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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XVII

Cherchons maintenant à nous mettre en garde contre l'abus que les hommes ont fait de ces vérités, et considérons les différentes branches de la Science qui dans leurs mains ont été si souvent séparées de leur tige naturelle.

Je remplirai d'autant plus volontiers cette tâche que les temps semblent approcher où il devient en quelque sorte nécessaire de rappeler les hommes à ces objets importants. Les traces de la barbarie se sont effacées ; on se lasse de ces études vagues et oiseuses qui leur ont succédé ; les systèmes absurdes qui s'étaient élevés trop précipitamment sur leurs ruines, s'ensevelissent dans les ténèbres, et paraissent tendre à leur fin ; et quoique ces plantes vénéneuses aient poussé en divers lieux de profondes racines, comme elles ont jeté à la fois toute leur semence, il ne leur en reste plus pour s'accroître, en sorte qu'elles doivent s'anéantir par leur propre impuissance.

Parmi les débris informes de ces colosses de l'imagination et de la corruption, nous voyons paraître une classe d'Observateurs prudents et judicieux, qui, instruits par les égarements de ceux qui les ont précédés, s'attachent à rendre leur marche plus assurée.

Un secret penchant fixe leur attention sur les vestiges des vérités éparses dans l'Univers. Leur émulation dirigée en quelque sorte par la Nature, leur fait découvrir journellement des traits de lumière, dont quelques moments plutôt, ils n'auraient pas soupçonné l'existence : en un mot, les esprits fermentent, et se purgent sensiblement des substances étrangères avec lesquelles ils se sont si longtemps confondus.

II est donc probable que les Observateurs s'étant occupés encore quelque temps, des lois, des Etres, des phénomènes célestes et terrestres, des rapports physiques de l'homme avec tout ce qui existe, du rapprochement des Langues, du véritable sens des Traditions, apercevront enfin l'immense contrée des connaissances de l'homme, et qu'ils jouiront alors d'un système de science, vrai, conséquent, universel.

Observons ici que la plus importante et la principale de toutes ces découvertes, ce serait de reconnaître la sensibilité de la Terre ; car il est facile de s'assurer que notre planète jouit de cette faculté, puisque nous en jouissons nous-mêmes corporellement, et que notre corps vient de la terre.

De même que les plus petites parties de notre corps communiquent en effet leur sensibilité jusqu'au Principe corporel immatériel qui nous anime, de même tous les êtres terrestres communiquent invisiblement la leur jusqu'au Principe sensible de la Terre. Et l'on doit juger quel est l'extrême degré de sa sensibilité, puisqu'elle réunit, et la nôtre, et celle de tous les autres êtres sensibles de notre Région, sans compter qu'elle a des rapports d'un autre genre, avec d'autres classes d'êtres qui sembleraient encore plus éloignés, et ne pouvoir correspondre avec elle que par leur nombre et par leurs actions secondaires.
Mais pour mieux comprendre l'importance de cette doctrine sur la sensibilité de notre Globe, sachons qu'il est la base de tous les phénomènes sensibles, comme l'homme est la base de tous les phénomènes intellectuels, et qu'ainsi la Terre et l'homme sont les deux points sur lesquels réfléchissent toutes les actions et toutes les vertus destinées à se manifester dans le temps.

Voilà une des sources de ces sublimes connaissances vers lesquelles les hommes paraissent marcher sans le savoir, et qui doivent leur apprendre un jour quelle est la véritable occupation et la véritable destination de leur Etre.

Mais on ne peut réfléchir sur l'homme, sans reconnaître que cette époque peut être aussi à craindre qu'à désirer pour lui.

Car dans quels temps l'arbre de la Science n'a-t-il pas été accablé sous le poids des rameaux étrangers qui s'y sont entés ? Nous avons vu que l'Idolâtrie provient de ce que l'homme est descendu de l'idée pure et du culte simple de son Principe à des objets inférieurs.

Or si le temps matériel n'a commencé pour l'homme qu'avec son crime, on voit combien il lui est difficile qu'étant dans le temps matériel, il ne soit dans l'Idolâtrie.

 En effet, qu'est devenu ce culte simple auquel l'homme était appelé par sa nature, et dont il a aperçu si peu de vestiges autour de lui depuis sa dégradation ? Ce Culte que des Etres purs et indépendants des entraves qui nous resserrent offrent à l'Eternel selon leurs vertus et leur nombre ? Trop sublime pour la Terre, il se dérobe à nos yeux, et ne nous permet plus de le contempler.

