désolé de vous avoir offensé; je vous aime plus que toute chose. Ne permettez pas que je vous offense encore. Je ne vous demande pas les biens de la terre; donnez-moi votre grâce et votre amour. (S. Ignace de Loyola. Prière Suscipe Domine: « Donnez-moi seulement votre amour et votre grâce, je suis assez riche, et je ne vous demande rien de plus. »). Je ne vous demande rien de plus.

 Ô Marie, vous êtes mon Refuge et mon Espérance.
 
 
 
 

AVEUGLES, CEUX QUI DISENT: « SI JE VAIS EN ENFER, JE N'Y SERAI PAS SEUL »
 

 1. Insensé, que dis-tu? Que, si tu vas en enfer, tu n'y seras pas seul? Eh bien, non, tu n'y seras pas seul! Mais crois-tu donc que la compagnie des autres damnés t'emportera du soulagement? Loin de là; chaque damné se dit en gémissant: « Puisque je dois souffrir à jamais dans cet abîme de feu, que ne puis-je au mois y pâtir seul? » En effet, lamentations, hurlements, cris de désespoir, voilà ce que vomissent sans arrêt toutes ces bouches de réprouvés. Comment cet effroyable vacarme n'augmenterait-il pas leur commun supplice?

 Quel agacement d'entendre un chien aboyer une nuit entière, ou seulement un enfant pleurer pendant quatre ou cinq heures, au lieu de vous laisser dormir! Quel tourment sera-ce donc d'entendre les vociférations, les hurlements de tous ces désespérés, non pas durant une ou deux nuits, mais durant toute l'éternité? Comme cette compagnie aggravera leur enfer!
 

 2. Autre cause d'aggravation: la réunion de tous ces cadavres en putréfaction: « Leurs cadavres exhaleront l'infection » (Es 34, 3). Le prophète appelle « cadavres » les damnés, non point qu'ils soient morts ? ils ont tout ce qu'il faut de vie pour souffrir, ? mais parce qu'ils répandent une horrible puanteur.

 Ajoutez, enfin, l'entassement de tous ces cadavres, se pressant et se gênant les uns les autres: c'est ce qui met le comble à leur supplice. « Ils seront foulés comme des raisins sous le pressoir de l'ardente colère de Dieu » (Ap 19, 15). En conséquence, tourment de l'immobilité. Tels ils seront tombés en enfer le jour du jugement, sur le dos, sur le côté, la tête en bas, tels ils resteront pendant toute l'éternité, sans pouvoir remuer ni pied ni main, tant que Dieu sera Dieu.
 

 3. Ce maudit péché! Comment peut-il aveugler à ce point des créatures raisonnables? Ces mêmes pécheurs qui ne font aucun cas de leur damnation, quelles précautions ne prennent-ils pas pour conserver leurs biens, leurs dignités, leur santé? Pourquoi ne disent-ils pas: « Si je perds ma fortune, ma place, ma santé, je ne serai pas seul à les avoir perdues? » C'est alors seulement qu'il s'agit de leur âme qu'ils disent: « Si je vais en enfer, je n'y serai pas seul. »

 Celui qui perd ses biens terrestres et sauve son âme, trouve un large dédommagement à tout ce qu'il a perdu: mais celui qui perd son âme, par quoi compensera-t-il cette perte? « Que donnera l'homme en échange de son âme? » (Mt 16, 26).

 Ah! Mon Dieu, donnez-moi votre lumière, ne m'abandonnez pas. Que de fois j'ai vendu mon âme au démon, en échangeant votre grâce contre une satisfaction misérable et passagère! Je me repens, ô mon Dieu, d'avoir infligé pareil outrage à votre infinie Majesté. Mon Dieu, je vous aime; ne permettez pas que je vous perde encore.

 Ô Marie, Mère de Dieu, délivrez-moi de l'enfer en me délivrant d'abord du péché.
 
 
 
 

LA MESURE DES GRÂCES
 

 1. Nul doute que Dieu n'ait fixé d'avance la mesure des grâces qu'il daigne accorder à chaque créature; ces grâces, une fois distribuées, la main de Dieu ne s'ouvre plus pour en donner de nouvelles.

 Combien, donc, faut-il craindre d'abuser d'une seule des grâces reçues du Seigneur! Car chaque grâce peut être la dernière; la dernière, cette lumière; le dernier, cet appel. Le mépriser, c'est peut-être consommer ma ruine!

 Mon Dieu, les grâces que vous m'avez faites sont vraiment excessives; mais, hélas! L'abus que j'en ai fait, est énorme. Ayez pitié de moi; ne m'abandonnez pas.
 

 2. La mesure des grâces n'est pas la même pour tous; grande pour quelques-uns, elle est moindre pour les autres. Mon frère, rappelez-vous tant de grâces, que vous avez reçues: si vous continuez d'en abuser, aurez-vous l'espoir fondé de vous sauver? Réfléchissez: plus abondantes sont les grâces que Dieu vous a départies, plus vous avez sujet à craindre d'être abandonné par lui dans votre péché, si vous ne prenez la résolution de changer de vie. Qui sait si le premier péché mortel que vous commettrez, ne fermera pas pour vous le trésor des divines miséricordes et n'entraînera pas votre perte éternelle? Cette issue funeste serait-elle par hasard impossible? Vous avez grand sujet de la craindre: si vous ne la redoutez pas, je vous plains, et je vous crie: Malheur à vous!

 Non, mon Dieu, je ne veux plus m'éloigner de vous. Chaque fois que le démon me tentera, je veux recourir à vous, ô mon Jésus; car je suis certain que vous recevrez toujours l'âme qui vous invoque.
 

 3. Plus grandes sont les grâces reçues, plus grande est aussi l'ingratitude de celui qui n'y correspond pas.

 Sans doute, les grâces dont vous avez été favorisé sont pour vous une solide raison de croire que Dieu vous pardonnera pourvu, toutefois, que vous vous corrigiez et que vous soyez désormais fidèle; mais elles sont aussi un grave motif de craindre que Dieu ne vous précipite en enfer, si vous ajoutez de nouveaux péchés à ceux que vous avez déjà commis.

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de ne m'avoir pas encore abandonné: la lumière que vous me donnez en ce moment, la douleur que j'ai de vous avoir offensé, le désir réel que j'éprouve de vous aimer et de rentrer en grâce avec vous, sont des signes certains que vous ne m'avez pas délaissé. Puisque vous ne vous êtes pas détourné de moi, après tant de péchés, je ne veux plus me séparer de vous, ô Dieu de mon âme. Je vous aime plus que toute chose, et, parce que je vous aime, je me repens de vous avoir méprisé. Passion de Jésus, obtenez-moi la sainte persévérance.

 Ô Marie, ma Reine, ne cessez jamais de me protéger.
 
 
 
 

UN DIEU EST MORT POUR MOI, ET J'OSERAIS NE PAS L'AIMER!
 

 1. « Il m'a aimé, et il s'est livré pour moi » (Ga 2, 20).

 Dans quelle contrée du monde vit-on jamais un maître aimer l'un de ses serviteurs, un roi pousser l'amour pour l'un de ses sujets, jusqu'à mourir afin de le sauver? Dieu s'est réservé d'accomplir ce prodige d'amour; car il est certain que mon Créateur, le Maître du ciel et de la terre, le Fils de Dieu a voulu mourir pour moi, créature vile et ingrate. « Pour sauver son esclave, dit saint Bernard, il ne s'est pas épargné lui-même. » (S. Bernard, Sermon du Mercredi-Saint, n. 4; PL 183, 264; TZ 453). Ainsi donc, pour m'obtenir à moi grâce et miséricorde, mon Créateur voulut se sacrifier lui-même; mais, hélas! Comment ai-je pu, ? convaincu de ce mystère d'amour, ? passer tant d'années sans vous aimer?
 

 2. Ce mystère d'amour m'apparaît plus grand encore, quand je considère que vous avez donné votre vie, non seulement pour une pauvre et vile créature, mais pour une créature ingrate et rebelle, qui vous a tant de fois tourné le dos, en préférant effrontément, sous vos yeux, un misérable intérêt, une indigne satisfaction, à votre grâce et à votre amour. Pendant que vous dépensiez des trésors de bonté pour me mettre dans la nécessité de vous aimer, je ne cherchais, moi, qu'à vous mettre, par la multitude de mes péchés, dans la nécessité de me haïr et de m'envoyer en enfer. Soyez à jamais béni, mon Dieu, pour cet amour qui vous fit autrefois choisir de mourir pour moi! Ce même amour, que vous me portez toujours, m'inspire maintenant l'espoir que vous ne me repousserez pas, si je reviens sincèrement à vous.

 Pardonnez-moi, mon Jésus; je reconnais mes torts envers vous; je vois aussi combien je serais coupable, non seulement de ne pas vous aimer, mais de ne pas vous aimer beaucoup; tant de motifs vous rendent digne! Daignez m'aider vous-même à vous aimer.
 

 3. Vous êtes mort pour moi, mon bien-aimé Sauveur! Que pouviez-vous faire de plus pour gagner mon coeur, l'obliger à vous consacrer tout son amour? Peut-on donner preuve d'amour plus convaincante que de mourir pour celui qu'on aime? N'avez-vous pas dit un jour: « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis? » (Jn 15, 13).

 Vous, ô Verbe incarné, vous ne pouvez pas faire plus que vous n'avez fait pour être aimé de moi, et j'oserais, moi, persister dans mon ingratitude? Mais non: voici que la mort approche, peut-être même est sur le point de me frapper. Je ne veux pas vivre en ingrat jusqu'à la mort. Je vous aime, ô Jésus, mon Amour! Vous vous êtes donné tout entier à moi; je me donne tout entier à vous. Liez-moi très étroitement avec les chaînes de votre amour, afin que, désormais, je vive et qu'un jour je meure tout épris de votre infinie Bonté.

 Ô Marie, Mère de Dieu, gardez-moi sous le manteau de votre protection; faites-moi brûler d'amour pour ce Dieu mort en croix pour mon amour.
 
 
 
 

DÉCIDONS-NOUS À SAUVER NOTRE ÂME
 

 1. Quelle ruse emploie le démon pour décourager certaines âmes et les faire tomber dans le désordre? Il leur représente le salut comme une entreprise extrêmement difficile. Alors même qu'il serait nécessaire, pour se sauver, de passer notre vie dans un désert ou de nous enfermer dans un couvent, nous devrions certainement nous y résoudre. Toutefois ? règle générale, ? ces moyens extraordinaires ne sont pas indispensables; les moyens ordinaires suffisent: fréquentation des sacrements, fuite des occasions dangereuses, recours fréquents à Dieu.

 Au moment de la mort, la facilité de ces moyens nous apparaîtra plus évidente que jamais et pour les avoir négligés, grande sera notre désolation.
 

 2. Il faut prendre une décision irrévocable et dire: « Je veux me sauver, coûte que coûte. Que je perde tout, biens, amis, la vie même, mais mon âme, jamais! »

 Quelques efforts que nous fassions pour assurer notre salut, ne croyons pas en faire trop. Il s'agit de l'Éternité: être toujours heureux, ou toujours malheureux. Or, dit saint Bernard, « nulle précaution n'est excessive, quand on court le risque de son éternité. » (S. Bernard, Sermon 30, n. 1; PL 183, 622. Cette sentence bien connue résume la pensé de saint Bernard qui s'est exprimé plusieurs fois à ce sujet, surtout dans le sermon cité. S. Paul de la Croix dans Lettres, 25 oct. 1766, tome 4, Rome 1924, 77 la cite également en l'attribuant à S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, liv. 9, ch. 45; PL 75, 897). Impossible, en effet, de trop se prémunir contre le malheur de tomber en enfer.

