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Père Germain

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Le R. P. GERMAIN de S. STANISLAS


PASSIONISTE



Directeur spirituel de Gemma Galgani



Le Père Germain a passé à une vie meilleure. Le regret universel causé en Italie par sa mort dit clairement combien il fut estimé et aimé. Parmi les premiers à nous exprimer leurs condoléances on doit mentionner l'Éminentissime Cardinal Ferrata dont voici la lettre :

Rome, 13 décembre 1909.

Très révérend et très cher Père Louis, (1)


La nouvelle de la mort inattendue du Père Germain de St-Stanislas m'a causé la plus vive et la plus douloureuse impression. Mardi dernier, en sortant de la Congrégation des Rites, je l'avais rencontré au Vatican et nous avions échangé quelques paroles aimables. Avec le Père Germain disparaît un homme d'une vaste et solide doctrine et d'une piété exemplaire, un des plus beaux ornements de sa Congrégation. Je l'estimais et je l'aimais sincèrement. Aussi je m'unis de tout cœur au deuil et aux prières de votre Révérendissime Curie Généralice, à laquelle je présente mes profondes condoléances pour une perte si grave et si irréparable. Seul peut nous apporter un doux réconfort le souvenir des vertus éminentes du cher et vénéré défunt, car elles nous donnent non seulement l'espérance mais la certitude morale que le Bon Dieu l'a reçu de suite dans la céleste patrie. Là se seront empressés de le fêter le Bienheureux Gabriel et Gemma Galgani, pour la glorification desquels il a déployé, avec toute son activité, un zèle intelligent et empressé.


Agréez, mon très cher Père, l'expression sincère de ces sentiments, en même temps que ceux du respect très distingué et bien cordial avec lequel je me dis


Votre tout dévoué dans le Seigneur,


D. Car. Ferrata.



Cette lettre, conservée avec tant d'autres dans les Archives de la Postulation Générale des Passionistes, nous a confirmé dans le dessein déjà conçu de consacrer ici, après la biographie de Gemma, quelques pages à celle de son auteur, à celui qui, par un trait admirable de la divine Providence, eut l'heureux sort de guider dans les voies spirituelles la grande Servante de Dieu.

Il est désormais impossible de séparer le nom du Père Germain de celui de Gemma, comme il est impossible de le séparer de celui du Bienheureux Gabriel. Ce Père, en effet, a dépensé pour leur glorification, avec toute son activité, un zèle intelligent et empressé. Il les a fait connaître et aimer de tous les cœurs. Il est donc juste qu'après la biographie de Gemma nous rendions hommage à notre vénéré défunt en racontant brièvement sa vie à tant de milliers de personnes qui ne l'ont connu que de nom.

L'Éminentissime Cardinal Ferrata aver sa belle intelligence reconnaît dans le Père Germain l'homme d'une vaste doctrine et d’une piété exemplaire. Nous trouvons dans ces paroles la division de notre travail, car c'est bien sons ce double aspect. nous semble-t-il, qu'il convient de présenter aux hommes de science et aux âmes pieuses le directeur spirituel de Gemma. Nous préluderons par quelques détails biographiques.

Le Père Germain naquit à Vico Equense, dans la province de Naples, le 17 janvier 1850, des époux Francesco Ruoppolo et Carmela Tozzi. Le lendemain il était régénéré dans le saint baptême et recevait le nom de Vincent. Nous ne savons rien de sa première éducation dans la maison paternelle, mais les belles œuvres qu'il devait opérer dans sa vie nous font croire que ce fut celle d'un enfant privilégié, dont le Seigneur s'empara de bonne heure par sa grâce pour le former entièrement selon son cœur divin. Un fait très particulier nous confirme dans cette opinion. Nous lisons dans la vie de beaucoup de saints que, dès l'âge le plus tendre, ils furent favorisés de dons spéciaux. Ainsi prévenus de la grâce divine, avant même de connaître le monde ils commencèrent à le mépriser. Saisis d'admiration pour de tels débuts, nous ne pouvons nous empêcher de nous écrier : Âmes aimées du ciel, que nous sommes différents, que nous sommes loin de vous ! Mais lorsque nous en rencontrons qui ont eu le bonheur de s'unir intimement à Dieu dans un âge extraordinairement tendre par la sainte communion, oh ! alors notre admiration s'élève au plus haut point et les paroles nous manquent pour l'exprimer. Or, que diront nos lecteurs en apprenant que le petit Vincent fut admis à la première communion à l'âge de cinq ans ?... Nous ignorons les raisons particulières qui motivèrent une pareille exception peut-être unique jusqu'aujourd'hui (2); mais dans un tel événement il est facile de remarquer une prédilection spéciale de Jésus qui voulait s'unir de si bonne heure à cet enfant pour le prémunir contre les attraits du monde.

De fait, épris déjà de l'amour divin et comprenant la vanité des choses d'ici-bas, Vincent forma le dessein d'entrer dans la carrière ecclésiastique, et il se rendit, tout jeune encore, dans la ville de Naples pour y commencer ses étude classiques. À l'admiration générale, ses progrès furent des plus rapides, surtout dans les lettres grecques et latines. Jésus, qui le voulait tout à Lui, fit pénétrer dès lors peu à peu dans son cœur les sentiments d'une aversion complète pour le siècle et lui rendit manifestes les signes de sa vocation à l'état religieux. Le pieux adolescent ne tardait pas à suivre l'appel divin, puisque le 6 octobre 1865, à peine âgé de 15 ans, il revêtait à Rome dans le sanctuaire de la Scala Santa la grossière et sombre bure du novice Passioniste, changeant le nom de Vincent pour celui de confrère Germain de saint Stanislas. L'année suivante, le 7 octobre, après douze mois d'un noviciat édifiant, il était admis à la profession religieuse. Dire la joie de son âme dans l'accomplissement de cet acte, cela ne se peut. Nous ne craignons pas d'affirmer que, plus tard, lorsqu'il dut décrire les sentiments éprouvés en pareille circonstance par le Bienheureux Gabriel, il n'aurait jamais pu les exprimer d'une manière aussi vive, s'il ne s'était rappelé les siens propres en ce jour de bonheur.

Mais la félicité de son cœur de se voir désormais si intimement uni à Jésus par les liens indissolubles des saints vœux, et la paix qu'il goûtait pleinement dans le cloître furent troublées, trop vite, hélas par les vicissitudes de la politique. Le confrère Germain comptait seulement quatre années de vie claustrale, lorsque s'accomplirent à Rome, en septembre 1870, les évènements lamentables trop connus dans l'histoire italienne. Notre ,jeune Passioniste, qui dans ce temps poursuivait ses études dans la Retraite des Saints Jean-et-Paul, au mont Celio, fut contraint avec ses confrères, à la fin du même mois, de chercher un asile sur la terre élrangère. Le 4 oclobre, après une semaine de voyage, il arrivait à Ere, ville de Belgique. Là, comme à Rome, on ne tarda pas à reconnaître en lui les meilleures qualités de l'esprit et du cœur ; aussi, dans l'espace de moins de deux ans, lui conféra-t-on les ordres sacrés, y compris le sacerdoce qu'il reçut dans la chapelle du Séminaire de Tournai, le 3 novembre 1872, des mains du Nonce apostolique, Monseigneur Sérafino Cattani. Le Père Germain, qui possédait déjà fort bien la langue française, s'adonna aussitôt, et avec succès, au ministère de la prédication. Après trois années de séjour en Belgique, il fut envoyé en France à Boulogne-sur-mer, où il resta un an, puis à Bordeaux. Finalement, au mois d'octobre 1876 il retournait en Italie.

