La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Quatrième

Chapitre Dixème

L’Attaque de la justice pour prépare au jugement de Dieu.



– I. La prédication du jugement général a été une courageuse attaque de Pierre et des Apôtres contre le paganisme et le judaïsme : les hommes de Dieu et les opprimés rendront service en la reprenant contre l’apostasie.
– II. En effet, les mauvais sont généralement déconcertés par l’annonce du jugement général.
– III. De plus, les pécheurs sont ramenés, et les bons sont réconfortés, par ce rappel du grand jour. Effet produit par les populaires et saisissantes images qui le dépeignent.
– IV. Aussi, pour mieux accomplir leurs projets sinistres, les hommes de mal cherchent-ils à rayer cette croyance de l’esprit des populations. Ce sera, vraisemblablement, la grande erreur des derniers temps. Preuves.
– V. Autre motif prépondérant pour attaquer le mal par cette annonce: Jésus-Christ est expulsé. Or, rappeler son tribunal de Souverain Juge, c’est le venger déjà de ses expulseurs.
– VI. Des tombeaux doivent s’ouvrir pour appuyer et augmenter les hérauts de cette grande annonce: quels tombeaux, quels hérauts?
– VII. Le dernier chapitre de l’histoire du monde dans la vallée de Josaphat.


I

À Pierre et aux Apôtres, il avait été commandé d’arracher et de planter, de détruire et d’édifier, de poursuivre sans relâche l’usurpateur qui est Satan, et de faire rentrer sous l’obéissance du Roi légitime tout l’univers qui l’avait oublié. Pierre et, à sa suite, les Apôtres adoptent donc hardiment la marche en avant contre le Judaïsme ingrat et contre le Paganisme idolâtre. Et quel est le moyen d’attaque auquel l’Esprit de Dieu les pousse à recourir? la prédication d’un jugement général. Dieu nous a commandé de prêcher, s’écrie Pierre en pleine Judée, et d’attester devant le peuple que c’est son Christ qui a été établi le juge vivants et des morts. Sainte audace du chef des Apôtres, au lendemain de la Passion! il annonce des assises générales où le condamné de Jérusalem sera juge: c’est l’idée magnifique et terrifiante avec laquelle il tiendra tête aux ennemis de son Maître. Paul attaque de front, avec la même idée et avec une semblable énergie, l’idolâtrie régnante. Un jour, il est amené en présence du gouverneur romain Félix, pour se justifier d’être, par sa parole, une peste publique. Paul, dit le livre des Actes, entretient avec force le gouverneur de la justice, de la chasteté et du jugement à venir; Félix, effrayé, lui dit: C’est assez pour cette heure, retirez-vous. Et ainsi des autres apôtres; l’un d’eux, annonçant le retour de Jésus-Christ comme prochain, s’écrie: Voici le juge, il est à la porte! L’annonce du jugement général a donc été une vigoureuse marche en avant des apôtres contre le Judaïsme et le Paganisme: par cette annonce, la Justice incréée et vivante faisait déjà une trouée dans leurs ténèbres! Devant la coalition des ténèbres actuelles, la même trouée n’est-elle pas à refaire? La justice doit aider la vérité et l’amour dans leurs brillantes campagnes militaires, et c’est par cette annonce du jugement de Dieu qu’elle manifestera sa coopération, nette, irréprochable, décisive. Hommes de Dieu, criez sur les toits que le jugement dernier approche!

