CHAPITRE XI

VOYAGE DE LA SAINTE VIERGE A BETHLÉEM. NAISSANCE DE JÉSUS.


Dans le temps de cette sainte préparation il parut un édit de César-Auguste, comme le rapporte saint Luc. Saint Joseph en apprit la nouvelle avec une vive affliction parce que la grossesse de son épouse était fort avancée, et qu'il était obligé ou de la laisser seule ou de l'emmener avec lui dans ce pénible voyage. Il engagea la sainte vierge à prier le Seigneur et à lui recommander cette affaire. Elle le fit quoiqu'elle n'ignorât point la divine volonté et elle connut qu'elle devait partir aussi elle-même pour Bethléem. Ils préparèrent tout pour le départ et confièrent la maison à une pieuse voisine. Saint Joseph chercha une mouture pour servir dans ce voyage et il la trouva avec peine à cause du grand nombre de personnes qui en cherchaient. La sainte vierge prit les langes préparées et au moment du départ elle se mit à genoux pour demander la bénédiction à son époux et elle partit avec lui de Nazareth pour Bethléem.

En outre des anges ordinaires, Dieu ordonna à neuf mille autres de l'accompagner et à d'autres de porter les messages de Dieu à la sainte vierge et de la sainte vierge à Dieu. Ils étaient tous visibles à ses yeux. Le voyage dura cinq journées, parce qu'ils marchaient peu chaque jour. Ils éprouvèrent de grandes peines à cause de la multitude des personnes qui allaient à Jérusalem. La nuit ils ne trouvaient jamais à se loger, si ce n'est dans quelque recoin du vestibule, parce qu'ils étaient pauvres et que les plus riches étaient toujours mieux accueillis. A ces incommodités il faut joindre la mauvaise saison avec le froid, la pluie, la neige et le vent, et après tout cela ils ne trouvaient pour se reposer que la terre ou une étable au milieu des animaux qui, plus reconnaissants envers leur créateur, honoraient à leur manière leur Dieu dans le sein de la sainte mère. Les saints pèlerins étaient surtout affligés d'entendre des paroles indécentes et de voir le mauvais état de quelques âmes dont notre reine découvrait l'intérieur. Cette affliction était si grande qu'elle en perdait connaissance de douleur. Les saints anges l'assistaient pour lui procurer quelque repos et l'archange saint Michel ne quitta jamais ses côtés et la soutint plusieurs fois. Dans les misérables auberges où ils s'arrêtaient, l'es anges les environnaient et faisaient autour d'eux comme un mur impénétrable. ils chantèrent plusieurs fois dans le voyage pour soulager les souffrances qu'ils enduraient, et la nuit ils éclairaient leur marche, et la lumière qu'ils donnaient était d'une si grande clarté pour la sainte vierge et saint Joseph que celle des étoiles et des planètes né l'eût pas égalée dans leur plus grand éclat.

