L'Oratoire

 

 

Don Bosco n'ayant plus la jouissance du petit appartement que lui avait autrefois concédé la marquise Barolo, avait résolu, pour éviter une perte de temps fâcheuse, de se loger à l'Oratoire même et, dans ce but, il avait loué, à Pinardi, quelques petites chambres tout à fait à proximité de la chapelle.

Alors, ne voulant introduire personne pour les soins nécessaires du ménage, il appela à lui sa mère.

Le fils procède de la mère ; mais il semble que, plus tard, la mère procède en quelque sorte du fils, surtout quand ce fils est revêtu de la majesté du sacerdoce.

Marguerite Bosco vénérait son fils autant qu'elle l'aimait. Elle connut par une illumination certaine, la grandeur de l'œuvre à laquelle il s'était voué. Avec une simplicité admirable, elle n'hésita pas à quitter ce toit qui avait abrité son bonheur d'épouse. Elle renonça à la vie paisible qu'elle menait à la campagne, pour venir partager le rude labeur du prêtre et soigner sa famille d'adoption.

Ce fut le trois novembre 1846 que la mère et le fils quittèrent les Becchi. Ils partirent à pied, le bâton à la main, l'un ayant son bréviaire sous le bras, l'autre chargée d'un gros panier de provisions. On avait mis en poche le peu d'argent qu'on possédait, et ce n'était pas lourd.

Un peu avant d'arriver, en traversant le Rondo, ils rencontrèrent l'abbé Vola, qui, plus d'une fois, avait donné un coup de main à Don Bosco pour les classes du soir et le catéchisme des enfants.

— Comme te voilà fatigue, mon pauvre ami ! Où vas-tu ainsi ?

— Nous allons, ma mère et moi, nous établir à l'Oratoire.

— Mais tu n'as ni position ni ressources que je sache : comment vas-tu te tirer d'affaire !

— Je n'en sais rien, la Providence y pourvoira.

Alors le bon abbé Vola, touché de tant de foi et de courage :

— Je n'ai que ma montre, mais je veux que tu la prennes comme première mise de fonds ; et il donna sa montre à Don Bosco.

Le lendemain la montre fut vendue ; car il avait bien fallu trouver le mobilier élémentaire du nouveau ménage.

Mais d'autres dépenses étaient urgentes : il y avait le loyer ; puis quantité d'enfants devaient nécessairement être assistés. L'un n'avait pas de place, et il aurait forcément jeûné sans la bonne écuellée de soupe que lui octroyait Mme Marguerite Bosco ; un autre était, comme vêture, dans un état si primitif, qu'on ne pouvait se dispenser de lui fournir le nécessaire.

Don Bosco vendit alors quelques lopins de vigne et de terre qui composaient tout son avoir.

La mère fit venir ses présents de noce. Elle avait jalousement conservé le beau linge et quelques bijoux reçus alors, et elle y tenait comme au plus doux souvenir.

Sans hésiter, elle en vendit une partie, et, le reste alla orner l'autel de la Sainte Vierge.

Autour de Marguerite Bosco vinrent se grouper bientôt quelques saintes femmes dont la plus excellente fut la mère de l'illustre archevêque de Turin. Il n'est pas de paroles qui puissent rendre le dévouement de ces infatigables coopératrices que les travaux les plus humbles et les plus rebutants ne lassèrent jamais, quand il s'agissait de ces chers enfants.

Installé ainsi à l'Oratoire (commencement de 1847), Don Bosco travailla sans relâche à perfectionner son œuvre.

C'est à cette époque qu'il fit un Règlement, véritable modèle du genre, qui, depuis, a été adopté dans beaucoup d'écoles, même non salésiennes.

Il institua parmi les enfants des officiers, choisis parmi les meilleurs, les plus intelligents et surtout les plus pieux.

Chaque officier eut sa charge particulière comme aussi sa part de surveillance et de responsabilité. Il mit le plus grand soin à les former afin qu'ils pussent, à leur tour, former les autres enfants. La conduite à tenir pendant les offices, pendant les classes, pendant les récréations, fut minutieusement réglementée.