L'oubli de ce culte ayant été le premier pas que fit l'homme en s'éloignant de son Principe, sa seule ressource fut dans ces Agents purs, jadis ses Ministres, maintenant ses Maîtres : ces Agents liés au temps comme lui, mais non pas renfermés comme lui dans les entraves d'un corps grossier et corruptible ; enfin, ces Agents sur lesquels Dieu écrit sans cesse aujourd'hui, comme il écrivait autrefois sur l'homme, et qui à leur tour écrivent sur toutes les parties de l'Univers, afin que l'homme soit partout à portée de s'instruire.

Nous pourrions dire, en quelque sorte, que nous vivons habituellement dans les lois de cette seconde classe, puisque nous recevons des pensées journalières qui ne peuvent nous venir que de ceux qui la composent et qui l'habitent. Cependant, comme nous sommes presque toujours passifs dans ces communications, et qu'un culte quelconque annonce de l'activité, on doit présumer que cette seconde classe présente à nos études des objets plus physiques, plus pressants, plus positifs, et que dès lors elle exige des soins plus vigilants et mieux dirigés que ceux qui occupent la plupart des hommes.

Cette classe, sans être aussi parfaite que la première, est le plus haut terme où l'homme puisse sagement porter ses vues pendant l'instant rapide qu'il passe sur la terre ; elle ne demande aucunes matières, aucuns instruments, aucuns organes étrangers à ceux dont l'homme est pourvu par sa nature ; l'homme dès sa naissance en apporte avec lui tous les matériaux et toutes les bases : sans cela jamais cet édifice ne se pourrait élever.

Cette classe connaît néanmoins des temps et des suspensions dans les actions qui lui sont permises, attendu que telle est la loi de tous les Agents renfermés dans le temps ; et s'il est des Maîtres qui enseignent le contraire, ils sont ou ignorants ou imposteurs.

Mais plus cette classe est sublime, plus il est difficile à l'homme de s'y maintenir ; il faut pour l'atteindre, que tout ce qu'il y a de prestiges en lui, disparaisse et s'anéantisse, pour ne laisser briller que son essence pure et réelle. Tout en conservant cette intégrité indestructible de son Etre, les illusions qui le remplissent, doivent faire place à des substances solides et vraies : comme ces tendres végétaux qui dans la terre perdent leur mollesse, et reçoivent dans leurs canaux une matière durable, qui, sans changer leur forme, leur donne une consistance à toute épreuve : enfin, l'homme joignant la vie d'un autre Etre à la sienne propre, doit se renouveler perpétuellement sans cesser d'être lui-même, et la vie de cet autre Etre est celle de l'Infini.

Ne soyons donc pas surpris si cette classe a paru si élevée à ceux qui l'ont connue, que depuis la chute de l'homme, plusieurs d'entre eux ont borné là leurs adorations, et que ç'ait été la première source de l'Idolâtrie temporelle.

Il y a une classe inférieure à celle-ci ; quoiqu'elle ne soit qu'au troisième rang, elle est la plus conforme à l'état infirme et dégradé de l'homme ; elle est mixte comme lui, elle renferme comme lui deux bases considérables.

La première de ces bases a pour objet les connaissances analogues à la véritable nature de l'homme ; la seconde n'embrasse que la nature sensible ; toutes deux sont pures, respectables, pleines de merveilles pour qui sait en suivre les rapports, et n'y apporte qu'une intention simple, tranquille, humble, et disposée plutôt à contempler, à admirer ces beaux spectacles, qu'à régner sur eux, et à se glorifier d'y avoir place.

 Toutes deux sont les dépôts de ces emblèmes hiéroglyphiques qui ont servi de germe aux symboles de la Fable ; toutes deux ont été connues par plusieurs Sages anciens et modernes : toutes deux sont la source des différents Cultes qui s'exercent visiblement sur la Terre, parce qu'il n'en est aucun qui n'en ait au moins des vestiges ; et quand ces traces seraient encore plus altérées, les désirs purs et constants de l'homme qui les parcourt dans la simplicité de son cœur, peuvent leur faire recouvrer leur efficacité primitive.

Si la première de ces bases doit servir de modèle à la seconde, la seconde doit soutenir la première, pour satisfaire à toutes les lois de notre Etre, et pour mettre un équilibre parfait dans toutes les facultés qui nous composent : car si l'homme aspirant à la science intellectuelle néglige les ressources que la Nature lui présente, il court le risque de ne faire que passer de l'ignorance à la folie.

