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CHAPITRE III




LETTRES PATENTES DE 1784 CONCERNANT LES JUIFS

D'ALSACE



I. L'épisode des fausses quittances, cause de l'apparition des Lettres patentes de 1784. Double but que se propose Louis XVI : protéger ses sujets chrétiens, mais améliorer aussi la position des juifs. - II. Exposé de ces Lettres patentes, ou règlement concernant la résidence des juifs, leurs mariages, leur commerce, leurs rapports avec la propriété, avec les chrétiens, etc.


I



Qu'entendait-on par Lettres patentes ?

On désignait ainsi, en terme de chancellerie, toutes les Lettres du Roi sur parchemin, scellées du grand sceau et contresignées d'un secrétaire d'État. On les appelait patentes, parce qu'elles étaient délivrées ouvertes (du mot latin patere, ouvrir). Les Lettres patentes étaient la forme la plus usitée par laquelle les Rois témoignaient leur munificence ou rendaient la justice. Dans la question qui nous occupe. les Lettres patentes de 1784 sont à la fois un acte de justice et de munificence.

En effet, en compulsant les papiers de la maison du Roi aux Archives nationales, nous avons eu le rare bonheur de retrouver le mémoire secret ou travail préparatoire d'où furent extraits les articles qui composent ces Lettres patentes de 1784. II s'ensuit que, pour apprécier les intentions de Louis XVI, nous possédons non seulement le texte de la loi, mais même la pensée intime du législateur. Certes, en fait de certitude, on ne peut désirer davantage. (1)

Or de la lecture de ce mémoire secret, souche des Lettres patentes, se dégagent deux points historiques très importants :

Le premier : que ce fut l'épisode de la fabrication des fausses quittances qui motiva l'apparition de ces Lettres patentes ;

Le second : que Louis VI, en faisant paraître ces ordonnances de 1784, se proposait un double but : protéger ses sujets chrétiens, mais améliorer aussi la position des juifs.

Oui, la sauvegarde des intérêts chrétiens et l'amélioration de la situation des juifs, telle était l'entreprise connexe que voulut poursuivre le bon Roi, ému du triste épisode de la fabrication des fausses quittances. Le préambule du précieux document conservé aux Archives nationales ne laisse aucun doute à cet égard.

D'abord l'épisode de la fabrication des fausses quittances y est présenté comme la cause de ce nouveau règlement concernant les juifs. Le Mémoire demande que les chrétiens ne soient plus exposés à se voir entraînés à de pareils crimes de faux.



« SIRE,


La plupart des juifs établis en Alsace n'y subsistent que par l'usure et y sont par conséquent très nuisibles. Ils y sont successivement devenus les créanciers d'un très grand nombre d'hommes de la classe du peuple.

Ceux-ci, à qui des conseils insidieux et l'irnpuissance de se libérer ont suggéré l'idée d'opposer le faux à l'usure, ont presque tous produit de fausses quittances, en sorte que si l'administration n'avait pas usé de clémence à leur égard, si elle ne leur avait pas donné et ne s'occupait pas de leur donner encore des facilités pour s'acquitter, ces hommes si utiles, puisque ce sont pour la plupart des cultivateurs, finiraient par être victimes de leur insolvabilité ou de l'expédient criminel par lequel ils ont tenté d'y suppléer.

Voilà ce qui n'a que trop sensiblement fait connaître que la manière dont les juifs existent en Alsace, entraîne des inconvénients qu'il est également instant et indispensable de faire cesser.

Pour y parvenir, Votre Majesté a chargé les chefs de l'administration de la province d'Alsace de rechercher et d'indiquer les véritables causes du mal et les moyens d'y remédier. C'est ce qu'ils ont fait (2).

Ainsi qu'on le voit, le Mémoire demande, avant tout, que le premier but à atteindre soit la sauvegarde des intérêts des sujets chrétiens du Roi.

Mais en même temps qu'il réclame la sauvegarde des intérêts chrétiens, le Mémoire propose avec empressement au monarque de s'apitoyer aussi sur le sort des juifs, et d'améliorer leur triste et insoutenable situation sociale. Voici en quels termes :

Les juifs sont exclus de toute charge et de tout emploi public. Presque tous les genres de commerce et d'industrie leur sont défendus. Ils ne peuvent ni posséder ni louer des biens-fonds. En général, tous les moyens honnêtes de subsister leur sont interdits.

D'un autre côté, ils sont l'objet du mépris public et ne peuvent manquer de l'être puisqu'on les a jusqu'ici avilis au point d'exiger d'eux des péages qui les assimilent aux animaux. Ainsi privés de tout espoir de parvenir à la considération, quand même ils s'en rendraient dignes, ils ne doivent rien faire pour la mériter. Réduits à une telle existence, ils n'ont pu diriger leurs spéculations que vers l'argent, l'unique ressource qu'on leur ait laissée ; et comme on leur a ôté tous les moyens licites de s'en procurer, ils ont recours à des expédients plus ou moins illégitimes et odieux (3). »


Certes, on ne pouvait présenter dans un raccourci plus saisissant la malheureuse situation sociale des juifs. Le Mémoire est impartial. Si d'une part il montre les juifs très nuisibles aux chrétiens, d'autre part il déplore que tous les moyens honnêtes de subsister leur aient été ôtés.

Alors, pour parvenir à la double fin qu'il poursuit, la sauvegarde des intérêts chrétiens et l'amélioration de la situation des juifs, le Mémoire propose à la sagesse de Louis XVI, en les faisant précéder de réflexions justificatives, vingt-cinq articles qui ont formé le corps des Lettres patentes de 1784.

Nous exposons ci-dessous ces Lettres patentes en vingt-cinq articles. Nous examinerons ensuite d'une manière impartiale, dans les deux chapitres qui suivent, si vraiment ces Lettres patentes sauvegardaient les intérêts du peuple chrétien et amélioraient aussi la situation morale et sociale des juifs.

Protéger et améliorer, n'est-ce pas la grande tâche de ceux qui gouvernent ?


NOTA. - Pour faciliter au lecteur l'intelligence rapide de ces Lettres patentes, nous groupons sous des titres généraux les articles qui vont ensemble. De plus, nous marquons d'astérisques, à la marge truite, les articles qui sont plus spécialement l'objet de notre examen dans les deux chapitres subséquents.


 

II


LETTRES PATENTES DU ROI

P O R TANT

REGLEMENT CONCERNANT LES JUIFS D'ALSACE

du 10 juillet 1784


Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre : À tous ceux qui ces présentes Lettres verront, salut. Nous nous sommes fait rendre compte des règles établies relativement aux juifs de notre province d'Alsace, et, après en avoir pesé les avantages et les inconvénients, Nous avons jugé nécessaire d'y apporter quelques changements, par lesquels Nous sommes proposé de concilier, autant que cela Nous a paru possible, leurs intérêts avec ceux de nos sujets. À ces causes, et autres à ce Nous mouvant, de l'avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, Nous avons dit, statué et ordonné, et par ces présentes signées de notre main, disons, statuons et ordonnons, Voulons et Nous plait ce qui suit :


ART. 1er


Leur résidence est

soumise à certaines conditions.


Les juifs répandus, dans la province d'Alsace qui, à l'époque de la publication des présentes, n'y auront aucun domicile fixe ni connu, et qui n'auront payé ni le droit de protection à Nous dû, ni ceux de réception et habitation appartenans aux Seigneurs ou aux villes, ni la contribution aux charges des communautés, seront tenus dans trois mois, à compter du jour de ladite publication, de sortir de ladite Province, quand bien même ils offraient de payer lesdits droits et ladite contribution. Voulons que ceux desdits Juifs, qui, après l'expiration du terme fixé par le présent article, seraient trouvés dans ladite Province, soient poursuivis et traités comme vagabonds et gens sans aveu, suivant la rigueur des Ordonnances.