Les limites que nous nous sommes imposées ne nous permettent pas d'entrer dans les détails de la vie du Père Germain en Belgique et en France ; ce serait la matière non de quelques notes biographiques, mais d'une longue histoire. Nous ne pouvons que répéter les paroles par lesquelles un personnage autorisé, compagnon et ami du Père Germain, terminait sa lettre qu'il nous écrivait de France à la nouvelle de sa mort : « En Belgique comme en France, il a laissé d'impérissables souvenirs. »

Le jeune Père était à peine rentré à Rome que ses Supérieurs, sur le point d'établir dans la Retraite de la Scala Santa un cours international pour les scholastiques passionistes, jetèrent les yeux sur lui et le nommèrent professeur de philosophie. Il accepta cette charge difficile et justifia bien vite la confiance de ses supérieurs. Presque tous ses élèves obtinrent dans son cours, qui dura deux ans, aussi bien que dans les suivants, les plus beaux succès. Beaucoup d'entr'eux occupent aujourd'hui les charges les plus importantes de la Congrégation, y compris le, Généralat. Après son cours à la Scala Santa, le distingué professeur alla continuer son enseignement dans la Retraite de Saint Eutice, au Cimino, près de Soriano. Il y remplit toujours les fonctions de professeur jusqu'à l'année 1885, où il fut encore envoyé en France. Un auaprès, de retour en Italie, on l'arrêtait comme réfractaire au service militaire. Devant le tribunal, le Père présenta lui-même sa défense avec tant de force et d'habileté qu'il remporta une victoire complète. Depuis lors, c'est-à-dire pendant les vingt-trois dernières années de sa vie religieuse, il rendit les plus grands services à la Congrégation, en s'occupant successivement, par la volonté de ses Supérieurs, à l'enseignement, aux saintes Missions, à la Postulation dans les causes de nos saints, à la composition et à la publication d'ouvrages dont nous aurons bientôt à parler. La Congrégation ne pouvait pas ne pas reconnaître les remarquables mérites du Père Germain. Dans le Chapitre Général tenu à Rome au mois de mai 1899, elle voulut lui accorder un témoignage solennel de gratitude. Contre son habitude de ne jamais donner aucun signe public d'estime à l'un de ses membres, elle décréta ce qui suit, dans sa treizième session : « Le R. P. Postulateur, Germain de saint Stanislas, a supporté de grandes fatigues dans l'ac complissement de sa charge et pour l'avantage de la Congrégation. Aussi, autant pour lui donner un témoignage de reconnaissance que pour lui permettre de continuer à se dévouer avec la même ardeur, le Vénérable Chapitre reconnaît qu'il convient de lui accorder quelques exemptions de la commune observance, il laisse à la prudence du Révérendissime Père Général le soin de les déterminer. » Ce fut certainement pour le Père Germain un très grand encouragement. Et l'on comprend bien toute sa gratitude lorsqu'on pense à l'activité qu'il déploya les neuf années suivantes pour conduire à bon terme la cause de Béatification du Bienheureux Gabriel de l'Addolorata. Léon XIII lui-même avait remarqué en lui des qualités peu communes, car il lui confia des missions très délicates ; et Sa Sainteté Pie X, heureusement régnant, le nomma Visiteur Apostolique de beaucoup de diocèses, entr'autres de ceux, très importants, de Florence et de Lucques.

Dans la Congrégation, le Père Germain remplit pendant ses dernières années les fonctions de Consulteur provincial, et, lorsque le ciel le rappela, il occupait le second rang parmi les Consulteurs généraux. Sa bienheureuse mort arriva le 11 décembre 1909, à onze heures du matin, après seulement douze heures d'une impitoyable maladie. Il avait 59 ans. Déjà vers la fin de son séjour en Belgique et en France, le Père avait beaucoup souffert d'une anémie cérébrale et dans les derniers temps il avait eu quelques accès très graves qui avaient fait craindre pour sa vie. Cependant il paraissait assez bien rétabli, et il se disposait, après avoir obtenu les lettres rémissoriales, à partir pour Pontecorvo (province de Caserte) afin d'instituer un procès canonique sur trois miracles opérés par l'intercession du Bienheureux Gabriel, que l'on se proposait de présenter pour sa canonisation. Mais les décrets éternels avaient fixé le terme de sa vie ; son heure était venue de prendre l'essor vers la patrie céleste pour y recevoir la récompense de tant de travaux accomplis pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Le 10 décembre, vers 11 heures de la nuit, le très révérend Père procureur, qui par hasard reposait, non sans une grâce spéciale du ciel, dans la cellule contigüe à celle du Père Germain, entend frapper à coups redoublés contre la cloison. Il se lève et accourt. Quelle n'est pas sa douleur de voir le cher Père étendu par terre et déjà inanimé .... Une hémorragie cérébrale venait de le frapper tandis qu'il se couchait. Avec l'aide du Père infirmier aussitôt arrivé, il met sur le lit ce corps vivant encore de la vie de l'âme mais privé de celle des sens. Le médecin ne tarde pas de venir. À peine a-t-il vu le malade qu'il pousse un soupir et déclare le cas désespéré.

Tous les soins furent prodigués au cher Père, mais inutilement. À l'heure indiquée plus haut, après qu'on lui eût administré l'Extrême-Onction, et pendant que la Communauté religieuse, agenouillée autour de son pauvre grabat, demandait pour lui au Seigneur la mort du juste, il expira très paisiblement. « Ô Gemma, Gemma, se dit en son cœur l'un des assistants, vous avez rempli votre promesse, mais vous nous avez enlevé un grand soutien. (3) » Plusieurs, contenant mal leur émotion, versaient d'abondantes larmes. On lui baisait le front, on lui serrait les mains. Tous sortaient de cette cellule profondément émus.

La Congrégation, toute pleine de vénération et de gratitude envers un Père si méritant, n'hésita pas à faire encore en cette circonstance une exception à la règle constamment observée. Elle envoya aux nombreux amis et aux connaissances du défunt cette lettre de faire-part : « La Curie Généralice des Passionistes a la douleur de vous annoncer la mort du Père Germain de saint Stanislas, Consulteur et Postutateur Général, survenue aujourd'hui dans cette Retraite, à 11 heures du matin, après qu'il eut reçu les secours de notre sainte religion et la bénédiction du Saint Père. Les funérailles auront lieu dans notre Basilique, lundi 13, à 9 heures du matin. » Cette cérémonie funèbre permit de constater combien notre Père était aimé et vénéré, car des personnes de tout rang y étaient accourues, et beaucoup voulurent raccompagner jusqu'au tombeau. Mais ce qui nous émut le plus, ce fut de voir, tant dans la matinée du 13 que dans tout le jour précédent, où le corps avait été exposé dans une chambre accessible à tous, ce fut, dis-je, de voir le grand nombre de personnes de tout âge et de toute condition venues pour le visiter et lui dire un dernier adieu. Les uns, à peine entres, se jetaient à genoux en priant et en pleurant, d'autres, s'approchaient de lui et le touchaient avec des objets de dévotion apportés à cette fin. Un très grand nombre, sans être retenus par la répulsion naturelle que l'on éprouve à mettre les lèvres en contact avec un froid cadavre, baisaient avec larmes, à maintes reprises, ses mains et ses pieds. Enfin on poussait si loin la dévotion à son égard, qu'il fallut charger un religieux de le garder et d'empêcher de lui couper des cheveux et des morceaux de son habit, ce que beaucoup s'étaient déjà permis. Il avait, et il conserva jusqu'à la fin, l'aspect d'un homme qui dort d'un tranquille sommeil. On remarqua même que ce corps vénéré, quarantecinq heures après la mort, n'exhalait pas la moindre odeur. À vrai dire, ces faits ne nous causèrent aucune surprise ; nous y reconnûmes une récompense particulière que Jésus donnait même sur cette terre à son fidèle serviteur, indépendamment de la récompense déjà reçue dans le ciel.

En apprenant la mort soudaine de notre cher Père Germain, une personne se montra grandement étonnée. « On n'aurait pu prévoir, dit-elle, une telle fin pour un si éminent et si saint religieux. » Une pareille observation dénote, croyonsnous, une bien faible connaissance de la conduite du Seigneur dans le gouvernement de ses créatures, et l'oubli de la doctrine céleste enseignée par l'Apôtre quand il dit : « Combien incompréhensibles sont ses jugements et combien ses voies sont impénétrables. » À notre avis, si quelqu'un se fût trouvé dans sa situation c'est-à-dire bien préparé à mourir, et qu'il eût eu le choix d'un genre de mort, il eut préféré sans doute celui du Père Germain.

Certains, à la nouvelle de son décès, tremblèrent pour la cause de Gemma. Qu'ils se rassurent ; nous touchons plus que jamais du doigt combien cette cause est chère au Cœur de Jésus. Tout nous en donne la preuve et les offrandes qui nous arrivent chaque jour, et les nombreuses relations de grâces si guidées, obtenues par l'intercession de la servante de Dieu, et l'enthousiasme des fidèles qui, loin de diminuer, s'est encore accru depuis la mort du cher Père. Pour la consolation de nos lecteurs dévots envers Gemma, nous dirons que plusieurs Éminentissimes Cardinaux s'efforcent de tout leur pouvoir de promouvoir sa cause et même par de très généreuses offrandes. Parmi eux, le Cardinal Ferrata a voulu spontanément se charger de l'office de l'orient. Il est inutile, après cela, d'ajouter que de très nombreux personnages de la hiérarchie ecclésiastique montrent les mêmes dispositions favorables, comme il est inutile de parler du petit nombre d'adversaires qui, non contents de manifester des sentiments différents, cherchent l'occasion de mettre leurs actes en conformité avec leurs désirs hostiles.