En effet, si la Nature élémentaire nous est nuisible, c'est lorsque nous nous laissons asservir par elle, et non lorsque nous en pénétrons les vertus. En un mot, ignorer la Nature, c'est ramper devant elle, c'est se subordonner à elle, et rester livré à son cours ténébreux ; la connaître, c'est la vaincre, et s'élever au-dessus d'elle ; et ceux qui s'occupent des objets vrais, reconnaissent si bien son utilité, que quand ils sont fatigués par une trop grande abondance des fruits de leurs études, il leur suffit quelquefois de fixer un objet physique pour se soulager.

D'ailleurs, si nous nous trouvons placés au milieu de ces objets physiques, c'est une preuve que l'Etre suprême veut que nous commencions à le connaître de cette manière ; s'il nous a mis ce livre devant les yeux, c'est pour que nous le lisions préalablement aux livres que nous ne voyons point encore. Enfin, c'est un des plus grands secrets que l'homme puisse connaître, que de ne pas aller à Dieu tout de suite, mais de s'occuper longtemps du chemin qui y mène.

Gardons-nous néanmoins de jamais séparer cette base inférieur, du mobile intellectuel qui doit la vivifier, et qui en est le vrai but. C'est-à-dire, tâchons de ne point contempler ces objets physiques, sans prendre pour guides le flambeau de l'intelligence ; car elle est le Dieu de la Nature. Sans cette lumière nous ne verrons en eux qu'une apparence confuse, et nous ne pénétrerons jamais dans la sagesse de l'ordre et de l'harmonie qui les constituent, de même que nous n'approcherons jamais du Dieu supérieur à l'intelligence, si nous ne commençons par diviniser notre cœur, attendu que rien ne s'opère que par analogie.

Gardons-nous de perdre de vue ce but supérieur et de nous borner exclusivement aux connaissances sensibles et élémentaires ; c'est le danger dans lequel sont tombés les hommes de presque tous les temps ; c'est celui où tomba Ismaël, et ensuite Esaü, qui perdit par là son droit d'aînesse. Et voilà pourquoi les Arabes qui viennent d'Ismaël, et qui ont été des sources si fécondes des Sciences naturelles, qu'ils passent en ce genre pour être les Instituteurs de toutes les Nations, sont demeurés néanmoins au-dessous de la véritable destination de l'homme.

C'est en s'éloignant encore plus de cette classe, que les Mahométans ont réduit la Religion des Arabes à de simples observances corporelles sans intelligence et sans lumière : que chez eux, la liberté des sens est pour ainsi dire sans frein : et peut-être n'est-ce pas sans des raisons relatives à cet objet, que Mahomet se disait inspiré par l'Ange de la Lune.

Ainsi, pour obtenir un ensemble complet de connaissances et de vertus, il est clair que les deux bases intellectuelle et élémentaire doivent se prêter mutuellement des secours.
De la division de ces deux bases, opérée par les Arabes, aussi bien que par les premiers hommes, est résulté une source immense d'abus et d'erreurs, qui forment une quatrième classe. Les hommes de cette classe, entraînés vers les substances naturelles, ont rétréci leur vue à force de les fixer seules.

 Ils n'ont eu pour but que l'Etre inférieur de l'homme ; et s'ils se sont occupés quelquefois de son Etre supérieur, c'est pour ne lui présenter que des objets qui ne sont pas dignes de lui.

De là sont nées dans tous les temps, ces Sciences fondées sur des formules et sur des secrets : ces Sciences dont tout le succès, selon ceux qui les enseignent, dépend exclusivement d'une matière morte, d'amulettes, de pentacles, de talismans ; ou de l'observation des objets sensibles, du vol des oiseaux, de l'aspect de certains astres, des linéaments et de la structure du corps humain ; ce qui est compris sous les noms de Géomancie, Chiromancie, Magie, Astrologie, toutes Sciences dans lesquelles le Principe étant subordonné aux causes secondes, laisse l'homme dans l'ignorance de la vraie cause. Or de l'ignorance à l'erreur et à l'iniquité, il n'y a qu'un pas, comme un terrain inculte, couvert de ronces, devient bientôt un repaire de serpents. C'est par là que des Maîtres aveugles et imposteurs, abusant de la foi des Peuples dont ils flattent les passions et les vices, détournent journellement les hommes de leur destination originelle, et du véritable objet de leur confiance.

