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DEUXIÈME PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER

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RÉPONSE NEGATIVE DE L'ANCIEN TESTAMENT

 

I Cette réponse se trouve consignée dans les prophéties bibliques invoquées par les anciens Juifs et, de nos jours, par les Juifs orthodoxes, pour le rétablissement de Jérusalem et la fondation d'un royaume temporel par le Messie. - II. Véritable interprétation de ces prophéties. Loin d'annoncer un rétablissement à venir de l' État juif, ou bien elles ne se rapportent pas à la question, ou bien elles se rapportent à l'établissement de l' Église, royaume spirituel : Psaume I ; CI ; CXLVI. - III. Prophétie d'Amos, IX. - IV. Prophétie d'Isaïe, LXV. - V. Prophétie de Jérémie, XXX ; XXXI.

 

I

 

   C'est avec la Bible, Ancien et Nouveau Testaments, et la Tradition, que la question peut et doit être résolue.
   Interrogeons donc d'abord l'Ancien Testament.
   Les passages bibliques qui se rapportent à cette question : s'il est dans les idées de Dieu et dans son plan divin que Jérusalem redevienne un jour la capitale d'un État juif, sont ceux qui ont été rapportés ci-dessus (p. 27-38).
   C'est avec ces divers passages que les docteurs juifs se faisaient, au temps marqué pour la venue du Christ, une idée toute terrestre du royaume qu'il devait établir. C'est encore avec ces mêmes passages que les Juifs orthodoxes, depuis la. destruction de Jérusalem, ont espéré ou continuent à espérer la reconstitution d'un État juif.
    Or que disent ces textes bibliques ? Annoncent-ils, et, par conséquent, permettent-ils d'espérer le rétablissement d'un État juif avec Jérusalem pour capitale ?
   Absolument non !

 

II

 

   En effet :

          Psaume L 20,21 (hébreu, LI..., voyez ci-dessus, page 27).

   Le texte : Seigneur, traitez favorablement Sion dans votre bonté, afin que les murs de Jérusalem soient bâtis, n'est qu'une supplication adressée à Jéhova soit par David, soit par les Juifs au temps de la captivité de Babylone, pour obtenir le rétablissement de la théocratie, de la Ville Sainte et du Temple. Mais cette supplication n'a aucun rapport littéral avec les temps qui se sont succédé depuis la ruine définitive de Jérusalem par Titus et par Adrien. C'est donc à tort que les Juifs ont fait ou font de ces versets une prophétie relative à l'avenir de Jérusalem. Ils peuvent se placer sur leurs lèvres comme une supplication, comme une prière ; mais on ne saurait y rencontrer le moindre indice du rétablissement d'un État juif.

          Psaume CI, 13-23 (hébr. CII..., pages 27, 28).

   Cette prière anxieuse pour obtenir la délivrance de la captivité et le rétablissement de Jérusalem fut composée, d'après l'interprétation généralement admise, vers la fin de la captivité de Babylone. Le suppliant entreprend humblement de démontrer à Dieu que les Israélites exilés méritaient de rentrer à Jérusalem. Ils aimaient la cité sainte malgré l'état misérable auquel elle était réduite, la préférant aux splendeurs babyloniennes ; même les pierres de ses édifices ruinés leur plaisaient, et ils en chérissaient jusqu'à la poussière. Délivrés par le Seigneur et de retour à Sion, ces captifs ne cessèrent de chanter les louanges de leur sauveur.
   Cet oracle s'est glorieusement réalisé, lorsque les édits de Cyrus et d'Artaxerxès Longue-Main permirent aux Juifs de rebâtir le Temple et les murs de Jérusalem. Une seconde réédification matérielle n'est donc plus à attendre, parce qu'elle n'est pas annoncée. Ce qui était aussi annoncé dans ce psaume, et ce qui s'est également accompli, c'est la rédemption générale du genre humain par l'avènement du Sauveur, rédemption dont la délivrance de la captivité de Babylone était la figure ; c'est enfin la rédemption particulière préparée dans chaque âme par la pénitence. Pour cette raison l'Église a mis ce psaume au nombre des pénitentiaux.

          Psaume CXLVI, 1, 2 (hébr. CXLVII..., page 28).

   C'est une action de grâces à Dieu pour le rétablissement des murs de Jérusalem, après le retour de la captivité de Babylone, sans la moindre allusion à une autre reconstruction.

