1887

II. - Angoisses

 

20 décembre

DERNIÈRE PROMENADE

BIEN FINIR

 

Le pauvre Don Bosco a la respiration pénible, et il est contraint de se mettre au lit à 7 heures du soir : il ne se lève qu'à dix heures aujourd'hui, après avoir entendu la Messe et reçu la sainte Communion.

Jusqu'à midi, il donne audience aux bienfaiteurs et à un certain nombre d'étrangers.

Voilà bien 40 ans qu'il consacre la matinée entière et une partie de la soirée à conseiller, à bénir, à consoler, à aider, à réjouir saintement tous ceux qui viennent le voir.

Ce moment a toujours été le plus rude labeur de sa vie. Ce matin, il est si faible, que la respiration parait près de lui manquer.

 

Dans l'après-midi, il voulut, malgré tout, sortir en voiture : ce fut la dernière fois. On dut le transporter dans son fauteuil. Jamais il n'avait consenti à cela, en dépit de toutes nos instances ; et cette pauvre satisfaction, hélas ! devait même nous être refusée désormais.

Don Bonetti et Don Viglietti s'installèrent à ses côtés, et la conversation s'engagea sur l'ardent désir que nourrissaient tous les confrères Salésiens, de soulager leur Père bien-aimé.

Don Bosco écoutait ; il sortit enfin de son silence attendri pour dire : Viglietti, dès que nous serons de retour à la maison, souviens-toi d'écrire en mon nom ces paroles qui sont pour tous les Salésiens :

Que les Supérieurs Salésiens aient toujours une grande bienveillance à l'égard de leurs inférieurs ; et surtout qu'ils traitent bien et avec charité les gens de service.

 

La promenade terminée, on arrivait presque devant l'église de Marie Auxiliatrice, quand un inconnu fait arrêter la voiture et se présente à Don Bosco qui se trouve en présence d'un brave homme de Pignerol. Un des premiers, il avait vécu à l'Oratoire parmi les enfants que Don Bosco y avait recueillis aux débuts de son zèle. Avec quel bonheur le revit son ancien Maitre, on le devine facilement.

Venu à Turin pour ses intérêts, il avait tenu à saluer Don Bosco ; et sachant qu'il allait passer, il avait trouvé plus commode de l'attendre sur le chemin ; Mon cher, lui dit le bon Père, comment vont tes affaires ?

— Heu ! heu ! par-ci, par-là ; priez pour moi.

— Et pour ce qui regarde l'âme, comment vas-tu ?

— Je tâche d'être toujours un digne fils de Don Bosco.

— Merci, bravo ! Dieu te récompensera ! De ton côté, prie pour moi.

Et après l'avoir béni, il le congédia en lui disant :

— Je te recommande le salut de ton âme : vis toujours en bon chrétien.

 

Quand Don Bosco fut dans sa chambre, où il avait fallu le transporter, il dit affectueusement à Berrone, sommelier de l'Oratoire, chargé de diriger la petite équipe des porteurs :

— Tu tiens compte, n'est-ce pas ? Je te réglerai tout à la fin.

Le docteur Albertotti, qui vint le voir à ce moment, le trouvant très fatigué, le fit mettre au lit. Il obéit. Tandis qu'il quittait ses vêtements, l'abbé Festa lui ayant demandé comment il se sentait, il répondit tout ému :

— Il ne me reste maintenant qu'à faire une bonne conclusion, qui termine bien le tout.

Comme on lui insinuait qu'un peu de repos aurait raison de son indisposition, il fit un signe de dénégation et répéta, en accentuant les paroles : Il ne me reste qu'à faire une bonne conclusion.

 

Dans la journée, il écrivit ce qui suit, sur une image : Maria, tu nos ab hoste protege et mortis hora suscipe (1). Et sur une autre, nous avons trouvé cette invocation en italien : Marie, à l'article de la mort, prêtez à mon âme votre puissant secours.

 

*

 

21 décembre

DIAGNOSTIC ALARMANT

 

Don Bosco va bien mal. L'estomac ne veut rien garder ; point d'appétit. Toute la journée se passe au lit, à cause de l'oppression, devenue plus pénible encore, et de la fièvre.

