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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XIV
Si les Livres hébreux enseignent l'horrible dégradation de l'homme, confirmée par notre état actuel, ils annoncent encore plus clairement les différents secours qui lui sont accordés pour sa régénération, et dont on a vu la nécessité, fondées sur le lien indissoluble du chef divin avec son image, et sur l'amour dont il est embrasé pour l'homme, qui est l'extrait de son essence et de ses vertus.

C'est pour cela qu'au milieu de tous les fléaux qui ont suivi les différentes prévarications de la postérité de l'homme, et que la Nature a pu ressentir jusque dans ses Principes fondamentaux, les Livres hébreux qui ont conservé les récits, présentent des vertus puissantes, mises en action successivement pour réparer les désordres ; on y voit à différentes époques, des Etres virtuels, dont les uns agissent sur l'eau, les autres sur le feu, d'autres sur la terre, et qui répètent dans ces régénérations particulières, ce qui s'était passé lors de la régénération primitive, où avant de réhabiliter l'homme, il fallait rétablir son domaine.

Le premier exemple que les Traditions hébraïques nous offrent de ces vérités, est le récit des prévarications anciennes, où les Nations entières des premiers temps sont présentées comme livrées à l'empire des sens matériels, au point d'avoir corrompu toutes les voies de la nature, et d'avoir mérité d'être punies par l'élément de l'eau. C'est en même temps le tableau des moyens de la Sagesse suprême employa alors pour conserver sur la terre un asile aux vertus de l'homme juste, et à celles de tous les êtres de la création.

Plus l'influence générale des crimes de l'homme sur l'élément de l'eau paraît étonnante, plus on est forcé de convenir qu'il n'y a que la grandeur de son être qui puisse résoudre ce problème. Sa sublime origine est un témoignage véridique de l'étendue de ses droits ; car si l'on ne met point de terme à ses vertus, ni par conséquent aux fruits qui en sont la récompense, on n'en doit pas mettre à ses prévarications, ni aux suites qui doivent naturellement les accompagner.

De même que l'homme peut exercer l'empire de ces droits légitimes, et obtenir de la nature entière les hommages dus à un Souverain ; de même il peut montrer les signes d'un traître, d'un rebelle, et attirer sur lui la rigueur de toutes les Puissances qu'il aurait voulu usurper.

Qu'on ne s'arrête donc point exclusivement aux crimes charnels des premières Postérités de l'homme, si l'on veut découvrir la vraie cause du déluge : il y a une trop grande disproportion entre l'influence de ces sortes d'excès sur la dissolution des corps, et ce phénomène destructif que l'Ecrivain nous peint comme produit par le concours de la Nature entière : le dépérissement corporel de l'individu qui s'abandonne à ces excès, étant sa punition naturelle, la justice supérieure se trouve satisfaite, sans qu'elle ait besoin d'étendre l'action des éléments primitifs universels.

Il faut donc admettre que ces premières Postérités ont pu se livrer à des égarements plus considérables, et à des actes criminels assez puissants pour attirer sur eux des fléaux sans bornes et sans mesure. Si le premier crime de l'homme l'assujettit aux éléments, et le plongea dans l'immense région des actions sensibles et confuses, quelle erreur y aurait-il à croire que par de semblables crimes, il eût pu s'exposer de nouveau à la fureur de ces éléments ?

La seule différence qu'il faut observer, c'est que l'homme primitif, n'étant pas encore matérialisé lors de son premier crime, ressentit l'action du Principe même des éléments ; au lieu que dans les prévarications de sa postérité, les éléments n'ont pu opérer sur l'homme que par leur action grossière, parce qu'il est lui-même corporisé grossièrement. Or, d'après toutes les notions physiques qui ont été présentées dans cet écrit, on doit savoir que la première apparence de la corporisation des choses grossières et sensibles, c'est l'eau.

Ce fléau extraordinaire doit cesser de paraître impossible, dès qu'il n'est pas impossible à l'homme de s'y exposer ; et si les hommes ont en eux le droit de pouvoir provoquer la justice de différentes manières, elle doit être aussi toujours prête à laisser tomber sur eux l'espèce de punition dont l'espèce de leur crime les rend susceptibles ; car la possibilité du crime ne doit pas aller au-delà de la possibilité de la punition, sans quoi la vérité serait en danger.