Ils arrivèrent au milieu de ces souffrances et de ces célestes consolations à Bethléem, le samedi au coucher du soleil. lIs cherchèrent un logement dans la ville chez les amis et les parents de saint Joseph. Mais ce fut en vain, personne ne voulut les recevoir et plusieurs les congédièrent avec mépris et avec des injures. La sainte Vierge savait bien que personne ne les recevrait, mais pour pratiquer l'humilité et la patience elle suivait son époux de maison en maison, de porte en porte dans les rues. En cherchant ainsi un logement ils rencontrèrent la maison où l'on tenait les registres, ils firent inscrire leur nom et payèrent leur tribut pour ne pas être obligés de revenir. Ils continuèrent à chercher un abri mais ils n'en trouvèrent point quoiqu'ils le demandassent à plus de cinquante maisons et auberges. Il était neuf heures du soir, lorsque saint Joseph accablé de tristesse se tourna vers son épouse: Je me souviens, dit-il, qu'il y a une grotte hors des murs qui sert pour les bergers; allons-y et si elle n'est pas occupée, nous y prendrons le logement qu'il est impossible ici de trouver. La sainte vierge le consola par ses douces paroles; et ils se mirent en marche accompagnés des saints anges qui les éclairaient dans les ténèbres. Cette grotte était si misérable que malgré la multitude des personnes de toute condition qui étaient à Bethléem, personne n'eût la pensée de s'y retirer. Les saints hôtes y entrèrent, et ils reconnurent aussitôt à la lumière que donnaient les anges combien ce lieu était humble et pauvre. ils se mirent à genoux et rendirent des actions de grâces à Dieu pour ce bienfait, La sainte vierge pria le seigneur de récompenser avec libéralité les habitants de Bethléem qui en lui refusant leur maison lui avaient procuré un si grand bien. La grotte était taillée dans le roc et destinée à loger des animaux. Les anges se rangèrent autour sous une forme visible même à saint Joseph. La sainte vierge qui savait ce qui devait être opéré en ce lieu cette nuit, commença aussitôt à nettoyer cette grotte pour pratiquer l'humilité et pour orner le mieux qu'il était possible ce temple à Dieu dans ce lieu abandonné. Saint Joseph et les saints anges lui vinrent en aide, et en peu de temps elle fut entièrement nettoyée; bien plus elle fut remplie de célestes parfums. Saint Joseph alluma un peu de feu pour se garantir du grand froid qu'il faisait dans cette nuit et après s'être réchauffés ils prirent un peu de nourriture avec une joie incroyable. Ils passèrent quelque temps dans de saints entretiens. La sainte Vierge pria ensuite son époux de prendre à l'écart un peu de repos, et saint Joseph pria la sainte Vierge d'en faire autant de son côté. Il prépara avec les hardes qu'ils avaient une crèche qui se trouvait dans la grotte pour servir aux animaux. Après avoir disposé ce lit à son épouse il se retira dans un coin de la grotte et il se mit en oraison. Il fut ravi en une extase très-sublime, dans laquelle il vit tout ce qui arriva dans cette nuit; il ne reprit l'usage de ses sens que lorsque sa divine épouse l'appela. En même temps la sainte Vierge fut élevée à une haute contemplation, où elle vit intuitivement la divinité d'une manière si ineffable que la langue humaine ne pourrait l'exprimer. Son ravissement en Dieu dura une heure entière et ce fut celle qui précéda l'enfantement. Ayant repris ses sens, elle connut que le saint enfant commençait à se mouvoir dans son chaste sein, et ce mouvement ne lui causait point de douleur, mais au contraire une joie inexprimable, avec des effets surnaturels si sublimes que l'entendement de l'homme ne saurait les comprendre. Son corps devint si beau et son visage si resplendissant qu'elle ne paraissait plus une créature terrestre. Elle était à genoux, les yeux élevés vers le ciel, les mains jointes sur la poitrine et dans cette position humble et pieuse, sortant de son divin ravissement, elle donna au monde le fils unique du Père éternel, et le sien, Jésus-Christ notre sauveur, Dieu et homme, à minuit, un jour de dimanche, l'an du monde trois-mille-neuf-cent-soixante, conformément à ce que tient la sainte Eglise romaine.

Le saint enfant vint au monde très-beau et tout resplendissant, sans blesser la sainte virginité, parce qu'il pénétra le sein virginal comme un rayon de soleil. Il n'avait point cette espèce de tunique qu'on appelle secondine, dans laquelle les autres enfants sont enveloppés.' Il vint au monde glorieux et transfiguré, car la gloire de son âme sainte rejaillissait alors sur son corps. Aussitôt qu'il fut né, les saints archanges Michel et Gabriel, le prirent dans leurs mains et montrèrent à la divine mère son fils tout resplendissant, comme le prêtre montre au peuple la sainte hostie. Pendant qu'ils le tenaient ainsi, l'enfant divin parla à sa mère et les premières paroles qu'il prononça furent celles-ci : « Mère, devenez semblable à moi qui pour l'être humain que j'ai reçu de vous, veux vous donner un être de grâce plus élevé, et qui étant de pure créature, soit semblable au mien qui suis Dieu et homme. » Elle répondit humblement : « Trahe me post te, curremus in odorem unguentorum tuorum. Elle ouït aussi la voix du Père éternel qui disait Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement: Après ces entretiens si remplis de profonds mystères le divin enfant cessa d'apparaître transfiguré, il suspendit les dons de gloire de son saint corps par un miracle non moins merveilleux, et se montra dans son être naturel passible. La sainte Vierge l'adora de nouveau dans cet état avec une profonde humilité et une grande vénération. Elle le reçut à genoux de la main des saints anges, et se répandit en actes d'amour, elle l'offrit au Père éternel comme son fils unique et aux hommes comme leur Sauveur. Tandis que la divine mère le tenait dans ses bras, les: dix-mille anges l'adorèrent les premiers, ensuite tous les esprits célestes descendus dans la grotte entonnèrent à sa louange le nouveau cantique : Gloria in excelsis deo etc. II était déjà temps de rappeler saint Joseph de son extase, afin qu'il vît avec ses sens le grand mystère qu'il avait connu par révélation dans son ravissement divin. Etant revenu de son extase, le premier objet que vit le saint époux fut le divin enfant dans les bras de la très-sainte Vierge. Il l'adora avec une profonde humilité, et lui baisa les petits pieds avec respect. Après cette adoration, Marie demanda à son divin fils la permission de s'asseoir, saint Joseph lui donna les langes qu'elle avait apporté avec elle et elle l'en enveloppa avec une dévotion et un respect inconcevables. Ensuite elle le coucha dans la crèche, en y mettant un peu de paille et de foin pour servir au premier lit que voulut sur la terre le verbe incarné. Dès que l'enfant fut placé dans la crèche, il vint aussitôt par l'ordre de Dieu des champs un boeuf qui entra dans la grotte et se joignit à l'âne qu'ils avaient amené de Nazareth. La divine mère leur commanda d'adorer à leur manière leur créateur. Les animaux obéirent aussitôt et réchauffèrent le Saint enfant de leur haleine vérifiant ainsi la prophétie d'Isaïe : Cognovit bos possessorem suum, et asinus proesepe domini sui.

