La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Quatrième

Chapitre Deuxième

Déclaration de fidélité à la croix.
Appel à toutes les misères pour la défendre


– I. Déclaration de guerre faite à la croix, déclaration de fidélité.
– II. Le Non possumus des catholiques relativement à son abandon.
– III. Conséquences pratiques: partout où les crucifix sont enlevés, en ramener la vision par le signe de la croix vaillamment fait en public et par l’usage de la croix comme joyau.
– IV. Misères de toutes espèces, entourez et défendez le Golgotha qui vous a toutes soulagées.
– V. Serpents de feu et serpent d’airain: misères et miséricorde.


I

On a déclaré la guerre à la Croix. La Croix est inexterminable: c’est prouvé. Mais on peut priver de sa bienfaisante vision et de sa douce possession tel village, tel hameau, telle commune. Il y a donc pour les catholiques, obligation de la défendre. Comment la défendront-ils? Avant tout, par une déclaration de fidélité. Il y a eu déclaration de guerre à la Croix: qu’il y ait déclaration de fidélité! En face du Sanhédrin juif portant la défense d’enseigner au nom de Jésus, les Apôtres déclaraient avec intrépidité: «Qu’il leur était impossible de n’en point parler; non possumus, nous ne pouvons pas.» Il est devenu célèbre, le non possumus de Pierre et des Apôtres. Depuis lors, toutes les fois qu’une tyrannie quelconque a tenté d’exiger, par des menaces ou par des promesses, des actes contraires aux droits de Dieu et de son Christ, contraires par cela même aux devoirs des catholiques, la conscience, toujours intrépide, lui a répondu: Non possumus, nous ne pouvons pas. Dieu soit béni! cette intrépide impossibilité se redit à cette heure. Des messagers de ténèbres et de haine parcourent les populations, les communes, les hameaux en proposant de faire disparaître la Croix; Mais les fidèles, s’adossant au rocher de Pierre, ont répondu sur toute la ligne l’antique formule: Nous ne pouvons pas; nous ne pouvons pas abandonner la Croix; nous ne pouvons pas nous passer d’elle!

II

Écoutez nos raisons, ô sectaires: Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle a été le lit de mort du Dieu fait homme. C’est sur elle qu’il a souffert l’agonie, qu’il a obtenu pardon et miséricorde pour les hommes, et qu’il nous a tous bénis. Si nous laissions profaner et outrager ce lit de mort, nous serions des ingrats, et nous, catholiques, nous ne voulons pas être des ingrats! Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle a été l’instrument du rachat et de la liberté des peuples. Avant le Calvaire, les populations étaient affreusement esclaves. C’est avec la Croix que Jésus-Christ les a retirées de l’esclavage; il a créé avec elle la race des hommes libres. Nous séparer de la Croix, ce serait nous exposer à redevenir bien vite esclaves, et nous, catholiques, nous ne voulons pas redevenir esclaves: nous resterons les hommes libres! Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle a été l’instrument de la défaite de l’Enfer. Qu’on observe la Croix, elle a la forme d’un glaive: la poignée est dans le ciel, et la pointe en s’enfonçant dans le sol regarde le noir abîme. Faire disparaître la Croix, ce serait autoriser l’Enfer à réparer sa défaite: mais nous, catholiques, nous empêcherons toujours qu’il la répare! Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle est l’arbre de vie. Ah! lorsque les malheureux souffrent trop, ils viennent s’asseoir à son ombre, et ils sentent aussitôt une influence divine qui les réconforte. L’orphelin comprend, sous ces bras étendus, qu’il ne sera pas seul au monde, et la pauvre veuve se relève plus résignée. Pourquoi ne supportez-vous pas, ô impies, que, dans nos tristesses, nous recourions à notre cher arbre de vie? Nous ne vous empêchons pas, nous, de cueillir des fruits à vos arbres de mort. Laissez-nous notre arbre de vie. Mais si vous y touchez, nous deviendrons tous, pour le défendre, le chérubin du paradis terrestre! Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle est le vrai signe de sécurité et de pacification. Quand elle se trouve sur un chemin, ce chemin est plus sûr. Quand elle est acceptée dans une usine, l’ouvrier et le patron s’entendent mieux. Quand se rencontrent, à son pied, le riche et le pauvre, richesse et pauvreté se transfigurent dans son amour. Depuis tant d’années que l’économie politique est en travail et en recherches, elle n’a pas encore découvert un moyen plus sûr de pacification. Oh! laissez-nous donc la Croix, dont la présence éteint mieux les haines, et rend moins difficiles les étreintes de mains! Nous ne pouvons pas nous passer de la Croix, parce qu’elle doit apparaître en souveraine dans les airs, au jour du jugement général. À son aspect, les brebis doivent se ranger à droite, et les boucs seront précipités à gauche. S’il vous convient, ô renverseurs de croix, de choisir le côté des boucs, nous vous plaignons, cependant vous êtes libres. Mais nous qui voulons être du nombre des brebis à l’aspect de la Croix triomphante, nous l’adorons déjà sur terre, et nous la défendrons… Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas nous séparer et nous priver de la Croix tutélaire. Prenez-en votre parti, ô vous qui la faites pleurer, et qui nous faites pleurer, le nôtre est pris; et c’est encore la Croix qui est le sceau de notre décision, et de notre impossibilité de vous la livrer!