Et pour inciter de plus en plus les enfants à la piété, il créa parmi eux une Compagnie de Saint-Louis de Gonzague, dans laquelle ce saint est proposé pour modèle dans toutes les circonstances de la vie.

Le digne archevêque de Turin, Monseigneur Pranzoni, approuva cette compagnie ; il encourageait d'ailleurs de tout son pouvoir les efforts de Don Bosco et, comme preuve d'intérêt, il voulut venir donner la confirmation aux enfants, dans la chapelle même de l'Oratoire du Valdocco.

C'est le vingt-neuf juin 1847, fête des SS. Apôtres Pierre et Paul, qu'eut lieu cette fête, à laquelle on s'ingénia à donner toute la pompe imaginable.

Des draps dissimulèrent ce que les murs de la chapelle pouvaient avoir de trop incorrect ; des fleurs et de la verdure complétèrent la décoration, et un arc de triomphe en branchages fut dressé au-devant de la porte. Il arriva bien que Monseigneur, une fois en chaire, dut quitter sa mitre, le plafond se trouvant un peu trop bas ; mais les Paroles qu'il prononça n'en électrisèrent pas moins son jeune et enthousiaste auditoire.

 

Ces résultats ne suffisaient pas encore au cœur du prêtre, devenu le père de famille le plus tendre et le plus vigilant. Il soupirait en voyant que beaucoup de ses enfants, par suite de leur position précaire et d'un travail aléatoire, se trouvaient parfois sans asile, obligés alors d'aller coucher dans des écuries, des hangars, ou même de mauvais logis, plus redoutables encore pour eux. Rien ne pouvait leur être plus funeste que le milieu déplorable avec lequel ils se trouvaient forcément en contact. On sait combien la jeunesse est impressionnable, et plus d'un enfant fut ainsi perdu.

Pour parer à ce mal, Don Bosco se procura un fenil dans le voisinage de l'Oratoire. Il y fit mettre de la paille fraîche et quelques couvertures, et put ainsi faire coucher, du moins provisoirement, ceux de ses enfants qui se trouvaient sur le pavé. Quand les couvertures manquaient, il y avait des sacs. Ceux qui ont dormi sur la paille savent combien ces sacs sont précieux : on s'y introduit, et l'on a ainsi drap dessous et drap dessus.

 

Ce dortoir primitif rendait de véritables services ; mais le pauvre Don Bosco put bientôt constater que tout n'est pas roses dans le métier de logeur en garni. Tant qu'il se borna à recevoir les enfants qui fréquentaient l'Oratoire, tout se passa bien ; mais un jour, ou plutôt un soir, sa charité l'entraîna à donner l'hospitalité à une bande de mauvais garnements rencontrés dans les terrains vagues qui entouraient alors l'Oratoire.

Espérant les ramener au bien, il leur proposa le coucher. Mais le matin, quand il voulut aller leur dire quelques bonnes paroles, il trouva là place vide. Il ne restait plus ni une couverture ni même un sac : ils avaient tout emporté.

Cette mésaventure, loin de le décourager l'incita seulement à mieux faire.

Peu de temps après, – on était au mois de Mai et la divine Mère ne fut sans doute pas étrangère à l'événement – un malheureux orphelin se présenta à la porte de Don Bosco. C'était un apprenti maçon qui était venu à Turin pour chercher du travail. Les quelques sous qui composaient tout son pécule étaient épuisés depuis longtemps, et il n'avait encore rien trouvé.