II

Mais pourquoi ce recours au jugement général? Pour plusieurs raisons: D’abord, parce que les mauvais redoutent l’annonce et l’étalage de leur défaite. Or, le jugement dernier sera l’exposition éclatante des perfidies et des oppressions du mal, et la revanche des opprimés. Déjà, pour n’importe qui, la pensée du jugement dernier est terrifiante. Afin de s’exciter à commettre le crime, on cherche à s’étourdir, à oublier cette séance redoutable où il faudra, bon gré mal gré, apporter tous ses actes en évidence; à oublier ce rendez-vous de tous les yeux et de tous les regards. Aussi, quelle est la tactique de la malice contemporaine? Mettant à profit ce penchant coupable à s’étourdir, elle s’applique, par des moyens pleins d’astuce, à faire oublier les grandes vérités, pour mieux réussir à entraîner les âmes et les populations dans l’erreur et dans le désordre. Voilà pourquoi il faut reprendre l’avantage en ayant recours aux grandes vérités, particulièrement à celle du jugement général. La sainte Écriture autorise cette courageuse conduite par le chapitre cinquième du Livre de la Sagesse dont le titre est: Différence entre le sort des hommes pieux et celui des impies lors du jugement du monde; saisissantes en sont les images et les expressions: Alors les justes s’élèveront avec une grande hardiesse contre ceux qui les auront accablés d’affliction, et qui leur auront ravi le fruit de leurs travaux. Les méchants, à cette vue, seront saisis de trouble, et d’une horrible frayeur; ils seront surpris d’étonnement en voyant tout d’un coup, contre leur attente, les justes sauvés de leurs mains. Ils diront en eux-mêmes dans le serrement de leur cœur: Ce sont ceux-là qui ont été autrefois l’objet de nos railleries, et que nous donnions pour exemple de personnes dignes de toutes sortes d’opprobres. Insensés que nous étions! leur vie nous paraissait une folie, et leur mort, honteuse; Cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu et leur partage est avec les saints. Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité; la lumière de la justice n’a point lui pour nous, et le soleil de l’intelligence ne s’est point levé sur nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et de la perdition; nous avons marché dans des chemins âpres, et nous avons ignoré la voie du seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil? Qu’avons-nous retiré de la vaine ostentation de nos richesses? Toutes choses sont passées comme l’ombre, ou comme un courrier qui se hâte;

Ou comme un vaisseau qui fend les flots agités, dont on ne trouve point de trace après qu’il est passé, et qui n’imprime sur les flots nulle marque de sa route; Ou comme un oiseau qui vole au travers de l’air, sans qu’on puisse remarquer par où il passe: on n’entend que le bruit de ses ailes qui frappent l’air, et qui le divisent avec effort; et après qu’en les remuant il a achevé son vol, on ne trouve plus aucune trace de son passage; Ou comme une flèche qui est lancée vers son but, l’air qu’elle divise se rejoint aussitôt, sans qu’on reconnaisse par où elle est passée. Ainsi nous ne sommes pas plus tôt nés que nous avons cessé d’être. Nous n’avons pu montrer en nous aucune trace de vertu, et nous avons été consumés par notre malice. Voilà ce que les pécheurs diront… Alors le Seigneur armera ses créatures pour se venger de ses ennemis; il aiguisera sa colère inflexible comme une lance, et tout l’univers combattra avec lui contre les insensés. Ce chapitre doit inspirer le courage des hommes de Dieu et des opprimés. On domine n’importe quelle arrogance avec cette idée formidable: nous comparaîtrons tous devant un juste Juge, il y a un jugement général. Les fronts les plus impudiques comme les plus plus altiers se courbent devant ce rappel à l’ordre: à l’ordre universel! Autrefois, quand les peuples souffraient trop, la conscience révoltée et fière disait au tyran: Je vous cite et vous attends au tribunal de Dieu! Cette pensée n’a rien perdu de sa force. Malgré ses ricanements effrontés, l’impiété se troublerait si on lui disait avec fermeté des paroles comme celles-ci: «Au jugement dernier, la mère qui t’a enfanté aura horreur de toi…» – «Au jugement dernier, ces petits enfants dont tu cherches à tuer l’âme se lèveront tous ensemble contre toi: il vaudra mieux alors pour toi avoir une meule au cou et être précipité dans les flots du plus noir abîme que d’avoir à supporter leurs reproches et leur vengeance.» Donc, avec cette lumineuse et vibrante annonce, on déconcertera l’impiété.