 Je rougis, ô mon Dieu, de paraître devant vous, moi qui vous ai tourné le dos tant de fois pour des choses de nulle valeur. Non, je ne veux plus jamais renoncer à votre grâce, redevenir votre ennemi. « J'ai mis ma confiance en vous, Seigneur, que jamais je ne sois confondu! » (Ps 31/30, 2). Plutôt perdre mille fois la vie que de perdre votre amitié!
 

 3. Si, par le passé, nous avons eu le malheur de perdre la grâce, il faut réparer notre faute, il faut nous convertir et nous convertir sans délai.

 Dire: « Plus tard je changerai de vie » ne suffit pas. L'enfer regorge d'âmes qui disaient: « Plus tard, plus tard. » La mort survint et leur enleva le temps sur lequel elles comptaient. Voyez ce moribond qui va rendre le dernier soupir: quelle grâce insigne Dieu lui ferait en prolongeant sa vie d'une année, ou même d'un seul mois! Cette grâce, mon frère, ce temps, Dieu vous l'accorde actuellement; quel usage voulez-vous en faire?

 Qu'est-ce donc que j'attends, ô mon Dieu? J'attends sans doute cet avenir, ces jours qui ne seront jamais pour moi; mais alors ne me trouverai-je pas à la mort sans avoir rien fait pour vous? Ma consolation, c'est de me voir encore assisté de votre grâce. Mon Dieu, je vous aime, je vous aime plus que tous les biens, je préfère mourir plutôt que de vous causer le moindre déplaisir. Avec sainte Catherine de Gênes, je vous dis: « Ô mon Amour, plus de péchés; non, plus de péchés! » (G. Izard, Sainte Catherine de Gênes, Paris 1969, 98) mais vous connaissez ma faiblesse, vous connaissez mes infidélités passées; aidez-moi, mon Jésus; je me confie en vous.

 Ô Marie, auguste Mère de Dieu, je mets aussi ma confiance en vous.
 
 
 
 

À LA MORT, ON PERD TOUT
 

 1. Il faut mourir: quel chrétien l'ignore? Cependant, combien de chrétiens vivent oublieux de la mort comme s'ils ne devaient jamais mourir! En vérité, quand, après la vie présente, il n'y en aurait pas d'autre, par conséquent pas d'enfer, ni de ciel, est-ce que la plupart des gens penseraient moins à la mort qu'ils n'y pensent? Voulez-vous, mon cher lecteur, vivre chrétiennement? Efforcez-vous de vivre perpétuellement les yeux fixés sur la mort. Quelle lumière la pensée de la mort jette sur la valeur des choses! Quelle direction salutaire elle imprime à toute conduite! Par son appel incessant qu'il faudra bientôt tout quitter, elle nous détache de tous les biens de ce monde.

 Mon Dieu, puisque vous me donnez le temps de réparer mes fautes, dites-moi bien ce que vous me demandez. Je veux tout faire pour vous plaire.
 

 2. Insensé serait le voyageur qui, gagnant sa patrie, dépenserait tout son avoir à se faire construire un magnifique palais dans un pays qu'il traverse seulement, et serait ensuite dans l'impossibilité de se faire bâtir une maison convenable dans le pays qui sera son séjour toute sa vie! Insensé, que dis-je? Beaucoup plus insensé, celui qui cherche à se satisfaire en ce monde, où l'on ne passe que quelques jours, et se met en péril d'être malheureux dans l'autre, où l'on doit vivre tant que Dieu sera Dieu!

 Quel serait mon malheur, ô mon Dieu, si vous m'aviez frappé de mort, alors que je vivais dans le péché! Je vous remercie de m'avoir supporté avec tant de patience. Ne permettez pas que je me sépare encore de vous. Mon Dieu, mon souverain Bien, je vous aime plus que tout.
 

 3. Le rôle de la mort, c'est de nous dépouiller de tout. Tous les biens amassés pendant la vie, elle nous les ôtera. Quelques planches, un linceul: voilà tout ce qui nous restera! Encore ne tarderont-ils pas à pourrir, à tomber en poussière avec notre corps. La maison que vous habitez, il faudra la quitter et l'échanger contre un affreux sépulcre qui sera votre demeure jusqu'au jugement général. Ce jour-là, votre âme viendra reprendre son corps pour retourner avec lui dans le séjour qu'elle occupait déjà, le ciel ou l'enfer.

 À la mort, tout me sera donc enlevé, à l'exception du peu que j'aurai fait pour Dieu. Si je devais mourir à l'instant, que me trouverais-je avoir fait pour vous, ô mon Dieu? Est-ce que, par hasard, j'attends, pour mettre la main à l'oeuvre, que la mort vienne me surprendre dans le misérable état où je suis?

 Non, mon Dieu, je veux changer de vie. Je déteste toutes les offenses de ma vie passée. Pour l'avenir, je ne veux plus jamais chercher mes propres satisfactions, mais uniquement votre bon plaisir, ô Dieu de mon âme. Je vous aime, ô Bonté infinie; je vous aime plus que toute chose; de grâce, aidez-moi.

 Vous aussi, ô Marie, Mère de Dieu, aidez-moi, priez pour moi.
 
 
 
 

AVOIR LES SENTIMENTS QU'ON AURAIT SI  L'ON ÉTAIT DÉJÀ MORT, OU SUR LE POINT DE MOURIR
 

 1. Jugez de tout, mon frère, comme si vous étiez déjà mort et que votre âme fût entrée, déjà, dans l'Éternité. Si vous étiez vraiment sorti de ce monde, que ne voudriez-vous pas avoir fait pour mériter la vie éternelle? Mais ces désirs ardents, de quoi vous serviront-ils alors, si vous n'employez pas maintenant pour Dieu les jours qu'il vous accorde bénévolement? Maintenant, donc, que vous avez le temps d'agir, représentez-vous souvent, par l'imagination, enterré dans une fosse; mieux encore, mettez-vous par la pensée sur votre lit de mort, voyez-vous près de rendre le dernier soupir, un cierge à la main. À la clarté de ce flambeau funèbre, considérez les désordres de votre vie; pleurez les péchés commis, et, sans délai, remédiez au mal. Sans délai, parce qu'il n'y a pas de temps à perdre.

 Je vous en supplie, ô mon Dieu, éclairez-moi; faites-moi connaître le chemin que je dois prendre ici-bas. Je veux vous obéir en tout.
 

 2. Lorsque saint Camille de Lellis visitait quelque cimetière, il fixait les yeux sur les fosses des morts et se disait: « S'ils pouvaient revenir à la vie, que ne feraient-ils pas pour se sanctifier? Et moi, qui suis en vie, que fais-je pour Dieu? » C'est ainsi que ce grand saint s'excitait à s'unir à Dieu toujours plus étroitement. Sachez donc, vous aussi, mon cher lecteur, bien profiter du temps que vous accorde la bonté divine. N'attendez pas, que vous soyez sur le seuil de l'éternité et que le Prêtre vous dise: « Partez de ce monde, âme chrétienne! » (Rituel: Sacrement pour les malades, 1977, 95. La recommandation du mourant: « Maintenant, tu peux quitter ce monde, âme chrétienne. Quitte-le. ») Vite, partez; ce qui est fait, est fait; vous n'avez plus le temps de rien faire.

 Ah! Mon Jésus, daignez-vous rappeler que je suis l'une de ces brebis pour lesquelles vous avez répandu votre Sang. « Nous vous supplions, Seigneur, de venir en aide à vos serviteurs que vous avez rachetés par votre Sang précieux. » (Hymne: Te Deum). Donnez-moi donc lumière et force, afin que je mette sans délai la main à l'oeuvre et qu'ainsi je fasse, pendant la vie, ce qu'au moment de la mort je voudrais avoir fait.
 

 3. « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n'en trouve point. Pourquoi occupe-t-il encore la terre? Qu'on le coupe donc, et qu'on le jette au feu » (Lc 13, 7).

 Je crains, ô mon Dieu, d'être cet arbre infortuné auquel vous avez adressé ces terribles paroles. Car, Seigneur, durant tant d'années déjà passées sur la terre, quel bien ai-je fait? Quels fruits vous ai-je rapportés, sinon les fruits amers du péché? Depuis combien de temps ne devrais-je pas être retranché du nombre des vivants et brûler en enfer! Épargnez-moi, mon doux Rédempteur; car je ne veux pas m'obstiner dans le péché; je ne veux pas que la mort me trouve dans le misérable état où je suis maintenant. Je déteste et je maudis les jours où je vous ai offensé. Ma vie, je veux l'employer désormais toute entière à vous aimer, à vous honorer. Je vous aime, ô mon souverain Bien; ne me privez jamais de votre secours.

 Et vous, Marie, mon Espérance, ne me privez jamais de votre maternelle protection.
 
 
 
 

EXAMEN DES PÉCHÉS AU JUGEMENT DERNIER
 

 1. Les cieux se sont ouverts: tous les Anges et tous les Saints descendent pour assister au jugement général; après eux, la Reine du ciel, la très sainte Vierge Marie; enfin le souverain Juge, assis sur un trône de lumière, dans tout l'éclat de sa Majesté. Qui dira la joie des élus, à l'apparition de Jésus Christ? Par contre, qui dira l'épouvante et la confusion des damnés, à la vue de la face indignée du divin Juge, ? épouvante et confusion plus terribles que l'enfer même? Ils crient « aux montagnes et aux rochers: tombez sur nous, dérobez-nous à la colère de Celui qui est assis sur le trône, à la fureur de l'Agneau » (Ap 6, 16). Les malheureux! Leur souhait le plus ardent, c'est de mourir écrasés sous le poids des montagnes, pour échapper au visage couroucé de l'Agneau, c'est-à-dire du Rédempteur. Cet adorable Rédempteur, ne fut-il pas pour eux, toute leur vie ? un agneau plein de douceur, lorsque, les voyant multiplier leurs péchés, il se taisait?

 Ô Jésus, mon Juge, je me repens de vous avoir outragé. Pardonnez-moi; faites qu'au jour redoutable du jugement, je ne trouve pas en vous un Juge irrité.
 

 2. « Le Juge s'assit, et des livres furent ouverts » (Dn 7, 10).

 Alors il sera trop tard pour cacher ses péchés. À la fois juge et témoin, Jésus-Christ a tout vu comme témoin, et comme juge, il dévoile tout au genre humain assemblé. C'est l'enseignement de l'Apôtre: « Il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres » (1 Co 4, 5). Les crimes les plus secrets, les plus honteuses impuretés, les cruautés les plus exécrables, seront manifestés devant l'univers entier.

 Ô Jésus, mon rédempteur, pas une seule de mes iniquités qui ne soit dès maintenant connue de vous. Ayez donc pitié de moi, maintenant que vous pouvez encore me faire miséricorde.
 

 3. « On connaîtra le Seigneur à l'exercice de sa justice » (Ps 9, 17).

 D'un mot, au jour du jugement général, Notre Seigneur Jésus Christ se révélera dans toute sa grandeur divine; on verra clairement qu'il est le souverain Maître de toutes choses. On fait maintenant plus de cas d'un plaisir, d'un vain point d'honneur, d'un désir de vengeance, que de Dieu même; au rendement des comptes, le Juge suprême interpellera le pécheur en ces termes: « À qui m'as-tu comparé? » (Es 40, 25). À qui sont allées tes préférences? À cette vile satisfaction, à ce caprice. Voilà ce qui valait mieux, à tes yeux, que ma grâce! Ô ciel! Que répondrons-nous à ces reproches trop fondés? La confusion nous fermera la bouche. C'est dès aujourd'hui qu'il faut répondre et dire:

 Je sais, ô mon Jésus, qu'un jour vous serez mon Juge; maintenant, vous êtes mon Sauveur. Rappelez-vous votre mort pour m'obtenir le salut. De tout mon coeur je me repens de vous avoir méprisé, Vous, mon Bien suprême; mais, si, par le passé, je vous ai méprisé, considérez que, maintenant, je vous estime et vous aime plus que moi-même, et que je suis prêt à mourir pour l'amour de vous. Mon Jésus, pardonnez-moi; ne permettez pas que j'aie le malheur de vivre encore sans vous aimer.

