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CHAPITRE V

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APPARITION DU SIONISME CONTRE CET ABANDON.
LE PREMIER CONGRÈS DE BÂLE, AOÛT 4897
HOSTILITÉ DES RABBINS

 

I.Origine du Sionisme, son programme. - II. Le premier Congrès de Bâle et ses résultats. Blâme public infligé aux rabbins du judaïsme occidental à cause de. leur hostilité. Ce blame était-il mérité ? - III. Déclarations de M. Zadoc-Kahn, grand rabbin de France ; - IV. De M. Adler, grand rabbin d'Angleterre ; du docteur Samuel Kohn, grand rabbin de Hongrie ; de M. Gudemann, grand rabbin de Vienne. Elles sont l'abandon direct, absolu, de Jérusalem et d'un nouvel État juif en Palestine. - V. Déclarations du journal les Archives israélites ; de M. Dreyfuss, grand rabbin de Paris, et autres rabbins. Elles sont un abandon détourné, indirect, mais aussi l'abandon. - VI. Les motifs de cet abandon chez les Juifs occidentaux.

 

I

 

   Les journaux ont suffisamment parlé du Sionisme pour qu'il nous soit permis d'écarter les détails de seconde importance.
   Rappelons d'abord les origines du Sionisme.
   Un journaliste de Vienne, en Autriche, le docteur Théodore Herzl, homme d'idée et d'action, s'est posé cette question : « Les temps ne sont-ils pas venus de reconstituer cette nationalité juive pour laquelle, du fond de ses synagogues et de ses ghettos, Israel n'a pas cessé de soupirer ? » De concert avec certaines notabilités israélites favorables à la même aspiration, parmi lesquelles se trouve au premier rang le docteur Max Nordau, de Paris, il crut devoir provoquer trois congrès à Bâle, le premier en août (1) 1897, le second en août 1898, le troisième en août 1899, congrès auxquels les communautés juives du inonde entier furent conviées à se faire représenter.
   Le programme proposé était celui-ci :


   « Le Sionisme a pour but de créer au peuple juif, en Palestine, un domicile garanti par le droit public ;
   « Pour atteindre ce but, le congrès compte employer les moyens suivants :

   « 1° L'encouragement efficace de la colonisation de la Palestine par des agriculteurs, des artisans et des industriels juifs ;
   « 2° Le groupement et la concentration de tous les Juifs par des organisations locales et générales en observant les lois des pays respectifs ;
   « 3° Le relèvement du sentiment de dignité personnelle et de l'idée nationale chez les Juifs ;
   « 4° Des démarches préparatoires pour obtenir le consentement des pouvoirs publics nécessaire à la réalisation du but du Sionisme (2). »

 

II

 

   Au premier congrès de 1897, 204 membres venus des principaux pays de l'Europe et de l'Asie étaient présents ; 550 télégrammes et adresses d'individus, de sociétés et de communautés, portant ensemble environ 60 000 signatures, adhérèrent à l'idée et au programme.
   Or quels furent les résultats de ce premier congrès ?
   Une levée en masse du rabbinat occidental contre un pareil projet.
   Chose vraiment étonnante, ainsi qu'en a fait la remarque une feuille protestante, la Synagogue et le Sionisme se sont partagé, et d'ailleurs avec un exclusivisme tranchant, les deux principes dont l'étroite fusion seule constituerait la vraie situation, et serait la condition du succès : la première, satisfaite de l'émancipation, ne veut plus être autre chose qu'une religion. Le second, réveillé par l'explosion mystérieuse de l'antisémitisme, proclame hautement : Nous sommes un peuple, et nous voulons reconstituer notre nationalité. La Synagogue et le Sionisme ne représentent, d'ailleurs, qu'imparfaitement le principe que chacun a inscrit sur son drapeau : la première n'a plus la foi intégrale de Moïse et des prophètes. Le Sionisme, de son côté, ne considère les Juifs que comme un peuple, au lieu de reconnaître qu'il est le peuple, le peuple de Dieu (3).
   II y a du vrai dans cette remarque.
   C'est uniquement dans un but politique et sans se rattacher au passé religieux d'Israël que le Sionisme voudrait rentrer en possession de Jérusalem et y ressusciter la nationalité juive.
   C'est, d'autre part, parce qu'il a, en majeure partie, abandonné l'espérance d'un Messie personnel, que le Rabbinat occidental refuse de s'associer au Sionisme et de reprendre la route de Jérusalem.
   Mettons en évidence cette attitude du Rabbinat.
   Dès la deuxième séance du congrès, le docteur Bodenheimer, de Cologne, dans son rapport sur l'organisation du Sionisme, « blâmait en termes énergiques l'attitude hostile du Rabbinat à l'égard du congrès sioniste (4). Ce blâme était-il justifié ?
   Les paroles mêmes de MM. les grands rabbins vont nous l'apprendre.