ART. II


Faisons très expresses défenses à tous seigneurs et à toutes villes et communautés, jouissant du droit de seigneurie, d'admettre à l'avenir aucun juif étranger, jusqu'à ce qu'il en ait été par Nous autrement ordonné.


ART. III


Les juifs étrangers qui se rendront en Alsace pour raison de commerce ou autres affaires, seront tenus de rapporter des certificats ou passeports signés du magistrat des lieux où lesdits juifs résidents ordinairement ; lesquels certificats contiendront leurs noms, qualités et professions, la désignation des lieux où ils devront se rendre, et le temps pendant lequel ils se proposeront d'y séjourner. Ces certificats ou passeports seront par eux représentés au Magistrat de la première ville d'Alsace par laquelle ils passeront, lequel Magistrat visera ces passeports. En vertu desdits passeports ainsi visés, lesdits Juifs pourront séjourner pendant les trois mois dans les lieux de la Province qui y seront spécifiés. Ils pourront au surplus, si les circonstances l'exigent, obtenir du Magistrat desdits lieux la permission d'y prolonger leur séjour pendant six semaines. S'il ne se trouve point de Magistrat dans l'endroit, ladite permission pourra leur être délivrée par le juge.


ART. IV


Tous les juifs étrangers qui s'introduiront en Alsace sans avoir satisfait à ce qui est prescrit par l'article précédent, seront arrêtés et punis suivant la rigueur des Ordonnances concernant les vagabonds et gens sans aveu.


ART. V


Faisons très expresses défenses à tous rabbins et autres juifs, de donner à l'avenir des billets d'étape ou logement, en vertu desquels un juif puisse aller loger dans la maison d'un autre, et s'y faire nourrir. Défendons pareillement à tous juifs résidens en Alsace, de fournir aucune retraite aux juifs étrangers, et à tous aubergistes, cabaretiers, et autres habitans de les loger et recevoir, si au préalable ils ne leur ont représenté les passeports dont ils doivent être munis, le tout à peine de trois cents livres d'amende contre chacun des contrevenans.


ART. VI


Leurs mariages sans la permission

du roi entraînent l'expulsion.


Nous faisons très expresses défenses à tous juifs et juives actuellement résidens en Alsace, de contracter à l'avenir aucun mariage sans notre permission expresse, même hors des États de notre domination, sous peine contre les contractans d'être incontinent expulsés de ladite Province.


ART. VII



Défendons en conséquence aux rabbins de procéder à la célébration d'aucun desdits mariages, à moins qu'il ne leur soit apparut de notre permission, sous peine contre lesdits rabbins d'une amende de trois mille livres, qui ne pourra être réputée comminatoire, et d'expulsion en cas de récidive.


ART. VIII


Tous les métiers leur sont permis.


Permettons aux juifs d'Alsace d'y prendre des fermes à bail dans les communautés où ils auront été admis, mais à condition qu'ils demeureront dans lesdites fermes et qu'ils les exploiteront eux-mêmes. Les autorisons aussi à louer, mais pour les cultiver également eux-mêmes, des vignes, des terres, et généralement toute autre espèce de biens-fonds. Leur défendons an surplus d'employer des domestiques chrétiens soit à l'exploitation desdites fermes, soit à la culture desdites vignes et terres. Voulons en outre qu'ils aient la facilité d'entreprendre des défrichements, de se charger de l'exploitation des mines de charbon de terre ou autres ; enfin de traiter de toute espèce d'ouvrages, soit pour le service public, soit pour le compte des particuliers. Notre intention au reste est qu'ils ne puissent sous-traiter ni pour lesdites entreprises et exploitations, ni pour lesdits ouvrages.


ART. IX


Nous avons permis et permettons aux juifs établis dans notre Province d'Alsace, d'y faire la banque, ainsi que toute sorte de négoce, trafic, et commerce en gros et en détail, à la charge par eux de se conformer aux règlemens concernant le commerce. Les autorisons eu outre à y établir des manufactures et fabriques d'étoffes ou autres ouvrages, ainsi que des forges, verreries et faïenceries, à la charge par eux d'obtenir les permissions qui seraient requises pour nos sujets. Voulons au surplus que leurs livres ou registres soient tenus en langue vulgaire. Leur défendons expressément de s'y servir de la langue hébraïque, à peine de mille livres d'amende.


ART. X


Le droit d'acquérir des biens-fonds ou

de posséder la terre leur est refusé.


Faisons très expresses défenses à tout juif d'acquérir sous son nom ou sous celui d'aucun autre particulier, soit par contract de vente volontaire, soit par adjudication, soit à titre de cession en payement de rentes ou extinction de capitaux. aucuns biens-fonds de quelque nature qu'ils soient, même sous la condition de les revendre dans l'année. Déclarons dés à présent nulles et de nul effet toutes les ventes, adjudications en cessions de biens-fonds qui pourraient leur être faites.


ART. XI


Pourront néanmoins les juifs continuer d'acquérir, à titre de propriété, les maisons nécessaires pour leur habitation personnelle seulement, ainsi que les jardins qui y seront contigus ; pourvu néanmoins que ces maisons et jardins soient propertionnés à l'état et aux besoins de l'acquéreur, ce qui sera vérifié et réglé par le sieur intendant et commissaire départi, devant qui ils seront tenus de se pourvoir à cet effet.


ART. XII


Justice, et légalité à leur égard.



Lorsque les juifs auront été reçus par les seigneurs qui ont le droit de les recevoir, et qu'après avoir payé le droit de réception, ils auront acquitté exactement le droit annuel d'habitation, ils ne pourront être congédiés par lesdits seigneurs que pour méfaits ou mauvaise conduite dûment constatés par les juges des lieux


ART. XIII


Les rabbins établis soit par nous, soit par les Seigneurs qui ont le droit d'en nommer, continueront de connaître, comme par le passé, de toutes les contestations qui pourront survenir entre juifs seulement, concernant l'observation de leurs lois, ainsi que toutes les affaires de police civile dans lesquelles nos sujets ne seront point impliqués. Dans tout autre cas que ceux désignés par le présent article, tous les juifs établis dans les villes et communautés d'Alsace, seront et demeureront soumis aux officiers de justice et de police des lieux.


ART. XIV


Leur commerce est entouré de précautions.


Ne pourront à l'avenir les juifs contracter avec aucun de nos sujets, soit pour prêt d'argent, soit pour vente de grains, bestiaux et d'autres objets de quelque nature que ce soit, que par actes passés devant notaire, ou par billets et marchés rédigés en présence de deux préposés de la communauté qui signeront lesdits billets et marchés, et assisteront à l'énumération des deniers. Voulons qu'en cas de contravention au présent article, les billets eu marchés soient nuls, et que le juif qui les aura souscrits soit expulsé de notre Royaume.


ART. XV


Exceptons néanmoins de la disposition portée par l'article précédent les lettres de change, billets à ordre et autres écrits usités entre les juifs et ceux de nos sujets qui exercent la profession de banquiers ou de négociants, pourvu que les écrits dont il s'agit ne soient relatifs qu'au fait de la banque et du commerce.


