1860

Comment un gentilhomme devint jésuite

 

 

Un jeune gentilhomme de Turin, de grande famille, frère d'un Cardinal, donnait pas mal de souci à sa mère, assez peu flattée de voir l'écervelé mêler son nom à une foule d'aventures extravagantes. Les remontrances affectueuses de la pauvre femme prenaient, invariablement, le chemin des oubliettes, et le lion du jour enfilait sans cesse de nouvelles sottises.

Comme on était à la veille des exercices spirituels qui se donnaient, dès cette époque, à l'Ermitage de St.-Ignace, dans les vallées de Lanzo, Madame de X***, à bout d'expédients, risqua un nouveau conseil :

— Si tu allais faire une retraite à St.-Ignace ?

— Je veux bien, à condition que je puisse payer mes dettes.

— Et il te faudrait, pour cela ?

— Oh ! une bagatelle : quelques milliers de francs.

La mère, heureuse de cette lueur d'espérance, s'exécuta, en soupirant un peu, pour la forme.

Elle savait que Don Bosco devait se rendre à cette retraite, et cette pensée seule, de la rencontre de son jeune fou avec l'homme de Dieu, la remplissait de joie.

Notre gentleman, fidèle à sa promesse, se met en route. Or Don Bosco était précisément dans la voiture.

On cause amicalement. Au bout de quelques instants, le jeune homme s'aperçoit que le Père est souffrant ; et, apprenant que trois gros furoncles sont la cause de ce malaise :

— Mais, Don Bosco, lui dit-il, demandez donc votre guérison ! Un retraitant ne doit pas être malade : cela gêne.

— Moi ! je ne dirais pas seulement un Ave Maria pour être soulagé.

— Vous êtes sans doute enchanté d'être dans ce bel état ?

 

Don Bosco se contenta de sourire.

Surprise du jeune homme, qui devint pensif.

Sur ces entrefaites, un violent orage éclate, et le pauvre Don Bosco, déjà bien éprouvé par les cahots de la voiture, arrive à St -Ignace en fort mauvais état.

Cela ne l'empêche nullement de suivre les exercices, sans en manquer un seul. Mais, bientôt, ses forces le trahissent, et il tombe évanoui, à la chapelle, où il avait voulu se tenir à genoux.

Notre jeune homme se trouvait placé à côté de lui. Il le reçoit dans ses bras, le porte délicatement dans sa chambre, le met sur son lit, et lui prodigue les soins les plus attentifs.

Don Bosco ne tarde pas à revenir à lui. Il sourit doucement à son infirmier improvisé, puis, le prenant par la barbe, il l'attire, peu à peu, sur sa poitrine, en lui disant avec un air de singulière affection :

— Eh bien ! je vous tiens maintenant : que vais-je faire de vous ?

Le jeune gentilhomme, d'abord surpris de cette caresse toute paternelle, est profondément ému ; il fond en larmes.

On devine que la confession suivit de près ce mouvement de la grâce : l'écervelé était converti.

 

Après la retraite, il voulait se retirer chez Don Bosco, et, peut-être, entrer dans sa famille spirituelle. Mais Don Bosco l'envoya passer quinze jours chez les PP. Rosminiens.

Il obéit, et revint, après le temps fixé, pour s'entendre dire :

— Maintenant, vous pouvez aller chez les Jésuites : Dieu vous y appelle.

Il y est encore, et occupe, dans la Compagnie, une place dont ses vertus et son esprit élevé le rendent éminemment digne.