Il ne faut certes pas tomber dans l'excès contraire et se faire taxer de fanatisme, parce que, ici plus qu'ailleurs, le fanatisme pourrait tout ruiner par ses exagérations inconsidérées. Nous approuvons donc et nous louons tous ceux - et ils sont le grand nombre - qui suivent le proverbe « in me dio virtus » et se maintiennent dans une sage réserve en attendant le jugement de l'Église.


***


Nous avons donné une courte biographic du Père Germain mais en lui deux choses surtout sont à faire ressortir la science et la piété. Et d'abord on doit reconnaître en lui une science vaste et profonde. Vaste, parce que son intelligence avide de savoir le portait aux études les plus variées ; il avait exploré, on peut le dire, tout le champ des connaissances humaines profonde, parce qu'il pouvait, sur les sujets les plus différents, parler, discuter et soutenir des controverses avec une précision admirable. Nous ne savons quel poids on peut donner à un renseignement singulier venu de diverses sources, il nous plaît cependant de le rapporter. C'est que le Père Germain, à l'âge de 12 ans seulement, soutint avec succès une thèse de philosophie. On remarquera cette surprenante relation : comme témoignage de sa piété, nous avons le fait très remarquable de sa première communion à cinq ans ; et comme témoignage de sa science, nous avons le fait non moins remarquable d'une discussion philosophique à douze ans. Entré dans la Congrégation, le jeune religieux ne se contentait pas des heures laissées libres par la règle pour l'étude ou la classe, il se privait de l'heure de repos destinée dans l'après-midi à compenser, au moins en partie, le sommeil perdu au milieu de la nuit dans les exercices du chœur. Aussi avait-il coutume de dire, d'une façon fort gracieuse, que toutes les connaissances qui le différenciaient des autres, il les avait acquises pendant le temps du repos. Avec sa facilité de tout retenir et de tout s'assimiler il eut bien vite enrichi son esprit d'un vaste et profond savoir. Pour apprendre une science, il n'avait pas besoin d'étudier de longs traités en de gros volumes; il lui suffisait d'en pénétrer les principes dans un petit manuel: puis, avec sa belle intelligence, sans aucun maître, il arrivait, de progrès en progrès, jusqu'à la posséder parfaitement. Croyant, dans sa simplicité, tout le monde capable d'en faire autant, il conseillait à tous, et surtout aux scholastiques, ses confrères, de suivre la même méthode. Il leur disait, pour les exciter, que de nos jours une érudition médiocre n'est plus suffisante pour remplir le saint ministère avec fruit et avec honneur. Et il avait, quant à lui, tellement pris à cœur cette maxime qu'il n'existait, nous l'avons remarqué, aucune des branches diverses de la science, à laquelle il se montrât complètement étranger.

Quand il exerçait les fonctions de professeur, il avait soin de ménager à ses élèves quelques incursions dans ses connaissances particulières, bien qu'elles n'eussent aucun rapport avec les matières du programme ; et à ses explications claires et précises, disent aujourd'hui ses élèves, on voyait qu'il possédait ces sujets aussi parfaitement que ceux de l'enseignement dont on l'avait particulièrement chargé.

Il semble incroyable qu'au milieu d'une vie absorbée par tant d'occupations, il ait pu étudier à fond tant de sciences diverses! Nous trouvons en effet parmi ses manuscrits un beau traité de morale ayant pour titre : « Synopsis Theologiœ moralis universæ » ; un opuscule intitulé : « Le Protestantisme et les faux prophètes évangéliques » ; un autre: « Principes et théorèmes d'Arithmétique, de Mathématiques-Géométrie ». Il possédait également des connaissances exactes sur la peinture, la sculpture, l'architecture, l'épigraphie, l'art oratoire, la poésie, l'histoire naturelle, la médecine et la chirurgie. Et quand sur une de ces matières il avait donné son jugement, on pouvait être certain que c'était l'expression de la vérité.

Voici ce qu'écrivait à ce sujet le professeur Don Joseph Antonnelli, dans une lettre au Révérendissime Père Général des Passionistes : « Je ne l'ai connu que tard, dans ses dernières années, et plus d'une fois j'ai eu l'occasion de traiter avec lui, en de longs entretiens, diverses questions. J'ai dû admirer en ce religieux la simplicité, l'affabilité, le zèle ardent pour la gloire de Dieu et pour le bien des âmes, les vues larges et droites, l'érudition savante et solide sur des sujets très disparates... » Plus loin, parlant des dissertations placées par notre Père à la fin de la Biographie de Gemma, le distingué professeur ajoute : « Le Père Germain savait bien qu'une fausse science moderne cherche à attribuer certains dons surnaturels, dont sont favorisées quelques belles âmes, à des causes morbides, à l'hystérie ou à l'hypnose, pour les soustraire à l'action de Dieu. Les trois dissertations placées à la fin de la Biographie, magistralement traitées, bien que sous une forme simple et accessible à tous, rendent manifeste l'action de Dieu sur Gemma Galgani et ruinent les hypothèses inconsidérées de beaucoup de médecins matérialistes. Ces dissertations, et spécialement les deux premières, qui ont pour objet les phénomènes extraordinaires observés en Gemma extases, couronnement d'épines, flagellation, stigmates etc., montrent chez le Père Germain une connaissance exacte de la pathologie de l'hystérie et de l'hypnose, et une application juste et étendue de la Mystique divine. On ne peut douter, après les avoir lues, que les susdits phénomènes ne soient réellement l'œuvre de Dieu... »

Un diplôme constatant son élection comme membre honoraire de l'Académie des Sciences et des Lettres de Viterbe fut remis auPère Germain le 19 mai 1883, preuve évidente qu'en ce temps déjà on appréciait fort son savoir.

Les louanges que les savants décernèrent à ses ouvrages sur l'archéologie sacrée, sur la philosophie et sur la Mystique montrent également qu'il possédait ses sciences à un degré peu commun.

À la fin de l'année 1880, le Père Germain se mit à étudier le cimetière de Saint Eutichius de Ferentum, au Cimino, près de Soriano, et il le signala aux savants dans une importante monographie (4). Le remarquable archéologue, Orazio Marucchi, l'aida beaucoup dans ses recherches. Vers 1886, le Père dirigea ses investigations vers la Basilique des saints Jean-et-Paul, située au mont Celio et attenante à la Maison généralice des Passionistes. Il pensait y trouver, au-dessous, les restes de l'antique habitation des deux frères martyrs, Jean et Paul. Ses prévisions ne furent pas trompées, et le 17 février 1887 il pouvait montrer aux savants archéologues Armellini et Marucchi la première chambre qu'il avait découverte dans un souterrain de la Basilique servant de caveau. Encouragé par un si beau succès, il poursuivit son œuvre avec une ardeur redoublée, si bien qu'à la fin il réussit à mettre au jour toute l'antique maison des saints Martyrs ; puis il publia à ce sujet tout un gros volume.

Et comme, dernièrement, quelques critiques essayaient de mettre en doute l'authenticité de cette découverte et de l'histoire des saints Martyrs, il en prit aussitôt la défense et l'établit sur des arguments irréfutables.

De telles découvertes valurent bien vite au Père Germain l'estime des meilleurs archéologues, en particulier de G.-B. de Rossi, qui voulut les annoncer dans le Bulletin d'Archéologie chrétienne. Il fut ensuite élu membre de la Commission d'Archéologie sacrée, et plus tard, le 10 janvier 1895, membre de l'Académie Pontificale Romaine d'Archéologie. Le Père apporta une aide appréciable à M. de Rossi lui-même dans ses travaux concernant les Catacombes. Aussi ce dernier, deux mois avant sa mort, lui écrivit de Castel Gandolfo, à la date du 11 juillet 1894, une splendide lettre. L'illustre archéologue y relevait d'un côté la très grande importance des découvertes faites par le Père Germain en confirmant l'authenticité de l'histoire des Martyrs du mont Celio, et d'un autre côté il donnait au même Père les témoignages les moins équivoques de sa très sincère estime et de son affection. (5)»

Toutes ces choses, nous les avons entendues rappeler dans un magnifique discours prononcé dans le souterrain des Saints Jean-et-Paul par le très distingué archéologue, le professeur Orazio Marucchi, le 21 février 1910, en commémoration de la mort du Père Germain et en témoignage de la véritable amitié qui le tenait étroitement uni au vénéré défunt.

Dans ce discours, Orazio Marucchi faisait observer que les dernières découvertes du Père Germain apportaient la plus belle confirmation à la thèse toujours soutenue par le Père, savoir que la maison du mont Celio, d'abord païenne, fut ensuite habitée par des chrétiens. En terminant, il dépeignait la douleur universelle causée par la perte d'un tel homme, et rappelait l'émotion éprouvée par lui dans cette Basilique des Saints Jean-et-Paul pendant les funérailles auxquelles il assistait comme représentant de la Commission d'Archéologie sacrée.