ART. XVI


Faisons défense à tous juifs d'écrire et signer un caractères hébraïques les quittances qu'ils donneront à leurs débiteurs, et les cents qu'ils feront avec eux. Déclarons nuls et de mille valeur tous écrits et toutes quittances de cette espèce qui seront rédigés autrement qu'en français ou dans la langue vulgaire usitée en Alsace, sauf, lorsqu'un juif ne saura écrire ni signer son nom en français ni en allemand, à y suppléer en observant les formalités que les ordonnances prescrivent à cet égard.


ART. XVII


Leur faisons pareillement défense de stipuler dans les billets, qui seront faits à leur profit, des fournitures de grains et autres denrées et marchandises pour le payement des intérêts et des capitaux par eux prêtés, à peine de nullité desdits billets. Voulons que lesdits intérêts ne puissent être stipulés qu'en deniers et au taux ordinaire.


ART. XVIII


Les juifs qui seront admis à rendre témoignage soit au civil, soit au criminel, et auxquels le serment aura été déféré, seront tenus de le prêter de la même manière que le font les juifs établis en Allemagne, et de suivre à cet égard le formulaire qui sera prescrit par notre Conseil souverain d'Alsace et envoyé dans les sièges de son ressort pour y être observé.


ART. XIX


Les juifs ne pourront être admis au bénéfice de cession de biens que du consentement des trois quarts de leurs créanciers chrétiens. Leurs femmes ne pourront user du bénéfice de séparation de biens au préjudice des créanciers chrétiens de leurs maris. Permettons toutefois aux femmes juives de stipuler par leurs contrats de mariage qu'elles pourront administrer et gérer, sous leur propre nom, leurs apports présens et à venir, à condition qu'en ce cas les contrats de mariage seront insinués au Greffe de la Juridiction du domicile des maris.


ART. XX


Organisation intérieure des communautés

Syndics des Juifs.


Les juifs ne pourront agir en justice qu'en leur propre et privé nom, sauf à ceux qui résideraient dans un même lieu, à plaider en nom collectif lorsqu'ils auront un intérêt commun. Voulons au surplus que les affaires qui concerneront les juifs en général continuent d'êtres traitées et suivies par des agents qu'ils auront dans la province, lesquels seront désignés sous le nom de syndics des juifs et seront élus par eux sous l'autorité du commissaire départi.


ART. XXI


Défendons aux juifs de s'assembler dans aucun cas sans y avoir été autorisés par le commissaire départi. Voulons que, lorsque lesdits syndics, auront dressé les rôles de répartition des sommes que les juifs seront dans le cas de lever sur eux-mêmes, soit pour leurs besoins, soit pour le soulagement de leurs pauvres, lesdits rôles ne puissent être exécutoires qu'autant qu'ils auront été approuvés par le commissaire départi.


ART. XXII


Autorisons lesdits syndics à faire toujours avec l'autorisation du commissaire départi, la répartition des impositions royales, auxquelles les juifs sont assujettis en Alsace, et toutes les autres fonctions remplies jusqu'ici par les préposés généraux.


ART. XXIII


Les préposés particuliers élus par les communautés des juifs, seront et demeureront chargés privativement du soin de veiller et tenir la main à l'exécution des ordres qui pourront être adressés auxdites communautés relativement an recouvrement des sommes dont nous aurons ordonné l'imposition sur elles, ainsi qu'à la levée des deniers destinés à acquitter tant les dépenses communes à tous les juifs de la Province, que celles qui sont particulières à chaque communauté. Lesdits préposés auront pareillement le droit de convoquer des assemblées lorsque les circonstances le requerront, et de présider celles dans lesquelles se feront les élections du chantre et du sergent. Ils dresseront les rôles de la répartition à faire entre tous les contribuables des sommes destinées à acquitter les salaires desdits chantre et sergent. S'il s'élevait dans l'intérieur des synagogues quelques contestations qui pussent troubler l'ordre et la tranquillité qui doivent régner dans ces assemblées, ils prescriront provisoirement tout ce qui leur paraîtra convenable pour arrêter sur-le-champ le désordre et prévenir de nouveaux troubles jusqu'à ce qu'il y ait été autrement pourvu en la forme ordinaire ; et si quelques-uns desdits juifs refusent d'obéir auxdits préposés, ceux-ci auront le droit de prononcer contre eux des amendes, lesquelles ne pourront toutefois excéder la somme de trois livres.


ART. XXIV


Les juifs et juives mariés légitimement ne pourront, s'ils viennent à se convertir, se remarier avec des catholiques qu'autant qu'ils seront veufs. Déclarons nuls tous mariages de cette espèce qui auront été contractés postérieuremcnt à la publication du présent règlement, et bâtards tous les enfants qui naîtront desdits mariages.


ART. XXV


Lorsque les juifs d'Alsace se marieront, qu'il leur naîtra un enfant, ou qu'ils viendront à mourir, ceux qui auront contracté lesdits mariages, les parens de l'enfant, ceux du mort, et à leur défaut ses amis ou voisins seront tenus, deux jours au plus tard après lesdites naissances, mariages ou morts, d'en faire leur déclaration par-devant le Juge du lieu, et ce à peine de cent livres d'amende, laquelle déclaration, dûment signée tant par le déclarant que par ledit juge, spécifiera la date exacte desdits mariages, naissances ou morts ainsi que les noms, surnoms et qualités de ceux sur lesquels elle portera, et fera inscrire dans deux registres cotés et paraffés, dont l'un restera entre les mains dudit juge et l'autre par lui envoyé au greffe de notre Conseil souverain d'Alsace, pour y rester déposé et pour qu'on puisse y recourir le cas échéant ; il ne pourra être exigé qu'un droit de cinq sols pour chaque déclaration, et pour chaque extrait qui en sera délivré. SI DONNONS EN MANDEMENT nos amés et feaux les gens tenant notre Conseil souverain d'Alsace à Colmar, que ces présentes ils aient à faire registrer, et le contenu en icelles faire garder, et observer de point en point : CAR TEL EST NOTRE PLAISIR. En témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes.

Donné à Versailles le dixième jour du mois de juillet, l'an de grâce 1784 et de notre règne le 11e.

Signé : LOUIS.


Et plus bas,

Par le Roi : LE MARÉCHAL DE SÉGUR.


Avec paraffe. Scellés du grand sceau en cire jaune.




CHAPITRE IV


LES LETTRES PATENTES DE 1784

SONT LE DERNIER EFFORT DUN GOUVERNEMENT CHRÉTIEN PROTÉGEANT LES PEUPLES CONTRE L'ENVAHISSEMENT DES JUIFS



I. Mission des rois catholiques dans la sauvegarde des intérêts du peuple chrétien contre l'envahissement des juifs. Leur vigilance jusqu'en 1789. Les lettres patentes de Louis XVI sont l'expression de cette garde. - II. Sauvegarde de la foi catholique et de la bonne foi. - III. Sauvegarde de la propriété catholique. - IV. Sauvegarde de la majorité catholique. - V. Effort regrettable qui dépasse le but : la sainteté du mariage israélite mise en péril par l'article VI des Lettres patentes.

 

 

I


Qu'elle était belle, la mission des rois catholiques ! Dieu et son Fils Jésus-Christ avaient établi les rois pour être les pères du peuple chrétien. Comme pères ils devaient le diriger, veiller sur lui, l'entourer de précautions, le défendre. Le pasteur au milieu de ses brebis, les dirigeant et les défendant, tel est le type éternel du prince comme du pontife ! Le pontife doit conduire le peuple chrétien vers les collines éternelles ; et le prince, le guider et le protéger à travers les sentiers de la terre. Leur mission est connexe.

