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VIE DE GEMMA GALGANI


CHAPITRE VII



LES STIGMATES SACRÉS.

(8 juin 1899)



Reproduire en sa personne une parfaite image de Jésus, telle fut la suprême aspiration de toute la vie de Gemma ; et comme le Fils de Dieu pour racheter nos âmes et mieux gagner nos cœurs est apparu en ce monde sous la forme de la douleur, sa fidèle servante ne voulut jamais savoir que Jésus Crucifié.

Les mystères de ses grandeurs divines semblaient peu occuper son esprit. « Ah mon Bien-Aimé, disait-elle avec l'Épouse des Cantiques, est pour moi un bouquet de myrrhe ; en Lui je ne veux apercevoir autre chose, car c'est la part qu'il s'est lui-même choisie. Aille qui veut, le contempler au Thabor, moi je reste sur le Calvaire, en compagnie de ma chère Mère des douleurs. » Gemma ne voulait d'autres images de dévotion que celles qui le représentaient souffrant pour nous.

Dès son enfance, on l'entendait dire souvent à sa pieuse mère : « Maman, parlez-moi de la passion de Jésus ; » et aux maîtresses de l'institution Guerra : « Mes sœurs, expliquez-moi quelque point des douloureux mystères de Jésus. » Et il fallait apporter, on s'en souvient, à la satisfaction de ses saints désirs une grande prudence, de peur que la vive émotion toujours provoquée en cette âme tendre par le récit des souffrances de son bien-aimé Jésus, n'occasionnât quelque trouble de santé.

De tels débuts, loin de se démentir, furent bientôt suivis d'étonnants prodiges, qui vinrent révéler d'une façon frappante, en la couronnant, l'entière transformation de Gemma en Jésus Crucifié.

On a vu comment le Sauveur, en vue d'enflammer la dévotion de sa servante envers sa douloureuse Passion, lui apparaissait quelquefois tout inondé de sang, et par la vue saisissante de ses plaies ouvertes la stimulait à l'aimer et à souffrir pour Lui. De telles visions et des paroles surnaturelles ménagées avec une très particulière providence disposaient graduellement son âme au don inappréciable que lui réservait le Sacré-Cœur. Après sa sortie du couvent de la Visitation, Gemma entendit une voix mystérieuse lui dire avec force à l'oreille : « Allons, prends courage ; oublie toutes les créatures ; abandonne-toi sans réserve à Jésus. Aime-le beaucoup, n'oppose aucun obstacle à ses desseins et tu verras quel chemin en peu de temps il te fera parcourir, sans même que tu t'en aperçoives. Éloigne toute crainte : le Cœur de Jésus est le trône de la miséricorde, où les misérables sont le mieux accueillis. » Réconfortée par ces paroles, la jeune fille, se tournant vers une image du Sacré-Cœur, s'écria : « Ô mon Jésus, je voudrais vous aimer beaucoup, beaucoup ; mais je ne sais. » Et la voix surnaturelle de reprendre : « Veux-tu toujours aimer Jésus ? Ne cesse un moment de souffrir pour Lui. La croix est le trône des vrais amants ; la croix est le patrimoine des élus en cette vie. »

Enfin un jour après la sainte communion, elle entendit Jésus même lui dire : « Gemma, courage ! je t'attends au Calvaire, sur cette montagne vers laquelle je t'ai dirigée. » C'est bien en effet vers ce noble rendez-vous que l'avait acheminée la Providence par les multiples épreuves de la vie domestique, par les atroces douleurs de sa longue maladie, et tout dernièrement, par une retraite de trois semaines à la Visitation, par un repentir extraordinaire de ses fautes, par une confession générale accompagnée de tant de larmes, par le refus même des Visitandines de l'accepter au noviciat, enfin par les grâces extraordinaires prodiguées à la jeune vierge depuis sa prodigieuse guérison jusqu'à ce jour. Maintenant que son âme resplendit d'une pureté idéale, Jésus l'invite au Calvaire.

Réponds à sa voix, enfant prédestinée, et laisse-toi transformer en ton Époux crucifié.

Le 8 juin 1899, veille de la grande fête du Sacré-Cœur, quelques instants après la sainte communion, le Seigneur fait comprendre à sa bien-aimée servante que, le soir même, une faveur insigne lui sera accordée. En hâte, elle court en avertir son confesseur et lui demande encore une absolution de ses fautes puis, l'esprit rempli de saintes pensées, le cœur débordant d'une paix et d'une joie inaccoutumées elle rentre à la maison.

