ENTRETIENS et LETTRES
du
FRERE LAURENT

SUR
LA PRESENCE DE DIEU


PRESENTATION (*)


L’auteur de ces Lettres est Nicolas Hermann de Lorraine, le "Frère Laurent" des Carmes Déchaussés, à Paris.

Le premier éditeur, n’ayant pas retrouvé l’original de ces Lettres, les traduisit d’après une version anglaise. De là le texte ici reproduit.

Les Entretiens paraissent avoir été conservés par M. Beaufort, grand Vicaire de l’Evêque de Chalons, sur la recommandation duquel ils firent publiés. (C’est le Cardinal de Noailles, devenu archevêque de Paris en 1695). Les Entretiens sont réimprimés d’après une édition de 1694, qui existe à la Bibliothèque Nationale de Paris.

(*) Ces textes sont reproduits d'après une plaquette (non datée) publiée par "Les VEILLEURS" Tiers Ordre Protestant


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ENTRETIENS


Premier entretien


La première : fois que je vis le frère Laurent, il me dit que Dieu lui avait fait que, grâce singulière dans sa conversion, étant encore dans le monde âgé de dix-huit ans. Qu'un jour, en hiver regardant un arbre dépouillé de ses feuilles, et considérant que quelque temps après ces feuilles paraîtraient de nouveau, puis des fleurs et des fruits, il reçut une haute vue de la providence et de la puissance de Dieu, qui ne s'est jamais effacée de son âme : que cette vue le détacha entièrement du monde, et lui donna un tel amour pour Dieu qu'il pouvait dire s'il était augmenté, depuis plus de quarante ans qu'il avait reçu cette grâce.

Qu'il avait été laquais de. M. De Fieubert, le trésorier de l'Epargne, et était un gros lourdaud qui cassait tout. Qu'il avait demande d'entrer en religion, croyant qu'on l'écorcherait pour les lourdises et fautes qu'il y ferait, et par la sacrifier à Dieu sa vie et tout son plaisir, mais que Dieu l'avait trompé, n'y ayant rencontré que de la satisfaction.

Qu'il f allait se donner entièrement et en pur abandon à Dieu, pour le temporel et le spirituel, et prendre son contentement dans l'exécution de sa volonté, soit qu'il nous conduisit par les souffrances ou par les consolations ; que tout devait être égal a celui qui était vraiment abandonné. Qu'il fallait de la fidélité dans les aridités et dans les froideurs de l'âme, par où Dieu éprouvait notre amour pour lui.

Que c'était là ou nous faisions les bons actes de résignation et d'abandon, dont un seul faisait souvent faire beaucoup de chemin.

Que pour arriver à s'abandonner à Dieu autant qu'Il le désirait de nous, il fallait veiller attentivement sur tous les mouvements. De l'âme qui se mêlent aussi bien aux choses spirituelles qu'aux plus grossières ; que Dieu donnait lumière pour cela a ceux qui avaient le véritable désir d'être à lui, que si j'avais ce dessein, je pouvais le demander quand je voudrais, sans crainte de l'importuner, que sans cela je ne devais point Le venir voir.

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Deuxième Entretien


Qu'il s'était toujours gouverné par amour, sans préoccupation personnelle. Mais qu'ayant pris pour fin de toutes ses actions de les faire toutes pour l'amour de Dieu il s'en était bien trouvé. Qu'il était content quand il pouvait lever de terre une paille pour l'amour de Dieu, le cherchant Lui seul purement et non pas autre chose, non pas même ses dons.

Qu'il avait eu une très grande peine d 'esprit, croyant certainement qu'il était damné ; que tous les hommes du monde ne lui auraient pu ôter cette opinion, mais qu'il avait sur cela raisonné en cette manière : Je ne suis venu en religion que pour l'amour de Dieu, je n'ai taché à agir que pour Lui : que je sois damné ou sauvé, je veux toujours continuer à agir purement pour l'amour de Dieu. J'aurai au moins cela de bon, que jusqu'à la mort je ferai ce qui sera en moi pour l'aimer. "

Que cette peine lui avait duré quatre ans pendant lesquels il avait beaucoup souffert. Mais qu'enfin il avait vu que cette peine venait d'un manque de foi, et que depuis lors il avait vécu dans une parfaite liberté et une joie continuelle ; qu'il mettait ses péchés entre Dieu et lui, comme pour lui dire qu'il ne méritait pas ses grâces, mais que cela n'empêchait pas Dieu de l'en combler.

Qu'il fallait dans le commencement se former l'habitude de converser continuellement avec Dieu, de lui rapporter tout ce que l'on faisait ; mais qu'après un peu de soin on se sentait réveillé par Son amour sans aucune peine.

