CHAPITRE XV

FUITE EN EGYPTE.


Le cinquième jour après la présentation, la très-sainte Vierge eut une vision abstractive de la divinité dans Laquelle elle fut avertie de s'enfuir en Egypte, parce qu'Hérode cherchait à faire périr le messie qui venait de naître , et de ne point craindre les incommodités et les fatigues du voyage parce que Dieu l'assisterait en toutes choses. Elle répondit avec humilité : Ecce ancilla domini fiat mihi secundum verbum tuum. Ensuite elle pria le Très-Haut de faire supporter à elle seule toutes les souffrances. Néanmoins en considérant les peines que souffrirait un enfant si jeune dans l'exécution de cet ordre, elle fut touchée de compassion et ne put retenir ses larmes. A la vue de cette tristesse, saint Joseph qui ne savait rien se troubla un peu, mais il n'osa point l'interroger. Son trouble ne fut de longue durée, car dans la même nuit, l'ange du Seigneur lui apparut et lui dit de fuir en Egypte, comme le rapporte saint Mathieu. Le saint se leva aussitôt, il appela la sainte Vierge et lui annonça l'ordre qu'il avait reçu. Elle se montra prompte à partir avec son époux affligé, sans manifester qu'elle eut aussi reçu cet ordre. Elle s'approcha du berceau où dormait le saint enfant, et l'ayant découvert elle le trouva endormi, elle se mit à genoux et le prit doucement dans ses bras, mais il s'éveilla et se mit à verser beaucoup de larmes, ensuite il donna la bénédiction à la sainte Vierge et à saint Joseph qui la lui avaient demandée. Elle l'enveloppa de ses langes et ils partirent sans retard, peu après minuit, avec la monture qu'ils avaient amenée de Nazareth.

La sainte Vierge désirait aller visiter dans ce voyage la sainte grotte de Bethléem, mais les dix mille anges qui l'accompagnaient lui représentèrent le danger qu'il y avait de la part d'Hérode. Sans rien répliquer, elle se soumit à la volonté du Seigneur, et se contenta de saluer de loin ce lieu sacré et de le vénérer. Elle se consola avec l'ange à qui Dieu avait confié la garde de la sainte grotte et qui vint de Bethléem pour adorer son Dieu humanisé dans les bras de sa sainte mère. Elle désirait aussi passer par Hébron où se trouvait en ce moment sainte Elisabeth et qui était peu éloigné de son chemin, mais saint Joseph par crainte d'Hérode n'approuva pas cette résolution. L'humble Vierge sans dire un mot, demanda la permission d'envoyer au moins un de ses anges à Elisabeth non seulement pour la saluer, mais aussi, pour la prévenir de mettre en sûreté son fils Jean-Baptiste. L'ange accomplit son ambassade et Elisabeth lui ayant demandé de venir adorer le saint enfant, il le lui défendit pour ne pas retarder le voyage. Elle envoya un de ses serviteurs qui apporta des vivres pour les saintes personnes, des langes pour le divin enfant et un peu d'argent avec lequel la sainte Vierge dans sa pauvreté pourvut aux plus pressants besoins de son jeune enfant et de son saint époux, et elle distribua le reste aux pauvres.

Ils s'arrêtèrent deux jours à la ville de Gaza éloignée de vingt lieues de Jérusalem, dans un logement que leur avait procuré le serviteur d'Elisabeth. Ensuite laissant les lieux habités de la Judée, ils s'avancèrent vers l'Egypte par la route du désert appelé Bersabée. Ils voyagèrent au milieu de l'hiver dans ce désert, qui a cent soixante mille environ jusqu'à Héliopolis aujourd'hui le Caire d'Egypte, obligés de dormir toujours à découvert, sans aucun abri. Ils passèrent la première nuit au bas d'une colline, la reine de l'univers s'assit à terre avec son enfant dans les bras. Elle prit un peu de nourriture qu'ils avaient apportée de Gaza, et saint Joseph fit avec son manteau une petite tente sous laquelle se mirent a l'abri la sainte Vierge et le divin enfant. Le second jour ils continuèrent leur voyage, mais les vivres leur manquèrent; c'est pourquoi ils souffrirent beaucoup en ce jour et des fatigues de la route et parce qu'ils n'avaient rien pour manger, ce qui leur arriva encore un autre jour. La sainte Vierge demandait souvent à son fils si les rigueurs du froid et de la mauvaise saison l'incommodaient, le saint enfant répondait: ma mère, il m'est doux et agréable de souffrir pour l'amour de mon père éternel et des hommes à qui je suis venu donner l'exemple, d'autant plus que je suis en votre compagnie. Le saint enfant versait quelquefois des larmes, mais c'était des larmes d'amour et de compassion pour les hommes, sa miséricordieuse mère imitait son exemple. Pour se soulager dans ce pénible voyage la sainte Vierge le remettait souvent à saint Joseph qui tantôt le pressait sur son sein, tantôt lui baisait les petits pieds, ou lui demandait avec humilité la bénédiction. L'une des plus cruelles souffrances qu'ils éprouvèrent dans ce pénible voyage fut un vent impétueux qui s'éleva, accompagné de pluie et d'un grand froid, de sorte que malgré tous les efforts de la Vierge mère pour protéger son enfant bien aimé alors âgé de cinquante jours, il était si transi de froid qu'il en versait souvent des larmes. Il devint donc nécessaire d'user du pouvoir que la sainte Vierge avait sur les créatures, elle commanda, et le vent et la plaie cessèrent aussitôt. Pour récompenser ce soin amoureux de sa chère mère, le saint enfant ordonna aux saints anges d'assister leur reine et de la préserver des rigueurs du temps. Les anges exécutèrent les ordres, ils formèrent un globe lumineux dont ils enveloppèrent non seulement la divine mère et leur créateur mais aussi saint Joseph. Ce ne fut pas le seul bienfait que le Dieu enfant opéra en leur faveur, il les protégea contre la faim dans ce désert où ils n'avaient rien, ordonnant aux anges de les pourvoir des vivres nécessaires, et ils apportèrent aussitôt un pain blanc, des fruits exquis et une liqueur très agréable. Le Seigneur prit encore soin de les recréer d'une manière agréable, c'est pourquoi lorsqu'ils s'arrêtaient pour respirer un peu, il venait des montagnes voisines un grand nombre d'oiseaux les réjouir, tantôt par leurs doux chants, tantôt en se mettant sur leurs épaules et sur les mains et louant à leur manière leur créateur et la divine mère. Les anges accompagnaient ces chants de leur douce harmonie, pour ranimer le coeur des pèlerins accablés de fatigue.