III

Après cette déclaration, la Croix conservera sa place d’honneur à notre foyer, sa place d’honneur à l’école chrétienne de notre paroisse, de notre commune, de notre village, et dans tous les lieux qui dépendent de nous: cela va sans dire; c’est fait, c’est acquis. Mais cela ne suffit pas. Il y aura, hélas! autour de nous, des foyers, des écoles dont les murs auront été contraints de se dépouiller du cher signe d’amour, et des places publiques qui auront été profanées par son enlèvement! Or, comment neutraliser ces sataniques exploits; comment combler ce vide lugubre; comment tirer le bien du mal? De deux manières:

En faisant courageusement en public le signe de la croix, toutes les fois qu’on doit le faire; En prenant rang parmi cette phalange magnanime de femmes, de jeunes filles, d’enfants, d’hommes de cœur qui portent ostensiblement sur eux une croix, un crucifix.

Ah! certes, si le signe de la croix, qui est d’obligation chrétienne, doit se faire courageusement, amplement, n’est-ce pas à l’heure où un vaste complot a dit: Bientôt la croix aura disparu? – Vous vous trompez, hommes de mal; elle ne disparaît pas. Voyez la preuve: je fais gaîment et fièrement le signe de la croix… L’histoire rapporte que, sous la persécution de Dioclétien, Tiburce, célèbre martyr, fut amené au préfet Fabien, qui, faisant semer des charbons ardents, lui commanda ou d’offrir de l’encens aux idoles ou de marcher pieds nus sur le brasier. Tiburce fait le signe de la croix et s’avance; il souriait; il lui semblait, disait-il, marcher sur des fleurs!… Et moi, j’aurais honte de faire le signe de la croix devant une table d’hôtes, et même devant une table d’amis? Et le rouge d’une fausse honte, vif comme celui des charbons, monterait sur mes joues? Allons! sous mes pieds le respect humain, c’est là sa place! Mon signe de la croix, sans affectation, mais aussi sans faiblesse!

Et puis, cet autre courage: porter la croix comme mon joyau préféré, porter un petit crucifix, ostensiblement; Ostensiblement, parce que dès là que la haine s’acharne à faire disparaître la Croix, nous, l’amour fidèle, nous devons prendre notre plaisir, nos délices, à la faire apparaître, à l’étaler: «Mon bon Maître, on vous chasse, moi, je vous reçois; on pousse du pied votre Croix après l’avoir abattue, moi, je la mets sur ma poitrine;» Ostensiblement, parce qu’elle est le livre du pauvre peuple. La vue du crucifix en apprend plus au pauvre peuple sur Dieu, sur Jésus-Christ, sur l’éternité, que tous les discours du monde. Ah! le pauvre peuple, il est mené à l’athéisme comme un troupeau de brebis à la tuerie: eh bien, s’il ne doit plus apprendre à connaître le bon Sauveur ni dans les livres, ni dans les écoles, qu’il apprenne du moins à le connaître sur des poitrines magnanimes qui présenteront à ses regards la vision du crucifix! Ostensiblement, enfin, parce que les fils des Croisés n’ont pas encore reculé devant les fils de Voltaire. Ils ne reculent pas, puisque, la Croix ayant été enlevée aux murailles, des milliers de poitrines sont devenues à l’envi des murailles vivantes. Mais ils reculeraient, si les poitrines venaient à manquer, si les murailles devenaient rares pour maintenir et perpétuer la vision du crucifix. Oh! bénédiction et honneur à toutes les poitrines qui continueront ce rôle de murailles vivantes!