Je ne parle point de ceux qui jouissant parmi les hommes de la réputation la plus célèbre sont encore au-dessous de ceux que je viens de peindre ; non seulement ils ont éloigné comme eux, le mobile invisible qui préside à toutes les lois des Etres ; non seulement ils sont devenus aveugles sur la destination et le Principe des choses naturelles, mais ils ont même perdu la connaissance des propriétés des moindres substances : ils n'ont observé que les effets extérieurs des corps, sans s'occuper des vrais rapports de ces Etres avec l'homme.

Cependant l'intelligence de l'homme ne pouvant pas toujours sommeiller, ils ont cherché au moins les lois et les rapports que ces Etres pouvaient avoir entre eux ; mais ayant séparé ces Etres de leur Principe, ils se sont vus forcés de les expliquer par eux-mêmes ; et de là sont résultées ces doctrines matérielles et incohérentes de la production des astres, par des divisions d'une même masse de matière en incandescence ; ces comparaisons si rabaissées de la naissance de ces grands et vivants mobiles, avec les fusions passives et mortes de nos substances terrestres : systèmes qui coûtent à leurs auteurs infiniment plus d'efforts qu'il ne leur en aurait fallu pour s'élever d'abord à un Principe actif ordonnateur de tous les Etres, qui infuse en chacun d'eux une mesure de force, de vertus et de vie analogue à ses desseins ; parce qu'il n'y a que le faux et l'erreur qui tiennent l'homme en travail, et qu'il est dans une action paisible et naturelle quand il est dans la vérité. Mais je l'ai dit, je ne dois pas parler de cette ordre de savants ; ils sont nuls relativement à la science et aux objets dont nous traitons.

Enfin, il existe une cinquième classe de Sciences, c'est celle de l'abomination même ; elle a des moyens; des emblèmes intellectuels et sensibles comme les classes précédentes : elle connaît le nombre et les propriétés de la fumée : elle a un culte, il faut même une certaine pureté pour l'opérer ; enfin, il y a une Nation sur la Terre qui vend aux autres Peuples une partie des ingrédients nécessaires à ce culte : mais les résultats en sont horribles ; les signes en sont communément tracés sur ceux qui la professent et qui l'exercent, afin que les hommes aient devant eux les exemples parlants de la Justice. Car l'objet de cette Science étant faux et corrompu, elle conduit les hommes par des sentiers inverses de ceux de la vérité. Mais aussi cette vérité étant partout, les monstres dont nous parlons ne peuvent faire un pas sans la rencontrer, et ne se présentant point à elle par les sentiers naturels, ils ne l'approchent que pour en être repoussés ; ils ne la connaissent que pour éprouver ses rigueurs : et non pour jouir de la paix qui lui est propre.

 A ces différentes classes de Sciences, il faut joindre les nuances intermédiaires : on ne doit pas oublier que chacune de ces classes peut mener à des termes indéfinis, soit dans le nombre des branches qu'elle renferme, soit dans l'étendue de ces branches ; qu'elle peut s'allier aux autres classes en tout ou en partie, avec les plus voisines comme avec les plus éloignées, et former des amalgames où la pensée de l'homme a de la peine à se reconnaître.

Car depuis les sables de la mer jusqu'aux régions les plus élevées des Etres, l'homme peut asseoir partout des signes multipliés et variés de ses titres primordiaux ; il peut, comme il le prouve tous les jours par ses Arts, par ses goûts, par ses passions, mettre son âme dans ses yeux, dans ses oreilles, dans ses mains, dans ses pieds, dans son palais, dans sa tête, dans son cœur, dans ses organes impurs ; et toutes ces choses liées corporellement avec lui-même, ne sont que l'image des objets distincts de lui, avec lesquels il peut s'identifier.

D'après cela, il ne faut point être étonné du mélange qu'on aperçoit parmi les doctrines de la Terre, et d'y voir ces différentes combinaisons, du divin, du spirituel, du naturel, du matériel et de l'impur ; parce que toutes les classes sont ouvertes à l'homme, et que quand il ne règle pas sa marche par un guide infaillible, il laisse entrer dans son œuvre des traces de sa corruption et de son ignorance ; enfin, il est constant que l'homme, par sa nature, peut agir dans Dieu, avec Dieu, par Dieu, sans Dieu et contre Dieu.

