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VIE DE GEMMA GALGANI



CHAPITRE XXVII



PRÉCIEUSE MORT - FUNÉRAILLES.



Gemma n'a plus qu'un souffle de vie. Tout son corps est la proie de la douleur et son visage porte déjà la pâleur de la mort ; elle gît immobile sur sa couchette, dans une attitude impressionnante qui rapelle Jésus expirant sur la croix.

Plusieurs jours avant son décès, elle devint d'une telle pesanteur que trois personnes robustes avaient peine à la soulever dans on lit. Cependant sa petite taille et son extrême amaigrissement eussent dû naturellement permettre à un simple enfant de la remuer. « Nous avons manœuvré tant d'infirmes, disaient les sœurs, et jamais nous n'avons vu chose pareille. » À ceux qui lui en faisaient la remarque Gemma répondait : « Ce n’est pas moi, soyez-en surs, qui pèse ainsi. » Il est certainement permis de croire à une intervention diabolique ayant pour but d'accroître les tourments de la pauvre victime, car aussitôt après la mort le corps reprit son poids normal.

Le mercredi saint, 8 avril, Gemma semble légèrement extatique et fixe de temps en temps les yeux au ciel, en murmurant d'une voix étreinte par l'angoisse et cependant pleine de feu : Jésus ! Jésus ! - À un moment, elle entre brusquement dans une de ces grands ravissements si fréquents dans sa vie. La faveur est de courte durée ; mais à la reprise des sens la moribonde, le visage encore tout transfiguré, répond avec candeur à la religieuse infirmière qui demande si Jésus ne l'a point consolée : « O ma sœur, s’il vous était donné de contempler la moindre partie de ce que vient de me montrer Jésus, quelle jouissance serait la vôtre ! »

Ce même jour, elle reçoit le saint Viatique dans de très grands sentiments de dévotion, qu'elle s'abstient, selon son habitude, de traduire en manifestations exubérantes. La pauvre enfant était sevrée de la communion depuis le 23 mars, jour où son état de santé lui avait permis une dernière fois de se rendre à l'église ; aussi redemande-t-elle son Jésus-Hostie pour le lendemain, Jeudi-Saint, solennité de l'institution de l'Eucharistie, si douce à son cœur. Et comme le prêtre hésite à lui renouveler la communion sous forme de viatique, elle s'offre volontiers, pour ne pas se priver du divin réconfort, à rester à jeun, malgré les tourments d'une soif brûlante.

Le moment venu, Gemma, dit un témoin, « assise dans son lit, les mains jointes, les yeux baissés, le visage heureux et les lèvres souriantes malgré la violence du mal, rayonnait la sainteté. » Elle reçoit l'hostie sainte et entre aussitôt dans un profond recueillement, qui prend après deux heures une apparence extatique, sans lui enlever la faculté de répondre par moments à ceux qui lui parlent de choses saintes. Dans cette extase elle voit se tresser une couronne d'épines, et prononce ces paroles prophétiques : « Avant que tu sois terminée, quels terribles moments à passer ! » Elle ajoute, tournée vers la sœur : « Quelle journée j'aurai demain ! »

Ce demain se leva ; c'était le Vendredi-Saint. Vers dix heures du matin, la dame qui l'assistait, exténuée cette fois de fatigue et d'insomnie, allait se retirer pour prendre un peu de repos. « Ne me laissez pas, supplie la moribonde, jusqu'à ce que je sois clouée à la croix. Je vais être crucifiée avec Jésus. Jésus m'a dit que ses fils doivent mourir crucifiés. » La dame reste donc, et bientôt Gemma tombe dans une extase profonde, étend peu à peu les bras, et garde cette attitude jusqu'à une heure et demie. Tout son être respire à la fois la douleur et l'amour, la désolation et le calme. Aucune parole ne sort de ses lèvres ; mais que son aspect est émouvant ! Elle agonise avec Jésus sur la croix. Les assistants, frappés d'étonnement, ne peuvent se rassasier de la contempler. « Regardez, m'écrira l'un de ces derniers, regardez Jésus crucifié mourant ; telle à ce moment apparaissait Gemma. »

Elle continua d'endurer des douleurs mortelles tout le reste du jour, la nuit suivante et le matin du samedi. Il semblait qu'elle dût expirer d'un instant l'autre sous la violence de spasmes effrayants, et, plus encore, de ses angoisses intérieures. Le samedi saint, vers huit heures, la mourante reçoit l'Extrême-Onction en pleine connaissance et avec une singulière dévotion ; sa voix éteinte fait même effort pour répondre aux prières du rite sacré.