Qu'il s'attendait bien qu'après le bon temps que Dieu lui donnait, il aurait son tour et sa part des peines et des souffrances; mais qu'il ne s'en mettait pas en peine, sachant bien que, ne pouvant rien par lui-même, Dieu ne manquerait pas de lui donner la force de les supporter.

Qu'il s'adressait toujours a Dieu quand il se présentait quelque vertu à pratiquer, en lui disant : a mon Dieu, je ne saurais faire cela si vous ne me le faites faire et qu'il lui donnait aussitôt de la force et au delà.

Que quand il avait manqué il ne faisait autre chose que d'avouer sa faute, et dire à Dieu: " Je ne ferai jamais autre chose, si vous me laissez faire ; puisque je suis absolument décidé à vous suivre c'est à Vous à m'empêcher de tomber et à corriger ce qui n'est pas bien " Qu'après cela il ne se mettait point en peine de sa faute, assuré qu'il était du pardon de Dieu.

Qu'il fallait agir très simplement avec Dieu et lui parler bonnement, en lui demandant secours dans les choses à mesure qu'elles arrivaient, que Dieu ne manquait pas de le donner, et qu'il l'avait souvent éprouvé.

Qu'on lui avait dit depuis peu de jours d 'aller faire la provision du vin de Bourgogne, ce qui lui était fort pénible, parce qu'outre qu'il n'avait point d'adresse pour les affaires, il était estropié d'une jambe et ne pouvait marcher sur le bateau qu'en se roulant sur les tonneaux, mais qu'il s'en mettait point en peine, non plus que de toute son emplette de vin ; qu'il disait à Dieu que c'était Son affaire, après quoi il trouvait que tout se faisait et se faisait bien.

Qu'il avait été envoyé en Auvergne l'année précédente pour la même chose qu'il ne peut dire comment la chose se fit, que ce ne fut point lui qui le fit et qu'elle se trouva fort bien faite.

De même en la cuisine, qui était sa plus grande aversion naturelle ; s'étant accoutumé a y tout faire pour l'amour de Dieu, et en lui demandant en toute occasion sa grâce pour faire son ouvrage, il y avait trouvé une très grande facilité pendant quinze ans qu'il y avait été occupé.

Qu'il était alors à la savaterie : ou étaient ses délices, mais qu'il était prêt à quitter cet emploi comme les autres, ne faisant que se réjouir partout en faisant de petites choses pour l'amour de Dieu

Que le temps de l'oraison n'était point pour lui différent d'un autre : qu'il faisait ses retraites quand le Père prieur lui disait de les faire, mais qu'il ne les désirait et ne les demandait pas. Son plus grand travail ne le détournant point de Dieu. Sachant qu'il fallait aimer Dieu en toutes choses et travaillant a s'acquitter de ce devoir; qu'il n'avait pas besoin de directeur, mais bien d'un confesseur pour recevoir l'absolution de ses fautes qu'il faisait. Qu'il était très sensible à ses fautes, mais ne se laissait pas décourager par elles, qu'il les avouait à Dieu et ne plaidait point contre Lui pour les excuser, mais qu'après, il rentrait en paix dans son exercice ordinaire d'amour et d'adoration.

Que dans ses peines il n'avait consulté personne ; mais qu'avec les lumières de la foi, sachant seulement que Dieu était présent, il se contentait d'agir pour lui, arrive ce que pourra, avec le seul désir de Lui plaire.

Que les pensées futiles gâtaient tout : que le mal commençait par là ; mais qu'il fallait être soigneux de les rejeter aussitôt que nous apercevons qu'elles étaient point nécessaires à notre occupation présente ou à notre salut, pour recommencer notre entretien avec Dieu où nous étions bien.

Qu'il avait souvent passé toute son oraison, dans les commencements à rejeter les pensées vaines et à y retomber : Qu'il n'avait jamais pu faire l'oraison par règle comme les autres ; que toutes les pénitences et autres exercices n'étaient utiles que dans la mesure ou ils servaient à amener l'union avec Dieu par amour : qu'après y avoir bien pensé, il avait trouve qu'il était encore plus court d’y aller tout droit par un exercice continuel d'amour, en faisant tout pour l'amour de Dieu.

