LE MAÎTRE JÉSUS
 
 

« Magister vester unus est, Christus ».
(Matth. ; XXIII, 11).


 



     N'est-il pas remarquable qu'aux origines mêmes de l'Église, les Apôtres durent mettre les premiers chrétiens en garde contre des doctrines qui tendaient déjà à pervertir l'enseignement du Christ et à opposer à la révélation du Maître de Nazareth une
prétendue tradition, dont la source et les principes demeuraient occultes ? « Prenez garde, écrit Saint Paul aux Colossiens, que personne ne vous séduise par la philosophie et une vaine tromperie, selon la tradition des hommes, selon les rudiments du monde
et non selon le Christ. » (Coloss. II. 8). A son fidèle Timothée, il recommande surtout de « garder le dépôt, évitant les nouveautés profanes de langage et les controverses d'une science qui ne mérite pas ce nom. C'est pour en avoir fait profession, que quelques-uns ont erré dans la foi. » (I Tim., VI, 20-21).

     L'Apôtre Jean adresse à ses frères dans le Christ les mêmes avertissements : « quiconque s'éloigne et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n'a point Dieu, celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez dans votre maison. » (II. Jean, 9-10). Jésus n'avait-il pas déjà dit aux juifs qui l'entouraient : « vous n'avez qu'un Maître, le Christ » ? (Matth., XXIII, 11). « L'onction que vous avez reçue de Lui, conclut l'apôtre Jean, demeure en vous et vous n'avez pas besoin que personne vous enseigne ; mais, comme son onction vous enseigne sur toutes choses, cet enseignement est véritable et n'est point un mensonge ; et, selon qu'elle vous a enseignés, demeurez en Lui. » (I. Jean, II, 27).

     Puisque nous autres, Chrétiens d'Occident, nous n'avons pas d'autre Maître que Jésus, qui est le Christ, essayons en quelques pages de fixer les principaux traits de son enseignement.

     A la première tentation du démon dans le désert, Jésus, conduit par l'Esprit, oppose cette phrase de l'Écriture : «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Matth. IV, 4 ; Deut., VIII, 3). C'est cette parole de Dieu que Jésus déclare être venu apporter aux hommes sur la terre, afin qu'ils ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle. Sans doute, ils ont Moïse et les Prophètes ; mais « la Loi et les Prophètes vont jusqu'à Jean-le-Baptiste ; depuis Jean, le Royaume de Dieu est annoncé. » (Luc., XVI, 16). Jésus est envoyé par le Père pour annoncer le Royaume, de sorte que, « si la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont. venus par Jésus-Christ ». (Jean, I. 17). Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jean, XIV, 6) et « quiconque n'amasse pas avec lui dissipe. » (Luc., XI 23).

     Est-ce à dire que la Loi et les Prophètes sont désormais périmés ? « Ne pensez pas, dit Jésus, que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. » (Matth., V, 17). Il est Celui qui a été annoncé par les Prophètes et qui doit parfaire l'Oeuvre du grand Législateur. Ne suffit-il pas de scruter les Écritures pour reconnaître en lui la figure du juste souffrant, qui doit racheter les péchés de son peuple ? Aux deux disciples qui l'accompagnent sur le chemin d'Emmaüs il expliquera, « en commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes », tout ce qui, dans les Écritures, le concernait (Luc., XXIV, 27). Aussi aux Pharisiens qui lui reprochent de tromper le peuple, il réplique : « ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserait devant le Père ; votre accusateur, c'est Moïse en qui vous avez mis votre espérance. Car, si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu'il a parlé de moi. Mais, si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croiriez-vous a mes paroles ? » (Jean, V, 45-47). « Vous scrutez les Écritures, leur dit-il encore, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; or ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » (Jean, V, 39).