Le médecin nous jette dans l'angoisse. « Si le malade continue de ce train, tout sera fini en quatre ou cinq jours. »

L'infirme parait ne se douter rien ; il est tranquille et plaisante doucement.

Le soir, à 8h. 1/2, il nous dit :

— Aujourd'hui, vers 4 heures, j'ai cru que le moment était venu de partir. Je ne connaissais absolument plus. Je me sens beaucoup mieux maintenant.

Puis, après avoir pris une soupe légère, il s'adresse au secrétaire : Viglietti, donne-moi un peu de café à la glace.... mais surtout qu'il soit chaud, n'est-ce pas ?... Et il riait de bon cœur.

 

*

 

23 décembre

« JE M'EN VAIS À L'ÉTERNITÉ »

DON BOSCO ET SES FILS

LES DOCTEURS - LE CARDINAL ALIMONDA - LE CONFESSEUR.

 

Nos inquiétudes augmentent. Le bon Père ne peut supporter aucune nourriture.

Vers midi, il dit au secrétaire :

— Fais en sorte d'avoir un autre prêtre avec toi. J'ai besoin qu'il y ait toujours quelqu'un qui puisse me donner l'Extrême-Onction.

— Don Bosco, répondit le secrétaire, Don Rua est toujours dans la chambre voisine. Du reste, vous n'êtes pas malade à parler ainsi.

— Sait-on, reprit le malade, sait-on dans la Maison que je suis si mal ?

— Oui, Don Bosco, on le sait, non seulement ici, mais dans toutes les autres Maisons, et maintenant, dans le monde entier ; et partout on prie.

— Pour que je guérisse ? Je m'en vais à l'éternité !

 

Notre si bon Père est en proie à une vive émotion. À tous ceux qui l'approchent il indique une pensée à retenir, comme s'il devait les quitter.

Il multiplie les recommandations. À Don Bonetti : — Sois toujours le soutien de Don Rua ; au secrétaire : — Pense à préparer le saint Viatique. Nous sommes chrétiens : je fais volontiers le sacrifice de ma vie.

 

À midi et demi, trois catholiques belges demandent à le voir. Il y consent, pourvu qu'ils promettent de prier pour lui.

Après les avoir bénis, il leur dit :

— Promettez-moi de prier pour moi, pour les Salésiens et spécialement pour les Missionnaires.

Un de ses tout jeunes prêtres, venu pour le voir, reçut la commission suivante :

— Dis à ta mère que je la salue, et que je lui recommande d'élever chrétiennement sa famille ; qu'elle prie aussi pour toi, afin de t'obtenir la grâce de rester toujours un bon prêtre, et de sauver beaucoup d'âmes.

Il insiste beaucoup pour que tout soit prêt, quand il faudra l'administrer.

 

Vers 2 heures, se sentant plus mal, il murmure à l'oreille de Mgr. Cagliero : Ne manquez pas de dire à Monsieur L*** qu'il se souvienne de nos Missionnaires : à mon tour, je me souviendrai de lui et de son excellente famille. Priez tous pour moi. Je demande à tous mes confrères de prier pour moi, afin que je meure en grâce avec Dieu : je ne désire pas autre chose.... ; qu'ils aient tous une foi vive et qu'ils l'entretiennent par de saintes œuvres.

Les anciens de l'Oratoire,  Don Belmonte,  Don Lazzero, Don Berto, Rossi Joseph et Buzzetti, tous ceux que nous avons déjà nommés, et bien d'autres encore, se remplaçaient à son chevet. Il parlait avec difficulté, mais son accueil n'en était que plus affectueux. Ses cruelles souffrances ne parvenaient point à troubler la sérénité habituelle de son âme d'enfant ; et sur son lit de douleur, il avait les mêmes saillies aimables qu'aux jours de sa jeunesse.

Ne pouvant pas toujours parler à ceux qui lui rendaient visite, il portait parfois la main au front, pour leur faire au moins le salut militaire, ou tout autre signe d'amitié.

Souvent aussi, il indiquait le nouvel arrivant par ces mots : Le vois-tu ? C'est lui.

En donnant sa main à baiser, il pressait affectueusement celle du visiteur, en disant :

— Oh ! voilà mon ami ; tu es toujours mon ami.