 Ô Marie, puissante Avocate des pécheurs, aidez-moi maintenant que vous le pouvez.
 
 
 
 

COMBIEN DIEU AIME NOS ÂMES
 

 1. Qui dira l'amour de Dieu pour l'âme de l'homme? Il l'aime de toute éternité: « Je t'ai aimée d'un amour éternel » (Jr 31, 3), affirme-t-il lui-même. Ainsi, depuis que Dieu est Dieu, il aime chacune des âmes qui vivent en ce monde. Pour leur salut, toutes les créatures sont sorties de ses mains; pour leur salut, il envoya son Fils unique revêtir notre nature ici-bas, et mourir sur une croix.

 Vous m'avez donc aimé de toute éternité, ô mon Dieu; vous êtes mort pour moi. Comment, après ces preuves d'un amour infini, ai-je pu vous faire tant de peine?
 

 2. Qui dira l'amour de Dieu pour l'âme de l'homme? Pour la délivrer de la mort éternelle, il quitte le ciel et n'hésite pas à mourir crucifié. Trop heureux de l'avoir recouvrée au prix de son Sang, il convie les anges à venir partager sa joie: « Réjouissez-vous avec moi, leur dit-il, parce que j'ai retrouvé ma brebis qui était perdue » (Lc 15, 6).

 Mon bien-aimé Rédempteur, vous êtes donc venu me chercher; moi, par le passé, je n'ai guère fait que vous fuir. Non, mon Jésus, désormais je ne veux plus vous fuir. Je vous aime. Ah! Liez-moi très étroitement à vous avec les chaînes du saint amour. Faites-moi vivre et mourir dans ces bienheureuses chaînes.
 

 3. Quel prix le Père et le Fils sont-ils payé pour sauver mon âme? Le Père a livré son Fils, le Fils a versé son Sang et sacrifié sa vie. Et moi, mon âme, combien de fois ne l'ai-je pas reprise à Dieu, vendue au démon pour des choses de nulle valeur?

 Mon Dieu, vous n'avez rien épargné pour ne pas me perdre; mais moi, combien de fois n'ai-je pas eu le coeur de perdre votre amitié pour une vile satisfaction? Vous m'avez supporté, pour m'accorder le temps de pleurer les déplaisirs que je vous ai causés et de vous aimer, ô Dieu de mon âme. Oui, je vous aime, ô mon unique Bien; je suis affligé plus que de tout autre mal de vous avoir contristé. De grâce, ne permettez plus que je cesse de vous aimer. Rappelez-moi continuellement combien mon salut vous a coûté de travaux et de souffrances, quel amour vous m'avez porté, afin qu'à l'avenir je vous aime toujours, vous, mon Trésor, ma Vie, mon Tout. Faites que je vous aime à jamais, puis, faites de moi ce qu'il vous plaît.

 Ô Marie, Mère de Dieu, votre Fils ne vous refuse rien; recommandez-lui mon âme.
 
 
 
 

REMORDS DU DAMNÉ
 

 1. Trois remords ? particulièrement déchirants ? torturent le damné.

 Le premier, c'est de penser qu'il s'est perdu pour si peu de choses. Combien de temps durent les jouissances du péché? Quelques instants. Aux yeux d'un mourant, la vie même la plus longue n'apparaît qu'un moment; aux yeux du damné, que sont donc cinquante ou soixante années passées sur la terre, alors qu'il se voit plongé dans l'éternité et forcé de constater, après des milliers de siècles, que son éternité ne fait que commencer? « Ainsi donc, se dit-il, pour quelques instants d'un plaisir empoisonné, pour une satisfaction à peine goûtée, je suis obligé de gémir dans cette fournaise, sans espoir et sans consolation de personne, pour toujours, tant que Dieu sera Dieu! »

 Je vous remercie, ô mon Dieu, de me donner cette lumière. Ayez pitié de moi.
 

 2. Le second remords du damné, c'est de penser qu'il avait si peu à faire pour se sauver, qu'il ne l'a pas fait et que sa négligence est irréparable.

 « Je ne serais pas damné, se dit-il, si j'avais continué de me confesser souvent, de faire oraison; si j'avais restitué tel bien d'autrui, pardonné de bon coeur a tel ennemi, éloigné telle occasion. Que m'en coûtait-il de le faire? Quand il m'en eût coûté beaucoup, ne devais-je pas faire tous les efforts et tous les sacrifices pour me sauver? J'ai refusé de faire ce que je devais; voilà pourquoi je suis à jamais perdu! Bonnes inspirations, multiples appels, avertissements répétés que si je n'en finissais pas avec le péché, je me damnerais, j'ai tout repoussé! Alors, je pouvais tout réparer; maintenant, plus de remèdes! »

 Oui, plus que le feu, plus que toutes les autres peines de l'enfer, cette pensée torture le réprouvé: « Je pouvais facilement être heureux, heureux pour toujours; par ma faute, je suis malheureux; malheureux pour toujours! »

 Mon Jésus, hâtez-vous de me pardonner puisque je suis encore dans le temps du pardon. Je vous aime, ô mon souverain Bien; je me repens de vous avoir méprisé.
 

 3. Le troisième remords du damné, ? plus cuisant que les deux autres ? c'est de voir quel grand bien il a perdu par sa propre faute. Les moyens de conquérir le ciel, il voit clairement que Dieu les lui a prodigués; Jésus Christ est mort pour lui procurer le salut, il l'a fait naître dans le sein de l'Église catholique, il l'a comblé d'une multitude de grâces, restées infructueuses par sa mauvaise volonté; l'évidence l'empêche de le nier. « C'en est donc fait de moi, sera-t-il contraint de se dire! Perdu, irrémédiablement perdu, je ne puis plus compter ni sur les mérites de Jésus Christ, ni sur l'intercession de la Mère de Dieu, ni sur les prières des saints; je me suis enfermé moi-même dans le désespoir! »

 Mon Dieu, que ne suis-je mort, avant de tomber dans le malheur de vous offenser! Bien que je vous aie méprisé, mon Dieu, recevez-moi dans votre grâce; je vous aime et suis résolu de vous aimer toujours.

 Ô Marie, Avocate des pécheurs, priez pour moi.
 
 
 
 

JÉSUS, ROI D'AMOUR
 

 1. Poursuivi par Hérode, Jésus Enfant s'enfuit en Égypte pour échapper aux soldats du roi; car Hérode, tremblant de perdre son trône, voulait le faire mourir. Saint Fulgence, contemplant cette fuite du divin Enfant, s'écrit dans son élan de pieuse tendresse: « Pourquoi, Hérode, te troubler et t'agiter de la sorte? Ce roi qui vient de naître, n'est pas venu sur la terre pour attaquer et vaincre les autres monarques, mais pour donner sa vie et les gagner ainsi à son service. » (S. Fulgence, Sermon sur l'Épiphanie, 4, n. 3; PL 65, 734). Quel est, en effet, le désir, de Jésus Enfant? C'est de nous subjuguer, non par les armes, mais par l'amour; il ne veut pas nous donner la mort; il veut, au contraire, mourir pour nous et faire servir sa mort à notre salut. C'est donc à juste titre que Jésus est appelé Roi, mais Roi d'amour.

 Que ne vous ai-je toujours aimé, ô Jésus mon Roi! Que ne vous ai-je jamais offensé! Pour m'arracher à ma perte, vous avez supporté peines et sueurs pendant trente-trois ans; moi, pour me procurer un plaisir passager, j'ai eu l'audace de vous perdre, vous, mon Bien suprême. Ô mon Père, pardonnez-moi; donnez-moi le baiser de la réconciliation.
 

 2. « Nous n'avons d'autre roi  que César » (Jn 19, 15). Telle est la réponse des Juifs à la question de Ponce-Pilate: « Crucifierai-je votre roi? » ? Mais, ô juifs ingrats, dites-moi pourquoi vous refusez de reconnaître comme votre roi ce Jésus de Nazareth si digne d'amour et si plein d'amour pour vous? Vous lui préférez César, l'Empereur romain: cet Empereur, vous aime-t-il? Non, il ne vous aime pas; surtout il n'a pas la moindre velléité de mourir par amour pour vous. Tandis que ce Jésus, déjà vraiment votre Roi, est descendu du ciel afin de donner sa vie pour votre salut.

 Ah! Mon doux Sauveur, si les autres ne veulent pas vous reconnaître pour leur Roi, moi, je ne veux d'autre Roi que vous; de tout mon coeur je m'écrie: « Vous êtes mon Roi » (Ps 44/43, 5). Vous seul m'aimez, je le sais; vous seul m'avez racheté au prix de votre Sang. Où donc trouver quelqu'un qui vous dépasse en amour pour moi? Je suis profondément affligé d'avoir refusé, dans le passé, de vous reconnaître pour mon Roi, par mes révoltes accompagnées de tant de mépris. Pardonnez-moi, ô Jésus mon Roi, puisque vous êtes mort pour me pardonner.
 

 3. « Le Christ est mort, afin de régner sur les morts et sur les vivants » (Rm 14, 9), écrit l'Apôtre aux fidèles de Rome. Ô Jésus, mon  Roi bien-aimé, puisque vous êtes venu sur la terre pour conquérir nos coeurs, voici que je vous offre le mien. Jusqu'ici j'ai trop souvent repoussé vos appels pleins d'amour, mais maintenant je les écoute volontiers; je me donne à vous, et sans réserve. Ô mon Roi, prenez possession de ma volonté toute entière, de tout moi-même; mais c'est à vous de me rendre fidèle. Si jamais je devais encore vous trahir, je préfère être frappé de mort par vous à l'instant, ô mon Roi, mon Amour, mon unique Bien.

 Ô Marie, Reine et Mère de mon Roi, obtenez-moi la grâce de bien tenir le serment de fidélité que je fais aujourd'hui à votre Fils.
 
 
 
 

MORT MISÉRABLE DU PÉCHEUR
 

 1. Voyez ce pauvre malade. Comme il souffre! Comme il est accablé! Il est sur le point de mourir; sueur froide, fréquents arrêts de la respiration, continuelles défaillances, ce sont les signes de la fin; quand il revient à lui, sa tête est si faible, si vide, qu'il entend peu, comprend peu, ne peut presque plus parler. Mais le pis est qu'en face de la mort, au lieu de penser au compte bientôt exigé par Dieu, il ne s'occupe que de médecins et de remèdes pour prolonger sa vie. Les personnes qui l'entourent, au lieu de l'exhorter à se réconcilier avec Dieu, tantôt l'entretiennent dans son illusion en l'assurant qu'il va mieux, tantôt gardent le silence par crainte de l'effrayer.

 Ah! Mon Dieu, préservez-moi d'une mort si funeste.
 

 2. Le prêtre arrive. Il se voit obligé d'aviser le mourant de sa mort prochaine: « Mon frère, vous allez mal; il faut quitter ce monde et vous unir à votre Créateur par la réception des sacrements ». À cette lugubre nouvelle, quelle confusion d'esprit succède aux illusions opiniâtres! Quelle tristesse! Quelles inquiétudes de conscience! Quelle tempête intérieure! Péchés commis, lumières méprisées, promesses violées, années perdues, tous ces souvenirs l'envahissent à la fois et l'accablent. Les vérités éternelles ? jusque-là dédaignées ? de quel éclat ne brillent-elles pas devant ses yeux? Les seuls mots de disgrâce de Dieu, mort, jugement, enfer, éternité, de quelle épouvante ne le remplissent-ils pas!