La plus grande douleur éprouvée par le Sauveur dans son agonie sur la croix, disent les saints, fut l'abandon, abandon apparent de la part de son divin Père, trop réel de la part des hommes ; on l'entendit s'en plaindre du haut du dur gibet. Sur ce point encore, Gemma devait ressembler à son divin Maître.

Le lecteur s'est peut-être déjà demandé, non sans quelque surprise, comment dans un si pressant besoin ne se trouvent auprès de la moribonde ni confesseur, ni directeur, ni père spirituel, mais seulement quelques pieuses femmes charitables, qui se tiennent là plutôt pour compatir à ses souffrances que dans l'espoir de les adoucir. Cet isolement fut certainement voulu de la Providence pout mettre le comble au martyre et aux mérites de sa bien-aimée servante. Le prêtre de l'église la plus proche lui apporta le saint Viatique, et plus on ne le revit ; le curé de la paroisse lui administra l'Extrême-Onction, et ne se représenta qu'au dernier moment, pour les prières de la recomnmnandation de l'âme ; le confesseur extraordinaire appelé par elle se retira aussitôt après lui avoir donné l'absolution, pour ne plus reparaître ; le confesseur ordinaire, qui seul connaissait tous les mystères de son âme, l'ayant dirigée depuis son enfance, et qui par suite eût pu lui être d'un grand secours au milieu de tant de peines spirituelles, de douleurs, de tentations, de luttes suprêmes, se fit bien voir quelques instants, mais ne revint plus. Quand à moi, éloigné de Lucques et dans l'ignorance des graves besoins de la malade et l'imminence de sa fin, je ne pouvais songer à me rendre auprès d'elle, ni à lui adresser quelques mots d'encouragement. Elle m'avait d'abord réclamé, au début de ses fortes crises, ; puis, comprenant une inspiration intérieure que Dieu lui demandait encore le sacrifice de mon assistance, elle s'était ravisée. Lorsqu'on me rappelait à son souvenir, un aimable sourire venait à ses lèvres et elle répondait : « J'ai fait à Dieu le sacrifice de tout et de tous ; je ne demande plus rien. Maintenant je me prépare à la mort. » Le Seigneur à son tour lui relira le sentiment de sa doute présence et ne fit plus descendre dans son esprit un rayon de lumière, ni dans son cœur une goutte de consolation. Gemma resta donc seule sur son calvaire, dans un complet abandon.

Enfin, anéantir par la véhémence du mal, écrasée sous le poids d'immenses douleurs, tourmentée dans toutes les facultés de son âme et de son corps par les esprits infernaux, sans soutien ni du côté du ciel ni du côté de la terre, martyre, élevant une voix défaillante, proféra ces dernières paroles : « Maintenant, il est bien vrai que je n'en puis plus. Jésus, je vous recommande ma pauvre âme … Jésus ! » C'était le Consummatum est et l'in manus tuas du Sauveur expirant.

La victime est entièrement consumée ; il ne lui reste, pour achever son sacrifice, qu'à rendre le dernier soupir. Une demi-heure se passe. Gemma, sur son séant, appuie la tête sur l'épaule d'une des dames de sa famille adoptive. Sa jeune confidente, Euphémie, à genoux devant elle, comme Madeleine aux pieds du Christ élevé en croix, lui serre les mains dans les siennes, et tantôt les presse contre sa poitrine, tantôt repose son front sur elles. La sœur infirmière et les autres personnes de la famille bienfaitrice, hommes et femmes, sont là, debout, contemplant la sublime et émouvante scène. Gemma, assoupie et calme, semble reposer, quand tout-à-coup, tandis que tous les yeux sont fixés sur son angélique visage, encore beau malgré les ravages d'une longue maladie, un suave sourire éclôt sur ses lèvres, elle incline doucement la tête et cesse de vivre ; de la même manière que l'Évangile le rapporte de Notre-Seigneur : Et inclinato capite traditil spiritum. Aussitôt son âme séraphique, recréée, comme j’en ai la ferme croyance, par la présence visible de son bien-aimé Jésus, de sa céleste Mère, de son cher ange gardien, de saint Paul de la Croix qu'elle invoquait, si souvent dans ses derniers moments, du Bienheureux Gabriel qu’elle honora toujours d’un culte très tendre, cette âme séraphique, dis-je, chargée de couronnes et de palmes, s'envola dans le sein de Dieu.

