RÉDEMPTION


 « copiosa apu, eum redempio »  (Psaume 129, 7).

I


     « Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa gloire avec tous les Anges, lit-on dans l'Évangile selon saint Matthieu, alors il s'assiéra sur son trône de gloire. Toutes les Nations seront rassemblées devant lui et il séparera les uns d'avec les autres comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs. Et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors il dira à ceux qui sont à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde... Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche , retirez-vous de moi, maudits, allez dans le feu éternel, préparé pour le Diable et pour ses Anges... Et ceux-ci s'en iront au châtiment éternel, mais les justes iront à la vie éternelle » (Matth., XXV, 31-46). Ainsi la venue du Christ en gloire sur la terre marque, avec la fin des temps, le jugement des vivants et des morts, qui a été remis au Fils par le Père, parce qu'il est le Fils de l'homme et « afin que tous honorent, le Fils comme ils honorent le Père » (Jean, V, 22-27).

     Mais, si l'heure doit venir où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, afin que vivent ceux qui l'auront entendue » (Jean, V, 25), la Parole qui est « la vie et la lumière des hommes: », était déjà « venue dans le monde, afin de donner à tous ceux qui l'auront reçue le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean, I, 1-13) ; car « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a envoyé son fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jean,III, 16). Et, si cette première venue du Christ dans le monde a déjà constitué un jugement, en ce sens que « celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jean,III, 18), ce n'est point « pour juger le monde que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, mais pour le sauver » (Jean, III, 17) « Celui qui croit en moi, dit Jésus, ne croit pas en moi, mais en Celui qui m'a envoyé et celui qui me voit, voit Celui qui m'a envoyé. Je suis venu dans le monde, moi qui suis la lumière, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. Et, si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, ce n'est pas moi qui le juge, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Celui qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a déjà Celui qui le juge la parole que j'ai annoncée, c'est elle qui le jugera au dernier jour » (Jean, XII, 44-48).

     C'est qu'en effet l'Incarnation du Verbe a eu pour fin, entre autres motifs, la rédemption du monde asservi par le péché à la domination de Satan. Le Christ est venu « appeler, non les justes, mais les pêcheurs » : « ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal » (Marc, II, 17). Écoutez cette apostrophe de Jésus aux juifs incrédules : « en vérité, en vérité, je vous le déclare, les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent dans le royaume de Dieu » (Matth., XXI, 31). Il renvoie, sans la condamner, la femme adultère, parce qu'aucun de ceux qui l'accusaient n'était sans péché ; mais il lui dit : « ne pèche plus » (Jean, VIII, 1-11). Lors du festin chez Simon le pharisien, il absout la femme, « qui, de ses larmes, lui a arrosé les pieds », parce que, si elle a beaucoup péché, elle a aussi beaucoup aimé » (Luc.,VII, 36, 50). Au paralytique qu'on lui apporte, « couché sur un lit » et dont il connaît la foi, il dit prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés », car « le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés » (Matth., IX, 1-8). Est-ce que le père de famille ne court pas au devant de son fils qui revient à lui repentant ? Il se jette à son cou et l'embrasse et se réjouit, parce que, dit-il, « mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » (Luc, XV, 20-24). « Si un homme a cent brebis et que l'une d'elle s'égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf dans la montagne pour aller chercher celle qui s'est égarée ? Et, s'il lui arrive de la retrouver, en vérité, je vous le dis, il en a plus de joie, que des quatre,vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. » (Matth., XVIII, 12-14). « Je vous dis, ajoute l'évangile de saint Luc, qu'il y aura de même plus de joie dans le ciel pour un seul pêcheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance » (Luc, XV, 7) ; car « le Fils de l'homme est venu pour sauver ce qui était perdu » (Matth., XVII, 2). C'est lui, le « puissant Sauveur » suscité dans la maison de David par le Dieu d'Israël et annoncé dès les anciens temps par les prophètes, « afin, dit Zacharie, de nous délivrer de nos ennemis et de la main de ceux qui nous haïssent » (Luc, I, 69-71). « Jésus-Christ, écrit saint Paul aux Corinthiens, a été fait pour nous de la part de Dieu, sagesse et justice et sanctification et rédemption. >, (I, Cor., 1, 30).
 

