Notre Père qui es dans les Cieux
« Vous n'avez qu'un seul père, 
Celui qui est dans les Cieux. »
(Matth., XXIII, 9).


     Lorsque fut venue la plénitude des temps, le Fils de Dieu s'est manifesté aux hommes en prenant une chair humaine ; et, devenu semblable à l'un quelconque d'entre nous, il s'est fait notre frère par le sang et par la race. Celui, dit Saint Jean, qui était dès le commencement dans le sein de son Père, le Verbe de vie, « nous l'avons entendu, nous l'avons vu de nos yeux, nous l'avons touché de nos mains, nous lui rendons témoignage... et nous vous l'annonçons, afin que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. » (I. Jean, I , 1-4).

     Puis, son oeuvre accomplie, Celui qui est descendu du Ciel est remonté vers son Père ; mais, avant de les quitter, il avait promis à ses fidèles qu'il leur enverrait le Consolateur, l'Esprit qui procède du Père et qui enseigne toute vérité. Le jour de la Pentecôte étant arrivé, l'Esprit-Saint remplit les apôtres de la sagesse d'En-Haut et du feu de la Charité, et depuis ce jour son assistance est assurée à tout homme qui croit que Jésus est le Fils de Dieu venu dans la chair.

     Dans le Christ-Jésus le Verbe, seconde Personne de la Trinité, s'était rendu visible aux hommes dans la grâce des charismes et des dons le Saint-Esprit, troisième Personne de la Trinité, avait révélé sa présence par des signes sensibles. Seul, le Père, première Personne de la Trinité, semblait demeurer lointain et inaccessible. Est-ce à dire que ses créatures lui fussent indifférentes et qu'il s'obstinât à rester caché dans le mystère de sa gloire ineffable ? « Le Père lui-même vous aime, répond Jésus, parce que vous m'avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. » (Jean, XVI, 27). Et comment nous manifeste-t-il son amour ? en demeurant en nous : « Si quelqu'un m'aime, continue le Sauveur, il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jean, XIV, 23).

     Ne suffit-il pas d'ouvrir le Nouveau Testament pour rencontrer à chaque page un témoignage de l'affection que porte à chacun de ses enfants le Père céleste ? « Si vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien en plus votre Père qui est dans les Cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le lui demandent ? » (Matth., VII, 11). Pourquoi se soucier de la nourriture ou du vêtement ? « Ce sont les Gentils qui recherchent toutes ces choses ; mais votre Père céleste sait bien que vous en avez besoin ». (Matth.,VI, 32). « Regardez les oiseaux du Ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent rien dans les greniers et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? » (Matth., VI, 26). Ou encore : « Deux passereaux se vendent un as, et il n'en tombe pas un sur la terre, sans que votre Père le permette. Les cheveux même de votre tête sont tous comptés. Ne craignez point : vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. » (Matth., X, 29-31). Qui ne connaît la parabole de l'enfant prodigue (Luc., XV, 11-32) et celle de la brebis perdue : « c'est la volonté de votre Père qui est dans les Cieux qu'il ne se perde pas un seul de ces petits. » (Matth., XVIII, 14).

     « Parce que vous êtes fils, dit Saint Paul, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, lequel crie : Abba ! Père ! » (Galat., IV, 6). Mais l'Esprit du Fils est aussi l'Esprit du Père ; et « cet Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu » (I. Cor.,II, 11). Appelons à notre aide les lumières de l'Esprit pour scruter le mystère du Père.

II

     Tandis que le Fils et l'Esprit sont produits et procédants, bien que d'une manière différente, note avec profondeur le R. P. Valentin - M. Breton, O. F. M., « le Père est posé en Dieu comme connaissance de soi » : « il est le terme opératif de l'acte par lequel Dieu se connaît, est conscience de soi ; en ce sens le Père est premier, inengendré, innascible. Mais il n'est Père que parce qu'il a un Fils, c'est-à-dire parce que cette connaissance de soi qu'est Dieu est aussitôt exprimée dans une Parole subsistante, un Verbe co-égal ; et, de nouveau, le Père et le Fils sont posés Dieu (s'il est permis à la langue humaine d'exprimer en tremblant l'ineffable), parce qu'un troisième terme, issu d'eux, referme leur union sur un Amour substantiel et subsistant, que l'Écriture qui nous a révélé les noms de Père et de Fils, nomme l'Esprit-Saint. » (La Trinité, Paris,. 1931 ; pp. 105 et 118).