L'étroitesse du cadre que nous nous sommes tracé s'accorde mal avec ce que nous aurions maintenant à dire du Père Germain au sujet de la philosophie. Il y a cinq ans, un très digne prêtre de Florence, professeur renommé de philosophie, disait qu'à la premiere annonce de la publication des Prælectiones Philosophiæ Scholasticæ du P. Germain, il avait éprouvé un sentiment de dédain, mais qu'ayant eu par hasard l'occasion de les consulter, il n'avait pas tardé à s'apercevoir qu'il s'était lourdement trompé. Il ajoutait que, selon lui, peu de cours de philosophie étaient aussi instructifs ; que cet ouvrage devait être fort utile aux professeurs et non moins profitable aux élèves. 

Quant au savoir théologique du Père Germain, il n'est personne qui ne le trouve admirable, surtout dans cette partie de la science divine que l'on appelle mystique, La Vie du bienheureux Gabriel, où il a su si bien exprimer l'action intérieure de la grâce dans une âme d'élite ; et, plus encore, la Biographie de la Servante de Dieu, Gemma Galgani, suffisent à prouver d'une manière évidente que le Père possédait cette science à un suprême degré.


***


Qu'on nous permette ici de nous arrêter un instant à déplorer la perte irréparable d'un religieux si éminent. Oh ! combien d'autres secrets du ciel nous aurait-il révélés dans cette vie de Gemma, s'il avait eu le temps de la conduire jusqu'à la fin, en l'augmentant et en la retouchant, comme il l'avait déjà commencé !!! Il avait l'intention d'y ajouter un nouveau chapitre intitulé : « Le vrai portrait de Gemma. » Maintes fois, nous l'avons entendu parler de ce chapitre, et le cher défunt nous laissait parfaitement entendre qu'il y aurait révélé des choses tout-à-fait admirables (6). Mais il ne nous reste qu'à faire un acte de complète résignation à la volonté divine, et à baiser la main qui nous l'a enlevé.

Les dernières heures qui précédèrent sa mort, le bon Père travaillait à cette sixième édition il en corrigeait des épreuves et préparait de la copie ; ses dernières lignes, tracées d'une main tellement convulsive et incertaine qu'elles en sont illisibles, indiquent certainement le commencement de l'attaque d'apoplexie. Elles ont trait au fait de la disparition mystérieuse de l'autobiographie de Gemma, qu'il avait raconté dans la première édition, et supprimé dans les suivantes. Il annonce qu'il va de nouveau le transcrire « sans y ajouter de commentaire » (7), laissant au lecteur la liberté de le croire ou non. En parlant ainsi, le Père a voulu, nous en sommes certains, ne pas paraître un avocat inutile dans sa propre cause, et il s'est abstenu, pour cette raison, d'apporter d'autres preuves qui eussent mis le fait absolument hors de doute. Nous allons suppléer à sa réserve en nous servant des propres paroles de Madame Cécilia Giannini, déjà connue de nos lecteurs. Si c'est vraiment un fait historique, comme l'histoire est la vérité, il n'est plus loisible à un homme sensé d'y donner ou non, créance à son gré.


« Gemma, dit cette dame, ayant terminé d'écrire, me remit le cahier, et je le plaçai dans le premier tiroir de la commode de ma chambre, parmi des livres et des papiers que j'y gardais. Ai-je toujours tenu fermé à clef ce tiroir ? Je ne me le rappelle pas bien. J'attendis ainsi l'arrivée du Père Germain pour le lui remettre en mains propres, ne jugeant pas convenable d'envoyer par la poste un manuscrit assez volumineux où il était question de choses de conscience. J'eus plusieurs fois l'occasion d'ouvrir ce tiroir, et j'y vis toujours le manuscrit. Or, un matin de bonne heure, Gemma m'appelle et me demande : « Le livre de mes péchés est-il toujours à sa place ? Je l'y ai vu hier, lui dis-je ... mais que vous importe ? … Pourquoi me faire cette question ? - Parce que, répond-elle, il me semble l'avoir vu dans les mains du démon. » Comme toujours, j'eus l'air de ne pas croire à ses paroles, mais quand, peu après, je regardai dans tous les coins du tiroir, je ne le trouvai plus. Alors je m'en pris vivement à Gemma, l'accusant de l'avoir caché elle-même, et je lui dis de tout. À la fin, je lui ordonnai de prier de toutes ses forces pour que le manuscrit revînt à sa place. En attendant, j'écrivis de suite au Père Germain pour lui raconter avec grand déplaisir ce qui était arrivé. Je le conjurais d'ordonner, de commander impérieusement qu'on rapportât par charité un manuscrit que je savais si précieux. Le Père répondit d'Isola du Grand Rocher, où il se trouvait, que Gemma devait prier, que lui aussi prierait et ferait tout son possible pour que le cahier fût remis à sa place. Or, un jour, ayant ouvert le tiroir pour y prendre je ne sais quoi, j'y retrouve le cahier, mais dans quel état !... tout abîmé, tout déchiré comme on peut le voir maintenant encore. Cette seule vue devait suffire à m'enlever toute incertitude sur l'auteur de l'enlèvement, mais le Seigneur, pour bien faire connaître la vérité, voulut nous ménager une nouvelle preuve en m'envoyant l'inspiration suivante. Afin de confirmer ma croyance à un fait surnaturel, j'allai tout raconter à monsieur Lorenzo (8). À l'insu de Gemma et de tout le monde, nous eûmes recours à l'épreuve que voici en ma présence, monsieur Lorenzo enferma le manuscrit dans un tiroir de sa commode. dont il mit la clef dans sa poche. Le lendemain matin, lorsque nous fumes rentrées de l'église après la sainte communion, Gemma me dit toute joyeuse :  « Vous savez, Jésus m'a dit que le manuscrit avait été rapporté à sa place. Ah oui? lui dis-je en riant et d'un ton un peu moqueur, car je savais bien l'avoir porté ailleurs, allons voir… et trouvez-le moi. » Nous allons dans ma chambre, nous regardons au premier tiroir, pas de cahier. C'est alors que je continuai à la plaisanter et à me moquer d'elle. Gemma demeura un instant quelque peu pensive, puis avec son calme habituel, quoique légèrement désappointée : « Et pourtant Jésus me l'a dit, se répétait-elle. » Ensuite elle garda le silence. Je lui dis de continuer à prier pour que, si le manuscrit avait été rendu, Jésus fît connaître où il se trouvait. Entre temps, monsieur Lorenzo avait rejoint à Viareggio tout le reste de sa famille pour y prendre les bains de mer, emportant avec lui la clef de sa commode. Le lendemain de son départ ou quelques jours après (sur ce point mes souvenirs ne sont pas bien précis), Gemma, le matin après la sainte communion, vint vers moi toute joyeuse : « Vous savez, ditelle. Jésus m'a indiqué où il est ! - Eh bien, répondis-je, allons, enseignez-le moi ;... c'est à vous de marcher devant. » Et ainsi, moitié rieuse, moitié moqueuse, je suivis Gemma. Elle alla droit à la chambre de monsieur Lorenzo et, me montrant la commode : « Il est là, dit-elle, » Mais la clef manquait. On envoya un ouvrier de la fabrique Morelli la chercher à Viareggio. Je dois dire ici que le Révérend Père Pierre-Paul, aujourd'hui Monseigneur Moreschini, archevêque de Camerino, personnage d'une grande autorité, se trouvait de passage dans notre maison. Il connaissait déjà Gemma et je lui avais raconté tout ce qui venait d'arriver. Avec lui et Gemma je retournai dans la chambre de monsieur Lorenzo ; mais arrivée devant la commode, je demandai à Gemma la clef en main, lequel des quatre tirois je devais ouvrir. « Celui-là, répondit-elle. » En effet c'était bien là que Monsieur Lorenzo et moi nous avions, serré le manuscrit. Alors, me tournant vers Gemma qui, même en cette circonstance conservait son calme ordinaire, je me contentai de lui dire : « Pour cette fois, ce n'est pas mal deviné. » Et je remis le manuscrit ainsi retrouvé au Révérend Père Pierre-Paul ; c'était le moyen de le faire tenir sûrement au Père Germain. »

En foi de quoi, etc.


Cécilia Giannini.


Nous le demandons maintenant, quelle difficulté trouve-t-on à admettre ce fait que nous rapporte le Père Germain dans la Biographie de Gemma ? Pas d'autre assurément que le parti pris des incrédules de repousser obstinément tout surnaturel.