Qu'il fallait faire une grande différence entre les actions de l'entendement et celles de la volonté, que les premières étaient : peu de chose, et les autres tant qu'il n'y avait : qu'à aimer et à se réjouir avec Dieu que quand nous ferions toutes les pénitences possibles, si elles étaient séparées de l'amour, elles ne serviraient pas à effacer un seul péché. Qu'il fallait en attendre la rémission du sang de Jésus-Christ, sans s'inquiéter, en travaillant seulement à l'aimer de tout son cœur : que Dieu semblait choisir ceux qui avaient été les plus grands pécheurs pour leur faire les plus grandes grâces, plutôt qu'à ceux qui étaient demeurés dans l'innocence, parce que cela montrait davantage sa bonté.


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Troisième Entretien


Il m'a dit que le fondement de la vie spirituelle en lui, avait été une haute idée et estime de Dieu en soi, laquelle ayant une fois bien conçue, il n'avait eu d'autre soin que de rejeter fidèlement dans le commencement toute autre pensée, pour faire toutes ses actions pour l'amour de Dieu. Que, à quelque fois un long temps sans y penser, il ne s’en troublait point. Mais qu’après avoir avoué à Dieu sa misère il en revenait avec d’autant plus de confiance à Dieu, qu’il se trouvait misérable de l’oublier.

Que la confiance que nous avions en Dieu l’honorait beaucoup, et nous attirait de grandes grâces.

Qu’il était impossible, non seulement que Dieu trompât, mais même qu'Il laissât longtemps souffrir une âme tout abandonnée à Lui, et résolue de tout endurer pour Lui. Qu'il était parvenu a n'avoir plus de pensée que de Dieu. Qu'il avait si souvent fait l'expérience du prompt secours de Dieu en toute occasion, que lorsqu'il avait quelque affaire extérieure, il n'y pensait point par avance, mais que dans le temps nécessaire à l'action, il trouvait en Dieu comme dans un clair miroir ce qu'il était nécessaire qu'il fit pour le temps présent Que depuis quelque temps, il avait agi de la sorte sans aucun soin anticipé ; qu'avant cette expérience du prompt secours de Dieu dans ses affaires, il y employait sa prévoyance, Qu'il était bien plus uni à Dieu dans ses occupations ordinaires, que quand il le quittait pour faire les exercices de la retraite.

Qu'il s'attendait d'avoir dans la suite quelque grande peine de corps ou d'esprit et que son pis aller était de perdre Dieu sensiblement qu'il possédait depuis si longtemps, mais que la bonté de Dieu l'assurait qu'Il ne le quitterait point absolument et qu'Il lui donnerait la force de supporter le mal Qu'il permettrait de lui arriver; avec cela il ne craignait rien et n’avait besoin de communiquer de son âme avec personne. Que quand il l'avait voulu faire, il en était toujours sorti plus embarrassé, et que, se sachant prêt à perdre sa vie pour l'amour de Dieu, il ne redoutait pas le danger; que l'abandon entier a Dieu était la voie sure et dans laquelle on avait toujours lumière pour se conduire.

Qu'il fallait être fidèle à agir et à se renoncer dans le commencement, mais qu’après cela il n'y avait plus que contentements indicibles. Que dans les difficultés il n'y avait qu’à recourir a Jésus Christ et lui demander Sa grâce, avec laquelle tout devenait facile.

Que l'on s’arrêtait aux pénitences et exercice particuliers, en laissant l'amour qui est la fin ; que cela se reconnaissait bien aux œuvres et était la cause de ce que l'on voyait si peu de vertu solide.

Qu'il ne fallait ni finesse ni science pour aller à Dieu, mais seulement un cœur résolu de ne s'appliquer qu'à Lui ou pour Lui et de n'aimer que Lui.


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Quatrième lettre


J’ai reçu aujourd’hui deux livres et une lettre de Sœur*** qui se prépare pour sa profession et qui désire à cette occasion les prières de votre Ordre et les vôtres en particulier. Je vois qu’elle compte beaucoup sur ces prières; je vous prie qu’elle ne soit pas désappointée. Demandez à Dieu qu’elle puisse faire ce sacrifice en vue de son amour seul et avec la ferme résolution de Lui être entièrement consacrée. Je vous enverrai un de ces livres qui traitent de la présence de Dieu, un sujet qui, dans mon opinion renferme toute la vie spirituelle et il me semble que quiconque pratiquera assidûment cette présence de Dieu deviendra bientôt spirituel.

Je sais que pour la bien pratiquer, le cœur doit être vide de toute autre chose, parce que Dieu veut posséder notre cœur seul. De même qu’il ne peut le posséder seul que si nous le vidons tout ce n’est pas lui, de même aussi Il ne peut agir et faire ce qu’il voudrait que si la place est laissée vacante pour Lui.

