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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XI 

Plus j'ai démontré avec évidence que l'Agriculture et la Science hermétique n'ont pas été l'objet des emblèmes et des allégories, plus je suis engagé à indiquer clairement quel en peut être le véritable but.

Plusieurs Observateurs ont déjà donné à ces traditions une interprétation plus vivante, plus noble, plus analogue à nous-mêmes que celles que nous venons de parcourir. Je ne crains point de m'abuser en adoptant hautement la doctrine de ces judicieux Interprètes. Plus elle sera sublime, moins il y aura d'erreur à se rapprocher d'eux.

L'homme, son origine, sa fin, la loi qui doit le conduire à son terme, les causes qui l'en tiennent éloigné, enfin la Science de l'homme, inséparablement liée à celle du Premier de tous les Principes, voilà les objets que les Auteurs des Traditions primitives ont voulu peindre ; voilà ce qui peut seul ennoblir et justifier leurs symboles : voilà le seul type digne de leurs emblèmes ; parce qu'ici le type est supérieur à l'allégorie, quoique l'allégorie convienne parfaitement au type.

En effet, il n'est point d'homme instruit de sa vraie nature, qui, s'il cherche à pénétrer le sens des Traditions mythologiques, n'y aperçoive avec une espèce d'admiration les symboles des faits les plus importants pour l'espèce humaine et les plus analogues à lui-même.

Alcyonée, Pandore, Deucalion Sisyphe les Danaïdes, Hercule, la Robe de Nessus, le Caducée, Argus, les Parques, les Champs Elysées, le fleuve Léthé, le nombre des circuits du Styx, Semélé consumée parla présence de Jupiter dans sa gloire, Pygmalion, Circé, les Compagnons d'Ulysse, Tirésias devenu aveugle à l'instant pour avoir regardé Pallas pendant qu'elle s'habillait, les Centaures ; en un mot, presque tous les détails de la Mythologie offrent à l'homme des instructions profondes, qui le confirment dans la Science que ses efforts lui ont procurée.

Mais ces emblèmes n'ont-ils d'autres fondements que l'imagination ou le génie de ceux qui nous les ont transmis ? Les Mythologistes se sont-ils proposés volontairement de semblables tableaux ou en ont-ils reçu les plans tout tracés ? C'est une question qu'il est important de résoudre.

De simples rapports entre les différents traits de la Mythologie et l'histoire de l'homme ne nous montreraient point une Science assez ample ni assez certaine, si nous n'élevions notre pensée jusqu'à leur origine. Pour le faire avec succès, rappelons-nous que l'épigraphe de cet écrit nous impose la loi d'expliquer les choses par l'homme, et non l'homme par les choses.

Considérant ici cet homme dans sa nature intelligente, nous répéterons qu'il est sujet aujourd'hui à recevoir une multitude de pensées diverses : qu'il en reçoit de lumineuses et d'obscures, de vastes et de bornées, de justes et de fausses, d'avantageuses et de malfaisantes, d'ailleurs par la loi des Décrets suprêmes il est des hommes choisis qui, passant leurs jours dans les délices de la vérité, doivent être regardés comme vrais types des vertus, tandis que d'autres, par négligence ou par lâcheté, deviennent des types complets des vices.

Nous retraçant ensuite la nécessité de la manifestation des signes visibles des vertus supérieures sur la Terre ; nous retraçant cette loi invariable par laquelle tous les Etres liés au temps, soit bons, soit mauvais, ne peuvent rien connaître que par le sensible, nous verrons s'il n'est pas naturel d'admettre qu'il doit y avoir une analogie et une proportion entre ces signes visibles de tous les genres et les différentes pensées de l'homme et que les uns et les autres doivent suivre la même marche et le même cours.

La réflexion des rayons solaires n'est-elle pas proportionnée et analogue à la nature des substances qui les reçoivent ; nulle sur des surfaces noires, faible sur des fluides sans couleur, plus forte sur des fluides colorés, vive sur des solides colorés et compactes, immense sur les solides purs et unis comme le verre, comme le diamant ? N'est-ce pas là une preuve parlante que les résultats intellectuels tiennent à notre manière d'être, et qu'ils en réfléchissent nécessairement l'éclat ou l'obscurité, la force ou la faiblesse, enfin, les vices et les vertus.

