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titre1  

DES ERREURS
et de la VŽritŽ,


OU

 Les Hommes rappelŽs
au Principe Universel de la Science

 

Ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux observateurs lÕincertitude de leurs recherches, et leurs mŽprises continuelles, on leur indique la route quÕils auraient dž suivre, pour acquŽrir lՎvidence physique sur lÕorigine du bien et du mal, sur lÕhomme, sur la nature matŽrielle, la nature immatŽrielle, et la nature sacrŽe, sur la base des gouvernements politiques, sur lÕautoritŽ des souverains, sur la justice civile et criminelle, sur les sciences, les langues, et les arts.

Par un PhilÉ IncÉ

Seconde partie (Tome2)

A EDIMBOURG
1782


(Sommaire au bas de la page)

 

Chapitre 5

Incertitude des politiques

En envisageant lÕhomme sous les rapports politiques, il prŽsentera deux points de vue comme dans les observations prŽcŽdentes : le premier, celui de ce quÕil pourrait et devrait tre dans lՎtat de sociŽtŽ ; le second, celui de ce quÕil est dans ce mme Žtat. Or, cÕest en Žtudiant avec soin ce quÕil devrait tre dans lՎtat de sociŽtŽ, que nous apprendrons ˆ mieux juger de ce quÕil est aujourdÕhui. Cette confrontation est sans aucun doute, le seul moyen de pouvoir dŽvelopper clairement les mystres qui voilent encore lÕorigine des sociŽtŽs, dÕasseoir les droits des Souverains, et de poser les rgles dÕadministration par lesquelles les Empires pourraient et devraient se soutenir et se gouverner.

Le plus grand embarras quÕaient ŽprouvŽ les Politiques qui ont le mieux cherchŽ ˆ suivre la marche de la Nature, a ŽtŽ de concilier toutes les Institutions sociales avec les principes de justice et dՎgalitŽ quÕils aperoivent en eux. Ds quÕon leur a fait voir que lÕhomme Žtait libre, ils lÕont cru fait pour lÕindŽpendance, et ds lors ils ont jugŽ que tout assujettissement Žtait contraire ˆ sa vŽritable essence.

Ainsi dans le vrai, selon eux, tout gouvernement serait un vice, et lÕhomme ne devrait avoir dÕautre chef que lui-mme.

Cependant ce vice prŽtendu de la dŽpendance de lÕhomme et de lÕautoritŽ qui lÕassujettit, subsistant gŽnŽralement sous leurs yeux, ils nÕont pu rŽsister ˆ la curiositŽ de lui chercher une origine et une cause ; cÕest lˆ o leur imagination prenant la chose mme pour le Principe, sÕest livrŽe ˆ tous ses Žcarts, et o les Observateurs ont montrŽ autant dÕinsuffisance que lorsquÕils ont voulu expliquer lÕorigine du mal.

Ils ont prŽtendu que lÕadresse et la force avaient mis lÕautoritŽ dans les mains de ceux qui commandaient aux hommes ; et que la Puissance souveraine nՎtait fondŽe que sur la faiblesse de ceux qui sՎtaient laissŽ subjuguer. De lˆ, ce droit invalide nÕayant aucune consistance, est, comme on le voit, sujet ˆ vaciller, et ˆ tomber successivement dans toutes les mains qui auront la force et les talents nŽcessaires pour sÕen emparer.

DÕautres se sont plu ˆ dŽtailler les moyens violents ou adroits, qui, selon eux, ont prŽsidŽ ˆ la naissance des Etats ; et en cela ils nÕont fait que prŽsenter le mme systme plus Žtendu ; tels sont les vains raisonnements de ceux qui ont donnŽ pour mobile de ces Žtablissements, les besoins et la fŽrocitŽ des premiers hommes, et ont dit que vivant en chasseurs et dans les forts, ces hommes effrŽnŽs faisaient des incursions sur ceux qui sՎtaient livrŽs ˆ lÕagriculture et aux soins des troupeaux, et cela dans la vue dÕen dŽtourner ˆ leur profit tous les avantages ; quÕensuite pour se maintenir dans cet Žtat dÕautoritŽ que la violence avait formŽ, et qui devenait une vŽritable oppression, les usurpateurs furent forcŽs dՎtablir des lois et des peines, et que cÕest ainsi que le plus adroit, le plus hardi et le plus ingŽnieux parvint ˆ demeurer le ma”tre, et ˆ assurer son despotisme.

Mais on voit que ce ne put tre lˆ la premire sociŽtŽ, puisquÕon suppose dŽjˆ des agriculteurs et des bergers. Cependant voilˆ quelle est ˆ peu prs la principale opinion de ceux des Politiques qui ont dŽcidŽ que jamais un Principe de justice et dՎquitŽ nÕa pu faire la base des Gouvernements, et cÕest ˆ cette conclusion quÕils ont ramenŽs tous leurs systmes, et les observations dont ils les ont appuyŽs.

Quelques-uns ont cru remŽdier ˆ cette injustice en Žtablissant toute sociŽtŽ sur le commun accord et la volontŽ unanime des individus qui la composent, et qui ne pouvant chacun en particulier, supporter les suites dangereuses de la libertŽ et de lÕindŽpendance naturelle de leurs semblables, se sont vus forcŽs de remettre entre les mains dÕun seul ou dÕun petit nombre, les droits de leur Žtat de nature, et de sÕengager ˆ concourir eux-mmes par la rŽunion de leurs forces, ˆ maintenir lÕautoritŽ de ceux quÕils avaient choisis pour chefs.

De lÕassociation forcŽe

Alors cette cession Žtant volontaire, il nÕy a plus dÕinjustice, disent-ils, dans lÕautoritŽ qui en Žmane. Fixant ensuite par le mme acte dÕassociation les pouvoirs du Souverain, ainsi que les privilges des Sujets, voilˆ les Corps politiques tout formŽs, et il nÕy aura plus de diffŽrence entre eux que dans les moyens particuliers dÕadministration, qui peuvent varier selon les temps et les occurrences.

Cette opinion est celle qui para”trait la plus judicieuse, et qui remplirait le mieux lÕidŽe naturelle quÕon veut nous donner de la justice des Gouvernements, o les personnes et les biens sont sous la protection du Souverain, et o ce Souverain ne devant avoir pour but que le bien commun, nÕest occupŽ quՈ soutenir la Loi qui doit le procurer.

Dans lÕassociation forcŽe, au contraire, on ne voit que lÕimage dÕune atrocitŽ rŽvoltante, o les Sujets sont autant de victimes, et o le Tyran rapporte ˆ lui seul tous les avantages de la sociŽtŽ dont il sÕest rendu ma”tre. Je nÕarrterai donc pas ma vue plus longtemps sur cette espce de gouvernement, quoiquÕelle ne soit pas sans exemple ; mais nÕy voyant aucune trace de justice, ni de raison, elle ne peut se concilier avec aucun des vrais principes naturels de lÕhomme ; autrement il faudrait dire quÕune bande de voleurs forme aussi un Corps politique.

De lÕassociation volontaire

Il ne suffit pas cependant quÕon nous ait prŽsentŽ lÕidŽe dÕune association volontaire ; il ne suffit pas mme quÕon puisse trouver dans la forme des Gouvernement qui en seraient provenus, plus de rŽgularitŽ que dans tous ceux que la violence a pu faire na”tre ; il faut encore examiner avec soin, si cette association volontaire est possible, et si cet Ždifice nÕest pas tout aussi imaginaire que celui de lÕassociation forcŽe. Il faut examiner de plus si dans le cas o cette convention serait possible, lÕhomme a pu lŽgitimement prendre sur lui de la former.

CÕest dÕaprs cet examen que les Politiques pourront juger de la validitŽ des Droits qui ont fondŽ les SociŽtŽs ; et si nous les trouvons Žvidemment dŽfectueux, on apercevra bient™t, en dŽcouvrant par o ils pchent, quels sont ceux quÕil faut nŽcessairement substituer.

Il nÕest pas nŽcessaire de rŽflŽchir longtemps pour sentir combien lÕassociation volontaire de tout un Peuple est difficile ˆ concevoir. Pour que les voix fussent unanimes, il faudrait que la manire dÕenvisager les motifs et les conditions du nouvel engagement, le fžt aussi ; cÕest ce qui nÕa jamais eu et nÕaura jamais lieu dans une RŽgion et dans des choses qui nÕont que le sensible pour base et pour objet, parce que lÕon ne doit plus douter que tout est relatif dans le sensible, et quÕen lui il nÕy a rien de fixe.

Outre quÕil faudrait supprimer dans chacun des Membres, lÕambition dՐtre le Chef, ou dÕappartenir au Chef, il faudrait encore le concours dÕune infinitŽ dÕopinions, qui ne sÕest jamais rencontrŽ parmi les hommes, tant sur la forme la plus avantageuse du Gouvernement, que sur lÕintŽrt gŽnŽral et particulier, et sur la multitude des objets qui doivent composer les articles du Contrat.

De plus longues observations seraient donc inutiles, pour nous faire reconna”tre quÕun Etat social, formŽ librement de la part de tous les individus, est absolument hors de toute vraisemblance, et pour avouer quÕil est impossible quÕil y en ait jamais eu de semblable.

Mais admettons-en la possibilitŽ, supposons ce concours unanime de toutes les voix, et que la forme, ainsi que les Lois qui appartiendront au Gouvernement dont il sÕagit, aient ŽtŽ fixŽes dÕun commun accord ; il reste encore ˆ demander si lÕhomme a le droit de prendre un pareil engagement, et sÕil serait raisonnable de se reposer sur ceux quÕil aurait formŽs.

Aprs la connaissance que lÕon a dž acquŽrir de lÕhomme, par tout ce quÕon a vu ˆ son sujet, il est aisŽ de pressentir quÕun pareil droit ne put jamais lui tre accordŽ, et que cet Acte serait nul et superflu. Premirement, rappelons-nous cette boussole invariable que nous avons reconnue pour son guide, ayons toujours devant les yeux que tous les pas quÕil pourrait faire sans elle, seraient incertains, puisque sans elle lÕhomme nÕa point de lumire, et quÕelle est prŽposŽe par son Essence mme ˆ le conduire et ˆ prŽsider sur toutes ses actions.

Alors donc, si sans lÕaveu de cette Cause qui veille sur lui, lÕhomme prenait un engagement dÕune aussi grande importance que celui de se soumettre ˆ un autre homme, il devrait dÕabord douter que sa dŽmarche fžt conforme ˆ sa propre Loi, et, par consŽquent, quÕelle fžt propre ˆ le rendre heureux ; ce qui suffirait pour lÕarrter, pour peu quÕil Žcout‰t la prudence.

RŽflŽchissant ensuite avec plus de soin sur sa conduite, ne reconna”trait-il pas que non seulement il sÕest exposŽ ˆ se tromper, mais mme quÕil a attaquŽ directement tous les principes de la Justice, en transfŽrant ˆ dÕautres hommes des droits dont il ne peut pas lŽgitimement disposer, et quÕil sait rŽsider essentiellement dans la main qui doit tout faire pour lui ?

Secondement, cet engagement serait vague et dŽraisonnable, parce que, sÕil est vrai que cette Cause dont nous parlons, doive tre universellement le guide de lÕhomme, et quÕelle en ait tous les pouvoirs, il est absolument inutile de chercher ˆ employer une autre main. A plus forte raison, dirons-nous la mme chose de lÕhomme, considŽrŽ ˆ la manire des Politiques ; cÕest, selon eux, lÕimpuissance de lÕhomme et la difficultŽ quÕil Žprouve ˆ supporter lՎtat de Nature, qui lÕengage ˆ se donner des Chefs et des Protecteurs. En effet, si cet homme avait la force de se soutenir, il nÕaurait pas besoin dÕappuis Žtrangers ; mais enfin, sÕil nÕa plus cette force, si cÕest aprs lÕavoir perdue quÕil veut en revtir un autre homme, que lui donne-t-il donc, et o trouver ce qui fait la matire du Contrat ?

LÕassociation volontaire nÕest donc pas rŽellement plus juste ni plus sensŽe, quÕelle nÕest praticable ; puisque par cet Acte, il faudrait que lÕhomme attach‰t ˆ un autre homme un droit dont lui-mme nÕa pas la propriŽtŽ, celui de disposer de soi ; et puisque, sÕil transfre un droit quÕil nÕa pas, il fait une convention absolument nulle, et que ni le Chef, ni les Sujets, ne peuvent faire valoir, attendu quÕelle nÕa pu les lier ni les uns ni les autres.

Ainsi, reprenant tout ce que nous venons de dire, si lÕassociation forcŽe est Žvidemment une atrocitŽ, si lÕassociation volontaire est impossible, et en mme temps opposŽe ˆ la Justice et ˆ la raison, o trouverons-nous donc les vrais Principes des Gouvernements ? Car, enfin, il est des Etats qui les ont connus et qui les suivent.

CÕest, comme je lÕai dit, ˆ cette recherche que les Politiques consument tous leurs efforts, et si ce que nous venons de voir est exactement tout ce quÕils ont trouvŽ sur cette manire, nous pouvons assurer avec raison quÕils nÕont pas encore fait les premiers pas vers leur Science.

Fausse conclusion des politiques

Il y a bien en eux une voix secrte qui les porte ˆ convenir, que quelle quÕait ŽtŽ la cause de lÕassociation dÕun Corps politique, le Chef se trouve essentiellement dŽpositaire dÕune suprme autoritŽ, et dÕune puissance qui par elle-mme doit lui subordonner tous ses sujets ; ils reconnaissent, dis-je, dans les Souverains une force supŽrieure qui inspire naturellement pour eux le respect et lÕobŽissance.

CÕest aussi ce que je me fais gloire de professer hautement avec les Politiques ; mais, comme ils nÕont pu dŽmler dÕo cette supŽrioritŽ devait provenir, ils ne sÕen sont pas formŽs une idŽe nette, et alors les applications quÕils en ont voulu faire, ne leur ont offert que des faussetŽs ou des contradictions.

Aussi la plupart dÕentre eux, peu satisfaits de leurs dŽcouvertes, et ne trouvant aucun moyen dÕexpliquer lÕhomme en sociŽtŽ, ont recouru ˆ leur premire idŽe, et se sont rŽduits ˆ dire quÕil ne devrait pas tre en sociŽtŽ ; mais on verra trs certainement que cette conjecture nÕest pas mieux fondŽe que celles quÕils ont formŽes sur les moyens dÕassociation, et quÕelle est plut™t une preuve Žvidente de leur incertitude et de la prŽcipitation de leurs jugements.

De la sociabilitŽ de lÕHomme

Il ne faut que jeter un moment les yeux sur lÕhomme, pour dŽcider cette question. Sa vie nÕest-elle pas une cha”ne de dŽpendances continuelles ? LÕacte mme de son entrŽe dans la vie corporelle ne porte-t-il pas le caractre de lÕassujettissement o il va tre condamnŽ pendant son cours ? NÕa-t-il pas besoin peur na”tre quÕune cause extŽrieure vienne fŽconder son germe, et lui donner une rŽaction sans laquelle il ne vivrait pas ? Et nÕest-ce pas lˆ cette humiliante sujŽtion qui lui est commune avec tous les Etres de la Nature ?

Ds quÕil a reu le jour, cette dŽpendance devient encore plus sensible, en ce que les yeux corporels des hommes en sont tŽmoins. CÕest alors que dans une impuissance absolue, et une faiblesse vraiment honteuse, lÕhomme a besoin, pour ne pas mourir, que des Etres de son espce lui donnent des secours et des soins sans nombre, jusquՈ ce que parvenu ˆ lՉge de pouvoir se passer dÕeux quant aux besoins de son corps, il soit rendu ˆ lui-mme, et jouisse de tous les avantages et de toutes les forces de son Etre corporel.

Mais telle est la nature de lÕhomme et la sagesse de lÕÏil qui veille sur lui, quÕavant de parvenir ˆ ce terme dÕindŽpendance corporelle, il Žprouve un besoin dÕun autre genre, et qui le lie encore plus Žtroitement ˆ la main qui a soutenu son enfance ; cÕest celui de son Etre intellectuel, lequel commenant ˆ sentir sa privation, sÕagite et se livre aveuglŽment ˆ tout ce qui peut lui rendre le repos.

Dans cet ‰ge, encore infirme, il sÕadresse naturellement ˆ tout ce qui lÕentoure, et surtout ˆ ceux qui soulageant chaque jour ses besoins corporels, semblent devoir tre de droit les premiers dŽpositaires de sa confiance. CÕest ˆ eux quÕil demande ˆ chaque pas la science de lui-mme, et ce nÕest que dÕeux, en effet, quÕils devrait lÕattendre ; car cÕest ˆ eux ˆ le diriger, ˆ le soutenir, ˆ lՎclairer, selon son ‰ge, ˆ lÕarmer dÕavance contre lÕerreur et ˆ le prŽparer au combat ; en un mot, cÕest ˆ eux ˆ faire sur son Etre intellectuel ce quÕils ont fait sur son corps dans un temps o il Žprouvait les douleurs, sans avoir la force ni de les supporter, ni de sÕen garantir. Voilˆ, nÕen doutons point, la vraie source de la sociŽtŽ parmi les hommes, et en mme temps le tableau o lÕhomme peut apprendre quel est le premier de ses devoirs quand il se fait Pre.

Pourquoi ne trouverons-nous rien de semblable parmi les btes, cÕest quÕelles ne sont pas de nature ˆ conna”tre de pareils besoins ; cÕest que la bte, ne se dirigeant que par le sensible, quand ce besoin ne lui parle plus, elle ne conna”t plus rien ; cÕest que lÕaffection corporelle, Žtant la mesure de toutes ses facultŽs, lorsque cette affection est satisfaite, il nÕy a plus pour elle de sensibilitŽ, ni de dŽsir ; aussi nÕy a-t-il point pour elle de lien social.

On ne doit pas me citer lÕexemple de lÕattachement de quelques Animaux, soit entre eux, soit pour lÕhomme ; nous ne parlons ici que de la marche, et des mouvements naturels des Etres ; et tous les exemples quÕon pourrait nous opposer seraient sžrement le fruit de lÕhabitude, qui, comme nous lÕavons dit ailleurs, peut convenir et se trouver dans la bte, en qualitŽ dÕEtre sensible.

On ne doit pas me citer non plus ces peuplades de certains Animaux qui vivent et voyagent ensemble, soit sur terre, soit dans lÕeau, soit dans lÕair ; ce nÕest que le besoin particulier et sensible qui les rassemble et il y a si peu de vŽritable attachement entre eux, que lÕun peut pŽrir et dispara”tre sans que les autres sÕen aperoivent.

Nous voyons donc dŽjˆ par ces observations sur les premiers temps de notre existence matŽrielle, que lÕhomme nÕest pas nŽ pour vivre isolŽ.

Nous voyons quÕaprs que sa dŽpendance corporelle a cessŽ, il lui reste un lien infiniment plus fort, en ce quÕil est relatif ˆ son Etre propre ; nous voyons, dis je, que par un intŽrt insŽparable de son Žtat actuel, il recherchera toujours ses semblables, et que sÕils ne le trompaient jamais, ou quÕil ne fžt pas dŽjˆ corrompu, il nŽ penserait point ˆ sՎloigner dÕeux, lors mme que son corps nÕaurait plus besoin de leurs secours.

CÕest donc mal ˆ propos quÕon a cherchŽ la source de la sociabilitŽ dans les seuls besoins sensibles et dans ce moyen puissant par lequel la Nature rapproche lÕhomme des Etres de son espce, pour en opŽrer la reproduction ; car, comme cÕest par lˆ quÕil est semblable ˆ la bte, et que cependant la bte ne vit point en Žtat de sociŽtŽ, ce moyen ne suffirait pas pour Žtablir celle de lÕhomme. Aussi, je ne mÕoccupe que des facultŽs qui le distinguent, et par lesquelles il est portŽ ˆ lier avec ses semblables un commerce dÕactions morales, dÕo doit dŽriver toute association pour tre juste. Quand, dans un ‰ge plus avancŽ, les facultŽs intellectuelles de lÕhomme commencent ˆ lՎlever au-dessus de ce quÕil voit, et quÕil parvient ˆ apercevoir quelques lueurs au milieu des tŽnbres o nous sommes plongŽs, cÕest alors quÕun nouvel ordre de choses na”t pour lui ; non seulement tout lÕintŽresse, mais combien cet intŽrt ne doit-il pas sÕaccro”tre pour ceux qui lui auront fait gožter le bonheur dՐtre homme, de mme que pour ceux ˆ qui il pourrait le faire gožter ˆ son tour ?

A mesure quÕil marche dans la carrire de la vie, ce lien social se fortifie encore par lÕextension que reoivent ses vues et ses pensŽes ; enfin, au dŽclin de ses jours, ses forces venant ˆ dŽgŽnŽrer, il retombe corporellement dans cet Žtat de faiblesse qui avait accompagnŽ son enfance, il devient pour la seconde fois lÕobjet de la pitiŽ des autres hommes, et rentre de nouveau sous leur dŽpendance, jusquՈ ce que la Loi commune ˆ tous les corps achve de sÕaccomplir sur le sien et vienne en terminer le cours. Que faut-il de plus pour convenir que lÕhomme nՎtait pas destinŽ ˆ passer ses jours seul et sans aucun lien social ?

On voit aussi que dans cette simple sociŽtŽ naturelle, il y a toujours des Etres qui donnent et dÕautres qui reoivent ; quÕil y a toujours de la supŽrioritŽ et de la dŽpendance, cÕest-ˆ-dire, quÕil y a le vrai modle de ce que doit tre la sociŽtŽ politique.

Source des erreurs politiques

CÕest lˆ cependant ce que ceux qui ont traitŽ de ces objets nÕavaient pas considŽrŽ, lorsquÕils ont dit que lՎtat de SociŽtŽ Žtait contraire ˆ la Nature, et que ne trouvant pas de moyen de justifier cette SociŽtŽ, ni de la concilier avec leurs principes de Droit naturel, ils ont pris la rŽsolution de la proscrire.

Pour nous, qui sentons lÕindispensable nŽcessitŽ de la liaison et de la frŽquentation mutuelle des hommes, nous ne serons point arrtŽs par la faussetŽ et lÕinjustice de quelques-uns des liens qui les ont mis souvent en Corps social ; nous serons trs persuadŽs mme que les hommes ne seraient pas nŽs, comme ils le sont, avec ces besoins rŽciproques, et avec ces facultŽs qui leur promettent tant dÕavantages, sÕil nÕy avait pas aussi des moyens lŽgitimes de les mettre en valeur, et dÕen retirer tous les fruits dont elles sont susceptibles.

Or, lÕusage de ces moyens, ne pouvant avoir lieu que dans le commerce mutuel des individus, et ce commerce, vu lՎtat actuel de lÕhomme, Žtant sujet ˆ des inconvŽnients sans nombre, nous ne rejetterons pas pour cela les Corps politiques, nous ne ferons quÕindiquer une base plus solide que celle quÕon leur a donnŽe jusquՈ ce jour, et des principes plus satisfaisants.

Mais on doit voir actuellement que les tŽnbres o les Politiques se sont enveloppŽs sur ce point, ont la mme source que ceux qui couvrent encore aujourdÕhui les Observateurs de la Nature ; cÕest pour avoir, comme eux, confondu le principe avec son enveloppe, la force conventionnelle de lÕhomme avec sa vŽritable force, quÕils ont tout obscurci et tout dŽfigurŽ.

Du premier empire de lÕHomme

De plus, nous avons vu le peu de fruits quÕont produit toutes ces observations sur la Nature par lesquelles on a voulu la sŽparer dÕune Cause active et intelligente, dont le concours et le pouvoir ont ŽtŽ dŽmontrŽs dÕune nŽcessitŽ absolue.

Nous saurons donc que la marche des Politiques Žtant semblable, doit tre Žgalement infructueuse ; ils ont cherchŽ dans lÕhomme isolŽ les principes des Gouvernements, et ils ne les y ont pas plus trouvŽs, que les Observateurs nÕont trouvŽs dans la Matire la source de ses effets et de tous ses rŽsultats.

Ainsi, de mme quÕune circonfŽrence sans centre ne peut pas se concevoir, de mme aucune de ces Sciences ne peut marcher sans son appui ; cÕest pourquoi tous ces systmes ne peuvent se soutenir, et tombent sans autre cause que celle de leur propre dŽbilitŽ.

Si par son origine premire, lÕhomme Žtait destinŽ ˆ tre chef et ˆ commander, ainsi que nous lÕavons assez clairement Žtabli, quelle idŽe devons-nous nous former de son Empire dans ce premier Žtat, et sur quels Etres appliquerons-nous son autoritŽ ? Sera-ce sur ses Žgaux ? Mais dans tout ce qui existe et dans tout ce que nous pouvons concevoir, rien ne nous donne lÕexemple dÕune pareille Loi, tout nous dit au contraire quÕil ne saurait y avoir dÕautoritŽ que sur des Etres infŽrieurs, et que ce mot dÕautoritŽ porte nŽcessairement avec lui-mme lÕidŽe de la supŽrioritŽ ?

Sans nous arrter donc plus longtemps ˆ examiner sur quels Etres sՎtendaient alors les droits de lÕhomme, il nous suffit de reconna”tre que ce ne pouvait tre sur ses semblables. Si cet homme fžt restŽ dans ce premier Žtat, il est donc certain que jamais il nÕaurait rŽgnŽ sur des hommes, et que la SociŽtŽ politique nÕaurait jamais existŽ pour lui, parce quÕil nÕy aurait point eu pour lui de liens sensibles, ni de privation intellectuelle, que son seul objet aurait ŽtŽ dÕexercer pleinement ses facultŽs, et non comme aujourdÕhui dÕen opŽrer pŽniblement la rŽhabilitation.

Lorsque lÕhomme se trouva dŽchu de cette splendeur, et quÕil fut condamnŽ ˆ la malheureuse condition o il est rŽduit ˆ prŽsent, ses premiers droits ne furent point abolis, ils ne furent que suspendus, et il lui est toujours restŽ le pouvoir de travailler et de parvenir par ses efforts ˆ les remettre dans leur premire valeur.

Il pourrait donc mme aujourdÕhui gouverner comme dans son origine, et cela, sans avoir ses semblables pour sujets. Mais cet empire dont nous parlons, lÕhomme ne le peut retrouver et en jouir que par les mmes titres qui lÕont rendu ma”tre autrefois, et ce nÕest absolument quÕen portant son ancien Sceptre, quÕil parviendra ˆ reprendre avec fondement le nom de Roi. Ce fut lˆ sa condition premire, et celle ˆ laquelle il peut encore prŽtendre par lÕessence invariable de sa nature ; en un mot, telle est son ancienne autoritŽ, dans laquelle, nous le rŽpŽtons, les droits dÕun homme sur un autre homme nՎtaient pas connus, parce quÕil Žtait hors de toute possibilitŽ que ces droits existassent entre des Etres Žgaux, dans leur Žtat de gloire et de perfection.

Du nouvel empire de lÕHomme

Or, dans lՎtat dÕexpiation que lÕhomme subit aujourdÕhui, non seulement il est ˆ portŽe de retrouver les anciens pouvoirs dont tous les hommes auraient joui, sans que leurs sujets fussent pris parmi leur espce, mais il peut acquŽrir encore un autre droit dont il nÕavait pas la connaissance dans son premier Žtat ; cÕest celui dÕexercer une vŽritable autoritŽ sur dÕautres hommes ; et voici dÕo ce pouvoir est provenu.

Dans cet Žtat de rŽprobation o lÕhomme est condamnŽ ˆ ramper, et o il nÕaperoit que le voile et lÕombre de la vraie lumire, il conserve plus ou moins le souvenir de sa gloire, il nourrit plus ou moins le dŽsir dÕy remonter, le tout en raison de lÕusage libre de ses facultŽs intellectuelles, en raison des travaux qui lui sont prŽparŽs par la justice, et de lÕemploi quÕil doit avoir dans lÕÏuvre.

Les uns se laissent subjuguer, et succombent aux Žcueils semŽs sans nombre dans ce cloaque ŽlŽmentaire, les autres ont le courage et le bonheur de les Žviter.

On doit donc dire que celui qui sÕen prŽservera le mieux, aura le moins laissŽ dŽfigurer lÕidŽe de son Principe, et se sera le moins ŽloignŽ de son premier Žtat. Or, si les autres hommes nÕont pas fait les mmes efforts, quÕils nÕaient pas les mmes succs, ni les mmes dons, il est clair que celui qui aura tous ces avantages sur eux, doit leur tre supŽrieur, et les gouverner.

Du pouvoir souverain

Premirement, il leur sera supŽrieur par le fait mme, parce quÕil y aura entre eux et lui une diffŽrence rŽelle fondŽe sur des facultŽs et des pouvoirs dont la valeur sera Žvidente ; il le sera en outre par nŽcessitŽ, parce que les autres hommes sՎtant moins exercŽs, et nÕayant pas recueilli les mmes fruits, auront vraiment besoin de lui, comme Žtant dans lÕindigence et dans lÕobscurcissement de leurs propres facultŽs.

SÕil est un homme en qui cet obscurcissement aille jusquՈ la dŽpravation, celui qui se sera prŽservŽ de lÕun et de lÕautre, devient son ma”tre non seulement par le fait et par la nŽcessitŽ, mais encore par devoir. Il doit sÕemparer de lui, et ne lui laisser aucune libertŽ dans ses actions, tant pour satisfaire aux lois de son Principe, que pour la sžretŽ et lÕexemple de la SociŽtŽ, il doit enfin exercer sur lui tous les droits de lÕesclavage et de la servitude ; droits aussi justes et aussi rŽels dans ce cas-ci, quÕinexplicables et nuls dans toute autre circonstance.

Voilˆ donc quelle est la vŽritable origine de lÕempire temporel de lÕhomme sur ses semblables, comme les liens de sa nature corporelle ont ŽtŽ lÕorigine de la premire sociŽtŽ.

Cet empire toutefois, loin de contraindre et de gner la sociŽtŽ naturelle, doit tre regardŽ comme en Žtant le plus ferme appui, et le moyen le plus sžr par lequel elle puisse se soutenir, soit contre les crimes de ses membres, soit contre les attaques de tous ses ennemis.

Celui qui sÕen trouve revtu, ne pouvant tre heureux quÕautant quÕil se soutient dans les vertus qui le lui ont fait acquŽrir, cherche pour son propre intŽrt ˆ faire le bonheur de ses sujets. Et quÕon ne croie pas que cette occupation doive tre vaine et sans fruit ; car lÕhomme dont nous offrons ici lÕidŽe, ne peut tre tel sans avoir en lui tous les moyens de se conduire avec certitude, et sans que ses recherches ne lui rendent des rŽsultats Žvidents.

De la dignitŽ des rois

En effet, la lumire qui Žclairait lÕhomme dans son premier Žtat, Žtant une source inŽpuisable de facultŽs et de vertus, plus il peut sÕen rapprocher, plus il doit Žtendre son empire sur les hommes qui sÕen Žloignent, et aussi plus il doit conna”tre ce qui peut maintenir lÕordre parmi eux, et assurer la soliditŽ de lÕEtat.

Par le secours de cette lumire, il doit pouvoir embrasser, et soigner avec succs toutes les parties du Gouvernement, conna”tre Žvidemment les vrais principes des lois et de la Justice, les rgles de la discipline militaire, les droits des particuliers et les siens, ainsi que cette multitude de ressorts qui sont les mobiles de lÕadministration.

Il doit mme pouvoir porter ses vues et Žtendre son autoritŽ jusque sur ces parties de lÕadministration, qui nÕen font pas aujourdÕhui lÕobjet principal dans la plupart des Gouvernements, mais qui, dans celui dont nous parlons, en doivent tre le plus ferme lien, savoir, la Religion et la guŽrison des maladies. Enfin, il nÕest pas jusquÕaux arts, soit dÕagrŽment, soit dÕutilitŽ, dont il ne puisse diriger la marche et indiquer le vŽritable gožt. Car le flambeau quÕil est assez heureux dÕavoir ˆ la main, rŽpandant une lumire universelle, doit lՎclairer sur tous ces objets, et lui en laisser voir la liaison.

Ce tableau, tout chimŽrique quÕil doit para”tre, nÕa cependant rien qui ne soit conforme ˆ lÕidŽe que nous nous trouverons avoir des Rois, quand nous la voudrons approfondir.

En rŽflŽchissant sur le respect que nous leur portons, ne verrons-nous pas que nous les regardons comme devant tre lÕimage et les reprŽsentants dÕune main supŽrieure, et comme tels susceptibles de plus de vertus, de force, de lumire et de sagesse que les autres hommes ? NÕest-ce pas avec une sorte de regret que nous les voyons exposŽs aux faiblesses de lÕhumanitŽ ? Et ne semblerions-nous pas dŽsirer quÕils ne se fissent jamais conna”tre que par des actes grands et sublimes comme la main qui est censŽe les avoir placŽs tous sur le Tr™ne ?

Que dis je, nÕest-ce pas sous cette autoritŽ sacrŽe quÕils sÕannoncent, et quÕils font valoir tous leurs droits ? Quoique nous nÕayons pas la certitude quÕils agissent par elle, nÕest-ce pas de ce que nous en sentons la possibilitŽ, que na”t cette espce dÕeffroi qui rŽsulte de leur puissance, et cette vŽnŽration quÕils nous inspirent ?

Tout ceci nous indique donc que leur premire origine est supŽrieure aux pouvoirs et ˆ la volontŽ des hommes, et doit nous confirmer dans lÕidŽe que jÕai prŽsentŽe, que leur source est au-dessus de celles que la Politique leur a cherchŽ.

De la science des rois

Quant ˆ ces facultŽs et ˆ ces vertus innombrables que nous avons montrŽes, comme devant se trouver dans les Rois qui auraient retrouvŽ leur ancienne lumire, ce sont encore les Chefs des SociŽtŽs Žtablies qui nous les annoncent, puisquÕils agissent comme ayant la jouissance de tout ce que nous sentons devoir tre en eux.

Leur nom nÕest-il pas le sceau de toutes les puissances quÕils versent dans leur Empire ? GŽnŽraux, Magistrats, Princes, tous les Ordres de lÕEtat ne tiennent-ils pas dÕeux leur autoritŽ, et lorsque cette mme autoritŽ se transmet de main en main jusquÕaux derniers rameaux de lÕarbre social, nÕest-ce pas toujours en vertu de la premire Žmanation ? Ne faut-il pas mme toujours leur attache pour lÕexercice des talents utiles, et quelquefois pour celui des talents qui ne sont quÕagrŽables ?

Dans tous ces cas, les Souverains nous donnent eux-mmes un signe Žvident quÕils sont comme le centre et la source, dÕo doivent sortir tous les privilges et tous les pouvoirs quÕils communiquent ? Car lÕacte mme de cette communication, et les formalitŽs qui lÕaccompagnent, montrent toujours quÕils sont, ou quÕils peuvent tre dirigŽs dans leur choix par une lumire sžre, et quÕils sont ŽclairŽs sur la capacitŽ des sujets ˆ qui ils confient une partie de leurs droits. Et mme ces prŽcautions de leur part, ainsi que les dŽcisions qui en rŽsultent, supposent non seulement leur capacitŽ personnelle, mais encore elles en sont comme autant de tŽmoignages.

Car toutes les informations que les Souverains font prendre dans les diffŽrents cas qui se prŽsentent, et lÕadhŽsion quÕils apportent aux lumires et aux dŽcisions de leurs diffŽrents Tribunaux, ne doivent point tre regardŽes comme des suites de leur ignorance sur les diffŽrentes matires soumises ˆ leur LŽgislation. Ce nÕest point quÕils soient censŽs ne pouvoir conna”tre tout par eux-mmes, au contraire, on ne peut se dispenser de le supposer, puisque ce sont eux-mmes qui crŽent ces juridictions. Mais cÕest que faisant dans le temporel les fonctions dÕun Etre vrai et infini, ils sont chargŽs, comme lui, de lÕaction totale et infinie, et sont, comme lui, dans la nŽcessitŽ indispensable de ne pouvoir opŽrer les actions bornŽes et particulires, que par leurs attributs et par les agents de leurs facultŽs.

 

De la lŽgitimitŽ des souverains

Si nous entrions dans le dŽtail de tous les ressorts qui agissent et soutiennent les Gouvernements politiques, nous en ferions la mme application aux facultŽs des Chefs qui les dirigent ; lÕexercice de la Justice, tant civile que criminelle, quoique se faisant par dÕautres mains que les leurs, mais toujours par leur autoritŽ, annoncerait assez clairement quÕils pourraient avoir les moyens de dŽcouvrir les droits et les fautes de leurs Sujets, et de fixer avec certitude lՎtendue et le soutien des uns, en mme temps que la rŽparation des autres. Le soin quÕils prennent de veiller ˆ la conservation des Lois du Gouvernement, ˆ la puretŽ des mÏurs, au maintien des Dogmes et des pratiques de la Religion, ˆ la perfection des Sciences et des Arts, tout cela, dis je, nous rappellerait quÕil doit tre en eux une lumire fŽconde qui sՎtend ˆ tout, et par consŽquent qui conna”t tout.

Nous ne nous Žcartons donc point de la VŽritŽ, en attribuant ˆ lÕhomme revtu de tous les privilges de son premier Žtat, les avantages dont les Rois nous retracent si sensiblement lÕimage, et nous pouvons dire avec raison quÕils nous instruisent par-lˆ, de ce que lÕhomme pourrait et devrait tre, mme au milieu de la RŽgion impure quÕil habite aujourdÕhui.

Je ne me dissimule pas cependant, la multitude dÕobjections que doit faire na”tre ce point de vue sous lequel je viens de prŽsenter les Rois, et en gŽnŽral tous les Chefs des SociŽtŽs. AccoutumŽs, comme sont les hommes, ˆ expliquer les choses par elles-mmes, et non par leur principe, il doit tre nouveau pour eux dÕapercevoir, ˆ tous leurs droits et ˆ toutes leurs puissances, une source qui nÕest plus ˆ eux, mais qui nŽanmoins est si analogue avec eux.

Des gouvernements lŽgitimes

Aussi Žtant peu faits ˆ ces principes, ils commenceront par me demander quelle preuve les Nations pourront avoir de la lŽgitimitŽ de leurs Chefs, et sur quoi elles pourront juger que ceux qui en occupent la place ne les ont point abusŽes.

Je ne crains pas de me trop avancer, en disant que les tŽmoignages en seront Žvidents, soit pour les Chefs, soit pour les Sujets, qui auront su faire un juste et utile usage de leurs facultŽs intellectuelles, et je renvoie pour cet article, ˆ ce que jÕai dit prŽcŽdemment sur les tŽmoignages dÕune Religion vraie. La mme rŽponse peut servir ˆ lÕobjection prŽsente, parce que lÕInstitution sacrŽe et lÕInstitution politique ne devraient avoir que le mme but, le mme guide et la mme Loi : aussi devraient-elles toujours tre dans la mme main, et lorsquÕelles se sont sŽparŽes, elles ont perdu de vue lÕune et lÕautre, leur vŽritable esprit, qui consiste dans une parfaite intelligence et dans lÕunion.

La seconde question quÕon pourra me faire, cÕest de savoir, si en admettant la possibilitŽ dÕun Gouvernement, tel que celui que je viens de reprŽsenter, on peut en trouver des exemples sur la Terre.

Je ne serais pas cru, sans doute, si je voulais persuader que tous les Gouvernements Žtablis sont conformes au modle quÕon vient de voir, parce quÕen effet le plus grand nombre en est trs ŽloignŽ : mais je prie mes semblables, dՐtre bien convaincus que les vrais Souverains, ainsi que les lŽgitimes Gouvernements, ne sont pas des Etres imaginaires, quÕil y en a eu de tout temps, quÕil y en a actuellement, et quÕil y en aura toujours, parce que cela entre dans lÕOrdre universel, parce quÕenfin cela tient au Grand-Îuvre, qui est autre chose que la Pierre philosophale.

Une troisime difficultŽ, qui se prŽsentera naturellement dÕaprs les principes qui ont ŽtŽ Žtablis, cÕest dÕy avoir vu que tout homme par sa nature, peut espŽrer de retrouver la lumire quÕil a perdue, et cependant que je reconnaisse des Souverains parmi les hommes ; car, si chaque homme parvient au terme de sa rŽhabilitation, quels seront les Chefs ? Tous les hommes ne seront-ils pas Žgaux, ne seront-ils pas tous des Rois ?

Cette difficultŽ ne peut plus subsister, aprs ce que jÕai dit sur les obstacles qui arrtent si souvent lÕhomme dans sa carrire, et qui, multipliŽs encore par ses imprudences et lÕusage faux de sa volontŽ, sont de sa part, si rarement et si inŽgalement surmontŽs.

De lÕinstitution militaire

On pourrait mme rappeler ici ce que jÕai dit sur les diffŽrences naturelles des facultŽs intellectuelles des hommes, o lÕon a pu remarquer, quÕen ne les comparant mme que sous ce point de vue, il resterait toujours une inŽgalitŽ entre eux, mais inŽgalitŽ qui ne leur serait point pŽnible, et qui ne les humilierait pas, parce que leur grandeur serait rŽelle dans chacun dÕeux, et non pas relative, comme celle qui nÕest que conventionnelle et arbitraire.

CÕest ce qui nous est reprŽsentŽ en quelque sorte dans les lois de lÕinstitution Militaire, celui de tous les ouvrages des hommes qui nous peigne le plus fidlement lՎtat premier, et qui, comme tel, est le plus noble de tous leurs Etablissements, quoique nÕayant pas une base plus vraie, ni plus solide que leurs autres Ïuvres, il ne doive tenir aux yeux de lÕhomme sensŽ, que le premier rang dans lÕordre des prŽjugŽs ; mais je le rŽpte, il est si noble, il engage ˆ tant de vertus, quÕon oublie presque quÕil aurait besoin dՐtre vrai.

Ainsi, regardant cette institution, comme celle qui sÕapplique le mieux au Principe de lÕhomme, nous remarquerons que tous les Membres qui composent un corps militaire, sont censŽs revtus et douŽs chacun des facultŽs particulires qui sont propres ˆ leur grade. Ils sont censŽs, chacun dans leur classe, avoir atteint et rempli le but qui leur est assignŽ.

Cependant, quoique ces Membres soient tous inŽgaux, il nÕy a point de difformitŽ dans leur assemblage, ni dÕhumiliation pour les individus, parce que le devoir de chacun est fixe, et que lˆ il nÕest pas honteux dՐtre infŽrieur aux autres Membres du mme Corps, mais seulement dՐtre infŽrieur ˆ son grade.

En mme temps, ces corps Militaires, Žtant composŽs de Membres inŽgaux, ne peuvent jamais demeurer un moment sans Chef, puisquÕil y aura toujours un de ces Membres qui sera supŽrieur ˆ lÕautre.

Si ces Corps nՎtaient pas lÕouvrage de la main de lÕhomme, les diffŽrences et la supŽrioritŽ de leurs Membres seraient fixes, et ce serait la qualitŽ et le prix rŽel du sujet qui serviraient de rgle. Mais, lorsque le LŽgislateur nÕest pas conduit par sa vraie lumire, et que cependant il a toujours ˆ agir, il y supplŽe en Žtablissant une valeur et un mŽrite plus faciles ˆ conna”tre, et qui nÕont besoin que du secours des yeux corporels pour tre dŽterminŽs. CÕest lÕanciennetŽ, qui, aprs la diffŽrence des Grades, fixe les droits dans les corps Militaires, et nÕy ežt-il que deux Soldats dans un Poste, la Loi veut que le plus ancien commande lÕautre.

De lÕinŽgalitŽ des hommes

Cette loi, toute factice quÕelle soit, nÕest-elle pas un indice de la justesse du principe que jÕai exposŽ, et en supposant tous les hommes en possession de leurs Privilges, comme il nÕy aurait jamais une entire ŽgalitŽ entre eux, ne pourrait-on pas croire quÕils auraient toujours des Rois ?

Ce serait nŽanmoins la plus grande des absurditŽs, que de prendre cette comparaison ˆ la lettre ; les corps Militaires, nՎtant que lÕouvrage de lÕhomme, ne peuvent avoir que des diffŽrences conventionnelles, aussi lˆ le supŽrieur et lÕinfŽrieur sont par leur nature de la mme espce, et malgrŽ ces distinctions si imposantes, tout sÕy ressemble au fond, puisque ce sont toujours des hommes dans la privation.

Mais dans lÕOrdre naturel, si chaque homme parvenait au dernier degrŽ de sa puissance, chaque homme alors serait un Roi. Or, de mme que les Rois de la Terre ne reconnaissent pas les autres Rois pour leurs Ma”tres, et que, par consŽquent, ils ne sont points sujets les uns des autres ; de mme, dans le cas dont il sÕagit, si tous les hommes Žtaient pleinement rŽhabilitŽs dans leurs droits, les Ma”tres et les Sujets des hommes ne pourraient pas se trouver parmi des hommes, et ils seraient tous Souverains dans leur Empire.

Mais, je le rŽpte, ce nÕest pas dans lՎtat actuel des choses, que les hommes parviendront tous ˆ ce degrŽ de grandeur et de perfection, qui les rendrait indŽpendants les uns des autres ; ainsi, depuis que cet Žtat de rŽprobation subsiste, sÕils ont toujours eu des chefs pris parmi eux, il faut sÕattendre quÕils en auront toujours, et cela est mme indispensable, jusquՈ ce que ce temps de punition soit entirement accompli.

CÕest donc avec confiance que jՎtablis sur la rŽhabilitation dÕun homme dans son Principe, lÕorigine de son autoritŽ sur ses semblables, celle de sa puissance, et de tous les titres de la souverainetŽ politique.

Je ne crains pas mme dÕassurer que cÕest le seul et unique moyen dÕexpliquer tous les droits, et de concilier la multitude dÕopinions diffŽrentes que les Politiques ont enfantŽes sur cette matire ; parce que, pour reconna”tre une supŽrioritŽ dans un Etre, sur les Etres de la mme classe, ce nÕest pas dans ce en quoi il leur ressemble quÕil faut la chercher, mais dans ce en quoi il peut en tre distinguŽ.

Or, par leur nature actuelle, les hommes Žtant condamnŽs ˆ la privation, se ressemblent tout absolument par cet endroit, ˆ quelques nuances prs ; ce nÕest donc quÕen sÕefforant de faire dispara”tre cette privation, quÕils peuvent espŽrer dՎtablir des diffŽrences rŽelles entre eux.

Du flambeau des gouvernements

Je crois aussi ne pas pouvoir offrir ˆ mes semblables, un tableau aussi satisfaisant, que celui de cette SociŽtŽ que nous avons vue Žtablie prŽcŽdemment sur les besoins corporels de lÕhomme, et sur le dŽsir quÕil a de conna”tre ; et lui donner un Chef tel que je viens de le peindre, cÕest complŽter et confirmer lÕidŽe naturelle que nous portons tous secrtement en nous, de lÕhomme social et du principe des gouvernements.

En effet, nous nÕy verrions rŽgner quÕun ordre et une activitŽ universelle, qui formeraient un tissu de dŽlices et de joie pour tous les Membres du Corps politique ; nous verrions que leurs maux corporels mmes eussent trouvŽ lˆ des adoucissements ; parce que, selon que je lÕai indiquŽ, la lumire qui ežt dirigŽ lÕassociation, en aurait embrassŽ et ŽclairŽ toutes les parties. Alors, cÕežt ŽtŽ au milieu des choses pŽrissables, nous prŽsenter lÕimage la plus grande et lÕidŽe la plus juste de la perfection ; cÕežt ŽtŽ rappeler cet heureux ‰ge quÕon a dit nÕexister que dans lÕimagination des Potes, parce que, nous en Žtant ŽloignŽs et nÕen connaissant plus la douceur, nous avons eu la faiblesse de croire que, puisquÕil avait passŽ pour nous, il devait avoir cessŽ dՐtre.

En mme temps, si telle est la Loi qui devrait lier et gouverner les hommes ; si cÕest lˆ le seul flambeau qui puisse, sans injustice, les rŽunir en corps, il est donc certain, quÕen lÕabandonnant, ils ne peuvent sÕattendre quՈ lÕignorance, et ˆ toutes les misres inŽvitables pour ceux qui errent dans lÕobscuritŽ.

De la soumission aux souverains

Alors, si par lÕexamen que lÕon va voir des Gouvernements reus, il se trouve dans eux des difformitŽs, on pourra conclure avec raison quÕelles ne subsistent que par lՎloignement de cette mme lumire, et parce que ceux qui ont fondŽ les Corps politiques nÕen ont pas connu les principes, ou que leurs successeurs en ont laissŽ altŽrer la puretŽ. Mais, avant dÕentreprendre cet important examen, je dois tranquilliser les Gouvernements ombrageux, qui pourraient sÕalarmer de mes sentiments, et craindre, quÕen dŽvoilant leur dŽfectuositŽ, jÕanŽantisse le respect qui leur est dž ; et, quoique jÕaie dŽjˆ montrŽ, dans quelques endroits du sujet qui mÕoccupe actuellement, ma vŽnŽration pour la personne des Souverains, autant que pour leur caractre, il est convenable de rŽitŽrer ici cette protestation, afin de bien persuader ˆ tous ceux qui liront cet Ouvrage, que je ne respire que lÕordre et la paix, que je fais ˆ tous les Sujets un devoir indispensable de la soumission ˆ leurs Chefs, et que je condamne sans rŽserve toute insubordination et toute rŽvolte, comme Žtant diamŽtralement contraires aux principes que je me suis proposŽ dՎtablir.

On ne pourra se dispenser dÕajouter foi ˆ cette authentique dŽclaration, lorsquÕon voudra se rappeler ce que jÕai Žtabli prŽcŽdemment sur la Loi qui doit ici-bas diriger lÕhomme dans toute sa conduite. NÕai-je pas montrŽ que lÕencha”nement de ses souffrances nՎtait quÕune suite du faux usage de sa volontŽ ; que lÕusage de cette volontŽ nՎtait devenu faux que quand lÕhomme avait abandonnŽ son guide, et que, par consŽquent, sÕil avait la mme imprudence aujourdÕhui, il ne ferait par-lˆ que perpŽtuer ses crimes et augmenter dÕautant ses malheurs ?

Je condamne absolument la rŽbellion, dans le cas mme o lÕinjustice du Chef et du Gouvernement serait ˆ son comble, et o ni lÕun ni lÕautre ne conserverait aucune trace des pouvoirs qui les constituent ; parce que, toute inique, toute rŽvoltante que pourrait tre une pareille Administration, jÕai fait voir que ce nÕest point le Sujet qui a Žtabli ses Lois politiques et ses Chefs, ainsi ce nÕest point ˆ lui ˆ les renverser.

Mais il faut en donner des raisons plus sensibles encore ; si le mal nÕest que dans lÕAdministration, et que le Chef se soit conservŽ dans cette force et ces droits incontestables que nous lui supposons, comme Žtant le fruit de son travail et des exercices quÕil aura faits, il aura en lui toutes les facultŽs nŽcessaires, pour dŽmler le vice du Gouvernement et pour y remŽdier, sans que le Sujet soit dans le cas dÕy porter la main.

Si le vice est en mme temps, dans le Gouvernement et dans le Chef, mais que le Sujet ait su sÕen prŽserver, en remplissant cette obligation commune ˆ tous les hommes de ne jamais sՎcarter de la Loi invariable qui doit les conduire, celui-ci saura se mettre ˆ couvert des vexations, sans employer la violence ; ou bien il saura reconna”tre si ce nÕest point dÕune main supŽrieure que part le flŽau, alors il se gardera dÕen murmurer, ni de sÕopposer ˆ la Justice.

Enfin, si le vice Žtait ˆ la fois dans le Chef, dans lÕAdministration et dans le Sujet, alors il ne faudrait plus me demander ce quÕil y aurait ˆ faire ; car ce ne serait plus un Gouvernement, ce serait un brigandage ; or, pour les brigandages, il nÕy a pas de Lois.