     Et, parce qu'il est venu parmi les hommes, c'est en lui seulement qu'il faut croire maintenant pour posséder la vie éternelle. Moïse ne vous a pas donné le pain du Ciel, crie-t-il aux juifs. ; c'est mon Père qui vous donne le vrai pain du Ciel. » (Jean, VI, 32). Il est ce vrai pain du Ciel, le « pain de vie » : quiconque mangera de ce pain n'aura plus jamais faim et il ne mourra pas, comme sont morts les juifs qui avaient mangé la manne dans le désert : « travaillez donc, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle et que le Fils de l'homme vous donnera. Car c'est lui que le Père a marqué d'un sceau ». Ils lui dirent : « Que devons-nous faire pour faire les Oeuvres de Dieu ? » Jésus répondit : « L'Oeuvre que Dieu demande, c'est que vous croyiez en Celui qu'il a envoyé. » (Jean, VI, 27-29).
 


II


     Parce que « celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu » (Jean, III, 34), son enseignement s'impose avec une autorité qui porte en elle-même sa propre certitude et exige l'assentiment dans la foi et l'humilité : « le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Marc, XII, 31). On comprend l'étonnement de ses contemporains, lorsqu'ils l'entendirent pour la première fois prêcher dans leurs synagogues « quand le Sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue et beaucoup de ceux qui l'entendaient, admirant sa doctrine, disaient d'où lui viennent toutes ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée et d'où vient que de telles merveilles se font par ses mains ? N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Marc, VI, 2-3). Car « il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et leurs pharisiens. » (Matt., VII, 29).

      Ses ennemis, assurément, ne manqueront pas l'occasion qui leur est offerte au Temple, de lui demander ses titres. « Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le Temple et qu'il annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens et lui dirent : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses ou qui vous en a donné le droit ? » (Luc., XX, 1). Mais à la question que leur pose à son tour Jésus sur le baptême de Jean ils n'osent pas répondre et se retirent.

     A l'égard des juifs qui l'écoutent avec sympathie ou docilité, Jésus est moins réservé et il soulève un des voiles qui cache le mystère de son origine. « On était déjà au milieu de la fête (des Tabernacles), lorsque Jésus monta au Temple et il se mit à enseigner. Les juifs étonnés disaient : « Comment connaît-il les Écritures, lui qui n'a pas fréquenté les écoles ? » Jésus leur répondit : « Ma doctrine n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même » (Jean, VII, .14-17). De même qu'il n'est pas venu sur la terre pour accomplir sa volonté, mais celle de son Père, il n'est pas venu pour parler en son nom, mais seulement pour « dire ce que son Père lui a enseigné » (Jean, VII, 28) ; de sorte que celui qui écoute sa parole et croit à celui qui l'a envoyé, est passé de la mort à la vie et n'encourt pas la condamnation. (Jean, V, 24) : quiconque rejette le message de Jésus n'a donc pas Dieu en lui, puisqu'il refuse de croire en Celui que Dieu a envoyé ; et celui-là est déjà jugé.
 


III


     L'enseignement du Maître Jésus présente en effet ce caractère particulier de n'être point un enseignement purement spéculatif ou théorique, mais de constituer un jugement : « Celui qui croit en lui n'est pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et voici la cause de cette condamnation : la lumière est venue dans ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs Oeuvres étaient mauvaises. » (Jean,III, 18-19).

     Non point que le Christ soit venu pour juger le monde ; il est venu pour le sauver, et c'est pourquoi il appelle à lui tous les hommes de bonne volonté : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive. » (Jean, VII, 38). Mais celui qui écoute la parole de Dieu n'est-il pas déjà de Dieu ? Mépriser l'envoyé de Dieu, c'est aussi mépriser celui qui l'a envoyé. «Celui qui croit en moi, dit Jésus, croit, non pas en moi, mais en Celui qui m'a envoyé ; car celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. je suis venu dans le monde comme une lumière, afin qu'aucun de ceux qui croient en moi ne demeure dans les ténèbres. Si quelqu'un entend ma parole et ne la garde pas, moi, je ne le juge pas ; car je suis venu, non pour juger le Monde, niais pour sauver le monde. Celui qui me méprise et ne reçoit pas ma parole a son juge : c'est la parole même que j'ai annoncée ; elle le jugera au dernier jour, car je n'ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m'a envoyé m'a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Les choses donc que je dis, je les dis comme mon Père me les a enseignées » (Jean, XII, 44-50).

