CHAPITRE II

IMMACULÉE CONCEPTION DE MARIE SES SAINTS EXERCICES DANS LE SEIN DE SAINTE ANNE


La conception du corps très-pur de Marie se fit en un jour d dimanche, correspondant à celui de la création des anges dont elle devait être la reine et la souveraine. Et bien que selon l'ordre commun, les autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés, afin que l'âme raisonnable y soit infuse, néanmoins dans cette occasion le temps nécessaire fut considérablement abrégé, et ce qui se devait opérer naturellement en quatre-vingts jours, se fit avec plus de perfection en sept. Le samedi suivant, le plus proche de cette conception, le Très-Haut créa l'âme auguste qu'il Unit à son corps. C'est ainsi qu'entra dans le monde la créature la plus pure, la plus parfaite, la plus sainte et la plus belle que Dieu ait jamais créée et qu'il doit créer jusqu'à la fin des temps. C'est à cause de ce mystère que le saint esprit a ordonné que l'église consacrerait le samedi à la très-sainte Vierge, comme le jour auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son âme très-sainte fut créée et unie à son corps, sans que le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le jour de sa conception que l'église célèbre aujourd'hui, n'est pas celui de la conception du corps, mais celui de l'infusion de l'âme sans aucune trace du péché originel. A l'instant de l'infusion de l'âme la très sainte trinité répéta ces paroles proférées à la création de l'homme, faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram: par la vertu de ces divines paroles, l'âme très-heureuse de Marie fut remplie de grâces, de dons, de privilèges et de faveurs pardessus les premiers des Séraphins, avec l'usage le plus parfait de la raison qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu'elle recevait. Alors le Seigneur répéta les paroles prononcées par lui lors de la création, et erant valdè bona, témoignant ainsi la rare complaisance qu'il prenait dans cet ouvrage si glorieux. Au temps de l'infusion de l'âme dans le corps, le Très-Haut voulut que sainte Anne ressentit et reconnut d'une façon très relevée la présence de la Divinité. Elle fut remplie du saint Esprit et ravie en une extase très sublime, où elle reçut de très hautes connaissances des mystères les plus cachés. Cette allégresse et cette joie toute spirituelle ne furent pas passagères, mais durèrent tout le reste de sa vie quoiqu'elles fussent plus fréquentes pendant qu'elle gardait dans son sein le trésor du ciel.

