LA VIERGE SAINTE


 

     LA MÈRE DE JÉSUS. - Avez-vous songé quelquefois, dans le silence de nos nuits sans sommeil, à l'heure où la méditation se transcende elle-même pour se faire intuition, vision, contemplation, avez-vous songé à ce que signifient dans leur profondeur ces mots : LA MÈRE DE JÉSUS ? à tout ce qu'ils renferment de pur, de saint, d'immaculé, mais aussi de douloureux et de crucifiant et, au total, de glorieux et de béatifiant ? Le Nouveau Testament nous parle à peine d'elle : la créature ne devait-elle pas s'effacer derrière la figure grandissante du Verbe incarné ? Il a fallu la lente élaboration de la piété populaire à travers les siècles pour découvrir et manifester les splendeurs, les richesses, les beautés de cette âme bénie entre toutes les âmes et pleine de grâce. Nous voudrions ici esquisser simplement trois aspects de sa vie intérieure : nous envisagerons tour à tour la Vierge au coeur immaculé puis la Vierge au coeur douloureux, et enfin la Vierge au Coeur rayonnant.

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     Pour qu'elle ait été choisie parmi toutes les Vierges d'Israël, pour être la mère du Messie annoncé par les Prophètes, ne fallait-il pas que Marie de Nazareth.fût la plus pure entre les pures, la plus chaste entre les chastes, la plus sainte entre les saintes ?
     Que la pureté de son corps fut absolue, qui pourrait le nier sans proférer une infâme calomnie ?
     Mais la pureté du corps n'est une vertu que dans la mesure où elle est gardée et entretenue par la pureté du coeur ; et le coeur de Marie, tout entier consacré à l'amour de Dieu, n'a jamais conçu d'autre désir que celui de servir son Seigneur dans la solitude. la prière et l'humilité. Offerte au Temple dès son enfance par des parents dont la piété était exemplaire en Israël, elle a grandi, au milieu des cérémonies sacrées, dans la constante méditation des Écritures ; et il n'est pas douteux que l'attention de son esprit dut être plus particulièrement retenue et captivée par la lecture des Prophètes et des Psaumes où la venue prochaine du Messie était si clairement affirmée que, parmi ses compagnes vouées comme elle au service du Temple, plus d'une Vierge put se croire appelée à devenir bientôt la Mère du Sauveur promis à son peuple. Ainsi se passèrent les premières années de. Marie, dans la douce et chaste réclusion d'une vie toute occupée de Dieu et remplie aussi de l'attente de Celui qui allait s'incarner pour être la lumière des Nations et la gloire d'Israël.

     Mais le don de Dieu surpasse toujours infiniment les mérites de sa créature. Marie n'a brillé comme un soleil de pureté au milieu des enfants d'Adam que parce que le Fils qui devait naître de son sein s'est construit en elle, en vue de sa manifestation, un sanctuaire, un temple saint, où l'on ne pût découvrir la moindre souillure du péché, même originel. Il fallait bien que la mère du Dieu immaculé fût elle-même immaculée ; Celui qui est sans péché ne pouvait être mis au monde que par une femme qui fût aussi sans péché. C'est pourquoi le Rédempteur des hommes eut assez d'amour envers Sa mère pour commencer par elle l'oeuvre de la rédemption : Marie est la première-née des élus, car elle est la première qui bénéficia, avant même que Celui qui devait être son Fils eût été mis en croix, des mérites de Sa Passion et de Sa Mort. Et le Verbe aima Sa mère d'un tel amour qu'Il la combla de toutes les grâces ; grâces de lumière, grâces de ferveur, grâces d'union ; elle fût vraiment la femme bénie entre toutes les femmes et pleine de grâce.

     Mais parce qu'elle. avait le sentiment profond de n'avoir point mérité, par l'exercice de ses propres vertus, cette grâce extraordinaire dont elle se sentait sanctifiée jusqu'aux racines de son être intime, Marie s'humiliait à toute heure du jour et de la nuit aux pieds du Très-Haut, confessant sa bassesse et son indignité ; et dans le recueillement de sa prière quotidienne elle offrait, par un acte d'abandon sans réserve, toute son âme et tout son corps au Seigneur dont elle était la fille bien-aimée.

