CHAPITRE V

BIENHEUREUSE MORT DE SES SAINTS PARENTS. PERSECUTIONS QU'ELLE SOUFFRE.


Six mois après qu'elle fut entrée dans le Temple, son bienheureux père Joachim tomba malade. Dieu l'ayant révélé à la très sainte enfant, elle pria le Seigneur pour lui et lui envoya douze Anges pour l'assister et le consoler. Ayant appris le jour et l'heure à laquelle il devait mourir, elle lui envoya tous les anges de sa garde. Le saint non-seulement les vit, mais les reconnut pour les anges qui gardaient sa très chère fille Marie. Les Anges s'entretinrent avec lui de plusieurs mystères, et par le commandement de Dieu, lui révélèrent avant sa mort, que Marie avait été choisie par le Tout-Puissant pour être la mère du Messie, ce qu'il ignorait encore. Il fut chargé de porter cette heureuse nouvelle aux saints pères des Limbes. Lorsque les saints anges tenaient ce discours à Joachim, son épouse sainte Anne était présente l'assistant au chevet de son lit, et elle entendit tout par la permission divine. Quand ils eurent fini, saint Joachim perdit la parole, et commença à agoniser, partagé entre la joie d'une nouvelle si agréable et la douleur de la mort, il mourut paisiblement à l'âge de soixante-neuf ans et demi; à quarante-six ans il avait épousé sainte Anne et vingt ans après leur mariage, ils eurent la très pure Marie, qui avait trois ans et demi lors de la mort de son père. Le saint patriarche étant mort, les saints anges s'en retournèrent vers leur reine et lui apprirent tout ce qui était arrivé. La très sage fille cacha ce qu'elle en savait lorsque sa mère lui en envoya la nouvelle par une lettre écrite à sa maîtresse Anne la prophétesse. Ce fut la première affliction que ressentit la jeune Marie dans cet âge si tendre. Peu auparavant le Seigneur lui avait dit dans une de ses visions: Vous êtes ma bien aimée, et je vous aime d'un amour infini, c'est pourquoi je ne veux pas vous priver des plus grands trésors que je réserve à ceux que j'aime, savoir la croix et les afflictions. Elle répondit avec plus de fermeté de coeur que tous les saints et les martyrs, que s'il lui permettait de faire choix de quelque chose elle ne voulait que souffrir pour son amour jusqu'à la mort. Dieu agréa cette demande et après la peine extérieure de la mort de son père, il commença à l'exercer par des afflictions intérieures. Il la priva de la communication sensible des saints anges et des visions continuelles dont le Seigneur lui faisait part. Ses tourments furent plus grands que ceux de tous les saints ensemble; parce que son coeur aimait Dieu d'un amour incomparable et plus que tous les Séraphins. Craignant d'avoir perdu ses faveurs et les témoignages de son amour par sa négligence ou son ingratitude, elle s'affligeait au-delà de ce qu'il est possible d'exprimer. Elle aurait perdu mille fois la vie si Dieu ne la lui eût conservée par un miracle de sa puissance.

Ses afflictions s'accrurent de celles que lui suscita l'enfer Lucifer voyant une si grande Vertu dans cette jeune enfant commença à craindre que ce ne fut celle qui devait un jour lui écraser la tête. Il fit part à ses démons de ses soupçons et leur commanda de l'attaquer par les plus fortes tentations. Il mit tous ses moyens en oeuvre et redoubla toutes ses infernale suggestions. Marie le repoussa avec le bouclier invincible de l'oraison, et les armes si puissantes de la sainte Écriture s'apercevant que tous ses artifices et ses assauts intérieur ne pouvaient rien contre son coeur embrasé d'un pur amour Lucifer usa d'un autre moyen; ce fut d'irriter contre elle ses compagnes. Il leur suggéra la pensée qu'elles seraient comptées pour rien auprès de Marie et qu'elle seule serait estimée et aimée de la maîtresse et des prêtres. Ces mauvaises suggestions firent une telle impression dans le coeur de ces jeunes filles qu'elles commencèrent à la haïr, à la détester, à la mépriser et à la traiter d'hypocrite. Elles tinrent entr'elles une conférence où elles résolurent de lui enlever les bonnes grâces des supérieurs, et de la faire chasser du temple. Elles lui dirent mille imprécations et lui firent mille outrages. La très prudente Vierge répondit avec une profonde humilité qu'elle ferait tous ses efforts pour s'amender, mais ses douces réponses n'amollirent point le coeur de ses compagnes, parceque le Démon les irritait toujours davantage. Elles cherchaient toutes les occasions de la maltraiter et elles mirent en oeuvre mille moyens. Un jour, elles l'emmenèrent dans une chambre retirée, l'accablèrent d'outrages et même de coups. Elles haussèrent tellement la voix qu'elles furent entendues des prêtres du temple qui accoururent au bruit. Ils en demandèrent la cause, et elles répondirent toutes avec beaucoup d'indignation, qu'il n'était pas possible de vivre en paix avec Marie, que son caractère était terrible, qu'elle était hautaine et pleine d'hypocrisie. Les prêtres et la maîtresse la menèrent à une autre chambre et la reprirent avec sévérité, la menaçant de la congédier du temple. La très humble enfant avec une grande modestie, les remercia de leur réprimande et les pria de lui pardonner, promettant de se mieux conduire en toutes choses dans la suite. Elle s'en alla incontinent joindre ses compagnes, se prosterna à leurs pieds, et leur demanda pardon. Elles la reçurent dans leur compagnie, parce qu'elles crurent que cet acte était une punition imposée par les prêtres. Mais le dragon infernal augmenta la fureur de ces filles, et elles continuèrent à la discréditer avec un effronterie plus grande, inventant de nouveaux mensonges pour la perdre!

