CHAPITRE VII.

DES SÉRAPHINS, DES CHÉRUBINS ET DES TRÔNES
QUI
FORMENT LA PREMIÈRE HIÉRARCHIE.

ARGUMENT. - On enseigne,

- 1, ce que signifient les noms de Chérubins, dc Séraphins, de Trônes;
- 2, quelle est la dignité de la première hiérarchie, sa force contemplative, sa perfection;
- 3, que les esprits inférieurs sont initiés à la science divine par leurs supérieurs,et les esprits du premier rang par Dieu lui-même, et que tous recueillent avec respect la lumière qui  leur est accordée;
- 4, quelle est la fonction de cette première hiérarchie.

I. Acceptant cette distribution des saintes biérarchies, nous affirmons que tout nom donné aux intelligences célestes est le signe des propriétés divines qui les caractérisent. Ainsi, au témoignage des liébraïsants, le mot de séraphins signifie lumière et clialeur, et celui de chérubins plénitude de science on débordement de sagesse. Il convenait sans doute que la première des hiérarchies célestes fôt formée par les plus sublimes esprits; car tel est le rang qu'ils occupent pardessus tous les autres, que , dans un coinmerce immédiat et direct, la divinité laisse découler sur eux plus purement et plus efficacement les splendeurs de sa gloire et les connaissances de ses mystères. On les appelle donc flainines brililanies, trîmes, fleuves de sagesse, pour exprimer par cette dénomination leurs divines habitudes. C'est ainsi  que le nom des séraphins indique manifestement leur durable et perpétuel attrait pour les choses divines, l'ardeur, l'intensité, l'impétuosité sainte de leur généreux et invincible élan, et cette force puissante par laquelle ils soulèvent, transfigurent et réforment à leur image les natures subalternes en les vivifiant, les embrasant (les feux dont ils sont eux-mémes dévorés , et cette chaleur purifiante (lui consume toute souillure, et enfin cette active, permanente et inépuisable propriété de recevoir et de communiquer la lumière, de dissiper et d'abolir toute obscurité , toutes ténèbres.

Le nom des chérubins montre qu'ils sont appelés à connaître et admirer Dieu, à contempler la lumière dans son éclat originel et la beauté incréée dans ses pins splendides rayonnements; que , participant à la sagesse, ils se faconnent à sa ressemblance et répandent sans envie sur les essences inférieures le flot des dons merveilleux qu'ils ont recus.


Le nom des nobles et augustes trônes signifie qu'ils sont complétement affranchis des humiliantes passions de la terre; qu'ils aspirent, dans leur essor sublime et constant, à laisser loin au-dessous d'eux tout ce qui est vil et bas - qu'ils sont unis ni Très-Haut de toutes leurs forces avec une admirable fixité - qu'ils re«oivent d'un esprit pur et impassible les douces visites de la divinité ; qu'ils portent Dieu, en quelque manière, et s'inclinent avec un frémissement respectueux devant ses saintes communications.

Il. Tel est, selon nous, le sens des noms divers que portent ces esprits. Il nous reste à expliquer la hiérarchie qu'ils forment. Je pense avoir déjà suffisament marqué que toute hiérarchie a pour but invariable une certaine imitation et ressemblance de la Divinité, et que toute fonction qu'elle impose tend à la double fin de recevoir et de conférer une pureté non souillée, une divine lumière et une parfaite connaissance des saints mystères. Je voudrais maintenant enseigner d'une manière convenable comment l'Ecriture comprend l'ordre sublime des intelligences les plus élevées. Sachons d'abord que cette première hiérarchie est également propre à toutes les natures supérieures, qui, venant immédiatement après leur souverain auteur et placées, pour ainsi dire, au voisinage de l'infini, l'emportent sur toute puissance créée, soit visible, soit invisible.

   Elles sont donc très-éminement pures, non pas seulement en ce sens que nulle tâche, nulle souillure ne les avilit et qu'elles ne subissent pas la loi de nos imaginations matérielles, mais surtout parce que, inaccessibles à tout principe de dégradation et douées d'une sainteté transcendante, elles s'élèvent par là même au-dessus des autres esprits, si divins qu'ils soient; et encore parce qu'elles trouvent dans un généreux amour de Dieu la force de se maintenir librement et invariablement en leur ordre propre, et que nulle altération ne leur peut survenir, la raideur d'une volonté invincible les attachant saintement aux fonctions merveilleuses qui leur furent assignées.


Également elles sont contemplatives; et par là je ne veux pas dire qu'elles perçoivent les choses intellectuelles au moyen de symboles sensibles, ni que le spectacle de diverses et pieuses images les élève à Dieu; mais je comprends qu'elles sont inondées d'une lumière qui surpasse toute connaissance spirituelle, et admises, autant que leur nature permet, à la vision de cette beauté suréminente, cause et origine de toute beauté, et qui reluit dans les trois adorables Personnes; je comprends qu'elles jouissent de l'humanité du Sauveur autrement que sous le voile de quelques figures où se retracent ses augustes perfections; car, par l'accès libre qu'elles ont auprès de lui, elles reçoivent et connaissent directement ses saintes lumières; je comprends enfin qu'il leur est donné d'imiter Jésus-Christ d'une façon plus relevée, et qu'elles participent, selon leur capacité, au premier écoulement qui se fait de ses vertus divines et humaines.