Il n'oubliait rien. S'adressant à un de ses fils : Je sais, dit-il à voix très basse, je sais que ta mère se trouve dans le besoin. Parle en toute liberté et à moi seul, sans communiquer ton secret à qui que soit. Je te donnerai moi-même tout ce que tu jugeras nécessaire : personne n'en saura rien.

Il voulait savoir de tous l'état de la santé, si le froid n'éprouvait pas trop, si on manquait de quelque chose : et toutes ces questions, il les faisait avec le plus vif intérêt.

Il fallait le tenir au courant de tout. Monseigneur Cagliero avait mission de lui faire connaître l'ordre de la journée, les occupations de chacun, le travail plus important qui s'exécutait actuellement dans la maison. Il imposait à ses infirmiers le repos et la récréation.

 

Mais on avait peine à lui obéir : l'amour retenait à son chevet, comme invinciblement, ceux qui avaient la précieuse consolation de soigner leur Père bien-aimé. Que de fois sa profonde tendresse pour ses fils lui a fait répandre des larmes silencieuses, à la pensée de la séparation suprême ! Il répétait souvent, et quand il était encore dans la force de l'âge :

— L'unique sacrifice que j'aurai à faire à l'article de la mort, sera de vous quitter.

Combien et comment il aimait, nous ne pourrons jamais le dire ! Il cherchait par de gracieux petits mots, à détruire l'impression pénible que nous causaient ses souffrances.

Un des Supérieurs majeurs ne pouvait retenir sa douloureuse émotion en voyant le malade brisé par le mal.

— As-tu déjà goûté ? demande Don Bosco d'un ton moitié sérieux, moitié badin. Demande donc à Don Viglietti, s'il a goûté, lui.

On eût dit que chacun possédât son cœur tout entier.

Un jour, un jeune prêtre Salésien essayait de prouver à quelques confrères qu'il avait joui d'une particulière intimité avec Don Bosco. On l'écoutait en silence ; mais au bout d'un instant, un de ses auditeurs l'interrompit par ces mots : -

— Pour tous ceux qui sont ici, la démonstration est inutile : chacun d'eux pourrait en dire autant et croit avoir été le préféré.

— C'est la vérité, s'écria l'assistance.

Et des milliers de personnes ont le droit de tenir le même langage.

 

À 3 h. 1/4, longue consultation médicale. Le docteur Albertotti, médecin-traitant, a voulu partager la responsabilité avec deux éminents confrères : M. Fissore, professeur à l'Université de Turin, et M. Vignolo. Don Bosco paraît un peu soulagé. Dieu seul peut reconnaître dignement les soins empressés, les innombrables visites de jour et de nuit, le dévouement infatigable et désintéressé, les marques de pieuse vénération de ces princes de la science ; ils ont pris rang parmi nos plus insignes bienfaiteurs. Notre bien-aimé Père ne pouvait les remercier que par des larmes.

 

À 4 h. 1/4, S. E. le cardinal Alimonda est introduit auprès du cher malade, qu'il embrasse avec une tendre et paternelle effusion.

Don Bosco ôte respectueusement son bonnet et dit : Éminence, je vous recommande de prier afin que je puisse sauver mon âme. Ce fut sa première parole. Il ajouta ensuite : Je vous recommande ma Congrégation ; puis se prit à pleurer.

 

Son illustre visiteur lui adresse alors une petite exhortation, lui parlant de la conformité à la volonté de Dieu, et l'engageant à se souvenir qu'il avait beaucoup travaillé pour la gloire de ce bon Maître.

Mais s'apercevant à ce moment que le malade tient encore son bonnet à la main, Son Éminence elle-même voulut le lui remettre sur la tête. Don Bosco, extrêmement ému, ne peut que répondre :

— J'ai toujours fait tout ce que j'ai pu. Qu'il en soit de moi selon la sainte volonté de Dieu.

— Il en est peu, fait observer le Cardinal, qui puissent parler comme vous à l'article de la mort.

Don Bosco l'interrompit :

— Temps difficiles, Éminence ! J'ai passé des temps difficiles.... Mais l'autorité du Pape... l'autorité du Pape ;  je l'ai dit à Mgr. Cagliero, ici présent, pour qu'il le répète au Saint-Père : les Salésiens sont pour la défense de l'autorité du Pape partout où ils travaillent, partout où ils se trouvent.