 

III

 

          Prophétie d'Amos, IX, 11-15..., pages 28, 29.

   En annonçant le rétablissement de la maison de David, le prophète Amos y joint la promesse de la conversion des Gentils ; et par là il nous montre que ce qu'il dit du rétablissement de la maison de David ne doit pas se prendre dans un sens littéral et charnel. En effet, en vain chercherait-on ce rétablissement au temps de Zorobabel, lorsque les Juifs revinrent de leur captivité ; Zorobabel n'eut qu'un pouvoir en quelque sorte emprunté, et dependant de l'autorité des rois de Perse ; d'ailleurs on ne vit point alors la multitude des nations se soumettre à la maison de David, ni rechercher le Seigneur et se glorifier de porter son nom. Ce n'est qu'en la personne de Jésus-Christ, et sous son règne, que la prophétie reçoit son accomplissement. Il sera grand, dit l'ange l'annonçant à Marie, et il sera appelé le Fils du Très-Haut : le Seigneur lui donnera le trône de David, son père : il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin (1). C'était donc en lui que devait être rétablie la maison de David. C'est ce que l'apôtre saint Jacques déclara, lorsque, dans le concile de Jérusalem, il s'exprima ainsi :
   Mes frères, Simon vous a représenté de quelle manière Dieu a commencé de regarder favorablement les Gentils, pour choisir parmi eux un peuple consacré à son nom. Et les paroles des prophètes s'y accordent, selon qu'il est écrit :
« Après cela j'établirai de nouveau la maison de David, qui est tombée ; je réparerai ses ruines et la relèverai ; en sorte que le reste des hommes et tous les Gentils rechercheront le Seigneur, et seront appelés de mon nom ; c'est ce que dit le Seigneur, qui fera ces choses (2).
Cette prophétie est précisément celle d'Amos. D'où cette réflexion importante de saint Jérôme :
« Là où se produit l'autorité des apôtres, notantment de Pierre et de Jacques, appelés colonnes de l'Église par le Vase d'élection (saint Paul), toute autre tentative d'interprétation doit être écartée, et l'on doit s'en tenir à l'explication donnée par de si grands hommes (3). » C'est donc d'une manière spirituelle et supérieure que le Messie, glorieux rejeton de David, devait opérer la merveilleuse restauration de son trône. Le nouvel Israël, gouverné par le nouveau David, s'emparera du territoire de tous ses anciens ennemis, mais pour les faire jouir de la vraie foi. L'Idumée reçoit une mention spéciale à cause de sa haine invétérée contre le peuple de Dieu. Elle aussi sera conquise spirituellement, et ses restes seront incorporés à ceux des Juifs. Il en sera de même des restes des autres nations païennes. C'est la future catholicité de l'Église du Christ qui est prédite sous cette figure. Si quelques détails de la belle description de cet âge d'or se sont réalisés pour les Juifs après la fin de la captivité de Babylone, la prospérité qu'elle annonce ne peut convenir qu'à l'Israël spirituel, à l'Église chrétienne, où les vertus fleurissent sans cesse, et où les travaux et les succès des hommes apostoliques se succèdent sans interruption. C'est donc en vain que les Juifs charnels se promettent que cette prophétie aura un jour, pour eux, un accomplissement littéral conforme aux désirs terrestres de leur cœur.

 

IV

 

          Prophétie d'Isaïe, LXV, 17-2..., pages 29, 30.