     La distinction, dans la nature simple et indivisible ,de Dieu, de trois Personnes ayant chacune son caractère particulier n'est donc en fait que l'appropriation à des termes différents des trois moments successifs qui marquent, selon un rythme, non pas chronologique mais ontologique ou métaphysique, le processus de la Substance divine explicitant son contenu en formes de réalité subsistante: Ces trois moments, que des théologiens définissent par les mots de connaissance du Soi, expression du Soi, amour du Soi, introduisent dans l'unité homogène de la Substance divine des rapports qui font que cette Substance, sans se diviser, s'articule en une sorte d'organisme interne, qui assure la vie profonde de Dieu au sein de l'immuable éternité. La Trinité est donc la manifestation de la nature divine, en sa substantialité, selon trois catégories d'appropriations dont les relations réciproques sont exprimées par les termes de Paternité, de Filiation et de Spiration.

     Si, dans la Trinité ainsi définie, le Père est dit Premier, c'est parce qu'il est le Principe auquel est rattachée et suspendue la procession des deux autres Personnes ; mais, en soi, il n'est Père que par rapport au Fils et parce que la Connaissance du Soi s'exprime naturellement et immédiatement en une Parole, qui est le Verbe engendré, manifestation de Dieu en Dieu, expression du Soi qui se connaît lui-même en lui-même. En ce sens Saint Paul dira que « le Fils est l'image du Dieu invisible » (Coloss.,I, 15), « le reflet de sa gloire, l'empreinte de sa substance » (Hébr., I., 3).

     Parce qu'il est le Principe, on attribue au Père la toute-puissance et on lui approprie l'efficience, c'est-à-dire la création du monde. Parce que le Fils, est l'image du Père, l'exemplaire en qui réside l'omniscience, on approprie au Fils le gouvernement. du monde, c'est-à-dire la puissance ordonnatrice qui est Vie et Lumière. C'est dans le Fils que toutes choses ont été créées par le Père, afin que la Lumière brillât dans les ténèbres et que tout ce qui devint ait Vie en Lui ; car « Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » (Luc., XX, 38). C'est donc dans son Fils que par la création le Père se donne des enfants.

     Mais il y a entre la filiation du Verbe et celle des Créatures cette différence capitale que la première a lieu selon la nature et la seconde selon la volonté. La connaissance du Soi, qui est Dieu, s'exprime naturellement et, en quelque sorte, nécessairement en une Parole, qui est son Verbe ; mais la production des créatures ne pourrait avoir lieu selon la nature que si elle émanait de Dieu par une espèce d'écoulement de sa substance en vertu d'une surabondance de vie qui ne peut manquer de s'épancher au dehors, parce qu'elle déborde les limites et la mesure de sa capacité. Comme si l'on pouvait poser des limites et une mesure à l'efficience de Dieu ! La création est, en fait, l'acte tout libéral par lequel la Volonté divine pose dans l'existence des êtres qui, par nature, ne la possèdent pas et n'y ont aucun droit.

III

     Enfants de Dieu, non pas selon la nature, mais selon la grâce, en vertu d'une appropriation qui est adoption dans l'effusion de l'Esprit, « en lequel nous, crions : Abba ! Père ! » (Rom ; VIII ; 15), la question se pose pour nous de savoir comment nous venons du Père et comment nous retournons au Père.

     Nous savons que rien n'a été fait sans le Verbe et que tout ce qui a été fait était vie en lui ; de sorte que le Verbe est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde : et « à tous ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jean, I, 12). Nous savons aussi que le Verbe n'est pas seulement la Vérité et la Vie, mais aussi la Voie, de sorte que « nul ne va au Père que par Lui » (Jean, XIV, 6). Et cela est si vrai qu'il suffit d'avoir connu le Fils pour connaître le Père : « celui qui me voit, dît le Christ, a vu aussi le père... Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : le Père qui demeure en moi fait lui-même les oeuvres que je fais. » (Jean, XIV, 9-10). Le Père ne vient pas en nous sans lui et celui-là seul est aimé du Père qui garde la parole et les commandements de son Fils : « si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jean, XIV, 23).

