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VIE DE GEMMA GALGANI

 

 


CHAPITRE II

 


INSTITUTION GUERRA. PREMIÈRE COMMUNION.

(1886-1887)



Pour si bonne et si pieuse que fut madame Hélène Landi. elle ne pouvait faire oublier la sainte disparue. Gemma, qui ne trouvait de charme qu'aux pratiques de piété, sentit bientôt le vide causé en elle par l'éloignement d'abord, et ensuite par la perte de sa bien-aimée mère. « C'est alors. que dit-elle un jour, que je regrettai le temps où maman me faisait tant prier. La chère petite aurait voulu se rendre à l'église à une heure matinale, et personne ne voulait l'y accompagner si tôt ; elle désirait se trouver seulette pour s'entretenir avec Dieu, et on ne la laissait pas un moment tranquille. Une grande pécheresse comme elle avait besoin, disait-elle, de se confesser chaque jour, et rarement on lui donnait cette satisfaction : si manifeste était d'ailleurs aux yeux de tous sa candide innocence. Privée de directeur spirituel, personne ne lui parlait de Jésus, seul amour de son âme. La pauvre fillette souffrait donc et mourait d'ennui à San Gennaro.

Cependant Hélène Landi, qui chérissait sa nièce pour ses manières ingénues et graves, pour sa modestie et sa piété éclairée, vraiment exceptionnelle dans une enfant d'âge si tendre, espérait bien obtenir de la garder encore longtemps. Mis an courant de ce projet, le frère de Gemma, Eugène, auquel l'absence de sa chère sœur depuis déjà quelques mois paraissait intolérable, fit valoir auprès de son père tous les arguments propres à empêcher une plus longue séparation. Mais monsieur Galgani n'avait pas moins à cœur de conserver à son foyer sa fille de prédilection. Après de mûres réflexions sur le meilleur parti à prendre à la suite du deuil cruel qui venait de le frapper, il rappela près de lui, pour veiller à leur instruction, tous ses enfants dispersés ça et là. C'était en fin décembre 1886.

Gemma rentra donc à la maison paternelle au milieu des larmes de joie de toute sa famille et particulièrement de son frère Eugène.

Il ne pouvait être question de la mettre en pension ; un nouvel éloignement eût trop coûté au cœur de son tendre père. On l'envoya comme externe à l'institution, si renommée, des Soeurs de sainte Zite, vulgairement appelée institution Guerra, du nom de sa fondatrice. Ce fut une excellente pensée de monsieur Galgani de confier son enfant à ces éminentes maîtresses qui donnent aux jeunes filles, avec de larges connaissances littéraires et artistiques, une forte instruction religieuse, tout en les formant à une solide piété.

Gemma exprimait en ces termes à son directeur la joie que lui causa celte détermination de son père, très probablement inspirée par elle : « Lorsque je commençai à fréquenter l'école des religieuses, j'étais au paradis. » Et, en effet, sous des maîtresses consacrées à Dieu, parmi tant d'exercices et de pratiques de piété, heureusement distribués dans le cours de la journée, avec tant d'instructions et d'exhortations religieuses, la fervente enfant, habituée par sa mère à vivre plus au ciel que sur la terre, devait sûrement se trouver dans son élément.

À peine dans cette institution, Gemma sollicita la faveur de faire sa première communion. Depuis longtemps déjà, blessée an cœur par Jésus des flèches de son plus pur amour, cette innocente colombe gémissait et se consumait du désir de s'unir à Lui par le sacrement de l'Eucharistie. Son admirable mère lui en avait dévoilé toutes les douceurs et donné comme un avant-goût. Pour embraser de plus en plus ses ardeurs, elle la conduisait souvent au pied du saint tabernacle, d'où le Seigneur répand ses rayons et ses flammes sur ceux qui le cherchent, et surtout sur les âmes simples et pures.

Éperdûment éprise de l'Ami divin, Gemma le voulait et tous les jours suppliait avec larmes son confesseur, son père, sa maîlresse de le lui donner. On lui opposait l'usage de ne pas admettre à la communion des enfants si jeunes, et avec d'autant plus de raison qu'à voir sa petite taille et ses membres délicats, à peine lui eût-on donné six ans au lieu de neuf. Mais elle revenait sans cesse à la charge, avec des arguments toujours nouveaux : « Donnez-moi Jésus, vous verrez que je serai plus sage ; je ne ferai plus de péchés ; je ne serai plus la même. Donnez-le moi ; je sens que je me consume, et je n'en puis plus. »

Devant de si extraordinaires instances, le confesseur, monsieur l'abbé Volpi, aujourd'hui très digne évêque d'Arezzo, finit par céder et dit à monsieur Galgani que s'il ne voulait voir son enfant dépérir de chagrin il fallait l'autoriser sans délai à se nourrir du Pain de vie.