III

Autre raison qui a encore plus de poids par cette annonce, on ramènera dans les voies du salut les âmes égarées, et l’on maintiendra dans le droit chemin les âmes chancelantes. Entraîner dans l’abîme les âmes – les emporter au ciel: c’est la grande bataille des siècles. Au profit de l’abîme, d’innombrables perfidies sont mises en oeuvre; des suggestions et des dissimulations de toutes sortes séduisent, entraînent et font tomber les pauvres âmes en les trompant. En faveur du ciel, des cris sublimes d’amour et d’alarme sillonnent les espaces; ils avertissent les âmes, et les font se décider pour la patrie éternelle. Or, de tous les avertissements, nul ne vaut celui du jugement général, alors qu’en présence des mondes et des siècles rassemblés et attentifs sera à jamais fixé le sort de chacun. Les âmes sont frappées par des pensées comme celles-ci, véritables traits de feu: Quand le ciel est gagné, tout est gagné; quand il est perdu, tout est perdu! Quel cri de joie, lorsque l’âme viendra s’unir à son corps glorifié, à ce corps qui ne sera plus pour elle un instrument de péché ni une cause de souffrances! «Elle se roulera dans le baume de l’amour, comme l’abeille se roule dans les fleurs… Voilà l’âme embaumée pour l’éternité!…» Quels hurlements de honte et de douleur, quand les damnés seront contraints d’exposer à la face de l’univers leurs corps avec toutes ses laideurs! Ils invoqueront la chute des montagnes et des collines: «Tombez sur nous! couvrez-nous!» Ces cris de joie, ces hurlements, les auditoires les entendent déjà, et ils réfléchissent. N’hésitez donc pas à les rappeler, à les annoncer, ô porteurs de la parole de Dieu. Saint Éphrem, prêchant sur ce sujet, disait à ses auditeurs: «Un coup de tonnerre vous épouvante aujourd’hui; comment pourrez-vous soutenir le son de cette trompette qui ressuscitera les morts?» Après avoir dit ces paroles, le saint se mit à fondre en larmes; tremblant, il ne voulait plus continuer. «Apprenez-nous, cria alors l’auditoire, les choses effrayantes qui arriveront ensuite.» – Et le serviteur de Dieu, après avoir exposé les choses effrayantes qu’on lui demandait et que la Religion enseigne, termina par cette apostrophe déchirante: «Alors les hommes seront séparés pour toujours les uns des autres, les époux de leurs épouses, les enfants de leurs parents, les amis de leurs amis… La séparation faite, les princes, les philosophes, les sages du monde crieront aux élus, avec larmes: «Adieu pour toujours, saints et serviteurs de Dieu! Adieu, Vierge sainte, mère du Sauveur; vous priâtes pour notre salut, mais nous ne voulûmes pas nous sauver! Adieu, Croix vivifiante! adieu, paradis de délices, royaume éternel, Jérusalem céleste! Adieu, vous tous, nous ne nous reverrons plus; nous voilà plongés dans un abîme de tourments qui ne finiront jamais.» Cette scène des adieux n’émeut-elle pas profondément? Quelle efficacité n’a-t-elle pas pour remuer et ramener les âmes? Et la description de l’éternité, qui suit la sentence, n’a-t-elle pas toujours obtenu de consolants résultats, même auprès des auditoires les plus difficiles et des cœurs les plus endurcis? Le fameux balancier du Père Bridaine a glacé plus d’un plaisir coupable, et fait renoncer avec effroi à des minutes de volupté qu’on paye si cher! «Savez-vous ce que c’est que l’éternité? s’écriait l’éloquent missionnaire; c’est un pendule dont le mouvement dit et redit sans cesse ces deux mots seulement, dans le silence des tombeaux: «Toujours! Jamais! – Jamais! toujours! toujours souffrir! jamais finir!» Pendant ces effroyables révolutions, la voix d’un réprouvé demande: «Quelle heure est-il?» Et du fond des Enfers retentit cette réponse: L’éternité! Et le balancier continue son bruit monotone: toujours! jamais! toujours souffrir! jamais finir!» Le Père Lejeune employait fréquemment, sur l’éternité, une comparaison qui, entendue une fois, ne s’oubliait plus: «Supposons, disait-il, que l’église où je parle soit pleine de grains de millet; c’est trop peu dire: supposons que toutes vos caves, vos greniers et vos granges en soient pleines; c’est trop peu dire: supposons que tout le vide qui s’étend entre le ciel et la terre soit rempli de grains de millet, et que Dieu dise à une âme damnée: «Je vous veux faire une grâce; de cent mille ans en cent mille ans, un oiseau mangera un de ces grains; et quand il aura tout consommé, je vous retirerai de l’enfer.» À cette annonce, le damné tressaillerait, et l’espérance rentrant dans son cœur lui ferait supporter ses supplices. Mais non, il n’y a plus d’espérance: après des milliards et des milliards d’années, après que tous ces grains de millet auraient disparu, enlevés un à un tous les cent mille ans, l’éternité ne sera que commencée; toujours! jamais! toujours souffrir! jamais finir!» C’est avec ces fortes images qui, encore, sont inférieures à la réalité (tant l’éternité malheureuse est épouvantable!) que les Éphrem, les Vincent Ferrier, les Bridaine, les Lejeune, combattaient les vices de leur temps, subjuguaient les pécheurs, et peuplaient le ciel. Porteurs de la parole de Dieu, plus que jamais, employez-les!