La nuit arrivait, la pluie tombait à torrents ; l'enfant était mouillé jusqu'aux os, l'estomac aux talons. La maman Marguerite ne fut pas longue à allumer un grand feu ; elle fit sécher l'hôte que la divine Providence envoyait à leur foyer. Elle lui servit à souper ; puis elle installa une paillasse au milieu de la cuisine. Des draps et des couvertures complétèrent ce lit princier, et le pauvre enfant dormit, cette nuit-là, plus content qu'un roi Mais, tout en bordant la couverture, maman Marguerite glisse à l'oreille du cher petit quelques mots sur l'honnêteté, et le munit de bonnes pensées pour le temps du sommeil. C'est l'origine de la coutume touchante, qui s'est toujours continuée dans les maisons salésiennes, de terminer la journée, après la prière du soir, par une petite allocution faite aux enfants. On leur développe les idées les plus simples, mais aussi les plus pénétrantes. Faire rayonner sur de jeunes âmes les lueurs de l'amour infini, n'est-ce pas le moyen le plus sûre de les soustraire aux grossiers enlacements du mal !

Ce petit mot, tout maternel, est encore, comme aux premiers jours de l'Oratoire, un des ressorts les plus puissants de l’éducation Salésienne.

L'hôte de maman Marguerite fut donc le premier interne de l'Oratoire. Bientôt il en survint un deuxième, puis un troisième et jusqu'à sept.

Alors il fallut s'arrêter : il devenait impossible d'introduire un enfant de plus, si petit fût-il, dans le modeste logis qu'occupaient Don Bosco et sa Mère.

On n'était guère plus au large dans le local affecté aux réunions des enfants. Ils arrivaient en si grand nombre que, certains jours de fêtes, on en comptait jusqu'à huit cents.

Naturellement la chapelle, fort recherchée d'ailleurs par les voisins, ne pouvait pas tous les contenir, et beaucoup d'entre eux étaient obligés, pendant les offices, de rester dans les classes ou dans la cour.

Mêmes difficultés pour les récréations ; les enfants étaient tellement entassés que leurs jeux devenaient difficiles, parfois impossibles.

Il fallut aviser.

Don Bosco et son fidèle compagnon de travail, le Révérend abbé Borel, tinrent conseil, et ils n'hésitèrent pas à décider que le seul moyen de parer à ces inconvénients, c'était la création d'un second Oratoire.

Monseigneur ayant approuvé, on se mit à l'œuvre sans retard.

 

On loua un local convenable, au lieu où se trouve actuellement le cours Victor-Emmanuel II. Les belles rues, les riches habitations qui ornent aujourd'hui ce quartier n'existaient pas alors. On n'y voyait guère que des maisonnettes et même des masures éparses, où logeaient principalement des blanchisseuses, attirées par le voisinage du Pô.

L'endroit choisi était doublement favorable : d'abord on pouvait faire du bien à la population qui habitait ce quartier, ensuite on évitait à beaucoup d'enfants des courses longues pour l'aller et le retour chez eux.

Ce nouvel Oratoire fut appelé l'Oratoire Saint-Louis, en mémoire de la compagnie de Saint-Louis de Gonzague, récemment établie parmi les jeunes gens, et aussi pour honorer le vénérable archevêque de Turin qui portait ce nom.

Beaucoup de personnes du monde s'intéressèrent à sa fondation, et la favorisèrent de leur bourse ou de leur travail. De sorte que cette belle institution des Coopérateurs et Coopératrices fonctionna, en réalité bien avant qu'elle eût été établie dans toutes les règles, et même dès le début de l'œuvre ; preuve évidente de son utilité. Presque tous les objets nécessaires à la chapelle furent donnés, et des dames brodèrent de leurs mains la plupart des ornements sacrés.

L'ouverture de l'Oratoire Saint-Louis eut lieu solennellement le huit décembre 1847, anniversaire mémorable.

En effet, le huit décembre 1841, Don Bosco avait recueilli son premier enfant.

Le huit décembre 1844, il avait inauguré l'Oratoire de Saint-François de Sales, dans la maison de la marquise de Barolo.

Trois ans après, le huit décembre 1847, on disait la première messe à l'Oratoire de Saint-Louis.

On peut juger à quel point l'œuvre avait progressé pendant cette période relativement courte.