IV

Nous contenterons-nous, pour la défense du cher signe d’amour, de ces mesures? Elles sont, assurément, héroïques, dignes de l’admiration des anges, mais elles sont personnelles; et lorsqu’il s’agit d’entourer et de protéger l’arbre sacré qui nous a tous sauvés, il faut agir de concert; il faut, comme s’exprime le langage militaire, lever des forces, rassembler des bataillons. Quelles seront ces forces, ces bataillons? Est-ce au concours des richesses que nous ferons appel? aux ressources du génie? à l’étincellement et au faisceau des épées? Non! ni la richesse, ni le génie, ni le faisceau des épées pour la conservation de la croix! Mais alors, quoi donc? C’est aux misères humaines que nous irons dire: «La Croix est en danger, venez à son secours.» Elle seule a soulagé toutes les misères. Il n’y a pas de misère humaine si cachée, si délaissée, si repoussante, que l’Église catholique ne l’ait découverte avec la croix, visitée avec la croix, soulagée avec la croix. S’il y avait une misère qui eût été laissée dans l’ombre, oubliée par l’Église, qu’elle se montre, afin de pouvoir dire: «La Croix de Jésus-Christ m’a oubliée…» Mais non, toutes les misères ont vu arriver la miséricorde, et l’ont bénie. Aussi, ce n’est point à la richesse, ni au glaive, ni au génie que nous irons confier cette angoisse de nos coeurs: la croix est en danger! C’est aux misères que nous aurons recours. Misères des maladies, misères de l’indigence, misères de l’ignorance, misères de la vieillesse, misères des contrées malsaines, misères de la folie, misères du vice et de la dégradation, assemblez-vous toutes et rangez-vous autour du Dieu crucifié qui vous a tant de fois soulagées! Lépreux, passez devant le Golgotha, et, la main levée, dites: Nous avons besoin de Lui! – Sans la croix, en effet, la lèpre reviendrait bientôt sur vous, plus horrible et plus dévorante. Mendiants, passez devant le Golgotha, et, la main levée, dites: Nous avons besoin de Lui! – Sans la croix, en effet, on vous apercevrait bientôt mourants de faim le long des routes et des fossés. Et vous, pauvres aliénés, passez aussi devant le Golgotha, et, de vos mains inconscientes et crispées, retenez la folie de la Croix. Ah! sans elle, personne ne prendrait bientôt plus soin de votre terrible état. Bataillons de toutes les misères, entourez le Golgotha: à vous la garde de la croix de Jésus-Christ!