 

III

 

   M. ZADOC-KAHN, grand rabbin de France, dit :

   « Le Sionisme est en fait une idée dix-huit fois séculaire. Il remonte à la destruction du temple de Jérusalem par Titus. Pendant tout le moyen âge, les Israélites, parmi leurs atroces souffrances, n'ont pas renoncé à une espérance qu'entretenaient leurs prières, leurs rites et leur dogme. Mais il y a une grande différence entre ce Sionisme et celui d'aujourd'hui.
   « Pour les croyants de ces temps anciens, c'était le Messie envoyé de Dieu et muni de pleins pouvoirs, qui devait miraculeusement reconstituer Sion. Les nombreux messies du moyen âge se sont tous donnés pour les envoyés de Dieu, les sauveurs annoncés par les prophètes. Comme on avait foi dans la promesse divine, on n'aurait jamais songé à atteindre le but par des voies naturelles. On se consolait de souffrir en attendant avec certitude.
   « Un tel état d'esprit ne pouvait résister à l'influence de la Révolution française, ou plutôt aux conséquences des principes qu'invoquaient les Israélites eux-mêmes. Ce sont les Juifs de France qui, de leur plein gré, ont demandé à jouir des droits de citoyens français et à remplir les devoirs que ce titre comporte. La France, sur leurs instances, leur a donné une patrie.
   « Le Grand Sanhédrin de 1807 déclarait « qu'il est de devoir religieux pour tout Israélite né ou élevé dans un État ou qui en devient citoyen par résidence, de regarder le dit État comme sa patrie » ; il prescrivait à l'Israélite d'avoir « pour son prince et ses lois le respect, l'attachement et la fidélité dont tous ses sujets lui doivent le tribut ». Il statuait que « tout Israélite français est obligé religieusement de regarder la France comme sa patrie. »
   « Celte doctrine, unanimement acceptée, ne pouvait guère laisser intacte, - du moins chez le plus grand nombre, - la croyance du Messie.
   « L'idée messianique se transforma. Pour un très grand nombre de Juifs, le Messie devint le symbole du progrès, de la fraternité humaine en/in réalisée, du triomphe des grandes vérités morales et religieuses que le judaïsme a posées et répandues
(honneur que lui reconnaissent d'illustres penseurs et même de grands esprits dans l'Église). En définitive, parmi les Juifs, beaucoup de croyants ne considèrent plus le Messie que comme une espérance lointaine, conçue par les prophètes d'Israël au profit de l'humanité tout entière. Pour les sceptiques, le dogme se résolvait en une vérité historique. Le Sionisme n'avait plus de raison d'être (5). »

 

IV

 

   Déclaration de M. ADLER, grand rabbin d'Angleterre :
   « Deux jours après la clôture du congrès de Bâle, le Times publiait une lettre d'un notable juif anglais, M. Oswald-John Simon. Se basant sur des déclarations publiques de M. Adler, grand rabbin des communautés orthodoxes unies de l'empire britannique - c'est le titre du « très révérend » grand rabbin, - M. Simon explique que le congrès de Bâle est une insigne bévue, et déclare absolument funeste l'idée d'établir un État juif en Palestine. Le grand rabbin Adler et les Israélites orthodoxes de l'empire anglais veulent conserver leur nationalité anglaise, tout en gardant la religion de leurs pères. L'idée d'un État juif a pu germer dans le cerveau des Juifs qui sont opprimés dans leur pays. Mais en Angleterre, en France, en Italie et dans les États-Unis, où les Juifs sont des citoyens et où ils aiment leur patrie, aucun Israélite ne peut approuver un pareil rêve (6). »