« Le soir, raconte-t-elle, je fus saisie subitement et plus tôt que d'habitude, d'un repentir très vif de mes péchés, d'un repentir si vif que je n'en ai plus éprouvé de semblable, et que je me crus sur le point d'en mourir. Peu après, toutes les puissances de mon âme entrèrent dans un mystérieux recueillement l'intelligence ne voyait que mes péchés et l'horreur de l'offense de Dieu ; la mémoire me les rappelait tous, ainsi que les tourments endurés par Jésus pour mon salut ; la volonté les détestait, promettant de tout souffrir pour les expier. Des flots de sentiments se pressaient dans mon cœur : sentiments de douleur, d'amour, de crainte, d'espérance, de courage. »

« À ce recueillement intérieur succéda bientôt la perte des sens, et je me trouvai en présence de ma céleste Mère. Elle avait à sa droite mon Ange, qui tout d'abord me commanda de réciter l'acte de contrition. Quand j'eus fini, ma Mère m'adressa ces paroles : « Mon Fils Jésus veut te faire une grâce ; sauras-tu t'en rendre digne ? - Ma misère ne savait que répondre. Marie continua : Je serai pour toi une mère ; te montreras-tu pour moi une vraie fille ? » Étendant alors son manteau elle m'en couvrit. Au même instant parut Jésus ; ses plaies étaient ouvertes, mais il n'en sortait pas du sang ; il en sortait des flammes ardentes. En un clin d'oeil, ces flammes touchèrent mes mains, mes pieds et mon cœur. Je me sentis mourir et j'allais tomber, lorsque ma Mère me soutint, me tenant toujours sous son manteau. Je restai plusieurs heures dans cette position ensuite ma Mère me baisa au front, et tout disparut. Je me retrouvai agenouillée dans ma chambre. »

« Une forte douleur persistait aux mains, aux pieds et au coeur, et je m'aperçus, en me levant, qu'il en coulait du sang. Je couvris de mon mieux les parties douloureuses ; puis, aidée de mon Ange, je pus monter au lit. »

Ainsi ornée des joyaux divins des stigmates, Gemma prenait rang, au pied de la croix, parmi les âmes les plus belles, à côté de saint François d'Assise, de sainte Catherine de Sienne, de sainte Véronique de Julianis, également favorisés de ce don. Elle pouvait s'appliquer à la lettre ces paroles de saint Paul : « Que personne ne me soit plus à charge, car je porte empreints dans ma chair les stigmates de mon Seigneur Jésus. » (1)

Lorsque le séraphique patriarche d'Assise, lit-on dans sa vie, eut reçu l'impression des stigmates sacrés, il se sentit tout transformé en Dieu par l'amour, mais son embarras ne fut pas des moindres à la pensée qu'il ne pourrait cacher aux yeux profanes ces plaies mystérieuses. Sur le conseil de ses disciples de l'Alvernia, (2) le saint résolut de les dissimuler de son mieux. Une semblable détermination était-elle possible à observer par Gemma, qui vivait, non sur un mont solitaire, mais au milieu du monde, et entourée de gens curieux ? Elle ne pourrait se priver de se rendre à l'église, le matin pour la sainte communion et le soir pour la visite du Saint Sacrement ; or ses stigmates dégorgeaient du sang en abondance. Que fera-t-elle ? Toute la nuit elle se le demande. Lorsque, au point du jour, elle veut se lever, ses pieds ont à peine touché le sol qu'elle y éprouve une douleur intolérable dont elle croit mourir à chaque instant. Réussissant enfin à se tenir debout, la jeune fille met des gants pour cacher les plaies des mains et se traîne jusqu'à l'église. De retour dans sa famille elle se trouve doublement perplexe, et de ne pouvoir continuer à dissimuler le prodige, et de n'en point connaître la signification précise, ni sa rareté ou sa fréquence parmi les personnes de piété. Dans la pensée que les âmes fiancées au Christ par les vœux de religion recevaient sans doute ces signes, elle va s'informer auprès de l'une, auprès de l'autre, avec une gêne pleine de candeur, s'il ne leur est pas survenu quelquefois des blessures de telle et telle forme. Aucune réponse affirmative. Ou on ne comprend rien au mobile de ses questions émues, ou on rit de sa simplicité. Cependant le sang coule toujours sous les gants. Gemma se décide à révéler le phénomène à une de ses tantes. Se présentant les bras étendus et les mains couvertes par son mantelet : « Ma tante, dit-elle, voyez un peu ce que m'a fait Jésus. » À de telles paroles et à la vue des profondes empreintes sanglantes, la bonne dame demeure stupéfaite, tant elle est loin de s'expliquer, comme elle le fera plus tard, cet étrange mystère.