IV

Tous ces bons effets que nous venons de décrire sont tellement vrais, tellement prévus, que, pour empêcher leur production et mieux réussir dans le naufrage des âmes, l’impiété cruelle a adopté l’infernal projet de rayer de l’esprit des populations la croyance au jugement général. Repousser, éloigner cette pensée comme importune, a toujours été une des habitudes du plaisir mondain: c’est dans son essence, dans sa légèreté et sa folie qui ne cherchent qu’à s’étourdir. Couronnons-nous de roses, avant qu’elles se flétrissent! plainte éternellement renaissante et alarmée de la jouissance mondaine! On n’aime ni la pensée de la mort, ni celle de l’éternité, ni la théologie parce qu’elle en est pleine, ni l’Église parce qu’elle les prêche. Ces craintes et répulsions des grandes vérités ont été de tous les temps. Mais ce qui ne s’était pas encore vu, c’est l’acheminement à une négation sociale de l’éternité et du jugement. La négation de l’Éternité par le temps, de la Toute-Puissance par la poussière, du Juge par les coupables: voilà l’effrayante entreprise contemporaine, propagée de sang-froid, et accueillie avec frénésie. On dirait que les ténèbres, redoutant l’approche du grand jour de clôture où elles seront refoulées et enfermées à jamais dans l’abîme, s’en donnent à cœur joie avant leur éternel emprisonnement! Les graves enseignements de l’Évangile laissent entrevoir que ce sera là, en effet, l’erreur des derniers temps. On niera le jugement, on niera le Juge. Le Christ, puis les Apôtres, n’ont-ils pas prédit que le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit, c’est-à-dire se présentera furtivement, sans qu’on l’attende? On n’attend pas un voleur. Actuellement encore, le jugement est attendu: que de bons chrétiens, que de communautés, que de diocèses vivent avec cette foi, avec cette préparation, Dieu en soit béni! Mais cette terrible expression «comme un voleur», employée pour l’arrivée du jugement par le Christ lui-même, puis par saint Pierre et par saint Paul, donne à penser qu’à l’époque où il viendra on ne s’en occupera nullement, on ne songera même pas qu’il puisse avoir lieu: l’attente en aura été rayée de l’esprit des populations par l’apostasie. Hélas! la société ne s’achemine-t-elle pas vers cette lugubre période, par les théories, mises en pratique, d’athéisme gouvernemental et les encouragements prodigués aux libres penseurs? Le triomphe de ces théories néfastes et de ces encouragements perfides menace d’être tel, que saint Pierre, franchissant avec l’esprit de Dieu les successions de la durée, a pu dire, pour nous mettre en garde: «Sachez qu’aux derniers temps il viendra des imposteurs qui diront: Qu’est devenue la promesse de son avènement?» Si l’on pèse bien ces graves paroles, on conviendra que la croyance au jugement pourra être tellement enterrée auprès de certaines populations, que d’effroyables fossoyeurs demanderont avec ironie: «Eh bien, il ne vient donc pas, ce Juge des vivants et des morts? On lui a crié autrefois: Descends de la croix, et il n’est pas descendu; nous lui crions maintenant: Reviens pour nous juger, puisque tu as annoncé que tu reviendrais… et malgré notre défi, il ne revient pas!»