     Parce que la parole qu'il enseigne n'est pas de lui, mais du Père qui l'a envoyé, les juifs sont sans excuse de rejeter son témoignage. Sommes-nous des aveugles,? » répliquent-ils si vous étiez aveugles, leur répond Jésus, vous n'auriez point de péché mais maintenant vous dites : Nous voyons; votre péché demeure. » (Jean, IX, 41). Mais aussi pour entendre et garder la parole du Maître ne suffit-il pas de l'écouter : « celui qui ne m'aime pas ne gardera ma parole... si quelqu'un m'aime, c'est celui-là qui gardera ma parole » (Jean, XV, 23-24). Qui ne connaît la parabole de la semence ? Des auditeurs, les uns entendent la parole, « mais le démon vient et l'enlève de leur coeur, de peur qu'ils ne croient et ne soient sauvés » ; les autres ont reçu la parole avec joie, « mais ils n'ont point de racine : ils croient pour un temps et ils succombent à l'heure de la tentation. » Ceux-ci, après avoir entendu la parole, « s'en vont et la laissent étouffer par les soucis, les richesses, les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruits. » Ceux-là, enfin, « ont entendu la parole avec un coeur bon et excellent, ils la gardent et portent du fruit avec persévérance » (Luc., VIII, 9 et suiv. ; cf. Matth.,XIII, 18 et suiv. ; Marc., IV, 10 et suiv.).

     Garder la parole c'est donc « porter du fruit » ; et le Maître compare celui qui, ayant entendu la parole, la met en pratique « à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre. Mais quiconque entend les paroles que je dis et ne les met pas en pratique, est semblable à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison, et elle a été renversée et grande a été sa ruine. » (Matth., VII, 24-28, cf. Luc., VI, 47-49).

IV

     Si le sens général de l'enseignement qu'est venu apporter Jésus ne pouvait laisser place à aucune équivoque, puisqu'il s'agissait expressément de fonder sur cet enseignement un mode de vie, une pratique spirituelle qui assurât aux fidèles la possession de la vie éternelle, il n'est pas douteux cependant que le Maître « enseignait par diverses paraboles, selon que les auditeurs étaient capables de l'entendre. » (Marc, IV, 33). Et il semble qu'aux Apôtres seuls il ait été donné de connaître « le mystère du Royaume de Dieu » (Marc, IV, 10). On a conclu qu'il fallait distinguer, dans l'enseignement de Jésus, une partie ésotérique réservée au cercle étroit de ses familiers et une partie exotérique destinée à ceux « qui sont dehors ».

     Il y a pourtant contre cette interprétation, des textes de l'Évangile qui paraissent tout à fait formels. Non seulement, dans une circonstance solennelle de sa vie, lorsque le Grand-Prêtre l'interroge sur sa doctrine, Jésus répond : « J'ai parlé ouvertement au monde ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s'assemblent, et je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui m'ont entendu, ce que je leur ai dit, ils savent ce que j'ai enseigné. » (Jean, XVII, 20-21). Mais déjà, auparavant, il avait insisté sur le caractère public de son enseignement : « Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ou sous le lit ? N'est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? Car il n'y a rien de caché qui ne doit être révélé, rien de secret qui ne doive venir au jour. » (Marc, IV, 21 -22 ; cf Luc, XI, 23).