   Cette annonce, si pleine de joie, se rapporte d'abord à l'établissement de l'Église et à toute l'étendue des biens dont on y jouit., Jésus-Christ, en effet, dans l'établissement de l'Église, a commencé à former un monde nouveau selon cette parole de saint Paul : Si quelqu'un est en Jésus-Christ, c'est une nouvelle créature ; les choses anciennes ont passé : voilà que tout est devenu nouveau (4). Mais ce monde nouveau n'aura son entière perfection, ces promesses n'auront leur entier accomplissement qu'au dernier avènement de Jésus-Christ, selon ce que dit saint Pierre, lorsque, parlant de ce monde périssable, il s'exprime en ces termes : Puisque toutes ces choses doivent être détruites, quels ne devez-vous pas être en fait de vie sainte et de piété, attendant et hâtant l'avènement du jour du Seigneur, par lequel les cieux embrasés seront dissous et le. éléments fondus par l'ardeur du feu ? Mais nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, dans lesquels la justice habitera (5).
   On voit donc dans quel sens il faut entendre ces descriptions pompeuses du règne du Messie. Ce sont des images qu'il ne faut pas prendre à la lettre, mais qu'il ne faut pas non plus prendre pour des hyperboles, puisque ces images sont loin d'égaler la réalité des biens promis. Ces biens sont des biens spirituels déjà départis dans une abondante mesure à l'Église militante, mais dont elle ne jouira complètement que dans le ciel ; et là, la béatitude du corps sera parfaite, comme celle de l'âme.
   Ce que dit Isaïe de la longue durée de la vie humaine dans le royaume de Dieu a servi de texte aux millénaires pour bâtir leurs vaines conjectures sur le règne temporel du Messie. La source de leur erreur a été l'ignorance du caractère typique des prophéties. L'idée du prophète est celle d'un retour à l'innocence patriarcale, ou plutôt à l'innocence primitive, beaucoup plus parfaite ; il annonce donc une plénitude de vie spirituelle, dont la vie naturelle des anciens temps a été la figure. Les saints vivent longtemps puisqu'il est vrai de dire, même de ceux qui meurent dans la jeunesse, qu'ils ont, en peu de temps, fourni une longue carrière par la plénitude de leurs mérites : Quoiqu'il ait peu vécu, il a fourni une longue carrière (6). Et ceci soit dit sans préjudice de l'accomplissement plus parfait que cet oracle recevra dans le séjour de la véritable immortalité. Ce que le prophète ajoute des animaux féroces qui s'apprivoisent, doit s'entendre des nations barbares dont l'Évangile adoucit les mœurs. Et le serpent qui se nourrit de terre nous rappelle la prophétie de la Genèse, la destruction de l'empire du démon, et l'impuissance où il est de nuire aux âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ, et justifiées par sa grâce.
   Appliquer ces descriptions symboliques à la reconstitution d'un État juif en Palestine, où les dispersés depuis dix-neuf siècles bâtiraient de nouveau des maisons, et planteraient des jardins dont ils jouiraient délicieusement, c'est donc tomber dans une grossière erreur que saint Jérôme signalait déjà de son temps, et qu'il combattit de toutes ses forces :
   « Toutes ces descriptions, dit-il, les Juifs les conçoivent d'une manière charnelle, en sorte qu'ils y voient Jérusalem et les villes de la Judée rétablies dans leur ancien état. Si nous abondions dans leur sens, il leur faudrait étendre ces promesses, non seulement à Jérusalem, mais même à Sodome, puisque Ézéchiel a prophétisé que Sodome serait rétablie comme autrefois (7). Les maisons dans lesquelles habiteront ceux qui les auront bâties, doivent donc s'entendre ou des vertus acquises, ou des diverses demeures que possédera éternellement, auprès du Père céleste, quiconque aura acquis ces vertus... C'est ce genre d'habitation que décrivent, dans l'Évangile, ces paroles du Sauveur : Quiconque vient à moi, entend les paroles que je dis et les accomplit, sera comparé à l'homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre (8). »

 

V

 

          Prophéties de Jérémie, XXX, 3, 10, 18 ; XXXI, 4-14 ; 38-40..., pages 31-33.

   L'on a vu, dit saint Jérôme, sous Zorobabel et Esdras, un premier accomplissement de ce qui est ici prédit par Jérémie. Mais cet accomplissement-là même était une image des grands objets que le prophète avait principalement en vue. C'est en Jésus-Christ et dans le ministère de ses Apôtres qu'il faut chercher un accomplissement plein et parfait de cette prophétie (9).
   Cette ville bâtie sur un lieu élevé est celle dont il est écrit dans l'Évangile qu'elle ne peut être cachée, parce qu'elle est placée sur une montagne. La réédification du Temple selon son ancien plan, le renouvellement des cérémonies, et généralement tout ce qui se faisait charnellement chez le peuple juif, s'accomplit spirituellement dans l'Église. Il faut donc distinguer, dans cette prophétie de Jérémie, la figure et la réalité. La figure, c'est la Jérusalem matérielle qui reçut, après sa reconstruction. la suite de la captivité de Babylone, des développements considérables ; la réalité, c'est 1'Église du Christ, centre perpétuel de la nouvelle Alliance. C'est elle qui enferme dans son enceinte, non seulement la ville entière de Jérusalem, mais tous les lieux, jadis les plus immondes : c'est elle qui est si vaste, que toutes les nations y affluent et y sont reçues.
   Ce qui a pu induire certains esprits en erreur, et leur faire croire à un nouveau rétablissement d'un État juif à Jérusalem, ce sont particulièrement ces expressions de la prophétie :


