CHAPITRE XXX

DES SAINTS EXERCICES DANS LE CÉNACLE AVANT LA PENTECÔTE.


La divine mère avait été laissée sur la terre pour diriger l'Eglise et être la maîtresse des apôtres, tous les fidèles rassemblés dans le cénacle la considéraient ainsi; mais la grande reine n'ouvrait jamais la bouche au milieu d'eux, si saint Pierre ou saint Jean ne le lui commandaient, car elle avait demandé à son divin fils et elle l'avait obtenu, de leur inspirer ses ordres, afin de pouvoir leur obéir comme à lui-même. Ensuite lorsqu'elle faisait ce qu'on lui avait ordonné, c'était comme leur humble servante et la dernière d'entre eux, et c'est ainsi qu'elle agissait et parlait avec les fidèles. Après être descendue du ciel, elle les consola tous avec bonté, les exhorta à bannir la tristesse et les remplit de consolation. Ils se réunissaient tous dans la salle deux fois par jour et après avoir reçu l'ordre de saint Pierre ou de saint Jean de parler, avec sa grande et incomparable modestie, elle employait une heure à leur expliquer les mystères de la foi, comme si elle s'entretenait avec eux et non comme si elle les enseignait, ni comme si elle était leur maîtresse ou leur reine. Elle expliquait le mystère de l'union hypostatique et tout ce qui est renfermé dans l'ineffable et divine incarnation. Après ce temps, elle leur conseillait de s'entretenir encore une heure sur les conseils, les promesses et la doctrine qu'ils avaient appris de leur divin maître, et de consacrer l'autre partie du jour à réciter vocalement le pater noster, avec quelques psaumes et d'employer le reste du temps à l'oraison mentale. Sur le soir, ils devaient prendre un peu de nourriture, du pain, des fruits, des poissons, afin de se disposer par ces prières et ces jeûnes à la venue de l'Esprit-Saint. Elle les excita à faire l'oraison mentale, en leur en faisant connaître l'excellence et la nécessité, parce que la plus noble occupation de la créature raisonnable est d'élever son esprit au-dessus des choses créées et de méditer les choses divines, et rien ne doit être préféré à ce saint exercice. La mère de la sagesse et la maîtresse de la charité donnait ses divines leçons, elle éclairait les esprit et enflammait le coeur des apôtres et des disciples, les remplissait de ferveur et les disposait, afin qu'ils fussent prêts à recevoir le Saint-Esprit et ses dons précieux. Elle leur enseignait, que le divin esprit se communiquerait à eux selon leurs saintes dispositions, afin qu'ils pratiquassent avec persévérance et courage les actes intérieurs et extérieurs des saintes vertus, comme les génuflexions, les prostrations profondes et les autres humbles adorations et actes de religion et de vénération, pour adorer la divine Majesté et la grandeur infinie du Très-Haut.