Il n'est pas difficile de voir pour laquelle de toutes ces Sciences, il serait de notre intérêt de nous décider. Mais vu le mélange auquel elles sont exposées en passant par la main des hommes, il se pourrait que sous des dehors spécieux on nous conduisit à l'erreur ; défendons-nous donc des Maîtres qui n'appuieront leur Science que sur une base matérielle, sur des formules, sur des recettes scientifiques, toujours concentrées dans les causes secondes; car, je le répète, de ces causes secondes aux causes corrompues, il n'y a presque aucun intervalle. Et c'est beaucoup, si ceux qui s'attachent exclusivement à de semblables moyens et qui les enseignent, ne méritent que notre compassion.

Ceux qui annoncent une Science plus relevée, et des moyens supérieurs, demandent encore plus notre vigilance et nos réflexions, parce que leur marche étant moins connue, il doit leur être plus facile de nous tromper. Il y a donc deux manières de les juger par leurs instructions et par leurs faits : je mets les faits au dernier rang pour ceux qui n'en sont que les témoins, quoiqu'ils soient très utiles pour ceux qui ont le bonheur d'en être les instruments ; mais comme cette carrière est aussi celle de l'illusion, de l'astuce et de la mauvaise foi, le premier devoir de la prudence est d'observer avec soin tout ce qui s'annonce, et tout ce qui s'emploie, afin de ne pas prendre pour l'effet des causes supérieures ce qui pourrait n'être que celui des causes naturelles et subordonnées. Il y a aussi une mesure à garder, dans ces sortes d'observations, c'est de ne pas s'aveugler au point de vouloir expliquer tout par le seul mécanisme des causes secondes ; ce qui est arrivé à quelques Commentateurs des Livres hébreux, qui en parlant de la Loi, donnée sur le Mont Sinaï, ont représenté comme de simples météores, l'éclat, les feux, les sons imposants qui accompagnèrent cet événement.

L'instruction est donc la pierre de touche la plus sûre pour juger de la Science qu'un Maître annonce pour connaître le but qui l'anime, et la marche qu'il a donnée à ses facultés.

Cette instruction, nous osons le dire, est celle qui a été présentée dans cet Ouvrage :instruction fondée sur la nature de l'homme, sur ses rapports avec son Principe, et avec les Etres qui l'environnent.

C'est cette instruction qui lui apprend combien il est supérieur à la nature élémentaire, puisque celle-ci n'étant qu'une unité composée, ou une fraction de la grande unité ; suit nécessairement la loi des fraction numériques qui est de décroître dans leur exaltation, ou d'être toujours plus nombreuses dans leur racine que dans leurs puissances ; qu'ainsi plus l'univers matériel avance en âge, plus il se rapproche du néant, puisqu'il s'élève à ses puissances.

C'est cette instruction qui présente l'Etre intellectuel de l'homme comme un entier, puisqu'il tient à la racine intellectuelle et divine dont toutes les puissances sont des entiers : qui annonce, par conséquent, que selon la loi des entiers, il doit s'agrandir et s'étendre à mesure qu'il s'élève à ses puissances, puisque le privilège des entiers, est de manifester de plus en plus leur grandeur et l'indestructibilité de leur être.

C'est cette instruction qui montrant le nombre de l'homme comme étant plus vaste à mesure qu'il s'élève à ses puissances, nous fait comprendre qu'il doit y avoir un terme où l'action temporelle de ce nombre étant complète, il ne puisse plus agir que dans l'infini, et par conséquent hors des bornes matérielles, particulières et générales. Et en effet, voici le tableau du cours progressif de l'homme intellectuel : dans l'enfance il ne pense point, à cause de son corps ; dans la jeunesse il pense par le corps ; dans l'âge mûr il pense avec le corps ; dans la vieillesse il pense malgré le corps ; après la mort il pense sans le corps.

C'est cette instruction qu'on ne peut pas taxer de vouloir dominer sur la croyance des hommes : puisqu'elle les engage, au contraire, à ne pas faire un pas sans examen : c'est cette doctrine, qui montrant dans l'homme les vestiges et les ruines d'un magnifique Temple, lui présente toutes les actions de la Sagesse et de la Vérité, comme tendant sans cesse à le relever sur ses fondements : qui lui apprend que les voies tracées par les hommes éclairés, ou les Elus généraux, lui sont nécessaires dans le moyen âge de sa réhabilitation : mais que les vraies lumières qui conviennent à chacun en particulier, arrivent par un canal plus naturel encore, et à couvert de toute illusion, quand l'homme a fait longtemps une abnégation absolue de lui-même, qu'il ne s'est point rempli de sa propre suffisance, qu'il n'a point été sage à ses propres yeux, et que comme la fille de Jephté, il a pleuré sincèrement sa virginité.