Quoiqu'alors la très sainte âme de Marie fut douée de toutes les perfections et de l'habitude infuse de toutes les Vertus, plus qu'aucun saint et même que tous les saints ensemble, il ne fut pas néanmoins nécessaire qu'elle les pratiquât toutes aussitôt, mais seulement celles qui convenaient à l'état où elle était. Elle pratiqua donc en premier lieu les vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, et particulièrement la vertu de charité, contemplant Dieu comme le bien souverain avec tant d'attention et d'amour qu'il n'est pas au pouvoir de tous les séraphins d'arriver à un degré si éminent. Elle pratiqua aussi les autres vertus qui ornent et qui perfectionnent la partie raisonnable. Elle eut la science infuse, les vertus morales, les dons et fruits de l'Esprit Saint en un degré éminent et correspondant aux vertus théologales; de sorte qu'elle fut dès le premier instant de sa conception plus sage, plus prudente, plus éclairée sur Dieu e sur toutes ses oeuvres que toutes les créatures ensemble Cette grande perfection de Marie ne consistait pas seulement dans les habitudes qui lui furent infuses, mais dans les acte qu'elle put exercer dès cet instant par le pouvoir divin qui la secondait. Pour en toucher seulement quelque chose, elle connut Dieu tel qu'il est en lui-même comme créateur et glorificateur; elle l'honora, le loua, le remercia; par de actes héroïques elle l'aima, le craignit et l'adora, et lui fit des sacrifices de louanges et de gloire pour son être immuable. Elle connut les dons qu'elle avait reçus pour lesquels elle rendit de très humbles actions de grâces accompagnées de profondes inclinations corporelles qu'elle fit dès le sein de sa mère avec son petit corps, et elle mérita plus en cet état par ces actes que tous les saints dans le plus haut degré rie leur perfection et de leur sainteté. Elle eut outre les actes de la foi infuse, une haute connaissance de la divinité et de la très-sainte trinité, et quoiqu'elle ne la vit pas dans cet instant intuitivement, elle la vit néanmoins abstractivement, et cette manière de la connaître fut la plus parfaite par laquelle Dieu puisse se manifester à l'entendement humain dans ce monde. Elle connut en cet instant la création, la chute des anges, celle d'Adam et les effets de sa faute, le purgatoire, les limbes, l'enfer et toutes les choses renfermées en ces lieux; tous les hommes , tous les anges, leurs ordres, leur dignité et leurs opérations et encore toutes les autres créatures avec, leurs instincts et leurs qualités. Elle connut aussi toute sa généalogie et tout le reste du peuple saint et choisi de Dieu, les patriarches et les prophètes, et combien sa Majesté divine avait été admirable dans les dons, grâces et faveurs qu'il leur avait accordés. Mais c'est une chose digne d'admiration que, ce corps étant si petit dans le premier instant de sa conception, néanmoins par la puissance divine la connaissance et la douleur qu'elle avait de la chute d'Adam lui faisait verser des larmes, et elle commençait dès lors dans le sein maternel à exercer l'office de corédemptrice du genre humain. Elle offrit ces larmes unies aux désirs des patriarches; et cette offrande fut agréable à Dieu et plus efficace pour obtenir la rédemption que toutes les prières des hommes et des saints anges. Elle pria spécialement pour ses parents qu'elle connut en Dieu avant de les voir corporellement, et elle exerça en même temps envers eux la vertu de l'amour, du respect et de la gratitude de fille. Les visions de cette sainte enfant furent continuelles et sans interruption durant les neuf mois qu'elle demeura renfermée dans le sein de sa mère, et trois fois elle fut élevée à une très haute contemplation quoique abstractive de la très-sainte Trinité. La première eut lieu le premier instant qu'elle fut animée, la seconde au milieu des neuf mois, et la troisième le jour qui précéda sa naissance. Elle s'occupa dans ces neuf mois à des actes héroïques d'adoration et d'amour de Dieu, à des demandes continuelles en faveur du genre humain, à une sainte communication avec les anges. Elle ne ressentit point la clôture de la prison du sein maternel, ni les incommodités de cet état naturel, et l'interdiction de l'usage des sens extérieurs ne lui causa aucune peine. Elle fit à Dieu avec une entière ferveur la demande de mourir, avant de venir à la lumière du monde, si elle devait manquer en un seul point à son amour et à son service. Ce fut dans la dernière vision abstractive de la très-sainte Trinité qu'elle eut le jour qui précéda sa naissance. Cette prière ayant été faite, le Très-Haut lui donna sa bénédiction, et lui commanda de sortir du sein maternel à la lumière matérielle de ce soleil visible.

Dieu, pour augmenter davantage la gloire et la vertu de sainte Anne, voulut que dans le temps de sa grossesse elle eut à souffrir diverses afflictions. Lucifer, découvrant une si grande sainteté clans cette femme, eut le soupçon que l'enfant qu'elle avait dans son sein pouvait être cette illustre femme qui devait le fouler aux pieds et lui briser la tête. Dans sa rage il mit en oeuvre divers moyens pour la faire périr. Il osa la tenter de plusieurs fausses persuasions et de défiances sur sa grossesse, pour la faire chanceler dans sa foi; mais ce fut en vain. Il tâcha d'abattre la maison qu'habitait la Sainte afin que l'ébranlement et la terreur qui en résulterait fissent périr l'enfant dans son sein. Mais il ne put réussir, parce que les anges qui gardaient la très-sainte enfant lui résistèrent. Il pervertit et irrita certaines femmelettes qui s'acharnant avec rage contre notre sainte, lui firent de sensibles affronts et de grandes railleries sur sa grossesse; ces artifices furent encore inutiles, bien que les pauvres femmes eussent consenti aux mauvaises suggestions de Lucifer.