Remarquons, en prenant toujours le physique sensible pour guide, que dans les individus humains, la plus grande effervescence des sens se faisant sentir vers le tiers de la vie, elle a dû suivre la même époque pour l'homme général ; et que les crimes intellectuels qui ont pu accompagner ces écarts et attirer les grandes catastrophes, doivent avoir par analogie la même date ; d'où l'on pourrait avec de l'attention se procurer quelques éclaircissements sur l'âge du Monde et sur l'époque du Déluge.

C'est en vain que les Observateurs ont attaqué la réalité de ce Déluge, par l'impossibilité qu'il y ait sur la terre, selon leur calcul, un volume d'eau suffisant pour couvrir toute sa surface, et pour s'élever jusqu'aux plus hautes montagnes. Ces objections n'ont pour base que le défaut d'intelligence des Traducteurs, et les erreurs que les systèmes philosophiques ont répandu sur la nature de la Matière, en ne lui reconnaissant pas d'autres principes qu'elle même.

En effet, le mot hébreu arubboth, quoique signifiant cataractes, selon la lettre, n'est-il pas, suivant les mêmes Interprétateurs, un dérivé du verbe rabab, ou raba, qui veut dire, il a été multiplié ? Alors le texte présente l'idée naturelle d'une action plus étendue dans l'Agent qui produit l'eau, et nullement celle du simple écoulement d'une eau auparavant existante ; parce qu'alors il y aurait seulement union, agrégation, et l'on ne verrait point l'acte d'un Etre vivant qui crée et qui multiplie.

On ne saurait contester, suivant ce principe, la possibilité des grandes révolutions de la Nature, l'excès d'un élément sur l'autre, et par conséquent les fléaux universels qui peuvent tomber sur des Régions, sur les Peuples, sur la Terre entière.

Car il faudrait commencer par nier l'existence du Monde lui-même, puisqu'il n'est que le résultat apparent de l'action vivante et combinée des éléments, qui se combattent et se surmontent alternativement dans son enceinte ; et manifestent les uns envers les autres, la vie et les lois qu'ils ont reçues des Puissances suprêmes.

Les Observateurs ont également contesté l'existence de cette Arche célèbre, bâtie par l'ordre suprême, pour conserver un rejeton de la race humaine. Quelle qu'ait été cette Arche, comme elle représentait l'Univers, elle a dû comme lui renfermer, soit en nature, soit en principes, tous les Agents et toutes les facultés qui le composent ; et si ces choses paraissent inexplicables à l'homme qui marchent sans la loi, elles ne le sont plus pour celui qui la connaît, et qui a l'idée qu'il doit avoir de sa grandeur et des droits de son Etre.

Ajoutons que comme le premier germe vivifiant, des choses, l'Arche était portée sur les eaux : que comme lui, elle surnageait sur le chaos et sur l'abîme terrestre, pour lui rendre au temps prescrit, la vie dont il était privé ; et que comme ce germe vivifiant, elle contenait un Agent pur, une source vivante de justice et de sainteté, dans laquelle les hommes à naître devaient trouver encore des traces de leur première splendeur.

Je ne puis me dispenser, au sujet de l'Arche, d'engager les Observateurs à jeter les yeux sur les Traditions chinoises : ils y verront que le « caractère de barque, vaisseau, est composé de la figure de vaisseau, de celle de bouche et du chiffre huit, ce qui peut faire allusion au nombre des personnes qui étaient dans l'Arche. On trouve encore les deux caractères huit et bouche avec celui d'eau, pour exprimer navigation heureuse ». Si c'est un hasard, il s'accorde bien avec le fait.

Portons un instant nos regards sur ces vestiges si confus, si variés, de l'inondation générale et du bouleversement universel, dont les signes écrits sur cette surface terrestre, attestent partout la certitude. Dans le point de Physique que j'ai déjà traité, relativement à l'origine de l'Univers, je n'ai eu en vue que les résultats réguliers qui paraissent avoir dû accompagner sa naissance ; ici je le considère dans ses désordres.