     Et voici que dans la petite maison de Nazareth où elle demeure maintenant avec son fiancé Joseph, à une heure où elle s'approfondissait plus que de coutume dans son néant et que son coeur s'embrasait d'une flamme plus ardente, un ange se présente devant elle et la salue : elle comprend et elle se trouble. Elle comprend qu'elle est la vierge d'élection, choisie pour le salut d'Israël ; et elle se trouble, parce qu'elle se demande comment l'oeuvre sainte, qui sera désormais la tâche de toute sa vie, s'accomplira, tant elle est en dehors de toutes les voies humaines. Mais devant l'affirmation de l'Ange que rien n'est impossible à Dieu, elle ne discute pas, elle ne réclame pas de signe, elle s'incline plus profondément dans l'abîme de son humilité et elle consent : « Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit selon ta parole ».

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     L'âme de Marie a rendu gloire au Très-Haut et son esprit a tressailli de joie en Dieu son Sauveur, parce qu'Il a daigné regarder la bassesse de sa servante ; mais elle éprouve en même temps, dans l'intimité de son coeur, une angoisse secrète : elle a l'obscur sentiment de la mission douloureuse qui va désormais diriger toute sa conduite. La grâce divine qui la rend clairvoyante lui fait entrevoir à l'horizon de sa vie la croix du Calvaire.

      Ce Fils, qui va prendre dans son sein un corps d'homme, ne viendra au monde que pour mourir à la fleur de l'âge par la main des bourreaux qui le cloueront au gibet d'infamie. Cet enfant qu'elle va aimer, qu'elle aime déjà avec toute la passion de son coeur vierge, cet enfant dont il lui tarde d'apercevoir le visage, parce que son âme est avide de contempler celui qui apporte à Israël la délivrance et le salut, cet enfant qu'elle verra grandir, à ses côtés, en beauté et en sagesse, elle sait qu'il est destiné au supplice et qu'il n'y a à ce destin aucune rémission possible, puisque la rédemption du monde est à ce prix et que, comme son Fils lui-même et avec Lui, elle veut aussi la rédemption du monde. « La Compassion de Marie forme une partie de la grande épopée de la création ; le caractère pathétique et les .tristesses de cette Compassion, ne doivent pas être séparées des terreurs sublimes et sacrées de la Passion du Verbe incarné » (1). Le Coeur douloureux de la Vierge sainte n'est pas moins profond que son Coeur immaculé.

     La prophétie du vieux Siméon, la fuite en Égypte, les trois jours d'absence après la visite au Temple, la rencontre de Jésus portant sa croix sur la route du Calvaire, le crucifiement au Golgotha, la descente de croix, la sépulture dans le tombeau de Joseph d'Arimathie, telle est la chaîne des sommets qui émergent, l'un après l'autre, de l'abîme de douleurs dans lequel a été plongée l'âme de la Vierge-Mère, depuis l'heure sainte où son Fils a ouvert les yeux à la lumière de ce monde jusqu'à l'heure, mille fois plus sainte encore, où Il s'est endormi dans la paix de la mort.

     Contemplons-la un moment au pied de la croix où Jésus agonise sous les blasphèmes des juifs et les sarcasmes des soldats romains : elle est debout, douloureuse, et elle pleure. Dans son fils, c'est son Dieu qu'elle aime ; et dans son Dieu, c'est encore son fils qu'elle aime : une double dilection remplit son âme d'une suavité ineffable. Jamais une mère n'eut pour son fils l'amour qu'eut Marie pour Jésus, parce qu'aucune mère, en dehors de Marie, ne reçut le privilège de mettre au monde son Dieu. Et ce Fils tant aimé, le voici pendu au bois, agonisant, tout couvert du sang qui tombe goutte à goutte de ses plaies ouvertes ; et elle est impuissante à le secourir, à le consoler, à lui exprimer toute l'ardeur du feu qui brûle en elle pour lui. Il ne lui est même pas possible de s'élever jusqu'à sa hauteur pour le tenir dans ses bras et appuyer un instant son coeur contre son coeur.

     Et, lorsque la mort vint mettre un terme aux souffrances de Jésus, ce fut pour Marie, non point la fin de ses douleurs, mais le commencement d'un nouveau calvaire, une nouvelle étape sur la voie du martyre qu'il lui restait à parcourir. « La douleur du Fils, dit Saint-François de Sales, fut une épée tranchante qui passa au travers du coeur de la Mère, d'autant que ce coeur de mère était collé, joint et uni à son Fils d'une union si parfaite que rien ne pouvait blesser l'un, sans qu'il ne navrât aussi vivement l'autre. Or, cette poitrine maternelle, étant ainsi blessée d'amour, non seulement ne chercha pas la guérison, gardant chèrement les traits de douleur qu'elle avait reçus, à cause de l'amour qui les avait décochés dans son coeur, et désirant continuellement d'en mourir, puisque son Fils était mort » (2). Non, vraiment, aucune douleur n'est comparable à sa douleur ; car, pour comprendre dignement la mort d'un Dieu fait homme, il fallait la douleur de Marie et, jamais, cette douleur ne s'effacera dorénavant des yeux de son âme.