 Mon Jésus, pitié! Pardon! Ne m'abandonnez pas. Je vous ai méprisé; j'ai mal fait, je le reconnais. Je voudrais en mourir de douleur. Aidez-moi, mon Dieu; aidez-moi sans retard à changer de vie.
 

 3. « Insensé que j'ai été! ? s'écrie dans son angoisse le mourant. Ô ma vie, vie toute perdue! Je pouvais me sanctifier, mais je ne l'ai pas fait. Maintenant, de quoi suis-je capable? La tête me tourne, la douleur m'accable et me met dans l'impossibilité de faire un seul acte de vertu. Qu'en sera-t-il de moi dans quelques instants? Avec une mort sans préparation, comment puis-je me sauver? » Il désire ardemment avoir du temps pour mettre ordre à sa conscience; mais le temps fait défaut. « Hélas! Se dit-il encore, cette sueur froide est un signe de ma mort prochaine; perte de la vue, perte de la respiration, perte de la parole, perte du mouvement, autant de signes de mort imminente! » C'est au milieu de ce trouble, de ces inquiétudes et de ces frayeurs que l'âme se sépare du corps et paraît devant Jésus Christ.

 Mon Jésus, votre mort est mon espérance. Je vous aime plus que tout autre bien, et, parce que je vous aime, je me repens de vous avoir offensé.

 Ô Marie, Mère de Dieu, priez Jésus pour moi.
 
 
 
 

BIENHEUREUSE MORT DES JUSTES
 

 1. Pour les justes, la mort n'est pas un châtiment, mais une récompense; loin de la redouter, ils la désirent. Comment, en effet, l'auraient-ils en horreur, puisqu'elle est la fin de leurs souffrances, de leurs combats, et qu'elle les met à l'abri de tout risque de perdre Dieu? « Partez, âme chrétienne, partez de ce monde. » Cette exhortation du prêtre, qui jette les pécheurs dans l'épouvante, est un sujet d'allégresse pour les vrais amis de Dieu.

 Assurément, il leur faut quitter tous les biens de ce monde; mais cette séparation ne les afflige pas, parce que Dieu fut toujours leur unique Bien. La perte des honneurs, des dignités, ne les afflige pas davantage; car ils les méprisèrent toujours, les estimèrent toujours à leur juste valeur, c'est-à-dire comme de la fumée. S'attristent-ils de la nécessité de quitter leurs amis et leurs proches? Non, parce qu'ils ne les aimèrent que pour Dieu. Ainsi, de même qu'ils allaient par le chemin de la vie disant et redisant: « Mon Dieu, mon Tout »; sur leur lit de mort, mais avec une joie plus vive, ils renouvellent, ils multiplient cet acte d'amour, dans la certitude de voir bientôt leur Dieu et de l'aimer enfin face à face en Paradis.
 

 2. Les suprêmes douleurs, celles de la mort, sont-elles un sujet d'affliction pour les justes? Loin de là; ils s'en réjouissent, ils se font un bonheur d'offrir les derniers restes de leur vie en témoignages de leur amour pour Dieu, en union avec les souffrances de Jésus mourant sur la croix. La seule pensée qu'ils seront bientôt dans l'impossibilité de pécher et de perdre Dieu, les comble de joie. L'enfer, il est vrai, tente de les jeter dans le désespoir en leur rappelant les fautes de la vie passée; mais ne les ont-ils pas pleurées durant des années? Depuis des années aussi, n'aiment-ils pas Jésus Christ de tout leur coeur? Dès lors, comment Jésus Christ ne les remplirait-il pas de confiance?

 Ah! Mon Jésus, que vous êtes bon pour l'âme qui vous aime et vous cherche! Quelle fidélité vous lui gardez!
 

 3. Aux approches de la mort, les pécheurs impénitents sont en proie aux angoisses intérieurs, aux fureurs du désespoir: ce sont les premières atteintes de leur éternel enfer. Les justes, au contraire, éprouvent à leurs derniers instants un avant-goût du ciel. Leurs actes de confiance et d'amour multipliés, leurs désirs ardents de voir la face de Dieu, leur apportent les prémices de cette joie qui s'épanouira complètement là-haut. Quelle allégresse de voir le prêtre entrer dans leur chambre avec la très sainte Eucharistie, la nourriture de ceux qui vont faire le grand voyage de l'éternité! Ils s'écrient alors comme saint Philippe de Néri devant le Viatique: « Voici mon Amour! Donnez-moi mon Amour! » (G. Bacci, La vie admirable de saint Philippe Néri, trad. R. P. N. C. liv. 4, ch. 1, n. 4, Lyon 1643, 434).

 Mais moi, Seigneur Jésus, qui vous ai tant offensé, je vous dirai plutôt avec saint Bernard: « Vos plaies sont mes seuls mérites », (L. A. Muratori, Esercizi spirituali esposti secondo il metodo del P. Paolo Segneri iuniore, Venise 1739, 62: « Vulnera tua, merita mea, dit S. Bernard, Vos plaies, ô mon Jésus, sont mes mérites »), et toute mon espérance. De grâce, ô mon Dieu, si maintenant je possède votre amitié, comme j'en ai la confiance, faites-moi mourir sans délai, afin que sans délai j'aille vous voir et vous aimer face à face, dans la certitude de ne pouvoir plus vous perdre.

 Marie, ma Mère, obtenez-moi la grâce d'une sainte mort.
 
 
 
 

JUGEONS DE TOUTES CHOSES COMME SI NOUS ÉTIONS SUR LE POINT DE MOURIR
 

 1. Si j'étais maintenant sur mon lit de mort, en proie aux râles de l'agonie, sur le point de rendre le dernier soupir, pour comparaître aussitôt devant le souverain Juge, que ne voudrais-je pas avoir fait pour Dieu? Que ne donnerais-je pas pour obtenir quelques jours de vie en vue de mieux assurer mon salut éternel? Malheur à moi, si je ne profite pas de la lumière que Dieu me donne présentement, si, sans délai, je ne change pas de conduite! « Il appela contre moi le temps » (Lm 1, 15), dit le prophète. Un jour, quand le temps sera presque tout entier écoulé pour moi, ce temps que m'accorde si largement la miséricorde de Dieu, ne servira plus qu'à me bourreler de cuisants remords.

 Mon Jésus, vous avez employé toute votre vie à me sauver; mais moi, depuis tant d'années que je suis au monde, qu'ai-je fait pour vous? Hélas! Quand j'examine mes oeuvres, je n'y vois que des sujets d'affliction et de reproches intérieurs.
 

 2. Ô mon âme, Dieu te donne maintenant du temps; à quoi veux-tu l'employer? Décide-toi sans retard. Eh quoi! Tu hésites? Veux-tu donc attendre que le flambeau funèbre s'allume pour te montrer ta coupable négligence, devenue irrémédiable? Attendre que retentisse à ton oreille le : « Partez, âme chrétienne », l'ordre de départ qu'il faut exécuter aussitôt?

 Non, mon Dieu, je ne veux plus abuser des lumières que vous m'accordez. Assez, assez d'abus dans le passé! Je vous remercie de votre nouvel avertissement: peut-être est-ce dernier! Mais cette lumière même que vous me donnez, est un signe que vous ne m'abandonnez pas et que vous voulez me faire miséricorde. Mon bien-aimé Seigneur, je suis affligé plus que de tout autre mal d'avoir tant de fois méprisé votre grâce et vos appels; je veux désormais, avec votre secours, vivre sans vous offenser.
 

 3. Hélas! Combien de chrétiens meurent fort incertains de leur salut! « Nous avons eu le temps de servir Dieu, se disent-ils, nous ne l'avons pas fait! Arrivés à l'article de la mort, nous voyons clairement que le temps nous manque pour bien faire! Il ne nous reste qu'une obligation à remplir: rendre compte des bonnes inspirations reçues et repoussées. Que répondre au souverain Juge? »

 Seigneur, je ne veux pas mourir dans cette angoisse. Que voulez-vous que je fasse? Daignez me le dire. Faites-moi bien connaître le genre de vie que je dois embrasser; je veux vous obéir en tout. Par le passé, j'ai méprisé vos commandements; maintenant je m'en repens de tout mon coeur et je vous aime plus que toute chose.

 Ô Marie, Refuge des pécheurs, recommandez mon âme à votre divin Fils.
 
 
 
 

TÉMÉRITÉ DE CELUI QUI OFFENSE DIEU PAR LE PÉCHÉ MORTEL
 

 1. Dieu ne peut pas ne pas haïr le péché mortel, puisque le péché mortel va directement à l'encontre de sa divine volonté: « Il est destructif de la divine volonté » (S. Bernard, Résurrection, sermon 3, n. 3; PL 183, 290; TZ 496), affirme saint Bernard. Et de même que Dieu ne peut pas ne pas haïr le péché mortel, ainsi ne peut-il pas ne pas haïr le pécheur. Au fait, le pécheur ne fait qu'un avec son péché par sa révolte contre Dieu: « Dieu, dit le sage, déteste également l'impie et son impiété » (Sg 14, 9). Quelle témérité, donc, que celle du pécheur: par son péché il s'attire la haine de Dieu; il le sait, néanmoins il ose pécher!

 Je vous en conjure, mon Dieu, miséricorde! De quelles grâces de prédilection ne m'avez-vous pas comblé? Moi, en retour, de quelles offenses plus graves ne me suis-je pas rendu coupable? Y a-t-il un autre pécheur qui vous ait autant outragé? De grâce, donnez-moi la douleur de mes péchés.
 

 2. Qu'est-ce que Dieu? C'est le Tout-Puissant, qui, sur un signe de sa volonté, a créé toutes choses: « Il a dit, toutes choses ont surgi du néant » (Ps 32, 9). Le Tout-Puissant, qui, sur un autre signe de sa volonté, peut tout anéantir: « D'un seul signe, il peut détruire l'univers entier » (2 M 8, 18). Et le pécheur a l'audace d'affronter ce Dieu tout-puissant, d'encourir de propos délibéré son inimitié! « Il a levé sa main contre Dieu..., contre le Tout-Puissant il s'est raidi » (Jb 15, 25). Que diriez-vous à la vue d'une fourmi qui voudrait se mesurer avec un soldat armé de pied en cap?

 Que dois-je donc dire de moi, ô dieu éternel, de moi qui fus tant de fois assez téméraire pour vous désobéir et m'attirer sciemment votre disgrâce, au mépris de votre Toute-Puissance? Vous auriez pu me punir sur le champ. Votre Passion me rassure; j'espère de vous mon pardon, ô Dieu mort pour me pardonner.
 

 3. Qu'est-ce qui met le comble à la témérité du pécheur? C'est qu'il offense Dieu sous les yeux mêmes de Dieu. De là cette plainte du Seigneur: « Ce peuple ne cesse de me provoquer à la colère en ma présence » (Es 65, 3). Quel sujet aurait la hardiesse de violer la loi sous les regards même du prince? Le pécheur sait fort bien que Dieu le voit; cette considération ne l'arrête pas: il pèche, et n'hésite pas à faire son Dieu témoin de son péché.

 Ah! Mon bien-aimé Sauveur, voici le téméraire qui méprisa tant de fois sous vos yeux, vos saints commandements! Je suis donc l'une de ces âmes perdues qui n'ont que trop mérité l'enfer; mais vous êtes mon Sauveur. Vous êtes venu sur la terre effacer les péchés et sauver ce qui avait péri » (Lc 19, 10).  Quels vifs regrets j'ai de vous avoir offensé! Vous m'avez donné tant de preuves de votre amour; et moi, je vous ai causé tant de peine! Mon Jésus, mettez fin à mes péchés, remplissez-moi de votre amour! Je vous aime, aimable Infini; je tremble à la seule pensée que je puis encore perdre votre amour. Mon Amour, ne le permettez pas, faites-moi plutôt mourir!