***


Mais revenons à notre sujet. Nous parlions des connaissances peu communes du Père Germain en théologie mystique. On constatait qu'il possédait à fond cette science lorsque, dans la pratique, il devait diriger les âmes dans les voies de la perfection chrétienne. Il connaissait exactement tout le long chemin de la sainteté et les voies diverses qui y conduisent. Lorsqu'une âme venait solliciter sa direction, si elle s'était déjà avancée dans la sainte voie, il pouvait préciser, dès le premier entretien, le point précis où elle était parvenue ; et il lui dictait, avec une admirable exactitude, des règles pleinement conformes à son état, à son âge et à sa condition. Aux âmes encore débutantes dans la vie spirituelle le Père indiquait très à propos les sentiers à suivre pour accomplir les plus rapides progrès. En confirmation de nos dires nous transcrirons une de ses premières lettres à Gemma. En même temps qu'elle permettra au lecteur de se former un jugement personnel sur la science mystique du Père Germain, elle sera un cher et doux souvenir pour les âmes si nombreuses qu'il dirigeait dans les voies de la perfection chrétienne, et qui pleurent avec nous sa perte irréparable.




Gemma de Jésus,


« Ayant l'occasion de répondre à une lettre de Cécilia, j'en profite pour vous dire aussi quelques paroles d'encouragement. L'Ange a fait fidèlement et ponctuellement votre commission (9). Que Jésus est bon ! Et que ne ferons-nous pas pour lui montrer notre reconnaissance ? - Et ici je crois vous être agréable en résumant dans une lettre tout ce que Jésus m'avait commandé de vous dire tout au long de vive voix. Vous pourrez ainsi plus facilement avoir présents à votre esprit mes pauvres conseils. Vous verrez comme dans un tableau toute l'histoire de la miséricorde divine à votre égard, et aussi celle de vos démérites et de votre manque de correspondance à sa bonté. »

« Qu'étiez-vous, il y a deux ans ? Une pauvre enfant, ignorante, abandonnée, pauvre en son âme, dépourvue de toute vertu, pleine de vices, de défauts et de péchés (10). Jésus vous a prise dans ce fumier et il vous a dit : Viens avec moi. Vous vous êtes levée pour le suivre, mais faible comme vous étiez, vicieuse et ignorante, en courant vers Jésus vous n'avez fait jusquà présent que trébucher à chaque pas. »

« Pour vous aider, vous fortifier et en même temps vous attirer doucement à son amour, il s'est mis à vous favoriser de consolations de toute sorte, sans craindre d'avilir sa divine Majesté en s'abaissant jusqu'à vous. En vous voyant petite enfant et capable de lui échapper, il vous a prodigué les friandises et les caresses, comme une mère tendre qui condescend à la faiblesse de sa petite fille. De temps à autre il vous a imposé la souffrance ; mais, avec une délicatesse infinie, à la souffrance il a fait bientôt succéder la joie ; et même quand vous l'offensiez par vos légèretés excessives, s'il vous punissait et vous grondait, il finissait toujours par vous caresser et vous presser sur son cœur. »

« Voilà l'histoire ; voilà le tableau. Et maintenant quelle sera votre règle de conduite pour ne pas rendre inutile une si grande Miséricorde ? Celle-ci : »

« 1°. Il faut vous persuader que les choses n'iront pas toujours de cette manière. Ce serait un véritable malheur qu'un enfant restât toujours enfant. L'enfance a sa période, et cette période a son terme. Le bambin devient adolescent, et, dans ce passage, il change tout-à-fait dans sa nourriture, ses vêtements, ses manières, ses traits, ses pensées et ses actions. À l'adolescence succède l'âge viril, puis c'est la maturité de la vieillesse. Or vous devez arriver peu à peu à cette maturité. Bientôt Jésus vous sèvrera et vous donnera une nourriture plus solide. Celle dont vous avez vécu jusqu'à ce jour : visions, locutions divines, visites, caresses, embrassements, etc., c'était la nourriture du petit enfant. Vous en avez pris suffisamment. Vous avez mis assez de dents pour pouvoir mâcher une nourriture plus solide. C'est pourquoi : »

« 2° Gardezvous bien de vous lamenter si les douces visites, les suaves communications viennent à se faire plus rares et moins tendres. Il est vrai que Jésus vous en trouve indigne, et vous pouvez vous humilier pour une telle privation ; les motifs ne vous en manquent pas. Toutefois, la vraie raison de ce changement, c'est que Jésus veut vous faire sortir de l'enfance spirituelle. C'est pourquoi encore : »

« 3° Gardez-vous de désirer, et encore plus de demander les visites et les communications célestes. Quand vous en aurez par intervalles, recevez-les avec humilité et gratitude ; et quand vous en serez privée, ne cherchez pas à en avoir. D'ailleurs ne craignez pas que cette privation nuise à votre âme ; c'est le contraire, comme je l'ai dit. »

« 4° Pour fortifier l'estomac et digérer les nouveaux aliment, solides, travaillez beaucoup à faire intérieurement des actes fréquents et continuels des vertus solides, qui vous manquent encore actes explicites d'humilité, d'abandon à Dieu, de résignation, de contrition, de zèle pour la gloire divine, de désir du salut des âmes, d'horreur du péché, etc. À force de répéter ces actes, de cœur et aussi des lèvres, et même avec des démonstrations extérieures, par exemple en fléchissant le genou, en levant les yeux et les mains au ciel, en joignant les mains pour adorer, en les portant au cœur, etc., à force, dis-je, de les répéter vous en acquerrez insensiblement l'habitude ; votre estomac deviendra d'acier, et pourra digérer même les pierres. »

« 5° Gardez-vous de vous laisser trop abattre à la vue de vos manquements (11); ce serait un signe d'orgueil. Mais soyez bien attentive à n'en commettre jamais aucun délibérément et par nonchalance. »

« 6° Maintenez votre cœur toujours loin de toute affection pour les créatures, sans faire aucune exception. Que Dieu seul ait votre cœur. Appréciez les affections innocentes d'après la règle suivante Si, à leur pensée, votre esprit se recueille en Dieu, vous fait voir et sentir Dieu, c'est un signe que ces affections sont saintes si au contraire elles vous laissent du vide dans le cœur, vous refroidissent, dissipent votre esprit, etc.. c'est un signe qu'elles sont naturelles et humaines, et en conséquence il faut les rejeter. Votre saint confesseur (12)vous fera bien comprendre cette distinction. En règle générale DIEU SEUL. »

« 7° Accoutumez-vous insensiblement à faire la méditation par vousmême ; et quand l'Esprit de Dieu ne vous élève pas à d'autres et plus hautes considérations, suivez la voie ordinaire. »

« 8° Modestie angélique dans vos regards et dans toute votre personne. Jamais seule avec aucun homme. Fermée, scellée pour tous, touchant les choses de votre âme, à l'exception de votre seul confesseur. »

« 9° Évitez tout ce qui pourrait vous agiter le moins du monde, fût-ce même des choses saintes, des désirs célestes, des affections divines. L'abandon à Dieu, quand il est entier, ne laisse rien désirer, ni monastère, ni solitude, ni terre, ni ciel, mais Dieu seul. C'est pourquoi ne vous laissez pas abuser par votre cœur. Il est permis de désirer saintement, mais celui qui désire saintement ne s'inquiète pas. »

« 10° Ne vous fiez pas à vous-même, et encore moins à votre propre jugement, vous souvenant combien vous êtes ignorante et inexpérimentée ; aussi, abandon aveugle entre les mains de votre confesseur. Rappelez-vous combien de fois vous avez erré, en suivant votre propre jugement. Songez que le démon a beaucoup travaillé et travaille encore avec un art consommé pour vous tromper. Gardez-vous donc bien de cacher la moindre chose à votre directeur, quelque répugnance et quelque honte qu'il vous faille surmonter, lors même qu'il s'agirait de choses tournant à votre louange. Le confesseur jugera, et vous, vous resterez ce que vous êtes : une ignorante et une pauvresse. »

« 11° Grande humilité et grand respect envers l'infinie Majesté de Dieu, la céleste Mère, les Anges et les Saints. L'amour filial, ardent, passionné ne doit jamais se séparer de ce profond respect, fondé sur l'immense distance qui se trouve entre le serviteur et le Maître, la créature et le Créateur, la terre et le Ciel, l'homme et Dieu. Si vous pouvez vous habituer à dire Vous à votre cher Époux céleste, à notre douce Mère, aux chers Anges, etc (13), faites-le volontiers. Toutes les fois que de votre cœur aura jailli une effusion d'amour ardent et passionné, n'oubliez pas de rentrer tout de suite à votre place de fange, en joignant à cela des actes de profond respect. - Par ce conseil, je n'entends nullement, remarquez-le. diminuer l'amour affectueux et tendre ; parce que si Dieu est Dieu, il est aussi père et s'il est Maître, il est aussi époux. Comprenez-moi bien. »

Quelle doctrine céleste dans une lettre de quelques pages !... Nous comprenons qu'une personne autorisée ait pu écrire de lui : « C'était une âme très expérimentée et très éclairée dans les voies spirituelles. Les personnes qu'il dirigeait n'avaient qu'à dire un mot pour qu'il comprît tout sur le champ. Les règles et les conseils qu'il donnait étaient si proportionnés à leurs besoins, si pratiques !... »

S'il arrivait à notre bon Père de rencontrer une de ces âmes qui, pleines d'elles-mêmes et attachées à leur propre jugement et à leur propre volonté, ne se laissent pas facilement conduire dans les voies du Seigneur oh ! alors, il s'en débarrassait bien vite avec beaucoup de bonne grâce.