Le docteur Samuel KOHN, grand rabbin de Hongrie, dit :
« Le Sionisme est un non-sens pour les Juifs hongrois, parce que les Juifs, en Hongrie, jouissant de tous les droits civiques, nous n'avons pas besoin de constituer un nouvel État.
« La Hongrie est un État avec 700 000 Juifs ; Budapest est la capitale avec 600 000 habitants, parmi lesquels plus de 120 000 Juifs ; nous avons, grâce à Dieu, tous les droits civiques ; il nous faut sacrifier notre fortune et notre vie pour notre empereur-roi et pour la patrie ; nous n'avons pas d'autre pays que la Hongrie ; nous resterons dans notre capitale, car Budapest est vraiment le cœur de la Hongrie (7). »


   Déclaration de M. GUDEMANN, grand rabbin de Vienne, et des rabbins des États-Unis :
   « Nous avons dit que le Rabbinat d'Allemagne, d'Angleterre et, nous pouvons ajouter, celui des États-Unis, avait pris nettement position contre les doctrines dangereuses dont le congrès qui s'est réuni à Bâle s'est fait l'organe.
   « Antérieurement, M. le grand rabbin Gudemann, de Vienne, avait condamné, dans une brochure, le Sionisme qui vise la reconstitution d'un État juif (8). »


   Déclarations de nombreux rabbins :
   « Veut-on se convaincre que le Sionisme à la HerzI n'exprime en aucune façon les sentiments vrais du judaïsme pris dans son ensemble ? On n'a qu'à lire les protestations indignées qu'il a soulevées en Angleterre, en Allemagne, et qui se sont traduites par des déclarations formelles de désaveu signées par les rabbins (9) ! »
   Le Rabbinat occidental se refuse donc nettement à toute coopération pour un retour à Jérusalem, et la majeure partie du judaïsme de l'Occident fait corps avec lui.VÀ côté de cette opposition, il existe pourtant une fraction juive qui ne se montre pas aussi intransigeante. Cette fraction juive attend encore un Messie, fils de David, mais elle ne saurait accepter l'idée d'un retour à Jérusalem, tant que ce Messie n'aura point paru. C'est à lui qu'incomberait la mission d'y ramener Israel. « S'il s'agit d'établir un État juif à Jérusalem par des moyens humains, disent ces Juifs, nous rejetons absolument tout projet tendant à ce but ; si Dieu lui-même l'accomplit dans l'avenir, par des moyens surnaturels, c'est-à-dire par le Messie, nous l'accepterons. »
   C'est tout simplement l'abandon non plus formel, mais indirect de Jérusalem.
   En tête des adhérents à cette nuance de l'abandon, il faut, tout d'abord, placer les Archives israélites, organe le plus important du judaïsme français :
   « Si, par Sionistes, on entend tous ceux qui, bercés par les immortels souvenirs qui se rattachent à la Palestine, ont conservé pour la cité et le pays sacrés où s'est écoulée l'existence nationale et surtout religieuse d'Israël une affection filiale et émue, prenant sa source dans les saintes traditions et les divines promesses inscrites dans les livres de nos prophètes, tous les Israélites qui n'ont pas rompu avec le judaïsme le sont. Mais si Sioniste veut dire celui qui poursuit actuellement avant les temps promis et qui sont le secret de la Providence la reconstitution de la nationalité juive, qui d'ailleurs doit se confondre avec la réconciliation le l'humanité entière confessant un seul et même Dieu, préparant ainsi à nos coreligionnaires la pire des aventures, nous pouvons affirmer que les Sionistes de cette espèce, décidés à s'embarquer sur cette galère de la déception, sont rari nantes in gurgite vasto (10)... La reconstitution de la nationalité juive, nous l'avons dit et nous ne cesserons de le redire, est d'ordre providentiel. La cité rebâtie de David sera la cité de Dieu ou ne sera pas.
« C'est Dieu qui, dans sa sagesse impénétrable, a voulu que la nation juive disparut il y a dix-huit siècles. Quand l'heure de la patrie juive, devenue la patrie de toute l'humanité, sonnera, quand il faudra battre le rappel de tous les dispersés d'Israël, le souverain Maitre de l'univers suscitera les agents de ce mouvement de ralliement (11). »
   Cette manière d'envisager le Sionisme et l'avenir de Jérusalem est aussi celle de M. DREYFUSS, grand rabbin de Paris, plus orthodoxe que son chef hiérarchique, Zadoc- Kahn, grand rabbin de France :
   « Reconstituer le royaume de Juda ! Qu'est-ce que cela signifie ? Sans doute, nous demeurons, nous autres Juifs orthodoxes, fidèles à l'idée messianique ; nous croyons à la venue du Messie auquel se rallieront les hommes de toutes les religions ; du Messie fondateur d'un empire universel en qui se fondront fraternellement toutes les patries et où la paix éternelle régnera. Que le royaume d'Israël, devenu le centre spirituel du monde pacifié, se reconstitue à ce moment, nous l'admettons aussi... Mais quel rapport y a-t-il entre cet idéal religieux et le projet du docteur Herzl et de ses amis ? Nous approuvons que la charité juive assure en Palestine ou dans l'Amérique du Sud de vastes refuges destinés à recueillir les Israélites persécutés, ou, d'une façon générale, tous ceux que la loi place (comme en Russie ou en Roumanie) hors du droit commun. Mais quelle raison y a-t-il actuellement de recréer une nationalité disparue, de refaire une patrie à des hommes qui, depuis des siècles, - en France, en Angleterre, en Italic, en Allemagne - ont une patrie, où la loi les protège, où leurs intérêts les plus sacrés les retiennent (12) ? »