 Ô Marie, vous obtenez de Dieu tout ce que vous demandez; obtenez-moi la sainte persévérance.
 
 
 
 

PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE
 

 1. L'évangéliste saint Luc rapporte la parabole de l'enfant prodigue. Un homme avait deux fils. Le plus jeune, fatigué d'être sous la dépendance de son père, alla le trouver un jour; « Donne-moi, lui dit-il sans rougir de son ingratitude, donne-moi la part d'héritage qui me revient » (Lc 15, 11-32). Il voulait vivre désormais à sa guise. Ayant obtenu cette part, il tourna le dos à son père et s'éloigna pour mener une vie licencieuse dans un pays étranger. Ce fils prodigue est la figure du pécheur, de tous les pécheurs; ils ont reçu de Dieu le bienfait de la liberté; mais, au lieu d'en user pour servir Dieu spontanément, sans contrainte, de leur propre choix, ils en abusent en commettant le péché, en y persévérant. C'est ainsi qu'ils abandonnent leur père et vivent désormais loin de lui.

 Hélas! Mon Seigneur et mon Père, c'est bien là le portrait et l'image de ma triste conduite! Que de fois ne vous ai-je pas quitté pour suivre mes caprices! Que d'années passées loin de vous, pendant lesquelles j'étais privé de votre grâce!
 

 2. L'enfant prodigue, une fois séparé de son père et livré tout entier au désordre, ne tarda pas à tomber dans une misère extrême, au point d'être forcé de devenir gardeur de pourceaux et de ne pouvoir même pas apaiser sa faim avec la vile nourriture qu'il leur jetait. Le pécheur, qui délaisse Dieu, est pareillement la proie d'un inexorable chagrin; car loin de Dieu, aucun plaisir terrestre, même le plus exquis, ne peut contenter le coeur de l'homme.

 L'enfant prodigue, considérant l'excès de sa misère, s'écrie enfin: « Je me lèverai, et j'irai trouver mon père! » Ô mon âme, imite cet exemple; lève-toi, sors du bourbier de tes péchés, retourne à ton Père céleste, avec l'assurance qu'il ne te repoussera pas.

 Oui, mon Père et mon Dieu, je le reconnais; j'ai mal fait de vous quitter; je m'en repens de tout mon coeur, j'en suis profondément affligé. Ah! Ne me rejetez pas; car je reviens avec la douleur sincère de vous avoir offensé et la ferme résolution de ne plus jamais vous quitter. Mon Père bien-aimé, pardonnez-moi; donnez-moi le baiser de paix, et recevez-moi dans votre grâce.
 

 3. Arrivé devant son père, l'enfant prodigue se jette à genoux: « Mon père, s'écrie-t-il humblement, je ne mérite plus d'être appelé votre fils. » Attendri jusqu'aux larmes, le père l'embrasse, oublie son ingratitude passée; il est tout entier possédé par la joie d'avoir retrouvé le fils qu'il avait perdu.

 Ô Père infiniment bon, permettez que, moi aussi, pénétré de douleur à la vue de mes offenses, je vienne me jeter à vos pieds et vous dire: « Mon Père, je ne mérite plus d'être appelé votre fils, puisque j'ai tant de fois eu l'audace de vous abandonner et de vous mépriser; mais je sais que vous êtes le meilleur des pères et que vous ne pouvez pas repousser un fils repentant. Par le passé, je ne vous ai pas aimé; daignez reconnaître que, maintenant, je vous aime plus que toute chose, et que, par amour pour vous, je suis prêt à supporter toutes sortes de peines. Faites, par votre grâce, que je vous sois toujours fidèle.

 Ô Marie, Dieu est mon Père, vous êtes ma Mère; je vous dis donc: « Ma Mère, ne m'oubliez pas. »
 
 
 
 

QUEL MAL EST LA TIÉDEUR
 

 1. Impossible d'exagérer le mal que fait aux âmes la tiédeur. Sans doute, les âmes tièdes conservent la crainte du péché mortel, mais elles font peu de cas des péchés véniels même délibérés et négligent de s'en corriger. À chacune d'elles le Seigneur adresse cette terrible menace: « Parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 16). Vomir signifie abandonner: on ne reprend plus une nourriture que l'on a rejetée. L'âme tiède déshonore Dieu: sa conduite, à défaut de paroles, tient à tous ce langage: « Dieu! C'est un pauvre Maître qui ne mérite pas qu'on le serve avec plus de soin. » Il n'est que trop vrai, mon Dieu, que, par le passé, je vous ai déshonoré; mais je veux changer de vie. Aidez-moi.
 

 2. Sainte Thérèse n'a jamais commis aucun péché mortel ? la bulle de sa canonisation en fait foi ? ; cependant, Dieu lui fit voir quelle place elle occuperait en enfer, si elle persévérait dans sa tiédeur. (Bullarium Romanum, XIV, Roma 1756, 18). Comment expliquer cet aboutissement à l'enfer, puisque seul le péché mortel conduit en enfer? Le Saint Esprit fournit la réponse: « Celui qui néglige les petites choses, tombera peu à peu dans la ruine » (Si 19, 1). Quand on ne tient pas compte des péchés véniels, commis les yeux ouverts, on se laissera facilement aller aux fautes mortelles. De fait, l'habitude une fois contractée de déplaire à Dieu délibérément en choses légères, on n'a plus grande horreur de le contrister parfois en choses graves; de plus, Dieu voyant l'âme s'éloigner de lui volontairement, lui retire les grâces spéciales sans lesquelles nous sommes facilement vaincus par les tentations plus violentes.

 Ah! Seigneur, ne m'abandonnez pas à ce malheur; faites-moi plutôt mourir; ayez pitié de moi.
 

 3. « Celui qui sème peu, moissonnera peu » (2 Co 9, 6). N'est-ce pas justice que Dieu donne ses grâces d'une main en quelque sorte avare à qui le sert et l'aime le moins possible? « Maudit soit celui qui fait mollement l'oeuvre du Seigneur » (Jr 48, 10), s'écrie le prophète! C'est donc un grand mal de servir Dieu négligemment, un mal qui provoque la malédiction divine. Le pécheur qui reconnaît l'énormité de ses fautes, a le mérite au moins de convenir de sa malice; le tiède, lui, s'estime meilleur que ceux dont il évite les graves désordres; il vit ainsi dans la fange de ses défauts et n'a pas même la pensée de s'humilier.

 Ah! Mon Dieu, vous étiez prêt à m'accorder une multitude de grâces; ma tiédeur, hélas! En a arrêté le cours! Aidez-moi, Seigneur; je veux me corriger. Il n'est pas juste que je sois avare avec vous, qui m'avez aimé au point de donner votre vie pour moi.

 Ô Marie, ma Mère, secourez-moi; je me confie en vous.
 
 
 
 

DIEU SE DONNE TOUT ENTIER À QUI SE DONNE À LUI TOUT ENTIER
 

 1. « J'aime ceux qui m'aiment » (Pr 8, 17).

 Le Seigneur aime tous ceux dont il est aimé; lui-même nous en donne l'assurance. Mais prétendre au don total de Dieu, alors que l'on ne donne soi-même au Créateur qu'une partie de son coeur, en réservant l'autre pour la créature, c'est vouloir une chose impossible. Sainte Thérèse en fit l'expérience. Elle avait conservé pour l'un de ses parents une affection, non pas impure, mais seulement désordonnée, naturelle. Elle dut en faire le sacrifice. Quand elle eut rompu cette dernière affection sensible, elle mérita d'entendre le Seigneur lui dire: « Maintenant que tu es toute à moi, je suis tout à toi. »

 Ah! Mon Dieu, quand viendra le jour où je me verrai tout à vous? Je vous en supplie, venez détruire en moi, par les flammes de votre amour, toutes les affections terrestres qui m'empêchent d'être entièrement à vous. Quand pourrai-je dire en toute vérité: « Mon Dieu, je ne veux que vous; vous seul, et rien de plus? »
 

 2. « Elle est unique ma colombe, ma parfaite » (Ct 6, 8). Quand une âme s'est donnée totalement à Dieu, Dieu l'aime d'un amour tellement ardent, qu'il semble n'en aimer aucune autre; aussi l'appelle-t-il sa « colombe unique ». Sainte Thérèse apparut, après sa mort, à l'une de ses religieuses: « L'amour de Dieu, lui révéla-t-elle, pour une âme constamment appliquée à l'oeuvre de sa perfection, dépasse celui qu'il a pour des milliers d'âmes en état de grâce sans doute, mais tièdes et imparfaites. » (François de Sainte Marie, Riforma dei Scalzi, liv. 7, ch. 30, n. 4, Bologne 1662, 249).

 Depuis combien d'années, mon Dieu, ne me pressez-vous pas de me donner entièrement à vous, et je ne fais que vous résister! Je vois s'approcher la mort: vais-je donc la laisser me frapper dans l'état misérable d'imperfection où j'ai vécu jusqu'ici? Non, mon Dieu, car je ne veux pas que la mort me trouve dans cette ingratitude invétérée. Vous-même, prêtez-moi toujours aide et protection; car je veux tout abandonner pour être tout à vous.
 

 3. Sous l'impulsion de l'amour qu'il nous porte, Jésus s'est donné tout entier à nous: « Oui, s'écrie saint Paul, Jésus Christ nous a tellement aimés, qu'il s'est livré pour nous » (Ep 5, 2). Ainsi notre Dieu se donne tout à nous, « tout entier, dit saint Jean Chrysostome, sans rien se réserver de lui-même. » (S. Jean Chrysostome, Homélie sur le Ps. 44, n. 11; PG 55, 200). Imaginez une donation de soi plus complète que celle de Jésus Christ dans sa Passion et dans la divine Eucharistie! Dès lors, n'est-il pas juste et souverainement raisonnable que nous nous donnions à ce grand Dieu totalement et sans la moindre réserve? Saint François de Sales ne pouvait s'empêcher d'écrire: « C'est peu d'un coeur pour aimer ce bon Rédempteur, qui nous a aimés au point de donner sa vie pour nous. » (S. François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, liv. 7, ch. 8, AN 5, 35; RVP 664-667. Saint Alphonse résume par cette phrase la pensée de saint François de Sales contenue dans ce chapitre). Quelle ingratitude, donc, et quelle injustice de faire deux parts de notre coeur: l'une pour Dieu, l'autre pour les créatures, au lieu de le donner tout entier à Dieu!

 Ah! Faisons plutôt nôtre le cri d'amour de l'Épouse sacrée: « Il est à moi, mon Bien-aimé, je suis à lui » (Ct 2, 16). Vous vous êtes donné tout à moi, mon Dieu; je me donne en retour tout à vous. Je vous aime, ô mon souverain Bien, mon Dieu, mon Tout! Vous me voulez tout à vous, je veux être tout à vous.

 Ô Marie, ma Mère, faites que je n'aime que Dieu seul.
 
 
 
 

LE TEMPS DE LA MORT N'EST QUE TROUBLE ET CONFUSION
 

 1. « Vous aussi, soyez prêts, parce que, à l'heure que vous ne pensez pas, le Fils de l'homme viendra » (Lc 12, 40).

 Le Seigneur ne dit pas: « Aussitôt que la mort viendra, préparez-vous. » Il dit: « Soyez prêts », c'est-à-dire trouvez-vous prêts quand la mort viendra. De fait, qu'est-ce que le temps de la mort? Un temps de trouble; par conséquent, un temps où l'on est dans l'impossibilité de bien se préparer au jugement particulier et d'obtenir une sentence favorable. « Quand vous pouviez faire le bien, dit saint Augustin, vous n'avez pas voulu le faire, comme c'était votre devoir; il arrivera, par un juste châtiment de Dieu, que vous ne pourrez pas le faire quand on vous le voudrez. » (S. Augustin, Du libre arbitre, liv. 3, ch. 18, n. 52; PL 32, 1296; BA 6, 423).

