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CHAPITRE II

 

LES JUIFS CONVERTIS NE REDEVIENDRONT PAS
POSSESSEURS DE LA PALESTINE ET DE JÉRUSALEM

 

I. Existence d'une opinion favorable à cette réintégration des Juifs. Quelques-uns des auteurs qui l'ont soutenue dans le passé et qui la soutiennent présentement : le vénérable Bède, Lacunza, Houhigant, Duguet, Mgr de Noé, évêque de Lescar, P. Lambert, Œtinger, Bengel, le pasteur Krüger. - II. Raisons sur lesquelles s'est établie et se maintient cette opinion.

 

I

 

   C'est en vue de la conversion future des Juifs, admise généralement au sein de l'Église, que s'est produite l'opinion formulée en tête de ce quatrième livre et qu'il est temps de discuter. Les Juifs redeviendront-ils donc possesseurs de la Palestine et de Jérusalem après leur conversion ?
Oui, ont répondu dans le passé, et répondent encore de nos jours un certain nombre d'exégètes, non moins remarquables par leur science que par leur piété. Bien que leurs affirmations se distinguent par des nuances, cependant elles se rencontrent toutes dans un fond commun. Ils professent donc que, revenus à Jésus-Christ dans les derniers temps et incorporés à l'Église, les Juifs seront ramenés providentiellement dans la Palestine, terre de leurs pères ; qu'ils y restaureront magnifiquement Jérusalem, et rebâtiront même le Temple en l'honneur de Jésus-Christ, selon les dimensions et les descriptions prophétiques faites par Ezéchiel (chap. XL-XLII)
   Citons quelques noms et quelques allégations :
   a) Commentant les paroles de Jésus : Jérusalem sera foulée aux pieds des Gentils jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis (1), le vénérable Bède dit : « L'Apôtre (S. Paul) rappelle ces paroles, lorsqu'il annonce, dans son épître aux. Romains (XI, 25, 26), que l'aveuglement a frappé en partie Israël jusqu'à ce que la plénitude des Gentils soit entrée, et qu'ainsi tout Israël soit sauvé. Lorsque cet Israël sera mis en possession de ce salut promis, il n'est pas téméraire d'espérer qu'il reviendra aussi sur le sol de ses pères, qu'il rentrera en possession de sa métropole, pour y jouir de cette habitation. Car ce n'est pas à perpétuité, mais seulement, ainsi qu'il est écrit, jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis, qu'il doit être poursuivi de la colère divine (2). »
   b) Ont adopté ce sentiment du V. Bède, Strabus Syranus, Montanus, Stella, et. plus récemment le célèbre abbé Lacunza, dans son ouvrage intitulé : La venue du Messie en gloire et majesté. L'auteur le fit paraître sous le nom supposé d'un Juif devenu chrétien : Jean-Josaphat Ben-Erza. Ouvrage combattu et réfuté par le P. Joseph Vidal, mineur observantin de la province de Valence. Rome, 1834.
   c) Le P. Houbigant, de la congrégation de l'Oratoire (1686-1783), très savant hébraïsant, mais partisan d'un royaume terrestre des Juifs, qui devait précéder la fin du monde. Son opinion se trouve exposée dans maints endroits de ses commentaires sur Isaïe, Jérémie, Zacliarie (par exemple Jérém., XXXI ; Zach., XIV). Elle fut combattue par le P. de Lavalette, général de l'Oratoire.
   d) Jacques-Joseph Duguet (1649-1733), auteur de nombreux commentaires exégétiques, où il fit ressortir l'harmonie de l'Ancien et du Nouveau Testaments. Il enseigna aussi que Jérusalem serait un jour magnifiquement rebâtie au profit des Juifs. « Jérusalem, quoique condamnée à périr, a des espérances que les Prophètes lui conservent. Ses ruines un jour seront rebâties. Ses pierres éparses et calcinées par le feu seront, comme au temps de Néhémias, employées à relever ses murs. Sa poussière même, qui est l'objet de la compassion de tant de justes, vous sera, Seigneur, toujours précieuse, et, dans le temps même de votre colère, vous vous souviendrez que c'est vous qui l'avez édifiée, et qui avez promis d'en rassembler les enfants. Multipliez les gémissements de ceux qui aiment Jérusalem, faites-nous connaître, par le redoublement de leur foi, et de leur confiance en vos promesses, que le temps où elles doivent être accomplies, n'est pas éloigné (3). »
   e) Mr de Noë, ancien évêque de Lescar, et mort évêque de Troyes, croyait à un avènement intermédiaire de Jésus-Christ, placé entre son premier et son dernier avènement à la fin des temps. C'est alors que serait rétabli le royaume d'Israël en faveur des Juifs convertis, œuvre de Jésus-Christ en personne (4). Cette opinion, devenue publique par un discours imprimé en 1788, groupa un certain nombre d'adhérents, comme l'établit un ouvrage intitulé : De la conversion des Juifs, de l'avènement intermédiaire de Jésus-Christ, et de son règne visible sur la terre, ouvrage dédié à M. l'évêque de Lescar (5). Rappelant le cantique de Tobie (XIII, 1-23), l'auteur s'exprime ainsi : « Je ne pouvais rien faire de mieux, sans doute, que de couronner par cet admirable cantique toutes mes précédentes citations. On y voit, comme dans les autres prophéties, une Jérusalem que Dieu se plaît à combler de tous ses biens, une Jérusalem qui n'est ni l'Église, ni le séjour des Bienheureux, puisqu'on ne peut dire, ni du Ciel, ni de l'Église, que le Seigneur l'a châtiée à cause des œuvres de ses mains, et qu'il y va rétablir son sanctuaire ; une Jérusalem qui, par conséquent, ne peut être que la capitale de la Judée ; une Jérusalem où Dieu lui-même régnera ; une Jérusalem où l'on n'entendra qu'un Alleluia continuel. Et c'est ainsi qu'en rapprochant les unes des autres, les promesses que Dieu fait au peuple juif par ses divers prophètes, on en conçoit mieux la grandeur et l'étendue, et que l'on est forcé de s'écrier : C'est bien là tout ce que nous avions vu renfermé, comme dans son germe, dans cette courte mais féconde parole de Jérémie, ou plutôt du Seigneur lui-même : Je trouverai ma joie à leur faire du bien, et je les établirai en cette terre avec toute l'effusion de mon cœur et de mon âme (6). »
   f) Même manière de penser chez le P. Lambert dans un ouvrage qui a pour titre : Exposition des prédictions et des promesses faites à l'Église pour les derniers temps de la gentilité (7).
L'énoncé des trois chapitres suivants manifeste suffisamment les pensées de l'auteur : « Chap. IX : Les Juifs convertis seront rappelés dans leur terre, c'est-à-dire dans la Palestine. Correction et discernement qui précéderont ce retour dans leur patrie. - Chap. X : Après le retour d'Israël, Jérusalem redeviendra, et pour toujours, le centre de la religion. - Chap. XI : Avantages temporels dont jouira le peuple d'Israël après sa conversion. »
   g) Appréciant davantage les biens spirituels, d'autres auteurs se sont bornés à remettre Israël converti en possession de la Palestine, sans annexer à ce retour d'autre avantage temporel que la reconstitution de la nationalité juive. Telle est la conclusion d'une thèse historico-théologique présentée à l'université de Brême en 1748 (8). - Plusieurs protestants modernes, tels que Œtinger et Bengel, ont vu aussi dans les versets 21-28 du chap. XXXVII d'Ézéchiel une prédiction relative à l'établissement du royaume de Dieu en Palestine, après la future conversion au christianisme des restes des Juifs. Ils ont été longuement réfutés par Kiel dans son commentaire sur ce chapitre d'Ezéchiel.
   h) Signalons enfin une feuille mensuelle, le Réveil d'Israël, dont l'honorable rédacteur, le pasteur Krüger, zélé pour la conversion des Juifs, estime que, d'après les Écritures, leur destinée prochaine sera de constituer à Jérusalem Un royaume judéo-chrétien national. C'est à seconder cette formation nationale que le Réveil d'Israël ne cesse d'inciter ses abonnés : « L'Église catholique, d'après lui, oubliant que la conversion d'Israël, en temps que tel, opérera le salut du monde, s'efforce de démarquer chaque Israélite qui croit au Christ, s'efforce de le noyer dans la. masse des chrétiens, et de l'annihiler comme Hébreu. Or l'idéal, semble-t-il, serait que les Israélites qui se tournent vers le Sauveur restassent Israélites ; car ils le sont plus que jamais quand ils acclament en Jésus le Messie ! Les Apôtres ont-ils renié leur peuple ? et l'Église de la Pentecôte était-elle composée de renégats ? Tous ses premiers martyrs étaient Juifs et chrétiens à la fois et formaient une communauté judéo-chrétienne. Une Église judéo-chrétienne, s'est fondée dans l'Europe orientale... Mais n'abandonnons pas les traditions religieuses et nationales du peuple élu. Phénomène émouvant, gros de surprises pour l'avenir spirituel du monde ! Est-ce le commencement de la fin ? Est-ce le premier mouvement des os dans la vision d'Ezéchiel ? En tout cas, c'est un appel à la vigilance, une invitation à sonder les Écritures, un stimulant à l'adoration de Celui que nous ne cherchons pas seulement dans le passé, mais dans l'avenir (9). »