Il n’y a pas au monde de vie plus douce et plus délicieuse qu’une vie de conversation continuelle avec Dieu : ceux-la seuls la comprennent, qui la pratiquent et en font l’expérience. Néanmoins, je ne vous conseille pas de la choisir pour ce motif.

Ce n’est pas le plaisir que nous devons chercher, dans cet exercice; nous devons le faire par un principe d’amour et parce que Dieu désire nous avoir.

Si j’étais prédicateur, je prêcherais, par-dessus, tout, la pratique de la présence de Dieu; et si j’étais directeur, je la conseillerais à tout le monde, tant je la crois nécessaire et en même temps facile.

Ah ! si nous savions combien nous avons besoin de la grâce et de l’assistance de Dieu, nous ne Le perdrions jamais de vue pas même pour un instant. Croyez-moi prenez immédiatement une sainte et ferme résolution de ne jamais oublier Dieu volontairement, et de passer le reste de vos jours dans sa sainte présence, dépouillé, pour l’amour de Lui, s’Il le juge bon, de toute consolation.

Mettez-vous à l’oeuvre de tout votre coeur, et si vous le faites comme vous le devez, soyez assuré que vous en recevrez bientôt les effets. Je vous assisterai de mes prières, toutes misérables qu’elles soient. Je me recommande aux vôtres et à celles de votre Ordre, restant leur et, plus particulièrement,
Votre, etc.


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CINQUIEME LETTRE


J’ai reçu de Mme*** les objets que vous lui avez remis pour moi. Je m’étonne que vous ne me donniez pas vos pensées au sujet du petit livre que je vous ai envoyé et que vous devez avoir reçu Je vous prie, appliquez-vous à le mettre en pratique de tout votre; cœur dans vos vieux jours, il vaut mieux tard que jamais.

Je ne puis me représenter comment des personnes religieuses peuvent vivre satisfaites, sans la pratique de la présence de Dieu. Pour ma part, je vis retiré avec Lui dans le fond et le centre de mon âme autant que je le peux ; et tandis que je suis ainsi avec Lui, je ne crains rien ; mais le moindre écart loin de Lui m’est insupportable.

Cet exercice ne fatigue pas beaucoup le corps. Il est cependant bon de le priver quelquefois, même souvent, de tant de petits plaisirs, innocents, et légitimes en eux-mêmes, car Dieu ne permettra pas qu’une âme qui veut Lui être entièrement consacrée trouve d’autres plaisirs qu’en Lui; cela est plus que raisonnable.

Je ne veux pas dire pour cela que nous devions nous imposer une violente contrainte. Non, nous devons servir Dieu dans une sainte liberté, nous devons faire notre travail fidèlement, sans trouble ni inquiétude, ramenant doucement et tranquillement notre esprit à Dieu, quand nous la surprenons errant loin de Lui.
Il est cependant nécessaire de mettre notre entière confiance en Dieu et de nous défaire de tous soucis, même de quantité de formes particulières de dévotion, bonnes en elles-mêmes, mais dont on se charge souvent mal à propos puisqu’enfin ces dévotions ne sont que des moyens pour arriver à la fin. Si donc, par cet exercice de la présence de Dieu, nous sommes avec Celui qui est notre fin, il nous est inutile de retourner aux moyens; mais nous pouvons continuer avec Lui notre commerce d’amour, demeurant en Sa sainte présence tantôt par un acte de soumission et en toutes les manières que notre esprit pourra inventer.

Ne soyez pas découragé par la répugnance que vous pouvez rencontrer dans la chair ; vous devez vous faire violence à vous-même. Au premier abord on pense souvent que c’est du temps perdu ; mais vous devez continuer et être bien résolu à persévérer dans ces choses jusqu’à la mort, malgré toutes les difficultés qui peuvent surgir.

Je me recommande aux prières de votre Ordre et aux vôtres en particulier Je suis, en notre Seigneur
Votre, etc.


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Sixième lettre


Je vous plains beaucoup. Ce Sera une grande importance, si vous pouvez laisser le soin de vos affaires à *** et passer le reste de votre vie dans l’adoration de Dieu. Il ne demande pas de grandes choses de nous, simplement que vous vous souveniez de Lui, que vous L'adoriez, que vous Lui adressiez une prière pour obtenir sa grâce ; d’autres fois que vous Lui offriez vos souffrances, ou Lui rendiez grâces pour les faveurs qu’il vous a faites et qu’Il vous fait encore au milieu de vos troubles, que vous vous consoliez enfin auprès de Lui aussi souvent que vous le pouvez.