 Non, mon Dieu, je ne veux pas attendre le temps de la mort pour changer de vie. Je déteste ma conduite passée, et je veux vous obéir. Que dois-je faire pour vous plaire, dites-le moi bien; car je suis résolu de rechercher votre bon plaisir en tout et sans réserve?
 

 2. « La nuit vient, pendant laquelle personne ne peut agir » (Jn 9, 4).

 Voilà bien ce qu'est en réalité le temps de la mort: une nuit, dans laquelle il est impossible de rien faire. « Votre maladie est mortelle », a-t-on dit au malade. L'impression qu'il ne parvient pas à dominer de la funeste nouvelle, les douleurs et les inquiétudes qui le tourmentent, sa pesanteur de tête et, surtout, ses remords de conscience, le jettent dans une telle détresse et un tel trouble, qu'il ne sait plus que devenir. Il voudrait bien trouver le moyen d'échapper à la damnation; mais ce moyen, il ne le trouvera pas. Pourquoi? Parce que le temps du châtiment est arrivé: « À moi, la vengeance et la rétribution, pour le temps où leur pied trébuchera » (Dt 32, 35).

 Mon Dieu, je vous remercie de m'accorder le temps nécessaire pour me convertir, maintenant que c'est le temps de la miséricorde et non du châtiment. Que je perde tout plutôt que votre grâce! Mon Bien suprême, je vous aime plus que tous les biens.
 

 3. Imaginez-vous que vous êtes en pleine mer, pendant la tempête, sur un vaisseau déjà brisé par les écueils et sur le point de sombrer. Vous avez beau réfléchir; aucun moyen d'échapper à la mort. Le désespoir ne s'empare-t-il pas de vous? Telle est la situation du pécheur que la mort trouve dans un mauvais état de conscience. Testament, parents, derniers sacrements, restitutions à faire, appels de Dieu méprisés, quelle tempête tout cela déchaîne dans l'âme du pauvre mourant! Allez donc débrouiller pareille conscience!

 Ah! Mon Dieu, qu'il ne soit pas inutile pour moi, le Sang que vous avez versé! Vous avez promis de pardonner à qui se repent. Je suis profondément affligé de toutes mes offenses. Je vous aime, Seigneur, je vous aime plus que toutes choses; je suis résolu de ne plus vous outrager. Comment, après tant de miséricordes que vous m'avez faites, pourrai-je penser à vous déplaire encore? Plutôt mourir, ô mon Dieu!

 Ô Marie, ma Mère, priez votre Fils de ne pas permettre que je l'offense encore.
 
 
 
 

LE PÉCHEUR CHASSE DIEU DE SON ÂME
 

 1. Le Seigneur aime toute âme dont il est aimé; il habite dans cette âme, il en fait sa demeure tant qu'elle ne le chasse pas par le péché: « Dieu, dit le concile de Trente, n'abandonne que s'il est abandonné. » (Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, Fribourg 1976, n. 1537; G. Dumeige, La Foi Catholique, 2 éd., Paris 1961, n. 570). À quel moment précis l'âme chasse-t-elle Dieu? C'est au moment, où, sciemment, délibérément, elle donne son consentement au péché mortel. Le péché mortel est une façon de dire à Dieu: « Allez-vous en; je ne veux plus habiter avec vous. » C'est l'enseignement de l'Écriture: « Ils disent à Dieu: 'Retire-toi loin de nous' » (Jb 21, 14).

 En péchant, ô mon Dieu, j'ai donc eu la triste hardiesse de vous bannir de mon âme et de ne plus vouloir vivre avec vous; mais vous ne voulez pas que je me désespère; vous voulez que je me repente et vous aime. Oui, je me repens, ô mon Jésus, de vous avoir offensé; je vous aime plus que toutes choses.
 

 2. Dieu ne peut habiter avec le péché; il est obligé de se séparer d'une âme où le péché fait son entrée. Le pécheur le sait. Par son consentement au péché, il tient à Dieu ce langage: « Vous ne pouvez habiter chez moi qu'à la condition de me voir renoncer au péché; sinon, vous partez. Eh bien! Partez donc. Je préfère vous perdre, que de perdre le plaisir inhérent à mon péché. » À  l'instant même où Dieu quitte l'âme, le démon entre pour en prendre possession. C'est ainsi que le pécheur chasse son Dieu qui l'aime, et se fait l'esclave d'un tyran qui le hait.

 Telle fut pourtant ma conduite par le passé, Seigneur. Je vous en conjure, daignez me faire part de cette horreur que vous avez ressentie au jardin de Gethsémani pour mes iniquités. Ah! Mon Bien-aimé Rédempteur, que ne vous ai-je jamais offensé!
 

 3. « Sors, esprit immonde, et fais place au Saint Esprit. » (Rituel Romain en latin: tit. 2, ch. 2, Ordo baptismi parvulorum).

 Voilà l'ordre que le prêtre intime au démon, quand il baptise un enfant.

 « Sortez de mon âme, Seigneur, et cédez la place au démon. »

 Voilà l'ordre qu'un homme en état de grâce intime à Dieu, quand il commet le péché mortel.

 Assurément, ô mon Dieu, belle reconnaissance; oui, belle reconnaissance, souvent renouvelée, pour l'amour que vous m'avez porté! Vous êtes descendu du ciel pour me chercher, moi, brebis perdue; je n'ai guère fait que vous fuir et vous repousser. Maintenant j'embrasse vos pieds sacrés et je suis fermement résolu de ne plus jamais me séparer de vous, ô mon bien-aimé Seigneur.

 Vous, Marie, ma Reine, ne m'abandonnez pas.
 
 
 
 

L'ABUS DES GRÂCES
 

 1. Toutes les grâces que Dieu nous accorde, ? lumières, appels, bonnes pensées, ? sont le prix du Sang versé de Jésus Christ. Pour que l'homme pût les recevoir, il fallut que le Fils de Dieu subît la mort et, par les mérites de sa mort, rendît l'homme capable des divines faveurs. Celui, donc, qui méprise les grâces de Dieu, c'est-à-dire n'en fait pas un bon usage, méprise le Sang et la Mort d'un Dieu. Quelle fut la cause de la damnation de tant de chrétiens qui gémissent maintenant en enfer, en proie au désespoir? Ce mépris énorme.

 Mon Dieu, je devrais, moi aussi, verser des larmes inutiles en compagnie de ces malheureux désespérés. Je puis maintenant pleurer mes péchés dans l'espérance de votre pardon: je vous remercie de cette grâce que me fait votre miséricorde.

 2. À l'heure actuelle, les damnés connaissent parfaitement deux choses: la valeur de la grâce et la gravité du crime qu'ils ont commis en la méprisant; aussi quel cruel supplice leur cause, ? supplice éternel, ? le souvenir des grâces reçues de Dieu!

 Mon bien-aimé Rédempteur, éclairez-moi, faites-moi comprendre combien je suis obligé de vous aimer, puisque, au lieu de me punir de mon ingratitude, au lieu de m'abandonner dans mes péchés, vous n'avez fait que multiplier vos lumières et vos tendres invitations. Aujourd'hui même, vous m'appelez de nouveau: je m'empresse de répondre que je veux être à vous, et pour toute l'éternité.
 

 3. Réfléchis, ô mon âme, que si le Seigneur avait favorisé quelque infidèle des grâces qu'il t'a faites, cet infidèle serait maintenant un chrétien affermi dans la vertu. Toi, qu'as-tu fait jusqu'ici, sinon entasser péchés sur péchés pendant que Dieu t'accordait grâces sur grâces? Si tu persévères dans cette funeste voie, est-il possible que Dieu te supporte plus longtemps et ne t'abandonne pas bientôt? Hâte-toi de mettre fin à tes ingratitude; tremble que cette nouvelle résistance n'éloigne à jamais de toi toute lumière et toute faveur.

 Vous ne m'avez que trop supporté, ô mon Dieu! Je ne veux plus provoquer votre colère. Qu'est-ce que j'attends pour me convertir? Que vous m'ayiez abandonné? Ah! « Ne me rejetez pas de devant votre face » (Ps 51/50, 13). Car je veux vous aimer de tout mon coeur, m'appliquer à faire votre bon plaisir. Vous le méritez. Donnez-moi la force de tenir ma parole.

 Ô Marie, Mère de Dieu, aidez-moi de vos prières.
 
 
 
 

L'AMOUR TRIOMPHE DE DIEU
 

 1. Notre Dieu est tout-puissant: qui donc pourrait le vaincre et lui faire la loi? Pourtant dit sait Bernard, « L'amour triomphe de Dieu » (S. Bernard, Cantique des Cantiques, sermon 64, n. 10; PL 183, 1088; BG 661). De fait, un amour vainquit le coeur de Dieu: ce fut son amour pour les hommes, qui le réduisit à mourir sur un gibet infâme afin de les sauver.

 Ô Amour infini, malheur à qui ne vous aime pas!
 

 2. Si quelqu'un privé des lumières de la foi, passant par le Calvaire le jour où Jésus Christ mourut sur la croix, avait demandé quel était ce criminel crucifié, horriblement déchiqueté des pieds à la tête, quel n'aurait pas été son étonnement d'entendre cette réponse: « C'est le Fils de Dieu, vrai Dieu comme son Père! » Puis, qu'aurait-il dit, sinon ce que disaient les païens: « Folie que cela? » En effet, au témoignage du pape saint Grégoire-le-Grand, « les païens estimaient pure folie de croire en Dieu, l'Auteur de la vie, était mort pour les hommes, ses créatures. » (S. Grégoire le Grand, Les Évangiles, liv. 1, homélie 6; PL 76, 1096). Nous-mêmes, n'appellerions-nous pas folie la décision d'un roi qui, par amour pour un vermisseau, se ferait vermisseau lui-même? À combien plus forte raison devons-nous, semble-t-il, appeler folie le choix d'un Dieu qui, par amour pour les hommes, se fait homme lui-même, et meurt sur une croix! Aussi saint Marie-Madeleine de Pazzi, considérant l'amour sans mesure que Dieu nous porte, s'écrie-t-elle dans une extase: « Mon Jésus, vous êtes fou d'amour! » (G. Puccini, Vita della ven. Suor M. Maddalena de' Pazzi, P. 1, ch. 2, Florence 1611, 18).

 C'est ce Dieu que moi, misérable, je n'ai pas aimé, et tant offensé!
 

 3. Ô mon âme, lève les yeux, regarde attentivement la Croix. Ce crucifié, en proie à toutes les douleurs du corps, à toutes les angoisses de l'âme, ce crucifié, dont l'agonie va se terminer par une mort de pure douleur, sans mélange de la moindre consolation, qui est-il? C'est ton Dieu, tu ne l'ignores pas. S'il est ton Dieu, comme tu le crois fermement, demande-toi quelle force inconnue a pu le réduire à ce lamentable état. « Qui donc a pu faire cela? Interroge saint Bernard. C'est l'amour, répond-il, l'amour oublieux de sa dignité. » (S. Bernard, Sermon 64, n. 10; PL 183, 1088; BG 661).

 L'amour, en effet, ne recule devant aucune peine, aucun opprobre, quand il s'agit de se manifester et de faire du bien à la personne aimée.

 Pourquoi donc, ô mon Jésus, avez-vous tant souffert sur ce gibet infâme? Parce que vous m'avez aimé sans mesure: si vous m'aviez moins aimé, vous auriez moins souffert. Je vous aime, ô mon Rédempteur, je vous aime de tout mon coeur. Vous, mon Dieu, ne m'avez refusé ni votre Sang ni votre vie: comment pourrais-je vous refuser une seule fibre de mon coeur? Je vous aime, ô Jésus, mon Amour, mon Tout.

 Ô sainte Vierge Marie, embrassez-moi d'amour pour Jésus.
 
