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CHAPITRE II

 

CE QUE SERA JUSQU'À LÀ FIN DES SIÈCLES
LE SORT DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE

 

I. Deux opinions : l'une affirmant que lorsque les temps des nations seront accomplis, Jérusalem sera affranchie du joug de l'islamisme et redeviendra une capitale chrétienne ; l'autre prononçant que Jérusalem demeurera foulée aux pieds jusqu'à la fin du monde à cause de son déicide. - II. Raisons qui militent davantage en faveur de cette seconde opinion. - III. Deux villes, ici-bas, à l'égard desquelles les combinaisons humaines restent impuissantes : Rome, qui ne cessera d'être le siège du Vicaire de Jésus -Christ ; Jérusalem, qui ne reprendra plus sa place parmi les capitales, alors même que les Juifs se convertiront.

 

I

 

   Puisque la Jérusalem terrestre de Palestine n'est pas destinée à redevenir la possession des Juifs, même après leur conversion, quel sera donc son sort dans l'avenir, et jusqu'à la fin des temps ?
   Nous l'avons indiqué précédemment d'une manière sommaire, en rappelant cette parole de Jésus-Christ : Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis (1).
   Deux opinions, l'une et l'autre parfaitement soutenables, se sont formées, s'autorisant de cette parole.
   Selon une première opinion, la moins répandue, Jérusalem verrait tomber ses chaînes et cesserait d'être foulée aux pieds, lorsque l'Évangile ayant été prêché dans le monde entier et le nombre prédestiné des croyants dans les différentes nations étant atteint, Israël se sera converti. Alors, sans redevenir la Cité des Juifs comme autrefois, Jérusalem reverrait des jours prospères, sa situation politique s'améliorant par la disparition du joug de l'islamisme pour faire place à un État chrétien. Quel serait cet État ? « À quel peuple Dieu réserve-t-il la mission sublime de faire tomber les chaînes de la grande captive de la chrétienté ? Il semblait que la France eût fourni assez d'apôtres, assez de croisés, répandu assez de sang, pour mériter cette gloire. De nos jours ces espérances s'affaiblissent. Le Croissant est en décroissance, mais si Dieu n'intervient pas, d'autres races que la nôtre profiteront de son déclin (2). » Cette opinion du relèvement de Jérusalem reprenant place parmi les nations peut s'autoriser d'une parole de Jéhova au dernier cantique de Moïse (3). Ce cantique, l'une des plus sublimes poésies de l'Ancien Testament, est en outre animé d'un souffle prophétique encore plus remarquable que son essor lyrique. Moïse, par anticipation, contemple les Hébreux installés dans la Terre promise ; il découvre et expose leur noire ingratitude, et en même temps les châtiments qu'elle leur attirera toute leur histoire passée et à venir est résumée dans ce cantique. Il se termine par une annonce de miséricorde, lorsque tout appui aura disparu pour Israël (versets 36-2) ; mais le trait final de cette conclusion se rapporte à la Palestine : Le Seigneur, y est-il dit, sera propice au pays de son peuple (4). Le Seigneur ne dit pas que la Palestine redeviendra la possession des Juifs, il dit seulement qu'il sera propice à ce pays, au pays de son peuple. Rapprochée de la parole de Jésus que Jérusalem sera foulée aux pieds jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis, la finale du cantique de Moïse pourrait. ce semble, autoriser l'espoir d'un relèvement de Jérusalem.
  Mais il existe une seconde interprétation, adoptée par de plus nombreux exégètes, d'après laquelle Jérusalem serait foulée aux pieds jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de nations, c'est-à-dire jusqu'à la fin du monde. Tel est le sens qu'attachent à la parole de Jésus : jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis, saint Chrysostome, Euthimius, Zégerus, Sa, Lue de Bruges et autres.