     « Femme, voilà ton fils » « Voilà ta mère ». Quel glaive plus douloureux pouvait transpercer le coeur de Marie que cette parole de Jésus, un instant avant sa mort ? Comment ? Jésus n'est plus son Fils et Marie n'est plus sa mère ? Celui qu'elle a tant chéri, qui fut, l'unique objet de sa tendresse, dont tout l'amour a été la seule raison de sa vie, c'est lui-même qui paraît la renier au moment le plus tragique de son destin pour la donner au disciple ? Et comme elle levait les yeux vers le visage de son Fils en une muette interrogation, elle lut dans la lumière de son regard qui s'éteignait, l'expression. de sa volonté suprême et elle comprit : de même qu'elle avait été sa mère dans la chair lors de sa manifestation au monde, elle devait être, maintenant qu'il allait s'en aller, la mère de ses disciples dans la foi. Ainsi tous les fidèles du Christ sont les fils de sa douleur et le Coeur rayonnant de la Vierge sainte n'est qu'un autre aspect de son Coeur douloureux.

     Nous sommes mal renseignés sur le rôle qu'à joué Marie dans la formation de l'Église primitive ; mais soyons assurés qu'il fut considérable. On ne vénérait pas seulement en elle, avec un respect sans égal, la femme qui avait donné à Israël le Sauveur promis par les prophètes ; l'affection des apôtres pour le Maître disparu ne pouvait manquer de se reporter, en partie, sur sa mère immaculée, dont la présence bénie demeurait pour tous un réconfort dans les épreuves, comme si par elle quelque chose de Jésus continuait à subsister parmi les siens. Elle était, en effet, elle qui avait vécu si longtemps avec le Seigneur, dans l'intimité de chaque jour et c'était à qui, parmi les disciples, écouterait de sa bouche les récits de l'enfance de Jésus, puis de son adolescence toute parée des grâces divines, puis de sa prédication au milieu des juifs indifférents ou hostiles. Elle avait entendu des paroles qui n'avaient été dites qu'à elle ; et, comme elle avait tout retenu dans son coeur, ses entretiens nourrissaient de la pensée même de Jésus, la foi encore chancelante des croyants. Marie fut vraiment, aux heures pénibles de l'Église naissante, et un modèle parfait de toutes les vertus chrétiennes et une maîtresse d'enseignement où les Apôtres vinrent chercher l'affermissement de leur foi et, en même temps, une règle pour leur vie spirituelle.

     La Vierge sainte, qui a veillé sur le berceau de l'Église chrétienne comme elle avait veillé sur le berceau de l'Enfant-Roi, n'a pas cessé d'être pour tous les fidèles du Christ la Mère de Jésus, celle qui le porta sur son coeur alors qu'elle l'entourait de soins attentifs et pieux dans la petite maison de Nazareth, celle, aussi, qui au pied de la croix recueillit de sa bouche expirante les paroles qui la consacraient Mère de tous les chrétiens dans la foi. Comment oserions-nous supposer que, dans le ciel où elle réside maintenant à jamais aux côtés de son divin Fils, sa prière fût inefficace à nous procurer les grâces de l'éternel salut ? Certes le Christ est seul rédempteur de l'humanité.; mais sa Mère n'est-elle pas toute-puissance sur son âme toujours prête à pardonner ? Ayons confiance dans la valeur de l'intervention de Marie auprès de Jésus : ce qu'elle demande est toujours exaucé, et son Coeur rayonnant poursuit au ciel l'oeuvre d'amour et de miséricorde qu'il avait commencée sur la terre.

Priez pour nous, Sainte Mère de Dieu, afin que nous devenions dignes des promesses du Christ.

Gabriel HUAN.

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(1) FABER, Le pied de la Croix ou les douleurs de Marie, tract. franç., p. 21.
(2) Traité de l'amour de Dieu, liv. VII, ch. XIII.