Ce n’est pas seulement à ses pénitents, que le père Germain apparaissait doué de cette science divine, mais aux directeurs spirituels eux-mêmes. Le nombre de lettres qui lui parvenaient de toute part et de personnes de tout rang est incroyable. Les uns lui demandaient un conseil pour eux-mêmes, les autres pour conseiller autrui. Dans les derniers temps, à cause de sa mauvaise santé ou de ses graves occupations, il se vit dans l'impossibilité absolue de répondre à tous. Force lui fut de remplir souvent ce devoir par l'intermédiaire d'un autre. Mais ses correspondants ne s'en contentaient pas. Ils insistaient, à différentes reprises, le priant, le conjurant pour l'amour de Jésus, de Marie, du Bienheureux Gabriel, de Gemma, de vouloir les honorer au moins de quelques lignes. Il y en eut même un parmi eux, - et ce n'était certes pas quelque bonne petite dame dévote, - qui, pour déterminer le bon père à lui répondre de sa propre main, se montra gravement offensé de son silence. D'autres enfin ne se donnaient de repos qu'après avoir obtenu au moins sa signature.

De telles exigences paraîtront, sans doute, un peu exagérées. Nous les avons signalées parce qu'elles font comprendre la très haute estime et la très grande vénération que l'on avait pour le cher Père et combien on reconnaissait en lui la vraie science des choses spirituelles. Il était bien, suivant l'expression du Cardinal Ferrata « un homme d'une vaste et solide doctrine », non seulement dans les sciences profanes, mais encore et bien davantage dans les sciences sacrées.

Chez notre vénéré Père la piété ne le cédait en rien à la doctrine, et on voyait briller en lui les plus rares vertus qu'il ne cessait de cultiver aver amour. Dès ses plus tendres années, il avait commencé à donner des preuves d'une piété peu ordinaire, et même tout à fait remarquable. Le seul fait d'avoir été admis à la première communion dès l'âge de cinq ans nous en offre le plus grand témoignage, comme aussi plusieurs circonstances de sa jeunesse que l'étroitesse de notre cadre ou des raisons de prudence nous empêchent de rapporter.

Dans un âge plus avancé, l'éclat de ses vertus devint encore plus vif. Nous avons sous les yeux un grand nombre de lettres de condoléances, écrites par toutes sortes de personnes à l'annonce de sa mort ; elles ne sont, de la premiere à la dernière, qu'un splendide éloge du Père et de ses vertus. Après la lettre, donnée plus haut, de l'Éminentissime Cardinal Ferrata, il nous plaît de citer un extrait de celle qu'adressait au très révérend Père Procureur Général des Passionistes l'évêque de Valva et Sulmona, Monseigneur Nicolas lezzoni. Ce prélat s'exprime avec d'autant plus d'autorité qu'il a eu l'occasion d'observer de plus près le Père Germain dans les longues relations qu'il eut avec lui lors des procès canoniques relatifs à la cause du Bienheureux Gabriel de l'Addolorata.


« Je voulais écrire hier, aussitôt après la triste nouvelle, dit le très digne évêque, mais je n'en ai pas eu le courage, tellement la secousse a été forte. La perte du très excellent Père Germain est grande, aussi grande que l'était sa valeur, son activité, son zèle et sa bonté. J'ai eu le bonheur de connaître beaucoup, de près et pendant longtemps, notre très cher défunt Parmi les nombreuses et remarquables qualités d'esprit et de cœur que j'ai toujours admirées en lui, j'ai gardé profondément gravée dans mon âme cette union harmonieuse, si rare, d'une simplicité presque semblable à celle d'un petit enfant plein de candeur, avec la sagesse d'un esprit élevé et souple, riche d'une instruction variée et, en certaines sciences, profonde. »


En réalité, il suffisait de causer avec le Père une seule fois pour demeurer surpris de cette ingénue simplicité, que l'on ne rencontre presque plus aujourd'hui, surtout chez les hommes instruits. Mais aussi. combien on en abusait pour le tromper, et même pour lui faire révéler des choses qu'il eût voulu tenir secrètes Il l'a lui-même avoué plus d'une fois. Un jeune enfant conversait avec lui comme avec un camarade de son âge : l'homme de doctrine et de science disparaissait alors complètement dans ses manières et dans ses paroles ingénues et candides. On rencontrait en lui la même simplicité d'enfant lorsqu’il s'entretenait avec des personnages distingués. Non certes qu'alors il apparût un sot ; au contraire, plus le personnage était savant et élevé en dignité, plus ses propos étaient doctes et circonspects. Il reconnaissait vite, en écoutant parler son interlocuteur, s'il avait devant lui un homme de profonde ou de médiocre science, de peu de bon sens ou de beaucoup de jugement.

À sa rare simplicité le Père Germain unissait une humilité vraiment admirable. Nourrissant de bas sentiments sur sa personne, il rapportait à Dieu toute la gloire des dons qu'il reconnaissait en lui ; et en cela consiste le degré le plus parfait de l'humilité, il répétait souvent que, à son avis, un homme, si scélérat qu'il soit, ne mérite pas plus la peine de mort que celui qui s'enorgueillit de sa science. Et il ajoutait « Jamais chez un vrai savant vous ne trouverez d'orgueil. Voyant devant lui le vaste champ de la science avec l'impuissance absolue de l'embrasser tout entier, bien loin de trouver un motif d'orgueil dans les profondes connaissances déjà acquises, il y en aperçoit un de grande humiliation. »

En fait de modestie, le bon Père ne se contentait pas de paroles il savait, à l'occasion, manifester ses sentiments par des actes, et quels actes !.... Nous attirerons sur quelques-uns seulement l'attention du lecteur. Au chapitre X de cet ouvrage, ayant pour titre :  Le nouveau directeur de Gemma, le Père Germain cite un passage de la première lettre que lui écrivit la servante de Dieu avant de le connaître. De cette lettre, qui est très longue, il ne donne que quelques lignes ; pourquoi donc ? La suite, que nous transcrivons, nous en donnera la raison.


« Quelque temps après, dit Gemma, il me vint à l'idée de demander à Jésus de vous faire voir à moi. Tout d'abord il ne me contenta pas, mais après quelques jours, tandis que j'étais en prière, il me sembla voir un Passioniste qui, lui aussi, priait devant le Saint-Sacrement, et Jésus me dit: Regarde, c'est le Père Germain. Je le regardai et voici comment je le vis. Il était un peu gros, il se tenait à genoux, immobile, les mains jointes. Il me parut avoir les cheveux plus blancs que noirs. »


Voilà donc pourquoi le Père Germain interrompt tout à coup la lettre de Gemma, se bornant à nous en indiquer le sens en quelques mots ; c'est qu'elle y parle de lui et que sa modestie ne le peut souffrir. Un autre, moins humble, eût publié volontiers ces quelques autres lignes, ne fût-ce que pour bien montrer que la direction de cette âme d'élite lui avait été confiée par Jésus lui-même, et qu'ainsi sa mission était d'origine divine. Dans tout le chapitre X, le Père ne fait, il est vrai, que parler de lui, mais ce serait une erreur de croire qu'il ait agi ainsi de son propre mouvement. Beaucoup de personnes, apprenant qu'il préparait cette nouvelle édition, lui écrivirent pour le prier d'éclaircir ce qui avait trait à la direction spirituelle de la servante de Dieu, et elles le supplièrent tellement que, à la fin, surmontant sa répugnance, il y consentit.