Jusqu’aux signes de l’approche du jugement qui trouveront insensibles ces apostats endurcis! L’Évangile, en effet, n’annonce-t-il pas qu’il y aura des signes avant-coureurs? Oui, vraiment, il y en aura, et de formidables. La bouche de la Vérité éternelle les a, elle-même, précisés: Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles; et sur la terre, toutes les nations seront dans l’épouvante et la consternation, voyant ce désordre de la nature, et entendant l’horrible mugissement des flots de la mer; et les hommes sécheront de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver dans tout l’univers. Voilà cette prédiction des signes. Mais voici, en opposition, la perfide préparation de l’impiété: L’impiété compte sur la science pour expliquer et atténuer l’effet de ces signes auprès des populations. La science, aujourd’hui, est éblouissante dans ses investigations et ses résultats; les hommes ne voient plus qu’elle; et il est à craindre qu’on ne l’emploie à expliquer les signes qui doivent précéder le jugement; on se tranquillisera, et l’on tranquillisera les autres, en démontrant la cause scientifique des fléaux et des bouleversements, sans se préoccuper aucunement de ce qu’ils annoncent. Les hommes doivent sécher de frayeur: mais quels hommes? Les bons, répond saint Thomas d’Aquin; car la foi leur fera comprendre l’imminence de la grande catastrophe; quant aux méchants, ils diront: Nous voici en sûreté, et tout à coup ils seront surpris. Il faut bien que cette gigantesque tromperie scientifique ne réussisse que trop à faire des dupes, pour que le Voyant des siècles, le Christ, ait ajouté: Ce dernier jour enveloppera comme un filet tous ceux qui habitent sur la surface de la terre. Quelle n’est pas la rapidité, et aussi la surprise, d’un coup de filet sur des oiseaux captifs? Ainsi en sera-t-il du jugement dernier.

Il suit de toutes ces explications qu’une terrible négation du jugement général se prépare: à nous donc, soldats du Christ, de prendre vigoureusement l’offensive contre cet horizon noir et d’être les clairons de l’éternité. C’est précisément à propos du jugement général que saint Paul a poussé ce cri d’alarme et de combat, du côté des chrétiens: Quant à vous, vous n’êtes pas dans les ténèbres, en sorte que ce jour puisse vous surprendre comme un voleur; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour. Par conséquent, à l’assaut des ténèbres, fils du jour! à l’assaut, pour les écarter et les empêcher d’envelopper, comme un filet, les pauvres âmes! Prédication superbe du jugement, affirmation catégorique du feu de l’enfer, emploi des figures et des comparaisons qui saisissent le peuple, voilà votre arc, voilà vos flèches! Ne pas craindre d’avertir, d’effrayer, de tonner; un seul écueil à éviter: annoncer la venue de l’Antéchrist et fixer une date pour le jugement dernier; l’Église le défend expressément. Mais, cet écueil évité, parlez librement, attaquez fortement les adversaires du jour du Seigneur, confondez-les et arrachez-leur les âmes. Vive Dieu! alors même que les ténèbres s’épaissiraient au point de cacher, comme par un rideau, l’éternité, nous fendrions et repousserions à droite et à gauche le rideau de ténèbres, pour qu’on aperçoive toujours les cieux où le Juge doit apparaître!

V

L’honneur à rendre au Juge est, en effet, un dernier motif prépondérant pour que nous attaquions vivement les hommes de mal. Les juifs aveugles se sont moqués de la Croix du Christ dans son premier avènement; des chrétiens apostats se moquent de son Tribunal annoncé pour le second avènement, et ils expulsent le juge: aggravation! On se sent tout glacé d’épouvante à la vue de cette scélérate entreprise; mais l’honneur du souverain Juge des vivants et des morts commande que, passant de la glace au feu, nous combattions cette folie et préparions le monde aux solennelles assises et à la redoutable présidence qui l’attendent. Malheureux! devons-nous dire aux expulseurs, on sollicite un juge, on le supplie, on met tout en œuvre pour se le rendre favorable; mais vous, agissant contre le bon sens, vous le congédiez, vous le chassez! Il y avait déjà une malice effroyable à braver les lois de Dieu: c’était l’ancienne iniquité; mais vous, inventant une iniquité moderne, vous faites des lois contre Dieu! Malheureux! vous arrachez sa croix des cimetières, et c’est Lui qui ouvrira vos tombeaux; et vous retrouverez sa Croix face à face, elle seule subsistant du monde disparu, pour être la règle du jugement. Vous êtes fous, mais nous préserverons le monde de votre trop dangereuse folie! Et alors, porteurs de la parole de Dieu, exposez largement, grandement, ce que vous avez appris de l’Église et des Écritures sur le choix du souverain Juge. Jésus-Christ juge des vivants et des morts: c’est le chef-d’œuvre du plan divin.