Le désert de Bersabée est celui du pain mystérieux cuit sous la cendre, lorsque le prophète fuyait la persécution de Jésabel. Après un long circuit de soixante mille environ fait par l'ordre de Dieu avec d'indicibles souffrances, ils arrivèrent enfin en Egypte. En arrivant le saint enfant leva les yeux au ciel et pria le père éternel pour ces misérables peuples tourmentés des démons, dans le nombre infini d'idoles qu'ils adoraient. Usant de son suprême pouvoir sur l'enfer, à sa première entrée dans ce vaste royaume, il précipita tous les démons dans les abîmes, renversa à terre toutes les idoles et détruisit les temples de l'idolâtrie. La miséricordieuse mère coopérait à tout par ses ferventes prières. Cet évènement imprévu apporta un grand trouble parmi les Egyptiens qui en ignoraient la cause; néanmoins quelques uns des plus sages savaient par la tradition de leurs anciens qu'un roi des juifs devait venir dans leur pays, et qu'à son arrivée les idoles seraient brisées et les temples renversés. Dans ce trouble plusieurs allèrent trouver la sainte Vierge et saint Joseph, pour leur demander comme étrangers s'ils connaissaient la cause de cet étrange évènement. La mère de la divine sagesse profitait habilement de cette occasion pour les instruire, leur' ouvrir les yeux sur leurs fausses divinités et leur enseigner les dogmes de la vraie foi. Ils poursuivirent leur voyage au milieu de ces prodiges, chassant les démons des corps des possédés, et ils arrivèrent à Heliopolis près de la Thébaïde. En entrant dans la ville un arbre qui était près de la porte se courba jusqu'à terre pour rendre hommage à son créateur et le remercier de la manière qu'il pouvait de l'avoir délivré d'un démon, qui depuis longtemps y était vénéré des Egyptiens. Un grand nombre de personnes connurent ce fait et plusieurs auteurs en ont conservé le souvenir qui s'est perpétué à travers les siècles (voir Nic. Sozomène, Broch.); comme aussi celui de la fontaine miraculeuse où burent la sainte Vierge et saint Joseph, dont le souvenir s'est conservé jusqu'à présent parmi ces peuples et dont l'eau opère encore des miracles.

Lucifer fut confondu de ces évènements, et voyant tous ses compagnons précipités dans l'enfer, enflammé de fureur il sortit de l'abîme pour en chercher la cause. Il parcourut l'Egypte et ne découvrant rien, il jugea que la sainte Vierge était la cause de tout Je mal, car il n'avait aucun soupçon du fils, le croyant né à la manière des autres enfants. Revenu dans l'enfer il fit part à ses compagnons de ses soupçons, et il les ramena au-dehors pour faire de nouveau la guerre à cette femme si terrible pour eux. Mais le Très-Haut ne le permit pas, et ils ne purent pas l'approcher pour la tenter, il les retint toujours éloignés de deux milles sans qu'ils pussent venir plus près. Lucifer faisant tous ses efforts pour s'approcher le pouvoir de Dieu le précipita de nouveau avec tous ses compagnons au fond des abîmes, et il ne leur permit point d'en sortir pendant un temps assez long.