Il serait mme inutile dÕannoncer aux hommes dans un pareil dŽsordre, que plus ils sÕy livreront, plus ils sÕattireront de souffrance et dÕafflictions ; que lÕintŽrt de leur vrai bonheur leur dŽfendra toujours de repousser lÕinjustice par lÕinjustice, et que les maux les poursuivront, tant quÕils ne sÕefforceront pas de plier leur pensŽe et leur volontŽ ˆ leur rgle naturelle. Ces discours ne trouveraient aucun accs dans cette confusion tumultueuse ; car ils sont le langage de la raison, et lÕEtre livrŽ ˆ lui-mme ne raisonne point.

QuÕon ne mÕobjecte pas, de nouveau, cette difficultŽ de savoir ˆ quels signes chacun pourra discerner si les choses sont ou non dans lÕordre, et quand on devra agir ou sÕarrter. JÕai assez fait entendre que tout homme Žtait nŽ pour avoir la certitude de la lŽgitimitŽ de ses actions, quÕelle est indispensable pour fixer la moralitŽ de toute sa conduite, et quÕainsi tant que cette preuve lui manque, il sÕexpose sÕil fait un pas.

DÕaprs cela, lÕon peut juger si je permets ˆ lÕhomme la moindre imprudence, et ˆ plus forte raison le moindre acte de violence et dÕautoritŽ privŽe.

Je crois donc que cet aveu de ma part peut rassurer les Souverains sur les principes qui me conduisent ; ils nÕy verront jamais quÕun attachement inviolable pour leur personne, et que le plus sublime respect pour le rang sacrŽ quÕils occupent ; ils y verront que mme sil y avait parmi eux des usurpateurs et des tyrans, leurs Sujets nÕauraient aucun prŽtexte lŽgitime, pour leur porter la moindre atteinte.

Des obligations des rois

Si des Rois lisaient jamais cet Žcrit, ils ne se persuaderaient pas, je pense, que par cette soumission que je leur voue, jÕaugmente en rien leurs pouvoirs, et que je les dispense de cette obligation o ils sont comme hommes, dÕassujettir leur marche ˆ la rgle commune qui devrait nous diriger tous.

Au contraire, si ce nÕest que par lÕintime connaissance quÕils sont censŽs avoir de cette rgle, et par leur fidŽlitŽ ˆ lÕobserver quÕils ont dž porter le titre de Rois, leur rendre le droit de sÕen Žcarter, ce serait favoriser lÕimposture, et insulter au nom mme qui nous les fait honorer.

Ainsi, si le sujet nÕa pas le droit de venger une injustice de leur part, ils doivent savoir quÕils ont encore moins celui dÕen commettre ; parce quÕen qualitŽ dÕhommes, le Souverain et le Sujet ont la mme Loi ; que lÕEtat politique ne change rien ˆ leur nature dÕEtres pensants ; quÕil nÕest quÕune charge de plus pour tous les deux, et que lÕun et lÕautre ne peuvent et ne doivent rien faire par eux-mmes ?

JÕai pensŽ quÕil Žtait ˆ propos de faire cette formelle dŽclaration avant dÕentrer dans lÕexamen des Corps politiques, et je crois actuellement pouvoir suivre mon dessein sans inquiŽtude, parce que tout dŽfectueux que para”traient les Gouvernements, je ne peux plus tre souponnŽ de travailler ˆ leur ruine ; puisquÕau contraire tout ce que jÕaurais ˆ ambitionner, ce serait de leur faire gožter les seuls moyens qui soient Žvidemment propres ˆ leur bonheur et ˆ leur perfection.

De lÕinstabilitŽ des gouvernements

En premier lieu, ce qui doit faire prŽsumer que la plupart des Gouvernements nÕont point eu pour base le principe que jÕai Žtabli ci-devant ; savoir, la rŽhabilitation des Souverains dans leur lumire primitive, cÕest que presque tous les Corps politiques qui ont existŽ sur la terre, ont passŽ.

Cette simple observation ne nous permet gure dՐtre persuadŽs quÕils eussent un fondement rŽel, et que la Loi qui les avait constituŽs, fžt la vŽritable ; car cette Loi dont je parle ayant, par sa nature, une force vivante et invincible, tout ce quÕelle aurait liŽ devrait tre indissoluble, tant que ceux qui auraient ŽtŽ prŽposŽs pour en tre les ministres, ne lÕauraient pas abandonnŽe.

Il faut donc, ou quÕelle ait ŽtŽ mŽconnue dans lÕorigine des Gouvernements dont il sÕagit, ou quÕelle ait ŽtŽ nŽgligŽe dans les temps qui ont suivi leur institution, parce que sans cela ils subsisteraient encore.

Et certainement, ceci ne rŽpugne point ˆ lÕidŽe que nous portons tous en nous, de la stabilitŽ des effets dÕune pareille loi ; selon les notions de vŽritŽ qui sont dans lÕhomme, ce qui est ne passe point, et la durŽe est pour nous la preuve de la rŽalitŽ des choses. Lors donc que les hommes se sont accoutumŽs ˆ regarder les Gouvernements comme passagers et sujets aux vicissitudes, cÕest quÕils les ont mis au rang de toutes les institutions humaines, qui nÕayant que leurs caprices, et leur imagination dŽrŽglŽe pour appui, peuvent vaciller dans leurs mains, et tre anŽanties par un autre caprice.

NŽanmoins, et par une contradiction intolŽrable, ils ont exigŽ notre respect pour ces sortes dՎtablissements dont eux-mmes reconnaissaient la caducitŽ.

NÕest-il pas certain alors que dans leur aveuglement mme, le Principe leur parlait encore ; et quÕils sentaient que toutes vicieuses et toutes fragiles que fussent leurs Institutions sociales, elles en reprŽsentaient une qui ne devait avoir aucun de ces dŽfauts.

Ceci serait suffisant pour appuyer ce que jÕai avancŽ sur la Loi fixe qui doit prŽsider ˆ toute Association ; mais, sans doute, malgrŽ lÕidŽe que nous avons tous dÕune pareille Loi, on hŽsitera toujours ˆ y ajouter foi, parce quÕayant vu dispara”tre tous les Empires, il devient comme Žvident quÕils nŽ peuvent pas tre durables, et on aura peine ˆ croire quÕil y en ait qui nÕaient point passŽ.

Des gouvernements stables

CÕest cependant une des vŽritŽs que je puisse le mieux affirmer, et je ne mÕavance point trop, en certifiant ˆ mes semblables, quÕil y a des Gouvernements qui se soutiennent depuis que lÕhomme est sur la terre, et qui subsisteront jusquՈ la fin du temps ; et cela, par les mmes raisons qui mÕont fait dire quÕici-bas il y avait toujours eu, et quÕil y aurait toujours des Gouvernements lŽgitimes.

Je nÕai donc point eu tort de faire entendre que si les Corps politiques qui ont disparu de dessus la terre, avaient ŽtŽ fondŽs sur un Principe vrai, ils seraient encore en vigueur ; que ceux qui subsistent aujourdÕhui, passeront infailliblement, sÕils nÕont un pareil principe pour base, et que sÕils sÕen Žtaient ŽcartŽs, le meilleur moyen quÕils eussent de se soutenir, ce serait de sÕen rapprocher.

Par la durŽe dont jÕannonce quÕun Gouvernement est susceptible, il est clair que je nÕentends parler que dÕune durŽe temporelle, puisquÕils ne sont Žtablis que dans le temps. Mais quoiquÕils dussent finir avec les choses, ce serait toujours jouir de la plŽnitude de leur action, que de la porter jusquՈ ce terme, et cÕest lˆ ce quÕils pourraient espŽrer, sÕils savaient sÕappuyer de leur principe.

Je ne mÕarrterai point ˆ citer pour preuve, cet orgueil avec lequel les Gouvernements vantent leur anciennetŽ, ni les soins quÕils se donnent pour reculer leur origine, je ne rappellerai point non plus, les prŽcautions quÕils prennent pour leur conservation et pour leur durŽe, ni tous ces Žtablissements quÕils forment sans cesse, dans des vues ŽloignŽes, et dont les fruits ne peuvent tre recueillis quÕaprs des sicles ; on voit que ce seraient lˆ autant dÕindices secrets de la persuasion o ils sont quÕils devraient tre permanents.

Alors donc, je le rŽpte, ds que nous voyons sՎteindre un Etat, nous pouvons prŽsumer sans crainte, que sa naissance nÕa pas ŽtŽ lŽgitime, o que les Souverains qui lÕont gouvernŽ successivement, nÕont pas tous cherchŽ ˆ se conduire par la lumire de ce flambeau naturel que nous leur rappellerons comme devant tre le guide de lÕhomme et le leur.

Par la raison contraire, il ne serait pas encore temps de prononcer sur les Gouvernements actuels, si nous nÕavions que ce seul motif pour diriger nos jugements, parce que, tant que nous les verrions subsister, nous pourrions les supposer conformes au Principe qui devrait les constituer tous, et ce ne serait que leur destruction qui nous dŽcouvrirait sÕils sont dŽfectueux.

Mais il est dÕautres points de vue sous lesquels nous avons encore ˆ les considŽrer, et qui peuvent nous aider ˆ nous instruire de leurs dŽfauts et de leurs irrŽgularitŽs.

De la diffŽrence des gouvernements

Le second vice que nous ne pouvons nous dissimuler dans les Gouvernements admis, cÕest quÕils sont diffŽrents les uns des autres : Or, si cՎtait un Principe vrai qui les ežt formŽs, ce Principe Žtant unique et toujours le mme, se serait manifestŽ partout de la mme manire, et tous les Gouvernements quÕil aurait produit seraient semblables. Ainsi, ds quÕil y a de la disparitŽ entre eux, nous ne pouvons plus admettre lÕUnitŽ de leur Principe, et trs certainement il doit y en avoir parmi eux qui soient illŽgalement Žtablis.

Je ne mÕarrte point ˆ ces diffŽrences locales, qui Žtant amenŽes par les circonstances et par le cours continuel des choses, doivent journellement se faire sentir dans lÕadministration. Comme la marche de cette administration doit tre rŽglŽe elle-mme par le Principe constitutif universel, loin que les diffŽrences quÕelle admettra, selon les temps et les lieux, le puissent altŽrer, elles nous montreront bien plut™t sa sagesse et sa fŽconditŽ.

Je ne dois donc compter dans ce moment-ci que les diffŽrences fondamentales, qui tiennent ˆ la constitution de lÕEtat.

De ce nombre sont les diffŽrentes formes de Gouvernement, dont je nÕenvisagerai que les deux principales, parce que les autres y tiennent plus ou moins ; savoir, celle o la suprme puissance est dans une seule main, et celle o elle est ˆ la fois dans plusieurs.

Si de ces deux sortes de Gouvernements lÕon suppose que lÕune est conforme au Principe, il est bien ˆ prŽsumer que lÕautre y est opposŽe ; car lÕune et lÕautre Žtant si diffŽrentes, ne peuvent pas raisonnablement avoir la mme base, ni la mme origine.

Je ne puis, par consŽquent, admettre cette opinion gŽnŽralement reue, qui dŽtermine la forme dÕun Gouvernement dÕaprs sa situation, son Žtendue et dÕautres considŽrations de cette nature, par lesquelles on prŽtend fixer lÕespce de LŽgislation la plus convenable ˆ chaque Peuple ou ˆ chaque ContrŽe.

Selon cette rgle, ce serait dans les Causes secondaires que se trouverait absolument la raison constitutive dÕun Etat, et cÕest ce qui rŽpugne entirement ˆ lÕidŽe que jÕai dŽjˆ donnŽe de cette Cause ou de ce Principe constitutif. Car, comme Principe, il doit dominer partout, diriger tout. Etant lumineux, il peut, il est vrai, sÕaccommoder aux circonstances que je viens de citer, mais il ne doit jamais plier devant elles au point de se dŽnaturer, et de produire des effets contradictoires. En un mot, ce serait renouveler lÕerreur que nous avons dŽvoilŽe en parlant de la Religion ; cÕest-ˆ-dire, que ce serait chercher dans lÕaction et les Lois des choses sensibles, la source dÕun Principe vrai, pendant que ce sont elles qui lՎloignent et qui le dŽfigurent. Ainsi je persiste ˆ soutenir que des deux formes de Gouvernements, dont je viens de parler, il y en a nŽcessairement une qui doit tre vicieuse.

Du gouvernement dÕun seul

Si lÕon me pressait absolument de me dŽcider sur celle qui mŽrite la prŽfŽrence, quoique mon plan soit plut™t de poser les Principes, que de donner mon avis, je ne pourrais me dispenser dÕavouer que le gouvernement dÕun seul est, sans contredit, le plus naturel, le plus simple et le plus analogue aux vŽritables Lois, que jÕai exposŽes prŽcŽdemment comme Žtant essentielles ˆ lÕhomme.

CÕest en effet, dans lui-mme et dans le flambeau qui lÕaccompagne, que lÕhomme doit puiser ses conseils et toutes ses lumires ; si cet homme est Roi, ses devoirs comme homme, ne changent pas, ils ne font que sՎtendre. Ainsi, dans ce rang ŽlevŽ, ayant toujours la mme Ïuvre ˆ faire, il a aussi toujours les mmes secours ˆ espŽrer.

Ce nÕest donc point dans les autres Membres de son Etat, quÕil doit chercher ses guides, et sÕil est homme, il saura se suffire ˆ lui-mme. Toutes les mains qui seront nŽcessairement employŽes dans lÕAdministration, quoiquՎtant lÕimage du Chef, chacune dans leur classe, nÕauront pour objet que de le seconder, et nullement de lÕinstruire et de lՎclairer, puisque nous avons reconnu en lui la source des immenses pouvoirs qui se rŽpandent dans tout son Empire.

Donc, si nous concevons quÕun homme puisse rŽunir en lui ces privilges, il serait trs inutile quÕil y ežt ˆ la fois plusieurs hommes ˆ la tte dÕun Gouvernement, puisquÕun seul peut alors la mme chose que tous les autres.

Ainsi, quelques avantages quÕon voulžt trouver dans le Gouvernement de plusieurs, je ne pourrais regarder cette forme comme la plus parfaite, parce quÕil y aurait un dŽfaut qui serait la superfluitŽ, et que dans lÕidŽe que nous portons en nous dÕun Gouvernement vrai, il ne doit point sÕy trouver de dŽfauts.

Cependant, quoique je donne la prŽfŽrence au Gouvernement dÕun seul, je ne dŽcide point encore que tous ceux qui ont cette forme soient vrais, selon toute la rŽgularitŽ du principe. Car enfin, mme parmi les Gouvernements dÕun seul, il se trouve encore des diffŽrences infinies.

Dans les uns, le Chef nÕa presque aucune autoritŽ ; dans les autres, il en a une absolue ; dans dÕautres, il tient le milieu entre la dŽpendance et le despotisme ; rien nÕest fixe, rien nÕest stable en ce genre. CÕest pour cela quÕil est trs probable, que ce nÕest pas encore par cette Loi invariable, dont nous nous occupons, quÕont ŽtŽ dirigŽs tous les Gouvernements o la puissance est dans une seule main, et quÕainsi nous ne devons pas les adopter tous.

De la rivalitŽ des gouvernements

Mais le troisime, et en mme temps le plus puissant motif, qui doit nous tenir en suspens sur la lŽgitimitŽ de toutes les Institutions sociales de la Terre, tant celles o il nÕy a quÕun Chef, que celles qui en ont plusieurs, cÕest quÕelles sont universellement ennemies les unes des autres ; or, trs certainement cette inimitiŽ nÕaurait pas lieu, si le mme Principe ežt prŽsidŽ ˆ toutes ces Associations, et quÕil en dirige‰t continuellement la marche. Car lÕobjet de ce Principe Žtant lÕordre, tant en gŽnŽral, quÕen particulier, tous les Žtablissements auxquels il aurait prŽsidŽ, nÕauraient eu sans doute que ce mme but ; et loin que ce but ežt ŽtŽ de sÕenvahir les uns et les autres, il ežt ŽtŽ, au contraire, de se soutenir mutuellement contre le vice naturel et commun qui prŽpare sans cesse leur destruction.

Lors donc que je les vois employer rŽciproquement leurs forces les uns contre les autres, et sՎcarter si grossirement de leur objet, je dois prŽsumer, sans crainte, que dans le nombre de ces Gouvernements, il ne se peut quÕil nÕy en ait dÕirrŽguliers et de vicieux.

Du droit de la guerre

Les Politiques, je le sais, emploient tous leurs efforts pour pallier cette difformitŽ. Ils considrent les Instructions sociales comme formŽes ˆ lÕinstar des ouvrages de la Nature ; ensuite oubliant que surtout entre leurs mains, la copie ne peut jamais tre Žgale ˆ son modle, ils transportent et attribuent ˆ ces Corps factices la mme vie, la mme facultŽ et les mmes pouvoirs que ceux dont les Etres corporels de la Nature sont revtus, ils leur prtent la mme activitŽ, Ta mme force, le mme droit de se conserver, et par consŽquent, celui de repousser Žgalement les attaques, et de combattre leurs ennemis.

CÕest par lˆ quÕils justifient la guerre entre les Nations, et la multitude des Lois Žtablies pour la sžretŽ, tant intŽrieure quÕextŽrieure des Etats.

Mais les LŽgislateurs eux-mmes ne peuvent pas se dissimuler la faiblesse et la dŽfectuositŽ des moyens quÕils emploient pour le maintien de ces droits, et pour la conservation des Corps politiques ; ils voient Žvidemment que si le Principe actif quÕils supposent dans leur Ouvrage, Žtait vivant, il animerait sans violence, et conserverait sans dŽtruire, ainsi que le Principe actif des Corps naturels.

Des vrais ennemis de lÕHomme

Or, ds quÕil arrive absolument tout le contraire, ds que les Lois quelconques des Gouvernements nÕont de force que pour anŽantir, et quÕelles ne crŽent rien, le Chef ne trouve plus une vŽritable puissance dans lÕinstrument dont il se sert, et il ne peut se nier ˆ lui-mme, que le Principe qui lui a fait composer sa Loi, ne lÕait trompŽ.

Alors, je demande quelle peut tre cette erreur, si ce nÕest de sՐtre abusŽ lui-mme sur le genre de combat quÕil avait ˆ faire ; dÕavoir eu la faiblesse de croire que ses ennemis Žtaient des hommes, et formaient les Corps politiques ; quÕainsi cՎtait contre ces Corps, quÕil devait tourner toutes ses forces et toute sa vigilance. Or, comme cette idŽe est une des plus funestes suites des tŽnbres o lÕhomme est plongŽ, il nÕest pas Žtonnant que les droits quÕelle a fait Žtablir soient Žgalement faux, et ds lors quÕils ne puissent rien produire.

On ne doit point tre surpris de me voir annoncer que lÕhomme ne peut avoir les hommes pour ses vŽritables ennemis ; et que par la Loi de sa nature, il nÕa vraiment rien ˆ craindre de leur part ; parce quÕen effet, comme on a reconnu quÕils ne sauraient par eux-mmes, devenir SupŽrieurs les uns des autres, et quÕils sont tous dans la mme faiblesse et la mme privation, il est certain que dans cet Žtat, ils nÕont aucun avantage rŽel sur leur semblable ; et sÕils essayaient de faire usage contre lui des avantages corporels qui seraient en eux, comme lÕadresse, lÕagilitŽ ou la force, celui qui serait lÕobjet de leurs attaques, parviendrait sans doute ˆ sÕen prŽserver, en se laissant conduire par la Loi premire et universelle, que jÕai prŽsentŽe ˆ chaque instant dans cet Ouvrage, comme Žtant le guide indispensable de lÕhomme.

Si, au contraire, cՎtait en vertu des facultŽs de cette mme loi, et par la puissance du Principe qui lÕa prescrite, que lÕhomme trouv‰t rŽellement des SupŽrieurs ; comme ceux qui auraient ces pouvoirs ne les emploieraient que pour son propre bien et pour son vrai bonheur, il est clair quÕil nÕaurait rien ˆ craindre de leur part, et quÕil aurait tort de les regarder comme ses ennemis.

Des trois vices des gouvernements

CÕest donc par faiblesse et par ignorance, que lÕhomme est timide avec ses semblables ; cÕest pour avoir mal saisi le but de son origine, et lÕobjet de sa destination sur la Terre ; et si, comme nous lÕavons observŽ, lÕon voit, entre les diffŽrents Gouvernements, une jalouse et avide inimitiŽ, nous devons croire que cette erreur nÕa pas eu une autre source, ni un autre principe, et que par consŽquent, la lumire qui a prŽsidŽ ˆ leur association nÕa pas tous les droits quÕelle aurait ˆ notre confiance, si elle ežt ŽtŽ aussi pure quÕelle aurait dž lՐtre.

IndŽpendamment des vices dÕadministration dont nous parlerons ensuite, nous observerons donc ici trois vices essentiels, savoir, lÕinstabilitŽ, la disparitŽ et la haine, qui se montrent clairement parmi les Gouvernements reus, considŽrŽs en eux-mmes et dans leurs rapports respectifs ; sur cela seul, je serais en droit dÕassurer que ces associations se sont formŽes par la main de lÕhomme, et sans le secours de la Loi supŽrieure qui doit leur donner la sanction, et que cette sanction ayant ŽtŽ nŽgligŽe, les Gouvernements, qui ne peuvent tous se soutenir que par elle, ont dŽgŽnŽrŽ de leur premier Žtat.

Mais comme je me suis imposŽ la Loi de ne prononcer sur aucun, je ne porterai point encore ici mon Jugement, dÕautant que chacun de ces Gouvernements pourrait trouver des objections ˆ faire pour se dŽfendre de lÕinculpation. Si ceux qui se sont Žteints ont ŽtŽ faux, ceux qui subsistent peuvent ne pas lՐtre ; si parmi ceux-ci jÕai remarquŽ une diffŽrence presque universelle, dÕo jÕai conclu quÕil y en avait nŽcessairement de mauvais, je nÕai condamnŽ, et mme encore en gŽnŽral, que le Gouvernement de plusieurs, ainsi les Gouvernements dÕun seul nÕont point ŽtŽ compris dans ce jugement.

De lÕadministration

Enfin, si je trouve mme entre les Gouvernements dÕun seul, une haine marquŽe, ou pour parler plus dŽcemment, une rivalitŽ gŽnŽrale, chacun dÕeux pourrait opposer quÕil est dŽpositaire de ces droits rŽels qui devraient prŽsider ˆ toute sociŽtŽ, et alors quÕil est de son devoir de se tenir en garde contre les autres Etats.

Ce sont toutes ces raisons rŽunies, qui mÕempcheront toujours de donner mon sentiment sur aucun des Corps Politiques actuels ; mais, comme mon dessein est en mme temps, de les mettre tous dans le cas de pouvoir se juger eux-mmes ; je vais leur offrir dÕautres observations qui les aideront ˆ diriger leurs jugements sur ce quÕils sont et sur ce quÕils devraient tre.

CÕest sur leur administration que je vais actuellement jeter la vue, parce que pour quÕun Gouvernement soit conforme au Principe vrai, son administration doit se conduire par des Lois certaines et dictŽes par la vraie Justice ; si au contraire, elle se trouve injuste et fausse, ce sera aux Gouvernements qui lÕemploient, ˆ en tirer les consŽquences sur la lŽgitimitŽ du Principe et du mobile auxquels ils doivent leur naissance.

Du droit public

LÕAdministration des Corps politiques a deux choses principales ˆ rŽgler ; premirement les droits de lÕEtat et de chacun des membres, ce qui fait lÕobjet du Droit public et de la Justice civile ; secondement, elle a ˆ veiller ˆ la sžretŽ de la SociŽtŽ tant gŽnŽrale que particulire, ce qui fait lÕobjet de la Guerre, de la Police et de la Justice criminelle. Chacune de ces branches ayant des Lois pour se diriger, il ne faut pour nous assurer de leur justesse, quÕexaminer si ces Lois Žmanent directement du Principe vrai, ou si elles sont Žtablies par lÕhomme seul et privŽ de son guide. Commenons par le Droit public.

Je nÕen examinerai quÕun seul article, parce quÕil suffira pour indiquer lÕobscuritŽ o cette partie de lÕAdministration est encore plongŽe ; cÕest celui des Žchanges que les Souverains font souvent entre eux, de diffŽrentes parties de leurs Etats, selon leur convenance.

Des Žchanges et des usurpations

Je demande, en effet, si aprs quÕun Sujet a prtŽ, ou est censŽ avoir prtŽ serment de fidŽlitŽ ˆ un Souverain, celui-ci a le droit de lÕen dŽlier, et cela mme malgrŽ tous les avantages qui peuvent en rŽsulter pour lÕEtat. LÕusage o sont les Souverains de ne pas prendre lÕaveu des Habitants des contrŽes quÕils Žchangent, nÕannonce-t-il pas que lÕancien serment nÕa pas ŽtŽ libre, et que le nouveau ne le sera pas davantage. Or, cette conduite peut-elle jamais tre conforme aux idŽes que les LŽgislateurs eux-mmes veulent nous donner dÕun Gouvernement lŽgitime ?

Dans celui dont jÕai annoncŽ la VŽritŽ et lÕExistence indestructible, ces Žchanges sont Žgalement en usage, et ceux qui se pratiquent parmi les Gouvernements reus, nÕen sont que lÕimage, parce que lÕhomme ne peut rien inventer ; mais les formalitŽs en sont diffŽrentes, et dictŽes par des motifs qui en rendent tous les actes Žquitables ; cÕest-ˆ-dire, que lՎchange y est libre et volontaire de part et dÕautre, quÕon nÕy regarde pas les hommes comme attachŽs au sol, et faisant partie du domaine ; en un mot, quÕon ne confond pas leur nature avec celle des possessions temporelles.

De la loi civile

Je nÕose parler ici de ces illustres usurpations par lesquelles les diffŽrents Gouvernements prŽtendent acquŽrir un droit de propriŽtŽ sur des Nations paisibles et ignorŽes, ou mme sur des ContrŽes voisines et sans dŽfense, par cela seul quÕils manifestent contre elles leur force et leur cupiditŽ. Il est vrai que tout se faisant par rŽaction dans lÕUnivers, la Justice a souvent laissŽ armer des Peuples pour la punition des Peuples criminels, mais en servant rŽciproquement de Ministres ˆ sa vengeance, ils nÕont fait quÕaugmenter leurs propres crimes et leur propre souillure, et ces horribles envahissements dont nous avons sous les yeux tant dÕaffreux exemples, ont peut-tre ŽtŽ moins funestes ˆ ceux qui en ont ŽtŽ les victimes, quՈ ceux qui les ont opŽrŽs. Venons ˆ lÕexamen de la Loi civile.

Je suppose tous les droits de propriŽtŽ Žtablis, je suppose le partage de la terre fait lŽgitimement parmi les hommes, ainsi quÕil a eu lieu dans lÕorigine, par des moyens que lÕignorance ferait regarder aujourdÕhui comme imaginaires. Alors, quand lÕavarice, la mauvaise foi, lÕincertitude mme viendront ˆ produire des contestations, qui pourra les terminer ? Qui pourra assurer des droits menacŽs par lÕinjustice, et rŽhabiliter ceux qui auraient dŽpŽri ? Qui pourra suivre la filiation des hŽritages et des mutations depuis le premier partage jusquÕau moment de la contestation ? Et cependant, comment remŽdier ˆ tant de difficultŽs, sans avoir la connaissance Žvidente de la lŽgitimitŽ de ces droits, et sans pouvoir ˆ coup sžr dŽsigner le vŽritable propriŽtaire ? Comment juger sans avoir cette certitude, et comment oser prononcer sans tre sžr que lÕon ne couronne pas une usurpation ?

De la prescription

Or, personne nÕosera nier que cette incertitude ne soit comme universelle, dÕo nous conclurons hardiment que la Justice civile est souvent imprudente dans ses dŽcisions.

Mais voici o elle est bien plus condamnable encore, et o elle montre ˆ dŽcouvert sa tŽmŽritŽ ; cÕest lorsque dans lÕextrme embarras o elle se trouve frŽquemment, de reconna”tre lÕorigine des diffŽrents droits et des diffŽrentes propriŽtŽs, elle fixe une borne ˆ ses recherches, en assignant un temps pendant lequel toute possession paisible devient lŽgitime, ce quÕelle appelle Prescription ; car je demande, dans le cas o la possession serait mal acquise, sÕil est un temps qui puisse effacer une injustice.

Il est donc Žvident que la Loi civile agit dÕelle-mme en ce moment, il est Žvident que cÕest elle qui crŽe la Justice, pendant quÕelle ne doit que lÕexŽcuter, et quÕelle rŽpte par lˆ cette erreur universelle par laquelle lÕhomme confond toujours les choses avec leur Principe.

Il suffirait peut-tre de me borner ˆ ce seul exemple sur la Justice civile, quoiquÕelle pžt mÕen offrir plusieurs autres qui dŽposeraient Žgalement contre elle, tels que ces variŽtŽs, ces contradictions o elle est exposŽe ˆ tous les pas, et qui lÕobligent ˆ se dŽsavouer elle-mme dans mille occasions.

De lÕadultre

JÕajouterai seulement quÕil est une circonstance o elle dŽcouvre tout ˆ fait son imprudence et son aveuglement, et o le principe de Justice qui devrait toujours diriger sa marche, est blessŽ bien plus grivement que lorsquÕelle porte des jugements hasardŽs sur de simples possessions. CÕest lorsque pour dÕautres causes que pour lÕadultre, elle prononce la sŽparation des personnes liŽes par le mariage. En effet, lÕadultre est le seul motif sur lequel elle puisse lŽgitimement dŽsunir les Žpoux, parce que cÕest la seule contravention qui blesse directement lÕalliance, et que par cela seul elle est rompue, puisque cՎtait sur cette union sans partage quÕelle Žtait fondŽe. Ainsi lorsque la Loi civile se laisse guider par dÕautres considŽrations, elle annonce, sans aucun doute, quÕelle nÕa pas la premire idŽe dÕun pareil engagement.

Je ne peux donc me dispenser dÕavouer combien la marche de la Loi civile est dŽfectueuse, tant dans ce qui regarde la personne des membres de la SociŽtŽ, que dans ce qui regarde tous leurs droits de propriŽtŽ ; ce qui mÕempche absolument de regarder cette Loi comme conforme au Principe qui devrait avoir dirigŽ lÕassociation, et me force ˆ reconna”tre ici la main de lÕhomme au lieu de cette main supŽrieure et ŽclairŽe qui devrait tout faire en sa place.

Je mÕen tiendrai lˆ sur la premire partie de lÕAdministration des Corps politiques, mais avant de passer ˆ la seconde, je crois ˆ propos de dire un mot sur lÕadultre que nous avons annoncŽ comme Žtant la seule cause lŽgitime de la dissolution des Mariages.

adultre est le crime du premier homme, quoiquÕavant quÕil le comm”t, il nÕy ežt point de femmes. Depuis quÕil y en a, lՎcueil qui le conduisit ˆ son premier crime, subsiste toujours, et en outre les hommes sont exposŽs ˆ lÕAdultre de la chair. De faon que ce dernier Adultre ne peut avoir lieu sans tre prŽcŽdŽ du premier.

Ce que je dis deviendra sensible, si lÕon conoit que le premier Adultre ne sÕest commis que parce que lÕhomme sÕest ŽcartŽ de la Loi qui lui avait ŽtŽ prescrite, et quÕil en a suivi une toute opposŽe ; or, lÕAdultre corporel rŽpte absolument la mme chose, puisque le Mariage, pouvant tre dirigŽ par une Loi pure, ne doit pas tre lÕouvrage de lÕhomme plus que ses autres actions ; puisque cet homme ne devant pas avoir formŽ lui-mme son lien, nÕa pas en lui le droit de le pouvoir rompre ; puisquÕenfin se livrer ˆ lÕAdultre, cÕest rŽvoquer de sa propre autoritŽ la volontŽ de la Cause universelle temporelle, qui est censŽe avoir conclu lÕengagement, et en Žcouter une quÕelle nÕa point approuvŽe. Ainsi, la volontŽ de lÕhomme prŽcŽdant toujours ses actions, il ne peut sÕoublier dans ses actes corporels, sans sՐtre auparavant oubliŽ dans sa volontŽ, de faon quÕen se livrant aujourdÕhui ˆ lÕAdultre de la chair, au lieu dÕun crime, il en commet deux.

Si celui qui lira ceci, est intelligent, il pourra bien dŽmler dans lÕadultre de la chair, quelques indices plus clairs que lÕadultre commis par lÕhomme avant quÕil fžt soumis ˆ la Loi des ŽlŽments. Mais autant je dŽsire quÕon y parvienne, autant mes obligations mÕinterdisent le moindre Žclaircissement sur ce point ; et dÕailleurs pour mon propre bien, jÕaime mieux rougir du crime de lÕhomme, que dÕen parler.

Tout ce que jÕai ˆ dire, cÕest que sÕil est quelques hommes ˆ qui lÕadultre ait paru indiffŽrent, ce nÕest sžrement quՈ ceux qui ont ŽtŽ assez aveugles pour tre MatŽrialistes. Car en effet, si lÕhomme nÕavait que des sens, il nÕy aurait point dÕadultre pour lui, puisque la Loi des sens nՎtant pas fixe, mais relative, tout pour eux doit tre Žgal. Mais, comme il a de plus une facultŽ qui doit mesurer mme les actions de ses sens, facultŽ qui se fait conna”tre jusque dans le choix et la dŽlicatesse dont il assaisonne ses plaisirs corrompus, on voit si lÕhomme peut de bonne foi se persuader lÕindiffŽrence de pareils actes.

Ainsi, loin dÕadopter cette opinion dŽpravŽe, jÕemploierai tous mes efforts pour la combattre. JÕassurerai hautement que le premier adultre a ŽtŽ la cause de la privation et de lÕignorance o lÕhomme est .encore plongŽ, et que cÕest lˆ ce qui a changŽ son Žtat de lumire et de splendeur en un Žtat de tŽnbres et dÕignominie.

Le second adultre, outre quÕil rend encore plus rigoureux le premier Arrt, expose lÕhomme temporellement ˆ des dŽsordres inexprimables, ˆ des souffrances cruelles, et ˆ des malheurs dont il ignore souvent la principale source, et quÕil est bien ŽloignŽ de souponner si prs de lui ; ce qui nÕempche pas cependant quÕils ne puissent avoir une multitude dÕautres causes.

CÕest encore dans cet adultre corporel que lÕhomme pourrait aisŽment se former lÕidŽe des maux quÕil prŽpare aux fruits de ses crimes, en rŽflŽchissant que cette Cause temporelle universelle, ou cette volontŽ supŽrieure ne prŽside pas ˆ des assemblages quÕelle nÕa pas approuvŽs, ni ˆ plus forte raison ˆ ceux quÕelle condamne ; que si sa prŽsence est nŽcessaire ˆ tout ce qui existe temporellement, soit sensible, soit intellectuel, lÕhomme destitue sa postŽritŽ de ce soutien, quand il lÕengendre dÕaprs une volontŽ illŽgitime ; et que par consŽquent, il expose cette postŽritŽ ˆ des p‰timents inou•s, et au dŽpŽrissement terrible de toutes les facultŽs de son Etre.

Des espces dÕhommes irrŽgulires

Mais ce serait dans les divers adultres originels, que les hommes avides de Sciences trouveraient lÕexplication de toutes ces peuplades ab‰tardies, de toutes ces Nations dont lÕespce est si bizarrement construite, ainsi que de toutes ces gŽnŽrations monstrueuses, et mal colorŽes dont la Terre est couverte, et ˆ qui les Observateurs cherchent en vain une classe dans lÕordre des Ouvrages rŽguliers de la Nature.

QuÕon ne mÕobjecte pas ces beautŽs arbitraires, fruit de lÕhabitude, qui sont admises dans les diverses contrŽes : ce ne sont que les sens qui les jugent, et les sens sÕaccoutument ˆ tout. Il y a trs certainement pour lÕespce humaine une rŽgularitŽ fixe et indŽpendante de la convention et du caprice des Peuples ; car le corps de lÕhomme a ŽtŽ constituŽ par un nombre. Il y a aussi une Loi pour sa couleur, et elle nous est assez clairement indiquŽe par lÕarrangement et lÕordre des ElŽments dans la composition de tous les corps, o lÕon voit toujours le sel ˆ la surface. CÕest pour cela que les diffŽrences du climat et celles que la manire de vivre oprent souvent, tant sur la forme que sur la couleur du corps, ne dŽtruisent point le principe qui vient dՐtre Žtabli ; car la rŽgularitŽ de la stature des hommes, ne consiste pas dans lՎgalitŽ de leur grandeur rŽciproque, mais dans la juste proportion de toutes leurs parties.

De la pudeur

De mme, quoiquÕil y ait des nuances dans leur vraie couleur, cependant il y a un degrŽ quÕelles ne peuvent jamais passer, parce que les ElŽments ne sauraient changer de place, sans une action contraire ˆ celle qui leur est naturelle.

Ainsi, attribuons sans crainte aux dŽrglements des Anctres des Nations, tous ces signes corporels, qui sont un indice frappant dÕune souillure originelle ; attribuons ˆ la mme source, lÕabrutissement o des Peuples entiers sont tellement plongŽs quÕils ont perdu tout sentiment de pudeur et de honte, et que non seulement ils nÕinterdisent pas lÕadultre, mais que mme ils sont si peu choquŽs des nuditŽs, que pour quelques-uns dÕentre eux, lÕacte de la gŽnŽration corporelle est devenu une cŽrŽmonie publique et religieuse. Ceux qui dÕaprs ces observations ont jugŽ que le sentiment de la pudeur nՎtait point naturel aux hommes, nÕont pas fait attention quÕils prenaient leurs exemples parmi des Peuples ab‰tardis ; ils nÕont pas vu que ceux qui montrent le moins de rŽpugnance et de dŽlicatesse ˆ cet Žgard, sont aussi les plus abandonnŽs ˆ la vie des sens, et si peu avancŽs dans la jouissance et lÕusage de leurs facultŽs intellectuelles, quÕils ne diffrent presque plus des btes que par quelques vestiges de Lois qui leur ont ŽtŽ transmises, et quÕils conservent par habitude et par imitation.

Lorsque les Observateurs ont voulu, au contraire, prendre leurs exemples dans les sociŽtŽs policŽes, o le respect du lien conjugal et la pudeur ne sont presque jamais que lÕeffet de lՎducation, ils se sont encore trompŽs dans leurs jugements, parce que ces SociŽtŽs nՎclairant pas lÕhomme sur les droits de sa vŽritable nature, y supplŽent par des instructions et des sentiments factices, que le temps, les lieux, le genre de vie, font dispara”tre ; aussi, en ™tant de ces SociŽtŽs policŽes, les dehors de dŽcence reue, ou une attache plus ou moins forte aux principes de la premire Žducation, on nÕy trouverait peut-tre pas rŽellement plus de pudeur que parmi les Nations les plus grossires ; mais cela ne prouvera jamais rien contre la vraie Loi de lÕhomme, parce que dans ces deux exemples, les Peuples dont il est question en sont Žgalement ŽloignŽs, les uns par dŽfaut de culture et les autres par dŽpravation ; en sorte quÕaucun dÕeux ne sont dans leur Žtat naturel.

Des deux lois naturelles

Pour rŽsoudre la difficultŽ, il fallait donc remonter jusquՈ cet Žtat naturel de lÕhomme ; alors on aurait vu que la forme corporelle Žtant lÕEtre le plus disproportionnŽ avec lÕhomme intellectuel, lui offrait le spectacle le plus humiliant ; et que sÕil connaissait le Principe de cette forme, il ne pourrait la considŽrer sans rougir, quoique cependant chacune des parties de ce mme corps ayant un but et un emploi diffŽrent, elles ne fussent pas toutes propres ˆ lui inspirer la mme horreur. On y aurait vu, dis-je, que cet homme aurait frŽmi ˆ la seule idŽe dÕadultre, en ce quÕelle lui aurait retracŽ le souvenir affreux et dŽsespŽrant de ce premier adultre, dÕo sont dŽcoulŽs tous ses malheurs. Mais comment les Observateurs auraient-ils considŽrŽ lÕhomme dans son Principe ? Ils ne lui en connaissaient aucun ; alors quelle confiance pourrions-nous donc ajouter ˆ leurs opinions ?

NÕoublions donc jamais que toutes les difformitŽs et tous les vices que les diffŽrentes Nations montrent, soit dans leurs corps, soit dans leur Etre pensant, viennent de ce que leurs Anctres nÕavaient pas suivi leur Loi naturelle, ou quÕelles-mmes sÕen sont ŽcartŽes : et que les MatŽrialistes ne me croient pas ˆ prŽsent dÕaccord avec eux, en mÕentendant parler ici dÕune Loi naturelle pour lÕhomme ; je veux, comme eux, quÕil suive sa Loi naturelle, mais nous diffŽrons, en ce quÕils veulent quÕil suive la Loi naturelle de la bte, et moi celle qui lÕen distingue, cÕest-ˆ-dire, celle qui Žclaire et assure tous ses pas, celle, en un mot, qui tient au flambeau mme de la VŽritŽ.

Des deux adultres

NÕoublions pas, je le rŽpte, que le second crime de lÕhomme ou lÕadultre corporel, ne prend sa source que dans le premier adultre, ou celui de la volontŽ, par lequel lÕhomme a suivi dans son Ïuvre une Loi corrompue, au lieu de la Loi pure qui lui Žtait imposŽe. Car, si lÕhomme peut commettre aujourdÕhui lÕadultre avec la femme, il peut encore plus, comme dans lÕorigine, commettre un adultre sans la femme, cÕest-ˆ-dire, un adultre intellectuel puisquÕaprs la premire cause temporelle, rien dans le temps nÕest plus puissant que la volontŽ de lÕhomme, et puisquÕelle a des pouvoirs, lors mme quÕelle est impure et criminelle, en similitude du Principe qui sÕest fait mauvais.

Que lÕon examine ensuite, si lÕhomme qui se trouverait tre lÕauteur de tous les dŽsordres que nous venons dÕexposer, devrait jamais tre heureux et en paix, et sÕil pourrait se cacher ˆ lui-mme quÕil doit encore plus de tributs ˆ la Justice, que sa malheureuse postŽritŽ.

Ceux qui croiraient remŽdier ˆ tous ces maux en rendant nuls les rŽsultats de leurs crimes, ne prŽtendront jamais de bonne foi, faire adopter cette opinion dŽpravŽe, et ils ne peuvent douter, au contraire, que ce ne soit tourner contre eux le flŽau tout entier, tandis que leur postŽritŽ lÕaurait pu partager avec eux. En outre, cÕest donner ˆ ce mme flŽau une extension sans mesure, puisque par cet Acte criminel, joint aux adultres corporel et intellectuel, de toutes les Lois qui forment lÕEssence de lÕhomme, il nÕy en a pas une qui ne soit violŽe.

Je ne pourrais sans indiscrŽtion mՎtendre davantage sur cet objet : les VŽritŽs profondes ne conviennent pas ˆ tous les yeux ; mais, quoique je nÕexpose pas aux hommes la Raison premire de toutes les Lois de la Sagesse, ils nÕen sont pas moins tenus de les observer, parce quÕelles sont sensibles, et que lÕhomme peut conna”tre tout ce qui est sensible. De plus, quoiquÕil soit aussi reu parmi eux que la GŽnŽration est un mystre, il nÕen est pas moins vrai quÕelle a dans lÕhomme une Loi et un ordre inconnus ˆ la brute, et que les droits qui y sont attachŽs sont les plus beaux tŽmoignages de sa grandeur, comme aussi la source de sa condamnation et de sa misre.

De lÕadministration criminelle

Laissons nos lecteurs mŽditer sur ce point, et passons ˆ la seconde partie de lÕAdministration sociale, savoir, celle qui veille ˆ la sžretŽ extŽrieure et intŽrieure de lÕEtat.

Nous avons vu que cette seconde partie ayant deux objets, avait aussi deux sortes de Lois pour se diriger ; les premires chargŽes de veiller au-dehors, forment des Lois de la guerre, et les droits politiques des Nations. Mais, comme jÕai fait voir que la manire dՐtre des Peuples, et lÕhabitude o ils sont de se considŽrer respectivement comme ennemis, Žtaient fausses, je ne peux pas avoir plus de confiance dans les Lois quÕils se sont faites sur ces objets.

On sera facilement dÕaccord avec moi, si lÕon examine ces incertitudes continuelles, o lÕon voit errer les Politiques qui veulent chercher parmi les choses humaines, une base ˆ leurs ƒtablissements. Comme ils ne connaissent pour principe des Gouvernements que la force ou la convention ; comme ils ne tendent quՈ se passer de leur unique point dÕappui ; comme ils veulent ouvrir, et que cependant ils sÕobstinent ˆ ne vouloir point se servir de la seule clef avec laquelle ils pourraient y parvenir, leurs recherches restent absolument sans fruits. CÕest pour cela que je ne mՎtendrai pas au-delˆ de ce que jÕai dŽjˆ dit sur ce sujet.

Du droit de punir

Ce ne sera donc que sur la seconde espce de Lois, ou sur celles qui sÕoccupent de la sžretŽ intŽrieure de lÕEtat, que se dirigeront mes observations, cÕest-ˆ-dire, sur cette partie de lÕAdministration qui concerne la Police et les Lois criminelles ; je rŽunis mme ces deux branches sous un seul point de vue, parce que, malgrŽ la diffŽrence des objets quÕelles embrassent, elles ont chacune pour but le maintien de lÕordre, et la rŽparation des dŽlits ; ce qui leur donne ˆ lÕune et lÕautre la mme origine, et les fait Žgalement dŽriver du droit de punir.

Mais dans lÕexamen que jÕen vais faire, mon dessein sera toujours le mme que dans tout le cours de cet Ouvrage, et je continuerai de chercher dans tout, si les choses sont ou non conformes ˆ leur Principe, afin que chacun en tire les consŽquences, et sÕinstruise par lui-mme, plut™t que par mes propres Jugements.

JÕexaminerai donc ici dans quelle main le droit de punir doit principalement rŽsider, et ensuite de quelle manire celui qui en sera revtu devra lŽgitimement y procŽder ; car, sans tous ces Žclaircissements, ce serait tre Žtrangement tŽmŽraire que de prendre le glaive, puisquÕil pourrait Žgalement tomber sur lÕinnocent et sur le coupable, et que quand mme il nÕy aurait pas cet inconvŽnient ˆ craindre, et quÕil fžt possible que les coups ne tombassent jamais que sur des criminels, il resterait encore incertain de savoir si celui qui frappe en a le droit.

SÕil est un Principe supŽrieur, unique et universellement bon, comme tous mes efforts ont tendu jusquՈ prŽsent ˆ lՎtablir ; sÕil est un Principe mauvais dont jÕai aussi dŽmontrŽ lÕexistence, qui travaille sans cesse ˆ sÕopposer ˆ lÕaction de ce Principe bon, il est comme inŽvitable que dans cette classe intellectuelle, il nÕy ait des crimes.

Or, la Justice Žtant un des attributs essentiels de ce Principe bon, les crimes ne peuvent soutenir un seul instant sa prŽsence, et la peine en est aussi prompte quÕindispensable ; cÕest lˆ ce qui prouve la nŽcessitŽ absolue de punir, dans ce Principe bon.

LÕhomme, dans sa premire origine, Žprouva physiquement cette VŽritŽ, et il fut solennellement revtu de ce droit de punir ; cÕest mme lˆ ce qui faisait sa ressemblance avec son Principe ; et cÕest aussi en vertu de cette ressemblance que sa Justice Žtait exacte et sžre ; que ses droits Žtaient rŽels, ŽclairŽs, et nÕauraient jamais ŽtŽ altŽrŽs, sÕil avait voulu les conserver ; cÕest alors, dis-je, quÕil avait vŽritablement le droit de vie et de mort sur les malfaiteurs de son Empire.

Mais rappelons-nous bien que ce nՎtait point sur ses semblables quÕil aurait pu lÕexercer, parce que, dans la RŽgion quÕil habitait alors, il ne peut y avoir de Sujets parmi des Etres semblables.

 

Du droit de vie et de mort

LorsquÕen dŽgŽnŽrant de cet Žtat glorieux, il a ŽtŽ prŽcipitŽ dans lՎtat de nature, dÕo rŽsulte lՎtat de SociŽtŽ, et bient™t celui de corruption, il sÕest trouvŽ dans un nouvel ordre de choses, o il a eu ˆ craindre et ˆ punir de nouveaux crimes. Mais, de mme quÕaucun homme dans lՎtat actuel, ne peut avoir une juste autoritŽ sur ses semblables, sans avoir par ses efforts retrouvŽ les facultŽs quÕil a perdues ; de mme, quelque soit cette autoritŽ, elle ne peut faire dŽcouvrir en lui le droit de punir corporellement ses semblables, ni le droit de vie et de mort sur des hommes ; puisque ce droit de vie et de mort corporelle, il ne lÕavait pas mme pendant sa gloire, sur les Sujets soumis ˆ sa domination.

Il faudrait pour cela, que par sa chute, son empire se fžt Žtendu, et quÕil ežt acquis de nouveaux Sujets. Mais, loin quÕil en ait augmentŽ le nombre, nous voyons au contraire, quÕil a perdu lÕautoritŽ quÕil avait sur les anciens ; nous voyons mme que la seule espce de supŽrioritŽ quÕil puisse acquŽrir sur ses semblables, cÕest celle de les redresser, quand ils sՎgarent ; de les arrter, quand ils se livrent au crime, ou bien plut™t celle de les soutenir, en les rapprochant, par son exemple et par ses vertus, de lՎtat dont ils nÕont plus la jouissance ; et non celle de pouvoir par lui-mme, exercer sur eux un empire que leur propre nature dŽsavoue.

Source du droit de punir

Ce serait donc en vain que nous chercherions aujourdÕhui en lui, les titres dÕun LŽgislateur et dÕun Juge. Cependant, selon les Lois de la VŽritŽ, rien ne doit rester impuni, et il est inŽvitable que la Justice nÕait universellement son cours, avec lÕexactitude la plus prŽcise, tant dans lՎtat sensible, que dans lՎtat intellectuel. Alors si lÕhomme par sa chute, loin dÕacquŽrir de nouveaux droits, sÕest laissŽ dŽpouiller de ceux quÕil avait, il faut absolument trouver ailleurs que dans lui, ceux dont il a besoin pour se conduire dans cet Žtat social auquel il est ˆ prŽsent liŽ.

Et, o pourrons-nous mieux les dŽcouvrir que dans cette mme Cause temporelle et physique qui a pris la place de lÕhomme, par ordre du premier Principe ? NÕest-ce pas elle, en effet, qui a ŽtŽ substituŽe au rang que lÕhomme a perdu par sa faute, nÕest-ce pas elle dont la destination et lÕemploi ont ŽtŽ dÕempcher que lÕennemi ne demeur‰t ma”tre de lÕEmpire dont lÕhomme avait ŽtŽ chassŽ ? En un mot, nÕest-ce pas elle qui est prŽposŽe pour servir de fanal ˆ lÕhomme, et pour lՎclairer dans tous ses pas ?

CÕest donc par elle seule que doit sÕopŽrer aujourdÕhui, et lÕÏuvre que lÕhomme avait ˆ faire anciennement, et celui quÕil sÕest imposŽ lui-mme, en venant habiter un lieu qui nÕavait pas ŽtŽ crŽŽ pour lui.

Voilˆ ce qui peut seul expliquer et justifier la marche des Lois criminelles de lÕhomme. La sociŽtŽ o il vit nŽcessairement et ˆ laquelle il est destinŽ, fait na”tre des crimes ; il nÕa en lui ni le droit, ni la force de les arrter ; il faut donc absolument que quelquÕautre cause le fasse pour lui, car les droits de la Justice sont irrŽvocables.