Deux maisons existaient. Elles étaient bien pauvrement installées, mais leur richesse devant Dieu était grande. Huit cents enfants recevant la parole de Notre Seigneur Jésus-Christ : quel merveilleux trésor !

Le clergé de Turin, encouragé par son digue archevêque, s'empressa de prêter son concours au nouvel Oratoire. Divers prêtres, sous la haute main du Rév. Abbé Borel, acceptèrent successivement les fonctions de directeur et d'aumônier ; d'autres aidèrent à faire les classes.

Cet état de choses dura jusqu'au moment où l'Oratoire de Saint-François de Sales put fournir des prêtres sortis de son sein, qui prirent définitivement la direction de la maison.

Cependant Don Bosco s'occupait, avec la plus grande activité, de son Oratoire de Saint-François de Sales, toujours installé dans le hangar et la maison Pinardi. Son rêve était de pouvoir fournir à un certain nombre d'enfants le coucher et la nourriture ; car beaucoup d'entre eux lui échappaient n'ayant pas d'abri assuré, et réduits à chercher péniblement le pain quotidien. Ils ne pouvaient même pas venir à l'Oratoire le dimanche, et les meilleurs efforts étaient paralysés par de si déplorables conditions matérielles.

Acheter la maison Pinardi n'était guère possible. On en demandait quatre-vingt mille francs, prix beaucoup trop élevé pour ses pauvres ressources. Il dut se borner à louer successivement toutes les chambres qui devenaient vacantes par le départ des locataires, et il s'ingénia à tirer parti, le mieux qu'il put, d'un local aussi insuffisant que mal agencé.

 

Survint l'année 1848 qui fut bien difficile. Les esprits étaient troublés et surexcités outre mesure, et les doctrines révolutionnaires faisaient tourner bien des têtes. Les enfants ne purent tous échapper à pareille influence ; quelques-uns furent entraînés et disparurent ; d'autres se montrèrent moins assidus et moins dociles.

Don Bosco redoubla d'efforts et de dévouement. Il pensa, avec raison, que rien ne serait plus capable d'attirer et de retenir les jeunes gens, que le soin avec lequel il s'occuperait de leur instruction. Aussi n'hésita-t-il pas à agrandir considérablement les écoles. Il put ainsi recevoir aux classes du soir plus de trois cents jeunes gens, chiffre vraiment considérable si l'on tient compte de la difficulté de les faire tous travailler avec fruit.

Par des prodiges d'industrie, Don Bosco était parvenu à établir, à l'Oratoire, quinze pensionnaires, nourris et couchés.

Il prit en outre cinquante enfants auxquels il donnait la nourriture seulement. Ces enfants allaient travailler à Turin et couchaient chez eux ; mais ils venaient prendre leurs repas à l'Oratoire, et l'on peut penser que Don Bosco ne manquait pas cette occasion de les réconforter par de bonnes paroles.

Pour qu'un plus grand nombre pût profiter de cet avantage, il les recevait par séries ; c'est-à-dire que cinquante enfants étaient admis à sa table depuis le dimanche matin jusqu'au samedi soir ; puis, la semaine suivante c'était le tour de cinquante autres.

Cette organisation était fort ingénieuse au point de vue du bien qu'elle pouvait produire et qu'elle produisit en effet. Mais on peut penser qu'elle entraîna un gros surcroît de besogne, dont tout le poids porta sur Don Bosco et sa mère.

Pendant que la bonne madame Marguerite se mettait bravement à la cuisine, s'occupait de tous les détails intérieurs, et trouvait encore le temps de réparer les vêtements des enfants, on pouvait voir Don Bosco faire les gros ouvrages de la maison, puiser de, l'eau balayer, scier le bois, allumer le feu, écosser les haricots, peler les pommes de terre. Et il ne dédaignait pas, le cas échéant, de ceindre le tablier et de confectionner lui-même la minestra. Ce jour-là, elle était acclamée comme particulièrement délicieuse.