 
 
 

SENTENCE DES RÉPROUVÉS AU JUGEMENT GÉNÉRAL
 

 1. Considère, ô mon âme, quel supplice et quelle confusion doivent subir les réprouvés au dernier jour du monde! Ils sont témoins d'un double spectacle: d'un côté, les élus resplendissants de gloire attendant, au comble de la joie, que Jésus Christ leur adresse l'invitation de le suivre en Paradis: « Venez, les bénis de mon Père! » (Mt 25, 34): ? quel supplice pour les réprouvés! ? ; de l'autre, ils se voient eux-mêmes entourés de démons traînés de force devant le Juge suprême pour entendre leur sentence de condamnation: « Retirez-vous loin de moi! » (Mt 25, 41), leur dira Jésus Christ devant l'univers entier. Quelle confusion écrasante pour eux!

 Ah! Mon Rédempteur, qu'elle ne soit pas perdue pour moi, la mort cruelle que vous avez endurée pour mon salut avec tant d'amour!
 

 2. « Retirez-vous de moi, maudits; allez au feu éternel! » (Mt 25, 41). Voilà leur sentence; voilà leur sort à jamais misérable: vivre éternellement plongés dans le feu, éternellement maudits et séparés de Dieu! Les chrétiens croient-ils à l'existence de l'enfer? Mais alors, comment se fait-il qu'un si grand nombre d'entre eux aillent volontairement au devant d'une condamnation aussi redoutable?

 Ah! Seigneur, au dernier jour, ne serai-je pas moi-même l'un de ces condamnés? Par les mérites de votre Sang, j'espère que non; mais qui m'en donne la certitude? Seigneur, éclairez-moi, faites-moi connaître ce que je dois faire pour éviter cet affreux malheur, hélas! Par trop mérité jusqu'ici. Seigneur, miséricorde!
 

 3. Au milieu de la vallée du jugement, s'ouvrira soudain un grand abîme. Démons et réprouvés y tomberont tous ensemble, et tous ensemble entendront se fermer sur eux ces portes qui resteront fermées éternellement. Ô péché maudit, quelle triste fin tu prépares à tant d'âmes infortunées! Ô malheureux pécheurs, cette fin lamentable sera votre partage pendant toute l'éternité!

 Mon Dieu, quel sera mon sort? Une chose m'épouvante plus que le feu même de l'enfer, c'est l'intolérable pensée d'être à jamais éloigné, séparé de vous, mon unique Bien! Mon bien-aimé Rédempteur, que de fois je vous ai méprisé! Mais maintenant je vous aime plus que tout au monde; je vous aime de tout mon coeur, je sais que le supplice de l'éternel bannissement loin de vous, n'est pas pour ceux qui vous aiment; car ceux qui vous aiment ne peuvent être à jamais séparés de vous. Donnez-moi donc votre amour, faites que je vous aime toujours! Liez-moi, enchaînez-moi, ajoutez chaînes sur chaînes, afin que je sois dans l'impossibilité de me séparer de vous. Puis, faites de moi ce qu'il vous plaît.

 Ô Marie, Avocate des malheureux, ne cessez pas de me protéger.
 
 
 
 

SENTENCE DES ÉLUS
 

 1. « Venez, les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

 Voilà quelle glorieuse sentence prononcera le souverain Juge sur ceux qui l'auront aimé! Aussi le grand jour du Jugement général sera-t-il pour eux un jour de triomphe. Saint François d'Assise, ayant appris par révélation qu'il était prédestiné (Th. De Celano, Vita prima, DV 213; Fioretti, DV 1112), faillit en mourir de joie à l'instant même: quelle sera donc l'allégresse des élus, lorsqu'ils entendront Jésus Christ les appeler « enfants bénis »: « Venez enfants bénis de mon Père », venez posséder l'héritage de votre divin Père, le bienheureux royaume du paradis!

 Ce royaume, hélas! Je l'ai tant de fois perdu par ma faute; mais, ô mon Jésus, j'espère, par vos mérites, l'obtenir encore. Mon bien-aimé Rédempteur, je vous aime et j'espère.
 

 2. La sentence les a tous proclamés rois. Ils se voient d'avance assis chacun sur un trône, ne formant tous ensemble qu'un coeur et qu'une âme, pour jouir éternellement de Dieu sans crainte de le perdre. Oh! Quelles chaleureuses félicitations mutuelles! Quel bonheur, quelle gloire, de faire leur entrée dans le ciel, la tête ceinte de la couronne royale, en chantant tous ensemble dans les transports de la joie la plus vive les louanges de Dieu! Heureuses, heureuses, les âmes prédestinées à cet éclatant triomphe!

 Ô Dieu de mon âme, que les liens du saint amour m'unissent étroitement à vous, afin qu'en ce dernier jour, j'aie, moi aussi, le bonheur de monter dans votre royaume pour vous louer à jamais. « Éternellement je chanterai, éternellement je chanterai les miséricordes du Seigneur » (Ps 89/88, 2).
 

 3. Ranimons notre foi. Il est certain que nous nous retrouverons un jour dans la vallée du Jugement; il est certain que l'une des deux sentences sera la nôtre, ou la sentence de vie éternelle, ou la sentence de mort éternelle. Avons-nous, en ce moment, l'espoir fondé d'obtenir la sentence favorable? Non? À l'oeuvre sans délai pour nous l'assurer: c'est-à-dire, fuite de toutes les occasions qui pourraient causer notre perte, vie d'étroite union à Jésus Christ par la fréquentation des sacrements, par la méditation, la lecture spirituelle, la prière incessante. L'usage ou la négligence de ces moyens sera pour chacun de nous le gage de notre salut ou de notre réprobation.

 Ô Jésus, mon bien-aimé Sauveur et mon Juge, les mérites de votre Sang me font espérer que vous me bénirez au jugement général; bénissez-moi donc dès maintenant en me pardonnant toutes mes offenses. Dites-moi ce que vous avez dit à Madeleine: « Tes péchés te sont remis » (Lc 7, 48). De tout mon coeur, je me repens de vous avoir offensé; pardonnez-moi. Daignez ajouter à la grâce du pardon celle de vous aimer toujours. Je vous aime, ô mon souverain Bien, je vous aime plus que moi-même, mon Trésor, mon Amour, mon Tout. « Vous êtes le Dieu de mon coeur, et mon partage, pour toujours » (Ps 73/72, 26). Mon Dieu, vous seul et rien de plus!

 Ô Marie, vous pouvez et vous voulez me sauver; je me confie en vous.
 
 
 
 

LES PÉCHEURS DÉSHONORENT DIEU PAR LEURS PÉCHÉS
 

 1. « Par la violation de la Loi, tu déshonores Dieu » (Rm 2, 23).

 Veux-tu savoir, pécheur, ce que tu fais quand tu pèches? L'Apôtre te répond: « Tu déshonores Dieu. » Au fait, c'est déshonorer Dieu que de lui manquer de respect en face et de déclarer par sa conduite qu'il n'y a pas grand mal à lui désobéir, à faire peu de cas de sa loi.

 Voyez, à vos pieds, ô mon Dieu, l'ingrat que vous avez tant aimé, comblé de tant de bienfaits, et qui, tant de fois, en retour, vous a déshonorés par la transgression de vos divins préceptes. Je mérite mille enfers; mais rappelez-vous que vous êtes mort pour ne pas m'envoyer en enfer.
 

 2. Le pécheur déshonore Dieu, parce qu'il préfère à la divine grâce cette misérable satisfaction, ce vil intérêt, ce caprice, pour lesquels il offense Dieu. En effet, par le consentement au péché, il estime préférables à l'amitié de Dieu cette satisfaction, cet intérêt, ce caprice; il les estime donc supérieurs à Dieu. Quelle honte, quel déshonneur, infligés par le pécheur au souverain Bien!

 Mon Dieu, vous êtes un bien infini. Comment, moi, pauvre ver de terre, ai-je pu vous juger inférieur à l'une de mes basses satisfactions, à l'un de mes caprices? Si je ne savais que vous avez promis de pardonner à qui se repent, je n'oserais vous demander pardon. Ô Bonté infinie, je me repens de vous avoir offensée. Ô plaies de Jésus, donnez-moi confiance.
 

 3. Notre dernière fin, c'est Dieu. Il nous a créés pour lui-même, afin que nous l'aimions et le servions en cette vie, et qu'ensuite nous jouissions de lui dans l'éternité. Or, que faisons-nous, quand nous préférons notre propre satisfaction à la grâce de Dieu? Nous faisons de notre propre satisfaction notre fin dernière; en d'autres termes, nous en faisons notre dieu. Quel déshonneur pour Dieu! Dieu, le Bien infini, se voit échangé contre un misérable et vil objet!

 Mon bien-aimé Rédempteur, je vous ai offensé; mais vous ne voulez pas que je désespère de votre miséricorde; malgré toutes mes ingratitudes, vous ne cessez pas de m'aimer ni de vouloir mon salut. Je reconnais toute la malice de mes outrages; j'en suis souverainement désolé. Plutôt mourir que vous causer encore le moindre déplaisir! Telle est ma résolution; mais je redoute ma faiblesse. Donnez-moi la force de vous être fidèle jusqu'à la mort; je l'espère de votre bonté. Mon Jésus, vous êtes mon Amour et mon Espérance.

 Ô Marie, ce sont vos prières qui doivent me sauver.
 
 
 
 

JOIE DE JÉSUS RETROUVANT LA BREBIS PERDUE
 

 1. On lit, dans l'évangéliste saint Luc: Un berger possédait cent brebis; il en perdit une. Aussitôt, laissant les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert, il court à la recherche de l'autre. Il la trouve, l'embrasse avec joie; puis, il la met sur ses épaules. De retour chez lui: « Venez, dit-il à ses amis, réjouissez-vous avec moi; car j'ai retrouvé ma brebis perdue » (Lc 15, 4-6). Ce berger plein d'amour, c'est Jésus Christ.

 Ô mon divin Pasteur, la brebis perdue, c'est moi; vous m'avez tant cherché qu'enfin vous m'avez retrouvé; je l'espère fermement. Vous m'avez retrouvé, et je vous ai retrouvé. Pourrai-je jamais avoir le coeur de vous quitter encore, ô mon bien-aimé Seigneur? Ce malheur demeure possible. Je vous en supplie, ô mon Amour, ne permettez pas que je vous abandonne et vous perde de nouveau.
 

 2 Mais pourquoi, ô mon Jésus, invitez-vous vos amis à se réjouir avec vous du recouvrement de la brebis perdue? Vous deviez plutôt les inviter à se réjouir avec elle, à la féliciter d'avoir retrouvé son Dieu, son souverain Bien. Vous portez à mon âme un amour tellement grand, ? c'est ce que vous voulez m'enseigner, ? un amour tellement profond, que vous faites votre bonheur de l'avoir retrouvée.

 Ah! Mon doux Rédempteur, puisque vous m'avez retrouvé, daignez m'attacher étroitement à vous: mieux encore, daignez m'enchaîner à vous par les liens imbrisables de votre amour, afin que je vous aime toujours et ne vous quitte plus jamais. Je vous aime, ô Bonté infinie; j'espère vous aimer éternellement et vous être éternellement fidèle.
 

 3. À peine le pécheur, contrit et humilié, a-t-il élevé sa voix vers le Seigneur pour implorer grâce et miséricorde, que le Seigneur l'exauce et lui pardonne: « À ton premier cri, il te fera grâce; dès qu'il t'aura entendu, il t'exaucera » (Es 30, 19), affirme le prophète.