 

VI

 

   Il est acquis par tous ces témoignages, que le résultat le plus avéré du premier congrès de Bâle a été de dénoter chez les rabbins de l'Occident, suivis de la plupart de leurs ouailles, un véritable abandon de Jérusalem. Dans l'esprit des uns, cet abandon est absolu ; chez les autres, il ne serait que conditionnel, devant cesser avec l'ère messianique. Pour les premiers, un des grands motifs de leur attitude, c'est le rationalisme biblique ils ne croient plus à un Messie personnel. Pour tous, il y a la raison du bien-être. La Terre Promise leur apparaît bien triste avec ses plaines dénudées, ses montagnes chauves et calcinées ; et en choeur ils répètent cette parole d'un Juif allemand Jérusalem est bon pour prier, mais pas pour faire des affaires (13). » Chez un bon nombre il y a aussi l'amour de leur nouvelle patrie. Pour les en détacher, s'écrie un publiciste juif, il faudrait un miracle que Dieu n'opérera qu'au jour où tous les peuples, toutes les religions, confondus dans une même effusion, iront l'adorer sur la Montagne sainte. Et ce jour-là il n'y aura plus ni Français, ni Anglais, ni Russes, plus de distinction de races, de religions. Il n'y aura plus que les enfants d'un même Dieu, et c'est de Sion que de nouveau sera prêchée la loi divine pour l'humanité entière (14). »


   Passons au deuxième congrès sioniste.


(1) Les 29, 30 et 31 août.
(2) Arch. israél., 9 septembre 1897.
(3) Le Réveil d'Israël, juillet 1898.
(4) Ibid., d'après le compte rendu de la Gazette nationale suisse.
(5) Consultation donnée par M. le grand rabbin de France à un rédacteur du Journal, et, reproduite dans les Archives israélites, le 23 septembre 1897. Cet organe du judaïsme a cru devoir faire suivre la consultation de M. Zadoc-Kahn de la petite leçon suivante : « M. le grand rabbin de France semble n'avoir pas tenu compte dans sa réponse du caractère dogmatique de la croyance au Messie, qui n'est pas une doctrine particulière à tel ou tel rabbin, mais qui figure, au nombre de ces treize articles de foi de la Synagogue, que nos catéchismes enseignent à nos enfants. »
(6) Études des Pères de la Compag. de Jésus, 20 novemb. 1897, p. 453, 454.
(7) Arch. israél., 14 octobre 1897.
(8) Arch. israél., 23 septembre 1897.
(9) Ibid., 2 septembre 1897.
(10) Arch. israél., 2 septembre 1897.
(11) Ibid., 9 septembre 1897.
(12) Arch. israél., 23 septembre 1897.
(13) « Jerusalem ist gut zu beten, aber nicht für Geschaefte zu machen. » Cita par le journal Warte des Tempels (1886, n°28) , organe des Templiers protestants de Palestine.
(14) Arch. israél., 2 septembre 1897.