Cependant, cette Cause Žtant au-dessus des choses sensibles, quoiquÕelle les dirige et quÕelle y prŽside ; et les punitions de lÕhomme en sociŽtŽ devant tre sensibles comme le sont ses crimes, il faut quÕelle emploie des moyens sensibles pour manifester ses dŽcisions, de mme que pour faire exŽcuter ses jugements.

CÕest la voix de lÕhomme quÕelle emploie pour cette fonction, quand toutefois il sÕen est rendu digne ; cÕest lui quÕelle charge dÕannoncer la Justice ˆ ses semblables, et de la leur faire observer. Ainsi, loin que lÕhomme soit par son essence le dŽpositaire du glaive vengeur des crimes, ses fonctions mmes annoncent que ce droit de punir rŽside dans une autre main dont il ne doit tre que lÕorgane.

On voit aussi quels avantages infinis rŽsulteraient pour le Juge qui aurait obtenu dՐtre vraiment lÕorgane de cette Cause intelligente, temporelle, universelle ; il trouverait en elle une lumire sžre qui lui ferait discerner sans erreur lÕinnocent dÕavec le coupable ; par lˆ il serait ˆ couvert des injustices, il serait sžr de mesurer les peines aux dŽlits, et de ne pas se charger lui-mme de crimes, en travaillant ˆ rŽparer ceux des autres hommes.

Cet inestimable avantage, quelquÕinconnu quÕil soit parmi les hommes en gŽnŽral, nÕoffre cependant rien qui doive Žtonner, ni qui surpasse tous ceux dont jÕai fait voir jusquՈ prŽsent, que lÕhomme Žtait susceptible ; ils proviennent tous des facultŽs de cette Cause active et intelligente, destinŽe ˆ Žtablir lÕordre dans lÕUnivers, parmi tous les ƒtres des deux natures ; et si par son moyen, lÕhomme peut sÕassurer de la nŽcessitŽ, et de la vŽritŽ de sa Religion et de son culte ; sÕil peut acquŽrir des droits incontestables qui lՎlvent et qui lՎtablissent lŽgitimement au-dessus de ses semblables ; il peut sans doute espŽrer les mme secours pour lÕAdministration sžre de la Justice civile ou criminelle, dans la SociŽtŽ confiŽe ˆ ses soins.

DÕailleurs, tout ce que jÕai avancŽ, se trouve figurŽ et indiquŽ par ce qui sÕobserve vulgairement dans la Justice criminelle. Le juge nÕest-il pas censŽ sÕoublier lui-mme, pour devenir le simple agent et lÕorgane de la Loi ? Cette Loi, quoiquÕhumaine, nÕest-elle pas sacrŽe pour lui ? Ne prend-il pas tous les moyens quÕil conna”t pour Žclairer sa conduite et ses Jugements, et pour proportionner, autant que la Loi le permet, la punition au crime ; ou plut™t nÕest-ce pas le plus souvent cette Loi mme qui en est la mesure ; et quand le Juge lÕobserve, ne se persuade-t-il pas avoir agi selon la Justice ?

Des tŽmoins

Ce serait donc lÕhomme lui-mme qui nous instruirait de la rŽalitŽ de ce Principe, quand dÕailleurs nous nÕen aurions pas la .persuasion la plus intime. Mais en mme temps, il nous parait encore plus manifeste, que la Justice criminelle en usage parmi les Nations, nÕest en effet que la figure de celle qui appartient au Principe dont nous parlons ; et que ne le prenant point pour appui, elle marche dans les tŽnbres, comme toutes les autres institutions humaines, dÕo rŽsulte dans ses effets une cha”ne affreuse dÕiniquitŽs, et de vŽritables assassinats.

En effet, cette obligation imposŽe au Juge de sÕoublier lui-mme et son propre tŽmoignage, pour nՎcouter que la voix des tŽmoins, annonce bien, ˆ la vŽritŽ, quÕil y a des tŽmoins qui ne mentent pas, et que cÕest leur dŽposition qui devrait le diriger. Mais aussi, comme ces tŽmoins ne doivent pas tre susceptibles de corruption, il est bien Žvident que la Loi a tort de ne les chercher que parmi des hommes, dont elle peut craindre et lÕignorance et la mauvaise foi, parce quÕalors cÕest sÕexposer ˆ prendre le mensonge pour preuve, et se rendre tout ˆ fait inexcusable, puisque ce nÕest quÕenvers un tŽmoin sžr et vrai, que le Juge doit sÕoublier lui-mme, et se transformer en un simple instrument ; puisque enfin la Loi fausse sur laquelle il croit pouvoir sÕappuyer, ne se chargera jamais de ses erreurs, ni de ses crimes.

Du pouvoir humain

CÕest donc pour cela quÕaux yeux du Juge mme, le plus important de ses devoirs est de chercher ˆ dŽmler la vŽritŽ, dans la dŽposition des tŽmoins ; or, comment pourra-t-il y rŽussir sans le secours de cette lumire que je lui indique comme son seul guide en qualitŽ dÕhomme, et comme devant lÕaccompagner ˆ tous les instants ?

NÕest-ce donc pas dŽjˆ un vice Žnorme dans les Lois criminelles, que de nÕavoir pas eu cette lumire pour principe ; et ce dŽfaut nÕexpose-t-il pas le Juge aux plus grands abus ? Mais examinons ceux qui rŽsulteront de la puissance mme que la Loi humaine sÕattribue ?

Lorsque les hommes ont dit que la Loi politique se chargeait de la vengeance des Particuliers, ˆ qui elle dŽfendait alors de se faire justice par eux-mmes, il est certain quÕils lui ont donnŽ par-lˆ des privilges qui ne pourront jamais lui convenir tant quÕelle sera rŽduite ˆ elle-mme.

Je conviens nŽanmoins que cette Loi politique, qui peut en quelque faon mesurer ses coups, renferme une sorte dÕavantage, en ce que sa vengeance ne sera pas toujours illimitŽe, comme celle des individus pourrait lՐtre.

Mais premirement, elle peut se tromper sur les coupables, et un homme ne se trompe pas aussi facilement sur son propre adversaire.

Secondement, si cette vengeance particulire, quelque admissible quÕelle fžt dans le cas o lÕhomme ne serait douŽ que de la nature sensible, est cependant entirement Žtrangre ˆ sa nature intellectuelle ; si cette nature intellectuelle non seulement nÕa jamais eu le droit de punir corporellement, mais mme se trouve aujourdÕhui dŽpouillŽe de toute espce dÕautoritŽ, et ne peut en aucune faon exercer la Justice, jusquՈ ce quÕelle ait recouvrŽ son Žtat dÕorigine, il est bien certain que la Loi politique qui ne sera pas guidŽe par une autre lumire, commettra les mmes injustices sous un autre nom.

Car, si un homme me nuit en quelque genre que ce soit, il est coupable selon les Lois de toute Justice ; si de moi-mme, je le frappe, que je rŽpande son sang, ou que je le tue, je manque comme lui, aux Lois de ma vraie nature, et ˆ celles de la Cause intelligente et physique qui doit me guider. Lors donc que la Loi politique toute seule, prendra ma place pour la punition de mon ennemi, elle prendra la place dÕun homme de sang.

En vain on mÕobjecterait ˆ prŽsent, que par la convention sociale, chaque Citoyen sÕest soumis, en cas de prŽvarication, aux peines portŽes par les diffŽrentes Lois criminelles ; car, ainsi quÕon lÕa vu, si les hommes nÕont pas pu lŽgitimement Žtablir les Corps politiques, par le seul effet de leur convention un Citoyen ne pourra pas plus transmettre ˆ ses Concitoyens le droit de le punir ; puisque sa vraie nature ne le lui a pas donnŽ, et puisque le contrat quÕil est censŽ avoir fait avec eux, ne peut Žtendre lÕessence qui constitue lÕhomme.

Dira-t-on que cet acte de vengeance politique, ne se considre plus comme Žtant opŽrŽ par lÕhomme, mais par la Loi ? Je rŽpondrai toujours que cette Loi politique, destituŽe de son flambeau, nÕest quÕune pure volontŽ humaine ˆ qui, mme lÕunanimitŽ des suffrages ne donne pas un pouvoir de plus. Ds lors, si cÕest un crime pour lÕhomme dÕagir par violence, et de son propre mouvement ; si cÕest un crime pour lui de rŽpandre le sang, la volontŽ rŽunie de tous les hommes de la terre, ne pourrait jamais lÕeffacer.

Pour Žviter cet Žcueil, les Politiques ont cru ne pouvoir mieux faire que dÕenvisager un criminel comme tra”tre, et comme tel, ennemi du Corps social ; alors le plaant comme dans un Žtat de guerre, sa mort leur para”t lŽgitime, parce que les Corps politiques Žtant formŽs, selon eux, ˆ lÕimage de lÕhomme, doivent aussi veiller comme lui, ˆ leur propre conservation. Ainsi, dÕaprs ces principes, lÕautoritŽ souveraine a droit de disposer de toutes ses forces contre les malfaiteurs qui menacent lÕEtat, soit en lui-mme, soit dans ses membres.

Mais premirement, on verra sans peine le vice de cette comparaison, quand on observera que dans un combat dÕhomme ˆ homme, cÕest vraiment lÕhomme qui se bat, au lieu que dans la Guerre entre les Nations, on ne peut pas dire que ce sont les Gouvernements qui combattent, attendu que ce ne sont que des ƒtres moraux, dont lÕaction Physique est imaginaire.

Secondement, outre que jÕai fait voir que la Guerre entre les Nations ne sÕoccupait pas de son vŽritable objet, son but mme nÕest pas de dŽtruire des hommes, mais bien plut™t de les empcher de nuire : jamais on nÕy devrait tuer un ennemi que lorsquÕil est impossible de le soumettre ; et parmi les Guerriers, il sera toujours plus glorieux de vaincre une Nation, que de lÕanŽantir.

Or, certainement lÕavantage dÕun Royaume entier contre un coupable, est assez manifeste, pour que le droit et la gloire de le tuer, disparaissent.

DÕailleurs, ce qui prouve que ce prŽtendu droit ne ressemble en rien au droit de la Guerre, cÕest que lˆ la vie de chaque Soldat est en danger, et la mort de chaque ennemi est incertaine ; au lieu quÕici un appareil inique accompagne les exŽcutions. Cent hommes sÕarment, sÕassemblent, et vont de sang-froid exterminer un de leurs semblables, ˆ qui ils ne laissent pas mme lÕusage de ses forces ; et lÕon veut que le simple pouvoir humain soit lŽgitime, lui quÕon peut tromper tous les jours ; lui qui prononce si souvent des sentences injustes ; lui enfin, quÕune volontŽ corrompue peut convertir en un instrument dÕassassin.

Non, lÕhomme a sans doute en lui dÕautres rgles ; sÕil sert quelquefois dÕorgane ˆ la Loi supŽrieure pour en prononcer les oracles, et pour disposer de la vie des hommes, cÕest par un droit respectable pour lui, et qui en mme temps peut lui apprendre ˆ diriger sa marche sur ta justice et sur lՎquitŽ.

Veut-on mieux encore juger de son incompŽtence actuelle, il ne faut pour cela que rŽflŽchir sur ses anciens droits. Pendant sa gloire il avait pleinement le droit de vie et de mort incorporelle, parce que jouissant alors de la vie mme, il pouvait ˆ son grŽ la communiquer ˆ ses sujets, ou la leur retirer, quand la prudence le lui faisait juger nŽcessaire ; et comme ce nՎtait que par sa prŽsence quÕils pouvaient vivre, il avait aussi, seulement en se sŽparant dÕeux, le pouvoir de les faire mourir.

AujourdÕhui, il nÕa plus que par Žtincelles cette vie premire, et encore nÕest-ce plus envers ses anciens sujets, mais envers ses semblables quÕil peut parvenir ˆ en faire usage.

Quant ˆ ce droit de vie et de mort corporelle, qui fait lÕobjet de la question prŽsente, nous pouvons assurer quÕil appartient encore moins ˆ lÕhomme considŽrŽ en lui-mme et pris dans son Žtat actuel. Car, peut-il se dire jouissant et dispensateur de cette vie corporelle qui lui est donnŽe, et quÕil partage avec toute son espce ? Ses semblables ont-ils besoin de son secours pour respirer et pour vivre corporellement ? Sa volontŽ, toutes ses forces mme suffiront-elles pour leur conserver lÕexistence, et nÕest-il pas obligŽ ˆ tout moment, de voir la Loi de nature agir cruellement sur eux, sans quÕil puisse en arrter le cours ?

De mme, a-t-il en lui un pouvoir et une force inhŽrente qui puissent gŽnŽralement leur ™ter la vie selon son grŽ ? Lorsque sa volontŽ corrompue le porte ˆ y penser, quelle distance nÕy a-t-il pas entre cette pensŽe et le crime qui la doit suivre ? Quels obstacles, quels tremblements entre le projet et lÕexŽcution ? Et ne voit-on pas que les soins quÕil prend pour disposer ses attaques, ne rŽpondent presque jamais pleinement ˆ ses vues ?

Du droit dÕexŽcution

Nous dirons donc avec vŽritŽ, que par les lois simples de son Etre corporel, lÕhomme doit trouver partout de la rŽsistance ; ce qui prouve que cet Etre corporel ne lui donne aucun droit.

Et en effet, nÕavons-nous pas vu assez clairement que lÕEtre corporel nÕavait quÕune vie secondaire, qui Žtait dans la dŽpendance dÕun autre Principe ; par consŽquent, nÕest-il pas Žvident que tout Etre qui nÕaurait rien de plus, serait Žgalement dŽpendant, et ds lors aurait la mme impuissance ?

Ce ne serait donc pas, je le rŽpte, dans lÕhomme corporel, pris en lui-mme, que nous pourrions reconna”tre ce droit essentiel de vie et de mort qui constate une vŽritable autoritŽ, et tout ceci ne servira quՈ confirmer ce qui a ŽtŽ Žtabli sur la source, o lÕhomme doit aujourdÕhui puiser un pareil droit.

Ce sera encore moins dans lui que nous trouverons le droit dÕexŽcution ; puisque, sÕil nÕemployait la violence et des forces Žtrangres, il serait rare quÕil pžt venir ˆ bout de faire pŽrir un malfaiteur, ˆ moins dÕavoir recours ˆ la trahison ou ˆ la ruse, et ces moyens seraient bien ŽloignŽs dÕannoncer un vrai pouvoir dans lÕhomme.

Cependant, lÕexŽcution des Lois criminelles est absolument nŽcessaire pour que la Justice ne soit pas inutile ; bien plus, je prŽtends quÕelle est inŽvitable. Ainsi, puisque ce droit ne peut nous appartenir, il faudra encore le remettre, ainsi que le droit de juger, dans la main qui doit nous servir de guide. CÕest elle qui donnera une vraie force ˆ lÕarme naturelle de lÕhomme, et qui le mettra dans le cas de faire exŽcuter les DŽcrets de la Justice, sans attirer sur lui des condamnations.

Tels sont du moins les moyens que les vrais LŽgislateurs ont mis en usage, quoiquÕils ne nous les fassent conna”tre que par des Symboles et des AllŽgories. Peut-tre mme employrent-ils la main de leurs semblables, pour opŽrer en apparence la punition des criminels, pour frapper par des figures sensibles les yeux grossiers des Peuples quÕils gouvernaient ; et pour couvrir dÕun voile les ressorts secrets qui dirigeaient lÕexŽcution.

Je parle ainsi avec dÕautant plus dÕassurance, que lÕon a vu ces LŽgislateurs se servir du mme voile, dans le simple exposŽ de leurs Lois civiles et sociales. QuoiquÕelles fussent lÕouvrage dÕune main sžre et supŽrieure, ils se sont attachŽs ˆ ne parler quÕaux sens, pour ne point profaner leur science.

Mais, quant ˆ leurs Lois criminelles, ils en ont peint le tableau sensible avec une extrme sŽvŽritŽ ; pour faire sentir aux Peuples qui leur Žtaient soumis, toute la rigueur de la vŽritable Justice, et pour leur faire concevoir que le moindre des Actes rŽfractaires ˆ la Loi, ne pouvait demeurer impuni. CÕest dans cette vue, que quelques-uns dÕeux ont mis des punitions jusque sur les btes.

Du rapport des peines aux crimes

Toutes ces observations nous apprennent de nouveau, que lÕhomme ne peut trouver dans lui, ni le droit de condamner son semblable, ni celui dÕen exŽcuter la condamnation.

Mais, quand ce droit serait rŽellement de lÕessence des hommes qui gouvernent, ou qui sont employŽs au maintien de la Justice criminelle dans les Gouvernements, ainsi quÕils en sont tous persuadŽs, il resterait toujours ˆ dŽcider une question bien plus difficile encore, ce serait de savoir comment ils trouveront une rgle sžre pour diriger leurs Jugements, et pour appliquer les peines avec justesse, en les proportionnant exactement ˆ lՎtendue et ˆ la nature des crimes ; toutes choses sur lesquelles la Justice criminelle est aveugle, incertaine, et nÕa presque jamais pour guide que le prŽjugŽ rŽgnant, le gŽnie, ou la volontŽ du lŽgislateur.

Il est des gouvernements, qui, sentant leur profonde ignorance, ont eu la bonne foi dÕen convenir, et ont sollicitŽ les conseils des hommes ŽclairŽs sur ces matires. Je loue leur zle dÕavoir pris sur eux de faire de pareilles dŽmarches ; mais je ne crains point de leur assurer quÕen vain en espŽreront-ils des lumires satisfaisantes, tant quÕils nÕiront les chercher que dans lÕopinion et lÕintelligence de lÕhomme, et quÕils ne se sentiront pas le courage, ni la rŽsolution dÕaller eux-mmes les puiser dans leur vraie source.

Car les plus cŽlbres des Politiques et des Jurisconsultes nÕont point encore Žclairci cette difficultŽ ; ils ont pris les Gouvernements tels quÕils Žtaient ; ils ont admis, comme le Vulgaire, que la base en Žtait rŽelle, et que la science et le droit de punir Žtaient dans lÕhomme ; ensuite ils se sont ŽpuisŽs en recherches pour asseoir un Ždifice solide sur ce fondement ; mais, comme on ne peut douter quÕils ne b‰tissent sur une supposition, il est clair que les Gouvernements qui veulent sÕinstruire, doivent sÕadresser ˆ dÕautres Ma”tres.

Je ne dŽcide donc point quelles sont les peines qui conviennent ˆ chaque crime, je prŽtends, au contraire, quÕil nÕest pas possible ˆ lÕhomme de jamais rien statuer dÕabsolument fixe sur ces objets, parce que nÕy ayant pas deux crimes Žgaux, si la mme peine est prononcŽe, il en rŽsulte certainement une injustice.

 

Des codes criminels

Mais la simple raison de lÕhomme doit au moins lui enseigner ˆ ne chercher la punition du coupable, que dans lÕobjet et lÕordre qui ont ŽtŽ blessŽs, et ˆ ne pas les prendre dans une autre classe, laquelle nÕayant point de rapport avec le sujet du dŽlit, se trouverait blessŽe ˆ son tour, sans que le dŽlit en fžt rŽparŽ.

Voilˆ pourquoi la Justice humaine est si faible et si horriblement dŽfectueuse, en ce que tant™t son pouvoir est nul, comme dans le suicide et dans les crimes qui lui sont cachŽs ; tant™t ce pouvoir nÕagit quÕen violant lÕanalogie qui devrait la guider sans cesse, comme il arrive dans toutes les peines corporelles, quÕelle prononce pour des crimes qui nÕattaquent point les personnes, et qui ne tombent que sur les possessions.

Lors mme quÕelle para”t observer le plus cette analogie, et quÕelle semble ˆ cet Žgard conserver une sorte de lumire, cette Justice humaine est encore infiniment fautive, en ce quÕelle nÕa quÕun trs petit nombre de punitions ˆ infliger dans chaque classe, pendant que dans chacune de ces classes, les crimes sont sans nombre et toujours diffŽrents.

Voilˆ aussi pourquoi les Lois criminelles Žcrites sont un des plus grands vices des Etats, parce que ce sont des Lois mortes, et qui demeurent toujours les mmes, tandis que le crime cro”t et se renouvelle ˆ tous les instants. Le talion en est presque entirement banni, et en effet, elles nÕen peuvent presque jamais remplir humainement toutes les clauses, soit quÕelles ne connaissent pas toujours toutes les circonstances des crimes, soit que quand mme elles les conna”traient, elles ne soient pas assez fŽcondes par elles-mmes, pour produire toujours le vŽritable remde ˆ des maux si multipliŽs.

Alors, que sont donc ces codes criminels, si nous nÕy trouvons pas ce talion, la seule Loi pŽnale qui soit juste, la seule qui puisse rŽgler sžrement la marche de lÕhomme, et qui, par consŽquent, ne pouvant venir de lui, est nŽcessairement lÕouvrage dÕune main puissante, dont lÕintelligence sait mesurer les peines, et les Žtendre ou les resserrer selon le besoin ?

Des tortures

Je ne mÕarrte point ˆ cet usage barbare, par lequel les Nations ne se contentent pas de condamner un homme aveuglŽment, mais emploient encore sur lui les tortures pour. en exprimer la VŽritŽ. Rien nÕannonce plus la faiblesse et lÕobscuritŽ o languit le LŽgislateur, puisque, sÕil jouissait de ses vŽritables droits, il nÕaurait pas besoin de ces moyens faux et cruels, qui servent de guides ˆ ses Jugements ; puisquÕen un mot la mme lumire, qui lÕautoriserait ˆ juger son semblable, ˆ faire exŽcuter ses condamnations, et qui lÕinstruirait de la nature des peines quÕil doit infliger, ne le laisserait pas non plus dans lÕerreur sur le genre des crimes, ni sur les noms des coupables et des complices.

Aveuglement des lŽgislateurs

Mais ce qui nous dŽcouvre clairement lÕimpuissance et lÕaveuglement des LŽgislateurs, cÕest de voir quÕils nÕinfligent de peines capitales, quÕaux crimes qui tombent sur le sensible et sur le temporel ; tandis quÕil sÕen commet une multitude autour dÕeux, qui tombent sur des objets bien plus importants, et qui Žchappent tous les jours ˆ leur vue. Je parle de ces idŽes monstrueuses qui font de lÕhomme un Etre de Matire ; de ces Doctrines corrompues et dŽsespŽrantes qui lui ™tent jusquÕau sentiment de lÕordre et du bonheur ; en un mot, de ces systmes infects, qui portant la putrŽfaction jusque dans son propre germe, lՎtouffent ou le rendent absolument pestilentiel, et font que le Souverain nÕa plus ˆ rŽgner que sur de viles machines, ou sur des brigands.

Des faux jugements

CÕest assez sՎtendre sur la dŽfectuositŽ de lÕAdministration ; bornons-nous actuellement ˆ rappeler ˆ ceux qui commandent et ˆ ceux qui jugent, quelles sont les injustices auxquelles ils sÕexposent quand ils agissent dans lÕincertitude et sans tre assurŽs de la lŽgitimitŽ de leur marche.

Le premier de ces inconvŽnients est de courir le risque de condamner un innocent. Or les maux qui en rŽsultent sont de nature ˆ ne pouvoir jamais sՎvaluer par lÕhomme, parce quÕils dŽpendent en grande partie du tort plus ou moins considŽrable, que doit en Žprouver le condamnŽ, par rapport aux fruits quÕil aurait pu recueillir de ses facultŽs intellectuelles, sÕil fžt restŽ plus longtemps sur la Terre ; et par rapport ˆ lÕimpression dŽcourageante que doit faire sur lui un supplice infamant, cruel et inattendu ; comment le Juge pourrait-il donc jamais estimer lՎtendue de tous ces maux, sÕil nÕacquŽrait un jour le sentiment amer de ses imprudences et de ses Žcarts ? Et cependant, comment pourrait-il satisfaire ˆ la Justice, sÕil nÕen subissait rigoureusement lÕexpiation ?

Le second inconvŽnient est celui dÕinfliger ˆ un coupable, une autre peine que celle qui Žtait applicable ˆ son crime. Dans ce cas, voici la cha”ne des maux que le Juge imprudent prŽpare, soit ˆ sa victime, soit ˆ lui-mme.

Premirement, le supplice auquel il la condamne, ne la dispense en rien de celui que la vraie Justice lui a assignŽ. Bien plus, il ne fait que le rendre plus assurŽ, puisque, sans cette condamnation prŽcipitŽe, peut-tre la vraie Justice ežt-elle laissŽ au coupable le temps dÕexpier sa faute par des remords, et que toute rigoureuse quÕelle est, elle ežt rŽduit son tribut ˆ des repentirs.

Secondement, si le Jugement lŽger et aveugle de lÕhomme, ™te le temps du repentir au criminel, lÕatrocitŽ de lÕexŽcution lui en ™te la force, et lÕexpose ˆ perdre dans le dŽsespoir, une vie prŽcieuse, dont un usage plus juste et un sacrifice fait ˆ temps, auraient pu effacer tous ses crimes ; de faon que cÕest lui faire encourir deux peines pour une, et dont la premire, loin de rien expier, peut au contraire, lui faire multiplier ses iniquitŽs, et rendre par-lˆ la seconde peine plus inŽvitable.

Lors donc que le Juge voudra se considŽrer de prs, il ne pourra se dispenser de sÕimputer la premire de ces peines, qui ne diffre dÕun assassinat que par la forme ; ensuite il sera obligŽ de sÕimputer aussi toutes les consŽquences funestes, que nous venons de voir na”tre de sa tŽmŽritŽ et de son injustice. QuÕil rŽflŽchisse alors sur sa situation, et quÕil voie sÕil doit tre en paix avec lui-mme.

Droits des vrais souverains

Quittons ces scnes dÕhorreur, et employons plut™t tous nos efforts ˆ rappeler les Souverains et les Juges, ˆ la connaissance de leur vŽritable Loi, et ˆ la confiance dans cette lumire destinŽe ˆ tre le flambeau de lÕhomme ; persuadons les que sÕils Žtaient purs, ils feraient plus trembler les malfaiteurs, par leur prŽsence et par leur nom, que par les gibets et les Žchafauds. Persuadons-leur que ce serait le seul et unique moyen de dissiper tous ces nuages que nous avons aperus sur lÕorigine de leur SouverainetŽ, sur les causes de lÕAssociation des Etats politiques, et sur les Lois de lÕAdministration civile et criminelle de leurs Gouvernements ; engageons-les enfui ˆ jeter sans cesse les yeux sur le Principe que nous leur avons offert comme la seule boussole de leur conduite, et la seule mesure de tous leurs pouvoirs.

 

De la guŽrison des maladies

Pour augmenter lÕidŽe que les Souverains en doivent prendre, montrons-leur ˆ prŽsent, que ce mme Principe dont ils devraient attendre tant de secours, pourrait aussi leur communiquer ce don puissant que jÕai placŽ prŽcŽdemment au nombre de leurs privilges, celui de guŽrir les maladies.

Si cette Cause universelle temporelle, prŽposŽe pour diriger lÕhomme et tous les Etres qui habitent dans le temps, est ˆ la fois active et intelligente, il est certain quÕil nÕy a aucune partie des sciences et des connaissances quÕelle nÕembrasse ; cela suffit pour faire voir ce que devrait en espŽrer celui qui serait dirigŽ par elle.

Ainsi ce nÕest point tre dans lÕerreur, de dire quÕun Souverain qui aurait cette lumire pour guide, conna”trait les vrais Principes des Corps, ou ces trois ElŽments fondamentaux, dont nous avons traitŽ au commencement de cet Ouvrage ; quÕil distinguerait dans quelle proportion leur action se manifeste dans les diffŽrents Corps, selon lՉge, le sexe, le climat, et autres considŽrations naturelles ; quÕil concevrait la propriŽtŽ particulire de chacun de ces ElŽments, ainsi que le rapport qui doit toujours rŽgner entre eux et que quand ce rapport serait dŽrangŽ ou dŽtruit, quand les Principes ŽlŽmentaires tendraient ˆ se surmonter les uns et les autres, ou ˆ se sŽparer, il verrait promptement et sans erreur, le moyen de rŽtablir lÕordre.

CÕest pour cela, que la mŽdecine se doit rŽduire ˆ cette rgle simple, unique, et par consŽquent universelle : rassembler ce qui est divisŽ et diviser ce qui est rassemblŽ. Mais ˆ quels dŽsordres et ˆ quelles profanations, cette rgle puisŽe dans la nature mme des choses, nÕest-elle pas exposŽe en passant par la main des hommes ; puisque le moindre degrŽ de diffŽrence dans les moyens quÕils emploient, et dans lÕaction des remdes, produit des effets si contraires ˆ ceux quÕils devraient en attendre ; puisque le mŽlange de ces Principes fondamentaux, qui sont rŽduits au nombre de trois, change cependant, et se multiplie de tant de manires, que des yeux ordinaires ne pourraient jamais en suivre toutes les variŽtŽs; et puisque, dans ces sortes de combinaisons, le mme Principe parvient souvent ˆ avoir des propriŽtŽs diffŽrentes, selon lÕespce de rŽaction quÕil Žprouve.

Trois ŽlŽments, trois maladies

Car tout en reconnaissant un feu universellement rŽpandu, comme les deux autres ElŽments, cependant on sait que le feu intŽrieur crŽe, que le feu supŽrieur fŽconde, et que le feu infŽrieur consume. On en peut dire autant des sels, lÕintŽrieur excite la fermentation, le supŽrieur conserve, et lÕinfŽrieur ronge. Le mercure mme, quoique sa propriŽtŽ gŽnŽrale soit dÕoccuper un rang intermŽdiaire entre les deux Principes ennemis dont je viens de parler, et par ce moyen dՎtablir la paix entre eux ; cependant ce mercure, dis-je, les rassemble dans mille circonstances, et les renfermant dans le mme cercle, il devient ainsi la source des plus grands dŽsordres ŽlŽmentaires, et offre en mme temps lÕimage du dŽsordre universel.

Quels soins, quelles prŽcautions ne faut-il donc pas pour dŽmler la nature et les effets de ces diffŽrents principes, qui par leur mŽlange, se diversifient encore plus que par leurs propriŽtŽs naturelles ? Mais malgrŽ cette multitude infinie de diffŽrences qui peuvent sÕobserver dans les rŽvolutions des Etres corporels, un Ïil ŽclairŽ tel que doit tre celui dÕun Souverain, ne perdra jamais sa rgle de vue ; il ramnera toujours ces diffŽrences ˆ trois espces, en raison des trois principes fondamentaux dÕo elles Žmanent, et par consŽquent, il ne reconna”tra que trois maladies ; et mme il saura que ces trois maladies doivent avoir des signes aussi marquŽs et aussi distincts, que les trois principes fondamentaux le sont eux-mmes dans leur action, et dans leur propriŽtŽ primitive.

Ces trois espces de maladies concernent chacune, une des substances principales dont le corps animal est composŽ, cÕest-ˆ-dire, le sang, lÕos et la chair, trois parties qui sont relatives ˆ lÕun des trois ElŽments dont elles proviennent. Ce sera donc par les mmes ElŽments quÕelles pourront recevoir leur guŽrison : ainsi, la chair se guŽrira par le sel, le sang par le soufre, et les os par le mercure ; le tout avec les prŽparations et les tempŽraments convenables.

Maladies de la peau

On sait, par exemple, que les Maladies de la chair et de la peau, proviennent de lՎpaississement et de la corruption des sŽcrŽtions salines dans les vaisseaux capillaires, o elles peuvent tre fixŽes par la trop vive et trop subite action de lÕair, de mme que par la trop faible action du sang. Il est donc naturel dÕopposer ˆ ces liqueurs stagnantes et corrompues, un sel qui les divise sans rŽpercuter ; qui les corrode et les ronge dans leur foyer, sans les faire rentrer dans la masse du sang, auquel elles communiqueraient leur propre putrŽfaction. Mais quoique ce sel soit le plus commun de ceux que produit la Nature, il faut convenir cependant quÕil est encore, pour ainsi dire, inconnu ˆ la MŽdecine humaine, ce qui fait quÕelle est si peu avancŽe dans la guŽrison de ces sortes de maladies.

Maladies des os et du sang

Secondement, dans la maladie des os, le mercure doit tre employŽ avec beaucoup de modŽration, parce quÕil lie et resserre trop les deux autres principes qui soutiennent la vie de tous les corps, et cÕest par les entraves quÕil donne principalement au soufre, quÕil est le destructeur de toute vŽgŽtation, tant terrestre quÕanimale. La prudence exigerait donc souvent, que lÕon laiss‰t simplement agir le mercure innŽ dans le corps de lÕhomme, parce que lÕaction de ce mercure se conciliant avec celle du sang, ne croit pas plus quÕelle, et la contient assez pour quÕelle ne sÕaffaiblisse et ne sՎvapore pas, mais non assez Pour lՎtouffer et pour lՎteindre .Aussi la Nature nous donne-t-elle ˆ ce sujet la leon la plus claire et la plus instructive, en rŽparant les fractures des os par sa propre vertu, et sans le secours dÕaucun mercure Žtranger.

Quant aux maladies du sang, le .soufre doit. sÕy employer avec infiniment plus de mŽnagements encore, parce que les corps Žtant beaucoup plus volatils que fixes, augmenter leur action sulfureuse et ignŽe, ce serait les exposer ˆ se volatiliser encore plus. ; lÕhomme vraiment instruit nÕappliquerait donc jamais ce remde quÕavec la plus grande sobriŽtŽ, dÕautant quÕil saurait que quand lÕhumide radical est altŽrŽ, lÕhumide grossier ne peut jamais seul le rŽparer, et cÕest pour cela quÕil y joindrait lÕhumide radical mme, en lÕallant puiser dans la source, qui nÕest pas toute entire dans la moelle des os.

De la pharmacie

Et, soit dit en passant, cÕest lˆ la raison de la frŽquente insuffisance et du danger de la Pharmacie qui recherchant avec tant dÕempressement, les principes volatils des corps mŽdicinaux, nŽglige trop lÕusage des principes fixes, dont le besoin est tellement universel, quÕil serait exclusif, si lÕhomme Žtait sage. Aussi, qui ne sait que cette Pharmacie dŽtruit plut™t quÕelle ne conserve ; quÕelle agite et bržle au lieu de ranimer, et que quand au contraire, elle se propose de calmer, elle ne sait y procŽder que par des absorbants et par des poisons ?

On voit donc ˆ quoi se bornerait la MŽdecine entre les mains dÕun homme qui se serait rŽtabli dans les droits de son origine ; il donnerait lui-mme une activitŽ salutaire ˆ tous les remdes, et rendrait par lˆ des guŽrisons infaillibles, quand toutefois la Cause active, dont il serait lÕorgane, nÕaurait pas lÕordre dÕen disposer autrement.

Il se serait bien gardŽ dÕemployer dans cette digne et utile Science, les calculs matŽriels de la MathŽmatique humaine, qui nÕopŽrant jamais que sur des rŽsultats, sont nuls ou dangereux dans la MŽdecine, dont lÕobjet est dÕopŽrer sur les principes mmes qui agissent dans les corps.

Des privilges des souverains

Par cette mme raison, il ne se fžt pas attachŽ ˆ des formules, qui dans lÕart de guŽrir, sont la mme chose que les Codes criminels dans lÕadministration des Etats ; puisque de toutes les maladies, nÕy en ayant jamais deux qui prŽsentent absolument les mmes nuances, il est impossible que le mme remde ne nuise ˆ lÕune ou ˆ lÕautre.

Mais comme en qualitŽ de souverain, cet homme aurait connu les vertus des Etres corporels, il en aurait aussi connu le dŽrangement, et ds lors il ežt ŽtŽ ˆ lÕabri de lÕerreur sur lÕapplication du remde. Or, quÕon nÕoublie pas que pour en venir lˆ, lÕhomme ne doit pas prendre la Matire pour le Principe de la Matire, car nous avons vu que cՎtait lˆ la principale cause de son ignorance.

QuÕon en croie pas non plus que ce pouvoir inestimable soit hors de la portŽe de lÕhomme ; il entre au contraire, au nombre des Lois qui lui sont donnŽes, relativement ˆ la t‰che quÕil a ˆ remplir pendant son passage sur la terre, puisque si cÕest par son enveloppe corporelle, que se dirigent sur lui les attaques, il faut quÕil ne soit pas entirement privŽ des moyens de les sentir et de les repousser ; ainsi, ds que lÕusage de ce privilge peut tre commun ˆ tous les hommes, ˆ plus forte raison devrait-il tre particulirement le propre des Souverains, dont la vŽritable destination est, autant quÕils le peuvent, de prŽserver leurs Sujets, des maux de toute espce et de les dŽfendre dans le sensible, comme dans lÕintellectuel.

Alors donc, si ce privilge ne leur est pas plus connu que tous leurs autres droits, cÕest une raison de plus pour eux de sentir, sÕils ont ŽtŽ mis ˆ la tte des hommes par le Principe dont je leur ai montrŽ la puissance, et qui est absolument nŽcessaire pour la rŽgularitŽ de toutes leurs dŽmarches. CÕest, dis-je, un moyen de plus que je leur offre pour se juger eux-mmes.

QuÕils joignent donc les observations que je viens de faire sur lÕart de guŽrir, ˆ toutes celles que jÕai faites avec eux sur les vices de lÕadministration politique, civile et criminelle des Etats ; sur les vices des Gouvernements mmes, qui nous ont dŽvoilŽ ceux de leur Association ; ainsi que sur la source o les chefs doivent puiser leurs diffŽrents droits ; ensuite quÕils dŽcident sÕils reconnaissent en eux les traces de cette lumire qui est censŽe les avoir constituŽs tous, et ne les pas quitter un instant ; car ce nÕest que par lˆ quÕils pourront tre assurŽs de la lŽgitimitŽ de leur puissance, et de la justesse des institutions auxquelles ils prŽsident.

NŽanmoins, rŽpŽtons en ce moment avec autant de fermetŽ que de franchise, quÕun Sujet qui aperoit toutes ces dŽfectuositŽs dans un Etat, et qui voyant les Souverains eux-mmes si fort au-dessous de ce quÕils devraient tre, se croirait dŽliŽ du moindre de ses devoirs envers eux, et de la soumission ˆ leurs dŽcrets, ds lors sՎcarterait sensiblement de sa Loi, et marcherait directement contre tous les principes que nous Žtablissons.

Que tout homme se persuade au contraire, que la Justice ne lui imputera jamais que ses propres fautes ; quÕainsi, un Sujet ne ferait quÕaugmenter les dŽsordres, en prŽtendant sÕy opposer et les combattre, puisque ce serait marcher par la volontŽ de lÕhomme, et que la volontŽ de lÕhomme ne mne quÕau crime.

Je croirai donc que malgrŽ toutes les applications que les Souverains pourraient se faire ˆ eux-mmes de tout ce que je trace ˆ leurs yeux, ils ne devront jamais mÕimputer dÕavoir Žtabli des principes contraires ˆ leur autoritŽ, tandis que mon seul dŽsir serait de les persuader quÕils en peuvent avoir une invincible et inŽbranlable.

Pour suivre lÕencha”nement de nos Observations, nous allons passer ˆ lÕexamen des erreurs qui ont ŽtŽ faites sur les hautes Sciences, parce que les principes de ces Sciences tenant ˆ la mme source que les Lois Politiques et Religieuses, leur connaissance doit Žgalement entrer au nombre des droits de lÕhomme.

 

6

JÕexaminerai principalement ici la Science MathŽmatique, comme Žtant celle ˆ laquelle toutes les hautes Sciences sont liŽes, et comme tenant le premier rang parmi les objets du raisonnement ou de la facultŽ intellectuelle de lÕhomme ; et dÕabord, pour rassurer ceux que le nom de MathŽmatiques pourrait arrter, je les prŽviendrai que non seulement il nÕest pas nŽcessaire dՐtre avancŽ dans cette Science, pour me suivre dans les observations dont elle sera le sujet, mais mme quՈ peine est-il besoin pour cela, dÕen avoir les plus lŽgres notions, et que la manire dont jÕen traite, peut convenir ˆ tous les Lecteurs.

Cette science nous offrira sans doute, des preuves encore plus frappantes des Principes qui ont ŽtŽ avancŽs prŽcŽdemment, de mme que des erreurs auxquelles elle a donnŽ lieu, lorsque les hommes se sont livrŽs en aveugles aux jugements de leurs sens.

Et ceci doit para”tre naturel, parce que les Principes mathŽmatiques, sans tre matŽriels, Žtant cependant la vraie Loi du sensible, les GŽomtres sont ˆ la vŽritŽ toujours les ma”tres de raisonner de la nature de ces Principes ˆ leur manire ; mais, quand ils viennent ˆ lÕapplication des idŽes quÕils sÕen sont formŽes, il faut nŽcessairement quÕils avouent leurs mŽprises, parce quÕalors ce nÕest plus eux qui mnent le Principe, mais cÕest le Principe qui les mne ainsi rien ne sera plus propre ˆ faire discerner le vrai dÕavec le faux, quÕun examen exact de la marche quÕils ont suivie, et des consŽquences qui en rŽsulteraient, si nous lÕadoptions.

Des axiomes

Je commencerai par faire observer que rien nÕest dŽmontrŽ en MathŽmatique, sÕil nÕest ramenŽ ˆ un axiome, parce quÕil nÕy a que cela de vrai ; je prierai en mme temps de remarquer pour quelle raison les axiomes sont vrais cÕest quÕils sont indŽpendants du sensible ou de la Matire, et quÕils sont purement intellectuels ce qui peut dŽjˆ confirmer tout ce que jÕai dit sur la route quÕil faut prendre pour arriver ˆ la VŽritŽ et en mme temps rassurer les Observateurs sur ce qui nÕest pas soumis ˆ leur vue corporelle.

Il est donc clair que si les GŽomtres nÕeussent pas perdu de vue les axiomes, ils ne se seraient jamais ŽgarŽs dans leurs raisonnements, puisque les axiomes sont attachŽs ˆ lÕEssence mme des Principes intellectuels, et par lˆ reposent sur la certitude la plus Žvidente.

La production corporelle et sensible, qui sÕest faite dÕaprs ces Lois intellectuelles, est sans doute parfaitement rŽgulire, prise dans sa classe, en ce quÕelle est exactement conforme ˆ lÕordre de ce Principe intellectuel, ou aux axiomes qui en dirigent partout lÕexistence et lÕexŽcution. Cependant, comme la perfection de cette production corporelle nÕest que dŽpendante, ou relative au Principe qui lÕa engendrŽe, ce nÕest pas dans cette production que peut en rŽsider la rgle et la source.

Ce ne serait donc quÕen comparant continuellement cette production sensible avec les axiomes, ou avec les Lois du Principe intellectuel, que lÕon pourrait juger de sa rŽgularitŽ, ce ne serait, dis-je, que par ce moyen quÕon parviendrait ˆ en dŽmontrer la justesse.

Mais, si cette rgle est la seule vraie, si en mme temps elle est purement intellectuelle, comment les hommes peuvent-ils donc espŽrer dÕy supplŽer par une rgle prise dans le sensible ? Comment peuvent-ils se flatter de remplacer un Etre vrai, par un Etre conventionnel et supposŽ ?

Comment douter cependant que ce ne soit lˆ o tendent tous les efforts des GŽomtres, puisque nous verrons quÕaprs avoir Žtabli les axiomes, qui sont les fondements de toutes les VŽritŽs quÕils veulent nous apprendre, ils ne nous proposent pour nous enseigner ˆ Žvaluer lՎtendue, quÕune mesure prise dans cette mme Žtendue, ou des nombres arbitraires qui ont toujours besoin eux-mmes dÕune mesure sensible pour se rŽaliser ˆ nos yeux corporels.

Alors doit-on sÕen tenir ˆ une telle dŽmonstration, et regarder de pareilles preuves comme Žvidentes ? Puisque la mesure rŽside toujours dans le Principe o la production sensible a pris naissance, cette production sensible et passive peut-elle se servir ˆ elle-mme de mesure et de preuve ? Et y a-t-il dÕautres Etres que ceux qui ne sont pas crŽŽs, ou les Etres vrais, qui puissent se prouver par eux-mmes ?

Loin de contester lՎvidence des Principes intellectuels mathŽmatiques, ou des axiomes, nous devons dŽjˆ reconna”tre la faible idŽe que les GŽomtres en ont prise, et le peu dÕusage quÕils en ont fait pour parvenir ˆ la science de lՎtendue et des autres propriŽtŽs de la Matire ; nous devons dire que sÕils ne connaissent rien sur cet objet, cÕest pour tre tombŽs dans la mme mŽprise que les Observateurs ont faite sur tous les autres sujets que jÕai passŽs en revue ; cÕest-ˆ-dire, quÕils ont sŽparŽ lՎtendue de son vrai Principe, ou plut™t quÕils ont cherchŽ ce Principe en elle, quÕils lÕont confondu avec elle, et quÕils nÕont pas vu que cՎtaient deux choses distinctes, quoique indispensablement rassemblŽes pour constituer lÕexistence de la Matire.

De lՎtendue

Pour rendre ceci encore plus palpable, il est ˆ propos de fixer nos idŽes sur la nature de lՎtendue. LՎtendue est, ainsi que toutes les autres propriŽtŽs des corps, une production du Principe gŽnŽrateur de la Matire, selon les Lois et lÕordre qui sont prescrits ˆ ce Principe infŽrieur par le Principe supŽrieur qui le dirige. Dans ce sens, lՎtendue nՎtant plus quÕune production secondaire, ne peut avoir les mmes avantages que les Etres compris dans la classe des productions premires ; ceux-ci ont en eux-mmes leurs Lois fixes ; toutes leurs propriŽtŽs sont invariables, parce quÕelles sont unies ˆ leur Essence ; cÕest lˆ, en un mot, o le poids, le nombre et la mesure, sont tellement rŽglŽs, quÕils ne peuvent pas plus tre altŽrŽs que lÕEtre mme ne peut tre dŽtruit.

Mais, quant aux propriŽtŽs des Corps, ou des Etres secondaires, nous avons vu assez amplement quÕil nÕen devait pas tre ainsi, puisque nÕayant absolument pour nos sens aucune propriŽtŽ fixe, ils ne sauraient jamais avoir de valeur ˆ nos yeux, que par comparaison avec les Etres de leur mme classe.

De la mesure de lՎtendue

Si cela est, lՎtendue des Corps nÕest donc pas dŽterminŽe pour nous avec plus de certitude, que leurs autres propriŽtŽs. Lors donc que pour nous faire conna”tre la valeur de cette Žtendue, on se servira dÕune mesure qui sera prise dans cette mme Žtendue, cette mesure que lÕon emploiera sera sujette au mme inconvŽnient que lÕobjet que lÕon voudra mesurer, cÕest-ˆ-dire, que son Žtendue ne sera pas plus sžrement dŽterminŽe ; de faon quÕil nous faudra encore chercher la mesure de cette mesure ; car quelques moyens que nous voulions employer, nous verrons clairement que ce ne sera jamais dans cette Žtendue o nous dŽcouvrirons sa vraie demeure, et par consŽquent, quÕil faudra toujours recourir au Principe qui a engendrŽ lՎtendue, et toutes les propriŽtŽs de la Matire.

CÕest donc lˆ ce qui dŽmontre compltement lÕinsuffisance de la marche des GŽomtres, lorsquÕils prŽtendent fixer la vraie mesure des Etres corporels. Il est vrai, et jÕen suis convenu, quÕils attachent des nombres ˆ cette mesure Žtendue et sensible ˆ laquelle ils ont recours. Mais non seulement les nombres dont ils se servent ne sont eux-mmes que relatifs et conventionnels, non seulement lÕhomme est libre dÕen varier les rapports et de sՎtablir telle Žchelle quÕil jugera ˆ propos, mais encore cette Žchelle, quelque utile quÕelle soit pour mesurer en gŽnŽral toutes les Žtendues dÕune espce, ne conviendra point du tout pour mesurer les Žtendues dÕune autre espce, et les hommes sont encore ˆ trouver une base fixe, invariable et universelle, ˆ laquelle puissent se rapporter toutes les espces dՎtendues quelconques.

Nature de la circonfŽrence

Voilˆ dÕo vient lÕembarras que les GŽomtres Žprouvent, lorsquÕils veulent mesurer des courbes, parce que la mesure dont ils se servent ayant ŽtŽ faite pour la ligne droite, ne sÕaccommode quՈ cette sorte de ligne, et offre des difficultŽs insurmontables, quand on veut lÕappliquer ˆ la ligne circulaire, ainsi quՈ toute autre courbe qui en dŽrive. Je dis que cette mesure offre alors des difficultŽs insurmontables ; car, quoique les GŽomtres aient tranchŽ le nÏud, en nous donnant la ligne circulaire comme un assemblage de lignes droites infiniment petites, ils auraient tort de croire avoir rŽsolu la question par lˆ, puisque jamais une faussetŽ nÕa pu rien rŽsoudre.

Or, je ne puis me dispenser de regarder cette dŽfinition comme fausse, puisquÕelle combat directement lÕidŽe quÕeux-mmes et la Nature nous donnent dÕune circonfŽrence, qui nÕest autre chose quÕune ligne dont tous les points sont Žgalement ŽloignŽs dÕun centre commun ; et je ne sais mme comment les GŽomtres peuvent raisonnablement se reposer sur deux propositions aussi contradictoires ; car enfin, si la circonfŽrence nÕest quÕun assemblage de lignes droites, quelque infiniment petites quÕon les suppose, jamais tous les points de cette circonfŽrence ne seront Žgalement ŽloignŽs du centre, puisque ces lignes droites elles-mmes seront composŽes de plusieurs points, parmi lesquels ceux des extrŽmitŽs et ceux intermŽdiaires ne seront sžrement pas ˆ la mme distance du centre ; alors le centre ne leur sera plus commun, alors la circonfŽrence ne sera plus une circonfŽrence.

Des deux sortes de lignes

CÕest donc vouloir rŽunir les contraires, cÕest vouloir traiter comme nÕayant que la mme nature, deux choses qui sont dÕune nature trs opposŽe, cÕest, je le rŽpte, vouloir soumettre au mme nombre deux sortes dÕEtres, qui Žtant diffŽrents lÕun de lÕautre, doivent sans doute se calculer diffŽremment.

Il faut donc lÕavouer, cÕest ici que les hommes nous montrent le plus clairement leur penchant naturel ˆ tout confondre, et ˆ ne voir dans les Etres de classes diffŽrentes quÕune uniformitŽ trompeuse, par le moyen de laquelle ils t‰chent dÕassimiler les choses qui se rŽpugnent le plus. Car il est impossible de rien concevoir qui soit plus opposŽ, plus contraire lÕun ˆ lÕautre, en un mot, plus contradictoire que la ligne droite et la ligne circulaire.

Outre les preuves morales qui se trouvent, soit dans les rapports de la ligne droite avec la rŽgularitŽ et la perfection de lÕunitŽ, soit dans ceux de la ligne circulaire avec lÕimpuissance et la confusion attachŽes ˆ la multiplicitŽ dont cette ligne circulaire est lÕimage, je puis encore en donner des raisons dÕautant plus convaincantes, quÕelles seront prises dans les principes intellectuels, les seuls que lÕon doive admettre comme rŽels, et faisant Loi dans la recherche de la nature des choses ; les seuls, dis-je, qui soient inŽbranlables comme les axiomes.

JÕavertirai nŽanmoins que ces vŽritŽs ne seront pas claires pour le commun des hommes, et bien moins encore pour ceux qui nÕauront marchŽ jusquՈ ce jour, que dÕaprs de faux principes que je combats ; le premier pas quÕil y aurait donc ˆ faire pour me comprendre, ce serait dՎtudier les choses dans leur source mme, et non dans les notions que lÕimagination et les jugements prŽcipitŽs en ont donnŽes.

Mais je sais combien peu dÕhommes sont capables dÕen avoir le courage ; et quand je le supposerais pour un grand nombre, je devrais supposer aussi, que peu dÕentre eux parviendraient ˆ un plein succs, tant les premires sources de la Science ont ŽtŽ infectŽes dÕerreur et de poison.