Les saints époux s'arrêtèrent à Heliopolis pour y faire leur séjour. Ils trouvèrent une maison, qui était selon le désir de la sainte Vierge pauvre et un peu éloignée de la ville. En y entrant la sainte Vierge, se mit à genoux et en baisa le pavé; elle offrit au Seigneur toutes les peines qu'elle souffrirait en ce lieu jusqu'à son départ. Ensuite amie de la propreté, elle se mit à la nettoyer et à la mettre en ordre. Mais s'ils avaient dans cette pauvre maison ce qui était suffisant pour se loger, ils manquaient néanmoins du nécessaire pour vivre, car Dieu avait cessé alors de les secourir miraculeusement comme il l'avait fait dans le désert. Ils étaient en ce moment dans un lieu habité, c'est pourquoi ils pouvaient vivre comme font les pauvres par l'aumône. Saint Joseph se mit donc à aller de porte en porte demander la charité, par amour de Dieu. Dans les trois premiers jours, ils n'eurent pas d'autre nourriture que les morceaux de pain que saint Joseph avait reçus de la charité des habitants. La sainte Vierge restait avec le saint enfant dans la pauvre maison sans aucune commodité, sans une seule planche pour lit, dans la plus extrême misère. Le saint commença à gagner quelque chose par son travail et ils achetèrent un lit pour la sainte Vierge, et un berceau pour l'enfant, le saint patriarche ne voulut point d'autre lit que la terre nue. La maison fut privée d'ustensiles, jusqu'à ce qu'il put pourvoir par son travail à ce qui était le plus nécessaire pour vivre lui même et sa petite famille. Cette pauvre maison était divisée en trois chambres, l'une servait d'oratoire à la sainte Vierge qui s'y retirait pour prier , elle y gardait aussi le berceau du saint enfant. L'autre servait à saint Joseph pour prier et se reposer, la troisième servait de boutique pour y travailler du métier de charpentier. La sainte Vierge voyant qu'il fallait que le saint époux redoublât son travail pour fournir à l'entretien de la famille, lui vint en aide avec le travail de ses saintes mains, elle demanda de l'ouvrage à quelques femmes qui lui étaient affectionnées, et comme tout ce qu'elle faisait était parfait, le bruit s'en répandit bientôt et elle n'en manqua jamais dans la suite. Elle partagea son temps, le jour fut pour le travail, elle consacra la nuit aux exercices de piété, car elle ne voulait pas que Dieu les secourût par des miracles, lorsqu'ils pouvaient vivre par leur industrie. Mais dans son travail la grande reine ne perdait jamais de vue ni son fils ni son Dieu, et ne cessait jamais ses divines contemplations. Elle ne fit que transporter à la nuit les exercices purement spirituels qu'elle faisait auparavant dans le jour. Le saint enfant se réjouit beaucoup de la prudence de sa mère, c'est pourquoi il lui donna une exacte distribution des heures de sa journée, lui indiquant en particulier à quoi elle devait les employer suivant son bon plaisir. Elle se dirigea d'après ce règlement qu'elle avait reçu de Jésus, pendant tout le temps que la sainte, famille resta en Egypte. Voici la manière de se conduire pendant son travail, elle était toujours auprès de son enfant et à genoux devant le berceau où il reposait, elle avait avec lui de saints colloques, et elle chantait à sa louange des hymnes et des cantiques qui seraient s'ils avaient été écrits plus nombreux que les psaumes et les cantiques qui se chantent dans la sainte Église. La sainteté avec laquelle vivait cette sain te famille se répandit dans la ville, c'est pourquoi il accourait des gens de toute condition. Ils en rapportaient de grâces nombreuses, et Je concours s'accrut à un point que la sainte Vierge demanda à Dieu, comment elle dev,ait se conduire dans ce cas. Le Seigneur lui répondit, qu'elle devait les instruire tous des vérités de la foi et de la connaissance de Dieu. L'obéissante reine exécuta les ordres, et le fruit qu'elle produisit dans les âmes fut Si grand qu'il serait trop long de raconter les prodiges et les conversions admirables qu'elle opéra. Elle s'appliquait surtout au soin des pauvres infirmes, et elle usait en leur faveur de sa sagesse, de son pouvoir et particulièrement de sa grande charité. A cause des grandes et excessives chaleurs de l'Egypte il y eut la peste à Héliopolis, et dans tout ce temps son zèle et ses fatigues pour les malades furent incroyables. Le nombre des personnes qui accouraient fut si grand qu'elle obtint du Seigneur que saint Joseph put lui venir en aide dans ses oeuvres merveilleuses. Le plus souvent donc il guérissait et instruisait les hommes, et elle les femmes; c'est pourquoi l'affection des habitants du pays s'accrut pour eux. Le profit spirituel que ces peuples en retirèrent est incroyable, par reconnaissance ils leur apportaient des dons et des présents, mais la grande reine n'acceptait rien pour elle-même, et elle distribuait aux pauvres ce qu'il n'était pas quelquefois possible de refuser.