     Peut-être serait-il permis de reconnaître ici comme une allusion à des doctrines que les Docteurs de la Loi gardaient jalousement cachées, à ceux qu'ils considéraient comme étant « tout entiers dans le pêche ». Que signifie cette parole énigmatique de Jésus... à Nicodème à propos de la renaissance dans l'eau et l'Esprit Saint : « Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses » (Jean, III, 10). Et cette apostrophe aux mêmes Docteurs de la loi : « Malheur à vous, Docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clef de la science ; vous-mêmes n'êtes point entrés, et vous avez empêché ceux qui entraient. » (Luc. XI, 52). Si on allume la lampe et qu'on la met sur le chandelier, c'est afin que ceux qui entrent voient la lumière. « Pendant que je suis dans le monde, s'écrie Jésus, je suis la lumière du monde. » (Jean, IX, 5).

     Mais, précisément, il faut « entrer » et non point « rester dehors », et à tous ceux qui frapperont » il est bien dit qu'on « ouvrira ». L'enseignement parabolique n'est donc qu'une méthode pédagogique qui a pour fin d'amener plus facilement les auditeurs à la compréhension de la grande Vérité que le Christ est venu apporter sur la terre pour le salut de tous les hommes. Nul n'est exclu que par sa faute du Royaume de Dieu : il suffit de croire pour être sauvé. C'est de la foi à la divinité de Jésus, et non point de l'adhésion à une doctrine secrète, à laquelle seuls quelques privilégiés auraient été initiés, que dépend notre destinée éternelle. Et la condition de cette foi, c'est justement, non point une pénétration de pensée qui est refusée à la plupart des hommes, mais au contraire une simplicité d'esprit qui veut que « quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera pas. » (Marc, X, 15 ; Luc, XVIII, 17).

V


     Est-ce à dire que le Maître de Nazareth nous ait enseigné toutes choses ? « Tout ce que j'ai entendu de mon Père, dit-il à ses Apôtres, je vous l'ai fait connaître ». (Jean, XV, 15). Il avait les paroles de la vie éternelle et jamais homme n'a parlé comme lui. Mais ce n'est pas en vain qu'à plusieurs reprises il a reproché aux disciples, qu'il avait pourtant choisis lui-même, leur lenteur à comprendre : « n'avez-vous donc encore ni sens ni intelligence ? Votre coeur est-il encore aveugle ? Avez-vous des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ? Et n'avez-vous point de mémoire ? » (Marc, VIII, 17-18). Au moment même où il va se séparer d'eux, après la Cène, il doit reprendre Philippe pour sa sotte question « il y a longtemps que je suis avec vous, et vous ne m'avez point connu ? Philippe, celui qui me voit a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : montre-nous le Père .? » (Jean XIV, 9).

     Il avait encore beaucoup de choses à dire, mais les siens ne pouvaient pas les porter ; et c'est pourquoi il leur annonce, l'envoi de l'Esprit-Saint, qui procède du Père et qui demeurera toujours avec eux : « Quand le consolateur, l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute la vérité. Car il ne parlera pas de lui-même ; mais il dira tout ce qu'il aura entendu et il vous révélera les choses à venir. » (Jean, XVI, 12-13). La mission de l'Esprit-Saint achèvera et consommera la mission du Verbe incarné, quant à l'enseignement de l'humanité en marche vers son salut dans l'Église ; Mais cet Esprit glorifiera le Fils de Dieu, « parce que, dit Jésus, il prendra de ce qui est à moi et il vous l'annoncera. Tout ce que le Père a est à moi, C'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra de ce qui est à moi et qu'il vous l'annoncera. » (Jean, XVI, 14-15). L'Esprit-Saint poursuivra son oeuvre dans la lumière du Verbe, et ce sont encore les paroles du Maître que nous entendrons dans l'effusion de l'Esprit.
 


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Avec Marie, agenouillons-nous, aux pieds du Seigneur pour écouter sa voix, dans le silence et le recueillement de notre âme ; car « une seule chose est nécessaire, et Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point enlevée. » (Luc., X, 42).
Gabriel HUAN.