Le peuple chrétien fut rarement compact. Dans son voisinage et jusque dans son sein s'établirent les juifs, les hérétiques, les infidèles. La mission des rois devenait alors extrêmement délicate. Ils s'alarmaient, et à bon droit, comme s'alarme un père, lorsque sa famille est menacée de quelque danger. Le peuple chrétien, en effet, constituait la famille ; les juifs, les païens, les infidèles, étaient les étrangers. Les rois prenaient en pareilles occurrences toutes les précautions commandées par le devoir et la sollicitude paternelle, pour conserver aux enfants dc la famille, c'est-à-dire aux populations chrétiennes, l'héritage qu'on tenait du Christ héritage qui s'appelle la foi, le ciel, et aussi la prépondérance, la terre. Ils veillaient à ce que les étrangers n'usurpassent rien de cet héritage. Ils faisaient donc, comme remarque Bossuet, des lois très justes contre les païens, les juifs, les hérétiques. D'autre part cependant, connue ils désiraient respecter autant que possible les droits naturels de ces étrangers qui s'étaient placés à l'ombre de leur sceptre, et qui rendaient souvent de très grands services à leurs personnes royales et à leurs royaumes, ils leur accordaient une certaine protection. Ainsi qu'on le voit, la mission des rois était vraiment très délicate en pareilles circonstances. On peut dire que, placés entre la défense de leur famille chrétienne et la pitié pour ces étrangers, ils se trouvaient dans la même perplexité où se trouva un jour Abraham, partagé entre son amour pour Isaac et sa pitié pour Ismaël. Qu'on se rappelle cette scène de la Bible.

« Sara ayant vu le fils d'Agar Égyptienne qui persécutait Isaac son fils, elle dit à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac. Ce discours parut dur à Abraham à cause d'Ismaël. Mais Dieu lui dit : Que ce que Sara vous a dit ne vous paraisse point trop rude ; faites tout ce qu'elle vous dira. »

« Abraham se leva donc dès le point du jour, prit du pain et une cruche pleine d'eau, la mit sur l'épaule d'Agar, lui donna son fils et les renvoya. Elle, étant sortie, errait dans la solitude de Bersabée (4). »

Cette page de la Bible était prophétique, exprimant la conduite que devaient tenir les rois catholiques dans les conflits qui s'élèveraient entre le peuple juif et le peuple chrétien. Elle n'a pas été assez remarquée. Le peuple juif est Ismaël ; la synagogue sa mère est Agar ou la servante. Le peuple chrétien est Isaac, et l'Église est Sara ou la reine (5). S. Paul l'a prouvé et développé (6). Toutes les fois que l'Église s'est aperçue que le peuple juif devenait dangereux pour le peuple chrétien, empiétant sur ses droits, et menaçant d'envahir ou de détruire l'héritage apporté par le Christ, l'Église aussitôt s'alarmait, avertissait le prince, et lui disait, comme Sara à Abraham le fils de la servante ne doit pas être héritier avec mon fils Isaac. Ce discours paraissait quelquefois dur aux souverains, soit à cause des services que les juifs rendaient à leur couronne, soit à cause de la pitié qu'ils ressentaient pour ces pauvres gens qui s'étaient confiés à leur sceptre ; mais, au demeurant, ils n'hésitaient pas. Avant tout, le salut des enfants et la conservation de leur héritage. Les juifs étaient conséquemment renvoyés, chassés ; et, comme Agar, ils erraient de pays en pays : elle errait dans la solitude de Bersabée. Nous mettons au défi nos anciens coreligionnaires de prouver que cette page de la Bible ne les concerne pas.

L'autorité royale dut donc, parfois, se montrer sévère, comme Abraham à l'égard d'Ismaël, tout en ressentant la profonde pitié du patriarche.

C'est ainsi qu'il faut expliquer les sévérités de saint Louis à l'égard des juifs de France ; de Ferdinand le Catholique à l'égard des juifs d'Espagne ; d'Édouard le Confesseur à l'égard des juifs d'Angleterre (7). Tous les princes ne se montrèrent pas, sans doute, parfaitement désintéressés dans l'expulsion de ces malheureux. Loin de là. Le nom de Philippe le Bel, entre autres, rappelle les plus basses convoitises. Mais tous néanmoins, les documents l'attestent, avaient pour but principal la protection du peuple chrétien. En tête de chaque expulsion de juifs, on peut presque invariablement placer, en épigraphe, l'épisode d'Ismaël chassé à cause du salut d'Isaac et pour la sauvegarde de son héritage.

Nous sommes à l'aise maintenant pour expliquer les sévérités qui se rencontrent dans les Lettres patentes de 1784. Louis XVI veut conserver à son peuple son héritage. Ce but, il l'entoure du désintéressement le plus pur ; ah Louis XVI ne convoite rien ! Il l'entoure également des ménagements de la pitié. Ce n'est pas une expulsion qu'il décrète ; non, ce sont seulement des précautions : afin que, si c'est possible, Ismaël puisse habiter à côté d'Isaac !

Examinons-les bien, ces précautions car c'est pour la dernière fois que, dans l'histoire, le peuple chrétien va être protégé par un roi contre l'envahissement des juifs.


II


Dans l'héritage du peuple chrétien, le plus précieux trésor est la foi, et aussi la bonne foi. La foi est l'adhésion de l'esprit à tout ce que Dieu a révélé à son Église. La bonne foi est la conformité de la conduite à tout ce qui est droit et franc. L'une est la lumière de l'esprit ; l'autre, la lumière des actes. Chose remarquable, la bonne foi procède presque toujours de la foi : le plus beau ruisseau de la terre sortant d'une source céleste ! Quiconque, en effet, sent profondément qu'il a l'honneur d'être enfant du Christ et de son Église est incapable de tromper.

Il semble que ces deux splendeurs de l'esprit et de la conduite se soient plus particulièrement rencontrées sur la terre de France, où le peuple franc apparaissait, entre tous les peuples, comme le rempart de la foi et aussi comme le type de la franchise. Les Francs étaient des hommes qui croyaient, et qui ne trompaient pas.

Cela étant, qui n'applaudirait pas Louis XVI prenant des précautions pour conserver à son cher peuple franc ce double trésor de la foi et de la bonne foi ? L'article VIII des Lettres patentes défend aux juif d'employer des domestiques chrétiens. « Leur défendons au surplus d'employer des domestiques chrétiens... » Pourquoi cette défense ? afin d'éviter à ces serviteurs chrétiens le péril de l'altération de leur piété, de leurs croyances, et même le malheur de l'apostasie, en vivant de la vie commune des juifs. Protection de la foi !

L'article XVI oblige les juifs à passer devant notaire tous les actes qu'ils feront avec les sujets du roi. « Ne pourront à l'avenir les juifs contracter, avec aucun de nos sujets, soit pour prêt d'argent, soit pour vente de grains, bestiaux et d'autres objets de quelque nature que ce soit, que par actes passés devant notaire... » Cet article, comme le dit le commentaire trouvé aux Archives nationales, était très sage, très nécessaire. Il enlevait aux juifs la facilité de l'usure, et par là même aux chrétiens, entraînés dans le désespoir par l'usure, la tentation de se libérer en fabriquant de fausses quittances : sauvegarde de la bonne foi ! « N'est-il pas douloureux, dit le Mémoire, que le Roi soit obligé de faire faire à présent le procès aux Chrétiens, que le désir de se rédimer de l'usure des juifs a précipités dans le crime, en leur faisant fabriquer de fausses quittances ? Il est juste que les chrétiens faussaires soient punis très sévèrement ; mais il est digne de la justice et de l'humanité du Roi de mettre les juifs dans l'impossibilité d'abuser de la misère des gens de la campagne pour les ruiner par des prêts usuraires (8). »


III


Après la foi et la bonne foi, le bien qui est estimé le second dans l'héritage du peuple chrétien, n'est-ce pas la possession de la terre ou le territoire catholique ?