Si jÕai fait pressentir que tout avait son nombre dans la Nature, si cÕest par lˆ que tous les Etres quelconques sont aisŽs ˆ distinguer les uns des autres, puisque toutes leurs propriŽtŽs ne sauraient tre que des rŽsultats conformes aux Lois renfermŽes dans leur nombre ; il est constant que la ligne droite et la ligne courbe Žtant de nature diffŽrente, ainsi que je lÕai dŽjˆ indiquŽ, doivent avoir chacune leur nombre particulier, qui dŽsigne leur diffŽrente nature, et nous empche de les Žgaler dans notre pensŽe, en les prenant indiffŽremment lÕune pour lÕautre.

Quand on ne rŽflŽchirait quÕun instant sur les fonctions et les propriŽtŽs de ces deux sortes de lignes, cela suffirait pour quÕon džt se convaincre de la rŽalitŽ de ce que je viens de dire. Quel est lÕobjet de la ligne droite, nÕest-ce pas de perpŽtuer ˆ lÕinfini les productions du point dont elle Žmane ? NÕest-ce pas comme perpendiculaire, de rŽgler la base et lÕassiette de tous les Etres, et de leur tracer ˆ chacun leurs Lois ?

Au contraire, la ligne circulaire ne borne-t-elle pas ˆ tous ses points, les productions de la ligne droite ? Par consŽquent, ne tend-elle pas continuellement ˆ la dŽtruire, et ne peut-elle pas tre regardŽe en quelque sorte comme son ennemie ? Alors, comment serait-il donc possible que deux choses si opposŽes dans leur marche, et qui ont des propriŽtŽs si diffŽrentes, ne fussent pas distinguŽes dans leur nombre, comme elles le sont dans leur action ?

Si lÕon ežt fait plut™t cette importante observation, on ežt ŽpargnŽ des peines et des travaux infinis, ˆ tous ceux qui sÕoccupent de la Science MathŽmatique, en ce quÕon les ežt empchŽ de chercher, comme ils le font, une mesure commune ˆ deux sortes de lignes qui nÕauront jamais rien de commun entre elles.

Nombre de chaque sorte de lignes

CÕest donc aprs avoir reconnu cette diffŽrence essentielle, qui les distingue dans leur figure, dans leur emploi et dans leurs propriŽtŽs, que je ne dois pas craindre dÕaffirmer que leur nombre est Žgalement diffŽrent.

Si lÕon me pressait de mÕexpliquer plus clairement, et dÕindiquer quel est le nombre que jÕattribue ˆ chacune de ces lignes en particulier jÕavouerais, sans peine, que la ligne droite porte le nombre quatre, et la ligne circulaire, le nombre neuf : et jÕoserais assurer quÕil nÕy a pas dÕautre moyen de parvenir ˆ les conna”tre ; car lՎtendue plus ou moins grande de ces lignes, ne changera rien au nombre que je leur attribue en particulier, et elles conserveront toujours le mme nombre chacune dans leur classe, ˆ quelque Žtendue quÕon les prolonge.

Je sais, je le rŽpte, que ceci pourra bien nՐtre pas entendu, tant la Matire a fait de progrs dans lÕintelligence de mes semblables. Il en est donc, qui malgrŽ la clartŽ de ma proposition, pourraient en infŽrer faussement quÕune grande et une petite ligne ayant, selon moi, le mme nombre, doivent par consŽquent tre Žgales.

Mais, pour prŽvenir ce paradoxe, jÕajouterai quÕune grande, comme une petite ligne, ne sont chacune que le rŽsultat de leur Loi et de leur nombre ;et quÕainsi quoique lÕune et lÕautre aient toujours, dans la mme classe, la mme Loi et le mme nombre, cette Loi et ce nombre agissent toujours diversement dans chacune dÕelles; cÕest-ˆ-dire, avec plus ou moins de force, dÕactivitŽ ou de durŽe ; dÕo lÕon voit que le rŽsultat qui en proviendra, doit exprimer aux yeux toutes ces diffŽrences sensibles, quoique le Principe qui varie son action, soit lui-mme invariable.

CÕest lˆ, nÕen doutons pas, ce qui peut seul expliquer la diffŽrence universelle de tous les Etres des deux natures, tant de ceux qui dans lÕune ou lÕautre, occupent des classes diffŽrentes, que de ceux qui sont de la mme classe et de la mme espce ; cÕest lˆ ce qui peut faire comprendre comment tous les individus dÕune mme classe sont diffŽrents, quoiquÕils aient la mme Loi, la mme source et le mme nombre.

CÕest par lˆ aussi que sont anŽantis les nombres conventionnels et arbitraires, que les GŽomtres emploient dans leurs mesures sensibles et vŽritablement les inconvŽnients o cette mesure les entra”ne, nous en font voir clairement les dŽfectuositŽs. Car, vouloir choisir la mesure de lՎtendue, dans lՎtendue, cÕest sÕexposer ˆ tre obligŽ de tronquer cette mesure, ou de la prolonger, lorsque lՎtendue sur laquelle on lÕa assise vient ˆ recevoir des variations ; et comme ces variations nÕarrivent pas toujours juste sous des nombres multiples, ou sous-multiples de la mesure donnŽe ; quÕelles peuvent tomber sur des parties de nombres qui ne soient pas des entiers, par rapport au nombre principal, il faut nŽcessairement que la mesure donnŽe subisse la mme mutilation ; il faut enfin admettre ce que les calculateurs appellent des fractions dÕunitŽ, comme si jamais un Etre simple, ou une unitŽ pouvait se diviser.

Du calcul de lÕinfini

Si les MathŽmaticiens se fussent attachŽs ˆ cette dernire rŽflexion, ils auraient pris une plus juste idŽe dÕun savant calcul quÕils ont inventŽ : savoir, celui de lÕinfini. Ils auraient vu quÕils ne pouvaient jamais trouver lÕinfiniment grand dans la Matire qui est bornŽe ˆ trois ElŽments, mais bien dans les nombres qui sont les puissances de tout ce qui existe, et qui vraiment nÕont de bornes, ni dans notre pensŽe, ni dans leur essence. Au contraire, ils auraient reconnu quÕils ne pouvaient trouver le calcul de lÕinfiniment petit que dans la Matire, dont la division indŽfinie des molŽcules se conoit toujours possible, quoique nos sens ne puissent pas toujours lÕopŽrer ; mais ils nÕeussent jamais cherchŽ cette sorte dÕinfini dans les nombres, puisque lÕunitŽ Žtant indivisible, elle est le premier terme des Etres, et nÕadmet aucun nombre avant elle.

Des mesures conventionnelles

Rien nÕest donc moins conforme au Principe vrai, que cette mesure conventionnelle que lÕhomme sÕest Žtablie dans ses procŽdŽs gŽomŽtriques, et par consŽquent, rien nÕest moins propre ˆ lÕavancer dans les connaissances qui lui sont absolument nŽcessaires.

Le secours dÕune telle mesure est, je le sais, de la plus grande utilitŽ, dans les dŽtails matŽriels du commerce de la vie sociale et corporelle de lÕhomme ; aussi je ne prŽtends pas quÕil soit bl‰mable de lÕappliquer ˆ cet emploi ; tout ce que je lui demanderais, ce serait de ne pas avoir lÕimprudence de la porter jusque dans ses recherches sur les VŽritŽs naturelles, parce que dans ce genre, elle ne peut que le tromper ; que les erreurs, mmes les plus simples, sont ici de la plus importante consŽquence, et que toutes les VŽritŽs Žtant liŽes, il nÕy en a pas une qui puisse recevoir la moindre atteinte, sans la communiquer ˆ toutes les autres.

Les nombres quatre et neuf, que jÕannonce comme appartenant essentiellement, lÕun ˆ la ligne droite et lÕautre ˆ la ligne courbe, nÕont pas lÕinconvŽnient quÕon vient de remarquer dans la mŽthode arbitraire ; puisque ces nombres restent toujours intacts, quoique leur facultŽ sՎtende ou se resserre dans toutes les variations dont lՎtendue est susceptible ; aussi, dans la rŽalitŽ des choses, nÕy a-t-il jamais de fraction dans un Etre, et si nous nous rappelons ce qui a ŽtŽ dit prŽcŽdemment sur la nature des Principes des Etres corporels, nous verrons que puisquÕils sont indivisibles en qualitŽ dÕEtres simples, les nombres qui ne font que les reprŽsenter et les rendre sensibles, doivent jouir de la mme propriŽtŽ.

Mais, je le rŽpte encore, tout ceci est hors du sensible et de la Matire, ainsi, je ne me flatte pas quÕun grand nombre mÕentende. CÕest pour cela que je mÕattends quÕon reviendra encore ˆ la charge, et quÕon me demandera comment il sera possible dՎvaluer les diffŽrentes Žtendues du mme ordre, si je donne sans exception ˆ toutes les lignes droites, le nombre quatre, et ˆ toutes les lignes circulaires et courbes, le nombre neuf. On me demandera, dis-je, ˆ quel signe on pourra conna”tre fixement les diffŽrentes manires dont le mme nombre agit sur des Žtendues inŽgales, et comment il faudra sÕy prendre pour dŽterminer avec justesse, une Žtendue quelconque.

Il mÕest inutile de chercher une autre rŽponse que celle que jÕai faite sur cet objet. Je dirai donc que si celui qui me fait cette question nÕa en vue de conna”tre lՎtendue que pour son propre usage corporel, et pour ses besoins ou ses gožts sensibles, comme il nÕy a rien en ce genre qui ne soit relatif, les mesures conventionnelles et relatives sont suffisantes ; parce que par le seul secours des sens, on peut porter la rŽgularitŽ jusquÕau point de rendre lÕerreur inapprŽciable aux sens.

Mais, sÕil sÕagit de conna”tre plus que cette valeur relative et dÕapproximation, si lÕon demande ˆ trouver la valeur fixe et rŽelle de lՎtendue ; comme cette valeur est en raison de lÕaction de son nombre, et que le nombre nÕest pas Matire, il est aisŽ de voir si cÕest dans lՎtendue matŽrielle, quÕon peut trouver la rgle que lÕon dŽsire, et si nous avons eu tort de dire que la vraie mesure de lՎtendue ne saurait tre connue par les sens corporels : alors, si ce nÕest point dans les sens corporels que cette mesure se peut trouver, il ne faudra pas rŽflŽchir longtemps pour juger o elle doit tre, puisque nous nÕavons cessŽ de reprŽsenter quÕil nÕy avait dans tout ce qui existe, que du sensible et de lÕintellectuel.

Nous voyons donc ds lors ce que les GŽomtres ont ˆ nous apprendre, et quelles sont les erreurs dont ils bercent notre intelligence, en ne lui offrant que des mesures prises dans le sensible, et par consŽquent relatives, pendant quÕelle conoit quÕil y en a de vraies et quÕelle est faite pour les conna”tre.

De la vraie mesure

Nous voyons en mme temps repara”tre ici cette VŽritŽ universelle qui fait lÕobjet de cet Ouvrage, savoir, que cÕest dans le Principe seul des choses, quÕil est possible dÕen Žvaluer juste propriŽtŽs, et que quelque difficultŽ quÕil y ait ˆ savoir y lire, il est incontestable que ce Principe rŽglant tout, mesurant tout, ds quÕon lՎloigne, on ne trouvera rien.

Je dois ajouter nŽanmoins, que quoiquÕil soit possible par le secours de ce Principe, de parvenir ˆ juger sžrement de la mesure de lՎtendue, puisque cÕest lui-mme qui la dirige, ce serait une vraie profanation de lÕemployer ˆ des combinaisons matŽrielles, car il peut nous faire dŽcouvrir des VŽritŽs plus importantes que celles qui nÕauraient de rapport quՈ la Matire ; et les sens, comme nous lÕavons dit, sont suffisants pour diriger lÕhomme dans les choses sensibles. Nous voyons mme que les Etres au-dessous de lÕhomme, nÕont pas dÕautre Loi, et que leurs sens suffisent ˆ leurs besoins ; ainsi, pour cet objet purement relatif, la MathŽmatique vraie et juste, en un mot, la MathŽmatique intellectuelle serait non seulement superflue, mais mme elle ne serait pas comprise.

Quelle plus grande inconsŽquence nÕest-ce donc pas de vouloir assujettir et subordonner cette MathŽmatique invariable et lumineuse, ˆ celle des sens, qui est si bornŽe et si obscure ; de vouloir que celle-ci tienne lieu de lÕautre ; enfin, de vouloir que ce soit le sensible qui serve de rgle et de guide ˆ lÕintellectuel ?

Nous ne faisons lˆ cependant que montrer de nouveau lÕinconvŽnient auquel les GŽomtres se sont exposŽs ; car, en cherchant ˆ lՎtendue une mesure sensible, et nous la donnant comme rŽelle, ils nÕont pas vu quÕelle Žtait variable comme lՎtendue mme, et que loin de diriger la Matire, elle Žtait elle-mme dans la dŽpendance de cette Matire, puisquÕelle en suivait nŽcessairement le cours et tous les rŽsultats de relation.

Alors, ds que les nombres quatre et neuf, que jÕai avouŽ tre la mesure des deux sortes de lignes possibles, sont entirement ˆ couvert de cette sujŽtion ; je ne dois pas craindre dÕerrer, en leur donnant toute ma confiance, et en les annonant, ainsi que je lÕai fait, comme la vraie mesure, chacun dans leur classe.

JÕavouerai quÕil mÕest dur de ne pouvoir exposer ces VŽritŽs, sans sentir combien elles sont humiliantes pour les GŽomtres, puisque, par les efforts quÕils font journellement pour confondre ces deux mesures, ils nous obligent ˆ dire que mme les plus cŽlbres dÕentre eux ne savent pas encore la diffŽrence dÕune ligne droite ˆ une ligne courbe, ainsi quÕon le verra ci-aprs plus en dŽtail.

Du mouvement

Mais lÕerreur que lÕon vient dÕapercevoir nÕest pas la seule quÕils aient faite sur lՎtendue ; non seulement cÕest dans elle quÕils ont cherchŽ sa mesure, comme nous lÕavons fait observer, mais mme ils y ont encore cherchŽ la source du mouvement. NÕosant jamais sՎlever au-dessus de cette tŽnŽbreuse matire qui les environne, ils ont cru pouvoir fixer un espace et une borne au principe de ce mouvement, de faon que, selon ce systme, il nÕest plus possible, hors de cette borne, de rien concevoir dÕactif et qui se meuve.

SÕils ne se sont pas faits encore une idŽe plus juste du mouvement, nÕest-ce pas toujours par la mme mŽprise qui leur fait confondre les choses les plus distinctes, nÕest-ce pas parce quÕils ne cherchent que dans lՎtendue, au lieu de chercher dans son Principe ?

Car cette Žtendue nÕayant que des propriŽtŽs relatives, ou des abstractions, il lui est impossible de rien offrir de fixe, et dÕassez stable pour que lÕintelligence de lÕhomme sÕy repose dÕune manire satisfaisante ; et vouloir trouver dans elle la source de son mouvement, cÕest rŽpŽter toutes ces tentatives insuffisantes qui ont ŽtŽ dŽjˆ renversŽes, et vouloir soumettre le Principe ˆ sa production, pendant que selon lÕordre naturel et vrai des choses lÕÏuvre fut toujours au-dessous de son Principe gŽnŽrateur.

CÕest donc dans le Principe immatŽriel de tous les Etres, soit intellectuels, soit corporels, que rŽside essentiellement la source du mouvement qui se trouve en chacun dÕeux. CÕest par lÕaction de ce Principe, que se manifestent toutes leurs facultŽs, selon leur rang et leur emploi personnel, cÕest-ˆ-dire, intellectuelles dans lÕordre intellectuel, et sensibles dans lÕordre sensible.

Or, si la seule action du Principe des Etres corporels est le mouvement, si cÕest par lˆ seul quÕils croissent, quÕils se nourrissent ; enfin, quÕils manifestent et rendent sensibles et apparentes toutes leurs propriŽtŽs, et par consŽquent lՎtendue mme, comment peut-on donc faire dŽpendre ce mouvement de lՎtendue ou de la Matire, puisquÕau contraire cÕest lՎtendue ou la Matire, qui vient de lui ? Comment peut-on dire que ce mouvement appartienne essentiellement ˆ la Matire, pendant que cÕest la Matire qui appartient essentiellement au mouvement ?

Il est incontestable que la Matire nÕexiste que par le mouvement ; car nous voyons que quand les corps sont privŽs de celui qui leur est accordŽ pour un temps, ils se dissolvent et disparaissent insensiblement. Il est tout aussi certain par cette mme observation, que le mouvement qui donne la vie aux corps, ne leur appartient point en propre, puisque nous le voyons cesser dans eux, avant quÕils aient cessŽ dՐtre sensibles ˆ nos yeux ; de mme que nous ne pouvons douter quÕils ne soient absolument dans sa dŽpendance, puisque la cessation de ce mouvement est le premier acte de leur destruction.

DÕailleurs, rappelons-nous cette Loi de rŽaction universelle ˆ laquelle tous les Etres corporels sont assujettis, et reconnaissons que si les Principes immatŽriels des Etres corporels, sont eux-mmes soumis ˆ la rŽaction dÕun autre Principe, ˆ plus forte raison les rŽsultats sensibles de ces Principes, tels que lՎtendue et autres, doivent nŽcessairement Žprouver cette sujŽtion.

Concluons donc, que si tout dispara”t ˆ mesure que le mouvement se retire, il est Žvident que lՎtendue nÕexiste que par le mouvement, ce qui est bien diffŽrent de dire que le mouvement est ˆ lՎtendue et dans lՎtendue.

Cependant, de cette assertion que cÕest le mouvement qui fait lՎtendue, on pourrait infŽrer que le mouvement Žtant de lÕEssence des Principes immatŽriels, que nous devons reconna”tre ˆ prŽsent comme indestructibles, il est impossible que ce mouvement nÕexiste pas toujours, et par consŽquent, que lՎtendue ou la Matire ne soit Žternelle ; ce qui nous replongerait dans ces prŽcipices tŽnŽbreux, dont jÕai pris tant de soin de prŽserver mes Lecteurs ; car je le sais, on pourrait mÕobjecter quÕon ne peut pas concevoir de mouvement sans Žtendue.

Cette dernire proposition est vraie dans lÕordre sensible, o lÕon ne peut concevoir de mouvement qui ne produise lՎtendue, ou qui ne se fasse dans lՎtendue ; mais, quoique les Principes qui enfantent le mouvement dans lÕordre sensible, soient immatŽriels, ce serait tre dans lÕerreur que dÕadmettre leur action comme nŽcessaire et comme Žternelle, puisque nous avons vu quÕils nՎtaient que des Etres secondaires, nÕayant quÕune action particulire et non pas infinie, et quÕils Žtaient absolument dans la dŽpendance dÕune Cause active et intelligente, qui leur communiquait cette action pour un temps, comme elle la leur retirait, selon lÕordre et la Loi de la Cause premire.

Des deux sortes de mouvements

Bien plus, cÕest dans cet ordre sensible mme, o nous pouvons trouver des preuves dÕun mouvement sans Žtendue ; quoique dans cette rŽgion sensible, il se fasse toujours dans lՎtendue. Pour cet effet, remarquons quÕen raison de cette double Loi universelle qui rŽgit la Nature corporelle, il se trouve deux sortes de mouvements dans tous les Corps.

Premirement, celui de leur croissance, ou lÕaction mme qui manifeste et soutient leur Existence sensible.

En second lieu, celui de leur tendance vers la Terre, qui est leur Centre commun ; tendance qui se fait conna”tre, tant dans la chute des Corps, que dans la pression que leur propre pesanteur fait sur eux-mmes, ou sur la surface terrestre.

Ces deux mouvements sont directement opposŽs lÕun ˆ lÕautre. Aussi le second de ces mouvements, ou la tendance des Corps vers leur Centre terrestre, quoiquÕil ne puisse se faire que dans lՎtendue, ne produit cependant pas dՎtendue, comme le premier mouvement, ou celui de la croissance et de lÕexistence de ces mmes Corps.

Au contraire, lÕun tend ˆ dŽtruire ce que lÕautre produit ; puisque, si les Etres corporels pouvaient se rŽunir dans leur Centre, ils seraient ds lors sans action, sans manifestation sensible, en un mot sans mouvement, et par consŽquent sans Žtendue ; puisquÕil est certain que tous ces effets nÕont lieu que parce que les Etres qui les produisent sont sŽparŽs de leur Centre.

Or, si de ces deux mouvements, dont lÕun produit lՎtendue, comme nous lÕavons dit, il y en a un qui la dŽtruit, celui-lˆ au moins ne devra pas se regarder comme appartenant ˆ lՎtendue, quoiquÕil nÕait lieu que dans lՎtendue ; ce serait donc lˆ o lÕon apprendrait ˆ rŽsoudre cette objection, quÕon ne peut concevoir de mouvement sans Žtendue, et ˆ ne plus croire gŽnŽralement que le mouvement soit de lÕEssence de toutes les classes dÕEtres immatŽriels, puisque ceux de la classe sensible nÕen sont dŽpositaires que pour un temps.

 

Du mouvement immatŽriel

Fortifions encore cette vŽritŽ, quÕil peut y avoir du mouvement sans Žtendue. NÕavons-nous pas admis quÕil ne saurait y avoir que des Etres sensibles et des Etres intellectuels ; si cÕest la classe de ces derniers qui rŽgit lÕautre, et qui lui fait donner ce mouvement producteur des choses sensibles, cÕest elle qui par Essence, doit tre la vŽritable source du mouvement ; comme telle, elle est dÕun autre ordre que la classe des Principes immatŽriels corporels qui lui sont subordonnŽs ; il doit donc y avoir dans cette classe, une action et des rŽsultats qui soient comme elle, distincts et indŽpendants du sensible, cÕest-ˆ-dire, dans lesquels le sensible ne soit pour rien.

Ainsi, puisque le sensible nÕest pour rien dans toutes les actions qui appartiennent ˆ la Cause premire, et dans tous les rŽsultats immatŽriels qui en proviennent ; sÕil ne fait quÕen recevoir la vie passive qui le soutient pendant la durŽe du temps ; si enfin tous les effets sensibles, pendant le temps actuel de leur existence mme, sont absolument sans aucune influence sur la classe purement intellectuelle, ˆ plus forte raison cette classe a-t-elle pu agir avant lÕexistence des choses sensibles, et peut agir aprs leur disparition, puisque le moment o ces choses sensibles auront vŽcu, nÕaura pas mme dŽrangŽ dÕun instant, lÕaction de la Cause premire.

Alors, quoique dans le sensible, le mouvement et lՎtendue soient nŽcessairement liŽs lÕun ˆ lÕautre, cela nÕempche point que dans la classe supŽrieure, il ne doive y avoir Žternellement un mouvement ou une action, quand mme rien de sensible ne serait existant, et dans ce sens on peut dire avec certitude, que quoiquÕon ne puisse concevoir dՎtendue sans mouvement, il est cependant incontestable quÕon peut concevoir du mouvement sans Žtendue, puisque le Principe du mouvement, soit sensible, soit intellectuel, est hors de lՎtendue.

RŽunissant ensuite toutes ces observations, on doit voir sÕil est possible de jamais attribuer avec raison aucun mouvement ˆ lՎtendue, comme en faisant lÕEssence nŽcessaire, et si lÕhomme ne sՎgare pas, lorsquÕil en cherche lˆ le principe et la connaissance.

Du nombre du mouvement

JÕai dit en gŽnŽral que le mouvement nՎtait autre chose que lÕeffet de lÕaction, ou plut™t lÕaction mme, puisquÕils sont insŽparables. JÕai reconnu en outre, que dans les choses sensibles, il y avait deux sortes de mouvements ou dÕactions opposŽes ; savoir, la croissance et la dŽcroissance, ou la force qui Žloigne les corps de leur Centre, et leur propre Loi qui tend ˆ les en rapprocher. Mais, comme le dernier de ces mouvements ne fait que revenir sur les traces de lÕautre, dans le mme temps, et selon la mme Loi, dans lÕordre inverse, nous ne craignons point dÕerrer, en les annonant comme provenant tous les deux du mme nombre ; et le moindre des GŽomtres sait que ce nombre est quatre.

Qui ne sait, en effet, que tous les mouvements et toutes les rŽvolutions possibles des corps, se font en Progression gŽomŽtrique quaternaire, soit ascendante, soit descendante ? Qui ne sait que ce nombre quatre est la Loi universelle du cours des Astres, celle de la MŽcanique, de la Pyrotechnie, celle, en un mot, de tout ce qui se meut dans la RŽgion corporelle soit naturellement soit par la main des hommes ?

Et vŽritablement, si la vie agit sans interruption, et que son action soit toujours nouvelle ; cÕest-ˆ-dire, si elle cro”t ou dŽcro”t sans cesse dans les Etres corporels et sujets ˆ la destruction, quelle autre Loi que celle de la Progression gŽomŽtrique ascendante ou descendante saurait convenir ˆ la Nature ?

En effet, la Progression arithmŽtique en est entirement bannie, parce quÕelle est stŽrile et quÕelle ne peut embrasser que des faits bornŽs ou des rŽsultats toujours Žgaux et toujours uniformes. Aussi les hommes ne devraient-ils jamais lÕappliquer quՈ des objets morts, ˆ des divisions fixes, ou ˆ des assemblages immobiles ; et quand ils ont voulu lÕemployer pour dŽsigner les actions simples et vivantes de la Nature, comme celles de lÕAir, celles qui produisent la chaleur et le froid, et toutes les autres causes des rŽvolutions de lÕAtmosphre, leurs rŽsultats ou leurs divisions, ont ŽtŽ trs vicieuses, en ce quÕelles ont donnŽ ˆ la multitude, une idŽe fausse du Principe de vie ou dÕaction corporelle, dont la mesure nՎtant point sensible, ne peut, sans la plus grossire mŽprise, se tracer sur la Matire.

Nous nÕinduirons donc personne en erreur, en donnant la Progression gŽomŽtrique quaternaire, comme Žtant le principe de la vie des Etres, ou en assurant que le nombre' de toute action est quatre, quelque inconnu que soit ce langage.

Du nombre de lՎtendue

Mais ce que nous nÕavons point encore fixŽ, cÕest de savoir quel est le nombre de lՎtendue. Il faut donc le dire, cÕest ce mme nombre neuf qui a ŽtŽ appliquŽ ci-devant ˆ la ligne circulaire. Oui, la ligne circulaire et lՎtendue ont un tel rapport, elles sont tellement insŽparables, quÕelles portent absolument le mme nombre, qui est neuf.

Si elles ont le mme nombre, elles ont nŽcessairement la mme mesure et le mme poids ; car ces trois principes marchant toujours dÕaccord, lÕun ne peut tre dŽterminŽ, quÕil ne dŽtermine Žgalement les deux autres.

De la ligne circulaire

Effectivement, quelque nouveau que cela doive para”tre, je ne puis me dispenser dÕavouer que lՎtendue et la ligne circulaire ne sont quÕune mme chose ; cÕest-ˆ-dire, quÕil nÕy a dՎtendue que par la ligne circulaire, et rŽciproquement quÕil nÕy a que la ligne circulaire qui soit corporelle et sensible ; cÕest-ˆ-dire, enfin, que la Nature matŽrielle et Žtendue ne peut tre formŽe que de lignes qui ne sont pas droites, ou, ce qui est la mme chose, quÕil nÕy a pas une seule ligne droite dans la Nature, comme on le verra ci-aprs.

Je nÕai quÕun mot ˆ dire avant dÕen venir lˆ, qui est que si les Observateurs eussent examinŽ ceci de plus prs, ils auraient rŽsolu depuis longtemps une question qui nÕest pas encore clairement dŽcidŽe parmi eux, savoir, si la gŽnŽration et la reproduction se font par des Ïufs, ou par des vers ou Animaux spermatiques ; ils auraient vu que rien nՎtant sans enveloppe ici-bas, et toute enveloppe, ou toute Žtendue, Žtant circulaire, tout est ver dans la Nature, parce que tout est Ïuf ; et rŽciproquement tout est Ïuf, parce que tout est ver. Je reviens ˆ mon sujet. Il ne suffit pas, je le sais, dÕavoir exclus de la Nature, la ligne droite, il faut exposer les raisons qui mÕy dŽterminent.

Premirement, si nous suivons lÕorigine de toutes les choses sensibles et matŽrielles, nous ne pourrons nier que le Principe des Etres corporels ne soit le Feu, mais que leur corporisation ne vienne de lÕEau, et quÕainsi les Corps ne commencent par le fluide.

En second lieu, nous ne pourrons nier aussi que ce fluide ne soit le principe qui opre la dissolution des Corps, et quÕensuite le Feu nÕen opre la rŽintŽgration, puisquÕune des plus belles Lois de la VŽritŽ est que lÕordre direct et lÕordre inverse aient un cours uniforme en sens contraire.

Mais tout fluide nÕest quÕun assemblage de particules sphŽriques ; et cÕest mme la forme sphŽrique de ces particules qui donne au fluide la propriŽtŽ quÕil a de sՎtendre et de circuler. Alors, si les Corps prennent lˆ leur naissance, il est donc constant quÕils doivent conserver dans leur Žtat de perfection, la mme forme quÕils ont reue ˆ leur origine, comme ils la reprŽsentent encore dans leur dissolution en particules fluides et sphŽriques et par cette raison les Corps doivent se considŽrer comme un assemblage de ces mmes globules sphŽriques, mais qui ont pris de la consistance, en proportion de ce que leur Feu a plus ou moins dessŽchŽ la partie grossire de leur humide. A quelque degrŽ que lÕon porte cet assemblage de globules sphŽriques, il est donc Žvident que le rŽsultat sera toujours sphŽrique et circulaire comme son principe.

Veut-on se convaincre matŽriellement de ce que jÕavance ? Que lÕon fixe avec attention les corps dont les dimensions nous paraissent droites, observons les surfaces les plus unies ; chacun sait quÕon nÕy pourra dŽcouvrir quÕinŽgalitŽs, quՎlŽvations et quÕenfoncements ; chacun sait, dis-je, ou doit savoir que les surfaces des Corps, vues de prs, nÕoffrent aux yeux quÕune multitude de sillons.

Mais ces sillons eux-mmes ne sont composŽs que de ces inŽgalitŽs, et ceci ˆ lÕinfini, et tant que nos yeux ou les instruments dont nous les aidons pourront sՎtendre, nous ne verrons jamais, soit dans les surfaces des Corps, soit dans les sillons quÕelles nous prŽsentent, quÕune rŽunion de plusieurs particules sphŽriques qui ne se touchent que par un point de leur surface.

QuÕon examine donc alors sÕil est possible dÕy admettre de ligne droite.

De la ligne droite

QuÕon ne mÕobjecte pas cet intervalle qui existe entre deux points donnŽs, et entre lesquels on peut supposer une ligne droite qui correspondent de lÕun ˆ lÕautre.

Premirement, ces deux points, ainsi sŽparŽs, ne sont plus censŽs faire corps ensemble. Ainsi la ligne droite quÕon supposerait ente eux, serait purement dans la pensŽe, et ne pourrait pas tre conue comme corporelle et sensible. Secondement, cet intervalle, qui les sŽpare, est lui-mme rempli de particules mercurielles aŽriennes, qui Žtant sphŽriques, comme celles des autres Corps, ne pourraient jamais se toucher que par leur surface ; ainsi cet intervalle serait corps, et par cette raison sujet aux mmes inŽgalitŽs que les Corps ; ce qui sÕaccorde entirement avec ce qui a ŽtŽ dit prŽcŽdemment sur les principes de la Matire, qui, malgrŽ leur union, ne sauraient jamais se confondre.

NÕy ayant donc aucune continuitŽ dans les corps, tout y Žtant successif et interrompu, il est impossible dans aucun sens dÕy supposer et dÕy reconna”tre de lignes droites.

Outre les raisons que nous venons de voir, il en est dÕautres qui viennent ˆ lÕappui, et qui confirment lՎvidence de ce Principe. Je me suis dŽcidŽ ˆ convenir que le nombre quatre Žtait le nombre de la ligne droite ; jÕai vu depuis, de concert avec tous les Observateurs, que le nombre quatre Žtait aussi celui qui dirigeait toute espce de mouvement quelconque ; il y a donc une grande analogie entre le principe du mouvement et la ligne droite, puisque nous leur voyons porter le mme nombre, puisque dÕailleurs nous avons reconnu que dans ce mouvement rŽsidait la source et lÕaction des choses corporelles et sensibles, et quÕen mme temps nous avons vu que la ligne droite Žtait lÕemblme de lÕinfinitŽ et de la continuitŽ des productions du point dont elle Žmane.

Or jÕai assez dŽmontrŽ que le mouvement, quoique produisant les choses corporelles et sensibles, ou lՎtendue, ne saurait cependant jamais appartenir en propre ˆ cette mme Žtendue, ni en dŽpendre ; alors donc, si la ligne droite a le mme nombre que ce mouvement, elle doit avoir la mme Loi et la mme propriŽtŽ ; cÕest-ˆ-dire, que quoiquÕelle dirige les choses corporelles et Žtendues, jamais elle ne pourra se mŽlanger avec elles, ni sÕy confondre et devenir sensible, puisque le principe ne peut se confondre avec sa production.

Ce sont toutes ces raisons rŽunies, qui doivent empcher de jamais admettre de ligne droite dans la Nature corporelle.

 

De la quadrature du cercle

Rappelons donc ici tous nos principes ; le nombre quatre est celui du mouvement, cÕest celui de la ligne droite, en un mot, cÕest le nombre de tout ce qui nÕest pas corporel et sensible. Le nombre neuf est celui de lՎtendue et de la ligne circulaire, qui constitue universellement lՎtendue, cÕest-ˆ-dire, quÕil est le nombre des corps et de toutes les parties des corps ; car il faut absolument regarder la ligne circulaire comme la production nŽcessaire du mouvement qui se fait dans le temps.

Ce sont lˆ les deux seules et uniques Lois que nous puissions reconna”tre, et avec elles nous pouvons sans doute embrasser tout ce qui existe, puisquÕil nÕy a rien qui ne soit, ou dans lՎtendue, ou hors de lՎtendue, qui ne soit passif ou actif, rŽsultat ou Principe, passager ou immuable, corporel ou incorporel, pŽrissable ou indestructible.

Prenant donc ces deux Lois pour guides, nous reviendrons ˆ la manire dont nous avons vu que les GŽomtres avaient considŽrŽ les deux seules sortes de lignes possibles, la droite et la courbe ; et nous jugerons sÕil est vrai que le cercle soit, comme ils le prŽtendent, un assemblage de lignes droites, puisquÕau contraire, il nÕy a pas de ligne droite, prise dans le corporel, qui ne soit un assemblage de lignes courbes.

CÕest pourtant, faute dÕavoir discernŽ les diffŽrents nombres de ces deux diffŽrentes lignes, que depuis son exil lÕhomme cherche ˆ les concilier, ou ce qui est la mme chose, t‰che de dŽcouvrir ce que lÕon nomme la quadrature du cercle ; car, avant sa chute, connaissant la nature des Etres, il ne se serait pas consumŽ en efforts inutiles, et ne se serait pas livrŽ ˆ la recherche dÕune dŽcouverte dont il ežt Žvidemment connu lÕimpossibilitŽ ; il nÕežt ŽtŽ ni assez aveugle, ni assez imprudent, pour vouloir rapprocher des principes aussi diffŽrents que ceux de la ligne droite et de la ligne courbe ; en un mot, il ne fžt jamais venu ˆ sa pensŽe de croire pouvoir changer la nature des Etres, et de faire en sorte que neuf valžt quatre, ou que quatre valžt neuf ; ce qui est ˆ la lettre lÕobjet de lՎtude et de lÕoccupation des GŽomtres.

QuÕon essaie en effet de concilier ces deux nombres, comment y parviendra-t-on ; comment adapter neuf avec quatre, comment diviser neuf par quatre, ou, ce qui est la mme chose, partager neuf en quatre parties sans y admettre de fractions, qui, selon ce quÕon a vu, ne peuvent se trouver dans les Principes naturels des choses, quoiquÕelles puissent sÕopŽrer sur leurs rŽsultats, qui, ne sont que des assemblages ? Car, aprs avoir trouvŽ deux pour quotient, ne nous resterait-il pas toujours une UnitŽ, quÕil faudrait diviser Žgalement par ce mme nombre quatre ?

Nous voyons donc que cette quadrature est impraticable en figure, ou dans le corporel et le sensible, et quÕelle ne saurait jamais avoir lieu quÕen nombre et immatŽriellement ; cÕest-ˆ-dire, en admettant le Centre qui est corporel et Quaternaire, comme on en sera convaincu dans peu. Je laisse donc ˆ penser ˆ prŽsent si cette quadrature est admissible, de la manire dont les hommes sÕen occupent ; si lÕimpossibilitŽ nÕen est pas Žvidemment dŽmontrŽe, et si alors nous devons tre ŽtonnŽs quÕon nÕait encore rien trouvŽ sur cet objet ; car, en fait de VŽritŽ, une approximation, ou rien, cÕest la mme chose.

De la longitude

Il en faut dire autant de la longitude, quÕun si grand nombre dÕhommes cherche sur la surface terrestre avec tant dՎmulation ; et pour en juger, il sera suffisant dÕobserver la diffŽrence qui existe entre la longitude et la latitude. La latitude est horizontale et va du Sud au Nord. Or, comme ce Sud nÕest dŽsignŽ par aucun des points imaginaires, inventŽs par les Astronomes pour nous expliquer lÕUnivers, mais trs certainement par le Soleil, dont le Midi vertical varie, en sՎlevant ou en sÕabaissant chaque jour par rapport au jour prŽcŽdent, il suit que cette latitude est nŽcessairement circulaire et variable, et comme telle, elle porte le nombre neuf dÕaprs tous les principes qui viennent dՐtre Žtablis.

Au contraire, la longitude est perpendiculaire, et vient de lÕEst qui est toujours au mme point dՎlŽvation, quoique cet Est se montre chaque jour ˆ diffŽrents points de lÕhorizon. Ainsi la longitude Žtant fixe et toujours la mme, est lÕimage rŽelle de la ligne droite, et par consŽquent porte le nombre quatre. Or nous venons de voir lÕincompatibilitŽ des deux nombres quatre et neuf ; comment est-il donc possible de trouver le perpendiculaire dans lÕhorizontal, comment assimiler le supŽrieur ˆ lÕinfŽrieur, comment enfin dŽcouvrir lÕEst sur la surface terrestre, puisquÕil nÕest pas dans sa RŽgion ?

Quand jÕai dit que lÕEst Žtait fixe, on a bien vu que je ne parlais pas de celui que donne le lever du Soleil, puisquÕil change tous les jours. DÕailleurs lÕespce de longitude, que le Soleil donne de cette manire, nÕest toujours quÕhorizontale par rapport ˆ nous, comme la latitude, et par cela seul trs dŽfectueuse.

Mais je parle du vŽritable Est dont le lever du Soleil nÕest que le signe indicatif, et qui se manifeste visiblement et plus juste dans lÕaplomb et la perpendiculaire ; de cet Est, qui par son nombre quatre, peut seul embrasser tout lÕespace, puisquÕen se joignant au nombre neuf ou celui de lՎtendue, cÕest-ˆ-dire, unissant lÕactif au passif, il forme le nombre treize, qui est le nombre de la Nature.

Il nÕest donc pas plus possible de trouver cette longitude sur la Terre, que de concilier la ligne droite avec la ligne courbe, et que de trouver la mesure de lՎtendue et le mouvement dans lՎtendue ; nouvelle preuve de la vŽritŽ des principes que nous avons exposŽs.

Du calcul solaire et lunaire

Nous devons appliquer encore cette Loi ˆ une autre observation, et dire que cÕest par la raison de cette mme diffŽrence du nombre quatre au nombre neuf, quÕon nÕa pu jusquՈ prŽsent et quÕon ne pourra jamais faire quadrer juste le calcul Lunaire avec le calcul Solaire. Car la Lune est neuvaire, comme Žtant attachŽe ˆ la Terre qui nÕa que des courbes en latitude ; le Soleil, au contraire, quoique dŽsignant la latitude par le Sud, est nŽanmoins dans son Est terrestre, ou dans le lieu de son lever, lÕimage du principe de la longitude, ou de la ligne droite, et comme tel il est quaternaire. DÕailleurs il est clairement distinct de la rŽgion de la Terre, ˆ laquelle il communique la rŽaction ˆ sa facultŽ vŽgŽtative, nouvel indice de son activitŽ quaternaire ; en un mot, son quaternaire se manifeste sur la Lune mme par les quatre phases que nous apercevons sur elle, et qui se dŽterminent par ses diffŽrentes positions par rapport au Soleil dont elle reoit la lumire.

Ainsi appliquant ˆ cet exemple le principe qui nous occupe pour le prŽsent, on verra clairement pourquoi le calcul Solaire et le calcul Lunaire sont incompatibles, et que le vrai moyen de parvenir ˆ la connaissance des choses, est de commencer par ne pas les confondre, mais de les suivre et de les examiner chacune selon le nombre et les Lois qui leur sont propres.

Des systmes astronomiques

Que ne mÕest-il permis de mՎtendre plus au long, sur ce nombre neuf que jÕattribue ˆ la Lune, et par consŽquent ˆ la Terre dont elle est le Satellite ? Je montrerais par le nombre de cette Terre, quel est son emploi et sa destination dans lÕUnivers ; cela pourrait mme nous donner des indices sur la vŽritable forme quÕelle porte, et rŽpandre encore plus de jour sur le systme actuel qui ne lÕadmet pas comme immobile, mais, au contraire, comme parcourant un trs grand orbite.

Car les Astronomes se sont peut-tre un peu trop pressŽs dans leurs jugements ; et avant de donner toute leur confiance ˆ leurs observations, ils auraient dž examiner lequel parmi les Etres corporels doit agir le plus, ou de celui qui donne la rŽaction, ou de celui qui la reoit ; si le feu nÕest pas le plus mobile des ElŽments, et le sang plus agile que les corps dans lesquels il circule ; ils auraient dž penser que la Terre, quoique nÕoccupant pas le centre des orbites des Astres, pouvait cependant leur servir de RŽcipient, et ds lors devant recevoir et attendre leurs influences, sans tre forcŽe dÕajouter une seconde action corporelle, ˆ lÕaction vŽgŽtative qui lui est propre, et dont ces Astres sont privŽs.

Enfin les plus simples expŽriences sur le C™ne, leur auraient prouvŽ la vraie forme de la Terre ; et nous pourrions leur offrir, dans la destination de cette mme Terre, dans le rang quÕelle occupe parmi les Etres crŽŽs, et dans les propriŽtŽs de la perpendiculaire ou de la ligne droite, des difficultŽs insurmontables, et que leurs systmes ne pourraient rŽsoudre.

Il arriverait peut-tre aussi que ces difficultŽs ne seraient pas senties, parce que lÕAstronomie sÕest isolŽe comme toutes les Sciences o lÕhomme a mis la main, quÕelle a considŽrŽ la Terre, ainsi que chacun des corps cŽlestes, comme des Etres distincts, et sans liaison les uns aux autres ; en un mot, parce que lÕhomme a agi lˆ aussi inconsidŽrŽment que dans tout le reste, cÕest-ˆ-dire, quÕil nÕa point portŽ la vue sur le principe de lÕexistence de tous ces corps, sur celui de leurs Lois et de leur destination, et que par cette raison il ne conna”t pas encore quel en est le premier objet.

De la Terre

Bien plus, cÕest par un motif louable en apparence, quÕil a cherchŽ ˆ ravaler la Terre, en la comparant ˆ lÕimmensitŽ et ˆ la grandeur des Astres ; il a eu la faiblesse de croire que cette Terre nՎtant quÕun point dans lÕUnivers, mŽritait peu lÕattention de la premire Cause ; quÕil serait contre la vraisemblance que cette Terre fžt au contraire ce quÕil y a de plus prŽcieux dans la crŽation, et que tout ce qui existe autour ou au-dessus dÕelle, lui v”nt apporter son tribut ; comme si cՎtait sur une mesure sensible, que lÕAuteur des choses džt Žvaluer ses Ouvrages, et que leur prix ne fžt pas plut™t dans la noblesse de leur emploi et dans leurs propriŽtŽs, que dans la grandeur de lÕespace et de lՎtendue quÕils occupent.

CÕest peut-tre cette fausse combinaison qui aura conduit lÕhomme ˆ cette autre combinaison plus fausse encore, par laquelle il affecte de ne se pas croire digne lui-mme des regards de son Auteur ; il a cru nՎcouter que lÕhumilitŽ, en refusant dÕadmettre que cette Terre mme, et tout ce que lÕUnivers contient nՎtaient faits que pour lui ; il a feint de craindre de trop Žcouter son orgueil, en se livrant ˆ cette pensŽe.

Mais il nÕa pas craint lÕindolence et la l‰chetŽ qui suivent nŽcessairement de cette feinte modestie ; et si lÕhomme Žvite de se regarder aujourdÕhui comme devant tre le Roi de lÕUnivers, cÕest quÕil nÕa pas le courage de travailler ˆ en retrouver les Titres, que les devoirs lui en paraissent trop fatigants, et quÕil craint moins de renoncer ˆ son Žtat et ˆ tous ses droits, que dÕentreprendre de les remettre dans leur valeur. Cependant, sÕil voulait un instant sÕobserver lui-mme, il verrait bient™t quÕil devrait mettre son humilitŽ, ˆ avouer quÕil est avec raison au dessous de son rang, mais non ˆ se croire dÕune nature ˆ nÕavoir jamais pu lÕoccuper, ni ˆ ne pouvoir jamais y rentrer.

De la pluralitŽ des mondes

Que ne puis-je donc, je le rŽpte, me livrer ˆ tout ce que jÕaurais ˆ dire sur ces matires ? Que ne puis-je montrer les rapports qui se trouvent entre cette Terre et le corps de lÕhomme, qui est formŽ de la mme substance, puisquÕil en est provenu ? Si mon plan me le permettait, je prendrais dans leur analogie incontestable, le tŽmoignage de lÕuniformitŽ de leurs Lois, et de leurs proportions, dÕo il serait aisŽ de voir quÕils ont lÕun et lÕautre le mme but ˆ remplir.

Ce serait mme lˆ, o lÕon apprendrait pourquoi jÕai enseignŽ au commencement de cet Ouvrage, que lÕhomme Žtait si fort intŽressŽ ˆ maintenir son corps en bon Žtat ; parce que sÕil est fait ˆ lÕimage de la Terre, et que la Terre soit le fondement de la crŽation corporelle, il ne peut conserver sa ressemblance avec elle, quÕen rŽsistant comme elle aux forces qui la combattent continuellement. On y verrait aussi que cette Terre lui doit tre respectable comme sa mre, et quՎtant, aprs la Cause intelligente et lÕhomme, le plus puissant des Etres de la Nature temporelle, elle est elle-mme la preuve quÕil nÕexiste pas dÕautres Mondes corporels que celui qui nous est visible.

Car cette opinion de la pluralitŽ des Mondes, est encore prise dans la mme source de toutes les erreurs humaines ; cÕest pour vouloir tout sŽparer, tout dŽmembrer, que lÕhomme suppose une multitude dÕautres Univers, dont les Etoiles sont les Soleils, et qui nÕont pas plus de correspondance entre eux, quÕavec le Monde que nous habitons ; comme si cette existence ˆ part Žtait compatible avec lÕidŽe que nous avons de lÕUnitŽ ; et comme si, en qualitŽ dÕEtre intellectuel, dans le cas que ces Mondes supposŽs existassent, lÕhomme nÕen aurait pas la connaissance.

Alors, sÕil peut et doit avoir la connaissance de tout ce qui existe, il faut nŽcessairement que rien ne soit isolŽ, et que tout se tienne ; puisque cÕest avec un seul et mme principe que lÕhomme embrasse tout et quÕil ne le pourrait avec ce seul et mme principe, si tous les Etres crŽŽs corporellement nՎtaient pas semblables entre eux et de la mme nature.

Oui, sans doute, il y a plusieurs Mondes, puisque le plus petit des Etres en est un, mais tous tiennent ˆ la mme cha”ne et comme lÕhomme a le droit de porter la main jusquÕau premier anneau de cette cha”ne, il ne saurait en approcher, quÕil ne touche ˆ la fois tous les Mondes.

On verrait de plus dans le tableau des propriŽtŽs de la Terre, que pour le bien-tre de lÕhomme, soit sensible, soit intellectuel, elle est une source fŽconde et inŽpuisable ; quÕelle rassemble toutes les proportions, tant numŽriques que de figure ; quÕelle est le premier point dÕappui que lÕhomme a rencontrŽ dans sa chute, et quÕen cela il ne saurait trop en priser lÕimportance, puisque sans elle il serait tombŽ beaucoup plus bas.

Du nombre neuvaire

Que serait-ce donc si jÕosais parler du Principe qui lÕanime, et en qui rŽsident toutes les facultŽs de vŽgŽtation et autres vertus que je pourrais exposer ? CÕest bien alors que les hommes apprendraient ˆ avoir de la vŽnŽration pour elle, quÕils sÕoccuperaient davantage de sa Culture et quÕils la regarderaient comme lÕentrŽe de la route quÕils ont ˆ parcourir pour retourner au lieu qui leur a donnŽ la naissance.

Mais je nÕen ai peut-tre dŽjˆ que trop dit sur ces objets, et si jÕallais plus loin, je craindrais dÕusurper des droits qui ne mÕappartiennent pas. Je reviens donc aux nombres quatre et neuf, que jÕai annoncŽs comme Žtant propres, lÕun ˆ la ligne droite, et lÕautre ˆ la ligne courbe ; comme Žtant aussi lÕun le nombre du mouvement, ou de lÕaction, et lÕautre celui de lՎtendue ; car il se pourrait que ces nombres parussent supposŽs et imaginaires.

Il est ˆ propos que je fasse voir pour quelle raison je les emploie, et pourquoi je prŽtends quÕils conviennent chacun naturellement aux lignes auxquelles je les ai attribuŽs ; commenons par le nombre neuf, ou celui de la ligne circulaire et de lՎtendue.

Sans doute, quÕil ne rŽpugnera ˆ personne de considŽrer une circonfŽrence comme un zŽro ; car quelle figure peut plus que le zŽro ressembler ˆ une circonfŽrence ? Il rŽpugnera moins encore dÕen regarder le centre comme une UnitŽ, puisquÕil est impossible que pour une circonfŽrence, il y ait plus dÕun centre ; tout le monde sait aussi quÕune UnitŽ jointe ˆ un zŽro donne dix, en cette sorte 10. Ainsi nous pouvons envisager le cercle entier, comme faisant dix ou 10, cÕest-ˆ-dire le centre avec la circonfŽrence.

Mais nous pouvons Žgalement regarder le cercle entier, comme un Etre corporel dont la circonfŽrence est la forme ou le corps, et dont le centre est le Principe immatŽriel. Or nous avons vu avec assez de dŽtail, quÕon ne devait jamais confondre ce Principe immatŽriel avec la forme corporelle et Žtendue ; que quoique ce soit sur leur union quÕest fondŽe lÕexistence de la Matire, cependant cՎtait une erreur impardonnable de les prendre pour le mme Etre, et que lÕintelligence de lÕhomme pouvait toujours les sŽparer.

Alors, sŽparer ce Principe de sa forme corporelle, nÕest-ce pas la mme chose que de sŽparer le centre de sa circonfŽrence, et par consŽquent la mme chose que dՙter lÕunitŽ 1 du denaire 10. Mais, si on ™te une unitŽ du dŽnaire 10, il est bien certain quÕil ne restera plus que neuf en nombre ; cependant il nous restera en figure le zŽro, 0, ou la ligne circulaire, ou enfin la circonfŽrence. Que lÕon voie donc ˆ prŽsent, si le nombre neuf et la circonfŽrence ne se conviennent pas lÕun ˆ lÕautre, et si nous avons eu tort de donner ce nombre neuf ˆ toute Žtendue, puisque nous avons prouvŽ que toute Žtendue Žtait circulaire.