Il se trouve en nous-mêmes un nouvel indice de l'existence de ces signes sensibles. Nous ne pouvons communiquer aucune de nos pensées, qu'elle ne soit précédée en nous d'un tableau engendré par notre intelligence. Quand nos pensées sont actives, le tableau qui les représente en nous, est souvent assez sensible pour nous offrir une sorte de réalité ; et dans tous nos arts d'expression, nous sommes plus ou moins satisfaits, selon que les traits sensibles, sous lesquels on nous peint les pensées, sont rapprochés d'elles; et qu'ils en marquent le caractère.

Si l'on veut une preuve plus complète encore de la relation des signes sensibles avec nos pensées, nous la tirerons de l'état actuel de notre Etre, et de la loi violente qui l'assujettit. Car, s'il est évident que nous ne puissions rien recevoir dans l'intellectuel que par le sensible, et que cependant nous ne doutions pas que l'intellectuel de l'homme n'ait reçu, comme il reçoit tous les jours, des pensées, il résulte que ces pensées ont pris une modification sensible, avant d'arriver jusqu'à lui ; il résulte, en un mot, que cette modification ou ce signe sensible existe invisiblement autour de nous, près de nous, ainsi que la source pensées ; et que, si au lieu des pensées secondait que nous recevons des hommes, nous nous élevions jusqu'aux pensées vives et primitives, puisées dans leur source même, elles seraient nécessairement précédées des signes analogues et vivants qui leur appartiennent, comme les signes grossiers et conventionnels, tels que l'écriture et la parole, précèdent pour nous les pensées que les hommes nous communiquent.

Enfin, si l'éducation de l'homme n'était pas si fausse et si abusive, les signes primitifs et naturels seraient les éléments de son instruction ; et il commencerait le développement de son existence intellectuelle par la perception et la connaissance physique de ces signes, dont le sens ne lui serait communiqué que dans un âge plus avancé.

Quoiqu'on ne puisse appuyer ce principe que sur un très petit nombre d'exemples, on aurait tort d'en nier la certitude. Considérons l'enfant débile et concentré dans ses organes : la tendresse vigilante de ceux à qui la Nature l'a confié, emploie tous les moyens sensibles propres à le soulager ; il en reçoit les effets, et quoique les personnes qui les lui transmettent, et le motif bienfaisant qui les fait agir lui soient inconnus ; cela ne détruit point leur existence ; et il n'en est pas moins certain que sans elles, jamais l'enfant ne recevrait aucun secours, aucune sensation favorable. Telle est l'image de ce qui se passe dans l'ordre des pensées, par rapport aux organes et aux signes qui leur sont nécessaires pour parvenir de leur source jusqu'à nous.

Sans m'étendre davantage sur la nature de ces signes, qui doivent être très ressemblants à ceux que nous employons nous-mêmes pour la communication de nos pensées, puisque nous ne pouvons rien inventer, nous dirons que s'il y a une variété extrême entre les pensées de l'homme, de même il peut y avoir des différences considérables parmi les signes visibles qui leur appartiennent, puisque ces signes ne sont que les organes et les modifications des pensées. Alors la proportion que nous avons établie entre les pensées et leurs signes analogues, devient encore plus indispensable pour éviter la confusion.

D'après ces principes, de même que l'enfant qui commence à croître, commence aussi à apercevoir, quoique obscurément, les objets qui l'environnent ; de même celui qui par les premiers progrès de ses facultés intellectuelles, serait en état de commencer à recevoir des pensées, pourrait apercevoir d'une manière incertaine, les signes qui les représentent ; mais ces pensées et ces signes se perfectionnant proportionnellement avec l'âge, comme ses facultés physiques, la croissance naturelle de son Etre intellectuel, le conduirait au point d'être favorisé de pensées vives, justes, étendues, et d'en recevoir aussi le signe analogue ; c'est-à-dire, un signe complet de régularité, avec des traits si parfaits et si achevés qu'il le prendrait pour un homme accompli, pour un Agent supérieur, pour un Ministre de la Divinité ; comme l'homme au sortir de l'enfance reconnaît visiblement pour des hommes, les agents sensibles qui ont soulagé ses premiers besoins, et ceux dont il tient l'existence et la vie.