   Cité ingrate qui n'a pas voulu reconnaître le Seigneur au jour de sa visite, Jérusalem resterait jusqu'à la fin des siècles dans son état de désolation et d'oppression, pour servir d'exemple. De quel exemple ? Des malheurs à redouter lorsqu'on se sépare de Dieu. « Jérusalem, dit Bossuet, cité bienheureuse que le Seigneur avait choisie, tant qu'elle demeura dans l'alliance et dans la foi des promesses, fut la figure de l'Église et la figure du ciel où Dieu se fait voir à ses enfants. C'est pourquoi nous voyons souvent les prophètes joindre, dans la suite du même discours, ce qui regarde Jérusalem à ce qui regarde l'Église et à ce qui regarde la gloire céleste. Mais Jérusalem réprouvée et ingrate envers son Sauveur devait être l'image de l'enfer. Ses perfides citoyens devaient représenter les damnés ; et le jugement terrible que Dieu devait exercer sur eux était la figure de celui qu'il exercera sur tout l'univers, lorsqu'il viendra à la fin des siècles en sa majesté pour juger les vivants et les morts (5). » Image de l'âme ingrate, voilà ce que resterait la Jérusalem de Palestine jusqu'au dernier soir du monde, par son état de captivité et de désolation. Elle ne verrait tomber ses chaînes qu'à l'approche du dernier jugement demeurant jusqu'à cette époque la grande captive foulée aux pieds.
   Un fils de saint François d'Assise, récent voyageur au pays d'Israël, le P. Ludovic de Besse, a exprimé cette opinion en termes qu'il voudra bien nous permettre de citer : « Jérusalem refusait non seulement de faire pénitence, mais elle avait pris l'habitude de massacrer les prophètes et de lapider les envoyés de Dieu. Tant de meurtres sacrilèges couronnés par le crucifiement du Dieu fait homme méritaient certes les châtiments dont Jésus-Christ menaçait le peuple juif. Il convenait même que ces châtiments fussent infligés aux coupables sous les regards du monde entier et durassent jusqu'à la fin des siècles, afin que, partout et toujours, les esprits qui réfléchissent, voyant le sort de la terre déicide et de ses habitants, fussent obligés de s'écrier dans un sentiment d'épouvante : Laissez passer la justice de Dieu !...»
   « Oui, Dieu est là. Il y est d'une manière surnaturelle. Il y est avant et après le châtiment dont il perpétue la durée. Avant le châtiment, la Palestine était la Terre promise. Il y coulait, dit l'Écriture, des ruisseaux de lait et de miel...»
   « Plusieurs fois depuis dix-huit siècles on a essayé de repeupler la Palestine et de lui rendre sa prospérité perdue... Si les sentiments qui inspirèrent les croisades durent réjouir le cœur de Notre-Seigneur puisqu'ils ne visaient que sa gloire, l'entreprise elle-même ne reçut pas les bénédiction du ciel. Elle n'eut qu'un succès éphémère. Le royaume de Jérusalem fondé par les croisés ne dura que quatre-vingt-dix ans. Certes, si le royaume de Jérusalem avait duré, les chrétiens n'auraient pas tardé à transformer la Palestine. Ils lui auraient rendu l'abondance et la richesse qu'elle avait sous le règne de Salomon. Mais sa prospérité matérielle aurait effacé toute trace des malédictions contenues dans le saint Évangile. À la longue, le Fils de Dieu aurait eu l'air d'un faux prophète...»
   « Le triomphe définitif des Turcs a eu pour effet de maintenir la Palestine sous le coup des malédictions prononcées par Notre-Seigneur. Ils ont transformé en désert stérile ce pays autrefois si riche. Jésus-Christ avait dit : Ecce relinquetur domus vestra deserta. Nous avons parcouru ce désert, de Caïffa au lac de Tibériade, du haut de la Galilée jusqu'à Jérusalem, à travers la Samarie. Peu ou point de chemins. Il faut suivre des sentiers qui parfois sur les montagnes deviennent impraticables... Cela dure depuis dix-huit siècles. Rien n'indique que cela doive finir. La civilisation moderne avec tous ses progrès sera aussi impuissante que les croisés pour changer cet état de choses... La Palestine restera donc ce qu'elle est, et nos petits-neveux pourront comme nous aller y contempler les effets de la malédiction divine (6). »