On a lu, en tête de cet ouvrage, la lettre par laquelle l'Éminentissime Cardinal Secrétaire d'État manifeste les grands sentiments d'admiration de Sa Sainteté Pie X pour la sympathique figure de Gemma Galgani. Ayant retrouvé l'autographe du Cardinal, nous avons constaté que le Père Germain ne l'avait pas donné intégralement ; il en avait retranché ce passage : « le livre … où vous faites preuve d'une connaissance si profonde de la théologie mystique. » Qui ne voit ici l'humble religieux toujours attentif à se cacher et à mettre dans l'ombre tout ce qui peut tourner à sa louange ? Mais encore une fois s'est vérifiée la grande maxime du Saint Évangile celui qui s'humilie sera exalté. La louange de profond théologien mystique, décernée par le Souverain Pontife, contrarie la modestie du Père Germain, et il la supprime mais par une disposition providentielle la suppression est découverte et tourne aujourd'hui à la plus grande gloire du vénéré défunt. L'humble Père a fait un fréquent usage de ce stratagème dans la biographie de Gemma Galgani. Lorsque un document suffisait à ses yeux pour rendre un fait croyable, il n'en fournissait pas deux, et cela non seulement par amour de l'humilité, mais encore, il l'a souvent avoué lui-même, pour ne point paraître vouloir imposer aux autres la foi à ses récits. Par exemple, au chapitre XVII, parlant du puissant moyen de sanctification qu'était pour la servante de Dieu la très particulière assistance de son Ange Gardien, entr'autres détails significatifs, il eût pu, fort à propos, mentionner celui-ci qu'il connaissait bien et que Gemma nous rapporte : « Comme je venais de sortir du confessionnal, écrit-elle, une pensée m'a assaillie : Je me disais que mon confesseur diminuait trop la grandeur de mes péchés, et j'étais inquiète. Mais pour me tranquilliser mon Ange Gardien s'est approché et, tandis que j'étais encore dans l'église, il a prononcé fortement ces paroles : Mais, dis-moi, qui veux-tu croire, ton confesseur ou ton cerveau ? Ton confesseur qui reçoit des lumières et une assistance continuelles, qui a tant de capacité, ou bien toi qui n'as rien, rien de tout cela ? Oh ! l'orgueilleuse, qui veut enseigner et diriger son confesseur ! - J'ai chassé ma pensée, j'ai fait un acte de contrition et j'ai été recevoir la sainte communion. » Ce fait, non moins que les autres racontés par le Père Germain, montre la sollicitude de l'Ange uniquement attentif à conduire à la perfection et à la sainteté son heureuse protégée, mais il a effarouché la modestie et la réserve de notre vénéré Père qui l'a passé sous silence. Nous avons encore mieux à dire sur son humilité.

Dans sa correspondance avec la servante de Dieu, il lui arrivait assez souvent de recevoir ses lettres par l'intermédiaire des Anges. Cependant on ne trouve même pas une allusion à ce fait dans la biographie de Gemma. Le Père raconte bien à la page 187 qu'elle confiait des lettres à son Ange Gardien pour qu'il les remît à leurs destinataires, et il cite les noms de ces derniers : Dieu, la divine Mère, les saints avocats ; mais jamais le sien. Nous avons trouvé cependant jusqu'ici vingt-quatre lettres reçues par lui des mains de l'angélique messager. Puisque le vénéré Père s'est montré si réservé, il nous plaît de rapporter ici au moins une de ces circonstances prodigieuses, avec les plus minutieux détails qui la mettent hors de doute. Nous laissons la parole à madame Cécilia Giannini.


« Gemma, dit-elle, avait grand besoin d'écrire au Père Germain. Elle m'en demanda la permission. Je la lui accordai, en ajoutant que j’avais à lui écrire également et que nous enverrions les deux lettres sous le même pli. Mais ce jour-là, par suite de mes occupations, je n'eus pas le temps d'écrire. Le soir, en allant à la bénédiction du Saint Sacrement, à peine avions-nous franchi le seuil de la grande porte de la maison que Gemma me montra la lettre et me dit : « Voulez-vous me la mettre à la poste ? » Je croyais qu'elle ne l'avait pas faite encore, et je répondis toute contrariée : « Pourquoi avez-vous été si pressée ?... Ne pouviez-vous pas m'attendre ?... Non, je ne vous la mettrai pas à la poste !... etc. » Gemma garda complètement le silence et remit la lettre dans son corsage. Pendant la route, m'étant un peu calmée, je réfléchis qu'il valait peut-être mieux l'envoyer et je dis à Gemma : « Voyons ! faut-il la mettre à la poste ? » Elle répondit avec sa tranquillité ordinaire : « Faites comme vous le jugerez bon. » Il sera mieux, repris-je, d'aller d'abord à la Bénédiction. Comme vous le voudrez, ajouta-t-elle. » Nous nous rendîmes donc d'abord à l'église de Sainte Marie Forisportam où nous restâmes jusqu'à la fermeture des portes. À la sortie, je dis à Gemma : « Eh bien, allons maintenant porter la lettre à la grande poste. » Nous avions fait quelques pas, et Gemma, fouillant de-ci, fouillant de-là, ne trouvait plus la lettre. Alors je n'y tins plus et je lui dis tout ce que je pus trouver de plus désagréable ; je m'impatientai au delà de ce que le saurais dire. Un peu désappointée, mais toujours calme, Gemma répétait : « Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas. » Elle continuait à chercher dans son corsage, dans sa poche, mais rien. Nous retournâmes aussitôt sur nos pas, croyant avoir perdu la lettre dans l'église. Il nous fallut aller sonner chez les Chanoines de Latran et les prier de vouloir bien nous faire rouvrir l'église. Nous cherchâmes partout sans rien trouver. Alors je dis au sacristain, s'il la trouvait le lendemain matin, de me faire le plaisir de la rapporter. Nous réprimes le chemin de la maison et, cette soirée, je ne cessai de blâmer Gemma et de la gronder. Cependant, dans mes moments de calme je me retournais vers elle d'un air aimable et je lui disais : « Regardez-donc bien si vous ne l'auriez pas encore sur vous ; » et moi-même je la fouillai à la poche, partout, mais toujours pas de lettre. Alors, je lui demandai :« Enfin, comment a-t-elle disparu ? » Et elle de répondre : « Mais je ne le sais... Pendant la Bénédiction je tenais la lettre à la main, et après la Bénédiction je ne l'y avais plus... Que voulez-vous que je vous dise ?... » Ces paroles et d'autres semblables me firent soupçonner là quelque chose d'extraordinaire ; toutefois je ne cessai point de la gronder. »

« Le soir suivant - c'était un mardi - nous allâmes recevoir la Bénédiction à l'église de la Rosa, et au retour, Gemma se tournant vers moi le visage heureux: Soyez tranquille, me dit-elle, j'ai vu la lettre entre les mains de Jésus. » J'eus l'air de ne pas la croire et je m'amusai de ses paroles. Enfin je lui dis : « Et pourquoi alors Jésus ne la porte-t-il pas au Père Germain ? - C'est que, répondit-elle, j'ai été méchante. - Et qu'avez-vous fait ? - Jésus m'a dit que j'avais pensé mal du Père Germain. » Je continuai : « Faites-vous indiquer au moins le temps où il la lui portera. » Le jour suivant, après la communion, une fois rentrées à la maison, Gemma me dit : « Jésus m'a fait entendre qu'elle lui sera remise entre jeudi et vendredi. » Je ne répondis rien, mais pour m'assurer de la chose j'écrivis aussitôt au Père Germain. Et comme je craignais que le Père, pour me tranquilliser, ne me donnât pas de réponse précise, je lui écrivis en ces termes : « Vous allez recevoir une lettre de Gemma ; faites-moi le plaisir de me dire l'heure précise où vous l'aurez reçue, et les mots qui la commencent. Plus tard je vous dirai pourquoi, etc., etc. » Je n'ajoutai pas un mot de plus sur ce sujet. Deux ou trois jours après, j'eus cette réponse. « Quel besoin de s'alarmer de la sorte !... J'ai reçu la lettre pendant le temps de Matines (14)et elle commençait ainsi : « Non plus pauvre Gemma, mais vive Gemma... » La servante de Dieu s'était en effet servie de ces mots, allusion à une lettre précédente du Père Germain qui la blâmait d'insister, de marmonner continuellement pour qu'on la mît sur le champ dans un monastère, etc., etc. Dès lors je n'eus plus aucun doute sur la vérité. Je me tranquillisai en rendant grâces de tout cœur à Jésus des merveilles qu'il opérait en faveur de sa fidèle servante ! En foi de quoi, etc. Cecilia GIANNINI. »


Nous applaudissons à l'humilité du vénéré Père et nous glorifions le Seigneur de l'avoir si particulièrement favorisé. Mais ce n'est pas tout. L'amour d'une si belle vertu l'a poussé encore plus loin. Lorsqu'il s'apercevait, en citant les paroles de Gemma dans sa biographie, qu'une phrase tournait à sa propre louange, il se permettait de la modifier, sans en altérer le sens cependant, mais de manière à voiler entièrement sa personnalité.

