Introduction aux
Considérations sur les Stigmates

par Nikos Kazantzaki : Vie de saint François, pp342 - 345

 

Saint FrançoisLes lunes se succédaient. Le printemps passa, puis l’été. Nous regardions d’en haut se transformer le visage de la terre. Les blés verdissaient dans la plaine, puis jaunissaient et se couchaient finalement sous la faux. Les souches noires des vignes bourgeonnaient, fleurissaient et se chargeaient de grappes qu’emportaient les vendangeurs. Mais notre montagne ne changeait jamais; elle était toujours désolée et sans la moindre fleur. Vint l’automne et le mois de septembre.

La fête de la Croix approchait. François ne prenait plus qu’une bouchée de pain et une gorgée d’eau par jour, il jeûnait pour l’amour de la sainte Croix. Sur la Règle de l’Ordre, il avait écrit de sa propre main: «Nous t’adorons, ô Seigneur, et nous te louons, car au moyen de ta sainte Croix, tu as daigné racheter les péchés du monde.»

Donc à mesure qu’approchait la fête de l’Exaltation qui a lieu le 14 septembre, François fondait comme un cierge allumé. Il ne pouvait plus dormir et gardait jour et nuit les yeux levés, comme s’il attendait que lui apparût un signe au milieu d’éclairs et de bruissements d’ailes.

Un jour, il me prit par la main et me montra le Ciel:
-Regarde toi aussi, tu Le verras peut-être. Il est dit dans les Ecritures que la Croix se dressera dans le Ciel au moment où le Seigneur viendra pour juger. Frère Léon, je sens que le Seigneur viendra pour juger!

Il regarda ses pieds et ses mains.

- Le corps de l’homme est une croix, poursuivit-il - étends les bras et tu verras - et Dieu est cloué sur elle.


Il leva les mains au Ciel:
-O Christ, mon bien-aimé Seigneur, murmura-t-il, je te demanderai de m’accorder une grâce avant que je meure! C’est que dans mon corps et dans mon âme, autant que cela sera possible, je puisse ressentir Ta douleur et Ta passion.....

....Une nuit, je m’embusquai derrière mon rocher et regardai: François priait, agenouillé devant sa hutte. Un halo de lumière frémissante entourait son visage et, à la lueur des éclairs, je voyais distinctement briller ses mains et ses pieds. Non pas briller, mais brûler.

Je l’observai ainsi longuement, immobile. Le vent était tombé, pas une feuille ne bougeait. Le ciel commença de blanchir du côté de l’orient. Au loin, perché sur quelque branche, chantait un oiseau matinal. La nuit rassemblait ses étoiles et ses ombres et se préparait à partir. Soudain, une clarté intense, bleue et verte, illumina le ciel. Je levai les yeux: un séraphin avec six ailes de feu descendait et sur son sein, enveloppé dans les plumes, était Jésus crucifié. Une paire d’ailes enlaçait la tête, une autre le corps et la troisième, à droite et à gauche, recouvrait les bras étendus du Christ. L’Alverne était au milieu des flammes dont les reflets éclairaient la plaine. Le Christ ailé fondit du Ciel en sifflant et un éclair atteignit François qui poussa un cri déchirant comme si on le perçait de clous. Il ouvrit les bras et s’immobilisa, crucifié, en l’air. Puis il murmura quelques mots inintelligibles suivis d’un nouveau cri.....

Alors, au-dessus de lui, se fit entendre la Voix Divine:
“C’est à la Crucifixion que prend fin l’ascension de l’homme.” Et, de nouveau le cri désespéré de François:
“Je veux aller plus loin, jusqu’à la Résurrection!” et la voix du Christ, à travers les plumes du Séraphin:
“Mon cher François, ouvre les yeux et regarde: Crucifixion et Résurrection ne font qu’un!”
“Et le Paradis?” clama François.
“Crucifixion, Résurrection et Paradis, ne font qu’un! ” dit encore la voix.
A ces mots, un coup de tonnerre ébranla le ciel, telle une voix ordonnant au miracle de retourner à Dieu et le séraphin aux six ailes de feu, pareil à un éclair rouge et vert, remonta au Ciel.
François

François s’effondra, le corps agité de convulsions. Je me précipitai vers lui et le relevai. Ses mains et ses pieds saignaient. Ecartant son froc, je vis sur son flanc une large plaie, comme ouverte par un coup de lance.

-“Père François, Père François, murmurai-je.... en l’aspergeant d’eau pour qu’il reprenne connaissance. Je ne pouvais l’appeler frère. Je n’osais plus. Il s’était élevé au-dessus de ses frères et au-dessus des hommes.......

....Je l’aidai à s’étendre, déchirai mon froc et bandai ses plaies, puis je me prosternai devant ses mains et ses pieds en pleurant. Quand je le quittai pour regagner ma hutte, le jour se levait.

“Le voyage a pris fin, murmurais-je, le voyage a pris fin. François a atteint le sommet; l’homme ne peut pas aller plus loin que la Crucifixion...”

Nikos Kazantzaki, Vie de saint François, pp342 - 345


Dans les parties à venir, nous considérerons avec piété les Stigmates de notre bienheureux père Messire saint François, qu'il reçut du Christ sur le saint mont Alverne ; et parce que les dits Stigmates furent cinq, conformément aux cinq plaies du Christ, ce traité aura pour cette raison cinq considérations.

La première sera la considération de la manière dont saint François parvint au saint mont Alverne.
La seconde sera celle de la vie qu'il mena et du séjour qu'il fit avec ses compagnons sur ledit mont.
La troisième sera celle de l'apparition du Séraphin et de l'impression des Stigmates.
La quatrième sera celle de la manière dont saint François, après qu'il eut reçu les Stigmates, descendit du mont Alverne et retourna à Sainte-Marie des Anges.
La cinquième sera celle de certaines apparitions et révélations divines desdits Stigmates glorieux, faites après la mort de saint François à de saints frères et autres personnes dévotes.


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