Et le malade prononçait ces mots avec un air enflammé.

— Oui, cher Don Bosco, répondit Mgr. Cagliero, qui se tenait au pied du lit ; Je me souviens : soyez sûr que je ferai votre commission au Saint-Père.

— Mais vous, Don Bosco,  reprit le Cardinal, vous ne devez pas craindre la mort ; vous avez recommandé si souvent aux autres de se tenir prêts.

— Il nous en parlait sans cesse, poursuivit Mgr. Cagliero ; c'était même le thème préféré de ses entretiens.

— Je l'ai dit aux autres, ajouta l'humble prêtre ; et j'ai besoin maintenant que les autres me le disent.

Après avoir béni le malade, Son Éminence ne voulut point prendre congé de lui sans l'avoir embrassé à plusieurs reprises.

 

À 5 heures, arrive le confesseur de Don Bosco, M. l'abbé Giacomelli, son condisciple au Séminaire ; on les laisse ensemble quelques instants.

Quel souvenir nous rappelait ce bon prêtre ! Au cours d'une maladie mortelle qu'il fit en 1885, son pénitent lui avait dit en notre présence : — Sois joyeux ; ne crains rien ; ne sais-tu pas que c'est toi qui dois assister Don Bosco à ses derniers moments !

 

*

 

24 décembre

LE SAINT VIATIQUE - « QUE JE PUISSE SAUVER MA PAUVRE ÂME. »

 

Le matin, à 7 h. et demie, tout est prêt pour l'administration du saint Viatique.

Don Bosco dit avec larmes aux prêtres qui l'entourent :

— Aidez-moi, aidez-moi vous autres, à bien recevoir Jésus... moi je suis confus... In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.

Quand il aperçoit Mgr. Cagliero, lui apportant le saint Viatique, ses larmes redoublent. Quel spectacle ! Don Bosco, revêtu de l'étole, rassemble à un ange. Nous renonçons à décrire ce moment. On n'entendait que les sanglots des assistants ; Monseigneur lui-même ne put se contenir.

Vers 10 heures, le vénéré malade dit à Don Durando qui se trouvait près de lui :

— Je te charge de remercier en mon nom les médecins, de tous les soins qu'ils m'ont prodigués avec une si grande charité.

 

Dans l'après-midi à 4h. 1/2, S. E. le cardinal Alimonda vient en personne prendre des nouvelles. Depuis ce matin on constate une amélioration bien marquée. La respiration est plus libre ; grand calme, sommeil réparateur.

À 10 heures Don Bosco sort d'un long silence et dit à Don Rua : — Je voudrais auprès de moi cette nuit un autre prêtre avec Don Viglietti : je crains de ne pas aller jusqu'à demain.

À 11 heures, Mgr. Cagliero lui administre l'Extrême-onction. Don Bosco avait déjà prié qu'on obtint pour lui la bénédiction du Saint-Père ; Monseigneur la demanda par dépêche avant de se tendre à l'église pour la Messe de minuit.

Le malade parlait de l'éternité et donnait des avis sur différents points importants. S'adressant à Monseigneur, il lui dit avec larmes :

— Je ne demande au Seigneur qu'une chose, c'est de pouvoir sauver ma pauvre âme. Je recommande de faire savoir aux Salésiens qu'ils doivent travailler avec zèle et ardeur : travail, travail ! Employez-vous toujours et sans relâche à sauver les âmes.

 

*

 

25 décembre

LE PAPE ET DON BOSCO

 

À midi, on annonce M. le chanoine Bosso ; Supérieur de la Petite Maison de la Providence, fondée par le vénérable Cottolengo.

Don Bosco lui rappela leur première rencontre à Châteauneuf d'Asti, alors que le chanoine d'aujourd'hui était encore un tout jeune enfant.

Dans l'après-midi, un télégramme du cardinal Rampolla apporte la réponse à la supplique de Don Bosco, en des termes qui disent la grande bienveillance du chef de l'Église pour notre vénéré Fondateur, et le vif intérêt qu'inspire à Sa Sainteté un état si grave :

« Monseigneur Cagliero, Turin. – Le Saint-Père, affligé de la maladie de Don Bosco, prie pour lui, et lui envoie la bénédiction demandée.