En effet, voici deux hypothèses: L’une qui met à la tête du jugement universel, pour le redressement des torts de tous les âges, un Dieu (cela va sans dire), un être souverainement éclairé et juste, mais qui a toujours été heureux et qui sort de sa félicité pour la déclaration des éternelles récompenses et des éternelles douleurs; L’autre hypothèse, qui met également à la tête du jugement universel un Dieu, mais dont le bonheur n’aurait pas été l’unique vie, qui aurait connu aussi les larmes, les sanglots, l’injustice poignante, et qui n’aurait précisément acquis la présidence de ce grand triomphe du jugement et de la justice que parce que lui-même aurait combattu et souffert pour la justice! De ces deux hypothèses, laquelle l’emporte? La seconde évidemment, et de beaucoup. Or, la Révélation chrétienne nous apprend qu’elle est devenue une vérité de la Religion: C’est le condamné de Jérusalem qui jugera les vivants et les morts! Et, en cela, il y a du sublime redoutable: Du sublime d’abord, parce que le concept du triomphe de la justice est agrandi; la justice n’éclatera plus seulement dans les hommes à juger, dans les générations humaines rassemblées au pied du tribunal, mais dans la personne du Juge lui-même. De toute la hauteur de sa félicité de Fils de Dieu, le Christ avait baissé sa tête jusqu’à boire, ployé en deux par la douleur, dans le torrent de la justice de Dieu gonflé par nos crimes, jusqu’à épuiser, de ses lèvres décolorées, le calice des humiliations et des souffrances; c’est pourquoi il relève, au dernier jour, sa tête dans les nuées éclatantes, et ses lèvres vont prononcer la sentence universelle: c’est sublime! Mais ce sublime est redoutable: parce que, devant l’innocent qui fut injustement jugé et condamné et qui est devenu juge à son tour, l’injustice se sentira éperdue, et la volupté et l’orgueil seront sans voix.

Ce sublime redoutable, le Judaïsme antique l’avait entrevu. Le prophète d’Israël qui donne la main à saint Jean pour tracer avec lui les grandes lignes apocalyptiques de l’histoire du monde, Daniel, a eu cette vision sur les bords de l’Euphrate: «La première année de Balthazar, roi de Babylone, moi Daniel, j’eus une vision pendant la nuit. Des trônes furent placés, et l’Ancien des jours s’assit. Son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme la laine la plus blanche et la plus pure. Son trône était des flammes ardentes, et un fleuve de feu rapide sortait de devant sa face. Un million d’anges le servaient, et mille millions assistaient devant lui. Le jugement se tint, et les livres furent ouverts. Et je considérais attentivement ces choses, lorsque je vis comme le Fils de l’homme qui venait avec les nuées du ciel, et qui s’avança jusqu’à l’Ancien des jours. Et l’Ancien des jours lui donna la puissance, l’honneur et le royaume.» Ô vision mystérieuse, apparue à Daniel au bord de l’Euphrate, tu as trouvé ton explication dans ces paroles solennelles prononcées au bord d’un autre fleuve, du Cédron (torrent des douleurs où le Christ a bu, et c’est pourquoi il relèvera la tête): Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils le pouvoir de nous juger tous. Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme. Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa majesté accompagné de tous les anges, alors il s’assiéra sur le trône de sa gloire; et toutes les nations seront assemblées devant lui. Elle reparaîtra donc, visible et souveraine, cette chair innocente qui a été crucifiée à midi du Vendredi Saint, cette tête que tous les siècles et toutes les générations auront couronnée d’épines; elle reparaîtra avec toutes ses plaies, mais qui brilleront d’un si vif éclat que les astres pâliront devant leur clarté: et ainsi le condamné de Jérusalem sera seul juge des vivants et des morts. Le voici qui vient sur les nuées, disait déjà, en employant le présent, saint Jean, écrivant ses extases de Patmos. N’en doutons pas, sa venue est certaine, prochaine. Ô expulseurs, comment supporterez-vous son retour? Le voici!…