Dans cette inondation générale que les Observateurs ne peuvent pas nier, ils ne veulent voir qu'un fait physique, isolé, et indépendant des rapports qu'il doit avoir avec le grand couvre auquel toutes les puissances des Etres sont employées. Mais si le plan immense qui a été exposé dans ces Ecrits, peut étendre leurs idées sur la nature de l'homme, et sur sa liaison avec toutes les choses visibles et invisibles, ils trouveront de nouveaux éclaircissements dans ces mêmes Traditions hébraïques, où les lois des choses sont tracées avec fidélité, parce qu'elles mettent en jeu tous les ressorts et tous les Etres. Ils y verront que pour terminer le Déluge, indépendamment de l'action de tous les éléments en convulsion, une force supérieure fit cesser l'action du principe de l'eau, et qu'en même temps elle envoya un air ou un souffle actif, qui agitant en tous sens les eaux répandues sur la terre, dut occasionner ces énormes transpositions de substances terrestres d'un climat à l'autre, et faire dans un temps très court, des révolutions qui demanderaient des temps sans bornes, si elles n'eussent été que le résultat des simples actions élémentaires.

Ne soyons donc plus étonnés que d'une combinaison d'actions si opposées et si violentes, il ait résulté des effets physiques si bizarres, et si inexplicables quand on supprime quelques-uns des Agents qui ont dû contribuer à les produire. Accoutumons nos yeux à saisir l'ensemble des principes, si nous voulons saisir l'ensemble des faits.

A la fameuse époque du Déluge, succède un nouvel égarement de la postérité de l'homme, où les criminels s'efforcent d'usurper les Vertus des Cieux par des voies terrestres, matérielles et impures, cachées sous l'expression de cet édifice audacieux, qui n'étant construit qu'avec de la brique, et n'ayant pour ciment que du bitume annonçait à la fois, la folle impiété de ceux qui l'élevaient, et le peu de consistance que devait avoir leur ouvrage.

La suite de ce crime fut cette célèbre confusion des Langues qui divisa le même Peuple en plusieurs Nations. Emblème qui annonce bien plus encore l'obscurité et la confusion de l'intelligence de ces Peuples, que la variété de leur langage sensible et habituel quoiqu'il soit vrai néanmoins, qu'ayant dés lors formé plusieurs Sectes éparses et séparées, ils ont pu voir ensuite leur langue commune et primitive s'altérer par le temps, et produire une multitude innombrable d'autres langages, presque absolument étrangers les uns aux autres.

Cette division de langages, perpétuée sur toute la surface de la terre, répète d'une manière typique la situation actuelle de l'homme, pour lequel depuis sa chute, la Langue de tous les Etres vrais qui l'environnent est inintelligible, et qui ne sait plus quel moyen employer lui-même, pour revivifier sa correspondance avec eux, et reprendre son ancien empire.

Par conséquent, ces deux punitions étant semblables, annoncent qu'elles sont le fruit du même crime, et que l'homme ne se trouve aujourd'hui si étranger au langage de la vérité, que pour avoir osé dans le principe parler un autre langage que celui de cette vérité ; comme les postérités premières n'ont cessé de l'entendre que lorsqu'elles ont cessé d'avoir pour but l'exclusive domination du Premier de tous les Etres, et qu'elles ont formé le dessein de lui substituer un autre Principe.

J'exposerai ici une vérité qui jettera quelque jour sur l'origine primitive et sur la dégradation des Sciences. On prétend que les hommes ont été d'abord dans la plus profonde ignorance, et réduits aux seules ressources de l'instinct : on les a peints avec les couleurs que nous donnons aux Peuples sauvages, n'ayant à combattre que la Nature, à satisfaire que leurs besoins corporels, et à ne communiquer entre eux que par leurs idées sensibles ; et l'on veut faire croire que telles ont été les bases sur lesquelles se sont élevés successivement les différents étages de l'édifice des connaissances humaines.

On s'est trompé, en plaçant là l'origine accroissante des sciences de l'homme. Lorsque après sa dégradation, il fut admis sur la Terre, il y vint avec plus de lumière que n'en a possédé peut-être toute sa postérité ; quoique ces lumières aient été inférieures à celles dont il jouissait avant d'y descendre. Il a été comme la tige de ces Elus généraux, employés par la bonté divine à la réparation de son crime ; il a communiqué à ses Descendants les lumières dont il avait alors la jouissance : et c'est là le véritable héritage dont les premiers hommes étaient si avides, et dont les hommes des siècles suivants n'ont plus conservé que la figure dans leurs hérédités matérielles.