La terre entière appartient à Jésus-Christ (9). En attendant qu'il entre personnellement en possession de la terre à son second avènement, il la fait providentiellement occuper soit par des États chrétiens, soit par l'apostolat de ses missionnaires. Aussi l'Église encourage-t-elle et bénit-elle les efforts de tous ceux de ses enfants qui travaillent à entrer, par des moyens légitimes, en possession de cet héritage.

Le territoire catholique n'a jamais été homogène, pas plus que le peuple catholique n'a été compact. Trop d'ennemis campaient à travers les possessions territoriales du Fils de Dieu. Néanmoins, il a existé longtemps un vaste territoire catholique. La terre de France, la terre d'Italie, la terre d'Angleterre, la terre d'Espagne, la terre d'Autriche, la terre d'Allemagne, formaient une sorte de terre sainte, où la croix se voyait sur tous les chemins, comme pour attester que ces domaines relevaient de Jésus-Christ. Dans toute l'étendue de ce territoire, il n'était que très difficilement permis aux juifs d'acquérir et de posséder des biens-fonds. Généralement, les juifs ne pouvaient être propriétaires sur aucun point du territoire catholique. Il y eut, sans doute, des époques où ils purent, dans certaines provinces, non seulement posséder des biens-fonds (10), mais exercer même les droits de seigneurie, et avoir des vassaux chrétiens (11) : néanmoins, cette participation à la possession du sol fut moins pour, eux un droit qu'un domaine de circonstance, tenant à la fluctuation des usages et aux changements des races régnantes : ils en profitaient. En certains endroits, il leur fut également accordé, par intervalles et par grâce, de posséder en propre la parcelle de terrain sur laquelle était bâtie la maison qu'ils habitaient. Il leur fut accordé aussi quelquefois de pouvoir acquérir d'autres biens-fonds, à la condition expresse qu'ils en feraient commerce et les revendraient dans l'année. Mais, en thèse générale, on peut dire que la possession en droit et paisible du sol leur était interdite. Et cela est si vrai, que beaucoup de juifs portugais, réfugiés à Bordeaux en 1535, ne parvinrent à demeurer paisibles possesseurs de leurs immeubles qu'en se faisant passer, pendant deux siècles, pour nouveaux chrétiens (12). Ce ne fut qu'en 1723, au prix de 100.000 livres à titre de joyeux avènement, que le gouvernement de Louis XV les reconnut légalement pour être de la religion israélite, tout en les maintenant dans leurs propriétés et leurs privilèges.

Aujourd'hui que la possession de la terre n'est plus un privilège pour personne, il peut paraître étrange que les juifs en aient été si longtemps exclus. Mais l'étonnement du lecteur cessera, s'il prend la peine de méditer ce qui suit, en se plaçant un instant au point de vue du droit chrétien, et même au point de vue du droit israélite.

Il a été reconnu partout et toujours que tous les grands intérêts d'un peuple ont leur premier et plus sur fondement dans la proprieté, dans la possession de la terre. C'est la propriété qui est la base même de la patrie, de la famille, de la religion. Otez sous les pas d'un peuple la terre qui le porte et le nourrit : la patrie disparaît comme un nuage ou comme un songe ; il ne reste tout au plus qu'une horde vagabonde, errant d'un ciel à l'autre avec ses tentes et ses troupeaux. Otez à une famille son patrimoine, c'est-à-dire sa terre : la famille n'a plus de foyer, plus de centre fixe, elle est compromise. Otez même à une religion, qui cependant est spirituelle, la possession de la terre : et sans un miracle permanent, cette religion sera forcée de disparaître ; ainsi les juifs n'ont plus la Palestine, et l'on regarde avec raison comme un prodige la perpétuité de leur existence et de leur état religieux. En un mot, à la terre est attaché ce magnifique privilège, qu'elle est le plus sûr boulevard de la patrie, de la famille, de la religion elle-même.

Cela admit, qu'on se place maintenant au point de vue du droit chrétien, c'est-à-dire en plein moyen âge, alors que le droit chrétien était reconnu comme droit public en Europe. Est-il étonnant qu'on ait, à cette époque, interdit aux juifs, dans toute l'étendue du territoire catholique, la faculté d'être propriétaires !

Leur interdire la propriété, l'acquisition du sol, mais c'était sauvegarder, par là même, la patrie catholique, la famille catholique, la religion catholique Et chose remarquable, aucun historien à cette époque du moyen âge ne rapporte que les juifs se plaignissent de cette interdiction. Ils s'en accommodaient parfaitement, ils la comprenaient, l'acceptaient.

Il y avait plusieurs raisons de cette résignation chez les juifs.

D'abord, dans leur position de nomades, ils ne se souciaient guère d'avoir des propriétés, à cause des embarras qui s'y rattachent. Exposés, à tout instant, à des édits d'expulsion, ils n'aimaient pas un sol qui fuyait sous leurs pieds : le sol avait peu d'attraits pour eux. Ils lui préféraient la fortune mobilière, transportable, l'or, les pierres précieuses, les lettres de change. Mais ensuite ils admettaient parfaitement, même au point de vue israélite, qu'ils ne fussent pas appelés à la participation du sol sur un territoire catholique. Car, au point de vue israélite, non moins qu'au point de vue chrétien, la possession de la terre apparaît comme un privilège, un apanage dont il ne faut pas se dessaisir. Les juifs, lorsqu'ils étaient possesseurs de la Palestine, ne reconnaissaient à personne, à aucune nation, à aucune religion, le droit d'acquérir la moindre parcelle du territoire sacré. Jamais la loi de Moïse n'eût autorisé un enfant d'Israël à vendre son champ à un étranger. Il n'est donc pas étonnant que les catholiques, devenus à leur tour le peuple de Dieu, aient sauvegardé leur territoire en excluant les juifs de son acquisition, comme les juifs avaient sauvegardé leur Terre sainte en excluant les nations de sa possession. Ce n'est qu'à partir de 1789, ainsi que nous le verrons au cours de cet ouvrage, que les juifs commenceront à se plaindre et à crier à l'injustice. Pourquoi ? Parce qu'alors un droit public nouveau, le droit humanitaire, les droits de l'homme, aura été substitué au droit chrétien. Imprudence qui permettra aux juifs de devenir propriétaires, et d'envahir tout à leur aise l'héritage du peuple chrétien. Mais n'anticipons pas.

Louis XVI est en train de prendre des dispositions et des précautions pour tenir les juifs à distance ; et il prend, ou plutôt maintient celle-ci : qu'ils ne pouront pas devenir propriétaires. Art. X : « Faisons très expresses défenses à tout juif d'acquérir....... aucuns biens-fonds de quelque nature qu'ils soient, même sous la condition de les revendre dans l'année. »

Louis XVI agissait sagement. Nous le répétons, la France était encore, à cette époque des Lettres patentes de 1784, un pays entièrement catholique, et si vives que soient nos sympathies pour tout ce qui remet en honneur la race israélite, lieus ne pouvons nous empêcher de reconnaître que Louis XVI fùt souverainement prudent, souverainement politique en statuant que les juifs demeureraient exclus de la possession de ce sol de France, relevant du Christ. Leur interdire l'acquisition de ce sol, c'était sauvegarder la France comme pays catholique.