C'est cette instruction qui lui démontre que le crime de l'homme a fait subdiviser relativement à lui toutes les vertus, dont il pouvait autrefois contempler d'un coup d'œil le vaste ensemble ; mais que la nature des Etres étant indélébile, dès que l'homme est l'expression caractéristique du Principe suprême, il faut éternellement que cette loi opère.

C'est cette instruction qui le porte à reconnaître que la multitude de faits, d'actions, d'Agents, de vertus répandue dans l'Univers, suivant les Traditions de tous les Peuples, ne sont que l'exécution même de cette loi coéternelle et indestructible, qui ayant constitué l'homme, l'accompagne, et l'accompagnera à jamais dans tous les instants de son existence.

Enfin, c'est cette instruction qui lui fait considérer tous les faits de la nature, comme l'expression de sa véritable science, et de la sublimité de ses fonctions primitives, ainsi qu'on peut le voir dans l'arc-en-ciel phénomène qui est formé par la réflexion des rayons solaires, comme les vertus intellectuelles sont des reflets de l'Action du Dieu suprême : qui ne paraissant que lorsqu'il y a des nuages, semble poser la borne entre leur ténébreux chaos, et le séjour de la lumière : qui porte un nombre régulier dans ses couleurs : qui se présente sous la forme d'une circonférence tellement subordonnée à l'homme, que celui-ci en occupe toujours le centre, et s'en fait suivre à tous les pas : qui offre par là à ses yeux un tableau immense, où il peut voir quels étaient ses premiers rapports avec l'unité, avec les Agents soumis dont il disposait à son gré, et avec le séjour du désordre et de la confusion dont ces Ministres fidèles le tenaient soigneusement séparé : qui en un mot, présente un tableau si fécond, que la Sagesse ne pouvait pas choisir un plus bel emblème, quand elle voulut, lors du Déluge, annoncer ces vertus supérieures et universelles dont elle a fait de tout temps les organes et les signes de son alliance avec l'homme.

Ceux qui, avec une doctrine aussi sublime, se présenteraient pour nous guider dans la carrière de la vérité, pourraient mériter notre confiance : car s'il arrivait que leur marche ne fût pas conforme à leurs principes, ces principes seuls nous auraient assez ouvert l'intelligence pour que nous sentissions le faux de leur marche, et que la pureté de nos désirs rendit leurs efforts impuissants.

Ils mériteraient d'autant plus cette confiance, s'ils nous apprenaient à discerner la science d'avec la sagesse qui est le complément et le but de toute science.

Il ne faut pas croire, en effet, que cette sagesse soit à notre seule disposition et dépende absolument de nous, comme l'habitude des exercices corporels auxquels nous pouvons nous former à force de répétitions, et être comme assurés de réussir.

Nous avons en nous, il est vrai, plusieurs facultés intellectuelles et spirituelles qui peuvent se perfectionner par notre travail : telles sont les vertus secondaires, et même la science : mais quant à la sagesse, ce n'est point à force ouverte que nous y parviendrons ; c'est la Cour des Rois où il faut marcher avec humilité, soumission, prévenance, attention constante à captiver leur bienveillance, on, à quelque instant qu'ils nous prennent, il faut toujours qu'ils nous trouvent prêts à leur plaire, et à nous sacrifier pour eux. C'est autant par la patience que par l'autorité et par la violence, qu'il faut écarter les rivaux qui nous traversent. La douceur et l'amour, voilà les routes qui mènent à la félicité ; encore, malgré tous ces soins, le Prince peut être ne jugera-t-il pas à propos de nous honorer d'un regard.

Jugeons maintenant si la sagesse est une chose précieuse, et s'il est rien à quoi elle puisse se comparer. L'homme devrait la demander sans cesse, mais avec des paroles de feu qui exprimassent combien il la désire ; son visage devrait porter d'avance la joie dont ce trésor peut le remplir ; c'est une soif ardente, c'est un besoin voluptueux, c'est tout son Etre intérieur qui doit parler.