Elevez votre coeur vers Lui, même pendant vos repas et quand vous êtes en compagnie. Vous n’avez pas besoin de crier bien fort ; Il est plus près de nous que nous ne le pensons, ce n’est pas nécessaire d’être toujours à l'église pour être avec Dieu ; Nous pouvons faire de notre cœur un oratoire dans lequel nous nous retirons pour nous entretenir avec Lui dans la soumission, l’humilité et l'amour. Tout le monde peut avoir ces entretiens familiers avec Dieu, les uns plus, les autres moins ; Il sait ce dont nous sommes capables. Commençons donc. Peut-être qu'Il n'attend qu'une bonne résolution de notre part. Prenons courage. Nous n’avons que peu de temps à vivre encore, vous avez bientôt soixante quatre ans et j'en ai presque quatre-vingt. Vivons et mourons avec Dieu. Les souffrances nous seront douce et agréables si nous sommes; avec Lui, tandis que les plus grands plaisirs sans Lui seraient pour nous un cruel châtiment. Qu'Il soit béni pour tout ! Amen.

Habituez-vous ainsi peu à peu à L'adorer, à Lui demander Sa grâce, à Lui offrir votre coeur de temps en temps au milieu de vos occupations et même à tout moment, si vous le pouvez.

Ne vous tenez pas toujours scrupuleusement à certaines règles ou à des formes particulières de dévotion; mais vivez dans la confiance en Dieu et agissez avec amour et humilité. Vous pouvez compter sur mes pauvres prières, et être assuré que je suis votre serviteur dans notre Seigneur.


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Septième lettre


Au sujet des distractions dans la prière.
Vous ne me dites rien de nouveau; vous n'êtes pas le seul à être distrait dans vos prières par vos pensées. Notre esprit est extrêmement vagabond ; mais comme la volonté est la maîtresse de toutes nos facultés, elle doit les rappeler et les ramener à Dieu comme leur dernière fin. Quand notre esprit, faute d'avoir été suffisamment discipliné par le recueillement dans les premiers temps de notre dévotion, a contracté certaines mauvaises habitudes de distraction et de dissipation, il est très difficile de les vaincre, et ordinairement elles nous entraînent, même contre notre volonté vers les choses de la terre.

Je crois qu'un remède à cela est de confesser nos fautes et de nous humilier devant Dieu. Je ne vous conseille pas d'user d'une grande multiplicité de paroles dans vos prières beaucoup de paroles et de longs discours étant souvent une occasion de distraction. Tenez vous en prière devant Dieu, comme un mendiant muet et paralytique devant la porte d'un riche. Que votre premier soin soit de maintenir votre esprit en la présence du Seigneur. Si parfois il erre et s'égare loin de Lui, ne vous en faites pas trop de soucis, le trouble et l'inquiétude ne servent qu'à distraire l'esprit plutôt qu'à le recueillir; la volonté doit simplement le ramener à Dieu, et si vous persévérez ainsi, Dieu aura pitié de vous.

Un sûr moyen d'avoir, au temps de la prière, un esprit tranquille et recueilli, est de ne pas le laisser errer à l'aventure en tout temps, vous devriez le garder toujours strictement en la présence de Dieu ; alors, accoutumé à penser à Lui souvent, vous trouverez facile de garder votre esprit calme au moment de la prière, ou du moins de le rappeler, s'il se dissipe.

Je vous ai déjà dit, au long, dans mes précédentes lettres, les avantages que nous pouvons retirer de cette pratique de la présence de Dieu ; mettons nous à cela sérieusement et prions l'un pour l'autre;
Votre, etc.


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Huitième lettre


L'incluse est une réponse à la lettre que j'ai reçue de ***; ayez la bonté de la lui remettre. Elle me paraît remplie de bonne volonté, mais elle voudrait aller plus vite que la grâce. On ne devient saint en un jour. Je vous la recommande. Nous devons nous aider les uns les autres par nos conseils et notre bon exemple. Vous m'obligerez en me donnant de ses nouvelles de temps en temps et en me disant si elle est bien fervente et obéissante.

Rappelons nous ainsi que notre seul devoir dans cette vie est de plaire à Dieu, et qu'en dehors de cela tout n'est que folie et vanité. Vous et moi avons vécu environ quarante ans dans la religion (de la vie monastique).

Avons-nous employé ces années à aimer et à servir Dieu, qui nous a appelés à cet état et pour cette fin ? Je suis rempli de honte et de confusion, quand je réfléchis d'une part aux grandes faveurs que Dieu m'a faites et continue à me faire, d’autre part au mauvais usage que j'en ai fait et à mon peu d’avancement, dans la perfection.