Un pantalon à tailler et même à coudre n'était pas une entreprise au delà de ses moyens, et les réparations qu'il faisait parfois aux vêtements des enfants, si elles n'étaient pas d'une élégance suprême, étaient au moins remarquables par leur solidité.

Quant au réfectoire, il était des plus élémentaires. Chacun s'asseyait où il pouvait et comme il pouvait : les uns dans la cour, sur une pierre ou quelque pièce de bois, les autres sur les marches de l'escalier, et les écuelles se vidaient comme par enchantement.

Une source d'eau fraîche jaillissait tout à côté, et fournissait une boisson aussi salubre qu'abondante.

Le repas terminé, chacun lavait son écuelle et la mettait en lieu sûr ; quant à la cuillère, c'était un objet si précieux, que, faute d'un tiroir où l'on pût la déposer, on la gardait dans sa poche. Petite cour, humbles chambres ! Que de franche et douce joie dans ce pauvre ménage ! Don Bosco, après le Benedicite, avait coutume de dire à ses convives : « bon appétit » et cette innocente recommandation était immanquablement accueillie par un formidable éclat de rire.

La table de Don Bosco n'était pas meilleure que celle des enfants : de la soupe et du pain, du pain et de la soupe ; tel était le grand ordinaire de tout le monde. Aussi plus d'une fois, des ecclésiastiques, qui s'étaient offerts pour l'assister, ne purent supporter ce régime, par trop primitif, et se virent forcés d'y renoncer.

Outre le temps qu'il consacrait à son cher Oratoire, Don Bosco trouvait encore le moyen de donner, en ville, des répétitions particulières à des jeunes gens pauvres, chez lesquels il avait reconnu des aptitudes spéciales ou une vocation arrêtée.

L'excellence de sa méthode et son inépuisable patience en faisaient promptement des sujets distingués.

Il ne négligeait pas, pour cela, les visites aux prisons, à l'hôpital Cottolengo, celles des malades, les confessions, etc., et surtout il s'attachait à perfectionner et élargir son œuvre des classes du soir, qui paraissait répondre, tout spécialement, aux besoins du moment.

Il y introduisit d'une façon beaucoup plus sérieuse l'étude de la musique vocale et instrumentale. La voix charmante de quelques-uns de ces enfants, la perfection avec laquelle ils chantaient, frappèrent ces populations dans lesquelles le sentiment de l'art est comme inné.

C'était un attrait de plus et, en effet, le nombre des enfants allait toujours croissant.

Beaucoup de jeunes professeurs et d'organistes se formèrent à cette école, et acquirent un talent remarquable.

On peut dire que la culture de la musique est devenue un des cachets de toutes les maisons salésiennes. Dès qu'une fondation a eu lieu, on ne tarde pas à voir arriver un jeune organiste. C'est souvent un des enfants dont l'aptitude musicale s'est révélée, et qui continue à se perfectionner en donnant des leçons et en tenant l'harmonium aux offices.

C'est que la musique est un moyen précis de culture intellectuelle et morale, sans compter le relief qu'elle peut donner au culte dans les moindres chapelles.

La réussite de ces classes du soir était devenue un fait si éclatant, que la municipalité de Turin accorda à Don Bosco, comme récompense, un prix de six mille francs ; plus tard, un autre prix de mille francs pour la musique ; elle y joignit une bonne subvention annuelle qui a été payée jusqu'en 1872.

Les curés de Turin se montrèrent moins accommodants. Ils s'émurent de voir qu'un établissement privé faisait toutes les fonctions qui n'appartiennent qu'aux paroisses : premières communions, confirmations, etc.

Plainte fut portée à l'archevêché.

Mais Monseigneur, qui n'avait d'ailleurs jamais hésité dans l'appui accordé à Don Bosco, conféra régulièrement tous les pouvoirs, et l'Oratoire devint, comme il lui plaisait de le dire, la Paroisse des enfants abandonnés.