Que lÕon voie aussi, dÕaprs le rapport existant entre le zŽro, qui est comme nul par lui-mme, et le nombre neuf, ou celui de lՎtendue, si lÕon aurait dž bl‰mer si lŽgrement ceux qui ont prŽtendu que la Matire nՎtait quÕapparente.

Je sais que la plupart des GŽomtres, regardant le nombre des caractres dÕArithmŽtique, comme dŽpendant de la convention de lÕhomme, prendront peu de confiance ˆ la dŽmonstration prŽsente ; je sais mme quÕil en est parmi eux qui ont essayŽ de porter jusquՈ vingt, le nombre de ces caractres, pour faciliter les opŽrations de calcul.

Mais, premirement, si plusieurs Nations ont des caractres dÕArithmŽtique, qui ne proviennent que de leur convention, les caractres Arabes doivent en tre exceptŽs, parce quÕils sont fondŽs sur les Lois et la nature des choses sensibles, qui aussi bien que les choses intellectuelles, ont des signes numŽriques qui leur sont propres.

Secondement, comme les GŽomtres ignorent entirement les Lois et les propriŽtŽs des Nombres, ils nÕont pas vu quÕen les multipliant au-delˆ de dix, ils dŽnaturaient tout, et voulaient donner aux Etres un Principe qui nՎtait pas simple, et qui nÕoffrait point dÕUnitŽ ; ils nÕont pas vu que lÕUnitŽ Žtant universelle, la somme de tous les Nombres devait principalement nous retracer son image, afin que se montrant aussi rŽelle et aussi inaltŽrable dans ses productions que dans son Essence, cette UnitŽ ežt ˆ nos hommages des droits invincibles, et que lÕhomme fžt inexcusable, sÕil venait ˆ les mŽconna”tre. Ils nÕont pas vu, dis je, que le nombre dix Žtait celui qui portait le plus parfaitement cette empreinte, et quÕainsi la volontŽ de lÕhomme ne pourrait jamais Žtendre au delˆ de dix, les signes des nombres ou des Lois de lÕUnitŽ.

Aussi lÕexpŽrience a pleinement confirmŽ ce principe, et les moyens quÕon avait pris pour le combattre, sont demeurŽs sans aucun succs. Je ne puis donc entreprendre sa dŽfense, et attribuant le nombre un ou lÕUnitŽ, au centre, attribuer le nombre neuf ˆ la circonfŽrence ou ˆ lՎtendue.

De la division du cercle

Je ne rappellerai point ici ce que jÕai dit de lÕunion des trois ElŽments fondamentaux, qui se trouvent toujours tous les trois ensemble dans chacune des trois parties des corps ; par o lÕon trouvera facilement un rapport certain du Nombre neuf ˆ la Matire, ou ˆ lՎtendue circulaire ; je ne dirai rien non plus de la formation du cube, soit algŽbrique, soit arithmŽtique, qui, lorsque les facteurs nÕont que deux termes, ne peut avoir lieu que par neuf opŽrations, puisque parmi les dix, quÕon y devrait compter ˆ la rigueur, la seconde et la troisime ne sont quÕune rŽpŽtition lÕune de lÕautre, et ds lors doivent se considŽrer comme ne faisant quÕun.

Mais jÕappuierai le principe que jÕai Žtabli, de quelques observations sur la mesure et la division du cercle ; car il est faux de dire que ce sont les GŽomtres qui lÕont divisŽ en trois cent soixante degrŽs, comme Žtant la division la plus commode, et celle qui se prtait le plus facilement ˆ toutes les opŽrations du calcul.

Cette division du cercle en trois cent soixante degrŽs, nÕest point du tout arbitraire ; cÕest la Nature mme qui nous la donne, puisque le cercle nÕest composŽ que de triangles, et quÕil y a six de ces triangles ŽquilatŽraux, dans toute lՎtendue de ce mme cercle.

QuÕon suive donc, si lÕon a des yeux, lÕordre naturel de ces nombres, quÕon y joigne le produit qui est la circonfŽrence ou le zŽro, et quÕon voie si ce sont les hommes qui ont Žtabli ces divisions.

Faut-il exposer moi-mme lÕordre naturel de ces nombres ? Toute production quelconque est ternaire, trois. Il y a six de ces productions parfaites dans un cercle, ou six triangles ŽquilatŽraux, six. Enfin la circonfŽrence elle-mme complte lÕÏuvre, et donne neuf ou zŽro,

0. Si lÕon veut donc rŽduire en chiffres tous ces Nombres, nous aurons premirement 3, secondement 6, et enfin 0, lesquels rŽunis donneront 360.

QuÕon fasse ensuite telles multiplications quÕon voudra, sur les Nombres que nous venons de reconna”tre comme constituant le cercle ; alors, comme tous les rŽsultats en seront neuvaires, on ne doutera plus de lÕuniversalitŽ du nombre neuf dans la Matire.

On ne doutera pas non plus de lÕimpuissance de ce nombre, quand on rŽflŽchira quÕavec quelque nombre quÕon le joigne, il nÕen altre jamais la nature ; ce qui, pour ceux qui en auront la clef, sera une preuve frappante de ce que nous avons dit, que la forme ou lÕenveloppe pouvait varier, sans que son Principe immatŽriel cess‰t dՐtre immuable et indestructible.

Du cercle artificiel

CÕest par ces observations simples et naturelles, que lÕon peut parvenir ˆ apercevoir lՎvidence du principe que jÕexpose. CÕest-lˆ en mme temps, un des moyens qui peuvent indiquer aux hommes, comment on doit procŽder pour lire dans la nature des Etres ; car toutes leurs Lois sont Žcrites sur leur enveloppe, dans leur marche, et dans les diffŽrentes rŽvolutions o leur cours les assujettit.

Par exemple, cÕest pour nÕavoir pas distinguŽ la circonfŽrence naturelle dÕavec la circonfŽrence artificielle, quÕest venue lÕerreur que jÕai relevŽe plus haut sur la manire dont on avait considŽrŽ la circonfŽrence jusquՈ prŽsent, cÕest-ˆ-dire, comme un assemblage dÕune infinitŽ de points rŽunis par des lignes droites. Il est vrai que la circonfŽrence que lÕhomme dŽcrit ˆ lÕaide du compas, ne peut se former que successivement ; et dans ce sens on peut la regarder comme lÕassemblage de plusieurs points, qui nՎtant marquŽs que lÕun aprs lÕautre, ne sont pas censŽs avoir entre eux dÕadhŽrence ou de continuitŽ ; ce qui fait que lÕimagination y a supposŽ des lignes droites pour les rassembler.

Du cercle naturel

Mais outre que jÕai fait voir en son lieu, que mme dans ces cas-lˆ, la ligne de rŽunion que lÕon admettrait ne serait pas droite, puisque sensiblement il nÕy en a point qui le soit, il ne faut quÕexaminer la formation du cercle naturel, pour reconna”tre la faussetŽ des dŽfinitions quÕon nous donne gŽnŽralement de la ligne circulaire.

Le cercle naturel cro”t ˆ la fois, dans tous les sens ; il occupe et remplit toutes les parties de sa circonfŽrence, car ce nÕest que dans lÕordre sensible et par les yeux de notre Matire, que nous apercevons des inŽgalitŽs nŽcessaires dans les formes corporelles, parce quÕelles ne sont que des assemblages ; au lieu que par les yeux de notre facultŽ intellectuelle, nous voyons partout la mme force et la mme puissance, et nous nÕapercevons plus ces inŽgalitŽs, parce que nous sentons que lÕaction du Principe doit tre pleine et uniforme ; sans cela il serait lui-mme exposŽ : et soit dit en passant, cÕest lˆ ce qui fait tomber toutes ces disputes scholastiques et puŽriles sur le vide ; les yeux bornŽs du corps de lÕhomme doivent en trouver ˆ tous les pas, parce quÕils ne peuvent lire que dans lՎtendue ; sa pensŽe nÕen conoit nulle part, parce quÕelle lit dans le Principe, quÕelle voit que ce Principe agit partout, quÕil remplit nŽcessairement tout, puisque la rŽsistance doit tre universelle comme la pression.

On ne peut donc comparer en rien le cercle naturel avec le cercle artificiel, puisque le cercle naturel se crŽe tout ensemble, par la seule explosion de son centre ; au lieu que le cercle artificiel ne commence que par la fin qui est le triangle ; car tout le monde sait, ou doit savoir, que le compas dont on tient une des pointes immobile, ne peut faire avec lÕautre un seul pas, sans prŽsenter un triangle.

Du nombre quaternaire

Venons actuellement aux raisons pour lesquelles le Nombre quatre est celui de la ligne droite.

Je dirai avant tout, que je nÕemploie pas ici ce mot de ligne droite, dans le sens quÕil a, selon le langage reu, par lequel on exprime cette Žtendue qui para”t avoir ˆ nos yeux le mme alignement ; et en effet, ayant dŽmontrŽ quÕil nÕy avait point de ligne droite dans la Nature sensible, je ne pourrais adopter lÕopinion vulgaire ˆ cet Žgard, sans tenir une marche contradictoire avec tout ce que jÕai Žtabli. Je regarderai donc seulement la ligne droite comme Principe, et comme telle, Žtant distinguŽe de lՎtendue.

NÕavons-nous pas vu que le cercle naturel croissait en mme temps dans tous les sens, et que le centre jetait ˆ la fois hors de lui-mme la multitude innombrable et intarissable de ses rayons ? Chacun de ces rayons nÕest-il pas regardŽ comme une ligne droite dans le sens matŽriel ? Et vŽritablement, par sa rectitude apparente et par la facultŽ quÕil a de pouvoir se prolonger ˆ lÕinfini, il est lÕimage rŽelle du Principe GŽnŽrateur, qui produit sans cesse hors de lui, et qui ne sՎcarte jamais de sa Loi.

Nous avons vu en outre, que le cercle nՎtait lui-mme quÕun assemblage de triangles, puisque nous nÕavons reconnu partout que trois principes dans les corps, et que le cercle est corps. Or, si ce rayon, si cette ligne droite en apparence, si enfin lÕaction de ce Principe gŽnŽrateur ne peut se manifester que par une production ternaire, nous nÕaurions quՈ rŽunir le nombre de lÕunitŽ du centre, ou de ce Principe gŽnŽrateur, au nombre ternaire de sa production, avec laquelle il est liŽ pendant lÕexistence de lÕEtre corporel, et nous aurions dŽjˆ un indice du quaternaire que nous cherchons dans la ligne droite, selon lÕidŽe que nous en avons donnŽe.

Mais pour quÕon ne croie pas que nous confondons actuellement ce que nous avons distinguŽ avec tant de soin, savoir, le centre qui est immatŽriel, avec la production, ou le triangle qui est matŽriel et sensible, il faut quÕon se rappelle ce qui a ŽtŽ dit sur les Principes de la Matire. JÕai fait voir assez clairement que quoiquÕils produisent la Matire, ils sont cependant immatŽriels eux-mmes ; alors, pris comme tels, il est facile de concevoir une liaison intime du centre, ou du Principe gŽnŽrateur, avec les Principes secondaires ; et comme les trois c™tŽs du triangle, ainsi que les trois dimensions des formes, nous ont indiquŽ sensiblement, que ces Principes secondaires ne sont quÕau nombre de trois, leur union avec le centre nous offre lÕidŽe la plus parfaite de notre quaternaire immatŽriel.

De plus, comme cette manifestation quaternaire nÕa lieu que par lՎmanation du rayon hors de son centre ; que ce rayon, qui se prolonge toujours en ligne droite, est lÕorgane et lÕaction du Principe central ; que la ligne courbe, au contraire, ne produit rien ; et quÕelle borne toujours lÕaction et la production de la ligne droite ou du rayon ; nous ne pouvons rŽsister ˆ cette Žvidence ; et nous appliquons sans crainte le nombre quatre ˆ la ligne droite ou au rayon qui la reprŽsente, puisque cÕest la ligne droite et le rayon seul qui peuvent nous donner la connaissance de ce Nombre.

Voilˆ la route par laquelle lÕhomme peut parvenir ˆ distinguer la forme et lÕenveloppe corporelle des Etres, dÕavec leurs Principes immatŽriels, et par-lˆ se faire une idŽe assez juste de leurs diffŽrents nombres, pour Žviter la confusion et marcher avec assurance dans le sentier des observations ; voilˆ, dis-je, le moyen de trouver cette Quadrature dont nous avons parlŽ, et qui ne se pourra jamais dŽcouvrir que par le nombre du centre.

Il est si vrai, en effet, que cette ligne droite, ou ce Quaternaire, est la source et lÕorgane de tout ce qui est corporel et sensible, que cÕest au nombre quatre et au carrŽ, que la GŽomŽtrie ramne tout ce quÕelle veut mesurer ; car elle ne considre tous les triangles quÕelle Žtablit dans cette vue, que comme division et moitiŽ de ce mme carrŽ ; or ce carrŽ nÕest-il pas formŽ par quatre lignes, et par quatre lignes qui sont regardŽes comme droites, ou semblables au rayon, et par consŽquent quaternaires comme lui ?

Faut-il donc quelque chose de plus, pour dŽmontrer que par leur procŽdŽ mme, les GŽomtres prouvent ce que je leur avance ? CÕest-ˆ-dire, que le Nombre qui produit les Etres, est le mme qui leur sert de mesure ; et ainsi, que la vraie mesure des Etres ne peut se trouver que dans leur Principe, et non pas dans leur enveloppe et dans lՎtendue ; puisquÕau contraire, tout ce qui est enveloppe, tout ce qui est Žtendue, ne peut sՎvaluer avec prŽcision quÕen se rapprochant du centre, et de ce Nombre Quaternaire, que nous nommons le Principe GŽnŽrateur.

On ne songera pas, je lÕespre, ˆ mÕobjecter que toutes les figures, nommŽes rectilignes en GŽomŽtrie, Žtant bornŽes par des lignes censŽes droites, portent Žgalement le Quaternaire, et quÕainsi je ne devrais pas me borner au carrŽ, pour indiquer la mesure quaternaire ; ce qui semblerait contredire la simplicitŽ et lÕunitŽ du principe annoncŽ.

Quand le fait ne serait pas pour moi, quand il serait faux que les GŽomtres, ainsi que je viens de le dire, ramenassent au carrŽ, tout ce quÕils veulent mesurer, il suffirait, de ce que nous venons de dire sur ce quaternaire immatŽriel, pour convenir que toutes les choses sensibles provenant de lui, doivent conserver sensiblement sur elles la marque de cette origine quaternaire ; or ce quaternaire Žtant absolument le seul Principe GŽnŽrateur des choses sensibles, Žtant le seul Nombre ˆ qui cette propriŽtŽ de production soit essentielle, il est Žgalement indispensable quÕil nÕy ait parmi les choses sensibles quÕune seule figure qui nous lÕindique, et cette figure, on lÕa dit, cÕest le carrŽ.

De la racine carrŽe

Et comment cette vŽritŽ ne se montrerait-elle pas pour nous parmi les choses sensibles, puisque nous la trouvons indiquŽe clairement et dÕune manire incontestable, dans la Loi numŽrique, cÕest-ˆ-dire, dans ce que lÕhomme possde ici-bas de plus intellectuel et de plus sžr ? Comment, dis je, pourrions-nous trouver plus dÕune mesure quaternaire, ou ce qui est la mme chose, plus dÕun carrŽ, dans les Figures sensibles et corporelles qui font lÕobjet de la GŽomŽtrie, puisque dans cette Loi numŽrique, ou de calcul, dont nous venons de parler, il est impossible de trouver plus dÕun nombre carrŽ ?

Je sais que ceci doit Žtonner, et quelque incontestable que soit cette proposition, elle para”tra nouvelle sans doute ; car il est gŽnŽralement reu quÕun carrŽ numŽrique est le produit dÕun Nombre quelconque, multipliŽ par lui-mme, et lÕon ne met pas mme en question que tous les Nombres nÕaient cette propriŽtŽ.

Mais, puisque lÕanalogie que nous avons dŽcouverte dans toutes les classes entre les Principes et leurs productions, ne suffit pas encore pour dessiller les yeux sur ce point ; puisque, malgrŽ lÕunitŽ du carrŽ parmi toutes les figures sensibles que lÕhomme peut tracer, les GŽomtres se sont persuadŽs quÕil peut y avoir plus dÕun carrŽ numŽrique ; je vais entrer dans dÕautres dŽtails qui confirmeront la vŽritŽ de ce que je viens dÕavancer.

Le carrŽ en figure est trs certainement le quadruple de sa base ; et sÕil nÕest que lÕimage sensible du carrŽ intellectuel et numŽrique, dÕo il provient, il faut absolument que ce carrŽ numŽrique et intellectuel soit le type et le modle de lÕautre ; cÕest-ˆ-dire, que de mme que le carrŽ en figure est le quadruple de sa base, de mme le carrŽ numŽrique et intellectuel doit tre le quadruple de sa racine.

Or je puis certifier ˆ tous les hommes, et ils le peuvent conna”tre comme moi, quÕil nÕy a quÕun seul Nombre qui soit le quadruple de sa racine. Je me dispenserai mme, autant que je le pourrai, de le leur indiquer positivement, soit parce quÕil est trop facile ˆ trouver, soit parce que ce sont des VŽritŽs que je nÕexpose quՈ regret.

Mais, me dira-t-on, si je nÕadmets quÕun seul carrŽ numŽrique, comment faudra-t-il donc considŽrer les produits de tous les autres nombres multipliŽs par eux-mmes ? Car enfin, sÕil nÕy a quÕun seul carrŽ numŽrique, il ne peut aussi y avoir quÕune seule racine carrŽe parmi tous les nombres ; et cependant il nÕest pas un seul nombre qui ne puisse se multiplier par lui-mme : alors, tous les nombres pouvant se multiplier par eux-mmes, que seront-ils donc, sÕils rie sont pas des racines carrŽes ?

Je conviens que tout nombre quelconque peut se multiplier par lui-mme, et par consŽquent quÕil nÕen est point qui ne puisse se regarder comme racine ; je fais de plus avec le moindre des calculateurs quÕil nÕest pas de racine qui ne soit moyenne proportionnelle entre son produit et lÕunitŽ ; mais pour que tous ces nombres fussent des racines carrŽes, il faudrait quÕils fussent tous en rapport de quatre avec lÕunitŽ ; or parmi cette multitude de diffŽrentes racines dont la quantitŽ ne peut jamais tre fixŽe, attendu que les nombres sont sans bornes, il nÕy a absolument quÕun seul nombre ou quÕune seule racine, qui soit dans ce rapport de quatre avec lÕunitŽ ; il est donc clair que le Nombre qui se trouve avoir ce rapport, est le seul qui mŽrite essentiellement le nom de racine carrŽe ; et toutes les autres racines se trouvant avoir des rapports diffŽrents avec lÕunitŽ, pourront prendre des noms tirŽs de ces diffŽrents rapports, mais elles ne devront jamais prendre le nom de racines carrŽes, puisque leur rapport avec lÕunitŽ ne sera jamais quaternaire.

Par la mme raison, quoique toutes les racines Žtant multipliŽes par elles-mmes, rendent un produit ; cependant puisque toute racine est moyenne proportionnelle entre son produit et lÕunitŽ, il faut de toute nŽcessitŽ que ce produit lui-mme soit ˆ sa racine ce que sa racine est ˆ lÕunitŽ ; alors sÕil nÕest quÕune seule racine qui soit dans le rapport de quatre avec lÕunitŽ, ou qui fait carrŽe, il est incontestable quÕil ne peut y avoir non plus quÕun seul produit qui soit dans le rapport de quatre avec sa racine, et par consŽquent quÕil ne peut y avoir quÕun seul carrŽ.

Tous les autres produits nՎtant point dans ce rapport quaternaire avec leur racine, ne devront donc pas se considŽrer comme des carrŽs, mais ils porteront les noms de leurs diffŽrents rapports avec leur racine, comme les racines qui ne sont pas carrŽes, portent les noms de leurs diffŽrents rapports avec lÕunitŽ.

En un mot, sÕil Žtait vrai que toutes les racines fussent des racines carrŽes, toutes les racines en raison double, donneraient certainement des carrŽs qui feraient doubles les uns des autres, et lÕon sait quÕen nombre cela est absolument impossible ; voilˆ pourquoi nous nÕadmettons quÕun seul carrŽ, et quÕune seule racine carrŽe. CÕest donc pour nÕavoir pas pris une idŽe assez juste dÕune racine carrŽe, que les GŽomtres en ont attribuŽ les propriŽtŽs ˆ tous les nombres, tandis quÕelles ne convenaient exactement quՈ un seul nombre.

Il faut remarquer nŽanmoins que la diffŽrence qui se trouve entre cette seule Racine carrŽe et toutes les autres racines, de mme quÕentre le seul produit carrŽ admissible et tous les autres produits numŽriques, ne provient que de la qualitŽ des facteurs, dÕo elle se rŽpand sur les rŽsultats qui en proviennent. Dans le fait, cÕest toujours le quaternaire qui dirige toutes ces opŽrations quelconques ; ou, pour parler plus clairement, dans toute espce de multiplication, nous trouverons toujours, premirement lÕunitŽ ; secondement le premier facteur ; troisimement le second facteur, et enfin le rŽsultat, ou le produit qui provient de lÕaction mutuelle des deux facteurs.

Et quand je dis, dans toute espce de multiplication, cÕest que ceci se trouve vrai, non seulement dans tous les produits auxquels nous connaissons deux Racines ou deux facteurs, comme dans la multiplication de deux diffŽrents nombres lÕun par lÕautre ; mais aussi dans tous les produits o nous ne connaissons quÕune seule racine, parce que cette racine se multipliant par elle-mme, nous offre toujours distinctement nos deux facteurs.

CÕest donc lˆ ce qui nous reprŽsente avec une nouvelle Žvidence, le pouvoir rŽel de ce nombre quatre, Principe de toute production, et gŽnŽrateur universel, de mme que les vertus de cette ligne droite qui en est lÕimage et lÕaction.

CÕest lˆ aussi o nous trouvons une nouvelle preuve de la distinction des choses sensibles et des choses intellectuelles, ainsi que de tout ce qui a ŽtŽ dit sur leur diffŽrent nombre, puisque dans toutes les multiplications numŽriques, nous connaissons sensiblement trois choses, savoir les deux facteurs et le produit, au lieu que nous ne connaissons quÕintellectuellement lÕunitŽ ˆ laquelle elles ont rapport, et que cette unitŽ nÕentre jamais dans lÕopŽration des choses composŽes.

Nous voyons donc alors pourquoi nous avons reconnu ce quaternaire comme Žtant ˆ la fois le Principe et la mesure fixe de tous les Etres, et pourquoi tout produit quelconque, soit lՎtendue, soit toutes les diffŽrentes propriŽtŽs de cette Žtendue, sont engendrŽes et dirigŽes par ce quaternaire.

Des dŽcimales

Les GŽomtres eux-mmes nous confirment tous les avantages qui ont ŽtŽ attribuŽs jusquÕici au quaternaire, et cela par les divisions quÕils emploient sur le rayon pour Žvaluer son rapport avec la circonfŽrence ? Ils ont soin de le diviser dans le plus grand nombre de parties quÕil leur est possible, afin de rendre lÕapproximation moins dŽfectueuse. Mais dans toutes les divisions quÕils mettent en usage, il est important dÕobserver quÕils emplient toujours les dŽcimales. Or, par un calcul que nous nÕexposerons pas ici, quoiquÕil soit assez connu, on ne peut nier quÕune dŽcimale, et le quaternaire nÕaient des rapports incontestables, puisquÕils ont tous deux le privilge de correspondre et dÕappartenir ˆ lÕunitŽ. En se servant des dŽcimales, les GŽomtres marchent donc encore par le quaternaire.

Je sais quՈ la rigueur on pourrait diviser le rayon par dÕautres Nombres que par les dŽcimales ; je sais mme que ces dŽcimales ne rendent jamais des rŽsultats justes, comme la division du cercle en trois cent soixante degrŽs, dÕo lÕon pourrait infŽrer que ni les dŽcimales, ni le quaternaire avec lequel elles sont unies dÕune manire insŽparable, ne sont pas la vraie mesure.

Mais il faut observer que la division du cercle en trois cent soixante degrŽs, est parfaitement exacte, parce quÕelle tombe sur le vrai nombre de toutes les formes ; au lieu que la division dŽcimale exprimant le nombre du Principe immatŽriel de ces mmes formes, ne peut se trouver juste en nature sensible, sur le rayon corporel, ni sur aucune espce de Matire.

Cela nÕempche pas que de toutes les divisions que lÕhomme pouvait choisir, les dŽcimales ne soient celle qui lÕapproche le plus du point quÕil dŽsire ; on peut dire mme quÕen cela, comme dans bien dÕautres circonstances, il a ŽtŽ conduit sans le savoir, par la loi et le Principe des choses ; que son choix est une suite de la lumire naturelle qui est en lui, et qui tend toujours ˆ lÕamener au Vrai, et que le moyen quÕil a pris, tout nul et tout inutile quÕil soit pour lui, en ce quÕil veut le faire cadrer avec lՎtendue et avec la Matire, est nŽanmoins le meilleur quÕil avait ˆ prendre en ce genre.

Du carrŽ intellectuel

Ainsi, malgrŽ le peu de succs que lÕhomme a retirŽ de ses efforts, on sera toujours obligŽ de convenir que la division quÕil a faite du rayon en parties dŽcimales, confirme ce que jÕai dit sur lÕuniversalitŽ de la mesure quaternaire.

Quelque rŽserve que je me sois promis, aprs tout ce que jÕai dŽvoilŽ touchant le nombre quatre et touchant la racine carrŽe, il nÕest aucun de mes lecteurs qui ne jugent que lÕun et lÕautre ne soient les mmes ; ainsi il ne serait plus temps de le dissimuler ; et mme mՎtant avancŽ jusque-lˆ, je me trouve comme engagŽ ˆ leur avouer quÕen vain chercheraient-ils la source des sciences et des lumires ailleurs que dans cette Racine carrŽe, et dans le carrŽ unique qui en rŽsulte.

Et vŽritablement sÕil est possible ˆ ceux qui liront cet Žcrit, de saisir par eux-mmes la liaison de tout ce que jÕexpose ˆ leurs yeux, et de prendre une idŽe convenable du carrŽ numŽrique et intellectuel que je leur prŽsente, je suis en quelque sorte obligŽ de convenir de la vŽritŽ et de ne plus leur refuser un aveu quÕils mÕarrachent.

Je vais donc prŽsenter prŽalablement, autant que la prudence et la discrŽtion me le permettront, quelques-unes des propriŽtŽs de ce quaternaire, et pour me rendre plus intelligible, je le considŽrerai comme le carrŽ sensible et corporel qui en est la figure et la production, cÕest-ˆ-dire comme ayant quatre c™tŽs visibles et distincts.

En examinant chacun de ces quatre c™tŽs sŽparŽment, on pourra se convaincre que le carrŽ dont il sÕagit, est vraiment la seule route qui puisse mener lÕhomme ˆ lÕintelligence de tout ce qui est contenu dans lÕUnivers, de mme que cÕest le seul appui qui doive le soutenir contre toutes les temptes quÕil est obligŽ dÕessuyer pendant son voyage dans le temps.

Mais pour mieux sentir les avantages infinis attachŽs ˆ ce carrŽ, rappelons-nous ce qui en a ŽtŽ dit en le comparant avec la circonfŽrence ; nous y apprendrons que la circonfŽrence est faite pour borner et sÕopposer ˆ lÕaction du centre ou du carrŽ, et quÕils rŽagissent mutuellement lÕun sur lÕautre, que par consŽquent elle arrte les rayons de la lumire, au lieu que le carrŽ Žtant par lui-mme le Principe de cette lumire, son vŽritable objet est dՎclairer ; en un mot, que la circonfŽrence retient lÕhomme dans des liens et dans une prison, tandis que le carrŽ lui est donnŽ pour sÕen dŽlivrer.

Effets de la circonfŽrence

CÕest en effet lÕinfŽrioritŽ de cette circonfŽrence qui fait tous les malheurs de lÕhomme parce quÕil ne peut en parcourir tous les points que successivement, ce qui lui fait sentir dans toute lՎtendue la peine du temps pour laquelle il nՎtait pas fait ; au lieu que le carrŽ comme correspondant avec lÕunitŽ, ne lÕassujettit point ˆ cette Loi, puisquՈ lÕimage de son Principe, son action est entire et sans interruption.

Il faut cependant avouer que la Justice mme a favorisŽ lÕhomme jusque dans les punitions quÕelle lui a infligŽes, et que cette circonfŽrence qui lui a ŽtŽ donnŽe pour le borner et lui faire expier ses premiers Žgarements, ne le laisse pas sans espoir et sans consolation ; car au moyen de cette circonfŽrence, lÕhomme peut parcourir tout lÕUnivers et revenir au point dÕo il est parti, sans tre obligŽ de se retourner, cÕest-ˆ-dire, sans perdre de vue le centre. CÕest mme lˆ pour lui lÕexercice le plus utile et le plus salutaire, comme on voit que lorsquÕon veut aimanter une lame de fer, il faut aprs chaque frottement, la ramener ˆ lÕaimant en lui faisant faire un circuit, sans cela elle perdrait la vertu quÕelle vient de recevoir.

 

SupŽrioritŽ du carrŽ

NŽanmoins, malgrŽ cette propriŽtŽ de la circonfŽrence, il nÕy a nulle comparaison ˆ en faire avec le carrŽ, puisque celui-ci instruit lÕhomme directement des vertus du centre, et que sans quitter sa place, cet homme peut par ce moyen atteindre et embrasser les mmes choses que par le secours de la circonfŽrence, il ne saurait conna”tre sans en parcourir tous les points.

Enfin celui qui est tombŽ dans la circonfŽrence, tourne autour du centre, parce quÕil sÕest ŽcartŽ de lÕaction de ce centre ou du rayon qui est droit et il tourne toujours, parce que lÕaction bonne est universelle, et quÕil la trouve partout sur son chemin et en opposition ; au lieu que celui qui tient au centre, ou au carrŽ qui en est lÕimage et le nombre, est toujours fixe et toujours le mme.

Il est inutile, sans doute, de pousser plus loin cette comparaison allŽgorique, parce que je ne doute pas, que dans ce que je viens de dire, des yeux intelligents ne fassent bien des dŽcouvertes.

Ce nÕest donc pas sans raison que jÕai pu annoncer ce carrŽ, comme Žtant supŽrieur ˆ tout, puisque nÕy ayant absolument que deux sortes de lignes, la droite et la courbe ; tout ce qui ne tient pas ˆ la Ligne droite, ou au carrŽ, est nŽcessairement circulaire et ds lors temporel et pŽrissable.

CÕest donc en vertu de cette supŽrioritŽ universelle, que jÕai dž faire pressentir ˆ lÕhomme les avantages infinis quÕil pourrait trouver dans ce carrŽ, ou ce nombre quaternaire, sur lequel je me suis proposŽ de donner quelques dŽtails prŽliminaires ˆ mes Lecteurs.

Mesure de la circonfŽrence

Nous les prions de se souvenir que le carrŽ gŽnŽralement connu, nÕest que lÕimage et la figure du carrŽ numŽrique et intellectuel ; ils concevront sans doute aussi, que nous ne nous proposons de leur parler que du carrŽ numŽrique intellectuel qui agit sur le temps et qui dirige le temps ; et que celui-lˆ mme est la preuve quÕil existe un autre carrŽ hors du temps, mais dont la connaissance entire nous est interdite, jusquՈ ce que nous soyons nous-mmes hors de la prison temporelle ; et cÕest pour cela que je nÕai pas dž parler des termes de la Progression quaternaire, qui sՎlvent au-dessus des Causes agissant dans le temps.

DÕaprs cela, pour faire concevoir comment ce carrŽ contient tout, et mne ˆ la connaissance de tout, observons quÕen MathŽmatique ce sont les quatre angles droits qui mesurent toute la circonfŽrence ; et comme ces quatre angles dŽsignent chacun une RŽgion particulire, il est clair que le carrŽ embrasse lÕEst, lÕOuest, le Nord et le Sud ; or, si dans tout ce qui existe, soit sensible, soit intellectuel, nous ne saurions jamais trouver que ces quatre RŽgions, que pourrons-nous donc concevoir au-delˆ ? Et quand nous les aurons parcourues dans une Classe, ne devrons-nous pas nous regarder comme certains quÕil ne nous restera plus rien de cette Classe, ˆ conna”tre ?

De la mesure du temps

CÕest pourquoi celui qui aurait observŽ avec soin et avec persŽvŽrance les quatre points Cardinaux de la CrŽation corporelle, nÕaurait plus rien ˆ apprendre en Astronomie, et il pourrait se flatter de possŽder ˆ fond le Systme de lÕUnivers, ainsi que le vŽritable arrangement des corps CŽlestes ; cÕest-ˆ-dire, quÕil aurait la connaissance de la propriŽtŽ des ƒtoiles fixes, de lÕAnneau de Saturne, des Temps et des Saisons convenables ˆ lÕAgriculture, et des deux Causes que peuvent avoir les Žclipses ; car cÕest pour nÕavoir jamais voulu reconna”tre quÕune Loi matŽrielle et visible dans ces Žclipses, que les Observateurs ont niŽ celles qui sont provenues dÕune autre source, et dans un temps diffŽrent du temps indiquŽ par lÕordre sensible.

Quant ˆ lÕordre des mouvements des Astres, lÕhomme pourrait Žgalement en avoir une connaissance certaine, par un examen rŽflŽchi des quatre divisions qui compltent leur cours temporel ; car le Temps est celle des mesures sensibles qui est la moins sujette ˆ erreur, et cÕest pour cette raison que le Temps Žtant la vraie mesure du cours des Astres, on sent quÕil mÕest plus aisŽ dÕestimer juste leurs retours pŽriodiques par le calcul du Temps, que dՎvaluer avec prŽcision la longueur de mon bras, par les mesures conventionnelles prises dans lՎtendue ; puisque celles-ci nÕont point de base fixe, ni dŽterminŽe par la Nature sensible ; cÕest pour cela quÕune multitude de Nations mesurent lÕespace mme et les distances itinŽraires, par la durŽe ou par le temps.

Des rŽvolutions de la Nature

Par se secours de ce mme carrŽ, lÕhomme parviendrait ˆ se dŽlivrer des tŽnbres Žpaisses qui couvrent encore tous les yeux sur lÕanciennetŽ, lÕorigine et la formation des choses ; il pourrait mme Žclaircir toutes les disputes relatives ˆ la naissance de notre Globe, et ˆ toutes les rŽvolutions qui sont Žcrites sur sa surface, et dont les traces peuvent aussi bien reprŽsenter les suites et les effets de la premire explosion, que ceux des rŽvolutions postŽrieures et successives, que lÕUnivers Žprouve continuellement depuis son origine.

Et en effet, ces rŽvolutions se sont toujours produites par les forces Physiques, quoiquÕelles aient ŽtŽ permises par la Cause premire, et exŽcutŽes sous les yeux de la Cause temporelle supŽrieure, par la continuelle contraction du mauvais Principe, ˆ qui dÕimmenses pouvoirs ont souvent ŽtŽ accordŽs sur le sensible pour la purification de lÕintellectuel ; car, sÕil le faut dire, cette purification de lÕintellectuel est la seule voie qui mne au vrai grand Ïuvre, ou au rŽtablissement de lÕUnitŽ ; or, comment cette purification peut-elle avoir lieu, sans son contraire ou sans sa rŽaction, puisquÕelle doit se faire dans le temps, et que dans le temps aucune action ne peut avoir lieu sans le secours dÕune rŽaction.

Ce qui Žclairerait lÕhomme lˆ-dessus, cÕest quÕon observant les quatre RŽgions dont nous parlons, il verrait quÕil y en a une qui dirige, une qui reoit, et deux qui rŽagissent ; de lˆ il verrait que les dŽsastres dont la Terre offre universellement les vestiges, appartiennent nŽcessairement ˆ lÕaction de deux RŽgions actives opposŽes, savoir, de celle o rgne le Feu, et de celle ou rgne lÕEau. Alors il nÕattribuerait plus les effets dont ses yeux sont tŽmoins tous les jours, ˆ lÕElŽment seul qui para”t les produire, parce quÕil reconna”trait que ces rŽvolutions sont le rŽsultat du combat continuel de ces deux ennemis, dans lequel lÕavantage demeure tant™t ˆ lÕun et tant™t ˆ lÕautre, mais aussi dans lequel lÕun des deux ne peut tre vainqueur, sans que le lieu de la Terre o sÕest passŽ le combat nÕen souffre ˆ proportion, et nÕen reoive des altŽrations et des changements.

Voilˆ pourquoi rien de ce que nous voyons sur la Terre ne doit nous Žtonner, parce que, quand mme les rŽvolutions journalires, que nous ne pouvons nier, nÕauraient pas lieu, ces deux ElŽments ont nŽanmoins commencŽ dÕagir en opposition, ds le moment de lÕorigine des choses temporelles.

Voilˆ pourquoi aussi nous devons tre sžrs que chaque instant produit des rŽvolutions nouvelles, parce que lÕaction de ces deux ElŽments lÕun sur lÕautre, est et sera continuelle jusquՈ la dissolution gŽnŽrale. Ainsi tous ces prodiges qui surprennent si fort les Naturalistes, disparaissent ; toutes ces irrŽgularitŽs, toutes ces dŽvastations qui sÕoprent sous nos yeux, de mme que celles dont les restes et les dŽbris annoncent lÕanciennetŽ, ne sont plus difficiles ˆ expliquer, et se concilient parfaitement avec tout ce que lÕon a vu sur les Principes innŽs des Etres, sur leurs actions diffŽrentes et opposŽes les unes aux autres, enfin sur les suites funestes de la contraction universelle.

Mais tous ces PhŽnomnes para”tront bien moins Žtonnants encore, quand nous nous rappellerons que ces deux ElŽments opposŽs, ou ces deux agents, ou cette double Loi universelle dans la Matire, sont toujours dans la dŽpendance de la Cause active et intelligente qui en fait le centre et le lien, et qui peut ˆ son grŽ actionner lÕun ou lÕautre des divers Agents qui lui sont soumis, et mme les livrer ˆ une action infŽrieure et mauvaise.

Nous avons donc un moyen de plus de savoir dÕo ont pu provenir, dans les grandes rŽvolutions, ces excs prodigieux de lÕEau sur le Feu, ou du Feu sur lÕEau ; car il faut simplement songer ˆ la Cause active et intelligente, et reconna”tre que, lorsque les Principes de ces ElŽments ne sont plus dans leurs bornes naturelles, cÕest quÕelle abandonne, ou quÕelle actionne lÕun plus que lÕautre par sa propre vertu, pour lÕaccomplissement des DŽcrets et de la Justice de la Cause premire, et pour laisser agir, ou pour arrter la trop grande contraction du Principe mauvais qui lui est opposŽ.

On voit donc par lˆ que pour savoir les raisons de la marche que cette Cause tient dans lÕUnivers, cÕest dans sa Nature intelligente et dans tout ce qui lui ressemble quÕil faut les chercher ; car, comme elle est ˆ la fois active et intelligente, cÕest son activitŽ qui fait produire les effets sensibles, en communiquant ses diverses actions et rŽactions ˆ tous les Etres temporels ; mais cÕest sa facultŽ intelligente seule qui peut en donner lÕexplication, attendu que cÕest ˆ ce seul titre quÕelle est admise au Conseil ; ainsi il nÕy aura jamais aucun rŽsultat satisfaisant pour ceux qui ne chercheront cette explication que dans la Matire.

Que lÕon applique ceci ˆ tout ce qui a ŽtŽ dit sur la manire de chercher en tout la vŽritŽ des choses, et lÕon verra si les principes qui nous conduisent ne sont pas universels.

Cours temporel des tres

Outre les lumires que la connaissance du carrŽ peut donner, sur la constitution des Etres corporels, sur lÕharmonie Žtablie entre eux, de mme que sur les causes de leur destruction ; il embrasse encore les quatre degrŽs distincts auxquels leur cours particulier les assujettit, et qui nous sont clairement dŽsignŽs par les quatre Saisons ; car, qui ne sait les diffŽrentes propriŽtŽs attachŽes ˆ chacune de ces Saisons ? Qui ne sait que tous les Etres corporels, ne pouvant recevoir la naissance que par la rŽunion de deux actions infŽrieures, il faut premirement et avant tout, que ces deux actions se conviennent et sÕaccordent mutuellement ; ce que lÕon peut appeler lÕAdoption.

Or, cÕest ˆ lÕAutomne que cet acte dÕadoption est attribuŽ, parce quÕalors les Etres, par la Loi de leur Principe immatŽriel, jettent hors dÕeux les germes qui doivent servir ˆ leur reproduction ; et cette Loi ne commence dÕagir que quand ces germes se trouvent placŽs dans leur matrice naturelle. CÕest lˆ le premier degrŽ de leur cours, degrŽ sur lequel la rŽflexion et lÕintelligence dŽcouvriront facilement une infinitŽ de choses que je ne dois pas dire.

Quand les germes sont ainsi adoptŽs par leur matrice, les deux actions concourant ensemble, forment ce que nous devons appeler la conception, qui selon la Loi de cette mme nature corporelle, est indispensable pour la gŽnŽration des Etres de matire. Ce second degrŽ de leur cours se passe pendant lÕHiver, dont lÕinfluence mŽnageant leur force en les tenant dans le repos, et ramassant tout leur feu dans le mme foyer, opre sur eux une rŽaction violente qui leur fait faire effort, et les rend plus propres ˆ se lier et ˆ se communiquer rŽciproquement leurs vertus.

Le troisime degrŽ de leur cours a lieu pendant le Printemps, et nous pouvons regarder cet acte comme celui de la vŽgŽtation ou de la corporisation ; premirement parce quÕil est le troisime, et que nous avons assez montrŽ que le nombre trois Žtait consacrŽ ˆ tout rŽsultat soit corporel, soit incorporel ; en second lieu, parce que les influences salines de lÕhiver venant ˆ cesser aprs avoir rempli leur Loi, qui Žtait de rŽactionner non seulement les Principes des germes gŽnŽrateurs, mais mme ceux de leurs productions, les uns et les autres font usage de leur facultŽ et de leur propriŽtŽ naturelle en manifestant au-dehors tout ce quÕils ont en eux. Aussi, cÕest dans cette saison du Printemps que commencent ˆ para”tre les fruits de cette propriŽtŽ vŽgŽtative, et que nous les voyons sortir du sein o ils ont pris la naissance.

Enfin lÕEtŽ complte tout lÕouvrage ; cÕest alors que toutes ces productions, sortant de la matrice o elles avaient ŽtŽ formŽes, reoivent pleinement lÕaction du Soleil qui les porte ˆ leur maturitŽ, et cÕest lˆ le quatrime degrŽ du cours de tous les Etres corporels terrestres.

On sent cependant quÕil faut en excepter la pluplart des animaux, qui malgrŽ quÕils soient assujettis aux quatre degrŽs que je viens de reconna”tre dans le cours particulier de tous les Etres corporels, ne suivent pas nŽanmoins toujours pour leur gŽnŽration et leur croissance, la Loi et la durŽe ordinaire des saisons ; et cette exception ne doit pas Žtonner ˆ leur Žgard, parce que nՎtant pas inhŽrents ˆ la Terre, quoiquÕils viennent dÕelle, il est certain que leur Loi ne doit pas tre semblable ˆ celle des Etres de vŽgŽtation attachŽs ˆ cette mme Terre.

Epoque de lÕunivers

Il ne faudrait pas non plus rejeter le Principe de lÕuniversalitŽ quaternaire, parce quÕon verrait que mme parmi les Etres de vŽgŽtation, les uns nÕattendent pas la rŽvolution entire des quatre saisons pour complŽter leur cours, et que dÕautres ne parviennent ˆ ce complŽment quÕaprs plusieurs rŽvolutions Solaires annuelles. Cette diffŽrence vient de ce que les uns ont besoin dÕune moindre rŽaction, et les autres dÕune plus considŽrable pour agir et pour opŽrer leur Ïuvre particulire. Mais ces quatre degrŽs ou ces quatre actes que je viens de remarquer, ne leur conviennent pas moins, et sÕaccomplissent toujours avec une parfaite exactitude dans les Etres les plus prŽcoces, comme dans ceux qui sont les plus tardifs, parce que selon ce quÕon a vu sur le nombre quatre par rapport ˆ lՎtendue, il est celui qui mesure tout, et qui porte son action partout, quoiquÕil ne porte pas partout une action Žgale, et quÕil la proportionne universellement ˆ la diffŽrente nature des Etres.

Ce que lÕon vient de voir sur les propriŽtŽs attachŽes aux quatre saisons, ne rŽpandrait-il pas quelque lumire sur lՎpoque o lÕUnivers a pu prendre naissance. Il est vrai que ceci ne peut regarder que ceux qui accordent une origine ˆ lÕUnivers, car pour ceux qui ont ŽtŽ ou assez aveugles ou dÕassez mauvaise foi, pour ne pas lui en reconna”tre une, cette recherche devient superflue. Cependant, persuadŽ que ceux-lˆ mmes auraient profitŽ de ce que je leur dirais ˆ ce sujet, je vais, autant quÕil me sera permis, lever un coin du voile devant leurs yeux.

Si, dans lÕorigine du monde, on considre seulement le premier instant de lÕapparence de sa corporisation, il est certain quÕen se guidant selon lÕordre des saisons, on serait tentŽ de lÕattribuer au Printemps, parce quÕeffectivement cÕest le moment de la vŽgŽtation.

Mais si lÕon portait la vue un peu plus haut, et quÕon examin‰t tous les actes qui ont dž prŽcŽder cette corporisation visible, il faudrait nŽcessairement placer lÕorigine du germe du monde ˆ une autre saison que celle du Printemps. Car lÕon serait obligŽ de convenir que la marche actuelle de la Nature universelle, Žtant la mme quÕau moment de sa naissance, lÕadoption de ses Principes constitutifs a dž se faire alors pour elle, dans les mmes circonstances et dans le mme temps o nous voyons que se fait aujourdÕhui lÕadoption des Principes particuliers qui perpŽtuent son cours et son existence ; cÕest-ˆ-dire, que cette adoption primitive a dž commencer dans lÕAutomne.

CÕest, en effet, lorsque les Etres perdent la chaleur du Soleil, cÕest lorsque cet Astre se retire dÕeux, quÕils se rapprochent et se recherchent, pour supplŽer ˆ son absence en se communiquant leur propre chaleur ; et cÕest lˆ, comme on lÕa vu, le premier acte de ce qui doit se passer corporellement parmi les Etres particuliers de la Nature. Il doit donc en tre de mme pour lÕuniversel ; cÕest lorsque le Soleil a cessŽ dՐtre sensible ˆ ceux quÕil avait ŽchauffŽs jusque-lˆ, que les choses corporelles ont fait le premier pas vers lÕexistence, et que la Nature a commencŽ.

Par la mme analogie on pourrait prŽsumer dans quelle saison cette Nature doit se dŽcomposer et cesser dÕexister ; cÕest-ˆ-dire, quÕen suivant la Loi de son cours actuel, on devrait croire que cÕest dans lÕEtŽ, que cet Univers acquerra le complŽment des quatre actes de son cours universel, que ce complŽment Žtant arrivŽ, il terminera lˆ sa carrire, et que se dŽtachant de la branche, ˆ lÕimage des fruits, il cessera dՐtre, et dispara”tra totalement pendant que lÕarbre auquel il Žtait attachŽ, demeurera stable ˆ jamais.

Ce que je viens de dire a pour base une Loi gŽnŽralement reconnue qui est que les choses finissent toujours par o elles ont commencŽ. Cependant je le rŽpte, quoique les quatre actes du cours temporel sÕaccomplissent dans chacun des Etres, il nÕen est pas cependant en qui cette Loi ne sÕopre dans des temps diffŽrents.

Alors, si ce cours varie du vŽgŽtal ˆ lÕanimal, si mme dans chacune de ces deux classes, il sÕopre si diversement, tant sur les diffŽrentes espces que sur les diffŽrents individus, ˆ plus forte raison doit-il tre plus difficile dÕen fixer les Lois et la durŽe en jugeant du particulier ˆ lÕuniversel. Ainsi, rien nÕest plus loin de ma pensŽe que de vouloir dŽterminer une saison temporelle pour ces grandes Žpoques. Et dans le vrai, ces questions sont entirement superflues pour lÕhomme, dÕautant que par le flambeau quÕil porte en lui-mme, il peut acquŽrir sur ces objets des lumires plus utiles, plus sžres et plus importantes que celles qui ne tombent que sur les pŽriodes des Etres passagers.

Je prie Žgalement quÕon ne me taxe pas de contradiction ou dÕinadvertance, si lÕon mÕa entendu parler du Soleil avant lÕexistence des choses corporelles, je nÕoublie pas que le Soleil que nous voyons, a pris naissance comme tous les corps, et avec tous les corps, mais je sais aussi quÕil y a un autre Soleil trs physique dont celui-ci nÕest que la figure, et sous les yeux duquel tous les actes de la naissance et de la formation de la Nature se sont opŽrŽs, comme la rŽvolution journalire et annuelle des Etres particuliers sÕopre ˆ lÕaspect et par les Lois de notre Soleil corporel et sensible.

Ainsi, pour lÕintŽrt de ceux qui liront ceci, je les exhorte ˆ tre assez rŽservŽs pour ne pas me juger avant de mÕavoir compris ; et sÕils veulent me comprendre, il faut quÕils portent souvent leur vue plus loin que ce que je dis ; car, soit par devoir, soit par prudence, jÕai laissŽ beaucoup ˆ dŽsirer.

Des c™tŽs du carrŽ

Aprs avoir montrŽ en gŽnŽral plusieurs des propriŽtŽs du carrŽ, que jÕannonce toujours comme seul et unique, jÕexposerai brivement quelques-unes de celles qui sont attachŽes ˆ chacun de ses c™tŽs, me rŽservant de traiter de cet emblme universel dÕune manire un peu plus Žtendue, dans la division qui suivra celle-ci.

Le premier de ces c™tŽs, comme base, fondement, ou racine des trois autres c™tŽs, est lÕimage de lÕEtre premier, unique, universel, qui sÕest manifestŽ dans le temps, et dans toutes les productions sensibles, mais qui Žtant sa cause ˆ lui-mme et la source de tout Principe, a sa demeure ˆ part du sensible et du temps ; et pour reconna”tre ce que jÕai dŽjˆ dit plusieurs fois ; savoir, combien les productions sensibles, quoique venant de lui, sont peu nŽcessaires ˆ son existence, il ne faut quÕobserver quel est le nombre qui lui convient, il nÕy a personne qui ne sache que cÕest lÕUnitŽ.

Quelque opŽration que lÕon fasse sur ce nombre pris en lui-mme ; cÕest-ˆ-dire, quÕon le multiplie, quÕon lՎlve ˆ telle puissance que lÕimagination pourra concevoir ; que lÕon cherche successivement la racine de toutes ces puissances, ce sera toujours ce mme nombre dÕunitŽ qui demeurera partout pour rŽsultat, de faon que ce nombre un Žtant ˆ la fois sa racine, son carrŽ et toutes ses puissances, existe nŽcessairement par lui et indŽpendamment de tout autre Etre.

Je ne parle point de la division, parce que cette opŽration de calcul ne peut avoir lieu que sur des assemblages, et jamais sur un nombre simple comme lÕunitŽ, ce qui confirme ce que jÕai dit sur la nullitŽ des fractions.