 

II

 

   Les principaux tenants de l'opinion favorable au rétablissement d'un État judéo-chrétien peuplé de Juifs convertis étant connus du lecteur, il reste à dire sur quelles preuves on établit cette opinion.
   Or, après avoir parcouru tous les ouvrages précités, nous ramenons à trois principales les raisons qu'on met en avant.
Israël serait réintégré dans la possession de la Palestine après sa conversion :
   1° Parce que des prophéties de l'Ancien et du Nouveau Testaments l'annonceraient formellement ;
   2° Parce que cette réintégration d'Israël dans le pays de ses pères serait le signe donné par Dieu qu'il se sera réconcilié et qu'il aura fait rentrer en grâce un peuple rejeté et poursuivi par sa colère depuis des siècles ;
   3° Parce que cette possession de la Palestine constituera le solennel accomplissement des anciennes promesses de Dieu aux patriarches d'après lesquelles la Terre sainte devait leur être donnée à eux et à leurs descendants pour être leur héritage à jamais.
   Chacune de ces raisons mérite d'être examinée.


(1) Luc, XXI, 24.
(2) Bèd., in Luc. XXI, 24 ; in Rom., XI, 25, 26.
(3) Duguet, Explication de la Passion, t. I, pp. 375, 376.
(4) Œuvres de Marc-Antoine de Noé, ancien évêque dc Lescar, pp. 56, 57 ; Paris, 1818.
(5) Publié sans nom d'auteur et sans nom d'imprimeur, en 1795.
(6) Ouvrage cité, pp. 235, 246.
(7) Paris, 1806.
(8) « Dissertatio historico-theologica de tentata hactenus frustra a Judæis status cultusque sui restitutione. » Bremæ, MDCCXLVIII, pp. 68-70.
(9) Le Réveil d'Israël, feuille mensuelle. juillet 1898, à Gaubert, par Orgères (Eure-et-Loir).