 

On comprendra difficilement que ce pauvre prêtre, si admirable dans sa mission apostolique, ait été poursuivi de la haine des sectes. C'est un point de ressemblance entre saint François de Sales et lui. On ne peut vraiment expliquer que par l'action diabolique, si apparente alors, les tentatives nombreuses qui furent faites pour assassiner Don Bosco. Nous dirons comment il échappa, d'une façon parfois merveilleuse, aux agressions, de ceux qui en voulaient à sa vie.

En 1849, les épreuves ne furent pas moindres. Toujours l'esprit de révolte soufflait ses mauvais conseils ; c'était une raison pour faire davantage.

Cette année-là, Don Bosco fonda à Turin un troisième Oratoire. Il l'établit dans le quartier Vanchiglia, alors fort pauvre et absolument privé d'église. Cet Oratoire fut appelé de l'Ange-Gardien. Plus tard, l'église de Sainte-Julie fut bâtie tout à côté, par la générosité de la marquise Julie de Barolo, et l'on y créa une Paroisse de laquelle dépend maintenant tout le quartier.

La guerre, commencée l'année précédente avec l'Autriche, avait de dures nécessités. Le gouvernement dut prendre, pour y loger des soldats, les bâtiments de divers séminaires, dont les clercs se trouvèrent obligés de sortir.

Don Bosco n'hésita pas à en recueillir le plus qu'il put, et l'Oratoire fut, pendant quelque temps, comme la succursale du séminaire diocésain.

Le nombre des pensionnaires logés et nourris, fut porté à trente.

À ce moment Don Bosco eut une grande joie : quatre des enfants de l'Oratoire revêtirent la soutane (octobre 1849).

Ce furent les premiers clercs de cette institution de Saint-François de Sales qui devait prendre un essor si rapide et si merveilleux.

Depuis l'année 1846 Don Bosco était locataire, d'abord d'une partie, puis de la totalité de la maison Pinardi. Au commencement de 1851, il en devint propriétaire, de la façon la plus inattendue.

Pinardi avait toujours dit qu'il ne céderait pas son immeuble à moins de quatre-vingt mille francs, prix évidemment exagéré. Un jour, il accoste Don Bosco, et d'un ton moitié plaisant :

— Eh bien ! Don Bosco, ne veut donc pas acheter ma maison ?

— Don Bosco l'achètera lorsque monsieur Pinardi voudra bien la lui céder à un prix raisonnable.

— J'ai dit quatre-vingt mille.

— Alors, n'en parlons plus.

— Qu'offrez vous donc ?

— On estime ce bâtiment vingt-six à vingt-huit mille francs ; j'en offre trente.

— Vous donnerez bien cinq cent francs d'épingles à ma femme ?

— Je ferai ce cadeau.

— Vous payerez comptant ?

— Je payerai comptant.

— Dans quinze jours, en un seul, payement !

— Comme vous voudrez.

— Cent mille francs à qui se dédit ?

– Va pour cent mille francs de dédit.

On se touche la main et le marché est conclu ; il n'avait fallu que cinq minutes.

Naturellement Don Bosco n'avait pas le premier écu de cette somme ; mais il s'agissait des enfants, et sa confiance était absolue.

En effet, à peine Pinardi était-il sorti, voilà qu'entre l'abbé Cafasso, apportant dix mille francs, don généreux de la Comtesse Casazza Ricardi.

Le lendemain, un Père Rosminien venait à l'Oratoire consulter Don Bosco sur l'emploi d'une somme de vingt mille francs, dont le placement lui avait été confié. Rien n'était plus simple. Le banquier Cotta ajouta trois mille francs pour les frais, et ainsi fut terminée cette grosse affaire.

La maison Pinardi était acquise et payée (dix-neuf février 1851).

Don Bosco pensa, tout aussitôt, à bâtir une église en l'honneur de Saint François de Sales. Celle qu'on avait improvisée était plus basse que le sol et, pour cette raison, humide. En outre, elle manquait tellement d'air que, plus d'une fois, pendant les offices, des enfants s'étaient trouvés mal, à demi asphyxiés.