Les saints anges ne restèrent pas seulement autour de la crèche et dans la grotte, mais ils allèrent en divers endroits annoncer la naissance du fils de Dieu. Saint Michel alla aux limbes, en donner la nouvelle aux saints pères. En l'apprenant saint Joachim et sainte Anne puèrent l'archange de re- commander à Marie leur fille d'adorer et de vénérer en leur nom le Dieu enfant, ce qu'elle fit aussitôt. Un autre archange en prévint Elisabeth et saint Jean-Baptiste, d'autres l'annoncèrent à Siméon, à Zacharie et à Anne la prophétesse et d'autres aux trois rois mages, en outre de l'étoile qui fut formée cette nuit et apparut à leurs yeux. Saint Lue rapporte en particulier l'ambassade faite aux bergers, qui vinrent adorer le divin enfant. Ils en furent éclairés dans leur coeur, et plusieurs méritèrent le bonheur que quelqu'un de leurs enfants fussent mis à mort par Hérode dans le massacre des innocents. Sainte Elisabeth ne vint pas à Bethléem, Dieu l'ordonna ainsi afin que ce mystère ne fut pas rendu plus public qu'il ne le voulait. Elle envoya un messager à la sainte Vierge pour la féliciter et pour lui apporter des présents. Elle en garda une partie et distribua le reste aux pauvres. Tous les justes ressentirent quelques effets divins au moment où le rédempteur vint au inonde; ce qui étaient en grâce; éprouvèrent une nouvelle joie intérieure et surnaturelle dont ils ignoraient la cause, mais plusieurs eurent la pensée que c'était l'heure où le messie était né. Il y eut encore plusieurs miracles dans cette sainte nuit dans les créatures; les influences des planètes furent renouvelées, et le soleil avança sa course; plusieurs arbres donnèrent des fleurs et d'autres des fruits; quelques temples des idoles furent renversés et plusieurs même entièrement ruinés et les démons en furent chassés. Les hommes attribuèrent à diverses causes ces effets merveilleux. Tout cela fut caché aux démons, qui ne connurent ni l'adoration des pasteurs, ni les ambassades des anges, ni la venue des mages, ni l'apparition de l'étoile. Dieu leur cacha toutes ces choses afin qu'ils ne connussent point la venue du messie, comme en effet ils ne la surent jamais d'une manière certaine. En voyant cet enfant si pauvre et abandonné et ensuite se soumettant à la circoncision, Lucifer en conclut qu'il n'était pas le messie. Son esprit orgueilleux, altier et superbe ne pouvait comprendre cette sublime pauvreté et cette humilité. Les bergers restèrent dans la grotte depuis l'aurore jusqu'à midi, la sainte Vierge leur parla et les exhorta à la persévérance dans le service de Dieu, elle leur donna à manger et les congédia ensuite remplis de consolation. Ils revinrent plusieurs autres fois et apportèrent avec eux les présents que permettait leur pauvreté. Après que les saints hôtes furent partis de Bethléem, ces pieux bergers racontèrent aux autres tout ce qu'ils avaient vu et entendu. Tous ne les crurent pas parce qu'on les regardait comme des personnes simples et crédules. Hérode fut du nombre de ceux qui crurent en eux, non par une foi sainte et par dévotion, mais dans la crainte de perdre son royaume. La Vierge mère ne cessait jamais de prier Dieu pour tous ceux qui se rendaient indignes de connaître la véritable lumière du monde et elle employa ‘n ces prières la plus grande partie du temps qu'elle demeura dans la grotte. Lorsqu'il fut temps de donner le sein virginal au saint enfant pour l'allaiter, elle lui demanda avec humilité la permission de le faire. S'il fallait le confier à saint Joseph, le saint fléchissait trois fois le genou et baisait respectueusement la terre et la Vierge mère en faisait autant lorsqu'elle le recevait du saint époux. Elle le tenait toujours sur ses bras, excepté lorsqu'elle voulait prendre un peu de repos, et alors elle le confiait à saint Joseph. Elle le remettait aussi aux saints archanges Michel et Gabriel, parce qu'ils lui avaient dit de le leur confier, lorsqu'elle voulait prendre sa nourriture ou son repos. Dans le temps de son repos Dieu lui accorda un sommeil miraculeux, car elle ne perdait jamais en dormant les forces pour tenir le saint enfant dans ses bras, et elle ne cessait de le contempler par son entendement intérieur, comme si elle l'eut vu de ses yeux et elle connaissait tous les actes qu'il faisait à l'extérieur et dans son intérieur.