Personne dès l'abord ne s'apperçut de son décès, que n'avait point précédé une suprême agonie ; le dernier soupir de la douce enfant s'était produit sans effort, sans aucun symptôme d'oppression ni de suffocation. On eût dit simplement un baiser que son âme pure donnait en signe d'adieu à son corps virginal ; c'était bien, suivant la parole des psaumes, « le sommeil des bien-aimés de Dieu. »

Cette bienheureuse mort survint à une heure de l'après-midi, le samedi saint, 11 avril 1903.

Un jour, Gemma avait dit à sa tante : « J'ai prié Jésus de me faire mourir dans une grande solennité. Qu'il est beau de mourir dans une solennité ! » Et nous pouvons ajouter ; « qu'il est beau de mourir dans la solennité de la Résurrection, après avoir sanctifié le Vendredi-Saint sur la croix de Jésus et participé à toutes ses douleur s ! »

Ah ! jeune vierge bénie, inspire-nous aussi l'amour de la souffrance, sans laquelle on n'entre point dans la patrie de l'éternel bonheur.


*

* *



Les sœurs infirmières rendirent les derniers devoirs à la dépouille mortelle de la servante de Dieu. Par l'inspiration de la personne le mieux au courant de ses anciens désirs, elles la revêtirent de noir, comme une religieuse Passioniste, et placèrent sur son cœur l'emblème de la Passion, que portent ostensiblement à la poitrine les membres de l'institut de saint Paul de la Croix. On lui mit sur la tête une couronne de fleurs, au cou son rosaire, et ses mains furent jointes sur la poitrine dans l'attitude expressive qu'elles prenaient durant ses prières extatiques. Les lèvres gardaient toujours le sourire suave dans lequel son âme s'était exhalée. Ainsi disposé, le corps respirait je ne sais quoi de céleste, et donnait l'illusion d'une personne doucement endormie, ou ravie hors des sens et en intime communication avec la divinité. Les assistants ne pouvaient en détacher leurs regards.

À la première annonce de cette mort, beaucoup de personnes vinrent prier autour du lit funèbre. Les enfants de la famille bienfaitrice accoururent les premiers, et ils paraissaient ne plus vouloir s'éloigner. Même les plus petits, de trois et cinq ans, baisaient les mains glacées en appelant d'un accent touchant : Gemma, Gemma ! - Le prêtre retiré dans leur maison, un saint vieillard, plus que tout autre pénétré de vénération et d'amour pour notre ange, s'enferma dans la chambre mortuaire et y resta toute la journée de Pâques, priant et pleurant, jusqu'à la levée du corps béni. On remarqua particulièrement parmi les visiteurs le très digne prêtre auquel Gemma, fortement tourmentée par le démon, avait fait une confession générale. Saisi d'une profonde émotion religieuse à la vue de la défunte, il s'écria en tombant à genoux : « Gemma, vous avez à vos pieds un grand pécheur ; priez Jésus pour moi. » Plusieurs ecclésiastiques et des séculiers approchaient leur chapelet de son front, pour le conserver comme une relique sainte.

Le concours du peuple continua tout le dimanche de Pâques. Celui-ci emportait une fleur de la couronne ; celui-là, par dévotion, touchait les mains et les pieds ; beaucoup dérobaient des cheveux, et sur ce point l'indiscrétion allait si loin que sans l'énergique intervention de la sœur de garde il ne fût certainement rien resté de l'abondante chevelure de la défunte.

Un ecclésiastique distingué, arrivé trop tard pour voir le corps vénéré, voulut avoir du moins la consolation de prier dans la chambre mortuaire déserte. À peine en a-t-il franchi le seuil, qu'étreint par la plus douce émotion, il ne peut maîtriser ses larmes. « Il me semble, dit-il, être en un sanctuaire dont ce lit paraît l'autel. Comme on y prie bien Je ne voudrais plus en sortir. » Il lui fallut en sortir cependant ; mais attiré par un charme invincible, il y revient et s'écrie : « Que vous êtes heureuse, Gemma, d'avoir su vivre comme les anges et mourir comme les saints ! » Il part enfin lentement, se retournant pour jeter un dernier regard dans cette chambre où la belle âme qui venait de la quitter semblait avoir laissé comme un parfum du ciel.