Le lecteur s'attend certainement à des détails sur la nature des stigmates dans la servante de Dieu, sur leur mode de formation, sur leur évolution et leur durée. Je vais les donner dans ce chapitre même. On remarquera d'abord que ce phénomène mystique, quoique très rare, n'est pas nouveau dans l'Église catholique. On l'a admiré à différents siècles dans plusieurs de ses membres les plus saints, dont quelques-uns, tels que ceux déjà cités, sont canonisés. Il fut notamment constaté au siècle dernier par des milliers de témoins dans la personne de la vierge belge, Louise Lateau, qu'examinèrent, au point de vue physiologique, de très savants médecins catholiques et rationalistes, et, an point de vue théologique, des docteurs également distingués par leur science et par leur vertu, qui ont publié sur ce cas particulier des volumes entiers.

Dans la vierge italienne, la stigmatisation, après s'être déclarée pour la première fois de la manière que l'on vient de lire, se reproduisit pendant deux ans chaque semaine, à jour et à heure fixes, c'est-à-dire le jeudi vers huit heures du soir, pour disparaître le vendredi à trois heures de l'après-midi.

À part le recueillement précurseur de l'extase, aucun symptôme physique, aucune impression douloureuse n'annonçait son imminence ; mais tout à coup, avec l'extase, on voyait apparaître au dos des mains et au centre des paumes une tache rouge ; progressivement s'ouvrait, sous l'épiderme et dans le vif de la chair une déchirure irrégulièrement circulaire aux paumes et oblongue à la face opposée. Enfin l'épiderme se lacérait, mettant à nu une plaie vive de dix bons millimètres de large sur vingt de long à la paume, et de deux millimètres seulement de large au dos de la main.

Cette déchirure, parfois très superficielle et même presque invisible à l'œil nu, atteignait d'ordinaire une grande profondeur, jusqu'à paraître traverser toute l'épaisseur de la main. que l'on eût dite percée de part en part. Je dis jusqu'à paraître, car les blessures regorgeant de sang en partie coagulé, et se resserrant dès que le sang s'arrêtait, il aurait fallu, pour s'en assurer, les explorer à l'aide d'un stylet médical ; ce que l'on n'osa jamais, par la crainte révérentielle qu'inspirait l'extatique dans cet état mystérieux. L'opération eût d'ailleurs été difficile les mains se raidissaient convulsivement sous l'étreinte de la douleur, et l'ouverture des plaies restait couverte, sur la face palmaire, d'une protubérance que l'on eût crue de prime abord une réunion de grumeaux de sang, mais qui était en réalité charnue et dure ; elle se relevait sur les bords, entièrement libres, affectant la forme d'une tête de clou de deux centimètres et demi de diamètre.

Les stigmates des pieds, plus grands et entourés de teintes livides, présentaient, à l'inverse de ceux des mains, un plus fort diamètre au dos qu'à la plante ; en outre, celui du pied gauche était aussi large, à la face dorsale, que celui du pied droit à la plante, comme il est naturel si les pieds du Rédempteur ont été fixés à la croix par un seul clou, le droit superposé au gauche.

Parfois, au lieu de se former peu à peu dans l'espace de cinq à six minutes, en commençant sous la peau ou l'épiderme, les blessures s'ouvraient instantanément, de l'extérieur, comme sous la poussée violente de clous invisibles ; et c'était alors un supplice de voir la chère martyre, ainsi frappée à l'improviste, trembler de douleur dans tous les muscles de ses bras, de ses jambes, de tout son corps.

L'ouverture du côté fut observée rarement et de peu de personnes ; on n'osait trop découvrir, pour une satisfaction de curiosité, cette chair virginale. C'est ainsi que je me privai moi-même de la consolation de m'en rendre compte. Mais, à en juger par l'acuité de la souffrance provoquée jusqu'au plus intime du cœur, elle devait pénétrer dans ce viscère. D'ailleurs, si le but du Seigneur dans l'accomplissement de tels prodiges est de retracer en quelques-uns de ses serviteurs privilégiés une vivante et parfaite image de Jésus crucifié, il y a lieu de penser que la reproduction n'était pas incomplète.

En pratiquant l'autopsie d'une servante de Dieu également stigmatisée, Jeanne de la Croix, les chirurgiens s'aperçurent avec stupeur que la blessure du côté traversait le poumon pour atteindre en plein cœur. Pareille constatation eût sans doute été faite sur Gemma si le prodige n'avait entièrement cessé depuis déjà deux ans.

Dans notre sainte jeune fille, le stigmate du côté présentait la forme d'un croissant, aux pointes dirigées en haut. Sa longueur en ligne droite mesurait six centimètres ; sa largeur, à son milieu, trois millimètres ; et sa courbe égalait celle d'un are de même grandeur ayant une flèche d'un demi-centimètre.

La forme de croissant, inédite chez les stigmatisés connus, m'étonnait beaucoup, lorsque j'appris par la lecture de la vie de la Vénérable Diomira Allegri, florentine du XVIIe siècle, que cette servante de Dieu avait reçu un stigmate d'un aspect identique, suivant l'attestation, certifiée par serment, des médecins chargés de l'examiner et de plusieurs autres témoins oculaires.