M. Card. RAMPOLLA. »

 

Le soir, notre bien-aimé Père reçut la visite de NN. SS. Bertagna ; évêque titulaire de Capharnaüm, auxiliaire du Cardinal, .et Loto, évêque de Samaria.

Les Évêques de Casale, Fossano et Coni étaient déjà venus quelques jours avant.

Tous ces jours-ci, notre petite espiègle de la Terre de Feu est singulièrement affectée des alarmes que fait naître le péril où se trouve Don Bosco. Elle court sans cesse à la Supérieure pour savoir des nouvelles :

— Don Bosco est malade !

C'est son cri de tous les instants. Elle passe presque sa journée à l'église à prier devant le Saint-Sacrement pour la guérison de son bienfaiteur. Les larmes qui baignent son visage cuivré attestent sa gratitude et sa douleur.

 

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26 décembre

DERNIÈRE VISITE DU CARDINAL ALIMONDA

 

Don Bosco est un peu mieux. L'ancien élève dont nous avons déjà parlé et qu'il avait invité à venir passer à l'Oratoire les fêtes de Noël, vient faire sa visite d'adieu. À genoux près du lit, cet ami des premiers jours semble oublier tout ce qui l'entoure pour concentrer sa pensée sur le douloureux spectacle offert à sa vue ; il ne sait que répéter : — Oh Don Bosco ! Oh Don Bosco !

 

Cependant le malade le bénit, lui et son tout jeune fils : son regard levé vers le ciel, leur indique le rendez-vous.

Quand ils eurent quitté la chambre, notre si bon Père appelant Don Rua, lui dit :

— Tu sais qu'il n'est pas riche ; tu leur paieras le voyage à tous les deux, en mon nom.

À 4 h. 3/4 S. E. le cardinal Alimonda vient voir son ami une fois encore avant son départ pour Rome. Notre vénérable Archevêque ne peut retenir ses larmes : il embrasse plusieurs fois et bénit avec effusion le cher malade.

On annonce ensuite la Supérieure générale des Filles de Marie Auxiliatrice, accompagnée d'une Assistante. Elles demandent une suprême bénédiction.

— Oui, murmure Don Bosco, je bénis toutes les Maisons des Filles de Marie Auxiliatrice, la Supérieure générale et toutes les sœurs ; qu'elles mettent tout en œuvre pour sauver beaucoup d'âmes.

 

Vers le soir, il dit à Mgr. Cagliero :

— Je désire que tu restes en Italie jusqu'à ce que toutes les affaires de la Congrégation soient arrangées, après ma mort.

Dans la nuit, il prie l'Évêque Salésien de le bénir.

 

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27 décembre

DOUCE HUMEUR

 

Saint Jean l'Évangéliste, patron de Don Bosco. Le bon Père peut entendre la sainte Messe et communier.

Vers midi, on voulait arranger un peu son lit. On cherchait le moyen de le secouer le moins possible. Voyez, dit-il plaisamment à Don Belmonte, faites comme ceci : attachez-moi une corde au cou et tirez-moi d'un lit à l'autre. Il fallait lui imposer presque tous les jours la dure fatigue de ce changement de lit ; et toutes les précautions imaginables n'empêchaient pas qu'il n'eût à souffrir de mille manières au cours de l'opération. Mais sa douce humeur n'est pas altérée le moins du monde.

Quand on lui demande :

— Je vous ai fait mal, n'est-ce pas, Don Bosco ?

Il répond avec un sourire :

— Oh ! certainement, tu ne me fais pas du bien.

 

Dans la soirée, il reçoit la visite de M. l'abbé Tinetti, directeur de l'Unità Cattolica, et lui dit d'une voix éteinte :

— Comme par le passé, je vous recommande la Congrégation Salésienne et nos Missions.

Il ajoute encore quelques paroles de grande bienveillance, et l'assure que leur amitié se continuera en paradis.

