CHAPITRE XXII

LA DERNIÈRE CÈNE.

Le Sauveur étant entré dans le cénacle avec ses disciples, la sainte Vierge y vint aussi avec quelques femmes pieuses. Le Seigneur lui dit de se retirer dans une autre partie de la maison, et d'instruire les femmes qui l'accompagnaient de tout ce qui était nécessaire, lorsqu'il célébrerait la cène, dont il n'exclut pas Judas. La sainte Vierge se retira donc dans une chambre avec les saintes femmes, et prosternée à terre elle fut élevée à une très-haute contemplation, où elle vit tout ce que son divin fils opérait et disait, et elle donna les instructions et les avis nécessaires aux saintes femmes, Après la cène légale, Jésus avec une profonde humilité et mm visage serein, lava les pieds à ses apôtres. il quitta le manteau qu'il portait sur sa robe sans couture, prit un linge, s'en ceignit d'un bout laissant l'autre extrémité libre, et il lava les pieds aux apôtres et même à Judas, et non-seulement il lava ses pieds avec une grande joie et bonté, mais il les essuya, les baisa et les pressa sur sa poitrine, en lui en- voyant dans son coeur des inspirations intérieures. Mais tout fut inutile, car en outre que le démon essayait d'empêcher l'action de la grâce dans Judas, il était encore tourmenté du scrupule de manquer de parole aux pharisiens, dans le pacte déjà fait avec eux, aussi dans ce moment il ne voulut pas même jeter un regard sur le visage divin de Jésus. Lucifer essaya de s'enfuir alors du coeur de Judas et du cénacle, car son orgueil ne pouvait supporter cette grande humilité, mais le divin maître ne le permit point. La demande que fit saint Jean à la sollicitation de saint Pierre pour connaître le traître, eut lieu à la cène, et le Seigneur lui indiqua ,‘par le signe d'un morceau de pain trempé dans le plat, le disciple infidèle. Plusieurs choses secrètes furent communiquées à saint Jean par le divin maître, pendant qu'il était penché sur sa poitrine sacrée, entre autre il lui recommanda sa sainte mère; c'est pourquoi sur la croix il ne lui dit pas : elle sera votre mère, mais seulement: voilà votre mère, manifestant alors publiquement ce qu'il avait déjà fait en secret dans la cène.

Après le lavement des pieds, Jésus ordonna de préparer une table plus haute, semblable à un autel, avec une nappe très-riche et très-belle, sur laquelle on mit un petit plat et une grande coupe en forme de calice, capable de contenir le vin nécessaire, suivant les desseins du Seigneur, qui avait préparé et disposé toutes choses par sa sagesse infinie. Le maître de la maison avait préparé tous ces vases si précieux et si riches par un mouvement intérieur de la grâce. Notre-Seigneur s'assit à table avec ses apôtres, il demanda du pain azyme, c'est-à-dire sans levain, et le mit dans le petit plat, ensuite du vin pur qu'il mit dans le calice, avec une petite quantité d'eau. La sainte Vierge considérait tout cela de sa retraite. Les anges conduisirent en ce lieu Elie et Hénoch par l'ordre du Seigneur, afin que les deux pères de la loi naturelle et de la loi écrite fussent présents à l'établissement de la loi évangélique. Le Père éternel avec le Saint-Esprit apparurent aussi dans le cénacle, comme au Jourdain et sur le Thabor, mais les apôtres ne les virent point, excepté saint Jean et la sainte Vierge. Après une longue prière, Jésus- Christ prit dans ses mains le pain , et il demanda intérieurement au Père éternel, qu'en vertu des paroles qu'il allait proférer, ce divin sacrement restât ensuite perpétuellement dans l'église. Il éleva les yeux au ciel avec une grande majesté, c'est-à-dire vers les deux personnes divines, il prononça les très-saintes paroles de la consécration sur le pain ensuite sur le vin, et par leur vertu ils furent changés au corps, au sang, âme et divinité de notre divin rédempteur. La grande reine adora de sa retraite son divin fils véritablement présent sous les saintes espèces, les anges qui étaient là présents, et ceux qui étaient restés dans le ciel l'adorèrent aussi. Le Seigneur éleva son très-saint corps et le sang précieux, afin que tous ceux qui étaient présents à ce premier sacrifice l'adorassent; ensuite il se communia lui-même comme souverain prêtre, il le fit avec un si grand respect et une si grande vénération, qu'il en éprouva comme une crainte dans la partie sensitive. L'effet admirable de l'Eucharistie dans le corps du rédempteur fut de faire rejaillir sur lui, pendant un peu de temps, la gloire de son âme comme sur le Thabor. Cette merveille fut seulement connue de la grande Mère et en partie d'Hénoch, d'Elie et de saint Jean. Après cette faveur faite à son corps, la sainte humanité renonça à tout autre soulagement dans la partie inférieure de l'âme, jusqu'à la mort. Après s'être communié lui-même le Seigneur remit une petite parcelle du pain consacré à l'archange Gabriel, afin qu'il l'apportât à sa mère et la communiât. Elle fut la première qui participa à la sainte communion après son divin fils, elle le fit avec la foi vive, l'amour ineffable, le respect, l'humilité profonde et la vénération indicible, qu'elle avait contemplé dans le Dieu fait homme et présent sous les saintes espèces. La grande reine reçut alors la grâce toute spéciale de pouvoir conserver dans son coeur les espèces sacramentelles qu'elle avait reçues cette nuit, jusqu'après la résurrection, lorsque l'apôtre saint Pierre consacra, comme nous le dirons dans la suite.

La divine mère reçut dans cette communion une parfaite connaissance de la manière dont Jésus-Christ était présent dans le saint sacrement, et de tous les miracles qui ont eu lieu à cette occasion. Elle connut l'ingratitude que les hommes auraient pour ce grand et incomparable bienfait, c'est pourquoi elle se chargea de compenser, autant qu'il était possible par des louanges, des hommages, des prostrations et des adorations, tous les outrages que le Seigneur devait souffrir dans l'eucharistie, de la part de ses ingrates créatures. Après que la sainte mère eut reçu la communion, le Seigneur donna le pain consacré aux disciples, leur ordonnant de le partager entre eux et de le prendre. Il leur conféra en même temps par ses paroles la dignité sacerdotale, qu'ils commencèrent dès ce moment à exercer, en se communiant eux-mêmes. Il ordonna ensuite à saint Pierre de communier avec de saintes particules Hénoch et Élie pour les fortifier de nouveau. Il arriva un autre prodige très-caché; le traître Judas en communiant résolut de garder la particule du pain consacré, pour la présenter aux princes des prêtres et aux pharisiens, afin d'accuser son divin maître. La sainte Vierge connut l'intention du traître perfide, et elle ordonna aux saints anges d'ôter les saintes espèces de la bouche sacrilège de l'indigne disciple, après qu'il aurait communié. Les anges exécutèrent le divin commandement, et les ayant purifiées avec soin, ils les remirent d'une manière invisible sur la sainte table, parce que Judas ne fut ni des premiers ni des derniers à recevoir la sainte communion. Il fut le premier hérétique dans l'église, qui nia le saint sacrement de l'eucharistie.