V

C’était après la sortie d’Égypte. Les enfants d’Israël, guidés par Moïse dans le grand et affreux désert de Pharan, se prirent à murmurer contre le Seigneur et contre la conduite de sa Providence. Irrité de l’ingratitude de ce peuple à la tête dure, le Seigneur fait surgir, dans la contrée sablonneuse qu’il est en train de traverser, une multitude de serpents. Leur morsure, dit l’Écriture, brûlait comme le feu. C’était le céraste ou vipère cornue, ainsi nommée à cause de deux petites cornes que ce reptile porte au-dessus de la tête: d’autant plus dangereux que sa couleur est grisâtre et le confond avec le sable. Partout où Israël avance sa marche, partout où il dresse son campement, le terrible visiteur de la colère de Dieu apparaît et s’élance. Voyez-vous d’ici ces serpents de feu se multipliant sous les pieds des marcheurs, pénétrant dans leurs tentes, et semant la mort à l’improviste. Quels cris d’effroi, que de bras qui se tordent dans les convulsions, que de corps qui deviennent noirs par l’effet rapide du venin! Épouvanté, le peuple se précipite vers Moïse: Sauve-nous de la colère de Dieu! Alors se passe, dans le camp, une scène inattendue, étonnante, grandiose. Le saint législateur a consulté le Seigneur, et d’après son commandement et ses indications, il a fait dresser sur un bois élevé un serpent d’airain. «Vous ferez, lui a dit le Seigneur, un serpent d’airain, et vous le suspendrez à un poteau.» Placé sur ce bois élevé, le serpent d’airain domine le camp; et de toutes les tentes, ceux qui ont été mordus par les vipères et qui le regardent se sentent guéris. «Mais tous les blessés devaient le regarder!» pensez-vous? Qu’on se détrompe. La moquerie, l’impiété, le blasphème ont trouvé, dans tous les temps, leurs partisans: il y en eut qui tournèrent en ridicule le conseil de Moïse. Hélas! la preuve n’en subsiste-t-elle pas dans ce qui se passe sous nos yeux. Journellement, au lit de la mort, à ce moment formidable où l’éternité va se décider que de moribonds qui détournent la tête du signe de miséricorde et de salut qu’on leur présente! «Oh! nous vous en supplions, c’est l’éternité qui va commencer; un seul regard de repentir vers ce signe de la miséricorde!» Et ils ne veulent pas… Au temps de Moïse, le serpent d’airain était le signe de la miséricorde et de la guérison, et tous ne lui donnèrent pas leur regard! Qu’est-ce donc que figurait ce serpent d’airain sur le bois élevé? Il figurait Celui qui ayant daigné prendre sur soi tous nos crimes jusqu’à en devenir méconnaissable, jusqu’à se tordre, comme un serpent, dans les douleurs de sa terrible Passion, nous a obtenu avec sa croix miséricorde.

Et qu’est-ce que figuraient, de leur côté, ces serpents dont la morsure brûlait comme le feu? Ah! n’exprimaient-ils pas les misères de cette vie? La misère, quel que soit son nom, morale ou physique, n’a-t-elle pas, elle aussi, ses morsures, parfois brûlantes comme le feu? Et rampantes comme le serpent, certaines misères n’ont-elles pas leurs suggestions perfides? La croix est donc venue les soulager, et guérir tous ceux qui en seraient blessés.

Ô bois tutélaire, élevé sur la montagne, il y a lutte, cependant, chez les nations chrétiennes, pour te faire disparaître ou pour te conserver. Ceux qui te font disparaître sont des aveugles et des homicides. Ils ne voient pas, les malheureux, qu’ils ramènent les serpents de feu. Les misères qui se multiplient, les passions les plus basses qui brûlent les cœurs, les plans d’incendie qui glissent dans l’ombre, les foules qui meurent de privations, les malades abandonnés à des mercenaires, les infirmes oubliés dans leurs baignoires brûlantes, les enfants environnés de haine dès leur bas âge: serpents de feu, serpents de feu! Mais, à l’opposite, ô croix, il y a ceux qui veulent te conserver et te défendre. À ton ombre sont nés, dans leurs rangs, tous les héroïsmes contre toutes les misères: L’héroïsme de ces anges des Hôtels-Dieu: les Filles de la charité, contre les misères des maladies; L’héroïsme de ces patients instructeurs du peuple: les Frères de la doctrine chrétienne, contre la misère de l’ignorance; L’héroïsme et la tendresse de ces vierges souriantes: les Petites Sœurs des pauvres, contre les misères de la vieillesse; L’héroïsme de ces durs travailleurs: les Trappistes, contre les misères des pays malsains; L’héroïsme de cette vocation sublime: les Frères de Saint-Jean de Dieu, contre les misères de la folie; En un mot, contre toutes les misères, tous les héroïsmes de la miséricorde suscités par la croix!

Ô peuple, c’est l’heure de choisir, peuple qui travailles et qui souffres: Ou les serpents de feu sans la croix, ou la croix contre les serpents de feu! Ah! puissent l’amour et ton véritable intérêt guider ton choix! Et puisses-tu, de cette grande voix juste que tu sais avoir, ô peuple, et où Dieu alors mêle la sienne, signifier aux démolisseurs: Vive la croix de Jésus-Christ! Et gare à qui la touche.

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