Puisque dans sa miséricorde Il nous donne encore un peu de temps, mettons-nous sincèrement à l'œuvre, rachetons le temps perdu, retournons avec une pleine assurance à ce Père des miséricordes qui est toujours prêt à nous recevoir avec affection. Renonçons, renonçons généreusement, par amour pour Lui, à tout ce qui n'est pas Lui ; Il est digne d'infiniment plus. Pensons à Lui constamment. Mettons toute notre confiance en lui. Je ne doute pas que nous n'en ayons bientôt les effets en recevant l'abondance de sa grâce, par laquelle nous ne pouvons tout et sans laquelle nous ne pouvons rien que pécher.

Nous ne pouvons échapper aux dangers qui abondent dans La vie, sans le secours actuel et constant de Dieu ; demandons le donc constamment. Comment pouvons nous Le prier sans être avec Lui ? Et comment pouvons-nous être avec Lui sans penser à Lui souvent. Et comment pouvons nous penser à Lui souvent si ce n'est en formant une sainte habitude ?

Vous me direz que je répète toujours la même chose. C'est vrai, car c'est la méthode la meilleure et la plus facile que je connaisse ; et, comme je n'en emploie pas d'autres, je la conseille à tout le monde. Nous devons connaître avant de pouvoir aimer. Pour connaître Dieu, nous devons souvent penser à Lui et quand nous L'aimerons, nous penserons aussi à Lui souvent, car notre coeur sera là où est notre trésor. C'est là un argument qui mérite bien notre considération.
Je suis votre, etc.


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Neuvième lettre


J'ai eu beaucoup de peine à me décider à écrire et maintenant, je le fais purement parce que vous et Mme *** le désirez. Veuillez mettre l'adresse sur la lettre et la lui envoyer. Je suis très heureux de la confiance que vous avez en Dieu ; je désire qu'Il l'augmente en vous de plus en plus ; nous ne pouvons en avoir trop dans un ami si bon et si fidèle qui ne nous abandonnera ni dans ce monde ni dans l'autre.

Si M. *** fait son profit de la perte qu'il a éprouvé et met toute sa confiance en Dieu, Dieu lui donnera bientôt un autre ami meilleur encore. Il dispose des coeurs comme il lui plaît.

Peut-être M. *** était-il trop attaché à celui qu'il a perdu. Nous devons aimer nos amis, mais sans empiéter sur l'amour pour Dieu, qui doit occuper la première place.

Rappelez-vous, je vous prie, ce que je vous ai recommandé, c'est-à-dire de penser souvent à Dieu, de jour, de nuit, dans vos occupations et même dans vos moments de délassement, Il est; toujours près de vous et avec vous. Ne Le laissez pas seul. Vous n'oseriez pas laisser seul un ami qui viendrait vous visiter : alors, pourquoi Dieu devrait-il être négligé ? Ne L'oubliez donc pas, mais pensez à Lui souvent, adorez-Le continuellement vivez et mourez pour Lui ; c'est la glorieuse occupation d'un chrétien. Au reste, c'est là notre possession ; si nous ne le savons pas, nous devons l'apprendre. Je m'efforcerai de vous aider de mes prières. Je suis en notre Seigneur, Votre, etc.


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Dixième lettre


Au sujet de la maladie
Je ne prie pas pour que vous soyez délivré de vos souffrances ; mais je prie Dieu sincèrement qu’Il vous donne la force et la patience pour les supporter aussi longtemps qu’Il lui plaira. Fortifiez-vous en Celui qui vous tient lié à la Croix. Il vous déliera quand Il le jugera bon. Heureux ceux qui souffrent avec Lui ! Accoutumez-vous à souffrir de cette manière, et cherchez en Lui la force d’endurer autant et aussi longtemps qu’Il le jugera nécessaire pour vous.

Les gens du monde ne comprennent pas ces vérités et on ne peut s’en étonner, car ils souffrent comme des mondains et non comme des chrétiens. Ils considèrent la maladie comme une souffrance pour la chair et non comme une faveur de Dieu ; et ne la voyant qu’à cette lumière, ils n’y trouvent rien que chagrin et détresse. Mais ceux qui reçoivent la maladie de la main de Dieu et la considèrent comme l’effet de Sa miséricorde et le moyen qu’Il emploie pour leur salut, ceux-là y trouvent ordinairement une grande douceur et une réelle consolation.