Mais ces postérités primitives ont laissé altérer cet héritage, comme l'homme lui-même avait perdu celui dont il jouissait pendant sa gloire ; et l'ignorance allant de front avec l'iniquité, n'a fait que croître jusqu'à ce que l'une et l'autre étant à son comble, les fléaux de la justice ont réduit les hommes aux plus épaisses ténèbres et à une dispersion absolue.

C'est à cette dernière époque que l'on devait se transporter pour trouver l'homme languissant dans l'incertitude et la misère, et réduit aux seules ressources de son instinct ; c'est à cette époque que l'on doit chercher l'origine des Langues conventionnelles, parce que toute connaissance vraie étant perdue pour les hommes, il leur fallut employer les objets sensibles pour signes de leurs idées ; enfin, telle a été la source de toute l'industrie à laquelle ils furent obligés d'avoir recours, après avoir abandonné les mobiles infaillibles qui pouvaient encore les diriger sur la Terre.

Leurs efforts, excités par leurs besoins, les ramenèrent bientôt par divers moyens à des découvertes, et à des notions, quoique imparfaites, de ces mobiles universels qui leur étaient si nécessaires ; sans qu'aucun Peuple, aucune Tribu, aucun individu peut-être, n'ait marché dans cette carrière, ni du même pas, ni par les mêmes sentiers.

Ce fut alors que les Sciences allèrent en croissant parmi les hommes, et l'on en peut suivre la chaîne comme non interrompue depuis cette époque secondaire jusqu'à nos jours ; on doit même être assuré qu'elles ne feront que se développer de plus en plus, si l'on réfléchit aux moyens sans nombre qui ont été découverts pour les répandre.

Il en a été de l'espèce générale de l'homme, comme de ses individus. Rien de plus pur que les premiers rayons de lumières dont notre Etre est éclairé, lorsqu'il commence à être susceptible de les recevoir bientôt ces rayons précieux se trouvent arrêtés, souvent même obscurcis par des passions orageuses, qui font perdre à l'homme jusqu'au souvenir de ces premières faveurs d'intelligence qu'il avait goûtées au sortir de l'enfance : mais bientôt aussi on le voit se délivrer de ces entraves pour s'élever vers les régions des sciences et de la raison et marcher dans des sentiers immenses de lumière et de vérités, qui s'étendant chaque jour devant ses yeux vont se perdre dans l'infini.

C'est par une suite de cet accroissement progressif, qu'au milieu des prévarications et de la dispersion des anciens Peuples, un Juste est choisi parmi les Chaldéens pour être le dépositaire de la connaissance des différentes lois naturelles à notre Etre. Ce Juste est tiré de la ville de Our, qui en hébreu signifie lumière, pour nous rappeler l'émanation du premier homme et de toute son espèce, qui a pris naissance dans le sein de la vérité même, et qui appartient et correspond par sa nature, au centre universel de la Vie.

Ce Juste paraît favorisé sensiblement de trois signes supérieurs, ou de la présence de trois Agents immatériels corporisés en forme humaine, recevant même de lui l'hospitalité. Ces signes faisant allusion aux trois vertus suprêmes, annoncent le rang sublime auquel cet homme était appelé ; et ce rang c'était d'être le Père d'une Postérité aussi nombreuse que les étoiles du Ciel, et que la poussière de la Terre c'était en pénétrant le sens de cette expression figurée, de recouvrer toutes les Vertus supérieures dont l'homme avait été dépouillé, et de ramener les êtres inférieurs ou égarés ; c'était enfin d'être le Chef et le père d'un peuple choisi entre tous les peuples de la Terre, destiné à être l'objet des faveurs de la Divinité, et à servir de fanal à toutes les Nations. La pensée nous montre ce choix d'un peuple, comme nécessaire, afin que l'homme eût devant les yeux, et dans sa propre espèce, la représentation vivante de ce qu'il avait été lui-même.

Pour remplir cette glorieuse tâche, voici l'ordre qu'il reçut, avant de prendre possession de la terre qui lui était promise. Il lui fut recommandé de la parcourir en latitude et en longitude : nouvel indice de la supériorité quaternaire de l'homme, et de ces deux diamètres dont nous avons déjà parlé.