 

II

 

   Cette opinion sur le châtiment à perpétuité de Jérusalem semble avoir pour elle l'autorité considérable d'une célèbre prophétie de Daniel. « Le Christ, y est-il dit, sera mis à mort, et le peuple qui doit le renier ne sera plus à lui. Un peuple, avec un chef qui doit venir (7), détruira la ville et le sanctuaire ; et sa fin sera la ruine, et, après la fin de la guerre, viendra la désolation décrétée... Et la désolation durera jusqu'à la consommation et jusqu'à la fin (8). » Il semble qu'on ne pouvait prédire d'une façon plus nette et plus vigoureuse la perpétuité de la ruine et de la désolation. Aussi le docte Corneille Lapierre n'hésite-t-il pas à émettre ce commentaire :
« C'est la perpétuité de la désolation soit du Temple, soit de la ville, qui est prédite par Daniel. Jérusalem sera esclave des Gentils, comme on le 'voit présentement et comme il en sera jusqu'à la fin du monde (9). »
   Quelles que soit donc les dominations à venir qui pourront s'assujettir Jérusalem, quels que soient les bons vouloirs et les efforts de la civilisation à son égard, toujours Jérusalem gardera le cachet de tristesse, les signes de deuil et de sujétion qu'a imprimés sur elle le vendredi saint.
   Jamais elle ne jouira de cette complète et tranquille splendeur qui fait l'ornement de la plupart des grandes villes du monde. Les pèlerinages auront beau « y amener des milliers de pèlerins ; une pléiade de communautés religieuses aura beau y élever de magnifiques couvents au point que la ville ne sera plus reconnaissable (10), » toujours elle présentera des signes de la désolation décrétée. S'il advient même que, dans l'avenir, l'Antéchrist réussisse ù lui imprimer soudainement une splendeur antichrétienne, cette splendeur antichrétienne ne sera que factice et passagère. Croire le contraire serait s'illusionner. « N'est-il pas dit, imprimait naguère une feuille pieuse, que Jérusalem sera une grande ville lors du règne de l'Antéchrist et ensuite lors de la conversion des Juifs (11) ? » C'est là l'illusion. Nous avons établi, preuves en main, que Jérusalem ne redeviendra jamais cette grande ville des Juifs ; et, après quelques mois de domination, trois ans au plus, on en dira autant de la Jérusalem de l'Antéchrist, si tant est qu'elle devienne sa capitale. Que cet homme de péché, fils de perdition (12), tente de lui rendre, pour faire mentir les prophéties, sa splendeur passée, immédiatement il se trouvera sous le coup d'une malédiction semblable à celle que prononça Josué contre quiconque tenterait de reconstruire les murailles de Jéricho : Maudit soit devant le Seigneur, s'était écrié le successeur de Moïse après qu'un prodige divin eût fait s'écrouler les remparts de la ville, maudit soit l'homme qui relèvera et rebâtira la ville de Jéricho ! Que son premier-né meure lorsqu'il en jettera les fondements, et qu'il perde le dernier de ses enfants lorsqu'il en mettra les portes (13) ! Six siècles plus tard, sous le règne d'Achab, cette malédiction recevait un accomplissement terrible, quand Hiel, qui était de Béthel, entreprit de rebâtir les murs de Jéricho. Le violateur sacrilège subit à la lettre le châtiment prédit par Josué : Il perdit Abiram, son fils aîné, lorsqu'il en jeta les fondements, et Ségub, le dernier de ses fils, lorsqu'il en posa les portes, selon que le Seigneur l'avait prédit par Josué, fils de Nun (14). Ainsi en adviendra-t-il de la tentative de l'Antéchrist, si elle arrive à se produire. Pour arrêter et faire disparaître une splendeur que Jérusalem ne doit plus connaître, un miracle de vengeance divine aura subitement frappé l'Antéchrist et arrêté son bras (15).

 

III

 

   Il y a deux villes ici-bas à l'égard desquelles les combinaisons humaines resteront impuissantes : Rome et Jérusalem. Rome, siège du vicaire de Jésus-Christ, ne cessera jamais de l'être. Léon XIII vient de le proclamer une fois de plus dans son Encyclique relative au Jubilé de 1900 « La marque divine, qui a été imprimée à cette ville, ne peut être altérée ni par les combinaisons humaines, ni par aucune violence. Jésus-Christ, Sauveur du monde, a choisi, seule entre toutes, la ville de Rome pour une mission plus élevée et plus haute que les choses humaines, et Il se l'est consacrée. Il y a établi, non sans une longue et mystérieuse préparation, le siège de son empire. Il a décidé que le trône de son vicaire s'y dresserait dans la perpétuité des temps. »
   Mais si Rome doit rester jusqu'à la fin des siècles le siège indestructible du royaume du Christ et de la papauté, Jérusalem, par contre, ne redeviendra jamais la capitale ni le siège d'un nouveau royaume d'Israël. Une marque divine a été également imprimée sur elle, celle du châtiment. Ni les combinaisons humaines, ni aucune violence ne sauraient la faire disparaître. Tout ce qui fit autrefois sa gloire tribus d'Israël, palais de David, Temple de Salomon, Arche d'alliance, sacerdoce et sacrifices, tout cela s'est évanoui, évanoui pour jamais. Ce qui reste des tribus d'Israël, dispersées de par le monde, rentrera dans l'Église ; mais Jérusalem ne reprendra plus sa place parmi les capitales.


(1) Luc, XXI, 24.
(2) Le journal la Croix, 24 mars 1898.
(3) Deutér., XXXII.
(4) Ibid., XXXII, 43.
(5) Bossuet, Disc. sur l'Hist. universelle, part. II, chap. XXII.
(6) P. Ludovic de Besse, Études franciscaines, mars 1899.
(7) Le peuple romain avec Titus.
(8) Dan., IX, 26, 27.
(9) Corn, a Lap., Comment. in Dan., IX, 27.
(10) Bulletin de l'œuvre du Denier de S. Pierre, avril 1900.
(11) Ibid.
(12) II Thessal., II, 3.
(13) Josué, VI, 26.
(14) III Rois, XVI, 34.
(15) Isaïe, XI, 4 ; II Thessal., II, 8.