Celui au contraire qui aurait des pensées fausses, dépravées et malfaisantes, pourrait les distinguer à des signes difformes, et assez irréguliers pour qu'ils lui parussent provenir des Agents mêmes de l'erreur.

En effet, l'homme étant la plus noble pensée de Dieu, il ne devrait pas être étonnant que les pensées divines qui viennent jusqu'à lui, eussent des analogies avec la plus belle des formes, qui est celle de l'homme ; et c'est ici que s'applique avec justesse le passage de Sanchoniaton cité précédemment, dans lequel il représente le Dieu Thot tirant le portrait des Dieux, pour en faire les caractères sacrés des lettres : car le corps de l'homme est la plus belle lettre de tous les alphabets existant sur la Terre, et par conséquent la copie la plus correcte du portrait invisible de la Divinité.

On pourrait même étendre cette induction jusque sur la forme des astres qui comme l'homme sont des lettres vivantes du grand alphabet ; et s'ils nous paraissent sphériques c'est que telle est la forme que les objets ont pour l'homme dans son enfance, où tout . lui paraît égal et uniforme ; car nous ne pouvons nier que nous ne soyions ici-bas dans l'enfance, par rapport à la vraie connaissance des astres.

Enfin, il faut appliquer au développement de nos facultés intellectuelles, et à toutes les merveilles qui leur appartiennent, la même progression que celle qui s'observe dans le développement des facultés physiques de l'enfant. Il y a une égale suite de degrés, des ténèbres à la lumière, même mélange d'impressions douces et d'impressions fâcheuses, même perception d'objets gracieux et d'objets contraires ou malfaisants.

Si l'on ajoute à cela, les mélanges qui se font dans notre être, où les vices s'allient avec les vertus, la lumière avec l'obscurité, l'on trouvera pour leurs analogues une nouvelle espèces de signes, c'est-à-dire, des signes mixtes tenant du vrai et du faux, avec des variétés infinies relatives aux différentes mesures de pensée juste ou fausse dont les mélanges sont formés.

Mais il est une vérité plus vaste et plus convaincante c'est que d'après les principes qui ont été exposés sur la dégradation de l'homme et sur les liens par lesquels il tient toujours au Principe dont il est descendu il faut que ce Principe ait communiqué aux hommes chargés spécialement de concourir au grand œuvre toutes les pensées relatives à leur état ancien actuel et même futur afin de leur montrer à la fois ce qu'ils avaient perdu, ce qu'ils souffraient et ce qu'ils devaient espérer.

Il faut donc que ces hommes choisis aient vu sensiblement le tableau universel de l'histoire de l'homme dans lequel on doit comprendre ses jouissances primitives, tous les combats qu'il avait à soutenir, qui se sont renouvelés et multipliés à l'infini depuis la démolition de son premier temple ; les secours perpétuels et puissants que la main suprême place sans cesse auprès de nous ; l'harmonie et la marche de tous les principes de la nature ; la forme et la structure de l'Univers ; les lois de la Terre ; les vertus de ces astres brillants qui nous éclairent ; enfin les Astres plus vivants encore, qui sont de même nature que l'homme, et que, par cette raison, il lui sera permis de contempler un jour.

En un mot, il fallait que chacune de ces pensées, ou de ces connaissances, fût accompagnée du signe sensible qui lui est analogue, pour que les hommes choisis à qui la Sagesse voulait communiquer ses lumières, reçussent le complément des instructions qui leur étaient nécessaires.

Mais si l'homme se représente tous les jours la même vérité sous des images et des tableaux variés, il ne faudrait pas être étonné que les divers hommes choisis pour servir de Colonnes à l'Edifice, eussent reçu la connaissance des grands faits et de grandes vérités par des signes différents, et sous des rapports qui n'offrissent pas tous les mêmes caractères, comme nous voyons que les Langues ne se sont multipliées et diversifiées que parce que chaque Peuple a considéré le même Etre sous une face et une acception particulière.