Je ne parle point non plus de lÕopŽration de lÕaddition, parce quÕil est clair quÕelle ne peut Žgalement avoir lieu que dans les choses composŽes, et quÕun Etre qui a tout en soi ne peut recevoir la jonction dÕaucun autre Etre, ce qui sert de preuve ˆ tout ce qui a ŽtŽ dit ci-devant sur la Matire, o rien de ce qui est employŽ ˆ la croissance et ˆ la nutrition des Etres corporels, ne se mle avec leurs Principes.

Mais je parle de la multiplication, ou ŽlŽvation de puissances, ainsi que de lÕextraction des racines, parce que lÕune est lÕimage de la propriŽtŽ productrice, innŽe dans tout Etre simple, et lÕautre celle de la correspondance de tout Etre simple avec ses productions, puisque cÕest par cette correspondance que sÕopre la rŽintŽgration.

CÕest lˆ ce qui doit nous aider ˆ nous confirmer que ce premier c™tŽ du carrŽ, ce nombre Un, ou la Cause premire de laquelle il est le caractŽristique, produit tout par elle, ne reoit rien que dÕelle, ou qui ne soit ˆ elle.

Le second c™tŽ est celui qui appartient ˆ cette Cause active et intelligente que jÕai prŽsentŽe dans le cours de cet Ouvrage, comme tenant le premier rang parmi les causes temporelles, et qui, par sa facultŽ active, dirige le cours de la Nature et des Etres corporels, de mme que par sa facultŽ intelligente, elle dirige tous les pas de lÕhomme qui lui est semblable en qualitŽ dÕEtre intellectuel.

Nous attribuons ˆ cette Cause le second c™tŽ du carrŽ, parce que de mme que ce second c™tŽ est le plus voisin de la racine ; de mme la Cause active et intelligente para”t immŽdiatement aprs lÕEtre premier qui existe lors des choses temporelles. Alors, si nous la mettons en parallle avec le second c™tŽ du carrŽ, nous devons donc aussi lui donner un double nombre ; et nous voyons que nous ne saurions appliquer ce double nombre ˆ aucun Etre avec plus de justesse quՈ cette Cause, puisquÕelle nous lÕindique elle-mme, tant par son rang secondaire, que par la double propriŽtŽ dont elle est en possession.

Et dans le fait, il est si vrai que cette Cause active et intelligente est le premier agent de tout ce qui est temporel et sensible, quÕici rien nÕaurait jamais existŽ sans son secours, et pour ainsi dire, sans avoir commencŽ par elle.

Le carrŽ lui-mme ne nous en offre-t-il pas la preuve ? Le second de ses c™tŽs, que nous examinons pour le moment, nÕest-il pas le premier degrŽ et le premier pas vers la manifestation des puissances de sa racine ? En un mot, nÕest-il pas lÕimage de cette ligne droite, qui est la premire production du point, et sans laquelle il nÕy aurait jamais eu ni surface ni solide ?

Nous trouvons donc dŽjˆ dans le carrŽ, deux points des plus importants pour lÕhomme, savoir, la connaissance de la Cause premire universelle, et celle de la Cause seconde qui la reprŽsente dans les choses sensibles, et qui est son premier Agent temporel.

Je me suis assez Žtendu, en son lieu, sur les attributs immenses qui appartiennent ˆ cette Cause seconde, active et intelligente, pour pouvoir me dispenser de les rappeler ici ; et si lÕon veut avoir dÕelle lÕidŽe qui lui convient, il suffira de ne jamais oublier quÕelle est lÕimage de la Cause premire, et chargŽe de tous ses pouvoirs pour tout ce qui se passe dans le Temps ; cÕest ce quÕon pourra concevoir de plus vrai ˆ son sujet ; cÕest en mme temps ce qui apprendra ˆ lÕhomme, si aprs elle il est aucun Etre dans le Temps, en qui il puisse mieux placer sa confiance.

Le troisime c™tŽ du carrŽ est celui qui dŽsigne tous les rŽsultats quelconques, cÕest-ˆ-dire, tant ceux qui sont corporels et sensibles, que ceux qui sont immatŽriels et hors du Temps ; car, de mme quÕil y a un. CarrŽ affectŽ au Temps, et un CarrŽ indŽpendant du Temps, de mme il y a des rŽsultats attachŽs ˆ lÕun et ˆ lÕautre de ces deux CarrŽs, parce que chacun dÕeux a le pouvoir de manifester des productions ; et comme les productions qui se manifestent dans lÕune et lÕautre Classe, sont toujours au nombre de trois cÕest pour cela que nous les appliquons au troisime c™tŽ du carrŽ.

Ceci sÕaccorde parfaitement avec ce que lÕon a vu sur les productions corporelles, qui toutes sont lÕassemblage de trois ElŽments ; tout ce quÕil y a ˆ observer, cÕest la distinction considŽrable, qui malgrŽ la similitude du Nombre, se trouve entre les productions temporelles et celles qui ne le sont pas ; celles-ci provenant directement de la Cause premire, sont des Etres simples comme elle, et ont par consŽquent une existence absolue que rien ne peut anŽantir ; les autres nՎtant enfantŽs que par une Cause secondaire, ne peuvent avoir les mmes privilges que les premires, mais doivent nŽcessairement se ressentir de lÕinfŽrioritŽ de leur Principe ; aussi leur existence nÕest-elle que passagre, et elles ne subsistent pas par elles-mmes, comme les Etres qui ont de la rŽalitŽ.

CÕest lˆ ce que le troisime c™tŽ du carrŽ nous fait conna”tre Žvidemment ; car, si le second nous a donnŽ la ligne, le troisime nous donnera la surface, et puisque le nombre trois est en mme temps le nombre de la surface et le nombre des Corps, il est donc clair que les Corps ne sont composŽs que de surfaces, cÕest-ˆ-dire, de substances qui ne sont que lÕenveloppe ou lÕapparence extŽrieure de lÕEtre, mais auxquelles nÕappartiennent, ni la soliditŽ, ni la vie.

Et en effet, la dernire opŽration, indiquŽe par la GŽomŽtrie humaine, pour composer le solide, nÕest que la rŽpŽtition de celles qui ont prŽcŽdŽ, cÕest-ˆ-dire, de celles qui ont formŽ la ligne et la surface ; car la profondeur que cette troisime et dernire opŽration engendre, nÕest autre chose que la direction verticale de plusieurs lignes rŽunies, et toute la diffŽrence qui sÕy trouve, cÕest que dans les opŽrations prŽcŽdentes la direction des lignes nՎtait quÕhorizontale ; ainsi cette profondeur est toujours le produit de la ligne, et comme telle, elle ne peut tre autre chose quÕun assemblage de surfaces.

Veut-on, puisque lÕoccasion sÕen prŽsente, apprendre encore ˆ Žvaluer plus juste ce que sont les Corps ? Pour cet effet, on nÕa quՈ suivre lÕordre inverse de celui de leur formation. Les solides se trouveront composŽs de surfaces, les surfaces de lignes, les lignes de points, cÕest-ˆ-dire, de Principes qui nÕont ni longueur, ni largeur, ni profondeur ; en un mot, qui nÕont aucune des dimensions de la Matire, ainsi que je lÕai amplement exposŽ lorsque jÕai eu lieu dÕen parler. QuÕon ramne donc ainsi les Corps ˆ leur source et ˆ leur Essence primitive, et quÕon voie par-lˆ lÕidŽe que lÕon doit avoir de la Matire.

Enfin, le quatrime c™tŽ du carrŽ, comme rŽpŽtant le Nombre quaternaire, par lequel tout a pris son origine, nous offre le Nombre de tout ce qui est Centre ou Principe, dans quelque classe que ce soit ; mais, comme nous avons assez parlŽ du Principe universel qui est hors du Temps, et que ce carrŽ dont nous traitons actuellement, a simplement le temporel pour objet, on ne doit entendre par son quatrime c™tŽ, que les diffŽrents Principes agissants dans la classe temporelle, cÕest-ˆ-dire, tant ceux qui jouissent des facultŽs intellectuelles, que ceux qui sont bornŽs aux facultŽs sensibles et corporelles ; et mme, quant aux Principes immatŽriels des Etres corporels, sur lesquels nous nous sommes Žtendus aussi longuement quÕil nous a ŽtŽ permis de le faire, nous ne rappellerons ici ni leurs diffŽrentes propriŽtŽs, ni leur action innŽe, ni la nŽcessitŽ dÕune seconde action pour faire opŽrer la premire, ni en un mot, toutes ces observations qui ont ŽtŽ faites sur les Lois et le cours de la Nature matŽrielle.

Nous nous contenterons de faire remarquer, que le rapport qui peut se trouver entre ces Principes corporels et le quatrime c™tŽ du carrŽ, est une nouvelle preuve quÕen qualitŽ de quaternaires ou de centres, ils sont des Etres simples, distincts de la Matire et ds lors indestructibles, quoique leurs productions sensibles, qui ne sont que des assemblages, soient sujettes par leur nature ˆ se dŽcomposer.

CÕest donc seulement sur les Principes immatŽriels intellectuels, que nous devons actuellement fixer notre attention, et parmi ces Principes, il nÕen est aucun sur qui nous puissions attacher notre vue plus ˆ propos que sur lÕhomme en ce moment ; puisque cÕest lui qui a ŽtŽ le principal objet de cet Žcrit ; puisque cÕest en lui que devraient rŽsider essentiellement toutes les vertus renfermŽes dans cet important CarrŽ dont nous nous occupons ; puisque enfin, ce CarrŽ nÕa jamais ŽtŽ tracŽ que pour lÕhomme, et quÕil est la vŽritable source des sciences et des lumires dont cet homme a ŽtŽ malheureusement dŽpouillŽ.

Ce serait donc en contemplant avec soin le quatrime c™tŽ de ce carrŽ, que lÕhomme apprendrait vŽritablement ˆ en Žvaluer le prix et les avantages. Ce serait lˆ en mme temps o il verrait ˆ dŽcouvert les Erreurs, par lesquelles les hommes ont obscurci le fondement et lÕobjet mme des MathŽmatiques ; combien ils se trompent, quand ils subsistent aux Lois simples de cette sublime Science, leurs dŽcisions fautives et incertaines, et combien ils se nuisent ˆ eux-mmes, quand ils la bornent ˆ lÕexamen des Faits matŽriels de la Nature, tandis quÕen en faisant un autre usage, ils en pourraient retirer des fruits si prŽcieux.

Mais on sait que lÕhomme ne peut plus aujourdÕhui observer ce carrŽ sous le mme point de vue quÕil le faisait autrefois, et que parmi les quatre diffŽrentes classes qui y sont contenues, il nÕoccupe plus que la plus mŽdiocre et la plus obscure, au lieu que dans son origine il occupait la premire et la plus lumineuse.

CՎtait alors que puisant les connaissances dans leur source mme, et se rapprochant, sans fatigue et sans travail, du Principe qui lui avait donnŽ lՐtre, il jouissait dÕune paix et dÕune fŽlicitŽ sans bornes, parce quÕil Žtait dans son ElŽment. CÕest par ce mme moyen quÕil pouvait avec avantage et avec sžretŽ diriger sa marche dans toute la Nature, parce quÕayant empire sur les trois classes infŽrieures du carrŽ temporal, il pouvait les diriger, ˆ son grŽ, sans tre ŽpouvantŽ ni arrtŽ par aucun obstacle ; cÕest, dis-je, par les propriŽtŽs attachŽes ˆ cette place Žminente, quÕil avait une notion certaine de tous les Etres qui composent cette Nature corporelle, et pour lors il nՎtait pas exposŽ au danger de confondre sa propre Essence avec la leur.

Du carrŽ temporel

Au contraire, relŽguŽ aujourdÕhui ˆ la dernire des classes du CarrŽ temporel, il se trouve ˆ lÕextrŽmitŽ de cette mme Nature corporelle qui lui Žtait soumise autrefois, et dont il nÕaurait jamais dž Žprouver ni la rŽsistance, ni la rigueur. Il nÕa plus cet avantage inapprŽciable, dont il jouissait dans toute son Žtendue, lorsque placŽ entre le CarrŽ temporel et celui qui est hors du Temps, il pouvait ˆ la fois lire dans lÕun et dans lÕautre. Au lieu de cette lumire dont il aurait pu ne jamais se sŽparer, il nÕaperoit plus autour de lui quÕune affreuse obscuritŽ, qui lÕexpose ˆ toutes les souffrances auxquelles il est sujet dans son corps, et ˆ toutes les mŽprises auxquelles il est entra”nŽ dans sa pensŽe, par le faux usage de sa volontŽ et par lÕabus de toutes ses facultŽs intellectuelles.

Il nÕest donc que trop vrai quÕil est impossible ˆ lÕhomme dÕatteindre aujourdÕhui sans secours les connaissances renfermŽes dans le CarrŽ dont nous traitons, puisquÕil ne se prŽsente plus ˆ lui sous la face qui peut seule le lui rendre intelligible.

Ressources de lÕHomme

Mais, je lÕai promis, je ne veux pas dŽcourager lÕhomme ; je voudrais, au contraire, allumer en lui une espŽrance qui ne sՎteignit jamais ; je voudrais verser des consolations sur sa misre, en lÕengageant ˆ la comparer avec les moyens quÕil a prs de lui pour sÕen dŽlivrer.

Je vais donc actuellement fixer sa vue sur un attribut incorruptible quÕil possŽdait pleinement dans son origine, et dont la jouissance non seulement ne lui est pas totalement interdite aujourdÕhui, mais qui est mme un droit auquel il peut prŽtendre, et qui lui offre la seule voie et le seul moyen de retrouver cette place importante dont nous venons de parler.

Rien ne para”tra moins imaginaire que ce que jÕavance, quand on rŽflŽchira que mme dans sa privation, lÕhomme possde encore les facultŽs du dŽsir et de la volontŽ ; quÕainsi ayant des facultŽs, il lui faut des attributs pour les manifester, puisque la Cause premire elle-mme est soumise, ainsi que tout ce qui tient ˆ son Essence, ˆ la nŽcessitŽ de ne pouvoir rien manifester sans le secours de ses attributs.

Il est vrai que les facultŽs de ce Principe premier Žtant aussi infinies que les Nombres, les attributs qui leur rŽpondent doivent tre Žgalement sans limites ; car non seulement ce Principe premier manifeste des productions hors du temps, pour lesquelles il emploie des attributs inhŽrents en lui, et qui ne sont distincts entre eux que par leurs diffŽrentes propriŽtŽs ; mais il manifeste encore des productions dans le temps, et pour lesquelles, outre le secours de ces attributs insŽparables dÕavec lui-mme, il lui a fallu de plus des attributs hors de lui, venant de lui, agissant par lui, et qui ne fussent pas lui ; ce qui constitue la Loi des Etres temporels, et explique la double action de lÕUnivers.

Mais, quoique les manifestations que lÕhomme a ˆ faire ne soient nullement comparables ˆ celles de la Cause premire, on ne peut nŽanmoins lui contester les facultŽs que nous venons de reconna”tre en lui, ainsi que le besoin indispensable dÕattributs analogues ˆ ces facultŽs, pour pouvoir les mettre en valeur ; et puisque ces attributs sont les mmes que ceux par lesquels il a prouvŽ autrefois sa grandeur, nous verrons quÕil en devrait attendre aujourdÕhui les mmes secours, sÕil avait une volontŽ constante dÕen faire usage, et quÕil leur donn‰t toute sa confiance.

 

7

Attributs de lÕHomme

Ces attributs au-dessus de tout prix, et dans lesquels se trouve la seule ressource de lÕhomme, sont renfermŽs dans la connaissance des langues, cÕest-ˆ-dire, dans cette facultŽ commune ˆ toute lÕespce humaine de communiquer ses pensŽes ; facultŽ que toutes les Nations ont en effet cultivŽe, mais dÕune manire peu profitable pour elles, parce quÕelles ne lÕont pas appliquŽe ˆ son vŽritable objet.

Nous voyons Žvidemment que les avantages attachŽs ˆ la facultŽ de parler, sont les droits rŽels de lÕhomme, puisque par leur moyen il commerce avec ses semblables, et quÕil leur rend sensibles toutes ses pensŽes et toutes ses affections. CÕest mme lˆ ce qui seul peut vraiment rŽpondre ˆ ses dŽsirs sur cet objet ; car tous les signes quÕon a employŽs pour supplŽer ˆ la parole dans ceux qui en sont privŽs, soit par nature, soit par accident, ne remplissent ce but que trs imparfaitement.

Des langues factices

Cela se borne chez eux ordinairement ˆ des nŽgations et ˆ des affirmations, toutes choses qui ne sont que la suite dÕune question ; et si lÕon ne les interroge, ils ne peuvent dÕeux-mmes nous faire concevoir une pensŽe, ˆ moins, ce qui revient au mme, que lÕobjet nÕen soit sous leurs yeux, et que par le tact ou autres signes dŽmonstratifs, ils ne nous fassent comprendre lÕapplication quÕils en veulent faire.

Ceux qui ont poussŽ lÕindustrie plus loin, ne peuvent tre entendus que des Ma”tres qui les ont enseignŽs, ou de toute autre personne qui serait instruite de la convention ; mais alors, quoique ce soit bien lˆ une espce de langage, cependant nous ne pouvons jamais dire que ce soit une vŽritable Langue, puisque premirement elle nÕest pas commune ˆ tous les hommes, et en second lieu, quÕelle pche fortement par lÕexpression, en ce quÕelle est privŽe des avantages inapprŽciables qui se trouvent dans la prononciation.

Ce ne sera donc jamais lˆ, ni dans aucune des Langues factices, que se trouveront les vrais attributs de lÕhomme, parce que tout y Žtant conventionnel et arbitraire, et variant sans cesse, nÕannonce pas une vŽritable propriŽtŽ.

De lÕunitŽ des langues

DÕaprs cet exposŽ, nous pouvons dŽjˆ concevoir quelle doit tre la nature des Langues ; car jÕai dit quÕelles doivent tre communes ˆ tous les hommes ; or, comment peuvent-elles tre communes ˆ tous les hommes, si elles nÕont pas toutes les mmes signes ; ce qui est dire proprement quÕil ne doit y avoir quÕune Langue. Je ne donnerai point pour preuve de ce que jÕavance ici, cette aviditŽ avec laquelle les hommes cherchent ˆ acquŽrir la pluralitŽ des Langues, et cette sorte dÕadmiration que nous avons pour ceux qui en connaissent un grand nombre, quoique cette aviditŽ et cette admiration, toutes fausses quÕelles soient, offrent un indice de notre tendance vers lÕuniversalitŽ ou vers lÕUnitŽ.

Je ne dirai pas non plus avec quelle prŽdilection les Nations diffŽrentes regardent leur Langue particulire, et combien chaque Peuple est jaloux de la sienne.

Bien moins encore parlerai-je de lÕusage Žtabli entre quelques Souverains de ne sՎcrire que dans une Langue morte, et commune entre eux pour les correspondances dÕapparat, parce que non seulement cet usage nÕest pas gŽnŽral, mais encore quÕil tient ˆ un motif trop frivole, pour pouvoir tre de quelque poids dans la matire que je traite.

CÕest donc dans lÕhomme mme quÕil faut trouver la raison et la preuve quÕil est fait pour nÕavoir quÕune Langue, et ds lors on pourra reconna”tre par quelle Erreur on est venu ˆ nier cette VŽritŽ, et ˆ dire que les Langues nՎtant que lÕeffet de lÕhabitude et de la convention, il est inŽvitable quÕelles ne varient comme toutes les choses de la Terre ; ce qui a fait croire aux Observateurs quÕil peut y en avoir ˆ la fois plusieurs, Žgalement vraies, quoique diffŽrentes les unes des autres.

De la langue intellectuelle

Pour marcher avec quelque certitude dans cette carrire, je les engagerai ˆ considŽrer sÕils ne reconnaissent pas en eux deux sortes de Langues ; lÕune sensible, dŽmonstrative, et par le moyen de laquelle ils communiquent avec leurs semblables ; lÕautre, intŽrieure, muette, et qui cependant prŽcde toujours celle quÕils manifestent au-dehors, et en est vraiment comme la mre.

Je leur demanderai ensuite dÕexaminer la nature de cette Langue intŽrieure et secrte ; de voir si elle est autre chose que la voix et lÕexpression dÕun Principe extŽrieur ˆ eux, mais qui grave en eux sa pensŽe, et qui rŽalise ce qui se passe en lui.

Or, dÕaprs la connaissance que nous avons prise de ce Principe, on peut savoir que tous les hommes devant tre dirigŽs par lui, il ne devrait se trouver dans tous quÕune marche uniforme, que le mme but et la mme Loi, malgrŽ la variŽtŽ innombrable des pensŽes bonnes qui peuvent leur tre communiquŽes par cette voie.

Mais, puisque cette marche devrait tre si uniforme, puisque cette expression secrte devrait tre la mme partout, il est certain que les hommes, qui nÕauraient pas laissŽ dŽnaturer en eux les traces de cette Langue intŽrieure, lÕentendraient tous trs parfaitement car ils y trouveraient partout une conformitŽ avec ce quÕils sentent en eux, ils y verraient la similitude et la reprŽsentation de leurs idŽes mmes, ils y apprendraient que hors celles qui leur viennent du Principe du mal, il nÕy en a point qui leur soient Žtrangres enfin, ils se convaincraient dÕune manire frappante de la paritŽ universelle de lÕEtre intellectuel qui les constitue.

CÕest lˆ o ils reconna”traient clairement que la vraie Langue intellectuelle de lÕhomme Žtant partout la mme, est essentiellement une quÕelle ne pourra jamais varier, et quÕil ne peut en exister deux, sans que lÕune ne soit combattue et dŽtruite par lÕautre.

Alors, ainsi que nous lÕavons vu, ds que la langue extŽrieure et sensible nÕest que le produit de la langue intŽrieure et secrte ; si cette langue secrte Žtait toujours conforme au Principe qui doit ta diriger ; quÕelle fžt toujours une et toujours la mme, elle produirait universellement la mme expression sensible et extŽrieure ; par consŽquent, quoique nous soyons obligŽs dÕemployer aujourdÕhui des organes matŽriels, nous aurions encore une langue commune, et qui serait intelligible ˆ tous les hommes.

De la langue sensible

Quand est-ce donc que les langues sensibles ont pu varier parmi eux. Quand est-ce quÕils ont aperu de la disparitŽ dans la manire dont ils se communiquaient leurs idŽes ? NÕest-ce pas lorsque cette expression secrte et intŽrieure a commencŽ ˆ varier elle-mme, nÕest-ce pas lorsque le langage intellectuel de lÕhomme sÕest obscurci, et nÕa plus ŽtŽ lÕouvrage dÕune main pure; alors nÕayant plus sa lumire prs de lui, il a reu sans examen la premire idŽe qui sÕest offerte ˆ son Etre intellectuel, et nÕa plus senti la liaison, ni la correspondance de ce quÕil recevait, avec le Principe vrai dont il devait tout obtenir. Alors enfin, remis ˆ lui-mme, sa volontŽ et son imagination ont ŽtŽ ses seules ressources ; et il a suivi par besoin comme par ignorance toutes les productions que ces faux guides lui ont prŽsentŽes.

CÕest par lˆ que lÕexpression sensible ˆ ŽtŽ totalement altŽrŽe, parce que lÕhomme ne voyant plus les choses dans leur nature, leur a donnŽ des noms qui venaient de lui, et qui nՎtant plus analogues ˆ ces mmes choses, ne pouvaient plus les dŽsigner, comme leurs noms naturels le faisaient sans Žquivoque.

Que quelques hommes seulement aient suivi cette route erronŽe, et si peu susceptible dÕuniformitŽ, alors chacun aura sžrement donnŽ aux mmes choses des noms diffŽrents, ce qui rŽpŽtŽ par un grand nombre, et perpŽtuŽ de plus en plus dans la succession des temps, doit, ˆ la vŽritŽ, nous offrir le spectacle le plus variable et le plus bizarre. Ne doutons pas que ce ne soit lˆ lÕorigine de la diffŽrence et de la division des langues, et dÕaprs tout ce que jÕen ai dit, quand je nÕen aurais pas dÕautres preuves, ceci serait plus que suffisant pour nous convaincre que les hommes sont prodigieusement ŽloignŽs de leur Principe. Car, je le rŽpte, sÕils Žtaient tous guidŽs par ce Principe, leur langue intellectuelle serait la mme et par consŽquent, leurs langues sensibles et extŽrieures nÕauraient que les mmes signes et les mmes idiomes.

On ne me contestera pas, je lÕespre, ce que je viens de dire, sur les noms naturels et significatifs des Etres : quoique dans les diffŽrentes langues en usage sur la terre, les noms ne nous offrent rien dÕuniforme, cependant nous sommes obligŽs de croire quÕelles devraient nÕemployer que des noms qui indiquassent universellement et clairement les choses ; par cette raison ces langues si diffŽrentes les unes des autres ne sauraient raisonnablement passer pour de vŽritables langues ; et dÕailleurs chacune de ces langues considŽrŽe en elle-mme, toute fausse quÕelle soit, nous offrira clairement la preuve de ce que jÕavance.

Les mots que chacune de ces langues emploie, quoique Žtant conventionnels, ne seront-ils pas pour tous ceux qui seront instruits de cette convention, un signe certain des Etres quÕils reprŽsentent ? Ne voyons-nous pas mme le penchant naturel que nous avons tous pour exprimer les choses par les signes ou les mots qui nous paraissent le plus analogues ? Et ne gožtons-nous pas un plaisir secret mlŽ dÕadmiration, quand on nous offre des signes, des expressions et des figures qui nous rapprochent le plus de la Nature des objets quÕon veut nous prŽsenter, et qui nous les font le mieux concevoir ?

Que faisons-nous donc en ceci que rŽpŽter la marche de la VŽritŽ mme, qui a Žtabli une langue commune entre toutes ses productions, et qui leur ayant donnŽ ˆ chacune un nom propre et liŽ ˆ leur essence, les a mis ˆ couvert de toute Žquivoque entre elles ? NÕen prŽserverait-elle pas par le mme moyen les hommes, qui ayant tous pour t‰che de rŽtablir leur liaison avec ses ouvrages, auraient su travailler et parvenir ˆ en conna”tre les vŽritables noms ?

De lÕorigine des langues

Nous ne pouvons donc nier que dans notre difformitŽ mme et dans notre privation, nous ne nous tracions des emblmes expressifs de la Loi des Etres, et que lÕusage faux que nous faisons du langage ne nous annonce lÕemploi plus juste et plus satisfaisant que nous en pourrions faire, sans sortir pour cela de la Nature, et seulement en nÕoubliant pas la source o ce langage devrait prendre son origine.

Il est donc vrai que si les Observateurs eussent remontŽ jusquՈ cette expression secrte et intŽrieure que le Principe intellectuel fait dans nous, avant de se manifester au-dehors, cÕežt ŽtŽ lˆ quÕils auraient trouvŽ lÕorigine de la langue sensible, comme Žtant le vrai Principe, et non pas dans les Causes fragiles et impuissantes qui se bornent ˆ opŽrer leur Loi particulire, et qui ne peuvent rien produire de plus. Ils nÕeussent pas cherchŽ ˆ expliquer par de simples Lois de Matire, des faits dÕun ordre supŽrieur, qui ont subsistŽ avent le temps, qui subsisteront aprs le temps et sans interruption, indŽpendamment de la Matire. Ce nÕest plus lÕorganisation, ce nÕest plus une dŽcouverte des premiers hommes qui passant dՉge en ‰ge, sÕest perpŽtuŽe jusquՈ nos jours parmi lÕespce humaine, par le moyen de lÕexemple et de lÕinstruction ; mais, ainsi que nous le verrons, cÕest le vŽritable attribut de lÕhomme, et quoiquÕil en ait ŽtŽ dŽpouillŽ depuis quÕil sÕest ŽlevŽ contre sa Loi, il lui en est restŽ des vestiges qui pourraient le ramener jusquՈ sa source, sÕil avait le courage de les suivre pas ˆ pas et de sÕy attacher fortement.

ExpŽriences sur des enfants

Je sais que parmi mes semblables ce point est un des plus contestŽs ; que non seulement ils sont incertains quelle a pu tre la premire langue des hommes, mais mme quՈ force de varier lˆ-dessus, ils ont pu venir ˆ croire que lÕhomme nÕen avait point la source en lui, et cela, parce quÕils ne le voient pas parler naturellement, quand il est abandonnŽ ˆ lui-mme ds son enfance.

Mais ne verront-ils jamais en quoi pche leur observation ? Ne savent-ils pas que dans lՎtat de privation o lÕhomme se trouve aujourdÕhui, il est condamnŽ ˆ ne rien opŽrer, mme par ses facultŽs intellectuelles, sans le secours dÕune rŽaction extŽrieure, qui les mette en jeu et en action ; et quÕainsi, priver lÕhomme de cette Loi, cÕest absolument lui ™ter toutes les ressources que la Justice lui avait accordŽes, et le mettre dans le cas de laisser Žtouffer ses facultŽs, sans quÕelles produisent le moindre fruit.

Cependant on ne peut nier que ce ne soit lˆ la marche des Observateurs, par ces expŽriences rŽitŽrŽes quÕils ont faits sur des enfants pour dŽcouvrir, en sÕabstenant de parler devant eux, quelle serait leur langue naturelle. Quand ils ont vu ensuite que ces enfants ne faisaient aucun usage de la parole, ou quÕils ne rendait que des sons confus, ils ont interprŽtŽ le tout ˆ leur grŽ, et ont b‰ti des opinions sur des faits quÕils avaient arrangŽs eux-mmes. Mais nÕest-il pas Žvident que la Nature sensible et la Loi intellectuelle appellent Žgalement lÕhomme ˆ vivre en sociŽtŽ ? Or, pourquoi lÕhomme se trouve-t-il ainsi placŽ au milieu de ses semblables qui sont censŽs avoir fait leur rŽhabilitation, si ce nÕest pour y recevoir tous les secours dont il a besoin, pour ranimer ˆ sont tour ses facultŽs ensevelies, et pouvoir les exercer ˆ son profit ?

CÕest donc agir directement contre ces deux Lois et contre lÕhomme, que de le priver des secours quÕil devait en attendre ; cÕest tre peu sensŽ que de le juger, aprs lui avoir ™tŽ tous les moyens dÕacquŽrir lÕusage des facultŽs quÕon lui conteste, et dont on cherche ˆ le croire incapable. Il vaudrait autant placer un germe sur une pierre, et nier ensuite que ce germe džt porter des fruits.

Mais, sans aller plus loin, sÕil est Žvident que quand lÕhomme est privŽ des secours qui lui sont indispensablement nŽcessaires, il ne peut produire aucune langue fixe, et que cependant il y a des langues parmi les hommes ; o pourra-t-on donc trouver lÕorigine de ce langage universel, et ne faudra-t-il pas convenir que celui qui a pu lÕenseigner le premier, a dž le recevoir dÕailleurs que de la main des hommes ?

Du langage des tres sensibles

Il y a, je le sais, une espce de langage naturel et uniforme, que les Observateurs sÕaccordent assez gŽnŽralement ˆ reconna”tre dans lÕhomme, cÕest celui par lequel il dŽsigne ses affections de plaisir et de douleur ; ce qui annonce en lui une sorte de sons appropriŽs ˆ cet usage.

Mais il est bien clair que ce langage, si cÕen est un, nÕa que les sensations corporelles pour guide et pour objet ; et la preuve la plus convaincante que nous en ayons, cÕest quÕil se trouve Žgalement dans les btes, dont la plupart manifestent au-dehors leurs sensations par des mouvements et mme par des sons caractŽrisŽs.

Toutefois cette espce de langage doit peu nous Žtonner dans lÕanimal, si nous nous rappelions les principes Žtablis ci-dessus. Le Principe corporel de lÕanimal nÕest-il pas immatŽriel, puisquÕil ne peut y avoir aucun Principe qui ne le soit ? Comme tel, ne doit-il pas avoir des facultŽs, et sÕil a des facultŽs, ne doit-il pas avoir des moyens de les manifester ? Mais aussi, les moyens dont chaque Etre en particulier peut avoir lÕusage, doivent toujours tre en raison de ses facultŽs ; car, sÕil nÕy avait pas lˆ une mesure comme dans tout le reste, ce serait une irrŽgularitŽ, et dans les Lois des Etres nous ne saurions jamais en admettre.

CÕest donc par cette mesure que lÕon doit Žvaluer lÕespce de langage par lequel les btes dŽmontrent leurs facultŽs ; puisque Žtant bornŽes ˆ sentir, il ne leur a fallu que les moyens de faire conna”tre quÕelles sentaient, et elles les ont. Les Etres qui nÕont dÕautres facultŽs que celles de la vŽgŽtation, dŽmontrent aussi clairement cette facultŽ de vŽgŽtation par le fait mme, mais ils ne dŽmontrent que cela.

Ainsi, quoique la bte ait des sensations, et quÕelle les exprime ; quoique dans lՎtat actuel des choses ces sensations soient de deux sortes, lÕune bonne et lÕautre mauvaise, et que la bte les dŽsigne toutes deux en montrant quand elle a de la joie, ou quand elle souffre, on ne peut se dispenser de borner ˆ ce seul objet son langage et tous les signes dŽmonstratifs qui en font partie ; et jamais on en pourra regarder cette manire de sÕexprimer comme une vraie langue, puisquÕune langue a pour but dÕexprimer les pensŽes, que les pensŽes sont le propre des Principes intellectuels, et que jÕai assez clairement dŽmontrŽ que le Principe de la bte nÕest point intellectuel, quoiquÕil soit immatŽriel.

Si nous sommes fondŽs ˆ ne point regarder comme une langue rŽelle les dŽmonstrations par lesquelles la bte fait conna”tre ses sensations ; alors, quoique lÕhomme, comme animal, ait aussi ces sensations et les moyens de les manifester, nous nÕadmettrons jamais la moindre comparaison, entre ce langage bornŽ et obscur, et celui dont la Nature intellectuelle des hommes les rend susceptibles.

Rapport du langage aux facultŽs

Ce serait sans doute une Žtude intŽressante et instructive, que dÕobserver dans toute la Nature, cette mesure qui se trouve entre les facultŽs des Etres et les moyens qui leur ont ŽtŽ accordŽs pour les exprimer. Nous y verrions, quՈ proportion quÕils sont ŽloignŽs par leur nature, du premier anneau de la cha”ne, leurs facultŽs sont moins Žtendues. Nous verrions en mme temps que les moyens quÕils ont de les faire conna”tre, suivent avec exactitude cette progression, et dans ce sens nous pourrions accorder une sorte de langage jusquÕaux moindres des Etres crŽŽs, puisque ce langage ne serait autre chose que lÕexpression de leurs facultŽs, et cette uniformitŽ sans laquelle il ne pourrait y avoir ni commerce, ni correspondance, ni affinitŽ entre les Etres de la mme classe.

Il faudrait nŽanmoins dans cet examen avoir la plus grande attention de prendre tous les Etres chacun dans leur classe, et de ne pas attribuer ˆ lÕune ce qui nÕappartient quՈ lÕautre ; il ne faudrait pas attribuer au minŽral toutes les facultŽs des plantes, ni la mme manire de les manifester ; non plus quÕattribuer ˆ la plante ce que lÕon aurait observŽ dans lÕanimal ; bien moins encore faudrait-il attribuer ˆ ces tres infŽrieurs, et qui nÕont quÕune action passagre, tout ce que nous venons de dŽcouvrir dans lÕhomme. Sans cela, ce serait retomber dans cette horrible confusion des langues, le principe de toutes nos Erreurs et la vraie cause de notre ignorance, en ce que ds lors la nature de tous les Etres serait dŽfigurŽe pour nous.

Mais, comme ce point serait peut-tre dÕune trop grande Žtendue pour mon Ouvrage, je me contente de lÕindiquer, et je le laisse ˆ traiter ˆ ceux qui auront la modestie de se borner ˆ des sujets isolŽs, et moins vastes que celui qui mÕoccupe.

 

De la langue universelle

Je reviens donc ˆ cette langue vŽritable et originelle, la ressource la plus prŽcieuse de lÕhomme. JÕannonce de nouveau, que comme Etre immatŽriel et intellectuel, il a dž recevoir avec sa premire existence, des facultŽs dÕun ordre supŽrieur, et par consŽquent les attributs nŽcessaires pour les manifester ; que ces attributs ne sont autre chose que la connaissance dÕune langue commune ˆ tous les Etres pensants ; que cette langue universelle devait leur tre dictŽe par un seul et mme Principe, dont elle est le vŽritable signe ; que lÕhomme nÕayant plus en entier ces premires facultŽs, puisque nous avons vu quÕil nÕavait pas mme la pensŽe ˆ lui, les attributs qui les accompagnaient, lui ont aussi ŽtŽ enlevŽs, et que cÕest pour cela que nous ne lui voyons plus cette langue fixe et invariable.

Mais nous devons rŽpŽter aussi quÕil nÕa pas perdu lÕespŽrance de la recouvrer, et quÕavec du courage et des efforts, il peut toujours prŽtendre ˆ rentrer dans ses premiers droits.

SÕil mՎtait permis dÕen citer des preuves, je ferais voir que la terre en est remplie, et que depuis que le monde existe, il y a une langue qui ne sÕest jamais perdue, et qui ne se perdra pas mme aprs le monde, quoique alors elle doive tre simplifiŽe ; je ferais voir que des hommes de toutes Nations en ont eu connaissance ; que quelques-uns sŽparŽs par des sicles, de mme que des contemporains, quoique ˆ des distances considŽrables, se sont entendus par le moyen de cette langue universelle et impŽrissable.

On apprendrait par cette langue comment les vrais LŽgislateurs se sont instruits des Lois et des principes, par lesquels se sont conduits dans tous les temps les hommes qui ont possŽdŽ la Justice, et comment en rŽglant leur marche sur ces modles, ils ont eu la certitude que leurs pas Žtaient rŽguliers. On y verrait aussi les vrais principes militaires dont les grands GŽnŽraux ont acquis la connaissance, et quÕils ont employŽe avec tant de succs dans les combats.

Elle donnerait la clef de tous les calculs, la connaissance de la construction et de la dŽcomposition des Etres, de mme que de leur rŽintŽgration. Elle ferait conna”tre les vertus du Nord, la cause de la dŽviation de la boussole, la terre vierge, objet du dŽsir des aspirants ˆ la Philosophie occulte. Enfin, sans entrer ici dans un plus grand dŽtail de ses avantages, je ne crains point dÕassurer que ceux quÕelle peut procurer sont sans nombre, et quÕil nÕest pas un Etre sur lequel son pouvoir et son flambeau ne sՎtendent.

Mais, outre que je ne pourrais mÕouvrir davantage sur cet objet, sans manquer ˆ ma promesse et ˆ mes devoirs, il serait trs inutile que jÕen parlasse plus clairement, parce que mes paroles seraient perdues pour ceux qui nÕont pas tournŽ leur vue de ce c™tŽ, et le nombre en est comme infini.

Quant ˆ ceux qui sont dans le chemin de la science, ce que jÕai dit leur suffira, sans quÕil soit nŽcessaire de lever pour eux un autre coin du voile.

Tout ce que je puis donc faire pour montrer la correspondance universelle des principes que jÕai Žtablis, cÕest de prier mes Lecteurs de se ressouvenir de ce livre de dix feuilles, donnŽ ˆ lÕhomme dans sa premire origine, et quÕil a gardŽ mme depuis sa seconde naissance, mais dont on lui a ™tŽ lÕintelligence et la vŽritable Clef ; je les prie encore dÕexaminer les rapports quÕils pourront apercevoir entre les propriŽtŽs de ce livre et celles de la langue fixe et unique, de voir sÕil nÕy a pas entre elles une trs grande affinitŽ, et de t‰cher de les expliquer les unes par les autres ; car cÕest effectivement lˆ o se trouverait la clef de la science, et si le livre en question renferme toutes les connaissances, ainsi quÕon lÕa vue dans son lieu, la langue dont nous parlons en est le vŽritable Alphabet.

De lՎcriture et de la parole

CÕest avec la mme prŽcaution que je dois parler dÕun autre point qui tient essentiellement ˆ celui que je viens de traiter, savoir, des moyens par lesquels cette langue se manifeste. Ce nÕest sans doute que de deux manires, comme toutes les langues, savoir, par lÕexpression verbale et par les caractres ou lՎcriture ; lÕune venant ˆ notre connaissance par le sens de lÕou•e, et lÕautre par le sens de la vue, les seuls de nos sens qui soient attachŽs ˆ des actes intellectuels : mais dans lÕhomme seulement ; car, quoique la bte ait aussi ces deux sens, ils ne peuvent avoir dans elle quÕune destination et une fin matŽrielle et sensible, puisquÕelle nÕa point dÕintelligence ; aussi, lÕou•e et la vue dans lÕanimal nÕont pour objet, comme tous ses autres sens, que la conservation de lÕindividu corporel ; ce qui fait que les btes nÕont ni parole, ni Žcriture.

Il est donc vrai que cÕest par ces deux moyens que lÕhomme parvient ˆ la connaissance de tant de choses ŽlevŽes, et cette langue emploie rŽellement le secours des sens de lÕhomme pour lui faire concevoir sa prŽcision, sa force et sa justesse.

Et comment cela pourrait-il tre autrement, puisquÕil ne peut rien recevoir que par ses sens, puisque mme dans son premier Žtat, lÕhomme avait des sens par o tout sÕopŽrait comme aujourdÕhui, avec cette diffŽrence quÕils nՎtaient pas susceptibles de varier dans leurs effets, comme les sens corporels de sa Matire, qui ne lui offrent quÕincertitude, et sont les principaux instruments de ses erreurs ?

DÕailleurs, comment pourrait-il parvenir ˆ entendre les hommes qui lÕauraient prŽcŽdŽs, ou qui vivraient ŽloignŽs de lui, si ce nÕest par le secours de lÕEcriture ? II faut convenir cependant que ces mmes hommes, ou passŽs, ou ŽloignŽs, peuvent avoir des Interprtes ou des Commentateurs, qui instruits comme eux des vrais principes de la langue dont nous parlons, en fassent usage dans la conversation, et rapprochent par-lˆ et les temps et les distances.

CÕest mme lˆ une des plus grandes satisfactions que la langue vraie puisse procurer, parce que cette voix est infiniment plus instructive ; mais cÕest aussi la plus rare, et parmi les hommes le talent de lՎcriture est beaucoup plus commun que celui de la parole.

La raison de ceci, cÕest que dans la condition actuelle, nous ne pouvons monter que par gradation ; et en effet, par rapport ˆ toutes les langues ; le sens de la vue est au-dessous de celui de lÕou•e, parce que cÕest par lÕou•e que lÕhomme reoit en nature, au moyen de la parole, lÕexplication vivante, ou lÕintellectuel dÕune langue, au lieu que lՎcriture ne fait que lÕindiquer, en nÕoffrant aux yeux quÕune expression morte et des objets matŽriels.

Quoi quÕil en soit, par le moyen de la parole et de lՎcriture, qui sont propres ˆ la vraie langue, lÕhomme peut sÕinstruire de tout ce qui a rapport aux choses les plus anciennes ; car personne nÕa parlŽ, ni Žcrit autant que les premiers hommes, quoique aujourdÕhui il se fasse infiniment plus de Livres quÕautrefois. Il est vrai que parmi les Anciens et les Modernes, il y en a plusieurs qui ont dŽfigurŽ cette Žcriture et ce langage, mais, lÕhomme peut conna”tre ceux qui ont fait ces funestes mŽprises, et par lˆ il verrait clairement lÕorigine de toutes ces langues de la Terre, comment elles se sont ŽcartŽes de la langue premire, et la liaison que ces Žcarts ont eu avec les tŽnbres et lÕignorance des Nations, ce qui les a prŽcipitŽes dans des ab”mes de misres dont elles ont murmurŽ, au lieu de se les attribuer.

Il apprendrait aussi comment la main qui frappait ainsi ces Nations, nÕavait en vue que de les punir et non de les livrer ˆ jamais au dŽsespoir ; puisque sa justice Žtant satisfaite, elle leur a rendu leur premire langue, et mme avec plus dՎtendue quÕauparavant, afin que non seulement elles pussent rŽparer leurs dŽsordres, mais quÕelles eussent mme les moyens de sÕen prŽserver ˆ lÕavenir.

Je ne tarirais point sÕil mՎtait permis dՎtendre plus loin le tableau des avantages infinis renfermŽs dans les diffŽrents moyens que cette langue emploie, soit pour lÕoreille, soit pour les yeux. NŽanmoins, si lÕon conoit quÕelle demande pour prix le sacrifice entier de la volontŽ de lÕhomme ; si elle nÕest intelligible quՈ ceux qui se sont oubliŽs eux-mmes pour laisser agir pleinement sur eux la Loi de la Cause active et intelligente qui doit gouverner lÕhomme comme tout lÕUnivers ; on doit voir si elle peut tre connue dÕun grand nombre.

Cependant, cette langue nÕest pas un instant sans agir, soit par le discours, soit par lՎcriture ; mais lÕhomme ne sÕoccupe quՈ se fermer lÕoreille, et il cherche de lՎcriture dans les Livres ; comment la vraie langue serait-elle donc intelligible pour lui ?

De lÕuniformitŽ des langues

Un attribut tel que celui dont je viens de donner le tableau, ne peut sans doute souffrir de comparaison avec aucun autre. CÕest pour cela que je me suis cru fondŽ ˆ lÕannoncer comme seul et unique, et indŽpendant de toutes les variations auxquelles les hommes peuvent sÕabandonner sur cet objet.

Mais il ne suffit pas dÕavoir prouvŽ la nŽcessitŽ dÕun pareil langage dans les Etres intellectuels pour lÕexpression de leurs facultŽs ; il ne suffit pas mme dÕen avoir assurŽ lÕexistence, en annonant que cՎtait lˆ o tous les vrais LŽgislateurs et autres hommes cŽlbres avaient puisŽ leurs principes, leurs Lois et les ressorts de toutes leurs grandes actions ; il faut encore en prouver la rŽalitŽ dans lÕhomme mme, afin quÕil nÕait plus aucun doute sur ce point ; il faut lui montrer que la multitude des langues qui sont en usage parmi ses semblables, nÕont variŽ que sur lÕexpression sensible, tant dans le langage que dans lՎcriture, mais que quant au Principe, il nÕy en a pas une qui sÕen soit ŽcartŽe, quÕelles suivent toutes la mme marche, quÕil leur est absolument impossible dÕen tenir une autre ; en un mot, que toutes les Nations de la Terre nÕont quÕune mme langue, quoiquÕil y en ait ˆ peine deux qui sÕentendent.

De la grammaire

On ne peut nier, en effet, quÕune langue quelque imparfaite quÕelle puisse tre, ne soit dirigŽe par une Grammaire. Or, cette Grammaire nՎtant autre chose quÕun rŽsultat de lÕordre inhŽrent ˆ nos facultŽs intellectuelles, tient de si prs ˆ leur langue intŽrieure, quÕon peut les regarder comme insŽparables.

CÕest donc cette Grammaire qui est la rŽgie invariable du langage parmi toutes les Nations. CÕest lˆ cette Loi ˆ laquelle elles sont nŽcessairement soumises, lors mme quÕelles font le plus mauvais usage de leurs facultŽs intellectuelles, ou de leur langue intŽrieure et secrte ; car cette Grammaire ne servant quՈ diriger lÕexpression de nos idŽes, ne juge point si elles sont ou non conformes au seul Principe qui doit les vivifier ; sa fonction nÕest que de rendre cette expression rŽgulire ; et cÕest ce qui ne peut jamais manquer dÕarriver, puisque, lorsque la Grammaire agit, elle est toujours juste, ou elle ne dit rien.

Je nÕemploierai pour preuve, que ce qui entre dans la composition du discours, ou ce qui est connu vulgairement sous le nom de parties dÕoraison. Parmi ces parties du discours, les unes sont fixes, fondamentales et indispensables pour complŽter lÕexpression dÕune pensŽe, et elles sont au nombre de trois. Les autres ne sont que des accessoires ; aussi le nombre nÕen est-il pas gŽnŽralement dŽterminŽ.

Les trois parties fondamentales du discours, et sans lesquelles il est de toute impossibilitŽ de rendre une pensŽe, sont le nom ou le pronom actifs, le verbe qui exprime la manire dÕexister, ainsi que les actions des Etres, enfin le nom ou le pronom passif qui est le sujet ou le produit de lÕaction. Que tout homme examine cette proposition avec la rigueur quÕil jugera ˆ propos dÕy employer, il verra toujours quÕun discours quelconque ne peut avoir lieu sans reprŽsenter une action, quÕune action ne peut se concevoir si elle nÕest conduite par un agent qui lÕopre, et suivie de lÕeffet qui en est, en doit, ou en peut tre le rŽsultat ; que si lÕon supprime lÕune ou lÕautre de ces trois parties, nous ne pouvons prendre de la pensŽe une notion complte, et quÕalors nous sentons quÕil manque quelque chose ˆ lÕordre quÕexige notre intelligence.

En effet, un nom ou un substantif seul, ne dit absolument rien sÕil nÕest accompagnŽ dÕun agent qui opre sur lui et dÕun verbe qui dŽsigne de quelle manire cet agent opre sur ce nom et en dispose. Retranchez lÕun ou lÕautre de ces trois signes, le discours nÕoffrira plus quÕune idŽe tronquŽe et dont notre intelligence attendra toujours le complŽment, au lieu quÕavec ces trois signes seuls nous pouvons complŽter une pensŽe, parce que nous pouvons y reprŽsenter lÕagent, lÕaction, et le produit ou le sujet. Il est donc certain que cette Loi de la Grammaire est invariable, et que dans quelque langue que lÕon choisisse un exemple, on le trouvera conforme au principe que je viens de poser, puisque cÕest celui de la Nature mme, et des Lois Žtablies par essence dans les facultŽs intellectuelles de lÕhomme.

QuÕon rŽflŽchisse ˆ prŽsent sur tout ce que jÕai dit du poids, du nombre et de la mesure ; quÕon voie si ces Lois ne comprennent pas lÕhomme dans leur empire avec tout ce qui est en lui, et tout ce qui provient de lui ; quÕon se rappelle encore ce que jÕai dit de ce fameux Ternaire dont jÕai annoncŽ lÕuniversalitŽ ; quÕon examine sÕil y a quelque objet quÕil nÕembrasse pas, et quÕon apprenne alors ˆ prendre une idŽe plus noble quÕon ne lÕa fait jusquՈ prŽsent, de lÕEtre qui malgrŽ sa dŽgradation, peut porter sa vue jusque lˆ ; qui peut rapprocher de lui de pareilles connaissances, et saisir un ensemble aussi Žtendu.

On pourrait cependant mÕopposer quÕil est des cas o les trois parties que je reconnais comme fondamentales dans le discours, ne sont pas toutes exprimŽes ; que souvent il nÕy en a que deux, quelquefois quÕune, et mme quelquefois point du tout, comme dans une nŽgation ou affirmation. Mais cette objection tombe dÕelle-mme, quand on observera que dans tous ces cas, le nombre des trois parties fondamentales conserve toujours son pouvoir, et que sa Loi y subsiste toujours, parce que celles des parties du discours qui ne seront pas exprimŽes, ne seront que sous-entendues, quÕelles tiendront toujours leur rang, et que mme ce ne sera que par leur liaison tacite avec elles, que les autres produiront leur effet.

Et vŽritablement, quand je ne rŽpondrais ˆ une question que par une monosyllabe, ce monosyllabe offrirait toujours lÕimage du Principe ternaire, car il annoncerait toujours de ma part une action quelconque relative ˆ lÕobjet quÕon mÕa prŽsentŽ, et cÕest dans la question mme que se trouveraient exprimŽes les parties du discours qui seraient sous-entendues dans ma rŽponse. Je nÕen donnerai point dÕexemple, chacun pouvant sÕen former aisŽment.

Ainsi, je vois donc partout avec la plus grande Žvidence les trois signes de lÕagent, de lÕaction et du produit ; et cet ordre Žtant commun ˆ tous les Etres pensants, je ne crains point de dire que quand ils le voudraient, ils ne pourraient sÕen Žcarter.