Il se passa même un incident qui prouve combien perspicace et prévoyant était le coup d'œil d'un roi chrétien, d'un fils de saint Louis ! La Commission chargée d'examiner la question des juifs d'Alsace pencha vers l'abandon du droit de propriété. Dans le rapport qu'elle présenta au monarque, elle proposa d'accorder aux juifs la faculté d'acquérir des biens-fonds en toute liberté, c'est-à-dire d'être parfaits propriétaires. Les documents trouvés aux Archives nationales contiennent cette proposition de la Commission (13). Louis XVI la rejeta. L'article X des Lettes patentes, ci-dessus énoncé, notifie son rejet. Le bon roi consentait bien à améliorer, à rendre aussi douce que, possible la condition des juifs sur le sol de France ; mais il se refusait à leur livrer, par l'abandon du droit de propriété, le sol de France. Et ainsi il reste acquis, par le texte des Lettres patentes et par ces révélations historiques, que Louis XVI a voulu sauvegarder le sol de France, et, en sauvegardant ce sol, sauvegarder la patrie, la famille et la religion de ses enfants.



IV



Enfin, dans l'héritage du peuple chrétien, excelle un troisième bien : la majorité catholique, c'est-à-dire la prépondérance des catholiques par le nombre.

La foi, la propriété, le nombre, c'est, en effet, par ce triple bien que le peuple chrétien apparait, dans l'histoire, fort et imposant.

On ne saurait mettre en doute que la majorité ou la supériorité par le nombre ne soit un bien réel, précieux, très précieux. De même que l'Océan est l'Océan par l'abondance et la majesté de ses vagues, de même le peuple catholique est vraiment catholique par le nombre et la majesté de ses phalanges. Toutefois, si nous glorifions le nombre comme cour d'honneur de la Vérité, nous n'entendons pas le glorifier comme source du pouvoir ni comme loi de succès. À Dieu ne plaise !

C'est l'erreur moderne. La souveraine Sagesse n'a point placé dans la multitude la genèse de l'autorité, et la Toute-Puissance n'en tient pas compte toutes les fois qu'elle entreprend de se montrer. Mais les foules ont été acceptées comme moyen de mettre en évidence et d'illustrer la véritable Église. Le peuple catholique possède la majorité, et comme tel, il forme la cour d'honneur de la Vérité, et une des splendeurs de l'Église.

Nous venons de voir que les rois chrétiens se sont préoccupés de sauvegarder la foi catholique et le territoire catholique contre l'envahissement des juifs. Ils ont veillé également à sauvegarder la majorité catholique.

Il peut paraître surprenant, au premier abord, que des poignées de juifs errants, des familles d'hébreux dispersés aux quatre vents du ciel, aient pu devenir une menace pour les provinces des royaumes chrétiens, au point d'y déplacer la majorité. Cependant il en a été ainsi. Nomades, errants, les pauvres juifs arrivaient dans un pays en nombre d'abord assez restreint. On les comptait, hélas ! un à un à la porte des villes, comme on compte le bétail, nous l'avons dit. Le malheur les avait chassés de tel pays, la pitié et aussi l'intérêt les faisaient accueillir dans tel autre. Ils s'implantaient donc. Bientôt la renommée du bon accueil, des privilèges, des concessions dont ils jouissaient, se répandait au loin, parmi les autres communautés juives. Les communications entre malheureux ne sont-elles pas rapides ? D'autres juifs arrivaient bien vite. De nouvelles familles, chassées d'ailleurs, obtenaient de se joindre aux familles juives déjà implantées. Bref, une sorte de tribu israélite finissait par se retrouver dans cet endroit. Qu'on ajoute à cela la prodigieuse fécondité des familles juives, toujours en honneur chez ce peuple, et l'on comprendra aisément comment, à certains moments de l'histoire des peuples chrétiens, les enfants de l'Église n'étaient plus les maîtres ici ou là, parce qu'ils n'étaient plus en nombre.

Mais là encore la vigilance des rois chrétiens ne se trouve pas en défaut. On les voit prendre des précautions pour conserver à leurs peuples la prépondérance du nombre, comme ils veillaient à leur conserver le trésor de la foi et la propriété du sol. Les Lettres patentes de 1784 sont très remarquables à ce point de vue. Nous avons dit qu'en Alsace, où se déroule notre drame historique, on comptait environ 20 000 juifs.

La population chrétienne était de 500 000 habitants. Comment donc pouvait-il se faire que la majorité catholique fût en souffrance ? Cela venait de ce que les juifs s'étaient attachés de préférence aux petites localités, aux villages, et à certains villages en particulier. Les chroniques les comparent à des bancs de sauterelles qui se seraient abattus sur tel champ plutôt que sur tel autre. Il faut reconnaître que cette émigration par troupes vers tel endroit se faisait souvent malgré eux, leur étant en quelque sorte imposée par un souffle politique plus ou moins favorable, comme le banc de sauterelles est emporté et dirigé par le vent qui souffle. Par exemple, il leur était complètement interdit d'habiter la ville de Strasbourg. Tout juif qui y était entré durant le jour était tenu d'eu sortir le soir, au son du beffroi. Expulsés de ce grand centre, expulsés des autres centres de l'Alsace, ils se rejetaient naturellement sur les villages, sur tel village, sur telle petite localité. Ils s'y attroupaient, y augmentaient, s'y multipliaient ; et il venait un temps où peu à peu, non seulement l'influence catholique avait fini par disparaître devant l'influence juive, mais même la majorité. Il n'était pas rare de rencontrer en Alsace des villages presque entièrement composés de juifs. Les sept vaches maigres y avaient dévoré les sept grasses.

Contre cet envahissement par le nombre, voici donc les précautions que nous trouvons signalées et adoptées par Louis XVI dans les Lettres patentes de 1784. Ce sont les cinq premiers articles.


Art. 1er - Les juifs répandus dans la province d'Alsace qui, à l'époque de la publication des présentes, n'y auront aucun domicile fixe ni connu - c'est-à-dire les juifs vagabonds - seront tenus dans trois mois de sortir de la dite province...


Art. II. - Faisons très expresses défenses à tous seigneurs et à toutes villes et communautés d'admettre à l'avenir aucun juif étranger...


Art. III. - Les juifs étrangers qui se rendront en Alsace seront tenus de rapporter des certificats ou passeports, lesquels contiendront la désignation des lieux où ils devront se rendre, et le temps pendant lequel ils se proposeront d'y séjourner.


Art. IV. - Tous les juifs étrangers qui s'introduiront en Alsace, sans avoir satisfait à ce qui est prescrit par l'article précédent, seront arrêtés et punis suivant la rigueur des ordonnances concernant les vagabonds et gens sans aveu.


Art. V. - Faisons très expresses défenses à tous rabbins et à tous juifs résidens en AIsace... de fournir aucune retraite aux juifs étrangers.



Par ces différentes mesures, le monarque limite et arrête en Alsace le développement externe des juifs. Il tolère tous les juifs qui y habitent, mais il n'en accepte plus de l'étranger. Il ne chasse pas ceux qui y sont, mais il repousse les nouveaux qui se présenteront. Dans ces mesures, nous ne trouvons rien que de très légitime et de très louable. C'est toujours Ismaël qu'on veut empêcher de dominer, et Isaac qu'on ne veut pas laisser tomber sous la domination d'Ismaël.