Elles sont parfaites aussi, non point parce qu'elles savent expliquer les mystères cachés sous la variété des symboles, mais parce que, dans leur haute et intime union avec la divinité, elles acquièrent, tonchant les œuvres divines, cette science ineffable que possèdent les anges, car ce n'est point par le ministère de quelques autres saintes natures, mais de Dieu immédiatement, qu'elles reçoivent leur initiation. Elles s'élèvent donc à lui sans intermédiaire, par leur vertu propre et par le rang supérieur qu'elles occultent ; et par là encore elles se fixent dans une sainteté immuable et sont appelées à la contemplation de la beauté purement intelligible. Ainsi constituées d'une façon merveilleuse par l'auteur de toute hiérarchie qu'elles entourent au premier rang, elles apprennent de lui les hautes et souveraines raisons des opérations divines.

III. Or, les théologiens enseignent clairement que, par une admirable disposition, les ordres inférieurs des pures intelligences sont instruits des choses divines par les ordres supérieurs, et que les esprits du premier rang à leur tour reçoivent directement de Dieu la communication de la science.  Effectivement les saintes Écritures nous montrent tantôtquelques-unes de ces natures saintes apprenant de natures plus augustes que c'est le Seigneur des vertus célestes et le Roi de gloire qui , sous forme humaine, s'élève dans les cieux (1); tantôt quelques autres interrogeant Jésus-Christ en personne, et désirant counaître l'œuvre sacrée de notre rédemption, recueillant les instructions de sa bouche, et informées par lui-même des miracles de sa bonté envers les hommes : c'est moi , dit-il, qui parle justice et Jugement pour le Salut (2). Ici j'admire comment les essences que leur sublimité, place au-dessus de toutes les autres, éprouvent, aussi bien que leurs subalternes, quelque timidité de désir à l'endroit des communications divines : car elles ne débutent point par dire au Seigneur : Pourquoi vos vêtements sont-ils rougis (3) mais elles se questionnent d'abord elles-mêmes, manifestant par là leur projet, leur envie de connaître l'auguste merveille, et ne prévenant pas la révélation progressive des lumières célestes.

Ainsi la première hiérarchie des esprits bienheureux est régie par le souverain initiateur même, et parce qu'elle dirige immédiatement vers lui son essor, receuillant, autant qu'il se peut, la pureté sans tâche qui produit la vive lumière, d'où naît la sainteté parfaite, elle se purifie, s'illumine et se perfectionne; oui, pure de tout ce qui est infinie, brillante des premiers rayons de la lumière, riche et ornée d'une science sublime qu'elle puise à sa source. Même je pourrais bien dire en un mot que cette dérivation de la science divine est tout ensemble expiation, illumination et perfection; car elle purifie vraiment de toute ignorance, en communiquant à chaque intelligence, selon sa dignité propre, la connaissance des mystères ineffables; elle éclaire aussi, et, par la pureté qu'elle donne, permet aux esprits de contempler au grand jour de cette lumière Surénimente les choses qu'ils n'avaient point encore vues; enfin elle les perfectionne en les confirmant dans la claire intuition des plus magnifiques splendeurs.

IV. Telle est, autant queje puis savoir, la première hiérarchie des cieux; rangée comme en cercle autour de la divinité, elle l'environne immédiatement, et, parmi les joies d'une connaissance permanente, elle tressaille dans la merveilleuse fixité de cet élan sublime qui emporte les anges. Elle jouit d'une foule de suaves et pures visions; elle brille sous le doux reflet de la clarté infinie; elle est nourrie d'un aliment divin, tout à la fois abondant, puisque c'est la première distribution qui s'en fait, et réellement un, et parfaitement identique, à cause de la simplicité de l'auguste substance. Bien plus, elle a l'honneur d'être associée à Dieu, et de coopérer à ses œuvres, parce qu'elle retrace , autant que peut la créature, les perfections et les opérations divines. Elle connaît d'une façon suréminente plusieurs ineffables mystéres, et entre, selon sa capacité, en participation de la science du Très-haut. Effectivement la théologie a enseigné à 1'humanité  les hymnes que chantent ces sublimes esprits, et ou l'on découvre l 'excellence de la lumière qui les inonde : car, pour parler le langage terrestre, quelques-uns d'entre eux répètent avec le fracas des grandes eaux :  Bénie soit la gloire de Dieu du saint lieu où il réside (4) ! Et d'autres font retentir ce majestueux et célèbre cantique : Saint, saint, saint est le Seigneur des armées; toute la terre est pleine de sa gloire (5) !

  Mais nous avons expliqué à notre façon ces chants sacrés des cieux dans le traité des hymnes divins, où il nous semble avoir éclairci suffisamment cette matière. Je me contente de rappeler ici que la première hiérarchie, initiée par l'infinie charité à la connaissance des divins mystères, les transmet avec bienfaisance aux hiérarchies inférieures. Pour tout dire en un mot, elle leur enseigne que la majesté terrible, digne de toute louange, et au-dessus de toute bénédiction, doit être connue et glorifiée autant qu'il se peut par les intelligences auxquelles le Seigneur se communique, puisqu'au témoignage de l'Ecriture, elles sont, par leur sublimité divine, comme d'augustes et saints lieux ou la divinité repose. Elle leur enseigne que l'unité très simple subsistant en trois Personnes embrasse dans les soins de sa providence la création entière, depuis les plus nobles essences des cieux jusqu'aux plus viles substances de la terre; car elle est le principe éternel et la cause de toutes les créatures qu'elle étreint par un lien merveilleux , ineffable.



(1)  Psaum.,23, 10.- (2) Isaie, 63, 1. -(3) Isaie, 1 et 2. - (4) Ezech., 3, 12. - (5) Isaie, 6, 3.