Qui dira la joie de notre ange à cette détermination ? Après d'ardentes actions de grâces au Seigneur et à la très sainte Vierge, elle cherche le meilleur moyen de se préparer à cette insigne faveur, et s'arrête, sans grande déliberation, au parti de se renfermer dans le couvent de ses maîtresses, pour y suivre dans une paisible solitude un cours régulier d'exercices spirituels. Il n'était pas facile de faire accepter ce projet par son père, qui croyait ne pouvoir rester un seul jour privé de sa chère fille mais Gemma fut si pressante et versa tant de larmes que cette fois encore monsieur Galgani se vit contraint de céder. Entendons-la nous raconter elle-même la suite. « j'obtins la permission le soir, et le lendemain matin je me rendis en hâte au couvent, où je restai dix jours. Durant ce temps je ne vis personne de ma famille ; mais que j'étais bien ! quel paradis ! À peine dans le couvent, je courus à la chapelle remercier Jésus et le prier ardemment de me bien préparer à la sainte communion. Alors, je sentis naître en mon âme un grand désir de connaître en détail toute la vie de Jésus et sa Passion. »

Nous l'avons dit précédemment, Gemma avait été initiée à la méditation par sa propre mère mais qui donc avait appris à cette enfant de neuf ans que le mystère de la Passion, du Sauveur est si intimement lié au mystère de l'Eucharistie, que la meilleure voie pour arriver au second est de passer par le premier ? Certainement l'Esprit-Saint lui-même, qui l'avait déjà inondée de tant de lumière et embrasée de tant d'amour pour l'auguste sacrement de l'autel. »

« Je manifestai donc ce désir à ma maîtresse, continue Gemma, et elle commença aussitôt ses explications. Un soir, à une heure tardive, elle me parlait du crucifiement, du couronnement d'épines, de tous les supplices de Jésus ; elle en fit une peinture si vive, qu'une douteur intense me saisit, m'occasionnant à l'instant une forte fièvre qui m'obligea de garder le lit toute la journée suivante. On me supprima du coup les explications. »

« Je suivais les instructions à la chapelle. Chaque jour le prédicateur nous disait : Qui se nourrit de Jésus vivra de sa vie. Ces paroles me remplissaient d'une grande consolation, et je me faisais ce raisonnement Donc, quand Jésus sera avec moi, je ne vivrai plus en moi, puisque en moi vivra Jésus. Et je mourais du désir d'arriver au moment où je pourrais dire en toute vérité : Jésus vit en moi. Parfois, en méditant cette pensée, je passais la nuit entière à me consumer de désir. »

« Je me préparai à la confession générale que je fis en trois fois à monsieur l'abbé Volpi, et je la terminai le samedi, veille du jour heureux. »

Ce jour heureux était le 17 juin 1887, fête du Sacre-Cœur de Jésus, tranférée du vendredi précédent. La veille. Gemma voulut écrire à son père. Puisant dans son cœur si rempli de célestes affections, elle fit seule la lettre suivante, brève parce que plus le cœur déborde, moins on parle.

« Cher papa, nous sommes à la veille du jour de la première communion, jour pour moi d'un bonheur infini. Je vous écris cette seule ligne pour vous assurer de mon amour et vous dire de prier Jésus afin que, à sa premiere venue en mon âme, il me trouve préparée à recevoir toutes les grâces qu'il me réserve.

« Je vous demande pardon de tant de désobéissances et de toutes les peines que je vous ai causées, et je vous prie, ce soir, de vouloir tout oublier.

« En vous demandant votre bénédiction, je me dis votre fille bien affectueuse, Gemma. »

Avant de sortir des saints exercices de la retraite. Gemma prenait par écrit les résolutions suivantes : « 1°- Je me confesserai et communierai chaque fois comme si la mort devait aussitôt après me surprendre ; 2°- Je visiterai souvent Jésus au saint Sacrement, surtout en temps d'affliction ; 3°- Je me préparerai à chaque fête de ma céleste Mère par quelque mortification, et chaque soir je lui demanderai sa bénédiction ; 4°- Je veux toujours me tenir en la présence de Dieu ; 5°- Chaque fois que sonnera l'heure, je dirai à trois reprises : Mon Jésus, miséricorde ! »

Gemma eût bien voulu ajouter à ces résolutions, mais la maîtresse qui la surprit les écrivant ne le lui permit pas de crainte qu'en se chargeant trop elle ne nuisit à sa santé ; car elle savait bien que la tendre fillette, douée d'une grande fermeté de caractère et d'une ferveur extraordinaire, appliquerait toutes les énergies de son âme à l'accomplissement de ses promesses.