Mais si, au point de vue du droit catholique, nous acceptons ces mesures coercitives contre notre peuple, il nous sera permis, au point de vue du droit naturel, de nous élever avec tristesse et avec force contre une autre mesure qui fut prise, et que nous osons qualifier de mesure malheureuse. Pourquoi le gouvernement de Louis XVI a-t-il fait appel, contre les juifs, au célibat forcé, à l'imposition de la stérilité ?



V



Une progéniture nombreuse a toujours été le caractère distinctif des familles juives. Aucune race n'a obéi avec plus de ponctualité et plus de rapidité à ce précepte du Seigneur : Croissez et multipliez-vous !

Plusieurs causes ont contribué à conserver aux familles juives l'auréole de cette prodigieuse et belle fécondité, depuis bientôt cinq mille ans.

Causes religieuses : la respect de la parole de Jéhova qui avait dit : Croissez et multipliez-vous. - Le souvenir des patriarches et de leurs touchantes réunions patriarcales. - L'espérance pour chaque famille de voir le Messie sortir de ses rangs. Aussi la stérilité était-elle considérée comme un opprobre.

Causes morales : la sévérité des mœurs. Chez les autres peuples, le luxe, la vanité, le crime, arrêtent souvent le progrès de la population, limitent le nombre des enfants ; chez le peuple juif, une famille nombreuse est réputée honorée des bénédictions du ciel.

Causes physiques : les observances prescrites par Moïse dans le Pentateuque relativement au mariage sont à la fois protectrices de la décence et dc la fécondité.

Causes politiques : jusqu'en 1789, les juifs, dispensés de milice, de corvées, ne se vouant jamais à l'état militaire, se mariant très jeunes, croissaient journellement en population comme en richesse.

Telles étaient, à l'époque du règne de Louis XVI, et telles sont encore en partie aujourd'hui, les causes explicatives de la prodigieuse multiplication des familles juives.

Il suit de là que le mariage était, pour ce peuple proscrit, la chose sainte par excellence, le débris de sa grandeur, sa source de bénédiction son moyen de résistance et de durée.

Eh bien, nous ferons le reproche aux conseillers de Louis XVI d'avoir engagé le monarque, pour arrêter le progrès de la population juive, à contrarier les mariages et à faire intervenir contre ce peuple le célibat, la stérilité qu'il abhorrait.

Voici ce que nous lisons dans les papiers trouvés aux Archives nationales :

Au conseil du monarque, deux avis furent discutés.

Le premier proposait brutalement de limiter parmi les juifs d'Alsace le nombre des mariages, et même de les interdire tout à fait dans les localités où le nombre des juifs l'emportait sur celui des chrétiens, jusqu'à ce que la proportion eût été rétablie. Si Sa Majesté se rangeait à cet avis, on soumettait à sa signature le règlement suivant :

1° Fixer le nombre des mariages des juifs à 72 par an, dont 28 pour les juifs de la Haute-Alsace, et 44 pour ceux de la Basse-Alsace.

2° Ordonner que dans chaque localité où le nombre des juifs serait trop disproportionné avec celui des chrétiens, il ne serait permis aucun mariage jusqu'à ce que la proportion eût été rétablie.

L'honneur de la Jurisprudence française empêcha que cet avis ne prévalût (14). « Alors même qu'il parait indispensable d'adopter de pareils moyens, il ne convient nullement de les exprimer dans un règlement destiné à être enregistré dans une cour souveraine ; Quelque nécessaires qu'ils puissent paraître, ils n'en sont pas moins contraires au vœu de la nature. De semblables lois paraìtraient bien extraordinaires. »

Ces réflexions sont tirées du rapport lu devant Louis XVI (15).

Un second avis, un second plan fut donc proposé.

Identique au précédent quant au fond, il en différait du moins par la forme. On concluait à la nécessité de limiter le nombre des mariages, et même de les interdire tout à fait dans certaines localités ; seulement on jugeait prudent de ne rien formuler à cet égard. On proposait en conséquence au Roi d'adopter une disposition qui assujettirait les juifs à ne pouvoir se marier sans la permission expresse de Sa Majesté.

« De cette manière, disent les papiers secrets, on aura le moyen de limiter le nombre des mariages, et même de les interdire au besoin, et ce moyen sera dans les mains et dans le secret de l'administration qui, suivant les circonstances, accordera ou refusera aux juifs la permission de se marier (16). »

C'est ce second parti qui fut adopté. En conséquence, dans les Lettres patentes de 1784, on formula l'article suivant :

Art. VI. - Nous faisons très expresses défenses à tous juifs et juives actuellement résidens en Alsace, de contractor à l'avenir aucun mariage sans notre permission expresse, sous peine contre les contractans d'être incontinent expulsés de ladite Province.

Vieux sang des patriarches, vous avez dû frémir devant une pareille loi ! Interdire à leurs enfants de se marier sans une permission expresse de l'autorité civile, disposée en secret à la refuser maintes fois ;..... mais n'était-ce pas un attentat contre la nature et contre la sainteté des mœurs ? Les historiens qui se sont occupés de cet arrêt l'ont flétri comme il convenait (17). Le grave M. de Bonald dira plus tard, à propos d'une semblable ordonnance contre le mariage des juifs en Bavière : « Il est des événements moins éclatants que les guerres et les batailles, et par là moins aperçus du vulgaire, qui sont cependant d'une toute autre importance pour indiquer l'état intérieur de la société, les maux secrets qui la travaillent, la marche insensible des choses, et leur influence sur les esprits et sur les affaires ; et je ne crains pas d'avancer que l'ordonnance dont je viens de citer les dispositions, est un des faits les plus étranges de l'histoire moderne, et celui qui peut offrir les plus profonds et même les plus douloureux sujets de méditation à un homme d'État (18). » Qu'est-il besoin, du reste, d'en appeler, contre une pareille mesure, au jugement de l'histoire ? Ses propres fauteurs en ont rougi eux-mêmes, et ne l'ont adoptée qu'en secret. Que renferment, en effet, les papiers révélateurs que nous avons cités plus haut ? Cet aveu : « Alors même qu'il paraît indispensable d'adopter de pareils moyens, il ne convient nullement de les exprimer dans un règlement. Nous disons, nous, que s'il ne convenait nullement de les exprimer, il convenait encore moins de les adopter. Eh quoi, parce que les juifs sont nombreux, il faudra mettre obstacle, parmi eux, au souhait de la nature, limiter le nombre des mariages, et au besoin les interdire ? Ah ! n'avez-vous pas compris que c'était renouveler en quelque sorte l'attentat de Pharaon contre les enfants des Hébreux : il les faisait noyer, et vous les empêchez de naître ! Ou plutôt, la nature ne pouvant s'astreindre malgré elle au célibat, des enfants leur naîtront, mais en secret, comme fruit du libertinage, de l'inceste, de la honte !.... C'en est fait, la famille israélite est atteinte dans sa sainteté patriarcale, vous la contraignez au déshonneur !

Ô Louis XVI, ô saint Roi martyr, dont la famille a présenté dans la prison du Temple un si touchant aspect, pardonnez-nous de défendre des familles contre l'arrêt cruel que vos conseillers ont soustrait votre royale signature. Nous avons approuvé tout ce que l'amour du peuple chrétien vous avait inspiré pour sa défense contre l'envahissement des juifs ; mais ici nous n'approuvons pas, nous ne pouvons pas approuver : le but est dépassé ! Depuis la ruine de Jérusalem, Israel n'a plus qu'un débris de sa grandeur, qui est la sainteté du mariage. Ce débris, il faut le lui laisser. Il faut que la famille d'Abraham puisse avoir des enfants, les avoir dans la liberté et dans l'honneur !