J’aimerais que vous puissiez vous convaincre que Dieu est souvent (dans un certain sens) plus près de nous, et plus réellement présent avec nous, dans la maladie que dans la santé. Ne comptez sur aucun autre médecin, car, selon moi, Il se réserve de vous guérir Lui-même. Mettez donc toute votre confiance en Lui et vous recevrez bientôt les effets dans votre guérison, guérison que nous retardons souvent, en mettant plus de confiance dans les remèdes qu’en Dieu.

Quelques remèdes que vous preniez, ils n’agiront que dans la mesure où Il le permettra. Quand la souffrance vient de Dieu, Lui seul peut la guérir. Il envoie souvent les maladies du corps pour nous sauver de celles de l’âme. Consolez vous dans le souverain médecin de l’âme et du corps. Soyez content de la condition dans laquelle Dieu vous place. Tout heureux que vous me croyiez, je vous envie. Les peines et les souffrances seraient un paradis pour moi, si je souffrais avec mon Dieu ; et les plus grands plaisirs seraient un enfer, si je pouvais les goûter sans Lui ; toute ma consolation serait de souffrir quelque chose pour Lui.

Je dois aller vers Dieu dans peu de temps. Ce qui me réjouit dans cette vie, c’est que je Le vois par la foi ; et je Le vois de telle manière que je pourrais dire parfois : « Je ne crois plus, mais je vois ». Je sens ce que la foi nous enseigne et, dans cette assurance et cette pratique de la foi, je veux vivre et mourir avec Lui.

Persévérez donc toujours avec Dieu : c’est le seul secours et la seule consolation pour votre affliction, Je Le supplierai d’être avec vous. Je vous présente mes salutations.
Votre, etc.


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Onzième lettre


À un malade
Si nous étions mieux accoutumés à pratiquer la présence de Dieu, toute maladie corporelle serait par là beaucoup adoucie Dieu souvent permet que nous souffrions un peu pour purifier nos âmes et nous obliger à persévérer avec lui.

Prenez courage, offrez-Lui constamment vos douleurs, demandez-Lui la force de les endurer. Surtout, prenez l’habitude de vous entretenir souvent avec Dieu et de L’oublier le moins possible. Adorez-Le dans vos infirmités, offrez-vous vous-même à Lui de temps en temps ; et, au fort de vos souffrances, suppliez-Le humblement et affectueusement (comme un enfant à son père) de vous rendre conforme à Sa Sainte volonté. J’essaierai de vous aider de mes pauvres prières.

Dieu a bien des manières de nous attirer à Lui. Quelquefois, Il se cache de nous ; mais la foi seule qui ne nous fera pas défaut au moment du besoin doit être notre soutien et le fondement de notre confiance, laquelle doit être toute en Dieu. Je ne sais pas comment Dieu en disposera avec moi: je suis toujours heureux. Le monde entier souffre ; et moi, qui mérite la plus sévère discipline, j’éprouve une joie si continuelle et si grande que je puis à peine la contenir.

Je demanderais volontiers à Dieu une part de vos souffrances, si je ne connaissais ma faiblesse, laquelle est si grande que, s’Il me laissait un instant à moi-même, je serais le plus misérable des hommes. Et cependant, je ne vois pas comment Dieu pourrait me laisser, car la foi me donne la conviction qu’Il ne nous abandonne jamais, tant que nous ne l’avons pas abandonné les premiers. Craignons de Le quitter. Soyons toujours avec Lui. Vivons et mourons en Sa présence. Priez-vous pour moi comme je prie pour vous ?
Je suis votre, etc.


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Douzième lettre


Au même,
Je suis en peine de vous voir souffrir si longtemps; ce qui me soulage et adoucit les sentiments que j’éprouve au sujet de vos douleurs, c’est qu’elles sont une preuve de l’amour de Dieu pour vous. Considérez-les à ce point de vue et vous les supporterez plus facilement. Mon opinion est que, dans votre cas, vous devriez laisser de côté les remèdes humains et vous soumettre entièrement à la providence de Dieu. Peut-être qu’il n’attend que cette résignation et une confiance parfaite en Lui pour vous guérir. Puisque, malgré tous vos soins la médecine s’est montrée impuissante et que votre maladie s’aggrave encore, ce ne sera pas tenter Dieu que de vous abandonner entre ses mains et d’attendre tout de Lui.

Je vous ai dit, dans ma dernière, qu’Il permet quelquefois les maladies du corps pour guérir celles de l’âme. Ayez donc bon courage. Faites de nécessité vertu. Demandez à Dieu, non la délivrance de vos douleurs, mais la force pour supporter résolument pour l’amour de Lui tout ce qu’il lui plaira.