Cependant le soir de Pâques approchait ; il était temps de procéder à la cérémonie de l'inhumation. Le corps fut mis dans un modeste cercueil de bois, où l'on eut soin de déposer, renfermée dans un tube de cristal, la brève notice suivante, écrite sur parchemin sous la dictée du digne co-recteur de la paroisse della Rosa, Don Roberto Andreuccetti :


GEMMA GALGANI

née à Camigliano, près de Lucques,

le 12 mars 1878,

de Henri Galgani et d'Aurelia Landi.


« De mœurs sans tache et d'une piété rare, elle offrait un admirable modèle des vertus chrétiennes. Eprouvée dès son enfance par de graves malheurs domestiques, purifiée par une longue et douloureuse maladie qui fut supportée avec une édifiante résignation, elle trouva toujours son unique soutien dans une constante dévotion à Jésus Crucifié. Son plus ardent désir était de se consacrer toute à Lui, en revêtant l'habit religieux des Filles de saint Paul de la Croix. Mûre pour le ciel, elle s'y envola le samedi saint, 11 avril 1903. - »


« Vis heureuse avec les anges, âme pieuse, et prie pour nous. »



L'honneur de porter sur leurs propres épaules le précieux fardeau fut réclamé par l'aîné des fils de la famille bienfaitrice, étudiant de l'Université, par un de ses frères et par deux autres membres d'une confrérie de Pénitents, tous revêtus du beau costume d’une pieuse association. Par les soins de cette vénérable confrérie, les funérailles se firent avec une grande pompe. Au sortir de l'église le cercueil, placé sur un riche brancard orné de fleurs, si dirigea vers le campo-santo, escorté du clergé et des fidèles recticillis qui firent tous à pied le long trajet.

Sans doute, la grande grande solennité pascale contrastait singulièrement avec la funèbre cérémonie ; mais que ne disait point ce contraste ! Cette procession ressemblait à un retour de fête. Tandis que l’âme de la jeune vierge, emportée par les anges au sein de l'éternelle splendeur, célébrait dans l'inamissible allégresse le triomphe de la Résurrection du Seigneur, les hommes s'en allaient confier aux entrailles de la terre ses restes mortels, pour le jour final où, de nouveau vivifiés par un souffle de la puissance divine, ils se relèveront radieux d'une immortelle jeunesse.

Le cercueil fut descendu dans une tombe privilégiée, exposé à ciel ouvert (1) ; sur une plaque de marbre on grava cette épitaphe latine :


GEMMA GALGANI LUCENSIS

VIRGO INNICENTISSIMA

QUŒ

DIVINI AMORIS ÆSTU MAGIS

QUAM VI MORBI ABSUMTA

QUINTO ÆTATIS LUSTRO VIX EMENSO

AD CŒLESTIS SPONSI NUPTIAS EVOLAVIT

DIE XI M. APRILIS A. MCMIII

PERVIGILIO DOMINICΠRESURRECTIONIS

ANIMA DULCIS TE IN PACE

CUM ANGELIS


dont voici la traduction : Gemma Galgani, de Lucques, vierge très pure. Consumée par les flammes de l'amour divin plus que par la violence de la maladie, elle s'envola dans le sein de son céleste Époux, son cinquième lustre à peine révolu, le 11 avril 1903. veille de la Résurrection du Seigneur. - Repose en paix, belle âme, dans la compagnie des anges.


Cette mort provoqua dans la famille bienfaitrice une si vive douleur, et dans tous les esprits un tel désarroi qu'on oublia sur le montent le projet, depuis longtemps conçu, de faire ouvrir après son décès la poitrine de Gemma, dans l'espoir de trouver dans son cœur quelque signe extraordinaire. Il revint en mémoire aussitôt auprès la sépulture, et la résolution fut prise de le mettre sans délai à exécution. Les formalités requises en pareilles circonstances près des autorités civiles se prolongèrent jusqu'au 24 avril ; ce jour même, le treizième depuis la mort de la servante de Dieu, on put procéder à l'exhumation. On trouva le cadavre intact dans le cercueil, tel qu'on l'y avait déposé, mais non sans les symptômes d'un commencement de décomposition. Le cœur, découvert et enlevé, apparut, contre toute attente, frais, rouge, souple et vigoureux, comme un cœur plein de vie ; les praticiens chargés de l'autopsie s'en montrèrent particulièrement émerveillés. Au surplus, le viscère présentait une forme vraiment singulière, contrastant avec le type naturel. Très aplati sur ses deux faces et fortement dilaté des deux côtés, il apparaissait plus large que haut. Mais l'étonnement parvint à son comble lorsque, sous le coup de scalpel fendant l'organe, on vit jaillir des ventricules et des oreillettes un sang vif, rougeâtre et très fluide, qui inonda la table de marbre de l'opération. On n'ignore pas qu'aussitôt après la mort tout le sang contenu dans le cœur s'en échappe, ou, dans le cas d'un refroidissement trop rapide, se coagule en perdant sa vive couleur à plus forte raison en devait-il être ainsi treize jours après le décès, et un décès causé par une maladie infectieuse.