 



(1) Le Mémoire dont nous faisons mention est catalogué ainsi : Section historique, k. 1142, n° 50. Mais qui fut l'auteur de ce mémoire secret, souche des Lettres latentes ? C'est par ordre de Louis XVI qu'il fut rédigé. Le roi institua une commission composée de MM de Miroménil, Daguesseau, de Beaumont, de Sauvigny, Taboureau. Ceux-ci se firent remettre :

D'une part :

Les Réflexions du baron de Spon, président du Conseil d'Alsace, de M. de la Galaizière, du cardinal de Rohan et du maréchal de Contade (tous chargés de l'administration de la province d'Alsace) ;

D'autre part :

Les Représentations des juifs d'Alsace.

Ces réflexions et ces représentations furent étudiées avec soin par la commission. Et l'un de ses membres, M. de Miroménil, rédigea ce mémoire secret que nous avons découvert, et dans lequel se trouvent en préparation tous les articles qui composent les Lettres patentes de 1784.

(2) P. 1 et 2 du Mémoire (section historique), k. 1142, n° 50.

(3) P. 3 et 4.

(4) Genèse, XXI, 9-14.

(5) Sara, en hébreu, signifie reine.

(6) Epître aux Galates, IV, 22-31.

(7) Lire sur ces sévérités le chap. XXXVI de Balmès dans son ouvrage le Protestantisme comparé au Catholicisme.

(8) Archives Nationales, section historique, K. 1142, n° 51, p. 225-6.

(9) Dieu a établi son Fils l'héritier de tout (Épître aux Hébreux, I, 2). - Le Seigneur m'a dit : Vous êtes sans Fils, je vous ai engendré aujourd'hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'àux extrémités de la terre. » Ps. II, 7-8.

(10) À la faveur de privilèges obtenus, sans doute à prix d'argent, de la féodalité, moins fortement constituée et moins oppressive dans le midi que dans le nord de la France, ils parvinrent à ressaisir le droit de propriété dans le Comtat-Venaissin, et le conservèrent jusqu'à la fin du moyen âge, malgré les efforts du pouvoir épiscopal et même de certaines municipalités pour le leur enlever ou le restreindre. Au XIIIè siècle, nous les retrouvons, en effet, en pleine possession du droit d'acquérir des meubles et des immeubles. En 1256, le juif Astruc de Lunel, en dépit des statuts d'Avignon de 1243, achète une vigne dans le territoire de celte ville ou il eu possédait déjà une. A partir' du XIVe siècle, les actes des notaires sont remplis de contrats d'achats ou de ventes de maisons, de terres, de vignes. passés par les Israélites. À Avignon, comme à Carpentras, comme à Cavaillon, et probablement aussi dans tout le Comtat les juifs pouvaient devenir propriétaires des maisons de leur quartier. Étienne Bertrand nous apprend que, vers la fin du XVe siècle, il y avait, dans l'héritage laissé par un juif de Carpentras à ses enfants, des terres de toutes sortes et en grand nombre. (Les Juifs du Comtat-Venaissin, par Bardinet, dans la Revue historique, t. XIV, p. 40-41).

(11) Les juifs du Languedoc et de la Provence pouvaient non seulement tenir des censes, des fiefs, mais aussi acquérir des terres libres, des alleux, et même avoir sous eux les vassaux chrétiens. (ibid., p. 41.)

Les juifs, seigneurs ou moyeu âge. « Dernièrement, ayant entre les mains une trentaine de chartes, consistant en actes de ventes d'immeubles faites par des juifs de Carcassonne, de Narbonne, de Toulouse et autres villes du Languedoc, actes datés du XIIe siècle et conservés au dépôt des archives de la Haute-Garonne, quelle ne fut pas mon agréable surprise de trouver un de ces actes, rédigés en latin, daté de Carcassonne, 1142, mais signé d'un noms juif, en caractères hébraiques. Dans, cette charte que j'ai sous les yeux, Rabbi Kolonyme vend au commandeur de Saint-Jean de Narbonne deux terres, mais en réservant pour lui et ses héritiers les droits qui y sont attachés. Et ces droits, quels sont-ils ? Des droits presque souverains le droit de justice, la faculté de faire payer une redevance à chaque mutation de propriétaire, et en général tous les droits attachés aux terres allodiales. Il vend et cède le terrain, mais en réservant pour lui et ses héritiers les titres et les droits du seigneur. Les juifs étaient donc ou pouvaient devenir non seulement propriétaire, mais seigneurs.

Oury, rabbin le Toulouse, dans les Archives israélites, 1861, p. 451-2.

(12) Ils professaient en effet extérieurement le christianisme, sans que le gouvernement, qui ne pouvait ignorer quelle était leur véritable religion, songeât à les inquiéter. La France respectait l'hospitalité donnée à ceux qui avaient fui la persécution.

(13) Section historique, K. 1142, n° 50, p 25-26. Voici la principale raison que la Commission présentait au Roi pour l'engager à accorder aux juifs le droit de propriété : « Plus il y aura le personnes capables d'acquérir les biens-fonds, plus ils seront dans le cas d'être vendus avantageusement. Ainsi il est de l'intérêt public que les juifs, qui ont beaucoup d'argent, aient, comme les autres habitants, la faculté de faire de semblables acquisitions. »

(14) Cet avis fut proposé par M. de la Galaisière, Archives nat., section historique, K.1142, n° 50, p. 13-14.

(15) Elles sont dc M. de Spon, ibid., p. 15.

(16) Ibid., p. 16.

(17) C'est la Prusse qui mit, la première, en vigueur cette sombre législation. « Pour empêcher cette multiplication exorbitante, divers législateurs ont apporté des obstacles à leurs mariages. Les lettres patentes de 1784, concernant ceux d'Alsace, leur défendent d'en contracter sans permission. Un édit de Prusse, en 1722, avait statué même chose, et les soumettant à payer un droit au trésor militaire, lorsqu'on leur accorderait la permission d'épouser. Dans les territoires du Culembach et dans la Hesse, on a reculé leurs mariages jusqu'à des époques tardives, l'âge de vingt ans pour les filles, et de vingt-quatre pour les garçons. Le nombre des juifs étant déterminé, un seul des enfants peut remplacer le père mort, les autres n'ont pas droit de se marier sur le sol qui les vit naître. Ces défenses sont des attentats contre la nature, qui les désavouerait même dans le silence des passions. » (GREGOIRE, Essai sur la régénération des juifs, p. 61-63. - MALO, Hist. des juifs, p. 14.)

« Il y a des villes où on fait payer le juif pour la naissance de chaque enfant mâle : on entrave les mariages dans le but oppressif d'arrêter le vœu de la nature ; on borne ainsi le nombre des nouveau-nés ; l'extermination est plus lente, mais plus sûre, plus infaillible. Cette législation l'appelle le moyen cruel, infâme, employé par les Crétois, au mépris de la pudeur effrayée. » (BAIL, État des juifs en France, en Espagne et en Italie, p. 44-45.)

(18) Œuvres de M. de BONALD, Mélanges, t. I, p. 373. - L'ordonnance portée en Bavière dont parle M. de Bonald ne permettait le mariage qu'à un individu par famille juive ; elle exigeait, en outre, de l'époux la preuve d'une fortune acquise de 1000 florins.