Les jours viennent, dit le Seigneur,
Où la ville sera rebâtie au Seigneur,
Depuis la tour de Hananéel jusqu'à la porte de l'angle
Le cordeau s'étendra encore vis-à-vis,
Jusqu'à la colline de Gareb,
Et fera un circuit du côté de Goath.
Toute la vallée des Cadavres et de la Cendre,
Et tous les champs jusqu'au torrent de Cédron,
jusqu'à l'angle de la porte des Chevaux à l'orient,
Seront consacrés au Seigneur,
Et ne seront plus à jamais ni renversés ni détruits
(10).


   Cette description, prise au pied de la lettre, a tout particulièrement contribué à l'erreur d'une reconstruction juive de Jérusalem. Saint Jérôme l'a encore signalée et confondue. Il a savamment démontré que cette description se rapporte, dans un sens spirituel et selon la signification symbolique des noms hébreux, à l'édifice même de l'Église de Jésus-Christ : « Les Juifs, dit-il, et les judaïsants, indiquant cette tour d'Hananéel, et la porte de l'Angle, et la colline de Gareb, et Goath, et le torrent de Cédron, et la porte des Chevaux, en concluent que le sanctuaire du Seigneur, c'est-à-dire le Temple, sera reconstruit en cet endroit pour y subsister à jamais. Mais nous qui invoquons le Seigneur, pénétrons dans cet édifice dont le prophète a dit : Des choses glorieuses ont été annoncées de toi, ô cité de Dieu (11). » Et alors le savant docteur, si versé dans la connaissance de la langue hébraïque, découvrant la signification de tous les noms locaux qui se trouvent dans cette prophétie de Jérémie, en fait l'application spirituelle et morale à l'Église voyagère et militante ici-bas (12).
   Il n'y a donc plus à rêver une reconstruction juive de Jérusalem et du Temple. Cette reconstruction accomplie matériellement au retour de la captivité de Babylone, mais d'une manière imparfaite, était la figure d'une autre construction plus parfaite celle-là spirituelle, l'Église, toujours sainte, toujours subsistante. Aussi Jérémie annonce-t-il, non pas tant que la ville recevra un accroissement considérable, mais que la cité sera sainte au Seigneur : « Tout sera consacré au Seigneur, Sanctum Domini (13) ; » que les places souillées qui se trouvaient dans son voisinage, la vallée des cadavres et de la cendre (14), disparaîtront et seront transformées, dans la nouvelle cité, en quartiers consacrés. La Jérusalem terrestre n'était une cité sainte que parce qu'elle renfermait le Temple, sanctuaire du Seigneur. Or, ici. Jérémie ne fait pas mention de la reconstruction du Temple, bien qu'il eût prophétisé antérieurement, non seulement la destruction de la ville, mais aussi celle du Temple. Au contraire, il représente la nouvelle cité comme étant, clans toute son étendue, le sanctuaire du Seigneur, ce que seul le Temple était dans l'ancienne Jérusalem. Cette prophétie contient donc, sous des formes habituelles it l'Ancien Testament, l'érection du royaume spirituel de Dieu au temps messianique, et l'esquisse de cette image de la Jérusalem céleste, qu'à Pathmos saint Jean contemplera dans toute sa gloire (15).



(1) Luc, I, 32
(2) Actes, XV, 13-17
(3) S. Jérôme, Comment. in Amos, lib. III, cap. IX.
(4) II Corinth., V, 17.
(5) II Pier., in, 11-13.
(6) « Consummatus in brevi explevit tempora multa. » (Sages. IV, 13.)
(7) Ézéch., XVI, 55.
(8) Matth., VII, 24.- S. Jérôme, Comment. in Isai., lib. XVIII, cap. LXV, V. 21, 22.
(9) « Plenius atque perfectius in Domino Salvatore Apostolisque completum est. » S. Jérôme, Comment, in Jerem., cap. XXX.
(10) Jérém., XXXI, 38-40.
(11) Ps. LXXXV, 2.
(12) Voir S. Jérôme, Comment. in Jerem., cap. XXXI, in V. 38.
(13) Jérém. XXXI, 40.
(14) lbid.
(15) Apocal., XXI, 27.