Le Très-Haut ne permit jamais qu'on inventât des choses considérables ni indécentes, mais seulement des choses puériles; tout cela donna occasion à Marie d'exercer les vertus, et surtout sa très grande humilité en ne se défendant jamais de ces fausses imputations. Dieu mit enfin un terme aux épreuves de son épouse immaculée. Il apparut en songe à Siméon et à Anne, leur faisant connaître que Marie était très agréable à ses yeux, et qu'elle était très innocente de tout ce dont on l'accusait. Après cet avis du Seigneur, ils appelèrent la très sainte enfant, et lui demandèrent pardon d'avoir trop facilement ajouté foi aux fausses accusations de ses compagnes. Elle leur répondit avec une humilité toujours plus profonde. Les prêtres ainsi désabusés, la persécution cessa, et le Seigneur adoucit le mauvais vouloir des filles qui la faisaient souffrir. Mais ses afflictions intérieures causées par l'absence de son bien-aimé Seigneur ne cessèrent pas. Elles durèrent dix ans pendant lesquels elle souffrit au-delà de tout ce qu'il est possible d'exprimer. Le Très-Haut, il est vrai, découvrit sa face dans cet intervalle, afin qu'elle reçut quelque soulagement, mais ce ne fut pas fréquemment. Cette absence si pénible était convenable, afin que Marie se disposât par l'exercice de toutes les vertus à la sublime dignité de mère de Dieu, à laquelle le Très-Haut la destinait de toute éternité.

A la douzième année de son âge, les anges lui manifestèrent que la fin de la vie de sa sainte mère Anne s'approchait. Dieu commanda à ses anges de porter réellement la sainte enfant auprès de sa mère malade, tandis qu'un d'entr'eux. prendrait sa place en prenant un corps aérien semblable au sien. Les anges obéirent au divin commandement et la très sainte enfant consola sa chère mère. Elle lui demanda sa bénédiction et la fortifia de ses saintes et ferventes paroles, et l'embrassa pour la dernière fois. Sa prudente mère ne lui découvrit pas le mystère du choix qui avait été fait d'elle pour être la mère du Messie attendu. Elle l'exhorta à ne pas sortir du temple avant d'avoir embrassé un état, à ne le faire qu'avec le consentement des prêtres du Seigneur, et si c'était la volonté de Dieu qu'elle se mariât, à prendre son époux dans la tribu de Juda et dans la famille de David. Elle lui recommanda de faire part aux pauvres de ses biens, et de demander incessamment au Tout-Puissant la venue du Messie. Sainte Anne avait un coeur magnanime, une intelligence élevée, une taille médiocre, quelque peu au-dessous de celle de sa très sainte fille Marie, le visage rond, la couleur blanche et vermeille, et les manières toujours égales. Elle vécut cinquante-six ans, à vingt-quatre ans elle se maria à saint Joachim, elle passa vingt sans enfants, à quarante-quatre ans elle mit au monde la sainte Vierge. Elle vécut encore douze ans, trois en sa compagnie, et neuf pendant qu'elle était dans le temple. Elle avait quarante-huit ans lorsque saint Joachim mourut. Quelques auteurs ont écrit qu'elle se maria trois fois, et qu'en chaque fois, elle fut mère d'une des trois Maries. Mais le Seigneur ne m'a révélé que son mariage avec saint Joachim; et ne m'a pas fait connaître qu'elle ait eu d'autre fille que la très sainte Vierge mère de Dieu.