La chasteté va de pair avec la véritable humilité dont elle est, peut-on dire, inséparable. Le Père Germain eut pour l'angélique vertu un amour tout particulier. Encore dans la fleur de l'âge, avant d'entrer en religion, pendant qu'il fréquentait les écoles de Naples, il tomba par hasard dans une de ces occasions qui révèlent chez ceux qui les surmontent, la vraie et solide vertu. Pour aller écouter les leçons de ses maîtres, il devait passer par une rue où habitait une jeune fille trop libre et impertinente. Elle guettait chaque jour son passage pour lui lancer des paroles indécentes. Le vertueux jeune homme, qui ne l'avait jamais honorée d'un regard, résolut bien vite de s'en débarrasser. La première fois qu'il dut repasser par là, il fit une bonne provision de cailloux et, attaqué de nouveau, il les lança sans crier gare et avec tant de vigueur dans la direction de l'effrontée qu'il lui enleva pour jamais l'envie de recommencer. Bel exemple pour les jeunes gens dissolus de nos jours, qui, en semblable circonstance, préfèrent bien mieux se munir de caramels que de cailloux, et répondre par de ridicules afféteries plutôt que d'opposer de méprisants refus. En le voyant si résolu à défendre le beau lis de la pureté pendant qu'il était jeune et au milieu des séductions du monde, on comprend avec quelle attention il a dû le conserver sans tache tout le reste de sa vie.

Le Père avait une très grande dévotion au Sacrement de l'autel. Il est très significatif, à ce sujet, que Gemma l'ait aperçu pour la première fois dans une vision à genoux, immobile, les moins jointes devant le Saint Sacrement.

Le jour du Vendredi-Saint, où les lois de l'Église ne permettent pas aux prêtres de célébrer le sacrifice de la messe, il sentait un vide dans son cœur et ne pouvait s'empêcher de s'écrier : « Il me semble aujourd'hui que je suis un Turc ! »

Lorsque dans les derniers temps, à cause de quelque forte atteinte de son mal, il devait s'abstenir de célébrer, il était édifiant de l'entendre s'en plaindre à Jésus, au Bienheureux Gabriel, ou à sa chère Gemma.

Certaines personnes affirment que des événements prédits par le Père Germain, douze et même quinze ans à l'avance, se sont produits exactement, au temps fixe, bien qu'ils parussent de toute impossibilité. D'autres assurent qu'il a découvert les secrets les plus cachés de leur conscience avec leurs plus minutieux détails. D'autres encore l'ont vu comme en extase devant un crucifix, pendant plus d'une demi-heure, les mains levées vers le ciel, les yeux immobiles fixés sur le Christ, et ils l'ont entendu répéter alors, de moment en moment « Grand Dieu ! Ô grandeur de Dieu !... Je vous demande pardon, ô Jésus, de mes si nombreuses ingratitudes ! »

Mais nous n'avons pas le dessein de nous étendre sur ces dons surnaturels et nous n'osons même porter sur eux aucun jugement. Le lecteur en tiendra le compte qu'il voudra. Il nous suffit d'avoir montré comment chez le Père Germain se rencontrèrent les plus belles vertus, à un degré commun et ordinaire, si l'on veut, mais bien faites pour révéler en celui qui les exerça constamment, l'homme de Dieu, et pour faire admirer en lui le véritable esprit de Jésus-Christ. Qu'il fût vraiment tel, non seulement ceux-là peuvent en témoigner qui eurent une fois où l'autre des relations avec lui, mais ceux qui l'ont fréquenté de près et longtemps. C'est le propre de la véritable vertu de paraître toujours telle qu'elle s'est révélée au premier abord. Mais la plus belle confirmation de ce que nous avons dit de la piété du Père Germain, nous la trouvons dans sa biographie de Gemma Galgani. Un éminentissime Cardinal disait récemment qu'il n'avait complètement connu le Père Germain que dans cette biographie, surtout dans les endroits où il traite de la vertu et de la science mystique. « Non, ajoutait ce prince de l'Église, certaines choses ne s'écrivent pas dans un tel langage, ne s'expliquent pas avec tant de précision et de clarté, si on ne les a pas éprouvées soi-même, si notre cœur n'en est pas plein, si l'âme n'en est pas ornée. En fait de vertu, la science est trop aride. Elle est incapable à elle seule de faire parler ou écrire dignement sur son sujet. »

C'est sur un témoignage si autorisé que nous allons mettre fin à ces notes biographiques. Comme le lecteur l'a compris. nous aurions assez de matière pour écrire un volume, mais l'espace manque. Nous avons voulu simplement donner un court aperçu de la vie du Père Germain pour répondre au désir de tant de personnes qui, jusqu'ici, l'estimaient et le vénéraient sans le connaître. Elles l'auront vu dans ces pages, ce qu'elles le supposait, plein de science et de piété, tel, en un mot, qu'il le fallait pour diriger avec sûreté dans ses voies extraordinaires l'admirable servante de Dieu, Gemma Galgani. Et ainsi nous avons une preuve nouvelle que la science et la piété, loin d'être ennemies, comme l'affirment des adversaires de nos croyances, se serrent la main comme deux amies intimes. Quant à celui qui les unit en lui, elles le rendent cher à tous ses contemporains et digne de vivre dans le souvenir de la postérité.


P. A. V. P.





(1) L' éminentissime Cardinal Ferrata écrit au Père Procureur Général des Passionistes, le P. Louis de Saint François de Paule.

(2) II a été fait une autre exception, encore plus surprenante La « Petite Nellie » reçut la première communion à l'âge de 4 ans, avant l'apparition du Décret restaurateur de Pie X, Quam sinqulari. Voir la vie de cet enfant prodige, éditée par la Maison du Bon Pasteur, 228, Boulevard Péreire, Paris. (Note du Traducteur).

(3) Que le lecteur se rappelle ce qu'écrivait au Père Germain la Servante de Dieu, dans sa reconnaissance pour les services spirituels qu'elle en recevait : « Si vous réussissez à me sauver, vous verrez ce que je ferai pour vous, vous verrez : Quand je serai au ciel je vous attirerai à tout prix après moi. »

Le bon Père, rapportant ces paroles dans le volume des Lettres et Extases de la Servante de Dieu, page 89 de l'édition italienne, ajoute en note : « Et moi je vis de cette espérance., Dans les travaux de cet exil ces paroles de Gemma seront toujours mon réconfort. »

(4) Mémoire archéologique et critique sur les actes et sur le cimetière de saint Eutichius de Ferentum, précédé d'une courte notice sur l'emplacement de l'ancienne voie Ferentana. (Édition épuisée).

(5) Voir Casa Celimontana, page V-VII.

(6) Il existe quatre photographies de la servante de Dieu. La première est celle que nous avons reproduite au commencement de cet ouvrage. La seconde se trouve au debut du chapitre XX. Toutes les deux furent prises par le photographe De Juili, de Lucques, devant qui elle posa sur l'ordre exprès du Père Germain. L'attitude pieuse de la seconde pose fut suggérée à Gemma par Madame Giannini, au moment même où l'appareil allait fonctionner ; c'était, comme l'écrit cette dame, « l'attitude habituelle de la jeune fille dans ses extases... bien que parfois elle eut les yeux à demi clos ». Le Père Germain affirmait qu'à cet instant elle n'avait plus l'usage des sens. Les deux autres photographies sont l'œuvre de l'aîné des fils Giannini. Dans l'une, Gemma tient par la main la dernière des filles Giannini, Hélène, qui servit de prétexte pour faire poser la candide jeune fille. Dans l'autre, prise en octobre 1902, peu de mois avant sa mort, elle est en extase ces deux dernières photographies, soit imperfection de l'appareil, soit manque de jour, ne sont pas très réussies. Chose surprenante, bien que toutes les quatre soient parfaitement fidèles, elles paraissent n'avoir entr'elles aucun rapport. Nous en avons demandé l'explication à une personne compétente, et il nous a été répondu qu'il fallait attribuer celte différence aux diverses conditions de santé où se trouvait la servante de Dieu dans les différents temps de ses photographies.

(7) Voir page 147. ( ici voir fin chapitre 13)

(8) Lorenzo Giannini, frère de Madame Cécilia.

(9) De quoi s’agissait-t-il ? C'est un des nombreux mystères que l'humilité de l'excellent religieux a voulu couvrir d'un voile.

(10) Par ce qu'affirme le Père Germain des péchés de Gemma, page 143 et 297 (ici voir chapitres 13 et 25), nous pouvons facilement nous rendre compte de la nature de ceux qu'il rappelle ici.

(11) Voir la note 2 de la page 449  - ici (10) .

(12) Allusion à Monseigneur Volpi, confesseur ordinaire de la servante de Dieu.

(13) En Italie le tutoiement est beaucoup plus usité qu'en France

(14) Les Passionistes chantent Matines à une heure de la nuit. La poste ne marche certainement pas alors. Un messager céleste seul a pu remettre la lettre au Père Germain.