Je ne parle point de lÕordre dans lequel ces trois signes devraient tre arrangŽs pour tre en conformitŽ avec lÕordre des facultŽs quÕils reprŽsentent ; cet ordre a ŽtŽ sans doute interverti, en passant par la main des hommes, et presque toutes les langues des Nations varient lˆ­-dessus. Mais la vraie langue Žtant unique, lÕarrangement de ces signes nÕežt pas ŽtŽ sujet ˆ tous ces contrastes, si lÕhomme ežt su la conserver.

Il ne faut pas croire cependant que mme dans la vraie langue, ces trois signes eussent toujours ŽtŽ disposŽs dans le mme ordre o ils le sont dans nos facultŽs intellectuelles ; car ces signes nÕen sont que lÕexpression sensible, et je suis convenu que le sensible ne pouvait jamais avoir la mme marche que lÕintellectuel ; cÕest-ˆ-dire, que la production ne pouvait jamais tre susceptible des mmes lois que son Principe gŽnŽrateur.

Mais la supŽrioritŽ quÕelle ežt eu sur toutes les autres langues, cÕest que son expression sensible nÕaurait jamais variŽ, et que cette expression ežt suivi, sans la moindre altŽration, lÕordre et les Lois qui sont propres et particulires ˆ son essence. Cette langue ežt eu de plus, ainsi quÕon lÕa dŽjˆ vu, lÕavantage dՐtre ˆ couvert de toute Žquivoque, et dÕavoir toujours la mme signification, parce quÕelle tient ˆ la nature des choses, et que la nature des choses est invariable.

 

Du Verbe

Parmi les trois signes fondamentaux auxquels toute expression de nos pensŽes est assujettie, il en est un qui mŽrite par prŽfŽrence notre attention, et sur lequel nous allons jeter un moment les yeux ; cÕest celui qui lie les deux autres, qui est lÕimage de lÕaction parmi nos facultŽs intellectuelles, et lÕimage du Mercure parmi les principes corporels ; en un mot, cÕest celui quÕon nomme le Verbe parmi les Grammairiens.

Il ne faut donc pas oublier que sÕil est lÕimage de lÕaction, cÕest sur lui que tout lÕÏuvre sensible est appuyŽ ; et que puisque la propriŽtŽ de lÕaction est de tout faire, celle de son signe ou de son image est de reprŽsenter et dÕindiquer tout ce qui se fait.

Aussi, quÕon rŽflŽchisse sur les propriŽtŽs de ce signe dans la composition du discours ; quÕon voie que plus il est fort et expressif, plus les rŽsultats qui en proviennent sont sensibles et marquŽs ; quÕon suive cette expŽrience facile ˆ faire, que mme dans toutes les choses soumises au pouvoir ou aux conventions de lÕhomme, lÕeffet en est rŽglŽ, dŽterminŽ, animŽ principalement par le Verbe. Enfin, que les Observateurs examinent si ce nÕest pas par ce signe appelŽ Verbe, que se manifeste tout ce que nous connaissons de plus intellectuel et de plus actif en nous ; sÕil nÕest pas le seul des trois signes qui soit susceptible de fortifier ou dÕaffaiblir lÕexpression, tandis que les noms de lÕagent et du sujet une fois fixŽs, demeurent toujours les mmes ; cÕest par lˆ quÕon jugera si nous avons ŽtŽ fondŽs ˆ lui attribuer lÕaction, puisquÕil en est vraiment dŽpositaire, et quÕil faut absolument son secours pour que quelque chose se fasse, ou sÕexprime mme tacitement.

CÕest ici le lieu de remarquer, pourquoi les Observateurs oisifs et les Kabbalistes spŽculatifs, ne trouvent rien, cÕest quÕils parlent toujours, et quÕils ne VERBENT jamais.

Je ne mՎtendrai pas davantage sur les propriŽtŽs du Verbe ; des yeux intelligents pourront, dÕaprs ce que jÕai dit, faire les plus importantes dŽcouvertes, et se convaincre eux-mmes quՈ tous les instants de sa vie, lÕhomme reprŽsente lÕimage sensible des moyens par lesquels tout a pris naissance, tout agit, et tout est gouvernŽ.

Voilˆ donc encore une des Lois auxquelles tous les Etres qui ont le privilge de la parole, sont obligŽs de se soumettre, et voilˆ pourquoi jÕai dit que toutes les Nations de la Terre nÕavaient quÕune langue, quoique la manire dont elles sÕexpriment fžt universellement diffŽrente.

Des parties accessoires du discours

Je nÕai point parlŽ des autres parties qui entrent dans la composition du discours ; je les ai annoncŽes simplement comme accessoires, ne servant quՈ aider ˆ lÕexpression, ˆ supplŽer ˆ la faiblesse des mots, et ˆ dŽtailler quelques rapports de lÕaction ; ou si lÕon veut, comme des images et des rŽpŽtitions des trois parties que nous avons reconnues comme seules essentielles pour complŽter le tableau dÕune pensŽe quelconque.

En effet, on doit savoir que les Articles, ainsi que les terminaisons des noms dans les langues qui nÕont point dÕArticles, servent ˆ exprimer le nombre et le genre des noms, et ˆ dŽterminer les rapports essentiels qui sont entre lÕagent, lÕaction et le sujet ; que les Adjectifs expriment les qualitŽs des noms, que les Adverbes sont les adjectifs du verbe ou de lÕaction ; enfin, que les autres parties de lÕoraison forment la liaison du discours, et en rendent le sens plus ou moins expressif, ou les pŽriodes plus harmonieuses ; mais comme lÕusage de ces diffŽrents signes nÕest pas uniformŽment commun ˆ toutes les langues; quÕil tient beaucoup aux mÏurs et aux habitudes des Nations, toutes choses qui Žtant liŽes au sensible doivent en suivre les variations, on ne peut les admettre au rang des parties fixes et immuables du discours ; ainsi nous ne les emploierons point dans les preuves que nous apportons de lÕunitŽ de la langue de lÕhomme.

Rapports universels de la grammaire

JÕengage nŽanmoins les Grammairiens ˆ considŽrer leur Science avec un peu plus dÕattention quÕils ne lÕont fait sans doute jusquՈ prŽsent. Ils avouent bien que les langues viennent dÕune source supŽrieure ˆ lÕhomme, et que toutes les Lois en sont dictŽes par la Nature ; mais ce sentiment obscur a produit chez eux peu dÕeffets, et ils sont bien ŽloignŽs de souponner dans les langues tout ce quÕils y pourraient trouver.

Veut-on en savoir la raison, cÕest quÕils font sur la Grammaire ce que les Observateurs font sur toutes les sciences ; cÕest-ˆ-dire, quÕils jettent en passant un coup dÕÏil sur le Principe, mais que nÕayant pas le courage de sÕy fixer longtemps, ils se rabaissent sur des dŽtails dÕordre sensible et mŽcanique, qui absorbent toutes leurs facultŽs, et laissent sÕobscurcir en eux la plus essentielle, celle de lÕintelligence. Que les Grammairiens se persuadent donc que les Lois de leur Science tenant au Principe comme tous les autres, ils y peuvent dŽcouvrir une source inŽpuisable de lumires et de VŽritŽs, dont ˆ peine ont-ils la moindre idŽe.

Le petit nombre qui leur en a ŽtŽ offert, doit leur para”tre suffisant pour les mettre sur la voie ; sÕils y ont vu clairement les signes reprŽsentatifs des facultŽs des Etres intellectuels, ils y pourront voir la mme chose par rapport aux Etres qui ne le sont pas. Ils y pourront prendre une idŽe nette des Principes qui ont ŽtŽ Žtablis sur la Matire, en considŽrant simplement la diffŽrence quÕil y a entre le substantif et lÕadjectif ; lÕun est lÕEtre ou le Principe innŽ ; lÕadjectif exprime les facultŽs de tous genres qui peuvent tre supposŽes dans ce Principe ; mais ce quÕil faut observer avec soin, cÕest que lÕadjectif ne peut de lui-mme se joindre au substantif, de mme que le substantif seul est dans lÕimpuissance de produire lÕadjectif ; lÕun et lÕautre sont dans lÕattente dÕune action supŽrieure qui les rapproche et qui les lie selon son grŽ ; ce nÕest quÕen vertu de cette action quÕils peuvent recevoir leur union et manifester des propriŽtŽs.

Remarquons aussi que cÕest lÕouvrage de la pensŽe mme et de lÕintelligence, dÕemployer ˆ propos les adjectifs ; que cÕest elle qui les aperoit ou qui les crŽe et les communique en quelque sorte aux sujets quÕelle veut en revtir ; reconnaissons ds lors la propriŽtŽ immense de cette action universelle que nous avons fait observer ci-devant, puisquÕil est certain que nous la trouvons partout.

Bien plus, cette mme action, aprs avoir ainsi communiquŽ des facultŽs ou des adjectifs aux Principes innŽs ou aux substantifs, peut ˆ son grŽ les Žtendre, les diminuer, et mme les retirer tout ˆ fait, et faire ainsi rentrer lÕEtre dans son premier Žtat dÕinaction, image assez sensible de ce quÕelle opre en rŽalitŽ sur la Nature.

Mais dans cette dissolution, les Grammairiens pourront voir aussi, sans crainte de se tromper. que lÕadjectif qui nÕest que la qualitŽ de lÕEtre, ne peut pas subsister sans un Principe, un sujet ou substantif, au lieu que le substantif peut trs bien tre indiquŽ dans le discours, sans ses qualitŽs ou ses adjectifs ; dÕo ils pourront voir un rapport avec ce qui a ŽtŽ exposŽ sur lÕexistence des Etres immatŽriels corporels indŽpendante de leurs facultŽs sensibles ; dÕo ils pourront comprendre aussi ce qui a ŽtŽ dit de lՎternitŽ des Principes de la Matire, quoique la Matire mme ne puisse pas tre Žternelle, attendu que nՎtant que lÕeffet dÕune rŽunion, elle nÕest rien de plus quÕun adjectif.

CÕest par lˆ ensuite quÕils pourront concevoir comment il est possible que lÕhomme soit privŽ de ses premiers attributs, puisque cÕest par une main supŽrieure quÕil en avait ŽtŽ revtu ; mais en mme temps reconnaissant avec encore plus de certitude sa propre insuffisance, ils avoueront que pour tre rŽtabli dans ces mmes droits, il lui faut absolument le secours de cette mme main qui lÕen a dŽpouillŽ, et qui ne lui demande, comme je lÕai dit plus haut, que le sacrifice de sa volontŽ pour les lui rendre.

Ils pourront encore trouver dans les six Cas, les six principales modifications de la Matire, de mme que le dŽtail des actes de sa formation et de toutes les rŽvolutions quÕelle subit. Les genres seront pour eux lÕimage des Principes opposŽs et qui sont irrŽconciliables ; en un mot, ils pourront faire une multitude dÕobservations de cette espce, qui sans tre le fruit de lÕimagination, ni des Systmes, les convaincront de lÕuniversalitŽ du Principe, et que cÕest la mme main qui conduit tout.

De la vraie langue

Mais aprs avoir Žtabli, comme je lÕai fait, cette langue unique, universelle, offerte ˆ lÕhomme, mme dans lՎtat de privation auquel il est rŽduit, je dois mÕattendre ˆ la curiositŽ de mes Lecteurs sur le nom et lÕespce de cette mme langue.

Quant au nom, je ne pourrai les satisfaire, mՎtant promis de ne rien nommer : mais quant ˆ lÕespce, je leur avouerai que cÕest cette langue dont je leur ai dŽjˆ dit que chaque mot portait avec soi-mme la vraie signification des choses, et les dŽsignait si bien, quÕil les faisait clairement apercevoir. JÕajouterait que cÕest celle qui fait lÕobjet des vÏux de toutes les hommes dans toutes leurs institutions, que chacun dÕeux cultive en particulier et avec soin sans le savoir, et quÕils t‰chent tous dÕexprimer dans tous les ouvrages quÕils enfantent ; car elle est si bien gravŽe en eux, quÕils ne peuvent rien produire qui nÕen porte le caractre.

Je ne peux donc rien faire de mieux pour en indiquer la connaissance ˆ mes semblables, que de les assurer quÕelle tient ˆ leur Essence mme, et que cÕest en vertu de cette langue seule quÕils sont des hommes. Alors donc, quÕils voient si jÕai eu tort de leur dire quÕelle Žtait universelle, et si malgrŽ les faux usages quÕils en font, il leur sera jamais possible de lÕoublier entirement, puisque pour y parvenir, il faudrait quÕils pussent se donner une autre Nature ; cÕest lˆ tout ce que je puis rŽpondre ˆ la question prŽsente ; poursuivons.

Des ouvrages de lÕHomme

JÕai dit que cette langue se manifestait de deux manires, comme toutes les autres langues, savoir par lÕexpression verbale et par lՎcriture ; et comme je viens de dire il nÕy a quÕun instant, que tous les ouvrages des hommes portaient son empreinte, il est nŽcessaire que nous en parcourions quelques-uns, afin de mieux voir, tout faux quÕils sont, le rapport quÕils ont avec leur source.

ConsidŽrons dÕabord ceux de leurs ouvrages qui comme image de lÕexpression verbale de la langue dont il sÕagit, doivent nous en offrir lÕidŽe la plus juste et la plus ŽlevŽe ; nous considŽrerons ensuite ceux qui ont du rapport avec les caractres ou lՎcriture de cette langue.

La premire espce de ces ouvrages comprend gŽnŽralement tout ce qui est regardŽ parmi les hommes comme le fruit du gŽnie, de lÕimagination, du raisonnement et de lÕintelligence, ou en gŽnŽral ce qui fait lÕobjet de tous les genres possibles de la LittŽrature et des Beaux-Arts.

Dans cette espce de productions de lÕhomme, qui toutes semblent faire classe ˆ part, nous voyons cependant rŽgner le mme dessein, nous les voyons toutes animŽes du mme motif, qui est celui de peindre, de prouver leur objet, et dÕen persuader la rŽalitŽ, ou au moins de lui en donner les apparences.

 

Des productions intellectuelles

Si les partisans de lÕun ou de lÕautre de ces genres de productions se laissent quelquefois surprendre par la jalousie, et sÕils t‰chent dՎtablir leur crŽdit, en rŽpandant du mŽpris sur les autres branches quÕils nÕont pas cultivŽes, cÕest un tort Žvident quÕils font ˆ la science, et lÕon ne peut douter que parmi les fruits des facultŽs intellectuelles de lÕhomme, ceux-lˆ nÕaient la prŽfŽrence, qui sans rien enlever aux autres, sՎtayeront au contraire de leur secours, et offriront par lˆ un gožt plus solide et des beautŽs moins Žquivoques.

Cette idŽe est certainement celle de tous les hommes judicieux et douŽs dÕun gožt et vrai ; ils savent que ce ne sera jamais que dans une union intime et universelle, que leurs productions pourront trouver plus de force et plus de consistance, et depuis longtemps il est reu que toutes les parties de la Science sont liŽes et se communiquent rŽciproquement des secours.

Et en effet, cÕest un sentiment si naturel ˆ lÕhomme, quÕil le porte partout avec lui, lors mme quÕil tient une marche que ce Principe dŽsavoue. Si un Orateur voulait condamner les Sciences, il faudrait quÕil se montr‰t savant ; si un Artiste voulait dŽprimer lՎloquence, il ne serait pas ŽcoutŽ, sÕil nÕen employait le langage.

Cependant cette utile observation, toute juste quÕelle soit, ayant ŽtŽ faite vaguement, nÕa presque produit aucun fruit ; et les hommes se sont accoutumŽs dans cela comme dans tout le reste, ˆ faire des distinctions absolues, et ˆ considŽrer chacune des ces diffŽrentes parties comme autant dÕobjets Žtrangers les uns aux autres.

Ce nÕest pas que dans ces ouvrages des facultŽs intellectuelles de lÕhomme, nous ne devions discerner diffŽrents genres, et que tout doive nÕy reprŽsenter que le mme sujet. Au contraire, puisque ces facultŽs sont elles-mmes diffŽrentes entre elles, et que nous y pouvons remarquer des distinctions frappantes, il est naturel de penser que leurs fruits doivent indiquer cette diffŽrence, et quÕils ne peuvent pas se ressembler ; mais en mme temps, comme ces facultŽs sont essentiellement liŽes, et quÕil est de toute impossibilitŽ que lÕune agisse sans le secours des autres, nous voyons par lˆ quÕil est nŽcessaire que la mme liaison rgne entre leurs diffŽrentes sortes de productions, et quÕelles annoncent toutes la mme origine.

Mais jÕen ai dŽjˆ trop dit sur un objet qui nÕest quÕaccessoire ˆ mon plan ; je reviens ˆ lÕexamen que jÕai commencŽ sur les rapports qui se trouvent entre la langue unique et universelle, et les diffŽrentes productions intellectuelles de lÕhomme.

De quelque espce que soient ces productions, nous pouvons les rŽduire ˆ deux classes auxquelles toutes les autres ressortiront, parce que dans tout ce qui existe, ne pouvant y avoir que de lÕintellectuel et du sensible, tout ce que lÕhomme saurait produire, nÕaura jamais que lÕune ou lÕautre de ces deux parties pour objet. Et en effet, tout ce que les hommes imaginent et produisent journellement en ce genre, se borne ˆ instruire ou ˆ Žmouvoir, ˆ raisonner ou ˆ toucher ; il leur est absolument impossible de dire et de manifester quelque chose hors dÕeux-mmes qui nÕait pour but lÕun ou lÕautre de ces deux points ; et quelques divisions que lÕon fasse des productions intellectuelles des hommes, lÕon verra toujours quÕils se proposent ou dՎclairer, et dÕamener ˆ la connaissance de VŽritŽs quelconques, ou de subjuguer lÕhomme intellectuel par le sensible, et de lui faire Žprouver des situations, dans lesquelles nՎtant plus le ma”tre de lui-mme, il sait au pouvoir de la voix qui lui parle, et suive aveuglŽment le charme bon ou mauvais, qui lÕentra”ne.

Nous attribuerons ˆ la premire Classe tous les ouvrages de raisonnement, ou en gŽnŽral tout ce qui ne devrait procŽder que par axiomes, et tout ce qui se borne ˆ Žtablir des faits.

Nous attribuerons ˆ la seconde tout ce qui a pour but de faire sur le cÏur de lÕhomme des impressions de quelque genre que ce soit, et de lÕagiter nÕimporte dans quel sens.

Or, dans lÕune ou lÕautre de ces classes, quel est lÕobjet du dŽsir des Compositeur ? NÕest-ce pas de montrer leur sujet sous des faces si lumineuses ou si sŽduisantes, que celui qui les contemple ne puisse en contester la vŽritŽ, ni rŽsister ˆ la force et aux attraits des moyens dont on fait usage pour le charmer ? Quelles ressources emploient-ils pour cela ? Ne mettent-ils pas tous leurs soins ˆ se rapprocher de la nature mme de lÕobjet qui les occupe ? Ne t‰chent-ils pas de remonter jusquՈ sa source, de pŽnŽtrer jusques dans son essence ? En un mot, tous leurs efforts ne tendent-ils pas ˆ si bien faire accorder lÕexpression avec ce quÕils conoivent, et ˆ la rendre si naturelle et si vraie, quÕils soient assurŽs de faire effet sur leurs semblables, comme si lÕobjet mme Žtait en leur prŽsence ? Ne sentons-nous pas nous-mmes plus ou moins ce violent effet sur nous, selon que le Compositeur approche plus ou moins de son but ? Cet effet nÕest-il pas gŽnŽral, et nÕy a-t-il pas en ce genre des beautŽs qui sont telles par toute la Terre ?

CÕest donc lˆ pour nous lÕimage des facultŽs de cette vŽritable langue dont nous traitons, et cÕest dans les Ïuvres mmes des hommes et dans leurs efforts, que nous trouvons les traces de tout ce qui a ŽtŽ dit sur la justesse et la force de son expression, ainsi que sur son universalitŽ.

Il ne faut point sÕarrter ˆ cette inŽgalitŽ dÕimpressions qui rŽsulte de la diffŽrence des idiomes et des langues conventionnelles Žtablies parmi les diffŽrents Peuples ; comme cette diffŽrence de langage nÕest quÕune dŽfectuositŽ accidentelle, et non pas de nature ; que dÕailleurs lÕhomme peut parvenir ˆ lÕeffacer en se familiarisant avec les idiomes qui lui sont Žtrangers, elle ne pourrait rien faire contre le principe, et je ne crains point de dire que toutes les langues de la Terre sont autant de tŽmoignages qui le confirment.

De la poŽsie

Quoique jÕaie rŽduit ˆ deux classes les productions verbales des facultŽs intellectuelles de lÕhomme, je ne perds pas de vue nŽanmoins la multitude de branches et de subdivisions dont elles sont susceptibles, tant par le nombre des objets diffŽrents qui sont du ressort de notre raisonnement, que par lÕinfinitŽ de nuances que nos affections sensibles peuvent recevoir.

Sans en faire lՎnumŽration, ni les examiner chacune en particulier, on peut seulement dans chaque classe en considŽrer une principale et qui tienne le premier rang, telles que la MathŽmatique parmi les objets de raisonnement, et la PoŽsie parmi ceux qui sont relatifs ˆ la facultŽ sensible de lÕhomme. Mais ayant traitŽ prŽcŽdemment de la partie MathŽmatique, jÕy renverrai le Lecteur, afin quÕil sÕy confirme de nouveau de la rŽalitŽ et de lÕuniversalitŽ des principes que je lui expose.

Ce sera donc sur la PoŽsie que jÕarrterai en ce moment ma vue, la regardant comme la plus sublime des productions des facultŽs de lÕhomme, celle qui le rapproche le plus de son Principe, et qui par les transports quÕelle lui fait sentir, lui prouve le mieux la dignitŽ de son origine. Mais autant ce langage sacrŽ sÕennoblit encore en sՎlevant vers son vŽritable objet, autant il perd de sa dignitŽ en se rabaissant ˆ des sujets factices ou mŽprisables, auxquels il ne peut toucher sans se souiller comme par une prostitution.

Ceux mmes qui sÕy sont consacrŽs, nous lÕont toujours annoncŽ comme le langage des HŽros et des Etres bienfaisants quÕils ont peint veillants ˆ la sžretŽ et ˆ la conservation des hommes ? Ils en ont tellement senti la noblesse, quÕils nÕont pas craint de lÕattribuer mme ˆ celui quÕils regardent comme lÕAuteur de tout; et cÕest le langage quÕils ont choisi par prŽfŽrence lorsquÕils en ont annoncŽ les oracles, ou quÕils ont voulu lui adresser des hommages.

Ce langage, toutefois, dois-je avertir quÕil est indŽpendant de cette forme triviale dans laquelle les hommes sont convenus chez les diffŽrentes Nations, de renfermer leurs pensŽes ? Ne sait-on pas que cÕest une suite de leur aveuglement dÕavoir cru par lˆ multiplier les beautŽs, pendant quÕils nÕont fait que surcharger leur travail, et que cette attention superflue ˆ laquelle ils nous asservissent, ayant pour but dÕaffecter notre facultŽ sensible corporelle, ne peut manquer de prendre dÕautant sur notre vraie sensibilitŽ.

Mais ce langage est lÕexpression et la voix de ces hommes privilŽgiŽs, qui nourris par la prŽsence continuelle de la VŽritŽ, lÕont peinte avec le mme feu qui lui sert de substance, feu vivant par soi et ds lors ennemi dÕune froide uniformitŽ, parce quÕil se commande dans tous ses actes, quÕil se crŽe lui-mme sans cesse, et quÕil est par consŽquent toujours neuf.

CÕest dans une telle PoŽsie que nous pouvons voir lÕimage la plus parfaite de cette langue universelle que nous essayons de faire conna”tre, puisque quand elle atteint vraiment son objet, il nÕest rien qui ne doive plier devant elle ; puisquÕelle a, comme son Principe, un feu dŽvorant qui lÕaccompagne ˆ tous ses pas, qui doit tout amollir, tout dissoudre, tout embraser, et que mme cÕest la premire loi des Potes de ne pas chanter quand ils nÕen sentent pas la chaleur.

Ce nÕest pas que ce feu doive produire partout les mmes effets : comme tous les genres sont de son ressort, il se plie ˆ leur diffŽrente nature, mais il ne doit jamais para”tre sans remplir son but, qui est dÕentra”ner tout aprs lui.

Que lÕon voie ˆ prŽsent si une telle PoŽsie aurait jamais pu prendre naissance dans une source frivole ou corrompue ; si la pensŽe qui lÕenfante ne doit pas tre au plus haut degrŽ dՎlŽvation, et sÕil ne serait pas vrai de dire que le premier des hommes a dž tre le premier des Potes ?

Que lÕon voie aussi, si la PoŽsie humaine peut elle-mme tre cette langue vraie et unique que nous savons appartenir ˆ notre espce ? Non, sans doute ; elle nÕen est quÕune faible imitation ; mais comme parmi les fruits des travaux de lÕhomme, cÕest celui qui tient de plus prs ˆ son Principe, je lÕai choisi pour en donner lÕidŽe qui lui convient le mieux.

Aussi, peut-on dire que ces mesures conventionnelles que les hommes emploient dans la PoŽsie quÕils ont inventŽe, tout imparfaites quÕelles paraissent, ne doivent pas moins nous offrir la preuve de la prŽcision et de la justesse de la vraie langue dont le poids, le nombre et la mesure son invariables.

Nous pourrions Žgalement reconna”tre que cette PoŽsie sÕappliquant ˆ tous les objets, la vraie langue dont elle nÕest que lÕimage, doit ˆ plus forte raison tre universelle et pouvoir embrasser tout ce qui existe. Enfin ce serait par un examen plus dŽtaillŽ des propriŽtŽs attachŽes ˆ ce langage sublime, que nous pourrions nous rapprocher de plus prs de son modle, et lire jusques dans sa source.

CÕest lˆ ou nous verrions pourquoi la PoŽsie a eu tant dÕempire sur les hommes de tous les temps, pourquoi elle a opŽrŽ tant de prodiges, et dÕo vient cette admiration gŽnŽrale que toutes les Nations de la Terre conservent pour ceux qui sÕy sont distinguŽs, ce qui Žtendrait encore nos idŽes sur le Principe qui lui a donnŽ la naissance.

Nous y verrions aussi que lÕusage que les hommes en font souvent, lÕavilit et la dŽfigure au point de la rendre mŽconnaissable, ce qui nous prouverait que chez eux elle nÕest pas toujours le fruit de cette langue vraie que nous occupe, que cÕest une profanation de lÕemployer ˆ la louange des hommes ; une idol‰trie de la consacrer ˆ la passion, et quÕelle ne devrait jamais avoir dÕautre objet que de montrer aux hommes lÕasile dÕo elle est descendue avec eux, pour leur faire na”tre le vertueux dŽsir de suivre ses traces, et dÕy retourner.

Des caractres de lՎcriture

Mais il me suffit dÕavoir mis sur la voie, pour que ceux qui auront quelque dŽsir, puissent pŽnŽtrer beaucoup plus loin dans la carrire. Passons ˆ la seconde manire dont nous avons vu que la vraie langue devait se manifester, cÕest-ˆ-dire, aux caractres de lՎcriture.

Je ne crains point dÕassurer que ces caractres sont aussi variŽs et aussi multipliŽs que tout ce qui est renfermŽ dans la Nature, quÕil nÕy a pas un seul Etre qui ne puisse y trouver sa place et y servir de signe, et que tous y trouvent leur image et leur reprŽsentation vŽritable, ce qui porte ces caractres ˆ un nombre si immense, quÕil est impossible ˆ un homme de les conserver tous dans sa mŽmoire, non seulement par leur multitude inconcevable, mais aussi par leur diffŽrence et leur bizarrerie.

Quand on supposerait en outre quÕun homme pžt retenir tous ceux dont il aurait eu connaissance, il ne pourrait pas se flatter de nÕavoir plus rien ˆ apprendre lˆ-dessus ; car tous les jours la Nature produit de nouveaux objets, ce qui tout en nous montrant lÕinfinitŽ des choses, nous montre aussi la borne et la privation de notre espce qui ne peut jamais parvenir ˆ les embrasser toutes, puisque ici-bas elle ne peut pas seulement parvenir ˆ conna”tre toutes les lettres de son Alphabet.

La variŽtŽ de ces objets renfermŽs dans la Nature, sՎtend non seulement sur leur forme, ainsi quÕon peut aisŽment sÕen convaincre, mais encore sur leur couleur et sur la place quÕils occupent dans lÕordre des choses ; ce qui fait que lՎcriture de la langue vraie varie autant que la multitude des nuances quÕon peut voir sur les corps matŽriels, car chacune de ces nuances porte autant de diffŽrentes significations.

Enfin, les caractres quÕelle emploie sont aussi nombreux que les points de lÕhorizon ; et comme chacun de ces points occupe une place qui nÕest quՈ lui, chacune des lettres de la vraie langue a aussi un sens et une explication qui lui sont propres.

Mais je mÕarrte, ™ VŽritŽ sainte, ce serait usurper tes droits que de publier mme obscurŽment tes secrets, cÕest ˆ toi seul ˆ les dŽcouvrir ˆ qui il te pla”t, et comme il te pla”t. Pour moi, je dois me borner ˆ les respecter en silence, et ˆ rassembler tous mes dŽsirs pour que mes semblables puissent ouvrir les yeux ˆ ta lumire, et que dŽsabusŽs des illusions qui les sŽduisent, ils soient assez sages et assez heureux pour se prosterner tous ˆ tes pieds.

Prenant donc toujours la prudence pour guide, je dirai que cÕest cette multitude infinie des caractres de la langue vraie, et leur Žnorme variŽtŽ qui a introduit dans les langues humaines une diversitŽ si grande, que peu dÕentre elles se servent des mmes signes, et que celles qui sÕaccordent sur ce point, varient encore sur leur quantitŽ, en admettant ou en rejetant quelques signes, chacune selon son idiome et son gŽnie particulier.

Mais, de mme que les caractres de la vraie langue sont aussi multipliŽs que les Etres renfermŽs dans la Nature, de mme il est aussi certain que nul de ces caractres ne peut prendre son origine que dans cette mme Nature, et que cÕest dans elle o ils puisent tout ce qui sert ˆ les distinguer, puisque hors dÕelle, il nÕy a rien de sensible. CÕest ce qui fait aussi que malgrŽ la variŽtŽ des caractres que les langues humaines emploient, elles ne peuvent jamais sortir de ces mmes bornes, et que cÕest toujours dans des lignes et dans des figures, quÕelles sont obligŽes de prendre tous les signes de leur convention ; ce qui prouve dÕune manire Žvidente que les hommes ne peuvent rien inventer.

De la peinture

Nous nous convaincrons de tout ceci par quelques observations sur lÕart de la Peinture, que lÕon peut regarder comme ayant pris naissance dans les caractres de la langue en question, ainsi que la PoŽsie humaine lÕavait prise dans son expression verbale.

SÕil est certain que cette langue est unique, et aussi ancienne que le temps, on ne peut douter que les caractres quÕelle emploie, nÕaient ŽtŽ les premiers modles. Les hommes qui se sont attachŽs ˆ lՎtudier, ont eu souvent besoin de soulager leur mŽmoire par des notes et par des copies. Or, cÕest dans ces copies quÕil fallait la plus grande prŽcision, puisque dans cette multitude de caractres qui ne sont distinguŽs quelquefois que par la plus lŽgre diffŽrence, il est constant que la moindre altŽration pouvait les dŽnaturer et les confondre. On doit sentir que si les hommes eussent ŽtŽ sages, ils nÕauraient pas fait dÕautre usage de la peinture, et mme pour lÕintŽrt de cet Art, ils eussent ŽtŽ heureux de sÕen tenir ˆ lÕimitation et ˆ la copie de ces premiers caractres ; car sÕils sont avec raison si dŽlicats sur le choix des modles, o pouvaient-ils en trouver de plus vrais et de plus rŽguliers que ceux qui exprimaient la nature mme des choses ? SÕils sont si recherchŽs sur la qualitŽ et lÕemploi des couleurs, o pouvaient-ils mieux sÕadresser quՈ des formes qui portaient chacune leur couleur propre ? Enfin, sÕils dŽsirent des tableaux durables, comment pouvaient-ils y mieux rŽussir quÕen les copiant dÕaprs des objets toujours neufs, et dont ils peuvent ˆ tout moment faire comparaison avec leurs productions ?

Mais la mme imprudence qui avait ŽloignŽ lÕhomme de son Principe, lÕa encore ŽloignŽ des moyens qui lui sont accordŽs pour y retourner ; il a perdu sa confiance dans ces guides vrais et lumineux, qui secondant son intention pure, lÕauraient sžrement ramenŽ ˆ son but. Il nÕa plus cherchŽ ses modles dans des objets utiles et salutaires, et dont il ežt pu continuellement recevoir les secours, mais dans des formes passagres et trompeuses, qui ne lui offrant que des traits incertains et des couleurs changeantes, lÕexposent tous les jours ˆ varier sur ses propres principes et ˆ mŽpriser ses ouvrages.

CÕest ce qui lui arrive journellement, en se proposant, comme il fait, dÕimiter des quadrupdes, des reptiles et autres animaux, de mme que tous les autres Etres dont il est environnŽ ; parce que cette occupation, tout innocente et tout agrŽable quÕelle soit en elle-mme, accoutume lÕhomme ˆ fixer les yeux sur ce qui lui est Žtranger, et lui fait perdre non seulement la vue, mais lÕidŽe mme de ce qui lui est propre ; cÕest-ˆ-dire, que les objets que lÕhomme sÕoccupe ˆ reprŽsenter aujourdÕhui, ne sont que lÕapparence de ceux quÕil devrait Žtudier tous les jours ; et la copie quÕil en fait devant, selon tous les Principes Žtablis, tre encore infŽrieure ˆ ses modles, il en rŽsulte que la Peinture actuellement en usage, nÕest autre chose que lÕapparence de lÕapparence.

NŽanmoins cÕest mme par cette peinture grossire que nous pourrons nous convaincre parfaitement de cette vŽritŽ incontestable, annoncŽe plus haut, savoir, que les hommes nÕinventent rien. NÕest-ce pas toujours en effet dÕaprs les Etres corporels quÕils composent leurs tableaux ? Peuvent-ils prendre leurs sujets ailleurs, puisque la peinture nՎtant que la science des yeux, elle ne peut sÕoccuper que du sensible, et par consŽquent ne se trouver que dans le sensible ?

Dira-t-on que le Peinture peut non seulement se passer de voir des objets sensibles, mais mme que sՎlevant au-dessus dÕeux, il ne prendra des sujets que dans son imagination ? Cette objection serait facile ˆ dŽtruire ; car laissons ˆ lÕimagination la carrire la plus libre, permettons-lui tous les Žcarts auxquels elle pourra se porter, je demande si elle enfantera jamais rien qui soit hors de la Nature, et si jamais on sera dans le cas de dire quÕelle ait rien crŽŽ. Sans doute quÕelle aura la facultŽ de se reprŽsenter des Etres bizarres et des assemblages monstrueux, dont cette Nature, ˆ la vŽritŽ, nÕoffrira pas dÕexemples ; mais ces Etres chimŽriques eux-mmes ne seront-ils pas le produit de pices rapportŽes ? Et de toutes ces pices, y en aura-t-il jamais une qui ne se trouve pas parmi les choses sensibles de la Nature ?

Il est donc certain que dans la Peinture ainsi que dans tout autre Art, les inventions et les ouvrages de lÕhomme ne sont rien de plus que des transpositions, et que loin de rien produire de lui-mme, toutes ses Ïuvres se bornent ˆ donner aux choses une autre place.

Alors lÕhomme peut apprendre ˆ Žvaluer le prix de ses productions dans la Peinture comme dans les autres Arts, et tout en se livrant ˆ cette charmante occupation, il cessera de croire ˆ la rŽalitŽ de ses ouvrages, puisque cette rŽalitŽ ne se trouve pas mme dans les modles quÕil se choisit.

Il est inutile, je pense, de dire que cette Peinture grossire ne porte pas moins avec elle des signes frappants, quÕelle descend dÕun Art plus parfait, et que dans ce sens elle est pour nous une nouvelle preuve de cette Žcriture supŽrieure, appartenante ˆ la langue unique et universelle, dont nous avons montrŽ les propriŽtŽs.

En effet, elle exige la ressemblance de la Nature sensible dans tout ce quÕelle reprŽsente, elle ne veut rien qui choque ni les yeux, ni le jugement, elle embrasse tous les Etres de lÕUnivers, elle a mme portŽ sa main hardie jusques sur des Etres supŽrieurs.

Mais cÕest alors quÕelle est vraiment rŽprŽhensible, parce que premirement ne pouvant les faire conna”tre que par des traits sensibles et corporels, ds lors elle a ravalŽ ces Etres aux yeux de lÕhomme, qui ne peut les conna”tre que par la facultŽ sensible de son intelligence, et jamais par le sensible de son intelligence, et jamais par le sensible matŽriel, puisque ces Etres ne sont pas dans la RŽgion des corps.

En second lieu, lorsque la Peinture a pris sur elle de vouloir les reprŽsenter, o a-t-elle trouvŽ le modle des corps quÕils nÕavaient point, et quÕelle voulait cependant leur donner ? Ce nÕa pu tre sans doute que parmi les objets matŽriels de la Nature, ou ce qui est la mme chose, dans une imagination peu rŽglŽe, mais qui dans son dŽsordre mme, ne pouvait jamais employer que les Etres corporels qui environnent lÕhomme dÕaujourdÕhui.

Quel rapport pouvait-il donc exister alors entre le modle et lÕimage qui y avait ŽtŽ substituŽe, et quelle idŽe ces sortes dÕimages ont-elles dž faire na”tre ? NÕest-il pas clair que cÕest lˆ une des plus funestes suites de lÕignorance de lÕhomme, celle qui lÕa le plus exposŽ ˆ lÕidol‰trie, et qui contribue sans cesse ˆ lÕensevelir dans les tŽnbres ?

Et vraiment, que peut produire une Matire morte et des traits figurŽs selon lÕimagination du Peintre, sinon lÕoubli de la simplicitŽ des Etres, dont la connaissance est si nŽcessaire ˆ lÕhomme, et sans laquelle toute son espce est livrŽe ˆ la plus effrayante superstition ? Et nÕest-ce pas ainsi que les pas de lÕhomme, tout indiffŽrents quÕils sont en apparence, lՎgarent insensiblement, et le jettent dans des prŽcipices dont il nÕaperoit bient™t plus les bords ?

Du blason

LÕhomme ne sÕest donc pas contentŽ de confondre la Peinture grossire et lÕouvrage de ses mains avec les caractres vrais copiŽs sur la Nature mme, il a encore mŽconnu le Principe dÕo ces caractres vrais tirent leur origine ; voyant, dis-je, quÕil Žtait le ma”tre dÕemployer ˆ son grŽ tous les diffŽrents traits de cette Nature corporelle pour en composer ses tableaux, il a eu la faiblesse de se reposer avec complaisance sur son ouvrage, et dÕoublier ˆ la fois la supŽrioritŽ des modles quÕil aurait dž choisir et la source qui pouvait les produire ; ou plut™t les ayant perdu de vue, il nÕa plus mme souponnŽ leur existence.

On en doit dire autant du Blason, qui tire Žgalement son origine des caractres de la vraie langue. LÕhomme vulgaire sÕenorgueillit de la noblesse de ses Armes, comme si les signes en Žtaient rŽels, et quÕils portassent vraiment avec eux-mmes les droits que le prŽjugŽ leur attribue ; et se laissant aveugler par les puŽriles distinctions quÕil attache lui-mme ˆ ces signes, il a oubliŽ quÕils nՎtaient que les tristes images des armes naturelles accordŽes physiquement ˆ chaque homme pour lui servir de dŽfense, et tre en mme temps le sceau de ses vertus, de sa force et de sa grandeur.

Erreurs sur la vraie langue

Enfin il a fait la mme chose sur lÕexpression verbale de cette langue sublime dont on a vu quՎtait provenue la PoŽsie. Les mots arbitraires et les langues de sa convention ont pris dans sa pensŽe la place de la vraie langue, cÕest-ˆ-dire, que ces langues conventionnelles nÕayant aucune uniformitŽ, ni aucune marche fixe ˆ ses yeux, quant ˆ lÕexpression, aux signes, et gŽnŽralement ˆ leurs rapports universels avec la langue des facultŽs intellectuelles dont elles Žtaient une imitation dŽfigurŽe. Ds lors lÕidŽe du Principe de cette langue unique et universelle qui seule pourrait lՎclairer, sՎtant effacŽe dans lui, il nÕa plus distinguŽ cette langue dÕavec celles quÕil avait Žtablies.

Or, si lÕhomme est assez bornŽ pour placer ses ouvrages ˆ c™tŽ de ceux des Principes vrais et invariables, si sa main audacieuse croit pouvoir tre Žgale ˆ celle de la Nature, si mme il a presque toujours confondu les ouvrages de cette Nature avec le Principe soit gŽnŽral soit particulier qui les manifeste, il ne faut plus tre surpris que toutes ses notions soient si confuses et si tŽnŽbreuses, et quÕil ait non seulement perdu la connaissance et lÕintelligence de la vraie langue, mais mme quÕil ne soit plus persuadŽ quÕil en existe une.

Moyens de recouvrer la vraie langue

En mme temps, si cette vraie langue est la seule qui puisse le remettre dans ses droits, lui rendre la jouissance de ses attributs, lui faire conna”tre les principes de la Justice, et le conduire dans lÕintelligence de tout ce qui existe, il est aisŽ de voir combien il perd en sÕen Žloignant, et sÕil a dÕautres ressources que dÕemployer tous les moments de sa vie aux soins dÕen recouvrer la connaissance.

Mais, quelque immense, quelque effrayante que soit cette carrire, il nÕest aucun homme qui doive se livrer au dŽsespoir et au dŽcouragement, puisque jÕai toujours annoncŽ que cette langue mme Žtait le vŽritable domaine de lÕhomme ; quÕil nÕen a ŽtŽ privŽ que pour un temps ; que loin dÕen tre ˆ jamais dŽpouillŽ, on lui tend au contraire sans cesse la main pour lÕy amener ; et vraiment le prix attachŽ ˆ cette gr‰ce est si modique et si naturel, quÕil est une nouvelle preuve de la bontŽ du Principe qui lÕexige, puisque cela se borne ˆ demander ˆ lÕhomme de ne pas assimiler les deux Etres distincts qui le composent ; de reconna”tre la diffŽrence des Principes de la Nature entre eux et celle quÕils ont avec la Cause temporelle supŽrieure ˆ cette mme Nature : cÕest-ˆ-dire, de croire que lÕhomme nÕest point matire, et que la Nature ne va pas toute seule.

De la musique

Nous avons encore ˆ examiner une des productions de cette langue vraie dont je t‰che de rappeler lÕidŽe aux hommes, cÕest celle qui se joint ˆ son expression verbale, qui en rgle la force et en mesure la prononciation, cÕest enfin cet Art que nous nommons la Musique, mais qui parmi les hommes nÕest encore que la figure de la vŽritable harmonie.

Cette expression verbale ne peut employer des mots sans faire entendre des sons ; or, cÕest lÕintime rapport des uns aux autres qui forme les Lois fondamentales de la vraie Musique ; cÕest ce que nous imitons, autant quÕil est en nous, dans notre Musique artificielle, par les soins que nous nous donnons de peindre avec des sons le sens de nos paroles conventionnelles ; mais, avant de montrer les principales dŽfectuositŽs de cette Musique artificielle, nous allons parcourir une partie des vrais principes quÕelle nous offre ; par-lˆ on pourra dŽcouvrir des rapports assez frappants avec tout ce qui a ŽtŽ Žtabli, pour se convaincre quÕelle tient toujours ˆ la mme source, et que ds lors elle est du ressort de lÕhomme ; cÕest aussi dans cet examen o lÕon pourra voir que quelque admirables que soient nos talents dans lÕimitation musicale, nous restons toujours infiniment au-dessous de notre modle ; ce qui fera comprendre ˆ lÕhomme, si cet instrument puissant ne lui fut donnŽ que pour contribuer ˆ des amusements puŽriles, et si dans son origine il nՎtait pas destinŽ ˆ un plus noble emploi.

De lÕaccord parfait

Premirement, ce que nous connaissons dans la Musique sous le nom dÕaccord parfait, est pour nous lÕimage de cette UnitŽ premire qui renferme tout en elle et de qui tout provient, en ce que cet accord est seul et unique, quÕil est entirement rempli de lui-mme, sans avoir besoin du secours dÕaucun autre son que des siens propres ;en un mot en ce quÕil est inaltŽrable dans sa valeur intrinsque, comme lÕUnitŽ ; car il ne faut point compter pour une altŽration la transposition de quelques-uns de ses sons, dÕo rŽsultent des accords de diffŽrentes dŽnominations, attendu que cette transposition nÕintroduit aucun nouveau son dans lÕaccord, et par consŽquent ne peut en changer la vŽritable Essence.

Secondement, cet accord parfait est le plus harmonieux de tous, celui qui convient seul ˆ lÕoreille de lÕhomme, et qui ne lui laisse rien dŽsirer. Les trois premiers sons qui le composent sont sŽparŽs par deux intervalles de tierce qui sont distincts, mais qui sont liŽs lÕun avec lÕautre. CÕest lˆ la rŽpŽtition de tout ce qui se passe dans les choses sensibles, o nul Etre corporel ne peut recevoir ni conserver lÕexistence sans le secours et lÕappui dÕun autre Etre corporel comme lui, qui ranime ses forces et qui lÕentretienne.

Enfin, ces deux tierces se trouvent surmontŽes dÕun intervalle de quarte, dont le son qui le termine se nomme Octave. Quoique cette octave ne soit que la rŽpŽtition du son fondamental, cÕest elle nŽanmoins qui dŽsigne compltement lÕaccord parfait ; car elle y tient essentiellement, en ce quÕelle est comprise dans les sons primitifs que le corps sonore fait entendre au dessus du sien propre.

Ainsi, cet intervalle quaternaire est alors lÕagent principal de lÕaccord ; il se trouve placŽ au-dessus des deux intervalles ternaires, pour y prŽsider et en diriger toute lÕaction, comme cette Cause active et intelligente que nous avons vue dominer et prŽsider ˆ la double Loi de tous les Etres corporisŽs. Il ne peut, ainsi quÕelle, souffrir aucun mŽlange, et quand il agit seul, comme cette Cause universelle du temps, il est sžr que tous ses rŽsultats sont rŽguliers.

Je sais cependant que cette octave nՎtant ˆ la vŽritŽ, quÕune rŽpŽtition du son fondamental, peut ˆ la rigueur se supprimer, et ne point entrer dans lՎnumŽration des sons qui composent lÕaccord parfait. Mais, premirement, cÕest elle qui termine essentiellement la gamme ; en outre il est indispensable dÕadmettre cette octave, si nous voulons savoir ce que cÕest que lÕalpha et lÕomŽga, et avoir une preuve Žvidente de lÕunitŽ de notre accord, le tout par une raison de calcul, que je ne puis exposer autrement, quÕen disant que lÕoctave est le premier agent, ou le premier organe par lequel dix a pu venir ˆ notre connaissance.

Il ne faut pas non plus exiger, dans le tableau sensible que je prŽsente, une uniformitŽ entire avec le Principe dont il nÕest que lÕimage, parce quÕalors la copie serait Žgale au modle. Mais aussi, quoique ce tableau sensible soit infŽrieur, et quÕen outre il puisse tre sujet ˆ varier, il nÕen existe pas moins dÕune manire complte, il nÕen reprŽsente pas moins le Principe, parce que lÕinstinct des sens supplŽe au reste.

CÕest par cette raison quÕayant prŽsentŽ les deux tierces comme liŽes lÕune ˆ lÕautre, nous ne disons point quÕil soit indispensable de les faire entendre toutes les deux ; on sait que chacune dÕelles peut tre annoncŽe sŽparŽment, sans que lÕoreille souffre, mais la Loi nÕen sera pas moins vraie pour cela, parce que cet intervalle ainsi annoncŽ conserve toujours sa correspondance secrte avec les autres sons de lÕaccord auquel il appartient ; ainsi cÕest toujours le mme tableau, mais dont on ne voit plus quÕune partie.

On en peut dire autant, lorsquÕon veut supprimer lÕoctave, ou mme tous les autres sons de lÕaccord, et nÕen conserver quÕun quel quÕil soit, parce quÕun son entendu seul nÕest point ˆ charge ˆ lÕoreille, et que dÕailleurs il pourrait lui-mme se considŽrer comme le son gŽnŽrateur dÕun nouvel accord parfait.

Nous avons vu que la quarte dominait sur les deux tierces infŽrieures, et que ces deux tierces infŽrieures Žtaient lÕimage de la double Loi qui dirigeait les Etres ŽlŽmentaires. NÕest-ce pas lˆ alors o la Nature elle-mme nous indique la diffŽrence quÕil y a entre un corps et son Principe, en nous faisant voir lÕun dans la sujŽtion et la dŽpendance, tandis que lÕautre en est le chef et le soutien ?

Ces deux tierces nous reprŽsentent en effet par leur diffŽrence lՎtat des choses pŽrissables de la Nature corporelle, qui ne subsiste pas de la Nature corporelle, qui ne subsiste pas par des rŽunions dÕactions diverses ; et le dernier son, formŽ par un seul intervalle quaternaire, est une nouvelle image du premier Principe ; car il nous en rappelle la simplicitŽ, la grandeur et lÕimmutabilitŽ, tant par son rang que par son nombre.

Ce nÕest pas que cette quarte harmonique soit plus permanente que toutes les autres choses crŽŽes ; ds quÕelle est sensible, elle doit passer ; mais cela nÕempche pas que mme dans son action passagre, elle ne peigne ˆ lÕintelligence lÕessence et la stabilitŽ de sa source.

On trouve donc dans lÕassemblage des intervalles de lÕaccord parfait, tout ce qui est passif et tout ce qui est actif, cÕest-ˆ-dire, tout ce qui existe et tout ce que lÕhomme peut concevoir.

Mais ce nÕest pas assez que nous ayons vu dans lÕaccord parfait la reprŽsentation de toutes choses en gŽnŽral et en particulier, nous y pouvons voir encore par de nouvelles observations la source de ces mmes choses et lÕorigine de cette distinction, qui sÕest faite avant le temps entre les deux Principes, et qui se manifeste tous les jours dans le temps.

Pour cet effet, ne perdons pas de vue la beautŽ et la perfection de cet accord parfait qui tire de lui seul tous ses avantages ; nous jugerons aisŽment que sÕil fžt toujours demeurŽ dans sa nature, lÕordre et une juste harmonie auraient subsistŽ perpŽtuellement, et le mal serait inconnu, parce quÕil ne serait pas nŽ, cÕest-ˆ-dire, quÕil nÕy aurait jamais eu que lÕaction des facultŽs du Principe bon qui se fžt manifestŽe, parce quÕil est le seul rŽel et le seul vŽritable.

De lÕaccord de septime

Comment est-ce donc que le second Principe a pu devenir mauvais ? Comment se peut-il que le mal ait pris naissance et quÕil ait paru ? NÕest-ce pas lorsque le son supŽrieur et dominant de lÕaccord parfait, lÕoctave enfin, a ŽtŽ supprimŽe, et quÕun autre son a ŽtŽ introduit ˆ sa place ? Or, quel est ce son qui a ŽtŽ introduit ˆ la place de lÕoctave ? CÕest celui qui la prŽcde immŽdiatement, et lÕon sait que le nouvel accord qui est rŽsultŽ de ce changement, se nomme accord de septime ? LÕon sait aussi que cet accord de septime fatigue lÕoreille, la tient en suspens, et demande ˆ tre sauvŽ, en terme de lÕArt.