Il ne faudrait pas non plus être étonné que la succession des siècles eût multiplié pour l'homme les tableaux de la vérité, et les signes qui leur sont relatifs, de façon que les hommes fussent aujourd'hui à portée de puiser à des réservoirs plus abondants qu'ils ne l'auraient pu dans les premiers temps ; parce que les sources qui se sont ouvertes, dés l'instant de la chute de l'homme, n'ont cessé et ne cessent point de couler sur la malheureuse postérité. De ce qui vient d'être exposé, l'on peut aisément voir descendre toutes les traditions de la Terre, et les différentes Mythologies des Peuples.

Les hommes favorisés des grandes lumières ne les avaient reçues que pour l'utilité et l'instruction de leurs semblables : afin de remplir cet objet ils n'auront pu se dispenser de les communiquer au petit nombre de ceux qu'ils jugeaient disposés convenablement ; et cette communication a dû se faire de deux manières, l'une par le discours et les instructions, l'autre par l'exercice et l'emploi des actes enseignés aux Sages par ces vertus supérieures dont l'existence et les rapports avec nous ont été suffisamment démontrés.

Les Sages, en exerçant ces actes en présence de ceux à qui ils avaient donné leur confiance, les rendaient témoins de tous les résultats sensibles qui pouvaient en provenir ; et comme les connaissances, et les signes que les Sages avaient reçus de ces vertus supérieures, contenaient l'Histoire complète de l'homme, soit dans sa gloire, soit dans son état d'avilissement et de souffrances, les résultats que recevaient leurs Disciples, contenaient le même mélange de lumière et d'obscurité, de mal et de bien, de perfection et de désordres ; de pâtiments et de remèdes ; de dangers et de moyens de délivrance.

Ces mêmes Disciples, soit par ordre de leurs Maîtres, soit par zèle, auront communiqué chacun aux Nations parmi lesquelles ils habitaient, sinon les faits, au moins les récits de ces faits, et les discours instructifs auxquels ils avaient assisté.

Voilà pourquoi, chez les anciens Peuples, les traditions parlent d'un âge d'or ; de Géants ; de Titans ; de l'usurpation du feu céleste et du trône de la Divinité ; de la colère du père des Dieux contre les prévaricateurs ; des divers pâtiments que ceux-ci éprouvent sur la Terre et dans les différentes Régions de l'Univers ; des vertus répandues sur les mortels pieux et fidèles, à qui les Divinités même accordent leurs faveurs ; et de l'espoir qu'elles les admettront à des félicités plus grandes encore, s'ils observent la loi de leur Principe, et qu'ils sachent respecter leur Etre. 

On ne doit point être étonné que ces traditions et ces doctrines soient universelles, parce que dans l'origine elles formèrent le fonds des dépôts historiques de tous les Peuples. Ce n'est qu'à la suite des temps et des événements politiques, que l'Histoire civile en a pris la place ; ce qui fait que dans l'antiquité nous avons si peu de monuments de l'Histoire politique des Nations, et beaucoup de traditions Théogoniques ; au lieu que dans les temps modernes, nous voyons peu de traditions et de faits relatifs à l'Histoire naturelle et religieuse, quoique nous ayons beaucoup d'Histoires civiles ; ces deux classes ayant eu rarement entre elles une parfaite affinité.

Quoique les Sages instruits par les vertus supérieures, et les Disciples instruits par les Sages, aient obtenu essentiellement les, mêmes connaissances et les mêmes résultats, ils n'ont cependant reçu chacun les grandes lumières et les grands traits de l'Histoire universelle de l'homme, que sous les signes et les tableaux qui leur étaient particulièrement analogues ; parce que s'il est vrai que tous les hommes aient le même Etre quant à l'essence, ils est aussi certain qu'il y a parmi eux une variété universelle de dons, de facultés, de manière de saisir les objets ; et la Sagesse en envoyant physiquement aux hommes ses présents, se prête toujours à ces différences. Ces Sages et ces Disciples, en communiquant les mêmes choses, ne l'auront donc fait chacun que conformément à l'idée que leurs dons particuliers leur permettaient d'en prendre.

De là résulte la variété infinie qu'on aperçoit dans tous ces récits parmi les différents Peuples de la Terre quoique le fonds des vérités y soit généralement uniforme.