     C'est qu'en vérité « toutes choses lui ont été données par son Père », de sorte que « personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler. » (Matth., XI, 27 ; Luc., X, 21). Celui-là seul a vu le Père, qui est descendu du Ciel ; et il a vu le Père, parce qu'il est de Dieu. Sans doute ne fait-il rien de lui-même ; mais le Père, qui aime le Fils, lui montre tout ce qu'il fait, afin que ce qu'il voit faire au Père, il le fasse aussi comme lui . « comme le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut » (Jean, V, 21). Le Père, qui ne juge personne, a donné au Fils le jugement tout entier, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père et celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père qui l'a envoyé, (Jean, V, 23).

     Et si le Père a envoyé son Fils dans le monde, ce n'est pas pour condamner le monde, « mais pour que le monde soit sauvé par lui » ; car « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. » (Jean,III, 16-17). Et le Fils, qui n'est descendu du Ciel que pour faire la volonté de Celui qui l'a envoyé, ne perdra aucun de ceux que Dieu lui a donnés : « tout ce que le Père me donne viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors. » (Jean, VI, 37). Il est venu dans le monde comme une lumière, « afin qu'aucun de ceux qui croient en lui ne demeure dans les ténèbres » : « puisque vous avez la lumière, croyez donc en la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière. » (Jean, XII, 46, 36).
 


IV

     Parce que le Fils ne fait que ce qu'il voit faire au Père, parce que le Fils n'enseigne que ce que le Père lui a enseigné, c'est sur l'image du Fils que nous devons modeler toute notre conduite, si nous voulons que le Père nous aime ; c'est à l'image du Fils que nous devons conformer nos paroles et nos actes. En cette conformité, précisément, réside toute l'oeuvre de notre sanctification. Et Dieu veut que nous soyons saints : « Soyez parfaits comme notre Père céleste est parfait... afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les Cieux. » (Matth., V, 45-48).

     Quels sont les moyens prochains de notre perfection ? Il y en a trois qui sont capitaux : la pénitence, la prière et l'aumône ;. car la pénitence, la prière et l'aumône effacent tous les péchés. Comment faut-il faire pénitence, prier, faire l'aumône ? Le Fils lui-même nous l'apprend : « Quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est présent dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Matth. VI, 17-18). « Quand tu veux prier, entre dans ta chambre, et, ayant fermé ta porte, prie ton Père qui est en ce lieu secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Matth., VI, 6). « Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Matth., VI, 3-4).

     Nous n'avons pas dans le Ciel un Dieu qui soit indifférent à nos besoins et à nos misères. Il est le Père des lumières ; il est aussi le Père des miséricordes. Il suffit de demander pour recevoir, de frapper pour qu'on nous ouvre ; mais il faut demander au nom du Fils, car au Fils le Père a donné toutes choses : « en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. » (Jean, XVI, 23). Demandons-lui surtout la paix, cette paix que le Christ est venu apporter à ses Apôtres et qui est faite de joie, de confiance et d'amour. Sans doute, dit Saint-Paul, « nous ne sommes sauvés qu'en espérance » (Rom., VIII, 24); mais que notre espérance soit assurée, car le Christ avant de mourir a prié son Père pour tous ceux qui ont cru ou croiront en Lui, et il a dit à son Père : « Père, ceux que vous m'avez donnés, je veux que là où je suis, ils y soient avec moi ; » (Jean, XVII, 24). Où donc est-il ? « dans le sein du Père. » (Jean,I, 18). C'est là aussi qu'il veut que nous soyons, afin que, comme le Père et lui sont un, nous soyons un avec le Père et avec lui, consommés dans l'unité de la substance divine, immergés dans la béatitude de la vie incréée.

     Avec Saint Paul, fléchissons les genoux devant le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, devant Celui de qui toute paternité tire son nom dans les cieux et sur la terre.(Ephès.,III, 11-15) ; et redisons ensemble la prière que le Christ nous a enseignée :

« Notre Père !
« Toi qui es dans les Cieux,
*
« Que Ton Nom soit sanctifié ;
*
« Que Ton Règne arrive ;
*
« Que Ta Volonté soit faite sur la terre
comme au Ciel ;
*
Donne-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour ;
*
« Remets-nous nos dettes comme nous les remettons
à nos débiteurs ;
*
Ne nous laisse pas succomber à la tentation,
*
« Mais délivre-nous du Mauvais. »
*
AINSI SOIT-IL !

Gabriel HUAN.