Nous pourrions écouter nos Maîtres, s'ils nous peignaient les imprudences auxquelles l'esprit de l'homme est exposé dans sa marche, par ses jugements trop précipités ; s'ils nous disaient qu'à quelque degré de connaissance, de sagesse et de vertus que nous puissions être, il nous reste toujours plus à acquérir que nous ne possédons ; que les plantes qui poursuivent dans une paisible persévérance le cours de leur action devraient nous servir de modèles ; que tous les moments que l'homme emploie à se contempler sont pris sur ceux destinés à sa croissance ; que non seulement il ne faudrait pas compter pour quelque chose les jouissances les plus vastes auxquelles nous pouvons tendre comme hommes, mais qu'il faudrait regarder bien moins encore les jouissances et les faveurs particulières, comme le complément de l'œuvre ni une science isolée comme l'universalité des merveilles renfermées dans l'alliance de l'homme avec son Principe car cette fausse manière de voir serait le premier obstacle à nos progrès : et si nous venions à l'insinuer à d'autres, nous pourrions être assurés que nous les trompons, et que nous nous trompons nous-mêmes.

Nous pourrions écouter attentivement ces Maîtres, si après nous avoir instruits par ces principes, ils nous engageaient à examiner s'il n'y a pas un complément à ce grand œuvre : et ici nous allons voir naître un nouvel ordre de choses.

Que seraient les connaissances de l'homme, que serait cet Etre fait pour posséder l'unité des sciences et des vérités, s'il n'avait pu espérer de connaître qu'une subdivision des vertus divines ? Sa nature l'appelant à contempler la réunion de ces mêmes vertus ; et à être leur signe vivant, comment aurait-il jamais recouvré des privilèges aussi sublimes, s'il n'eut vu que des rayons épars de cette unité ?

 En effet, que sont ces Héros, ces demi-Dieux, ces Agents célèbres, dont les Traditions historiques et fabuleuses nous présentent sans cesse la correspondance avec la Terre ? Ils n'ont été chacun dépositaires que de quelques vertus particulières de l'unité. L'un en a manifesté la force par la grandeur de ses entreprises, et par ses immenses travaux. L'autre en a manifesté la justice par la punition des malfaiteurs et par l'asservissement des rebelles. D'autres, enfin, ont manifesté la bonté, la bienfaisance, par les Sciences et les secours qu'ils ont apportés aux malheureux, et par les douceurs qu'ils ont fait goûter aux hommes de paix. Et même on peut dire de ces Agents, sans excepter ceux dont il est parlé dans les Traditions des Hébreux, qu'ils ne montraient à l'homme que des vertus isolées, temporelles et passagères, et que par conséquent ils ne lui donnaient point une idée parfaite de son Etre, ni des droits qui sont attachés à sa nature.

Il lui manquait encore le complément de cette connaissance pour concevoir le sens de tous ces emblèmes grossiers qui avaient bien représenté la loi de l'homme : mais qui ne l'avaient représentée que matériellement au lieu qu'elle devait l'être par la vertu de l'homme, et par des faits qui émanassent de lui-même.

Il fallait donc qu'une ACTION PUISSANTE démontrât la réelle et féconde existence de l'homme, en lui facilitant l'intelligence de son Etre, et en l'élevant à un état de supériorité auquel il ne cessait de tendre, depuis sa chute par une loi irrésistible de son essence il fallait dis-je une troisième époque ; il fallait un type total, qui lui offrit une loi plus simple et plus une que toutes celles qui avaient précédé: une loi plus analogue à la vraie nature de l'homme, dont nous ne cesserons de défendre la grandeur et la sublimité.

Enfin, il fallait que la Sagesse fit ouvrir pour la postérité humaine, une porte de plus que celles qui sont contenues dans le carré de la puissance de l'homme ; c'est-à-dire que cette Sagesse devait faire ouvrir une cinquantième porte, pour abolir le nombre de servitude opéré par la double puissance du mal, afin que l'homme, après s'en être délivré lui-même, pût encore en délivrer son enceinte : « et tel était l'esprit de cette loi hébraïque, qui au bout de cinquante ans rendait la liberté aux esclaves ; et faisait rentrer les biens aliénés dans les mains de leurs premiers Maîtres » .

Par cette vertu nouvelle, non seulement l'homme devait voir disparaître en lui les lois de l'instinct et des affections des brutes, mais encore y substituer les droits et les affections de l'intelligence. Non seulement il devait reconnaître tous les pouvoirs de l'ordre et de la justice : mais encore apprendre à s'élever au-dessus de la justice même, en se conduisant par une loi bien différente de celle qui n'avait été écrite que pour les esclaves et les malfaiteurs : en un mot, il devait apprendre à juger de la véritable destination de son Etre, qui n'était pas fait pour être resserré dans des entraves, mais pour faire le bien, comme Dieu, par nature, par amour, et sans être mu par l'appareil des punitions et des récompenses.