Les Disciples qui étaient admis à ces connaissances, et à ces manifestations, non seulement ont pu ne pas tous les saisir avec la même intelligence, mais quelques-uns ont pu y joindre des interprétations particulières et hasardées ; d'autres confondre les choses emblématiques avec les types qu'elles devaient exprimer mer, et donner ensuite l'allégorie pour le fait même ; oubliant que la similitude des signes naturels et supérieurs avec les objets sensibles n'avait lieu que relativement à leur forme, et à raison de notre assujettissement aux lois inférieures et matérielles ; mais que cette similitude ne peut jamais avoir lieu quant à leur essence.

Quelques autres s'abandonnant à la dépravation, ont pu altérer à dessein les types et les emblèmes, ou ne s'attacher dans toutes les merveilles auxquelles ils participaient, qu'aux objets irréguliers désordonnés et chacun d'eux professant ensuite ces sciences ainsi rétrécies ou corrompues, ont donné lieu à ces traditions absurdes, à cette multitude infinie de récits ridicules, impies et insensés, dont les différentes Mythologies sont remplies ; et qui ne se concilient point avec les vérités fondamentales et primitives, parce que plusieurs de ces récits tiennent si peu à la vraie source, qu'ils ne peuvent avoir aucun rapport avec nous ; enfin, de là dérivent principalement les différentes Sectes des Religions des hommes, et toutes les branches de l'Idolâtrie.

Car s'il est constant qu'il y a une idolâtrie où l'on n'aperçoit que l'ignorance et le néant, il y en a une qui tient évidemment à la dépravation, et qui conduit à de plus grands crimes encore que ceux que le fanatisme et la superstition ont pu engendrer sur la terre . Elles sont l'une et l'autre une altération du culte vrai ; elles mettent également un Dieu faux à la place du Dieu réel. La différence d'origine de ces deux espèces d'idolâtrie, vient de ce que dans l'une, l'homme a abusé de ses connaissances pour en former une science coupable, et que dans l'autre, il a été grossièrement instruit.

Mais toutes ces erreurs annoncent également l'idée et la connaissance d'un Etre  souverain ; car si l'idée d'un Dieu n'était pas analogue à notre Nature, jamais ni les objets de nos affections sensibles ni l'instruction même des Agents supérieurs ne l'auraient fait naître, ni dans l'esprit des instituteurs, ni dans celui des autres hommes. De même si un homme n'avait jamais connu sensiblement aucun objet supérieur et digne de ses hommages, il n'aurait pu enfanter l'Idolâtrie souveraine criminelle, puisque, pour être vraiment Idolâtre, non seulement il faut commencer par connaître un Principe divin, mais encore il faut l'avoir connu de manière à ne pouvoir ignorer qu'il lui est dû un culte pur et légitime.

Ainsi, lorsque nous nous remplissons d'admiration pour les beautés naturelles, de vénération pour des héros, de tendresse pour un ami, nous sommes encore loin de l'Idolâtrie, et nous n'attribuerions jamais à aucun Etre inférieur, ni les noms, ni les titres qui appartiennent à la Divinité, si l'idée de la perfection suprême n'avait été antérieurement développée en nous, soit en nature, soit par l'exemple et l'instruction même altérée de nos éducateurs et de ceux qui nous environnent.
Et même, lorsque nous nous oublions jusqu'à diviniser des hommes ou des objets purement terrestres, ce n'est point eux que nous élevons réellement à la qualité de Dieu, ils sont trop faibles et trop infirmes pour nous induire à une véritable idolâtrie, mais c'est la majesté de notre Etre que nous faisons descendre du point d'élévation où l'exemple et l'instruction l'avaient portée, et que nous laissons reposer sur des objets inférieurs ; c'est cet Etre qui sachant qu'il est destiné à rendre hommage et à contempler la Divinité suprême, s'abaisse vers les Etres qui sont au-dessous d'elle, et le prend pour le terme de son adoration.