CÕest donc par lÕopposition de cet accord dissonant et de tous ceux qui en dŽrivent, ˆ lÕaccord parfait, que naissent toutes les productions musicales, lesquelles ne sont autre chose quÕun jeu continuel, pour ne pas dire un combat entre lÕaccord parfait ou consonant et lÕaccord de septime, ou gŽnŽralement tous les accords dissonants.

Pourquoi cette Loi, ainsi indiquŽe par la Nature, ne serait-elle pas pour nous lÕimage de la production universelle des choses ? Pourquoi nÕen trouverions-nous pas ici le Principe, comme nous en avons trouvŽ plus haut lÕassemblage et la constitution dans lÕordre des intervalles de lÕaccord parfait ? Pourquoi, dis-je, ne toucherions-nous pas au doigt et ˆ lÕÏil la cause, la naissance et les suites de la confusion universelle temporelle, puisque nous savons que dans cette Nature corporelle, il y a deux Principes qui sont sans cesse opposŽs, et puisquÕelle ne peut se soutenir que par le secours de deux actions contraires, dÕo proviennent le combat et la violence que nous y apercevons : mŽlange de rŽgularitŽ et de dŽsordre que lÕharmonie nous reprŽsente fidlement par lÕassemblage des consonances et des dissonances, qui constitue toutes les productions musicales ?

Je me flatte nŽanmoins que mes Lecteurs seront assez intelligents pour ne voir ici que des images des faits ŽlevŽs que je leur indique. Ils sentiront, sans doute, lÕallŽgorie, lorsque je leur annonce que si lÕaccord parfait Žtait demeurŽ dans sa vraie nature, le mal serait encore ˆ na”tre ; car, selon le principe Žtabli, il est impossible que lÕordre musical dans sa Loi particulire soit Žgal ˆ lÕordre supŽrieur quÕil reprŽsente.

Aussi lÕordre musical Žtant fondŽ sur le sensible, et le sensible nՎtant que le produit de plusieurs actions, si lÕon nÕoffrait ˆ lÕoreille quÕune continuitŽ dÕaccords parfaits, elle ne serait pas choquŽe, ˆ la vŽritŽ ; mais outre la monotonie ennuyeuse qui en rŽsulterait, nous ne trouverions lˆ aucune expression, aucune idŽe ; enfin, ce ne serait point pour nous une Musique, parce que la Musique, est gŽnŽralement tout ce qui est sensible, est incompatible avec lÕunitŽ dÕaction, comme avec lÕunitŽ dÕagents.

En admettant donc toutes les lois nŽcessaires pour la constitution des ouvrages de Musique, nous pouvons nŽanmoins faire lÕapplication de ces mmes lois ˆ des vŽritŽs dÕun autre rang. CÕest pour cela que je vais continuer mes observations sur lÕaccord de septime.

De la seconde

En mettant cette septime ˆ la place de lÕoctave, nous avons vu que cՎtait placer un principe ˆ c™tŽ dÕun autre principe, dÕo, selon toutes les lumires de la plus saine raison, il ne peut rŽsulter que du dŽsordre. Nous avons vu ceci encore plus Žvidemment, en remarquant que cette septime qui produit la dissonance, Žtait en mme temps le son qui prŽcde immŽdiatement lÕoctave.

Mais cette septime qui est telle par rapport au son fondamental, peut donc se regarder aussi comme une seconde, par rapport ˆ lÕoctave qui en est la rŽpŽtition ; alors nous reconna”trons que la septime nÕest point du tout la seule dissonance, mais que la seconde a aussi cette propriŽtŽ ; quÕainsi toute liaison diatonique est condamnŽe par la nature de notre oreille, et que partout o elle sentira deux notes voisines sonner ensemble, elle sera blessŽe.

Alors, comme il nÕy a absolument dans toute la gamme, que la seconde et la septime qui puissent se trouver dans ce rapport avec le son grave ou avec son octave, cela nous fait voir clairement que tout rŽsultat et tout produit, en fait de Musique, est fondŽ sur deux dissonances, dÕo provient toute rŽaction musicale.

Des dissonances et des consonances

Portant ensuite cette observation sur les choses sensibles, nous verrons avec la mme Žvidence, quÕelles nÕont jamais pu, et quÕelles ne peuvent jamais na”tre que par deux dissonances, et quelques efforts que nous fassions, nous ne trouverons jamais dÕautre source au dŽsordre que le nombre attachŽ ˆ ces deux sortes de dissonances.

Bien plus, si lÕon observe que ce quÕon appelle communŽment septime, est en effet une neuvime, attendu que cÕest lÕassemblage de trois tierces trs distinctes ; on verra si jÕai abusŽ mes Lecteurs, en leur disant prŽcŽdemment que le nombre neuf Žtait le vrai nombre de lՎtendue et de la Matire.

Veut-on, au contraire, jeter la vue sur le nombre des consonances ou des sons qui sÕaccordent avec le son fondamental, nous verrons quÕelles sont au nombre de quatre, savoir, la tierce, la quarte, la quinte juste et la sixte ; car ici il ne faut point parler de lÕoctave comme octave, parce quÕil sÕagit des divisions particulires de la gamme, dans lesquelles cette octave nÕa pas dÕautre caractre que le son fondamental mme dont elle est lÕimage, si ce nÕest quÕon veuille la regarder comme la quarte du second TŽtracorde ; ce qui ne change rien au nombre des quatre consonances que nous Žtablissons.

Je ne pourrai jamais mՎtendre, autant que je le voudrais, sur les propriŽtŽs infinies de ces quatre consonances, et jÕen suis vraiment affligŽ, parce quÕil me serait aisŽ de faire voir avec une clartŽ frappante leur rapport direct avec lÕUnitŽ, de montrer comment lÕharmonie universelle est attachŽe ˆ cette consonance quaternaire, et pourquoi sans elle il est impossible quÕaucun Etre subsiste en bon Žtat.

Mais ˆ tous les pas, la prudence et le devoir mÕarrtent, parce que dans ces matires un seul point mne ˆ tous les autres, et que je nÕeusse mme jamais entrepris dÕen traiter aucun, si les Erreurs dont les Sciences humaines empoisonnent mon espce, ne mÕeussent entra”nŽ ˆ prendre sa dŽfense.

Je me suis engagŽ nŽanmoins ˆ ne pas terminer ce traitŽ, sans donner quelques explications plus dŽtaillŽes sur les propriŽtŽs universelles du quaternaire ; je nÕoublie point ma promesse, et je me propose de la remplir autant quÕil me sera permis de le faire ; mais, pour le prŽsent, revenons encore ˆ la septime, et remarquons que si cÕest elle qui fait diversion avec lÕaccord parfait, cÕest aussi par elle que se fait la crise et la rŽvolution, dÕo doit sortir lÕordre et rena”tre la tranquillitŽ de lÕoreille, puisquՈ la suite de cette septime on est indispensablement obligŽ de rentrer dans lÕaccord parfait. Je ne regarde point comme contraire ˆ ce principe, ce quÕon nomme en Musique une suite de septimes ; qui nÕest autre chose quÕune continuitŽ de dissonances, et quÕon ne peut absolument se dispenser de terminer toujours par lÕaccord parfait ou ses dŽrivŽs.

Ce sera donc encore cette mme dissonance qui nous rŽpŽtera ce qui se passe dans la Nature corporelle, dont le cours nÕest quÕune suite de dŽrangements et de rŽhabilitations. Or, si cette mme observation nous a indiquŽ prŽcŽdemment la vŽritable origine des choses corporelles, si elle nous fait voir aujourdÕhui que tous les Etres de la Nature sont assujettis ˆ cette loi violente qui prŽside ˆ leur origine, ˆ leur existence et ˆ leur fin, pourquoi ne pourrons-nous pas appliquer la mme loi ˆ lÕunivers entier, et reconna”tre que si cÕest la violence qui lÕa fait na”tre et qui lÕentretient, ce doit tre aussi la violence qui en opre la destruction ?

CÕest ainsi que nous voyons quÕau moment de terminer un morceau de Musique, il se fait ordinairement un battement confus, un trille, entre une des notes de lÕaccord parfait et la seconde ou la septime de lÕaccord dissonant, lequel accord dissonant est indiquŽ par la basse qui en tient communŽment la note fondamentale, pour ramener ensuite le total ˆ lÕaccord parfait ou ˆ lÕunitŽ.

On doit voir encore, que puisque aprs cette cadence musicale, on rentre nŽcessairement dans lÕaccord parfait qui remet tout en paix et en ordre, il est certain quÕaprs la crise des ElŽments, les Principes qui en sont combattus doivent aussi retrouver leur tranquillitŽ, dÕo faisant la mme application ˆ lÕhomme, lÕon doit apprendre combien la vraie connaissance de la Musique pourrait le prŽserver de la crainte de la mort, puisque cette mort nÕest que le trille qui termine son Žtat de confusion, et le ramne ˆ ses quatre consonances.

JÕen dis assez pour lÕintelligence de mes Lecteurs, cÕest ˆ eux ˆ Žtendre les bornes que je me suis prescrites. Je peux prŽsumer par consŽquent quÕils ne considŽreront pas les dissonances comme des vices par rapport ˆ la Musique, puisque cÕest de lˆ quÕelle tire ses plus grandes beautŽs, mais seulement comme lÕindice de lÕopposition qui rgne en toutes choses.

Ils concevront mme que dans lÕharmonie, dont la Musique des sens nÕest que la figure, il doit se trouver la mme opposition des dissonances aux consonances ; mais que loin dÕy causer le moindre dŽfaut, elles en sont lÕaliment et la vie, et que lÕintelligence nÕy voit que lÕaction de plusieurs facultŽs diffŽrentes qui se soutiennent mutuellement, plut™t quÕelles ne se combattent, et qui par leur rŽunion font na”tre une multitude de rŽsultats toujours neufs et toujours frappants.

Ce nÕest donc lˆ quÕun extrait trs abrŽgŽ de toutes les observations que je pourrais faire en ce genre sur la Musique, et des rapports qui se trouvent entre elle et des VŽritŽs importantes; mais ce que jÕen ai dit est suffisant pour faire apercevoir la raison des choses, et pour apprendre aux hommes ˆ ne pas isoler leurs diffŽrentes connaissances, puisque nous leur montrons quÕelles ne sont toutes que les diffŽrents rameaux du mme arbre, et que la mme empreinte est partout.

 

Du diapason

Faut-il parler ˆ prŽsent de lÕobscuritŽ o est encore la science de la Musique ? Nous pourrions commencer par demander aux Musiciens quelle est leur rgle pour prendre le ton ; cÕest-ˆ-dire, quel est leur a-mi-la ou leur Diapason ; et si nÕen ayant point, et Žtant obligŽs de sÕen faire un, ils peuvent croire avoir quelque chose de fixe en ce genre ? Alors sÕils nÕont point de Diapason fixe, il en rŽsulte que les rapports numŽriques que lÕon peut tirer de leur Diapason factice, avec les sons qui lui doivent tre corrŽlatifs, ne sont pas non plus les vŽritables, et que les principes que les Musiciens nous donnent pour vrais sous les nombres quÕils ont admis, peuvent Žgalement lՐtre sous dÕautres nombres, selon que lÕa-mi-la sera plus ou moins bas ; ce qui rend absolument incertaines la plupart de leurs opinions sur les valeurs numŽriques quÕils attribuent aux diffŽrents sons.

Je ne parle ici toutefois que de ceux qui ont voulu Žvaluer ces diffŽrents sons par le nombre des vibrations des cordes ou autres corps sonores ; car cÕest alors quÕil faut nŽcessairement un Diapason fixe pour que lÕexpŽrience soit juste ; il faudrait par consŽquent des corps sonores qui fussent essentiellement les mmes, pour quÕon pžt statuer sur leurs rŽsultats ; mais ces deux moyens nՎtant point accordŽs ˆ lÕhomme, vu que la Matire nÕest que relative, il est Žvident que tout ce quÕil Žtablirait sur une pareille base, serait susceptible de beaucoup dÕerreurs.

Principes de lÕharmonie

Ce nՎtait donc point dans la Matire, quÕon aurait dž chercher les principes de lÕharmonie, puisque, selon tout ce quÕon a vu, la Matire nՎtant jamais fixŽe, ne peut offrir le principe de rien. Mais cՎtait dans la Nature mme des choses o tout Žtant stable et toujours le mme, il ne faut que des yeux pour y lire la vŽritŽ. Enfin, lÕhomme ežt vu quÕil nÕavait pas dÕautre rgle ˆ suivre que celle qui se trouve dans le rapport double de lÕoctave, ou dans cette fameuse raison double qui est Žcrite sur tous les Etres, et dÕo la raison triple est descendue ; ce qui lui ežt retracŽ de nouveau la double action de la Nature, et cette troisime Cause temporelle Žtablie universellement sur les deux autres.

De la musique artificielle

Je bornerai lˆ mes observations sur la dŽfectuositŽ des Lois que lÕimagination de lÕhomme a pu introduire dans la Musique ; car tout ce que jÕy pourrais ajouter tiendrait toujours ˆ cette premire erreur, et elle est assez sensible pour que je ne mÕy attache pas davantage. JÕavertirai seulement les Inventeurs, de bien rŽflŽchir sur la nature de nos sens, et dÕobserver que celui de lÕou•e, comme tous les autres, est susceptible dÕhabitude ; quÕainsi ils ont pu y tre trompŽs de bonne foi, et se faire des rgles de choses hasardŽes, et de suppositions que le temps seul leur aura fait para”tre vraies et rŽgulires.

Il me reste nŽanmoins ˆ examiner lÕemploi que lÕhomme a fait de cette Musique ˆ laquelle il sÕoccupe presque universellement, et ˆ observer sÕil en a jamais souponnŽ la vŽritable application.

IndŽpendamment des beautŽs innombrables dont elle est susceptible, on lui conna”t une Loi stricte, cÕest cette mesure rigoureuse dont elle ne peut absolument sՎcarter. Cela seul nÕannonce-t-il pas quÕelle a un Principe vrai, et que la main qui la dirige est au-dessus du pouvoir des sens, puisque ceux-ci nÕont rien de fixe ?

Mais si elle tient ˆ des principes de cette nature, il est donc certain quÕelle ne devait jamais avoir dÕautre guide, et quÕelle Žtait faite pour tre toujours unie ˆ sa source. Or, sa source Žtant, comme nous lÕavons vu, cette langue premire et universelle qui indique et reprŽsente les choses au naturel, on ne peut douter que la Musique nÕežt ŽtŽ la vraie mesure des choses, comme lՎcriture et la parole en exprimaient la signification.

CՎtait donc uniquement en sÕattachant ˆ ce principe fŽcond et invariable, que la Musique pouvait conserver les droits de son origine, et remplir son vŽritable emploi ; cÕest lˆ quÕelle ežt pu peindre des tableaux ressemblants, et que toutes les facultŽs de ceux ˆ qui elle se fžt fait entendre, eussent ŽtŽ pleinement satisfaites. En un mot, cÕest par lˆ que la Musique aurait opŽrŽ les prodiges dont elle est capable, et qui lui ont ŽtŽ attribuŽs dans tous les temps.

Par consŽquent, en la sŽparant de sa source, en ne lui cherchant des sujets que dans des sentiments factices, ou dans des idŽes vagues, on lÕa privŽe de son premier appui, et on lui a ™tŽ les moyens de se montrer dans tout son Žclat.

Aussi, quelles impressions, quels effets produit-elle entre les mains des hommes ? Quelles idŽes, quels sens nous offre-t-elle ? ExceptŽ celui qui compose, est-il beaucoup dÕoreilles qui puissent avoir lÕintelligence de ce quÕelles entendent exprimer ˆ la Musique reue ? Et encore le compositeur lui-mme, aprs sՐtre livrŽ ˆ son imagination, ne perd-il jamais le sens de ce quÕil a peint, et de ce quÕil a voulu rendre ?

Rien nÕest donc plus informe, ni plus dŽfectueux que lÕusage que les hommes ont fait de cet Art, et cela uniquement parce que sՎtant peu occupŽs de son Principe, ils nÕont pas cherchŽ ˆ les Žtayer lÕun par lÕautre, et quÕils ont cru pouvoir faire des copies sans avoir leur modle devant les yeux.

Ce nÕest point que je bl‰me mes semblables de chercher dans les ressources infinies de la Musique factice, les agrŽments et les dŽlassements quÕelle peut offrir, ni que je veuille les priver des secours que malgrŽ sa dŽfectuositŽ, cet Art peut leur procurer tous les jours. Il peut, je le sais, aider quelquefois ˆ faire revivre en eux, plusieurs de ces idŽes obscurcies, qui Žtant mieux ŽpurŽes, devraient tre leur unique aliment, et qui peuvent seules leur faire trouver un point dÕappui. Mais pour cet effet, je les engagerai toujours ˆ porter leur intelligence au dessus de ce que leurs sens entendent, parce que lՎlŽment de lÕhomme nÕest point dans les sens : je les engagerai ˆ croire que quelques parfaites que soient leurs productions musicales, il en est dÕun autre ordre et de plus rŽgulires ; que ce nÕest mme quÕen raison du plus ou moins de conformitŽ avec elles, que la Musique artificielle nous attache et nous cause plus ou moins dՎmotion.

De la mesure

Lorsque jÕai appuyŽ sur la prŽcision de la mesure ˆ laquelle la Musique est assujettie, je nÕai pas perdu de vue lÕuniversalitŽ de cette Loi ; je me suis proposŽ au contraire dÕy revenir, pour montrer quÕen mme temps quÕelle embrasse tout, elle a partout des caractres distincts. Et il nÕy a rien ici qui ne soit conforme ˆ tout ce qui a ŽtŽ Žtabli ; on a vu la mesure tenir sa place parmi les facultŽs intellectuelles de lÕhomme, et entrer au nombre des Lois qui le dirigent ; on a pu juger par lˆ que ces facultŽs intellectuelles Žtant elles-mmes la ressemblance des facultŽs du Principe supŽrieur dÕo lÕhomme tient tout, ce Principe doit avoir aussi sa mesure et ses Lois particulires.

Ds lors, si les choses supŽrieures ont leur mesure, nous ne devons plus trouver Žtonnant que les choses infŽrieures et sensibles quÕelles ont crŽŽes y soient soumises ; et par consŽquent, que nous trouvions dans cette mesure, un guide sŽvre de la Musique.

Mais pour peu que nous rŽflŽchissions sur la nature de cette mesure sensible, nous en verrons bient™t la diffŽrence avec la mesure qui rgle les choses dÕun autre ordre.

Dans la Musique, nous voyons que la mesure est toujours Žgale ; que le mouvement une fois donnŽ se perpŽtue et se rŽpte sous la mme forme, et dans le mme nombre de temps ; tout enfin, nous y parait si rŽglŽ et si exact, quÕil est impossible de nÕen pas sentir la Loi, et de ne pas en avouer la nŽcessitŽ. Aussi cette mesure Žgale est-elle si bien affectŽe aux choses sensibles, que nous voyons les hommes lÕappliquer ˆ toutes celles de leurs productions qui nÕont lieu que dans une continuitŽ dÕaction ; nous voyons que cette Loi est pour eux comme un point dÕappui sur lequel ils se reposent avec plaisir ; nous les voyons mme sÕen servir dans leurs travaux les plus rudes, et cÕest alors que nous pouvons juger quel est lÕavantage et lÕutilitŽ de ce puissant secours, puisque avec lui, le manÏuvre semble adoucir des fatigues qui sans cela, lui para”traient insupportables.

De la mesure sensible

Mais aussi cÕest lˆ ce qui peut aider encore ˆ nous instruire sur la nature des choses sensibles; car, nous offrir une telle ŽgalitŽ dans lÕaction, et je puis le dire, une telle servitude, cÕest nous annoncer clairement que le Principe qui est en elles, nÕest pas le ma”tre de cette mme action, mais que dans lui tout est contraint et forcŽ, ce qui revient ˆ ce quÕon a pu voir dans les diffŽrentes parties de cet Ouvrage, sur lÕinfŽrioritŽ de la Matire. CÕest par consŽquent ne nous offrir quÕune dŽpendance marquŽe, et tous les signes dÕune vie que nous ne pouvons reconna”tre que comme passive ; cÕest-ˆ-dire, qui nÕayant pas son action ˆ elle, est obligŽe de lÕattendre et de la recevoir dÕune Loi supŽrieure qui en dispose et qui lui commande.

Nous pouvons remarquer en second lieu, que cette Loi qui rgle la marche de la Musique, se manifeste de deux manires, ou par deux sortes de mesures connues sous le nom de mesure ˆ deux temps et de mesure ˆ trois temps. Nous ne comptons point la mesure ˆ quatre temps, ni toutes les autres subdivisions quÕon a pu faire, et qui ne sont que des multiples des deux premires mesures. Bien moins encore pouvons nous admettre de mesure ˆ un temps, par cette raison que les choses sensibles ne sont pas le rŽsultat, ni lÕeffet dÕune seule action, mais quÕelles nÕont pris naissance et quÕelles ne subsistent que par le moyen de plusieurs actions rŽunies.

Or, cÕest le nombre et la qualitŽ de ces actions que nous trouvons ˆ dŽcouvert dans les deux diffŽrentes sortes de mesures affectŽes ˆ la Musique, ainsi que dans le nombre de temps que ces deux sortes de mesures renferment. Et certes, rien ne serait plus instructif que dÕobserver cette combinaison de deux et de trois temps par rapport ˆ tout ce qui existe corporellement ; ce serait lˆ de nouveau o nous verrions clairement la raison double, et la raison triple diriger le cours universel des choses.

Mais ces points nÕont ŽtŽ que trop dŽtaillŽs, je dois seulement engager les hommes ˆ Žvaluer ce qui les environne, et nullement leur communiquer des connaissances qui ne peuvent tre que le prix de leurs dŽsirs et de leurs efforts. Dans cette vue, je terminerai promptement ce que jÕai ˆ dire sur les deux mesures sensibles de la Musique.

Pour savoir laquelle de ces deux mesures est employŽe dans un morceau de Musique quelconque, il faut attendre nŽcessairement que la premire mesure soit remplie ; ou ce qui est la mme chose, que la seconde mesure soit commencŽe ; ce nÕest quÕalors que lÕoreille est fixŽe, et quÕelle sent sur quel nombre elle peut sÕappuyer. Car, tant quÕune mesure nÕest pas complŽtŽe de cette manire, on ne peut jamais savoir quel sera son nombre, puisquÕil est possible de toujours ajouter des temps ˆ ceux qui ont prŽcŽdŽ.

NÕest-ce pas alors nous montrer dans la Nature mme, cette vŽritŽ si rebattue, que les propriŽtŽs des choses sensibles ne sont pas fixes, mais seulement relatives, et quÕelles ne se soutiennent que les unes par les autres. Car sans cela, une seule de leurs actions en se manifestant, porterait son vrai caractre avec elle, et nÕattendrait pas, pour se faire conna”tre, quÕon la compar‰t.

 

De la mesure intellectuelle

Telle est donc lÕinfŽrioritŽ de la Musique artificielle et de toutes les choses sensibles, quÕelles ne renferment que des actions passives, et que leur mesure, quoique dŽterminŽe en elle-mme, ne peut nous tre connue que relativement aux autres mesures avec lesquelles on en fait la comparaison.

Parmi les choses dÕun ordre plus ŽlevŽ et absolument hors du sensible, cette mesure sÕannonce sous des traits plus nobles ; lˆ, chaque Etre ayant son action ˆ lui, possde aussi dans ses Lois une mesure proportionnŽe ˆ cette action, mais en mme temps comme chacune de ces actions est toujours nouvelle, et toujours diffŽrente de celle qui la prŽcde et de celle qui la suit, il est aisŽ de voir que la mesure qui les accompagne ne peut jamais tre la mme, et quÕainsi ce nÕest pas dans cette classe quÕil faut chercher cette uniformitŽ de mesurŽ qui rgne dans la Musique et dans les choses sensibles.

Dans la Nature pŽrissable, tout est dans la dŽpendance, et nÕannonce quÕune exŽcution aveugle, qui nÕest autre chose que lÕassemblage forcŽ de plusieurs agents soumis ˆ la mme loi, lesquels concourant toujours au mme but et de la mme manire, ne peuvent produire quÕun rŽsultat uniforme, quand ils nՎprouvent point de dŽrangement ni dÕobstacles ˆ lÕaccomplissement de leur action.

Des Ïuvres de lÕHomme

Dans la Nature impŽrissable, au contraire, tout est vivant, tout est simple, et ds lors chaque action porte toutes ses Lois avec elle. CÕest-ˆ-dire, que lÕaction supŽrieure rgle elle-mme sa mesure, au lieu que cÕest la mesure qui rgle lÕaction infŽrieure, ou celle de la Matire et de toute la Nature passive.

Il ne faut rien de plus pour sentir la diffŽrence infinie quÕil doit y avoir entre la Musique artificielle, et lÕexpression vivante de cette Langue vraie que nous annonons aux hommes comme le plus puissant des moyens destinŽs ˆ les rŽtablir dans leurs droits.

QuÕils apprennent donc ici ˆ distinguer cette Langue unique et invariable, de toutes les productions factices quÕils mettent continuellement ˆ sa place : lÕune portant ses Lois avec elle-mme, nÕen a jamais que de justes et de conformes au Principe qui les emploie ; les autres sont enfantŽes par lÕhomme pendant quÕil est dans les tŽnbres, et quÕil ne sait si ce quÕil fait convient ou non ˆ ce Principe supŽrieur dont il est sŽparŽ et quÕil ne conna”t plus.

Alors quand il verra varier les ouvrages de ses mains, et se multiplier ˆ lÕinfini les abus quÕil fait des Langues, tant dans lÕusage de la Parole que dans celui de lՎcriture et de la Musique ; quand il verra na”tre et pŽrir successivement toutes les Langues humaines ; quand il verra quÕici-bas nous ne connaissons que le nombre des choses, et que nous mourons presque tous sans en avoir jamais su les noms, il ne croira pas pour cela que le Principe, dÕaprs lequel il donne le jour ˆ ses productions, soit sujet ˆ la mme vicissitude et ˆ la mme obscuritŽ.

Au contraire, il avouera que ne pouvant rien faire aujourdÕhui que par imitation, ses ouvrages nÕauront jamais la mme soliditŽ que des ouvrages rŽels. Observant ensuite sÕil est possible que chacun envisage le modle de la mme place, il reconna”tra pourquoi les copies en sont toutes diffŽrentes ; mais il nÕen sentira pas moins que ce modle Žtant au centre, demeure toujours le mme, comme le Principe dont il exprime les Lois et la VolontŽ, et que si les hommes Žtaient assez courageux pour sÕen rapprocher davantage, ils verraient Žvanouir toutes ces diffŽrences qui nÕont lieu que parce quÕils en sont ŽloignŽs.

Il nÕattribuera donc plus les propriŽtŽs du germe inapprŽciable qui est en lui-mme, ˆ des habitudes et ˆ lÕexemple ; mais il conviendra au contraire que ce sont les habitudes et lÕexemple qui dŽgradent et obscurcissent les propriŽtŽs de ce germe vrai, simple et indestructible ; en un mot, que si lÕhomme avait su prŽvenir tous ces obstacles, ou quÕil ežt eu assez de force pour les surmonter, il aurait une Langue commune ˆ tous ses semblables comme lÕessence qui les constitue et qui Žtablie entre eux une ressemblance universelle.

Droits de la vraie langue

CÕest, en effet, lÕunitŽ du Principe et de lÕessence des hommes qui fait le mieux sentir la possibilitŽ de lÕunitŽ de leur langage, puisque si par les droits de leur nature, ils peuvent avoir tous les mmes notions sur les Lois des Etres, sur les vŽritables rgles de la justice, sur leur Religion et sur leur Culte ; sÕils peuvent, dis-je, espŽrer de recouvrer lÕusage de toutes leurs facultŽs intellectuelles, enfin sÕils tendent tous au mme but, sÕils ont tous le mme Ïuvre ˆ faire, et que cependant ils ne puissent y parvenir sans le secours des Langues, il faut que cet attribut puisse agir par une Loi uniforme, analogue ˆ lÕuniversalitŽ, et ˆ lÕintime unitŽ de toutes leurs connaissances.

Aussi, sans rappeler tout ce que nous avons dit de la supŽrioritŽ de cette Langue vraie, nous croirons faire concevoir assez clairement combien elle doit tre une et puissante, en rŽpŽtant que cÕest la seule voie qui peut conduire lÕhomme ˆ lÕUnitŽ, et ˆ la source de toutes les Puissances ; cÕest-ˆ-dire, ˆ la racine de ce carrŽ dont lÕhomme a pour t‰che de parcourir tous les c™tŽs, et dont je vais ici, selon ma professe, exposer les propriŽtŽs et les vertus.

PropriŽtŽs du chiffre universel

On a vu prŽcŽdemment des dŽtails assez amples sur les rapports de ce carrŽ, ou de ce nombre quaternaire, avec les causes extŽrieures ˆ lÕhomme et avec les Lois qui rglent le cours de tous les Etres de la Nature ; mais on est assez instruit par tout ce qui a prŽcŽdŽ, pour ne pouvoir plus douter que cet emblme universel doit avoir des rapports encore plus intŽressants pour lÕhomme, en ce quÕils sont plus directs avec lui-mme, et quÕils le concernent personnellement.

Il nÕy a donc personne qui nÕy puisse reconna”tre une trs grande affinitŽ avec la quatrime des dix feuilles de ce Livre, qui avant la rŽprobation de lÕhomme, Žtait toujours ouvert et intelligible pour lui, mais quÕil ne peut plus aujourdÕhui ni lire, ni comprendre, que par la succession du temps. On y verra mme avec autant de facilitŽ, une similitude frappante avec cette arme puissante dont lÕhomme avait ŽtŽ mis en possession lors de sa premire naissance, et dont la recherche pŽnible est le seul objet de son cours temporel, et la premire loi de sa condamnation.

Bien plus encore y trouvera-t-on de lÕanalogie avec ce centre fŽcond que lÕhomme occupait pendant sa gloire, et quÕil ne conna”tra jamais pleinement sans y rentrer.

Et vraiment, qui peut mieux que ce carrŽ nous rappeler le rang Žminent o lÕhomme fut placŽ dans son origine ? Ce carrŽ est seul et unique, ainsi que la racine dont il est le produit et lÕimage ; le lieu que lÕhomme a habitŽ est tel quÕon ne pourra jamais lui en comparer aucun autre. Ce carrŽ mesure toute la circonfŽrence ; lÕhomme au sein de son empire embrassait toutes les rŽgions de lÕUnivers. Ce carrŽ est formŽ de quatre lignes ; le poste de lÕhomme Žtait marquŽ par quatre lignes de communication qui sՎtendaient jusquÕaux quatre points cardinaux de lÕhorizon. Ce carrŽ provient du centre et nous est clairement indiquŽ par les quatre consonances musicales qui occupent prŽcisŽment le milieu de la gamme, et sont les principaux agents de toutes les beautŽs de lÕharmonie ; le tr™ne de lÕhomme Žtait au centre mme des Pays de sa domination, et de lˆ il gouvernait les sept instruments de sa gloire, que jÕai dŽsignŽs prŽcŽdemment sous le nom de sept arbres, et quÕun grand nombre sera tentŽ de prendre pour les sept plantes, mais qui cependant ne sont ni des arbres, ni des plantes.

On ne peut donc plus douter que le carrŽ en question en soit le vrai signe de ce lieu de dŽlices, connu dans nos RŽgions sous le nom de Paradis terrestre ; cÕest-ˆ-dire, de ce lieu dont toutes les Nations ont eu lÕidŽe, quÕelles ont reprŽsentŽ chacune sous des fables et sous des allŽgories diffŽrentes, selon leur sagesse, leurs lumires, ou leur aveuglement ; et que les ingŽnus GŽographes ont cherchŽ bonnement sur la Terre.

Il ne faut donc plus tre ŽtonnŽ de lÕimmensitŽ des privilges, que nous lui avons attribuŽs dans les diffŽrents endroits de cet Ouvrage o nous en avons parlŽ ; il ne faut plus tre ŽtonnŽ, dis-je, que si cÕest dÕun seul Principe que descendent toutes les VŽritŽs et toutes les lumires, et que lÕemblme quaternaire en soit la plus parfaite image, cet emblme puisse Žclairer lÕhomme sur la science de toutes les Natures, cÕest-ˆ-dire, sur les Lois de lÕordre immatŽriel, de lÕordre temporel, de lÕordre corporel et de lÕordre mixte, qui sont les quatre colonnes de lՎdifice ; en un mot, il faut convenir que celui qui pourra possŽder la clef de ce chiffre universel, ne trouvera plus rien de cachŽ pour lui dans tout ce qui existe, puisque ce chiffre est celui mme de lÕEtre qui produit tout, qui opre tout et qui embrasse tout.

Mais quelque innombrables que soient les avantages qui y sont attachŽs, et quelque puissante que soit cette langue vraie et unique qui y conduit, tel est, on le sait, lՎtat malheureux de lÕhomme actuel, quÕil ne peut, non seulement arriver au terme, mais mme faire un seul pas dans cette voie, sans quÕune autre main que la sienne lui en ouvre lÕentrŽe, et le soutienne dans toute lՎtendue de la carrire.

On sait aussi que cette main puissante est cette mme Cause physique, ˆ la fois intelligente et active, dont lÕÏil voit tout, et dont le pouvoir soutient tout dans le temps ; or, si ses droits sont exclusifs, comment lÕhomme dans sa faiblesse et dans la privation la plus absolue, pourrait-il, dans la Nature, se passer seul dÕun pareil appui ?

Il faut donc quÕil reconnaisse ici de nouveau et lÕexistence de cette Cause, et le besoin indispensable quÕil a de son secours pour se rŽtablir dans ses droits. Il sera Žgalement obligŽ dÕavouer que si elle peut seule satisfaire pleinement ses dŽsirs sur les difficultŽs qui lÕinquitent, le premier et le plus utile de ses devoirs est dÕabjurer sa fragile volontŽ, ainsi que les fausses lueurs dont il cherche ˆ en colorer les abus, et de ne se reposer absolument que sur cette Cause puissante, qui aujourdÕhui est lÕunique guide quÕil ait ˆ prendre.

Et vraiment cÕest celle qui est prŽposŽe pour rŽparer non seulement les maux que lÕhomme a laissŽ faire, mais encore ceux quÕil sÕest fait ˆ lui-mme ; cÕest celle qui a continuellement les yeux ouverts sur lui, comme sur tous les autres Etres de lÕUnivers, mais pour laquelle cet homme est infiniment plus prŽcieux, puisquÕil est de la mme Essence quÕelle, et Žgalement indestructible ; puisquÕen un mot, de tous les Etres qui sont en correspondance avec le carrŽ, ils sont seuls revtus du privilge de la pensŽe, pendant que cette Nature pŽrissable est ˆ leurs yeux, comme un nŽant et comme un songe.

Combien sa confiance nÕaugmentera-t-elle pas dans cette Cause, en qui rŽsident tous les pouvoirs, quand il apprendra quÕelle possde Žminemment cette langue vraie et unique quÕil a oubliŽ, et quÕil est obligŽ aujourdÕhui de rappeler pŽniblement ˆ sa mŽmoire ; quand il saura quÕil ne peut sans cette Cause en conna”tre le premier ŽlŽment, et surtout quand il verra quÕelle habite et gouverne souverainement ce carrŽ fŽcond, hors duquel lÕhomme ne trouvera jamais ni le repos ni la VŽritŽ.

Alors il ne doutera plus quÕen sÕapprochant dÕelle, il ne sÕapproche de la seule et vraie lumire quÕil ait ˆ attendre, et quÕil ne trouve avec elle non seulement toutes les connaissances dont nous avons traitŽ, mais bien plus encore la science de lui-mme, puisque cette Cause, quoique tenant ˆ la source de tous les nombres, sÕannonce nŽanmoins partout spŽcialement par le nombre de ce carrŽ, qui est en mme temps le nombre de lÕhomme.

Que ne puis-je dŽposer ici le voile dont je me couvre, et prononcer le Nom de cette Cause bienfaisante, la force et lÕexcellence mme, sur laquelle je voudrais pouvoir fixer les yeux de tout lÕUnivers ! mais, quoique cet Etre ineffable, la clef de la Nature, lÕamour et la joie des simples, le flambeau des Sages, et mme le secret appui des aveugles, ne cesse de soutenir lÕhomme dans tous ses pas, comme il soutient et dirige tous les actes de lÕUnivers, cependant le Nom qui le ferait le mieux conna”tre, suffirait, si je le profŽrais, pour que le plus grand nombre dŽdaign‰t dÕajouter foi ˆ ses vertus et se dŽfi‰t de toute ma doctrine ; ainsi le dŽsigner plus clairement, ce serait Žloigner le but que jÕaurais de le faire honorer.

Je prŽfre donc de mÕen reposer sur la pŽnŽtration de mes Lecteurs. Trs persuadŽ que malgrŽ les enveloppes dont jÕai couvert la VŽritŽ, les hommes intelligents pourront la comprendre, que les hommes vrais pourront la gožter, et mme que les hommes corrompus ne pourront au moins sÕempcher de la sentir, parce que tous les hommes sont des C-H-R.

Conclusion

Tel est le prŽcis des rŽflexions que je me suis proposŽ de prŽsenter aux hommes. Si mes engagements ne mÕeussent retenu, jÕaurais pu sans doute parcourir un champ bien plus Žtendu. NŽanmoins, dans le peu que jÕai osŽ leur dire, je me flatte de ne leur avoir offert que ce quÕils sentiront tous en eux-mmes, lorsquÕils voudront y chercher avec courage, et se dŽfendre ˆ la fois dÕune crŽdulitŽ aveugle et de la prŽcipitation dans leurs jugements, deux vices qui mnent Žgalement ˆ lÕignorance et ˆ lÕerreur.

Ds lors, quand je nÕaurais pas ma propre conviction pour preuve, je croirais toujours les avoir rappelŽ ˆ leur Principe et ˆ la VŽritŽ.

En effet, ce ne sera jamais tromper lÕhomme, que de lui reprŽsenter avec force, quelle est sa privation et sa misre, tant quÕil est liŽ aux choses passagres et sensibles ; et de lui montrer que parmi cette multitude dÕEtres qui lÕenvironnent, il nÕy a que lui et son guide qui jouissent du privilge de la pensŽe.

SÕil veut sÕen convaincre, quÕil consulte dans cette classe sensible, tout ce quÕil aperoit autour de lui ; quÕil demande aux ElŽments pourquoi, tout ennemis quÕils sont, ils se trouvent ainsi rassemblŽs pour la formation et lÕexistence des Corps ; quÕil demande ˆ la Plante pourquoi elle vŽgte ; et ˆ lÕAnimal, pourquoi il erre sur cette surface ; quÕil demande mme aux Astres pourquoi ils Žclairent et pourquoi, depuis leur existence, ils nÕont pas cessŽ un seul instant de suivre leur cours.

Tous ces Etres sourds ˆ la voix qui les interrogera, continueront de faire chacun leur Ïuvre en silence, mais ils ne rendront aucune satisfaction aux dŽsirs de lÕhomme, parce que leurs faits muets ne parlant quՈ ses yeux corporels, nÕapprendront rien ˆ son intelligence.

Bien plus, que lÕhomme demande ˆ ce qui est infiniment plus voisin de lui-mme, je veux dire, ˆ cette enveloppe corporelle quÕil porte pŽniblement avec lui ; quÕil lui demande, dis-je, pourquoi elle se trouve jointe ˆ un Etre avec lequel, suivant les Lois qui le constituent, elle est si incompatible. Cette aveugle forme nՎclaircira pas mieux ce nouveau doute ; et laissera encore lÕhomme dans lÕincertitude.

Est-il donc un Žtat plus ˆ charge, et en mme temps plus humiliant, que dՐtre relŽguŽ dans une RŽgion o tous les Etres qui lÕhabitent, sont autant dՎtrangers pour nous ? O le langage que nous leur parlons ne peut pas en tre entendu ; o enfin, lÕhomme Žtant encha”nŽ malgrŽ lui ˆ un corps qui nÕa rien de plus que toutes les autres productions de la Nature, tra”ne partout un Etre avec lequel il ne peut pas converser ?

Ainsi, malgrŽ la grandeur et la beautŽ de tous ces ouvrages de la Nature, parmi lesquels nous sommes placŽs, ds quÕils ne peuvent ni nous comprendre, ni nous parler, il est certain que nous sommes au milieu dÕeux comme dans un dŽsert.

Si les Observateurs eussent ŽtŽ persuadŽs de ces vŽritŽs, ils nÕauraient donc pas cherchŽ dans cette Nature corporelle, des explications et des solutions quÕelle ne peut jamais leur donner ; ils nÕauraient pas non plus cherchŽ dans lÕhomme actuel le vrai modle de ce quÕil devrait tre, puisquÕil est si horriblement dŽfigurŽ ; ni ˆ expliquer lÕauteur des choses par ses productions matŽrielles dont lÕexistence et les Lois Žtant dŽpendantes, ne peuvent rien faire conna”tre de celui qui a tout en soi.

Leur annoncer alors que la voie quÕils ont prise met elle-mme le premier obstacle ˆ leurs progrs, et les Žloigne entirement de la route des dŽcouvertes, cÕest leur dire une vŽritŽ dont ils conviendront facilement, quand ils voudront la considŽrer.

En mme temps, puisquÕils ne peuvent nier quÕils nÕaient une facultŽ intelligente, nÕest-ce pas leur parler le langage de leur raison mme, que de leur dire quÕils sont faits pour tout conna”tre et tout embrasser ; puisquÕune facultŽ de cette classe ne serait pas aussi noble que nous le sentons, si parmi les choses passagres, il y en avait qui fussent au-dessus dÕelle ; et puisque les efforts continuels des hommes tendent comme par un mouvement naturel, ˆ les dŽlivrer des entraves importunes de lÕignorance, et ˆ les rapprocher de la Science, comme dÕun domaine qui leur est propre.

SÕils ont si peu ˆ sÕapplaudir de leurs succs, ce nÕest donc plus ˆ la faiblesse de leur nature, ni ˆ la borne de leurs facultŽs quÕils doivent lÕattribuer, mais uniquement ˆ la fausse route quÕils prennent pour arriver au but, et parce quÕils nÕobservent pas avec assez dÕattention que chaque classe ayant sa mesure et sa Loi, cÕest aux sens ˆ juger des choses sensibles, parce que tant quÕelles ne se font pas sentir au corps, elles ne sont rien ; mais que cÕest ˆ lÕintelligence ˆ juger des choses intellectuelles auxquelles les sens ne peuvent rien conna”tre ; et que vouloir ainsi appliquer ˆ lÕune de ces classes, les Lois, et la mesure de lÕautre, cÕest aller Žvidemment contre lÕordre dictŽ par la nature mme des choses, et par consŽquent sՎcarter du seul moyen quÕil y ežt pour en discerner la vŽritŽ.

JÕai donc pu croire nÕoffrir ˆ mes semblables que des VŽritŽs faciles ˆ apercevoir, en leur disant que ce quÕils cherchent nÕest que dans le centre, que par cette raison, tant quÕils ne feront que parcourir la circonfŽrence, ils ne trouveront rien, et que ce centre qui doit tre unique dans chaque Etre, nous Žtait indiquŽ par ce carrŽ universel qui se montre dans tout ce qui existe, et se trouve Žcrit partout en caractres ineffaables.

Si je ne leur ai fait conna”tre que quelques-uns des moyens de lire dans ce centre fŽcond, qui est le seul Principe de la lumire, cÕest quÕindŽpendamment de mes obligations, cÕežt ŽtŽ leur nuire que de me dŽvoiler davantage ; car trs certainement ils ne mÕauraient pas cru ; cÕest donc, comme je me le suis promis, ˆ leur propre expŽrience que je les rappelle, et jamais, comme homme, je nÕai prŽtendu avoir dÕautres droits.

Mais quelque peu nombreux que soient les moyens dont je leur ai donnŽ des idŽes, et les pas que je leur ai fait faire dans la carrire, ils ne pourront manquer dÕy prendre quelque confiance, en voyant lՎtendue quÕelle a dŽcouvert ˆ leurs yeux, et lÕapplication que nous en avons faite sur un si grand nombre dÕobjets diffŽrents.

Car je ne prŽsume pas que ce champ, par cette raison quÕil est infiniment vaste, puisse leur para”tre impraticable, et il serait contraire ˆ toutes les Lois de la VŽritŽ, de prŽtendre que ce fžt la multitude et la diversitŽ des objets qui fžt interdite ˆ la connaissance de lÕhomme. Non, si lÕhomme est nŽ dans le centre, il nÕest rien quÕil ne puisse voir, rien quÕil ne puisse embrasser ; au contraire, la seule faute quÕil puisse commettre, cÕest dÕisoler et de dŽmembrer quelques parties de la science, parce quÕalors cÕest attaquer directement son Principe, en ce que cÕest diviser lÕUnitŽ.

Et dans ce sens, que mes Lecteurs dŽcident entre cette marche et la mienne ; puisque, malgrŽ la variŽtŽ prodigieuse des points qui mÕont occupŽs, jÕunis tout et ne fais quÕune Science, au lieu que les Observateurs en font mille, et que chaque question parmi eux devient lÕobjet dÕune doctrine et dÕune Žtude ˆ part.

Je nÕai pas besoin non plus de leur faire remarquer quÕaprs toutes les observations que je leur ai prŽsentŽes sur les diffŽrentes sciences humaines, ils doivent mÕen supposer au moins les premires notions ; ils peuvent en outre, dÕaprs la rŽserve marquŽe qui rgne dans cet Žcrit, et dÕaprs les voiles qui y sont rŽpandus, prŽsumer que probablement jÕaurais plus ˆ leur dire que ce quÕils y ont vu, et plus que ce qui est connu gŽnŽralement parmi eux.

Cependant, loin de les mŽpriser, en considŽrant lÕobscuritŽ o ils sont encore, tous mes vÏux tendent ˆ les en voir sortir pour porter leurs pas vers des sentiers plus lumineux que ceux o ils rampent.

De mme aussi, quoique jÕaie eu le bonheur dÕavoir ŽtŽ conduit plus loin quÕeux, dans la carrire de la vŽritŽ ; loin de mÕen enorgueillir, et de croire que je sache quelque chose, je leur avoue hautement mon ignorance, et pour prŽvenir leurs soupons sur la sincŽritŽ de cet aveu, jÕajouterai quÕil me serait impossible de mÕabuser moi-mme lˆ-dessus, car jÕai la preuve que je ne sais rien.

Voilˆ pourquoi je me suis annoncŽ si souvent, comme ne prŽtendant pas les mener jusquÕau terme ; cÕest assez pour moi de les avoir en quelque sorte forcŽs de convenir que la marche aveugle des sciences humaines les approche bien moins encore du but auquel ils tendent, puisquÕelle les conduit ˆ douter mme quÕil y en ait un.

Je les oblige par-lˆ ˆ sÕavouer quÕen destituant les sciences, du seul Principe qui les dirige, et dont par elles-mmes elles sont insŽparables, loin de sՎclairer, ils ne font que sÕenfoncer dans la plus affreuse ignorance, et que cÕest uniquement pour avoir ŽloignŽ ce Principe, que les Observateurs cherchent partout laborieusement, et quÕils ne sont presque jamais dÕaccord.

CÕest donc assez, je le rŽpte, de leur avoir dŽcouvert aujourdÕhui le nÏud des difficultŽs qui les arrtent : dans lÕavenir la VŽritŽ rŽpandra plus abondamment ses rayons, et elle reprendra dans son temps, lÕempire que les vaines sciences lui disputent aujourdÕhui.

Pour moi, trop peu digne de la contempler, jÕai dž borner mes efforts ˆ faire sentir quÕelle existe, et que lÕhomme, malgrŽ sa misre, pourrait sÕen convaincre tous les jours de sa vie, sÕil rŽglait mieux sa volontŽ. Je croirais donc jouir de la rŽcompense la plus dŽlicieuse, si chacun, aprs mÕavoir lu, se disait dans le secret de son cÏur, il y a une VŽritŽ, mais je peux mÕadresser mieux quՈ des hommes, pour la conna”tre.

Fin

 

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Table des chapitres du Tome 2 et dernier volume.

Chapitre 5

 

Incertitude des politiques

De lÕassociation forcŽe

De lÕassociation volontaire

Fausse conclusion des politiques

De la sociabilitŽ de lÕhomme

Source des erreurs politiques

Du premier empire de lÕhomme

Du nouvel empire de lÕhomme

Du pouvoir souverain

De la dignitŽ des rois

De la science des rois

De la lŽgitimitŽ des souverains

Des gouvernements lŽgitimes

De lÕinstitution militaire

De lÕinŽgalitŽ des hommes

Du flambeau des gouvernements

De la soumission aux souverains

Des obligations des rois

De lÕinstabilitŽ des gouvernements

Des gouvernements stables

De la diffŽrence des gouvernements

Du gouvernement dÕun seul

De la rivalitŽ des gouvernements

Du droit de la guerre

Des vrais ennemis de lÕhomme

Des trois vices des gouvernements

De lÕadministration

Du droit public

Des Žchanges et des usurpations

De la loi civile

De la prescription

De lÕadultre

Des espces dÕhommes irrŽgulires

De la pudeur

Des deux lois naturelles

Des deux adultres

De lÕadministration criminelle

Du droit de punir

Du droit de vie et de mort

Source du droit de punir

Des tŽmoins

Du pouvoir humain

Du droit dÕexŽcution

Du rapport des peines aux crimes

Des codes criminels

Des tortures

Aveuglement des lŽgislateurs

Des faux jugements

Droits des vrais souverains

De la guŽrison des maladies

Trois ŽlŽments, trois maladies

Maladies de la peau

Maladies des os et du sang

De la pharmacie

Des privilges des souverains

Chapitre 6

Des principes mathŽmatiques

Des axiomes

De lՎtendue

De la mesure de lՎtendue

Nature de la circonfŽrence

Des deux sortes de lignes

Nombre de chaque sorte de lignes

Du calcul de lÕinfini

Des mesures conventionnelles

De la vraie mesure

Du mouvement

Des deux sortes de mouvements

Du mouvement immatŽriel

Du nombre du mouvement

Du nombre de lՎtendue

De la ligne circulaire

De la ligne droite

De la quadrature du cercle

De la longitude

Du calcul solaire et lunaire

Des systmes astronomiques

De la Terre

De la pluralitŽ des mondes

Du nombre neuvaire

De la division du cercle

Du cercle artificiel

Du cercle naturel

Du nombre quaternaire

De la racine carrŽe

Des dŽcimales

Du carrŽ intellectuel

Effets de la circonfŽrence

SupŽrioritŽ du carrŽ

Mesure de la circonfŽrence

De la mesure du temps

 Des rŽvolutions de la nature

Cours temporel des tres

Epoque de lÕunivers

Des c™tŽs du carrŽ

Du carrŽ temporel

Ressources de lÕHomme

 

Chapitre 7

 

Attributs de lÕhomme

Des langues factices

De lÕunitŽ des langues

De la langue intellectuelle

De la langue sensible

De lÕorigine des langues

ExpŽriences sur des enfants

Du langage des tres sensibles

Rapport du langage aux facultŽs

De la langue universelle

De lՎcriture et de la parole

De lÕuniformitŽ des langues

De la grammaire

Du Verbe

Des parties accessoires du discours

Rapports universels de la grammaire

De la vraie langue

Des ouvrages de lÕHomme

Des productions intellectuelles

De la poŽsie

Des caractres de lՎcriture

De la peinture

Du blason

Erreurs sur la vraie langue

Moyens de recouvrer la vraie langue

De la musique

De lÕaccord parfait

De lÕaccord de septime

De la seconde

Des dissonances et des consonances

Du diapason

Principes de lÕharmonie

De la musique artificielle

De la mesure

De la mesure sensible

De la mesure intellectuelle

Des Ïuvres de lÕhomme

Droits de la vraie langue

PropriŽtŽs du chiffre universel

Conclusion

 

 

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