Le dimanche matin arriva enfin, continue l'admirable enfant avec une foi ardente, je me levai promptement et courus à Jésus pour la première fois. Mes soupirs furent enfin satisfaits et je compris alors la promesse de Jésus : Celui qui se nourrit de moi vivra de ma vie. »

« Ô mon père, écrira-t-elle plus tard à son directeur spirituel, ce qui se passa en ce moment entre Jésus et moi, je ne saurais l'exprimer, Jésus se fit sentir fort, bien fort à mon âme indigne. Je goûtai à cet instant combien les délices du ciel diffèrent de celles de la terre. Je me sentis prise du désir de rendre continuelle cette union avec mon Dieu. Je me trouvais toujours plus détachée du monde, et toujours plus disposée au recueillement. »

Gemma voulut faire sa seconde communion le jour suivant, dans l'église paroissiale, l'insigne basilique de St-Prédien, où se conserve le précieux trésor des restes mortels de sainte Zite.

Les impressions célestes de sa première communion ne s'effacèrent jamais. « La chère enfant, atteste une de ses maitresses, se rappelait ce beau jour avec une joie inexprimable ; aux heures de récréation, elle parlait des pures et suaves délices goûtées en ces instants fortunés. Chaque année, lorsque arrivait l'époque de la première communion sa joie était à son comble, et elle suivait avec les premières communiantes les exercices de la retraite préparatoire. » Chaque année encore, elle commémorait avec une toute spéciale dévotion ce grand jour qu'elle appelait le jour de sa fête. La lettre suivante, adressée à son directeur en 1901, au lendemain d'un de ces anniversaires, nous dira quels sentiments l'animaient alors. Elle a deux parties : la premiere, sorte d'entrée en matière, fut écrite dans un de ces ravissements qui la prenaient souvent même en présence de ses familiers.

« Mon père, je ne sais si je vous ai dit que le jour de la fête du Sacré-Cœur de Jésus est aussi le jour de ma fête. Hier, père, j'ai vécu un jour de paradis : je suis toujours restée avec Jésus, j'ai toujours parlé de Jésus, j'ai été heureuse avec Jésus, et j'ai pleuré aussi avec Jésus. Le recueillement intérieur m'a tenue, plus que de coutume, unie à mon bien-aimé Jésus... Ô froides pensées du monde, éloignez-vous de moi ; je ne veux être qu'avec Jésus, et Jésus seul. » Se repliant à ce moment sur elle-même pour s'humilier, selon son habitude après ses élans d'amour, elle continue : « Mon Jésus, et vous me supportez encore ? Plus je songe à mes démérites, plus je reste confondue, et je ne trouve d'autre moyen de me rassurer que de recourir promptement à votre immense miséricorde, ô compatissant Jésus ! »

Après cette effusion, Gemma recouvre ses sens et se trouve une plume à la main devant la lettre commencée : elle reprend son sujet avec la plus grande aisance : « Père, où s'en va maintenant ma pensée ? Au beau jour de ma première communion. Hier, fête du Cœur de Jésus, j'ai éprouvé de nouveau la joie de ce beau jour. Hier, j'ai de nouveau goûté le paradis. Mais qu'est-ce que le goûter un seul jour, quand plus tard nous en jouirons à jamais ? »

« Le jour de ma première communion a été, je puis le dire, celui où mon cœur s'est trouvé le plus embrasé d'amour pour Jésus. Que j'étais heureuse lorsque, possédant Jésus, je pouvais m'écrier : Ô mon Dieu. votre Cœur est à moi. Ce qui fait votre bonheur peut bien aussi faire le mien. Que manquait-il alors à ma félicité ? Rien. » Gemma rentre encore en elle-même pour s'humilier : Ô père, père, mais tous les jours ne se ressemblent pas il en est où je rougis de moi. Oh ! combien de fois j’ai cédé aux attraits du monde ! Que Jésus me prenne vite le cœur et se l'assure, s'il ne veut se le voir ravir encore bientôt par mes péchés. »

Je serais infini s'il me fallait reproduire en entier les pensées et les sentiments exprimés dans les lettres de Gemma avec une éloquence toujours nouvelle sur ce sujet de sa première communion. Le peu que j'en ai donné suffira pour montrer à quelle hauteur planait, loin des petitesses de la terre, le grand cœur de cet ange dès l'âge de neuf ans.


Heureuse enfant, il vous a été donné de bien bonne heure de connaître les mystères du royaume de Dieu, cachés à la plupart des hommes et de savourer la suavité céleste de la manne eucharistique préparée par celui qui a dit : Celui qui mangera ma chair et boira mon sang aura la vie éternelle.