Ainsi donc, ce cœur de Gemma, qui fut une fournaise de tant de flammes célestes et palpita d'un si pur amour de Dieu qui, trop à l'étroit dans sa cavité naturelle, souleva trois côtes de la poitrine en les incurvant fortement ; qui s'ouvrit une issue au dehors, dans la mystérieuse plaie du côté, comme pour épancher l'excès de ses ardeurs ; qui brûlait les chairs avoisinantes, et dont on n'approchait point la main sans éprouver soi-même une sensation de brûlure ; ce cœur de séraphin ne pouvait pas mourir ! Ce fut une faute et un malheur de le livrer au scalpel profane ; mais Dieu le permit pour la manifestation d'un prodige qui serait, sans cela, resté ignoré.

La forme anormale observée dans ce viscère ne semble admettre d'autre explication que celle des tourments extraordinaires provoqués par les feux célestes qui l'embrasaient. Il y a même lieu de se demander comment il n'en fut point mis en pièces. Quoi qu'il en soit, Gemma ne présenta jamais les symptômes d'une maladie cardiaque pouvant produire un effet si étrange. Son cœur, toujours sain et robuste, n'accusa jamais le moindre trouble, la moindre irrégularité, en dehors de ses extases et du martyre mystique de son âme ; et à l'issue de ces commotions divines il reprenait de suite sa situation et ses battements naturels. La jeune fille fut atteinte, il est vrai, dans les derniers mois de sa vie, d'une légère anémie ; mais personne ne soutiendra que cette affection puisse amener en un temps si court une pareille déformation de l'organe vital. Le phénomène n'est pas davantage imputable à la décomposition des tissus du viscère, car le sang frais dont il était rempli éloigne toute idée de décomposition. La destruction des tissus est incompatible avec leur belle coloration rouge. En dépit donc des incrédules, nous reconnaissons là un prodige dont nous bénissons le divin Auteur, toujours admirable dans ses saints.

Et maintenant, arrivé au terme de la vie de Gemma, et presque de mon ouvrage, je sens l'impérieux besoin de me prosterner humblement aux pieds du bon Maître, qui, par un trait admirable de sa Providence, me conduisant vers cette âme d'élite pour diriger ses pas dans les voies spirituelles, m'a prodigué les divines lumières qui ont empêché mon incapacité de mettre obstacle à ses sublimes élans vers la sainteté. Il m'avait ordonné - mon cœur en garde l'intime conviction - de révéler au monde, par la publication de ces mémoires, la grandeur de son amour et de ses miséricordes envers sa servante. J'ai obéi ; il ne me reste qu'à Lui dire : « Seigneur, je suis un serviteur inutile. Qu'il vous plaise, détournant vos regards de mes misères et les ai arrêtant sur les grands mérites de Gemma, de dirriger ces pauvres pages vers de nombreuses âmes, pour qu'elles apprennent combien vous êtes bon, combien il est doux de n'aimer et de ne servir que vous seul, à l'exemple de la séraphique vierge de Lucques. »




(1) Aujourd'hui la tombe de la servante de Dieu n'est plus à ciel ouvert, comme le dit ici l'auteur. Le matin du 7 octobre 1908, le corps vénéré fut exhumé et porté à quelques mètres de distance sous l'arcade 59, au numéro 18. À cette occasion, on éleva sur la nouvelle tombe de la Servante de Dieu un gracieux monument surmonté d'un ange dont les mains jointes et les yeux dirigés vers le ciel rappellent bien la vie toute de prière et d'extase de Gemma Galgani.