Si l'on voit cet homme privilégié commettre un adultère non seulement impuni, mais comme autorisé puisqu'il ne nuit point à son élection ; et que cependant l'adultère ait passé ensuite pour un si grand crime chez les Hébreux : c'est que la loi n'avait point encore été publiée ; c'est que l'œuvre ne faisait pour ainsi dire, qu'arriver à son aurore ; et que les hommes ne connaissant encore leurs vertus que par les générations charnelles, n'étaient point à portée d'en régler l'ordre par une loi supérieure et lumineuse : et tel est le pouvoir des lois sensibles auxquelles l'homme s'est assujetti, que plus il en est rapproché, plus sa nature vraie rentre dans le silence, pour ne laisser régner que ces lois sensibles.

Voilà pourquoi dans l'origine, il fut permis d'épouser sa propre sueur, quoique ensuite les hommes n'aient pu former d'alliance qu'au quatrième degré de parenté, parce que ce nombre étant celui de l'action universelle, donne à un même sang le temps de se renouveler, et démontre à l'homme que son Etre intellectuel ou quaternaire doit être l'ordonnateur de toutes ses facultés.

Après les promesses glorieuses qui furent faites au premier Chef du Peuple choisi, on peut aisément reconnaître dans cet homme Juste, dans son fils Isaac, et dans son petit-fils Jacob, l'expression successive et subdivisée des trois facultés suprêmes dont il avait reçu les signes à la fois, et qui servent de type à celles que manifeste l'âme humaine. Il démontre lui-même visiblement la pensée, par le rang de son élection qui le rendit le premier dépositaire des desseins du grand Etre sur la postérité des hommes : son fils est l'emblème de la volonté, par le sacrifice libre qu'il fait de son individu : et le fils de son fils annonce l'action par le combat qu'il soutient contre l'Ange, et par la nombreuse famille qui sort de lui. Ici la liberté de l'intelligence ne pourrait-elle pas s'étendre ; voir dans Rebecca l'image du monde sensible ; et par ces deux enfants qui combattent dans son sein, reconnaître l'image de l'homme, et de ce frère aîné, son ennemi, avec lequel il est emprisonné dans l'univers ?

Dans la suite, les descendants de ce Juste hébreu devinrent esclaves de la Nation Egyptienne, dont ils avaient réclamé le secours. Le sens du mot Egypte, exprimant la douleur et la tribulation, l'union de la postérité Juive avec cette Nation annonçait celle que le premier coupable fit avec l'abomination même, et montrait que nul être ne peut se précipiter dans un tel abîme, sans être condamné à souffrir, et à y séjourner pendant un temps proportionné à son iniquité.

Les Livres des Hébreux nous peignent en effet les suites de cette criminelle alliance. Ce Peuple réduit à consumer ses jours et ses travaux sur de la poussière, exposé aux injustes exactions de ses tyrans, répète l'humiliante situation de l'homme ici-bas, où son action étant horriblement resserrée, il a cependant à soutenir des combats plus grands et plus multipliés que dans son premier état ; enfin, il a à vivre, quoiqu'il soit, pour ainsi dire, séparé de la vie.

Mais il voit paraître un Agent célèbre, échappé comme Enfant des Hébreux, à la cruauté du Roi d'Egypte ou à ces vertus impures qui s'opposent aux premiers efforts de notre Etre pensant, et qui ne travaillent qu'à l'empêcher de reprendre sa liberté. Cet agent célèbre est flottant comme l'homme sur les eaux de l'abîme, préservé de leur gouffre par un berceau, comme l'homme l'est par les vertus de son corps, élevé, dirigé par un Instituteur fidèle, comme l'homme le serait toujours, s'il était actif et docile : enfin, chargé comme lui de veiller au rétablissement de l'ordre et de la destruction de l'iniquité.

Par ses travaux, par ses victoires sur les Egyptiens, ce Juste nous peint donc les pouvoirs de l'homme sur les vertus de l'Univers, et sur le Principe du mal. Ceux qui ont prétendu que ce législateur tenait toutes ses Sciences des Egyptiens, n'ont pas observé qu'avant de combattre les Sages de cette Nation, ce Juste avait passé plusieurs années chez son beau-père Jéthro qui était Prêtre, et qu'il s'y assit près d'un Beour, mot qu'on a traduit par un puits, mais qui par son analyse n Beth, dans, et Our, lumière, ne signifie rien moins que le séjour de la science de la vérité.