 

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28 décembre

DON BOSCO NE VEUT PAS DEMANDER SA GUÉRISON

COMMENT ON PRIE POUR LUI - LES DOCTEURS

 

Ce matin les médecins sont beaucoup plus contents de leur malade.

Signalons un détail qui a bien son importance. Don Bosco, supplié de demander à Dieu la santé, n'a jamais voulu y consentir. Sa réponse était constamment la même : — Qu'il en soit de moi selon la sainte volonté de Dieu.

Il répète avec ferveur les oraisons jaculatoires qu'on lui suggère ; mais si quelqu'un vient à dire :

— Très Sainte Vierge Marie, faites-moi guérir !, il se tait.

Les journaux de tous pays, tenus au courant par leurs correspondants, publient le bulletin de l'état de Don Bosco. L'Oratoire est continuellement assiégé par une foule avide de savoir les nouvelles. À tout instant on apporte des télégrammes ; les directeurs de nos Maisons d'Italie, de France et d'Espagne arrivent successivement.

Nous apprenons que dans le monde entier on adresse à Dieu de ferventes prières publiques et privées, des neuvaines et des triduums.

 

Il n'y a pas de communauté où l'on ne s'efforce, par les plus ardentes supplications et par les rigueurs de la pénitence, de retenir Don Bosco sur la terre.

Dans beaucoup de nos Maisons, on a organisé l'adoration diurne et nocturne devant le Saint Sacrement exposé.

Nos chers Coopérateurs en particulier n'ont rien épargné pour conserver notre Père bien-aimé. Larmes, prières, sacrifice de la vie, promesses et vœux, en un mot toutes les formes de la piété filiale, torturée par la pensée de l'épreuve, tout a été employé avec les saintes obstinations de cet amour qui est fort comme la mort.

 

Cet élan admirable des cœurs serait tout naturel s'il s'agissait seulement des enfants de la famille religieuse ; mais ce sont tous les chrétiens unis à Don Bosco par le dévouement aux œuvres chrétiennes, qui ont fait violence au ciel. Beaucoup d'entre eux n'ont eu que leur foi pour connaitre et apprécier ce bon Père ; et au milieu des soucis de leurs affaires, la pensée de ce vieillard courant à la récompense, a donné à leurs supplications une puissance à laquelle Dieu ne pouvait résister complètement.

 

Ce matin, une personne de la haute société turinaise est venue tout exprès à l'Oratoire pour prendre des nouvelles de Don Bosco. Le portier, après l'avoir introduite au parloir, lui tendit l'Unità Cattolica du jour, qui annonçait une amélioration. La noble visiteuse répandit des larmes de joie, puis mit sa bourse dans la main du portier, en disant : Oh ! Dites à Don Bosco de se rétablir promptement et remettez-lui cette offrande. La bourse contenait 400 francs en or.

 

Le cher malade prie souvent les médecins de lui dire clairement son état, parce que, ajoute-t-il, sachez que je ne crains rien. Je suis tranquille et tout préparé.

Et il a toujours envisagé avec le même calme le départ suprême.

Don Albéra, supérieur de l'Oratoire St-Léon à Marseille, lui disait :

— C'est la troisième fois, Don Bosco que vous allez sur le seuil de l'éternité : les prières de vos fils vous ont toujours ramené en ce monde. Je suis certain qu'il en sera de même cette fois encore.

— Cette fois-ci je ne-reviendrai plus ! répondit D. Bosco.

 

Les souvenirs qu'il aime à donner depuis quelques jours et qu'il fait écrire, peuvent se résumer dans ces deux pensées : – Dire aux, confrères d'exciter leur foi – leur recommander l'exacte observation des Règles.

Un correspondant de journal, venu à l'Oratoire pour prendre des informations précises, eut la bonne fortune de les recueillir de la bouche même du docteur Fissore, qui s'exprima en ces termes : « Don Bosco est perdu ; pour nous, nous n'avons plus aucune espérance de le sauver. Il est atteint d'une affection cardio-pulmonaire ; le foie est attaqué ; la mœlle épinière présente une complication qui engendre la paralysie dans les membres inférieurs. Il ne peut plus parler. » Enfin les reins et les poumons sont également pris. Cette maladie n'a aucune cause directe. Elle est le résultat d'une faiblesse générale, d'une existence usée par d'incessants labeurs mêlés de continuelles inquiétudes. Don Bosco s'est consumé dans un travail au-dessus de ses forces ; il ne meurt pas de maladie ;  c'est une lampe qui s'éteint faute d'huile. »

 

*

 

29 décembre

BÉNÉDICTIONS

 

Ce soir, cela va bien mal.