VI

Quand cette venue auguste sera sur le point de se faire, il y aura, avons-nous dit plus haut d’après l’Évangile, des signes dans le soleil, dans la lune, dans les étoiles, parce que, comme enseigne excellemment saint Thomas d’Aquin, il appartient à la dignité de la puissance judiciaire d’avoir certaines marques qui la précèdent, pour inspirer du respect et de la soumission. Beaucoup de signes avertiront donc les hommes de l’arrivée de leur Juge. Participez, ô porteurs de la parole de Dieu, à la glorieuse et suprême mission d’être signes qui sera donnée au soleil, à la lune, aux étoiles, en étant vous-mêmes des hérauts célestes, des crieurs infatigables de l’arrivée du Seigneur pour son jugement. Mais un signe étonnant, quoique prédit, vous aidera: des tombeaux doivent s’ouvrir, et des hérauts inattendus viendront aider votre courageuse prédication. Quels tombeaux s’ouvriront? quels messagers doivent en sortir? Les morts de la maison d’Israël! Résurrection spirituelle, signe avant-coureur de la résurrection générale des corps et du jugement dernier! Il est marqué, en effet, dans les desseins de Dieu, et inscrit dans la Bible, que le peuple du commencement doit reparaître à la consommation, et que, contradicteur du Christ à son premier avènement, il réparera sa faute en étant le préparateur de son second avènement. Ne faites pas trop attention aux richesses fabuleuses et fallacieuses de ce peuple, ô fils des Nations, c’est un trompe-l’oeil; mais faites attention à son rôle final qui se prépare. Présentement, le peuple juif secoue, comme un mort qui sort de son sépulcre, la poussière de cinquante siècles; il écarte son linceul, et reprenant en tous lieux des droits civils, il reparaît dans la société, et semble dire par le seul fait de sa réapparition: «Regardez-nous, nous sommes les morts de l’ancienne Alliance!» Le champ des ossements aperçu par Ézéchiel s’agite comme un champ d’épis traversé par le vent, et toute une armée de trépassés travaille à se dresser sur ses pieds.

Qu’est-ce qu’ils vous diront, lorsque convertis par le saint prophète Élie, général en réserve de ce peuple ressuscité, ils brûleront de son zèle; qu’est-ce qu’ils vous diront? Avant tout, ils reconnaîtront combien bon et miséricordieux est Jésus-Christ; ils proclameront qu’il est Dieu, et qu’ils sont inconsolables de l’aimer si tard! Mais ils vous diront aussi que ce Jésus devient la pierre écrasante, lorsqu’on a le malheur de le méconnaître comme pierre angulaire; ils vous tiendront ce langage: «Ne vous exposez pas à être écrasés par sa majesté au dernier jour qui approche: on ne revient pas de ses coups. Vous savez ce que nous avions fait: nous l’avions méconnu et crucifié, et soudain la Pierre est tombée sur nous, mettant en poudre notre Temple et éparpillant au loin toutes nos tribus. Vingt siècles nous ont vus tenter l’impossible pour relever et rétablir notre nationalité: inutiles efforts, la Pierre nous tenait à terre!… Mais si nous avons été ainsi écrasés alors que le Christ était invisible, quel ne sera pas l’écrasement des mauvais, lorsqu’il se montrera à découvert au jour de l’éclat de sa puissance. Ne vous y exposez pas: il suffit que nous ayons connu le poids de sa majesté.» Voilà ce qu’ils vous diront: écoutez-les alors, ô fils des Nations, ils seront des témoins sincères!

Et c’est là le rôle qui t’attend, ô peuple miraculeusement conservé contre la mort. N’achève pas les derniers jours de ta prodigieuse existence dans la recherche de l’or, poussière qui t’a si longtemps aveuglé! Mais, humble et volontairement pauvre, va par les chemins, clocheteur du monde qui va finir! – Des anciennes coutumes du moyen âge, subsistait encore, à la fin du xviie siècle, la fonction du clocheteur des trépassés: il précédait les cortèges funèbres, ayant à la main une sonnette qu’il agitait lentement. – Acceptez ce rôle, ô restes de l’ancien peuple de Dieu, à l’heure de votre transformation sous le coup de la grâce; et, clocheteurs des derniers jours du monde, annoncez aux humains, en tous lieux: «Préparez-vous, voici le Juge des vivants et des morts!»