La supériorité de l'homme sur les choses sensibles, et ses pouvoirs sur la corruption, nous sont tracés dans le tableau de la sortie de l'Egypte, et dans celui du passage de la mer Rouge. Le premier nous peint les Egyptiens anéantis, pour ainsi dire, par toutes les plaies qu'ils avaient attirées sur eux, mais ne cédant qu'à la dixième. Il nous les peint dépouillés de leurs richesses, dans lesquelles on doit sûrement comprendre les instruments criminels de leur culte ; il nous les peint poursuivant par des routes incertaines, le Peuple Hébreu, qui seul jouissait visiblement de la lumière, tandis que les ténèbres étaient répandues sur ses ennemis et sur toute l'Egypte. Le second nous représente les éléments obéissants à la voix qui leur commande d'ouvrir un passage libre à ceux qui étaient conduits par la Sagesse, et de reprendre leurs cours naturel à l'approche des impies, qui n'ayant point les vertus nécessaires pour s'en défendre, devaient en être les victimes.

Ce second tableau nous apprend encore que les substances corruptibles du sang sont les véritables entraves qui retiennent l'homme dans le pâtiment, et que c'est par la rupture de ces liens, ou par la séparation de son Etre intellectuel d'avec le sang, qu'il recouvre quelque liberté ; ce qui avait été déjà indiqué par l'esprit du précepte de la circoncision ; ce qui le fut dans la suite par la défense faite au Peuple de manger du sang, parce que la vie de la chair était dans le sang, et que l'âme de la chair avait été donnée aux Hébreux, ou aux hommes pour l'expiation de leur âme. Expressions assez claires pour justifier le Législateur des Hébreux du reproche que plusieurs lui ont fait de n'avoir pas distingué dans l'homme un être différent de l'Etre sensible.

Enfin par les différents campements et les différents travaux qui suivirent la sortie d'Egypte, ce Législateur nous peint les différentes suspensions que l'homme doit subir après son passage corporel, pour réaliser ce qu'il n'a pu connaître ici-bas qu'en apparence ; de façon que Moïse seul présente en lui un type entier du cours universel de l'homme, depuis son origine terrestre jusqu'au terme où sa nature primitive ne cesse de la rappeler.

Nous arrivons à cette époque où la voix divine se fait entendre aux Hébreux ; où le Législateur écoute lui-même comme tout le Peuple, la Parole sacrée qui se communiquait aux hommes, pour leur apprendre à ne se conduire que par elle, à ne pas donner leur confiance à des Dieux étrangers, et à des idoles qui ne parlaient point. Dans les faits qui se passèrent alors, on voit figurées la loi première de l'homme dans son état de splendeur, et la seconde loi de ce même homme dans son état de réprobation. En effet, sa loi première lui fut retirée, dès qu'il s'éloigna du centre de la vérité comme les premières Tables furent brisées, lors de l'idolâtrie du Peuple Hébreu.

La seconde loi, quoique contenant les mêmes préceptes que la première, c'est-à-dire, l'obligation indispensable de manifester les propriétés de notre Principe, et d'être en quelque façon l'organe vivant de ses vertus, cette seconde loi, dis-je, est inférieure à la première, et infiniment plus rigoureuse. Outre l'expérience journalière que notre situation actuelle nous force d'en faire, nous en avons un indice dans ces mêmes Tables que les Traditions hébraïques nous présentent.

Les premières Tables de la Loi sont annoncées comme ayant été non seulement écrites, mais encore taillées de la main de Dieu. Tableau instructif, dont le vrai sens est l'émanation de l'homme hors du sein de la lumière, sur qui la même main qui lui donnait l'être, gravait à la fois le nombre, ou la convention sur laquelle toute sa puissance et toute sa gloire devaient être fondées.

Au contraire, les secondes Tables nous sont bien données par l'Ecrivain, comme ayant été écrites par la main de Dieu, ainsi que les premières : mais la différence qui se trouvait entre elles, c'est que les dernières avaient été taillées de la main de l'homme, et que c'est sur cette œuvre de l'homme que l'Etre nécessaire, rempli d'amour pour ses productions, daigna encore graver son sceau et sa convention, comme il l'avait fait sur la substance pure dont les premières Tables étaient l'image : de façon que la loi de l'homme n'étant pas aujourd'hui gravée sur sa matière naturelle, opère en lui cet état violent et douloureux que tous les hommes éprouvent, lorsqu'ils cherchent cette loi avec sincérité, et qu'ils s'en approchent ; parce que ces pâtiments et cette irritation sont inévitables entre des êtres hétérogènes.