 Me voici donc à vos pieds, ô mon Dieu; c'est la douleur de vous avoir si souvent offensé qui me fait réclamer votre pitié et votre pardon. Quelle réponse ferez-vous à ma prière? Daignez vous hâter de m'exaucer et de me pardonner. Je ne puis supporter plus longtemps d'être éloigné de vous et privé de votre amitié. Vous êtes une Bonté infinie, digne, par conséquent, d'un amour infini. Si, par le passé, j'ai méprisé votre grâce, maintenant je la mets au-dessus de tous les royaumes de du monde. Cependant, puisque je n'ai pas craint de vous offenser, je vous supplie d'exercer contre moi votre juste vengeance; mais, je vous en conjure, ne vous venger pas en me rejetant loin de vous, mais en m'inspirant une contrition si vive, qu'elle me fasse pleurer le reste de ma vie les amertumes dont mes péchés abreuvèrent votre coeur. Seigneur, Seigneur, je vous aime de toute mon âme; sachez-le bien, je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Aidez-moi de votre grâce.

 Vous aussi, ô Marie, aidez-moi de vos prières.
 
 
 
 

JÉSUS PORTE LA PEINE DE NOS PÉCHÉS
 

 1. « Vraiment, c'était nos maladies qu'il portait, et nos douleurs dont il s'était chargé » (Es 53, 4).

 Ô sainte Foi, si vous ne nous en donniez l'assurance, qui pourrait croire ce prodige: l'homme commet le péché, et c'est le propre Fils de Dieu qui l'expie?

 Ainsi donc, ô mon Jésus, à moi la faute; à vous le châtiment de la faute! À moi le triste mérite de la mort éternelle de l'enfer; à vous, pour m'en délivrer, la condamnation à mourir sur une croix! En résumé, pour me pardonner, vous n'avez rien voulu pardonner à vous-même... et j'aurai l'abominable hardiesse de vous causer encore le moindre déplaisir! Non, mon bien-aimé Sauveur, je vous dois trop de reconnaissance; la reconnaissance m'oblige par trop à vous aimer. Me voici, je suis à vous. Qu'attendez-vous de moi? Daignez me le dire; car je veux accomplir en tout votre volonté.
 

 2. « Il a été transpercé à cause de nos iniquités, broyé à cause de nos crimes! » (Es 53, 5).

 Contemple, ô mon âme, dans le prétoire de Pilate, ton Dieu flagellé, couronné d'épines, couvert de plaies des pieds à la tête; de toutes ses chairs déchirées coulent des flots de Sang. Écoute-le te dire avec amour: « Ma fille, vois combien tu me coûtes! »

 Ah! Mon doux Rédempteur, que n'avez-vous pas souffert pour moi! En retour de tant d'amour, comment ai-je pu vous faire tant de peine? Pour ne pas me voir damné, vous avez enduré les pires douleurs, et moi j'ai souvent consenti, pour un rien, à vous perdre! Ah! Maudits plaisirs, je vous hais souverainement; car vous avez jeté mon Sauveur dans un océan de souffrances.
 

 3. Au souvenir des douleurs de Jésus, sainte Marguerite de Cortone ne pouvait s'empêcher de pleurer amèrement les péchés de sa vie passée: « Marguerite, lui dit un jour le confesseur, assez de larmes! Calmez-vous, Dieu vous a tout pardonné. »  ?  « Ah! Mon Père, répartit la sainte pécheresse, comment pourrais-je jamais cesser de pleurer mes péchés, sur lesquels Jésus Christ a pleuré toute sa vie? » (Sur ce sujet voir D. Thomissen, Vie de sainte Marguerite de Cortone, liv. 3, ch. 2, Bruxelles 1893, 260-263).

 Moi aussi, ô mon bien-aimé Jésus, j'ai, par mes péchés, rempli votre vie d'amertume. Sainte Marguerite a su pleurer ses fautes; elle a su vous aimer; mais moi, quand donc commencerai-je à pleurer vraiment les miennes, à vous aimer? Je me repens, ô Bien suprême, de vous avoir affligé. Je vous aime, ô mon Rédempteur, plus que moi-même. Je vous en supplie, attirez-vous tout mon coeur, embrasez-moi tout entier de votre saint amour; ne permettez pas que je paie plus longtemps d'ingratitude le grand nombre de vos bienfaits.

 Ô Marie, vous pouvez par vos prières m'élever à la sainteté: faites-le par amour pour Jésus Christ.
 
 
 
 

QUEL BIEN EST LA GRÂCE DE DIEU!
QUEL MAL SA DISGRÂCE!
 

 1. Ce que Job dit de la divine Sagesse, on peut l'appliquer à la grâce: « L'homme n'en connaît pas le prix » (Jb 28, 13). Aussi l'échange-t-il contre des riens. En réalité, la divine grâce est un « trésor d'une valeur infinie » (Sg 7, 14), nos Livres saints l'affirment. Aux yeux des païens, ? ils le proclamaient bien haut, ? c'était pure impossibilité que la créature devînt l'amie du Créateur. Ils se trompaient: l'un des effets de la grâce est précisément d'établir une véritable amitié entre l'âme et Dieu. Dieu lui-même appelle son amie, l'âme en état de grâce: « Lève-toi, hâte-toi, mon amie » (Ct 2, 10). « Vous êtes mes amis » (Jn 15, 14).

 Ainsi donc, ô mon Dieu, aussi longtemps que mon âme conserva l'état de grâce, elle fut votre amie; mais, dès que j'eus le malheur de pécher, elle devint votre ennemie, l'esclave du démon. Vous me donnez le temps de recouvrer votre grâce, je vous en remercie. Mon bien-aimé Seigneur, je me repens de tout mon coeur de l'avoir jadis perdue; ayez pitié de moi; daignez me la rendre, et ne permettez pas que je la reperde jamais.
 

 2. Combien ne s'estimerait-il pas heureux, le sujet que le roi honorerait de son amitié! Il y aurait pourtant, chez ce sujet, hardiesse excessive à prétendre que le roi le tînt pour son ami; notre âme peut aspirer à l'amitié de Dieu sans excès de hardiesse. Un courtisan dont parle saint Augustin, disait fort sagement: « Si je veux être l'ami de l'empereur, j'y parviendrai difficilement; mais si je veux être l'ami de Dieu, je le deviens à l'instant. Il suffit de le vouloir. » (S. Augustin, Les Confessions, liv. 8, ch. 6, n. 15; PL 32, 755-756, BA 2/14, 41). En effet, un acte de contrition ou d'amour restitue au pécheur l'amitié divine. « Aucune langue ne peut, disait habituellement saint Pierre d'Alcantara, exprimer la grandeur de l'amour que Jésus porte à toute âme en état de grâce. » (S. Pierre d'Alcantara, Trattato dell' orazione e meditazione, P. 1, ch. 4, Rome 1706, 26).

 Ah! Mon Dieu, dites-moi: suis-je en état de grâce? Il fut un temps où je l'avais perdue, je le sais; mais je ne sais pas si je l'ai recouvrée. Seigneur, je vous aime et me repens de vous avoir offensé: hâtez-vous de me pardonner.
 

 3. Par contre, combien misérable, l'état d'une âme tombée dans la disgrâce de Dieu! Elle est séparée de son souverain Bien. Elle n'est plus à Dieu, Dieu n'est plus à elle. Dieu ne l'aime plus; que dis-je? Il la hait, elle lui fait horreur. Elle était sa fille, il la bénissait; elle est maintenant son ennemie, il la maudit.

 Voilà donc, ô mon Dieu, l'affreux état où j'ai vécu tout le temps que j'ai passé dans votre disgrâce! J'en suis sorti, du moins je l'espère; sinon, que votre main me tire aussitôt de cet abîme! Vous avez promis d'aimer qui vous aime! « J'aime ceux qui m'aiment » (Pr 8, 17). Je vous aime, ô mon Bien suprême; aimez-moi donc aussi; je ne veux plus vivre loin de vous.

 Ô Marie, secourez l'un de vos serviteurs, qui se recommande à vous.
 
 
 
 

IDENTIFICATION DE NOTRE VOLONTÉ AVEC LA VOLONTÉ DE DIEU
 

 1. Le premier effet de l'amour, c'est d'unir les volontés de ceux qui s'aiment. Précisément parce qu'il nous aime, Dieu veut être aimé de nous, et, partant, réclame notre coeur, c'est-à-dire notre volonté: « Mon fils, donne-moi ton coeur » (Pr 23, 26). Toute notre vie, tout notre salut consiste dans l'union de notre volonté à la Volonté divine: celle-ci est, en effet, l'unique règle du juste et du parfait: « La vie est dans sa Volonté » (Ps 30/29, 6). Se tenir uni à la Volonté de Dieu, c'est vivre et se sauver; s'en séparer, c'est mourir et se damner.

 Non, mon Dieu, je ne veux plus m'écarter de votre Volonté. Donnez-moi la grâce de vous aimer; puis, disposez de moi comme il vous plaît.
 

 2. Quelle est l'unique application des âmes vraiment éprises de l'amour de Dieu? C'est de s'identifier (Ce mot seul traduit complètement le mot de saint Alphonse: uniformarsi) toujours plus à sa divine Volonté. Aussi, dans la prière qu'il nous a enseignée, quelle grâce nous fait demander Jésus Christ? Celle d'accomplir la Volonté de Dieu sur la terre avec la même perfection que les élus dans le ciel: « Que votre Volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Sainte Thérèse offrait sa volonté à la Majesté divine, au moins cinquante fois par jour (Ste Thérèse d'Avila, Avis, n. 30; MA 1051), à l'exemple de David qui s'écrie: « Mon coeur est prêt, ô mon Dieu, mon coeur est prêt » (Ps 57/56, 8). Admirez la puissance d'un acte de parfaite identification à la Volonté divine; d'un coeur pervers il fait un coeur de saint. N'est-ce pas cet acte qui fit, d'un furieux persécuteur de l'Église, un Vase d'élection, l'Apôtre par excellence? « Seigneur, que voulez-vous que je fasse? » (Ac 9, 6), avait interrogé saint Paul, renversé de cheval sur le chemin de Damas.

 Mon Dieu, je vous promets de ne plus me plaindre des tribulations que vous m'envoyez. Toutes sont pour mon bien, je le sais. Ma résolution, c'est de dire toujours: « Seigneur, que votre Volonté soit faite! Vous voulez cela, je le veux aussi! » « Oui, mon Père, je vous bénis de ce qu'il vous a plu ainsi » (Jb 1, 21). Votre bon plaisir, c'est le mien.
 

 3. Voulez-vous savoir si telle âme aime Dieu? Pas de preuve plus préremptoire de son amour vrai, que son habitude de s'identifier tranquillement à la Volonté divine dans les choses fâcheuses qui lui surviennent: pauvreté, maladies, revers, désolations. Dans les peines suscitées par la malice des hommes, nous devons regarder, non la pierre qui nous frappe mais la main de Dieu qui la dirige. Dieu ne veut pas le péché de celui qui nous ravit notre bien, notre réputation, notre vie; mais il veut l'acceptation de cette épreuve comme partie de sa main, à l'exemple du saint homme Job qui se contenta de dire, lorsque les Sabéens le dépouillèrent de sa fortune: « Le Seigneur m'a tout donné, le Seigneur m'a tout enlevé; le bon plaisir de Dieu s'est réalisé; que le nom du Seigneur soit béni! » (Jb 1, 21).

 Hélas! Ô mon Dieu, telle ne fut pas ma conduite jusqu'ici! Que de fois, pour faire ma volonté, j'ai méprisé la vôtre! Mais alors je ne vous aimais pas; maintenant, je vous aime plus que moi-même. Aussi, j'embrasse toutes vos saintes décisions; je veux vous plaire en tout. Vous connaissez ma faiblesse: donnez-moi la force de tenir ma résolution.

 Ô Marie, obtenez-moi la grâce de faire la Volonté de Dieu jusqu'à mon dernier soupir.
 
 
 
FIN

Tome 1 des Oeuvres Complètes
p.3-158
table des matières p.159-162