C'est donc moins en divinisant les objets sensibles, qu'en se matérialisant lui-même, que l'homme s'est fait idolâtre. Ce n'est point par des affections sensibles, que l'homme s'est élevé à l'idée de la Divinité, et à celle de ses Agents : c'est au contraire en ravalant cette idée sublime et naturelle, qu'il a perdu devise les objets supérieurs dont son essence le rapprochait, pour s'attacher à des Etres grossiers et périssables qui n'en avaient ni la réalité ni les vertus. Car, je le répète, si l'homme n'avait eu primitivement la preuve de l'existence de ces Etres supérieurs, s'il ne l'eût transmise à ses semblables, ou par des faits, ou par des traditions, aucun d'eux n'eût jamais erré sur un principe dont ils n'auraient point eu de connaissance ; et l'on peut regarder comme une vérité constante, que si un homme dès l'enfance était entièrement séparé des autres hommes, il lui serait plutôt possible de recevoir et de pratiquer le culte suprême, que de commencer par se créer une seule idole.

Ceux mêmes qui ont adoré le Soleil, et ceux qui voudraient en annoncer le culte comme le plus naturel parce que l'objet en est plus rapproché de nous, ne détruisent point le principe que j'expose. Les Peuples qui ont exercé le culte du Soleil, ne sont parvenus à cette idolâtrie, que par une altération d'un culte, plus sublime ; et il suffit pour s'en convaincre de confronter leur antiquité avec celle des Peuples qui ont adoré l'Etre invisible. Les traditions Chinoises annoncent un culte pur et éclairé chez cette Nation, longtemps avant l'établissement du culte du Soleil chez aucune autre Nation de la terre.

Quant à ceux qui prétendent justifier cette idolâtrie matérielle, ils ferment les yeux sur la nature de l'homme, ils ne voient pas même qu'un semblable culte ne peut longtemps le satisfaire ; parce que l'homme étant un Etre actif, a besoin de prier, de concourir à l'œuvre qu'il désire opérer, et que le Soleil remplit régulièrement ses fonctions envers nous, sans que nous agissions, et sans qu'il soit nécessaire que nous lui adressions des prières : parce que l'homme est destiné par son origine à exercer une fonction sacrée, qui le met en correspondance avec son Principe ; enfin, parce que l'homme, ainsi que tous les Etres, ne peut se plaire qu'avec des Etres dans lesquels il reconnaisse sa ressemblance, et que le Soleil, tout majestueux qu'il est, n'a point une véritable similitude avec l'homme.

On a vu précédemment la nécessité que les vertus supérieures, en se communiquant à l'homme soient présentées à lui sous une forme analogue à la sienne, comme étant la plus expressive de toutes les formes et afin que les secours de ces vertus ne fussent pas inutiles pour lui. C'est donc sous de pareilles formes que les Sages et leurs Disciples ont dû recevoir les principaux signes et les résultats les plus essentiels de ces actes purs et réguliers qu'ils employaient pour leur propre instruction, et pour la propagation de la vérité.

Les Emules, en transmettant aux différentes Nations, les récits et les faits dont ils voulaient communiquer la connaissance, les auront représentés dans leurs discours par des expressions et des tableaux analogues à ce qui leur avait été transmis, à eux-mêmes : et les Peuples qu'ils instruisaient voulant conserver la mémoire de tout ce qu'ils entendaient, se sont tracé, peint et taillé des monuments matériels que leurs descendants ont fini par regarder comme la réalité de la chose même que ces monuments étaient destinés à représenter, tandis qu'ils n'en étaient que des copies et des emblèmes.

Voilà pourquoi parmi les anciennes Divinités des Idolâtres matériels et ignorants, il en est plusieurs qui furent honorées sous des figures corporelles humaines, et représentées par des statues.

Mais il est également vrai qu'avec tous ces signes réguliers, et semblables à la forme humaine, les Sages et leurs Disciples ont dû recevoir des signes et des formes relatives et similaires à tous les objets de la Nature, parce que les secours supérieurs ayant pour but de peindre aux yeux de l'homme son ancienne grandeur, ils lui représentaient successivement toutes les parties de son domaine.