Pendant la première époque de son expiation, l'homme comme l'enfant dans les liens ténébreux de la matière, éprouvait sans doute les bienfaits de la Sagesse. Mais, recevant ces bienfaits, comme l'enfant, sans les apercevoir ni reconnaître la main qui les répandait sur lui il n'était que passif, et son Etre réel et intelligent ne goûtait pas encore sa vraie nourriture, qui consiste dans l'activité et la vie.

Dans la seconde époque, ses facultés plus développées le mettaient à portée de profiter des dons qui lui sont prodigués. C'était alors que des Agents vertueux et éclairés, placés près de lui, l'assujettissaient à des sacrifices, pour lui faire comprendre l'état de violence et de sujétion où toute la Nature se trouvait par rapport à lui : puisque tout donnait sa vie pour lui.

Par là, ces Agents l'instruisaient sur la destination des différentes parties de l'Univers. Ils lui apprenaient qu'il n'y avait pas un seul Etre dans la création universelle, qui ne fût l'image d'une des vertus divines ; que la Sagesse avait multiplié ces images autour de l'homme, afin que, quand il les lui présenterait elle fit à leur aspect sortir d'elle-même une nouvelle onction ; qu'ainsi elle transmit jusqu'à l'homme tous les secours dont il a besoin ; et que le modèle s'unissant à la copie, l'homme pût les posséder l'un et l'autre.

C'était lui peindre, en effet, sa destinée sous des couleurs vives, que de lui représenter l'Univers comme un grand Temple, dont les astres sont les flambeaux, dont la terre est l'autel, dont tous les Etres corporels sont les holocaustes, et dont l'homme est le Sacrificateur. Par là il pouvait recouvrer des idées profondes sur la grandeur de son premier état, qui ne l'appelait à rien moins qu'à être le Prêtre DE L'ETERNEL dans l'Univers.

Mais, malgré cette brillante lumière, que les Elus de la seconde époque vinrent communiquer à l'homme, en lui annonçant qu'il était le Prêtre de l'Eternel, il n'avait point encore l'explication de ce titre sublime.

Le tableau des rapports que ces Elus lui présentaient quelque magnifique qu'il fût, ne lui offrait que des objets inférieurs à sa propre nature ; il n'y voyait que des puissances éparses et divisées : que des holocaustes corruptibles : il n'y voyait ni les indices d'une offrande impérissable, ni l'unité des agents qui devaient y concourir ; afin que par eux il pût jouir de la plénitude de ses droits.

Il était donc réservé à une troisième époque, de lui faire acquérir la connaissance plus parfaite de la vérité, et de lui apprendre que, si de simples images temporelles, ont pu lui faire découvrir quelques-unes des vertus supérieures, il ne doit mettre aucune borne à ses espérances, en présentant à la vérité une image émanée d'elle-même, qui par les secours qu'elle envoie à l'homme, l'anime de la même unité, et l'assure de la même immortalité.

C'est donc là où l'homme découvrant la science de sa propre grandeur, apprend qu'en s'appuyant sur une base universelle, son Etre intellectuel devient le véritable Temple ; que les flambeaux qui le doivent éclairer sont les lumières de la pensée qui l'environnent et le suivent partout ; que le Sacrificateur, c'est sa confiance dans l'existence nécessaire du Principe de l'ordre et de la vie ; c'est cette persuasion brûlante et féconde devant qui la mort et les ténèbres disparaissent ; que les parfums et les offrandes, c'est la prière, c'est son désir et son zèle pour le règne de l'exclusive unité ; que l'autel, c'est cette convention éternelle, fondée sur sa propre émanation, et à laquelle Dieu et l'homme viennent se rendre, comme de concert, pour renouveler l'alliance de leur amour, et pour y trouver, l'un sa gloire, et l'autre son bonheur ; en un mot, que le feu destiné à la consommation des holocaustes, ce feu sacré qui ne devaient jamais s'éteindre, c'est celui de cette étincelle divine qui anime l'homme et qui, s'il eût été fidèle à sa loi primitive, l'aurait rendu à jamais comme une lampe brillante et secourable, placée dans le sentier du Trône de l'Eternel, afin d'éclairer les pas de ceux qui s'en étaient éloignés ; parce qu'enfin l'homme ne doit plus douter qu'il n'avait reçu l'existence que pour être le témoignage vivant de la lumière et le signe de la Divinité.

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Chapitre XVIII