L'éclat majestueux et terrible qui accompagna la promulgation de ces lois, nous rappelle le tableau de l'origine des choses, où le désordre faisait place à l'harmonie ; où chaque être recevait son ordre et sa loi ; où la lumière mélangée et comme confondue avec les ténèbres, tendaient violemment à s'en séparer ; où les criminels qui devaient habiter ces ténèbres étaient entraînés avec les débris de cette effrayante explosion ; et où ceux qui avaient été fidèles à leur Principe, se ralliaient à sa clarté divine, pour y lire les Décrets irrévocables de son éternelle Sagesse, et pour les exercer dans l'Univers

C'est toujours sur des lieux élevés que ces grands faits nous sont présentés ; sur des lieux où l'air étant plus pur, semble communiquer à tout notre Etre, des influences, plus salutaires, et une existence plus conforme à notre nature et à notre première destination.

Car, lorsque dans la suite cette même loi a condamné le Peuple Hébreu, et ceux de ses Chefs qui sacrifiaient sur les hauts lieux, elle ne prétendait pas précisément parler des montagnes, mais de certains objets de la Nature auxquels les hommes ont trop souvent donné une confiance aveugle, et qui ayant commencé par servir d'instruments au Sabéisme, ont fini par engendrer les abus de l'Astrologie judiciaire.

Des altérations aussi grandes se sont introduites dans les Sciences des Hébreux. On en trouve la preuve dans les eaux de jalousie, par lesquelles le Prêtre s'assurait du crime ou de l'innocence de la femme accusée d'adultère. Ces épreuves, dénuées de la vertu supérieure de l'homme, dont le Prêtre est censé particulièrement revêtu, paraissent suspectes et ne présentent à l'esprit que le prestige et l'imposture : mais lorsqu'on s'élève jusqu'à la nature de l'homme, et qu'on réfléchit sur l'étendue de ses droits rien n'étonne dans de pareils récits, parce que les causes secondes lui sont subordonnées, et qu'il a le pouvoir d'en diriger les actes à la gloire de son intelligence, et au maintien de la loi de celui qu'il s'est chargé de représenter sur la Terre.

Dans la suite, cette vertu supérieure s'étant affaiblie par les hommes, ils ont néanmoins conservé les formules ; de là sont venues des épreuves de l'eau, du feu, du fer rouge, des bras en croix, qui ont été pendant longtemps la seule jurisprudence criminelle de plusieurs Peuples ; ces Peuples mêmes, contenus par la superstition, ou aveuglés par l'ignorance, ne jugeaient que d'après les faits et n'examinaient pas si ceux qui semblaient présider à ces faits, avaient ou non les titres suffisants pour mériter leur confiance, et ils ne doutaient pas de l'innocence de l'accusé, quand son courage ou son adresse l'avaient fait résister à l'épreuve.

Enfin les yeux se sont ouverts, et sur les mensongères prétentions des Juges, et sur les abus de cette Justice extravagante : mais les hommes, en s'épargnant par là des crimes atroces, ne se sont pas avancés davantage vers leur Principe ; ils ont supprimé les abus, sans rendre leurs pas plus assurés ; ils se sont garantis de l'erreur de leurs Ancêtres, et n'en sont pas devenus plus sages ; Ils sont mêmes tombés dans un autre excès ; car n'ayant apprécié ces épreuves que dans un temps où elles étaient déjà privées de leur base, ils ont cru qu'elles n'en avaient jamais eue.

II en était ainsi de la lèpre : cette maladie était regardée par les Hébreux comme une punition des fautes contre la Loi : elle ne pouvait donc être guérie que par le possesseur ou le dépositaire de la Loi : et vraiment, ce privilège ou ce don appartenait au Prêtre. Quand dans la suite, l'Art de guérir n'a plus été l'apanage du Sacerdoce ; quand le Médecin a cru pouvoir cesser d'être Prêtre, les sources de la lèpre sont restées ouvertes, comme elles le sont toujours, et les sources du remède se sont fermées. Alors, dans les ténèbres où l'homme s'est concentré, il a plutôt pensé que la lèpre était incurable, qu'il n'a vu ce qui lui manquait pour la guérir ; de façon que les maux de l'homme ont plus que doublé ; car il lui reste toujours les moyens de gagner la lèpre, et il ne trouve plus ceux de s'en délivrer.

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Chapitre XV