VII

«C’est Lui!» s’écrieront toutes les générations humaines rappelées de la poussière, et rassemblées dans la vallée de Josaphat; et à la vue de la nuée éclatante qui ramènera le Christ sur le mont des Oliviers tout genou fléchira. Toutes les nations depuis le commencement des siècles seront prosternées. Ce sera l’épilogue. En tête du livre du monde, c’est du Christ qu’il avait été question: Il est écrit de moi dans le rouleau du livre; et à l’épilogue, il sera universellement reconnu que le Christ était véritablement caché sous toutes les syllabes et dans tous les événements de ce grand livre du monde; qu’il y palpitait comme le cœur dans le corps humain; et qu’il a été le nœud de l’histoire, et le roi des siècles! «C’est Lui!» Plus éclatant que la nuée, pourtant si éclatante, qui doit le ramener, resplendira le plan divin du Père Tout-Puissant par rapport à son Christ. Il avait fait descendre le Verbe des sommets de son infinie grandeur, jusqu’à le laisser devenir le dernier des hommes; et à ce dernier des hommes, voici qu’il a fait ensuite parcourir la même route en sens contraire, jusqu’à l’asseoir à sa droite et à l’établir juge des vivants et des morts. Quelle route! Il y aura alors un immense et définitif chant d’amour: «Le Christ est vainqueur!» Et il y aura un immense et définitif cri de rage: «Tu as vaincu, Galiléen!» La vallée de Josaphat signifie vallée du jugement car Josaphat, en hébreu, veut dire jugement de Dieu. Le mont des Oliviers la domine. Et lorsque le Fils de l’homme aura apparu au sommet du mont des Oliviers comme sur un trône, dans cette vallée se tiendront les dernières assises du genre humain. L’annonce en est formelle: Je rassemblerai, dit le Seigneur dans le prophète Joël, toutes les nations dans la vallée de Josaphat, et j’entrerai en jugement avec elles dans cet endroit.

Qu’importe et que fait à la toute-puissance de Dieu, l’étroitesse de la vallée, à l’occasion de laquelle l’incrédulité cherche à se rassurer? Est-ce que l’univers n’aura pas été, avant qu’ait lieu le jugement général, purifié et transformé par le feu? Le feu marchera devant sa face, et l’embrasement du monde précédera la résurrection des corps et le jugement de Dieu. Est-ce que l’Éternel, fendant par le milieu le mont des Oliviers, ne peut pas dire à une moitié de la montagne: Retire-toi vers l’aquilon, et à l’autre moitié: Retire-toi vers le midi; et la vallée de Josaphat, se dilatant et s’élargissant sous le doigt de Dieu, ne deviendrait-elle pas assez vaste pour contenir toutes les générations de la terre? Aussi la grave théologie de saint Thomas d’Aquin, ne s’arrêtant pas à ces objections puériles, conclut de la sorte: Comme le Christ est monté au ciel sur la montagne des Oliviers, il est probable que c’est dans ce lieu qu’il descendra, pour montrer que Celui qui descend est le même que Celui qui est monté. C’est donc cette vallée redoutable qui sera inondée de la majesté de Celui qui avait été percé de plaies; elle aura, sur un de ses bords, le Calvaire avec l’écho de cette parole: J’ai étendu mes bras tout le long du jour; et sur l’autre bord, le mont des Oliviers avec l’écho de cette autre parole: Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Alors s’opéreront la reconnaissance et la séparation définitives des enfants de lumière et des fils de ténèbres. Les enfants de lumière apparaîtront avec leurs auréoles et dans l’éclat de toute leur beauté; Les fils de ténèbres seront contraints d’être visibles avec l’horreur de leurs ignominies.

Des rangs de ces réprouvés sortira cette clameur: Pourquoi nous as-tu créés? et, la bonté de Dieu se découvrant à côté de sa justice, ils ajouteront, à cette vue: C’est vrai, nous pouvions être heureux!… Et des rangs des justes, sortira ce cri éternel de reconnaissance: En couronnant nos mérites, Seigneur, vous couronnez vos dons!

Ô vallée de Josaphat, sois-moi favorable! ma main, en traçant ces dernières lignes, s’étend vers toi et te bénit au loin… Sois-moi favorable, ô vallée redoutable, après tant de fautes sur lesquelles le sang de Jésus-Christ a coulé! sois favorable à mon bon frère; à tous ceux que j’ai connus et aimés ici-bas; et à tous ceux aussi qui auront profité de ce livre! Lorsqu’au jour du rassemblement en toi nous nous retrouverons, puissions-nous, phalange heureuse d’enfants de lumière, être dirigés par nos bons anges vers la droite de l’Homme-Dieu! Les uns, parmi nous, auront aimé et servi publiquement Jésus-Christ; les autres l’auront reconnu et servi, mais en demeurant cachés, secrètement dans son Cœur: tous auront été l’objet de ses miséricordes.

FIN


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