Une forme si bien définie, revenant à trois siècles de distance, permet de croire une conformation correspondante du fer de la lance qui perça le côté du Sauveur.

Cette blessure se produisait chez Gemma, tantôt instantanément et de l'extérieur, comme par un coup de lance, tantôt peu à peu et de l'intérieur. Dans le dernier cas, on voyait d'abord apparaître, en nombre toujours croissant, d'infimes ouvertures rouges ; puis la peau se déchirait, offrant aux regards la plaie si impressionnante déjà décrite.

Le sang s'en échappait en telle abondance que les vêtements intérieurs en étaient trempés. L'humble vierge s'ingéniait de son mieux à le cacher : elle appliquait sur sa poitrine un linge en plusieurs doubles, qu'il lui fallait renouveler fréquemment et qu'elle lavait en secret.

Cependant l'écoulement n'était pas continu ; il reprenait par intervalles plus ou moins longs, pendant lesquels la plaie se desséchait parfois au point, une fois lavée, de paraître en voie de guérison. Mais Comme on ne se trouvait pas ici en présence d'un phénomène naturel, au premier embrasement du feu mystérieux qui couvait dans l'intérieur la blessure s'enflammait de nouveau et le sang s'épanchait on grande quantité. Dans plusieurs de ses lettres Gemma parle de la plaie du côté : « Ce matin vers dix heures, dit-elle, mon cœur battait... Je me suis sentie faiblir... À la douleur du cœur a succédé une douleur très forte dans tous les membres ; mais ce qui dépassait tout et le précédait, c'était la douleur de mes péchés. Comme elle est forte cette douleur ! Si elle augmentait je ne pourrais y survivre, comme je ne pourrais survivre, me semble-t-il, au coup violent que j'éprouvai. (Gemma fait ici allusion à l’invisible coup de lance ouvrant la blessure du côté.) Mon tout petit cœur ne pouvant rester enfermé, il a commencé à rejeter du sang en grande abondance. » Et dans une autre lettre : « Jésus s'est fait sentir très fort à mon âme et alors mon cœur n'y tenant plus, la plaie du côté s'est ouverte et a donné du sang. »

On ne sait combien de fois s'est produit ce phénomène merveilleux en dehors des jours habituels on ne peut préciser non plus la quantité de sang que perdait la sainte victime pendant les vingt heures environ que duraient les stigmates mais au témoignage des personnes qui l'approchaient de plus près, elle était considérable. L'une d'elles affirme, sous la foi du serment, que le flux sanglant du côté arrivait, jusqu'à terre si on n'y mettait obstacle. Même attestation pour celui des mains el des pieds. Ce sang était vif, de belle couleur et de même nature que celui qui s'échappe d'une blessure fraîchement ouverte, auquel il ressemblait encore après son entière dessication sur la peau, les vêtements ou le parquet.

Le mode de disparition des stigmates n'était pas moins merveilleux que celui de leur formation. Après l'extase du vendredi l'épanchement sanguin cessait définitivement, les fibres des tissus lacérés se ressoudaient peu à peu, et le jour suivant ou au plus tard le dimanche il ne restait aucun vestige de ces profondes blessures, qui s'étaient recouvertes d'une peau nouvelle, semblable à celle des parties voisines. Seule, une tache blanchâtre indiquait la place qu'elles avaient occupé et qu'elles occuperaient encore, pour se refermer toujours de la même manière. Deux ans après la disparition définitive des plaies, cette tache persistait et on put l'observer à loisir à la mort de Gemma, surtout aux pieds, qu'il était si difficile, de son vivant, de dénuder pendant les extases.

Jusqu'au jour où ses directeurs, par une disposition manifestement inspirée, lui défendirent de subir les stigmates, le phénomène se renouvela invariablement chaque semaine, du jeudi au vendredi ; jamais en d'autres temps, malgré leur solennité ou la forme extraordinaire de certaines extases de la jeune vierge. Je vais trop loin : on vit une exception, que nous rapportera plus loin le révérend père Pierre-Paul, passioniste, qui en fut l'occasion et le témoin.

La faveur des stigmates est évidemment des plus rares ; mais qui déniera au Seigneur le droit de l'accorder à certaines âmes privilégiées telle que l'a été sans nul doute la vierge de Lucques ? Celui qui se montrerait presque scandalisé d'en entendre seulement parler ferait preuve d'une 'complète ignorance des voies de la Providence dans la sanctification des âmes, et même de peu de foi.



 


(1) Le prodige de la stigmatisation eut lieu au numéro 13 de la rue Biscione, où Gemma demeurait alors avec les siens.

(2) Mont des Appennins où saint François reçut la miraculeuse faveur.