I

     « Nous étions asservis aux rudiments du monde écrit encore l'Apôtre ; mais, lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son fils, né d'une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi et de nous faire obtenir l'adoption filiale » (Galat., IV, 2-5). « Christ, dit-il encore, nous a rachetés de la malédiction de la loi » (Galat.,III, 13).
Aucun homme, en effet, ne peut être justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi, « puisque c'est la loi qui donne la connaissance du péché » (Rom., III, 20). Non point que la loi soit « une puissance de péché », mais, poursuit l'Apôtre, « je n'ai connu le péché que par la loi, car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'eût dit : tu ne convoiteras pas. C'est le péché qui, ayant saisi l'occasion, a produit en moi, par le commandement, toutes sortes de convoitises car sans la loi le péché est mort » (Rom., VII, 7-8). Sans doute « la loi est sainte et le commandement est saint, juste et bon ». Ce n'est point la loi ni le commandement qui ont introduit le péché dans le monde. « En effet, avant la loi, le péché était dans le monde ; mais le péché n'est pas imputé, quand il n'y a point de loi ; » (Rom., V, 13) « Si donc la loi n'est pas cause du péché, elle a permis du moins au péché de se manifester comme tel, de sorte que par le moyen du commandement le péché a atteint son dernier degré de gravité. Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu et asservi au péché ; je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je ne veux pas ». (Rom., VII, 13-15). Et, parce que, ainsi, « je ne fais pas le bien que je veux, mais fais le mal que je ne veux pas », je vois « dans mes membres » une loi qui combat contre la loi de Dieu et me rend captif du péché : « donc, je suis assujetti par l'entendement à la loi de Dieu, mais par la chair à la loi du péché » (Rom., VII, 25). Impuissance de la loi à condamner le péché dans la chair : « misérable que je suis ? Qui me délivrera de ce corps de mort ? » (Rom., VII, 25).

     Ce qui était impossible à la loi, Dieu l'a réalisé en envoyant, à cause du péché, son propre Fils dans une chair semblable à notre chair de péché, afin que la justice prescrite par la loi fût accomplie en nous et que nous marchions, non plus selon la chair, mais selon l'esprit » (Rom., VIII, 3-4). Le Christ nous a délivrés de la servitude de la loi, pour nous affranchir en même temps de la servitude du péché « Vous n'êtes plus sous la loi, mais sous la grâce (Rom, VII, 14). Libéré du joug de la loi, le chrétien est passé de la mort à la vie : « les sentiments que fait naître la chair produisent la mort. Mais les sentiments que fait naître l'esprit produisent la vie et la paix ». (Rom., VIII, 6). « Le salaire du péché, dit encore l'Apôtre, c'est la mort ; mais le don de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ » (Rom., VI, 22). Cette vie en Jésus-Christ, qui est la vie de la grâce, « dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu », « sous le régime nouveau de l'Esprit », est le principe et le gage de notre « justification » devant Dieu, car « là où le péché a abondé, la grâce surabonde afin que, comme le péché a régné en donnant la mort, ainsi la grâce régnât par la justice, pour donner la vie éternelle par Jésus-Christ ». (Rom., V, 20-21). Et, « de même que par une seule faute, la condamnation s'étend à tous les hommes, de même, par un seul acte de justice, la justification qui donne la vie s'étend aussi à tous,» (Rom., V, 18).

     A cette grâce justifiante, il n'est d'accès que par la foi : « la justice de Dieu s'obtient par la foi, ainsi qu'il est écrit : celui qui est justifié par la foi, vivra » (Rom.,I, 17). Si, en effet, la justice pouvait être obtenue par les oeuvres de la loi, le Christ ne serait-il pas « mort en vain » ? (Galat., II, 21). Personne n'est justifié par les oeuvres de la loi ; et c'est précisément pour nous racheter de la malédiction de la loi que le Christ « a été fait malédiction pour nous » (Galat., III, 13). Mais cette foi n'est pas une foi quelconque ; c'est la foi dans la vertu rédemptrice du sang du Christ. « Tous ont péché, dit saint Paul, et sont privés de la gloire de Dieu, mais ils sont, justifiés gratuitement par sa grâce au moyen de la rédemption accomplie en Jésus-Christ, que Dieu a établi comme victime expiatoire, par la foi en son sang » (Rom.,III, 23-24). C'est qu'il n'y a pas de rémission des péchés « sans effusion de sang » (Heb., IX, 22), et le Christ « s'est donné lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher à la corruption de ce siècle » (Galat,I, 4). Par son sang le Christ nous a lavés, purifiés, rachetés, justifiés, sauvés de la colère divine. Établi comme grand-prêtre et médiateur de la nouvelle alliance, ce n'est point le sang des boucs et des taureaux que le Christ a offert dans le lieu saint, mais « son propre sang » ; et, « si le sang des boucs et des taureaux a pu sanctifier ceux qui en ont été aspergés, en leur procurant du moins la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ qui, par l'Esprit Éternel, s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il nos consciences des oeuvres mortes pour le service du Dieu vivant » ! (Apoc., IX, 11-14). Ainsi, dit saint Pierre « ce n'est point par des choses périssables comme l'argent ou l'or que vous avez été rachetés, mais par le précieux sang du Christ, de l'Agneau sans défaut et sans tache » (I, Pet., 1, 18).