Le plan fut dressé par l'ingénieur Blachier et, sans autre retard, on mit la main aux terrassements.

Toujours même absence de ressources ; mais toujours intervention visible de la divine Providence.

Une subvention inattendue de Victor-Emmanuel, de nombreuses aumônes et, enfin, une loterie, fournirent les fonds nécessaires.

Le vingt janvier 1852, l'église Saint-François de Sales fut solennellement consacrée.

 

Après avoir élevé un temple au Seigneur, Don Bosco s'occupa de la maison des enfants. Il fallait enfin les recueillir effectivement, et les arracher aux dangers de la rue.

On se mit sans retard à 1'œuvre, et des constructions importantes vinrent successivement se grouper autour de la chapelle.

Mais cet Oratoire de Saint-François de Sales, qui devait être l'asile de tant d'âmes innocentes, avides de la perfection et même de la sainteté, ne fut pas achevé sans avoir à subir, même matériellement, de rudes assauts.

Ce fut d'abord la terrible explosion d'une poudrière (vingt-six avril 1852), sise à cinq cents mètres de l'Oratoire. Il aurait pu être détruit de fond en comble : Des pierres de deux et trois cent kilos furent lancées en l'air, et d'énormes poutres enflammées vinrent tomber jusque dans la cour. Divers murs furent crevassés par la commotion, et l'on ne s'explique pas comment l'église, à ce moment presque terminée, put rester debout.

On répara ces dégâts, et, dès que l'église fut bénite, on commença la construction d'un grand corps de logis, tout à fait indispensable.

Cette bâtisse était presque achevée, les poutres des toits étaient placées, et les travées n'attendaient que les tuiles, lorsque survinrent des pluies diluviennes.

Dans la nuit du deux au trois décembre 1852, les murs, détrempés par la pluie, s'écroulèrent avec un fracas épouvantable.

Comme lors de l'explosion de la poudrière, personne de la maison ne fut blessé.

Le lendemain, une commission, envoyée par le Municipe, s'étant rendue sur les lieux, l'architecte se mit à examiner un énorme pilastre qui, dérangé de sa base, surplombait une pauvre maisonnette.

— Cette maison était-elle occupée la nuit passée, demanda-t-il ?

— J'y dormais avec trente de mes enfants, répondit Don Bosco.

— Alors, monsieur l'abbé, vous pouvez rendre grâce à la Madone : ce pilastre se tient debout contre toutes les lois de l'équilibre, et c'est merveille que vous n'ayez pas été tous écrasés.

L'année suivante, on put reprendre et terminer cette construction.

 

En 1860, alors que l'existence de l'Oratoire était peut-être plus sérieusement menacée que jamais, Don Bosco n'hésita pas à faire l'acquisition d'une grande maison qu'il fit exhausser, doublant ainsi l'étendue de l'orphelinat.

D'autres bâtiments furent ajoutés en 1862 et 1863. Enfin l’Oratoire de Saint-François de Sales fut complété par l'édification d'une magnifique église, dédiée à Notre-Dame Auxiliatrice. Don Bosco en posa la première pierre en 1865, et elle fut achevée en 1868.

On se remémora alors certaines paroles de Don Bosco, qui avaient passé inaperçues, mais dont la réalisation devint frappante.

En 1846, lorsqu'on creusait le fameux hangar du Valdocco pour le transformer en chapelle, les enfants, pendant les récréations, s'amusaient à monter sur la terre qui avait été extraite et amoncelée.

Un dimanche, Don Bosco gravit, à son tour, un de ces petits monticules, puis, s'adressant aux enfants groupés autour de lui : Rappelez-vous, leur dit-il, qu'un jour, à cet endroit même, s'élèvera l'autel d'une église ; vous viendrez y faire la Sainte Communion et chanter les louanges du Seigneur.

Or, l'autel de l'église de Notre-Dame Auxiliatrice se trouve à l'endroit précis qu'avait désigné Don Bosco.