Considérations sur la Passion

Saint Alphonse-Marie de Liguori

( écrit en 1761 )

INTRODUCTION

Pour comprendre combien il est agréable à Jésus-Christ que nous pensions souvent à sa passion et à la mort ignominieuse qu'il a endurées pour nous, il suffit de se rappeler qu'il a institué le Sacrement de l'autel comme un mémorial destiné à conserver au milieu de nous le souvenir toujours vivant de l'amour qu'il nous a témoigné en s'immolant sur la croix pour notre salut. Nous savons qu'il nous a donné ce Sacrement d'amour dans la nuit même qui précéda sa mort. Après avoir distribué son corps à ses disciples, il leur a dit, et par eux à nous tous, qu'en recevant la Sainte communion, nous devons nous rappeler tout ce qu'il a souffert pour nous (1 Co 11, 26). Aussi la Sainte Église ordonne-t-elle que, à la Messe, après la consécration, le célébrant dise au nom de Jésus-Christ : " Vous ferez cela en mémoire de moi. " C'est pour perpétuer en nous le souvenir du bienfait de la rédemption, dit saint Thomas, que Notre-Seigneur nous a laissé son corps pour aliment. Cet auguste Sacrement, ajoute le Docteur Angélique, nous rappelle sans cesse l'amour immense que Jésus-Christ nous a montré dans sa passion.

Si une personne, après avoir souffert des outrages et des blessures pour un ami, apprenait que cet ami ne veut pas entendre parler de cet acte de dévouement, ni même y penser, et que, chaque fois qu'on en parle devant lui, il s'empresse de dire : "Changeons de sujet", quelle peine ne ressentirait-elle pas d'une telle ingratitude ! Quel plaisir, au contraire, n'éprouverait-elle pas, si on lui disait que son ami se reconnaît obligé envers elle à une éternelle reconnaissance, et que jamais il ne parle ni ne se souvient de ses bienfaits sans en être touché jusqu'aux larmes ! Aussi, tous les Saints, sachant que c'est une chose agréable à Jésus-Christ de nous voir penser fréquemment à sa passion, ont été presque sans cesse occupés à méditer les douleurs et les mépris que ce tendre Rédempteur a soufferts pour nous dans toutes sa vie et principalement à sa mort. Selon saint Augustin, il n'y a point d'application plus salutaire pour les âmes que de méditer tous les jours la passion du Sauveur. Dieu a révélé à un saint anchorète qu'aucun exercice n'est plus propre à embraser les coeurs de l'amour divin que de penser à la mort de Jésus-Christ. Louis de Blois rapporte que sainte Gertrude a pareillement appris par révélation que chaque fois qu'une âme regarde le crucifix avec dévotion, Jésus la regarde avec amour. Le même auteur assure qu'une considération ou une lecture quelconque sur la passion fait bien plus de bien que tout autre exercice de piété. Saint Bonaventure ajoute que celui qui la médite, de terrestre devient céleste. Il appelle les plaies de Jésus crucifié des blessures qui touchent les coeurs les plus durs et enflamment d'amour pour Dieu les âmes les plus froides. On lit dans la Vie du bienheureux Bernard de Corlion, capucin, que, les autres religieux voulant lui apprendre à lire, il alla consulter Jésus crucifié. Le Seigneur lui répondit : " Quoi ! des livres ? des lextures ? C'est moi qui suis ton livre, dans lequel tu peux toujours lire l'amour que j'ai eu pour toi. " Jésus crucifié était aussi l'objet de prédilection de saint Philippe Benizi. Étant sur son lit de mort, il demanda son livre. Les assistants ne savaient quel livre il désirait ; mais le frère Ubald, son confident, lui présenta son crucifix. Alors, le Saint s'écria : " Voici mon livre !" Et en baisant les plaies sacrées du Seigneur, il expira doucement.

Quoique j'aie déjà traité plusieurs fois de la passion de Jésus-Christ, dans mes opuscules spirituels, je pense qu'il ne sera pas inutile aux âmes de leur offrir encore ici beaucoup d'autres réflexions que j'ai lues dans différents livres ou que j'ai faites moi-même. J'ai jugé bon de les écrire pour le bien des autres, mais plus encore pour mon propre avantage spirituel ; car, me, trouvant en ce moment à l'âge de soixante-dix sept ans, et conséquemment près de la mort, j'ai voulu m'occuper de ces considérations pour me préparer au jour de mes comptes. Et en effet, je m'en sers pour faire mes pauvres méditations, en en lisant très souvent quelques passages, afin de me trouver, quand sonnera ma dernière heure, les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui est toute mon espérance ; c'est ainsi que je compte avoir le bonheur de rendre mon âme entre ses mains. Entrons maintenant en matière.