     Et cette rémission des péchés par le sang du Christ, « selon les richesses de sa grâce » (Ephès.,1, 7), parce qu'elle est ordonnée, non pas aux oeuvres, mais à la foi, non pas au mérite, mais à l'« élection », est de la part de Dieu un acte de pure miséricorde, une manifestation « du grand amour dont il nous a aimés, lorsque nous étions morts par nos fautes, afin que nous soyons vivifiés avec le Christ et sauvés par sa grâce » (Ephès., II, 5). Si nous pouvions être sauvés par la seule vertu de nos oeuvres, « la grâce ne serait plus une grâce » (Rom., XI, 6). Mais Dieu, qui nous a aimés le premier, nous a « manifesté son amour en ce qu'il a envoyé son Fils unique dans le monde, comme victime de propitiation pour nos péchés, afin que nous ayons la vie par Lui » (I, Jean, IV, 8-10). Et, si Dieu « a fait éclater son amour envers nous, en ce que, quand nous étions encore des pécheurs, le Christ est mort pour nous, combien plus, étant maintenant justifiés par son sang serons-nous par lui sauvés de la colère » (Rom., V, 8-9). La mort du Christ, dont le sang a été « répandu pour la rémission des péchés » (Matth., XXVI, 28), nous a justifiés devant Dieu et réconciliés avec lui ; et maintenant que nous avons obtenu la réconciliation, quelles grâces ne devons-nous pas attendre de Celui qui, « ressuscité des morts, ne meurt plus » ; car « s'il est mort, il est mort pour le péché, une fois pour toutes, mais maintenant qu'il est vivant, il est vivant pour Dieu. Vous donc aussi, considérez-vous comme morts pour le péché et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Rom., VI, 9, 11). Ainsi la Rédemption atteint sa plénitude et son terme par l'éclosion dans notre âme, sous la conduite de l'Esprit du Christ, d'une « vie nouvelle », où, ayant dépouillé le vieil homme corrompu par les convoitises du péché, nous nous revêtons de « l'homme nouveau, créé à l'image de Dieu dans la justice et la sainteté » (Ephès., IV, 22-24). « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jean,I, 17).
 

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     Considérons un instant, pour finir, le geste rédempteur du Christ sur la Croix ; ses mains y sont clouées au bois, mais elles sont étendues dans un geste de tendresse et de bénédiction, comme s'il voulait embrasser dans une Suprême étreinte ceux pour qui il va mourir, afin qu'ils soient sauvés de la mort et possèdent la vie éternelle. A-t-on remarqué ce que signifie dans l'Écriture le symbolisme des mains ? Adam a tendu la, main pour recevoir le fruit défendu ; depuis ce jour, sa main est devenue inapte aux bonnes oeuvres ; elle s'est desséchée. Aussi l'homme, dont parle l'Évangile et dont la main droite était sèche, reçoit-il du Christ, pour être guéri, l'ordre d'étendre la main « il le fit et sa main redevint saine » (Luc, VI, 6-11). De même, le Christ rédempteur tendra les mains, lors de la dernière Pâque qu'il célébrera avec ses Apôtres, pour leur offrir son corps en nourriture, ce corps qui allait être livré à la mort pour la rémission des péchés. Ce geste de réparation, il le répétera une dernière fois sur la croix, afin de restituer aux mains des pécheurs, qu'il a rachetés de son sang, la vertu des bonnes oeuvres et de leur offrir en même temps les fruits du Salut qu'il est venu apporter sur la terre à tous les hommes de bonne volonté.

GABRIEL HUAN.