Chaque matin et chaque soir elle allait demander la bénédiction aux apôtres avec une profonde humilité, d'abord à saint Pierre et à saint Jean, ensuite aux autres par rang d'ancienneté. Ils furent tous étonnés au commencement de voir à leurs pieds la grande mère de Dieu et ils refusèrent de la bénir, mais comme mère de la sagesse qui possédait la plénitude de la science, elle leur fit connaître la grandeur de leur état comme prêtres, et la sublimité de la dignité sacerdotale, et que c'était à eux de la bénir et à elle d'être bénite. C'est pourquoi tous lui donnèrent leur bénédiction à la grande édification des fidèles. Les paroles de la sainte Vierge étaient douces, ferventes, agréables et efficaces pour toucher les coeurs de ces premiers fidèles, de sorte qu'elle les éclairait et embrasait avec une force divine et douce, pour leur faire pratiquer ce qu'il y n de plus saint et de plus parfait dans la vertu. Ensuite étonnés de ressentir eux-mêmes ces admirables effets, ils en conféraient entre eux et disaient: Nous trouvons véritablement dans cette pure créature la même doctrine et la même consolation dont nous avions été privés par l'abandon et l'absence de notre divin maître, de sorte que par ses oeuvres, ses paroles, ses conseils et sa conversation pleine de grâces, d'humilité et de douceur, elle nous enseigne et nous persuade comme nous l'éprouvions avec notre aimable rédempteur lorsqu'il s'entretenait avec nous; essuyons nos larmes puisque étant privés de notre divin maître, il nous a laissé cette mère et cette maîtresse. Lorsqu'ils allaient lui demander des conseils, il est impossible de dire avec quelle modestie, humilité et grande clarté elle les contentait, elle leur expliquait les choses mystérieuses et cachées avec tant de facilité et de clarté qu'ils étaient éclairés et satisfaits, parce que comme mère de la sagesse elle savait s'accommoder à la capacité de chacun. Oh! si les apôtres avaient laissé par écrit tout ce qu'ils apprirent et connurent de cette divine mère, ce qu'ils virent comme témoins oculaires, et ce qu'ils entendirent pendant le temps de sa vie et en particulier pendant les jours qu'ils attendirent l'Esprit-Saint, il est certain que nous aurions une connaissance plus étendue de la sublime doctrine et de l'incomparable sainteté de notre grande reine. Dans ce qu'elle expliquait et par les effets qu'elle produisait, on reconnaissait que son très-saint fils lui avait communiqué une sorte de divine vertu semblable à la sienne, quoique dans le Seigneur elle fut comme une fontaine dans sa source, et dans la très-pure Marie comme un canal, par lequel elle se communiquait et se communique à tous les mortels. L'épiscopat du malheureux Judas était, comme dit le prophète David, ps. 108, vacant par sa trahison et sa mort désespérée , il était donc nécessaire d'en pourvoir un autre qui fût digne de l'apostolat, car c'était la volonté du Seigneur qu'à la venue de l'Esprit-Saint le nombre de douze fut complet comme le divin maître l'avait fixé lorsqu'il les choisit. La sainte Vierge fit connaître aux onze apôtres cet ordre du Très-Haut, dans une conférence qu'elle leur fit. Ils approuvèrent tous unanimement ce qu'elle avait proposé, et ils la prièrent comme mère et maîtresse qu'elle voulût bien élire celui, qu'elle connaissait le plus digne et le plus propre pour l'apostolat. Quoique la grande reine sut bien celui qui devait être élu, car elle avait les noms de tous les douze dans son coeur très-pur et brûlant de charité, néanmoins elle connut par sa profonde sagesse qu'il était convenable de remettre ce soin à saint Pierre, afin qu'il commençât à exercer dans l'Église naissante l'office de souverain pontife et de chef universel de toute l'Église. Elle chargea donc avec humilité saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ, de faire cette élection en présence de tous les disciples et des autres, afin que tous le vissent agir comme chef suprême de l'Eglise. Saint Pierre fit ce que la divine mère lui avait dit.

Saint Luc dans les actes des apôtres décrit la manière de cette élection. Pendant les jours qui s'écoulèrent entre l'ascension et la pentecôte, saint Pierre ayant convoqué les cent-vingt personnes qui s'étaient aussi trouvées présentes à l'ascension du Seigneur, leur fit un discours où il leur annonça qu'il fallait accomplir la prophétie de David à l'égard de Judas, qui avait été choisi parmi les disciples comme apôtre, après avoir malheureusement prévariqué se pendit lui-même, et ayant crevé par le milieu du ventre ses entrailles se sont répandues, ce qui est notoire dans tout Jérusalem; il était donc convenable d'en élire un autre à sa place dans l'apostolat, pour attester la résurrection du sauveur, et qu'il devait être un de ceux qui avaient suivi Jésus-Christ dès le commencement de la prédication. Après avoir fini ce discours, tous les fidèles furent unanimes à obéir ù saint Pierre pour la manière dont il fallait faire ce choix, et il détermina qu'ils devaient en nommer deux d'entre les soixante-douze disciples. On le fit aussitôt, et Joseph, ordinairement appelé le juste, et Matthias furent élus: ensuite il dit que celui des deux qui serait désigné par le sort fut élu apôtre. Cela fut approuvé. On écrivit le nom de chacun sur des billets séparés, mais semblables, qu'ils mirent dans un vase. Ensuite ils firent au Seigneur une fervente prière, afin que celui qui était selon sa sainte volonté fût élu.

Saint Pierre se leva, il tira au sort un des billets et ce fut celui de saint Matthias, et tous reconnurent et acceptèrent aussi- tôt avec joie saint Matthias pour légitime apôtre de Jésus- Christ. La sainte Vierge, qui avait toujours été présente, lui demanda humblement la bénédiction, et tous les autres fidèles en firent de même à son exemple. Ensuite ils persévérèrent tous dans le jeûne et la prière jusqu'à la venue de l'Esprit-Saint.