De telles prières sont, il est vrai, dures à la chair mais d’autant plus agréables à Dieu et douces pour celui qui L’aime. L’amour adoucit la peine ; et quand on aime Dieu, on souffre pour l’amour de Lui avec joie et courage. Qu’Il en soit ainsi pour vous je vous en supplie. Consolez-vous auprès de Lui, qui est le médecin de toutes nos maladies. Il est le Père des affligés toujours prêt à secourir. Il nous aime infiniment plus que nous ne pensons : aimons-Le donc, et ne cherchez: pas la consolation ailleurs. J’espère que vous la recevrez bientôt.

Adieu. Je vous aiderai de mes prières, toutes pauvres qu’elles soient, et serai toujours en notre Seigneur.
Votre, etc.


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Treizième Lettre


Au Même
Je rends grâce au Seigneur de ce qu’Il vous a un peu soulagé selon votre désir. J’ai été souvent près de la mort, mais je n’ai jamais été aussi heureux qu’alors. Aussi n’ais-je pas prié pour du soulagement, mais pour avoir la force de souffrir avec courage, humilité et amour. Ah! Qu’il est doux de souffrir avec Dieu! Quelques grandes que puissent être vos souffrances, recevez-les avec amour. C’est le paradis que de souffrir avec Lui, en sorte que dans cette vie si nous voulons jouir de la paix du paradis, il nous faut nous accoutumer à une conversation familière, humble et affectueuse avec Lui. Nous devons retenir nos esprits d’errer loin de Lui en toute occasion, faire de nos cœurs un temple spirituel où nous L’adorions continuellement, veiller constamment sur nous-mêmes, afin de ne rien faire ou dire ou penser qui puisse Lui déplaire. Quand nos esprits sont ainsi occupés de Dieu, la souffrance devient pleine d’onction et de consolation.

Je sais que pour arriver à cet état, le commencement est très difficile ; car nous devons agir purement par la foi. Mais nous savons aussi que nous pouvons toutes choses par la grâce de Dieu, que Dieu ne refuse jamais à ceux qui la demandent sincèrement. Frappez, persévérez à frapper. Je me fais garant qu’Il ouvrira au temps convenable et vous accordera en une fois ce qu’Il a différé de vous donner pendant des années. Adieu. Priez-Le pour moi comme je Le prie pour vous. J’espère Le voir bientôt.
Je suis votre, etc.


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Quatorzième lettre


Au Même
Dieu sait mieux que nous ce qui nous est bon, et tout ce qu’Il fait est pour notre bien. Si nous savions combien Il nous aime, nous serions toujours prêts à recevoir de Lui également le doux et l’amer tout ce qui vient de Lui nous plairait. Les plus douloureuses afflictions ne nous paraissent intolérables que lorsque nous les voyons à une fausse lumière Quand nous les verrons dans la main de Dieu qui les dispense quand nous saurons que c’est notre Père qui nous aime, qui nous humilie et nous met dans la détresse, nos souffrances perdront leur amertume et se changeront en consolation.
Que tous nos efforts tendent à connaître Dieu plus nous Le connaîtrons, plus nous désirerons Le connaître. Comme l’amour est ordinairement en proportion de la connaissance, plus notre connaissance sera grande et profonde, plus grand aussi sera notre amour, et si notre amour pour Dieu est grand, nous L’aimerons également dans les peines comme dans les plaisirs.
Ne nous amusons pas à rechercher ou a aimer Dieu pour des faveurs sensibles qu’Il nous a faites ou peut nous faire. De telles faveurs, quelque magnifiques et élevées qu’elles puissent être, ne peuvent jamais nous amener aussi près de Dieu qu’un simple acte de foi. Cherchons-Le souvent par la foi. Il est au dedans de nous ; ne Le cherchons pas ailleurs. Ne serions-nous pas coupables et dignes de blâme Si nous L’aimons seulement pour nous occuper de bagatelles qui ne Lui plaisent pas et peut-être L’offensent-Il ? Il est à craindre que ces bagatelles nous coûtent cher un jour.
Consacrons-nous de tout notre coeur à Lui dès a présent. Otons de nos coeurs tout ce qui n’est pas Lui ; Il veut les posséder seul. Demandez-Lui cette faveur. Si nous faisons tout ce que nous pouvons de notre côté, nous verrons bientôt s’opérer en nous ce changement après lequel nous soupirons. Je ne puis pas assez Le remercier pour le soulagement qu’Il vous a accordé. J’attends de Sa miséricorde la faveur de Le voir dans quelques jours (1). Prions l’un pour l’autre. Je suis dans le Seigneur
Votre, etc..


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(1) Il se mit au lit deux jours plus tard et mourut dans la même semaine.