Notre bien-aimé Père fait appeler Don Rua et Mgr. Cagliero, et rassemblant le peu de forces qui lui restent encore donne les avis suivants, en priant de les transmettre à tons les Salésiens : Arrangez toutes les affaires. Traitez-vous toujours en frères, aimez-vous, aidez-vous, supportez-vous mutuellement. Le secours de Marie Auxiliatrice ne vous manquera jamais. Recommandez à tous mes enfants mon salut éternel et priez. Alter alterius onera portate... Exemplum bonorum operum... Je bénis les Maisons d'Amérique, Don Costamagna,,Don Lasagna, Don Fagnano, Don Tomatis, Don Rabagliati ; Monseigneur Lacerda et tous les miens du Brésil ; Mgr. l'Évêque de Buenos-Ayres et Mgr. Espinosa ; Quito, Londres et Trente ! Je bénis Saint-Nicolas, tous nos bons Coopérateurs et leurs familles : je me souviendrai toujours du bien qu'ils ont fait à nos Missions.

 

Vers les 10 heures, Mgr. Cagliero donne la bénédiction papale au vénéré malade, qui pria l'Évêque Salésien de réciter l'acte de contrition en son nom. Il dit ensuite :

— Propagez la dévotion à la Très-Sainte Vierge dans la Terre du Feu. Si vous saviez combien d'âmes Marie Auxiliatrice veut gagner au ciel par le moyen des Salésiens !

Le reste de la nuit, Don Bosco est beaucoup plus calme. Il repose.

Nous recevons des nouvelles de Rome. À notre Maison du Sacré-Cœur c'est un va-et-vient continuel de princes, de prélats, d'évêques et de cardinaux qui demandent des nouvelles de D. Bosco. Le Saint-Père lui-même a daigné en faire prendre.

Dans tous nos établissements on constate la même affluence. À Barcelone, pour satisfaire tout le monde, on a dû établir trois centres d'information.

À Paris, la maladie de Don Bosco fait connaître toujours plus notre Oratoire de Ménilmontant.

 

Appelé par télégraphe, Don Sala, Économe général de la Société, arrive de Rome et se rend aussitôt auprès de Don Bosco qui le reconnaît. Don Sala lui annonce que ses fils de Rome prient pour lui, et que le cardinal Parocchi, notre protecteur, très affligé de l'état de notre vénéré Père, lui envoie sa bénédiction.

Don Bosco remercia et dit ensuite d'une voix faible : — Pour tout ce qui regarde l'ordre matériel des Maisons, tiens toujours Don Rua soigneusement informé.

— Je le ferai. Et maintenant, je suis tout à votre disposition ; si je puis vous être utile en quelque manière, ce sera pour moi un bonheur.

— Oui, reprit Don Bosco, tu me feras plaisir et tu soulageras mon infirmier ; du jour où je me suis mis au lit, il ne manque jamais de venir me voir de temps en temps, même la nuit.

 

*

 

30 décembre

LES ÉTRENNES

 

À la veille du jour de l'an, Don Rua, comme d'habitude, demande à Don Bosco quelles étrennes il veut donner aux enfants. Le bon Père répond :

— Dévotion à la T. S. Vierge et fréquente Communion. Pour ce qui est des Salésiens, il répète une fois de plus : – Je recommande le travail, le travail !

 

Don Cerruti annonce qu'une baronne de Gênes est allée à notre Maison de Sampierdarena faire une offrande de 400 francs, en suppliant de prier, de prier encore et de prier toujours pour la guérison de Don Bosco. Il ajoute qu'il a envoyé à cette généreuse bienfaitrice, avec l'expression de sa reconnaissance, la bénédiction donnée par Don Bosco malade.

— Oui, je la bénis du fond du cœur, répondit-il tout ému.

 

 

(1) Marie, protégez-nous contre l'ennemi, et à l'heure de la mort, recevez-nous.