Les Disciples de ces Sages transmirent à leurs Nations cette nouvelle classe de connaissances, comme ils avaient fait de celles qui tenaient essentiellement, a la Nature supérieure de l'homme ; et les Peuples en ayant également confondu les signes avec les objets terrestres, il n'est pas étonnant que les différents Peuples de la terre, aient eu tant d'Idoles informes et monstrueuses, et qu'ils aient pris pour objet de leur culte des Astres, des Animaux, des Plantes, des Reptiles, et autres substances de la Nature.

Et vraiment si l'on réfléchit à quel point de dégradation l'esprit de l'homme peut descendre par l'ignorance, et le peu de soin qu'il a de cultiver son intelligence : si l'on considère ces degrés si nombreux et si variés auxquels il peut s'arrêter dans le désordre de ses idées, on aura l'origine évidente de cette multitude .: d'Idoles distinguées entre elles par des formes et des . pouvoirs si différents, car dans toute l'étendue du cercle des Etres, il n'en est aucun, vrai ou faux, sur lequel l'homme ne soit le maître de se reposer, et vers lequel il ne puisse diriger son culte.

Ainsi il n'est pas étonnant de voir honorer matériellement sur la Terre, des Dieux de l'Empirée des Dieux célestes, des Dieux terrestres, des Dieux aquatiques, ignés, végétatifs, reptiles, minéraux, enfin, des Dieux infernaux même, et des Dieux du crime et de l'abomination : parce que l'homme a le droit de se porter vers tel objet qu'il se voudra choisir et d'y attacher l'honneur et le respect qu'il ne doit qu'à la Divinité suprême.

Mais s'il est vrai que la forme de l'homme soit la plus expressive de toutes les formes, sur laquelle sont fondés tous les rapports et toutes les relations, plus les signes et les monuments de l'idolâtrie en seront éloignés, plus ils seront inférieurs et altérés. C'est donc en comparant avec la régularité de notre forme, tout ce qui nous est représenté de sensible, que nous pourrons juger, non seulement des différents degrés de l'idolâtrie matérielle des Peuples, mais aussi de ce qui tient, soit à une Idolâtrie plus criminelle, soit au culte pur, actif et légitime : parce que les correspondances de cette forme sont universelles.

Convenons à présent que la Mythologie ; dans ses récits les plus sensés et les plus réguliers en apparence, doit être comme inexplicable pour ceux qui n'ont pas pénétré dans la science de l'homme et de la Nature. Ceux même qui y auraient pénétré, doivent encore trouver de grandes difficultés dans cette espèce d'étude ; parce que pour s'assurer de la justesse des rapports, il faudrait en quelque sorte passer en revue les signes originels mêmes sur lesquels ils reposent. Or les copies seules de pareils signes ne suffisent pas pour de telles vérifications, et il faut aller chercher les originaux dans les dépôts mêmes d'où les premiers Ecrivains les ont tirés ; c'est-à-dire, dans leurs réservoirs naturels.

Ne soyons donc plus étonnés qu'un si grand nombre d'Observateurs aient en vain consumé leur temps, et employé leurs travaux à expliquer l'origine et le but des traditions mythologiques, pour nous persuader de la vérité de leurs différents systèmes, puisqu'ils n'ont pas eu pour base un Principe général, ni de véritables lumières. Comment auraient-ils pu éclaircir l'obscurité de l'origine des Fables et des Allégories, n'ayant pas une juste idée de l'homme, et ne connaissant point ses rapports primitifs et fondamentaux.

Mais on demandera peut-être pourquoi les mêmes lumières, les mêmes signes, les mêmes faits, étant toujours à la portée des hommes, le langage allégorique et les emblèmes ont presque disparu aujourd'hui de dessus la Terre ? J'ai déjà répondu en partie à cette question, en exposant combien les traditions religieuses, sont plus anciennes que l'Histoire civile des Peuples, et en faisant voir pourquoi ces deux sortes de traditions ont suivi un ordre inverse. Il suffira donc de dire ici que les hommes actuels jouissent moins généralement de ces grands secours que dans l'origine ; et qu'ils sont sans doute en cela plus coupables, puisque ces signes et ces emblèmes sont toujours à leur portée et à leur disposition ; d'ailleurs, lorsqu'ils en jouissent aujourd'hui, ils sont tellement rapprochés des réalités, qu'ils ne pensent plus même aux figures.

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Chapitre XII