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TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPITRE AUX CORINTHIENS.

 

HOMÉLIE I. PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU , ET TIMOTHÉE, SON FRÈRE, A L'ÉGLISE DE DIEU QUI EST A CORINTHE, ET A TOUS LES SAINTS QUI SONT DANS TOUTE L'ACHAIE , LA GRACE ET LA PAIX SOIT AVEC VOUS PAR DIEU LE PÈRE ET JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR. BÉNI SOIT DIEU ET LE PÈRE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DES MISÉRICORDES ET LE DIEU DE TOUTE CONSOLATION, QUI NOUS CONSOLE DANS TOUTES NOS TRIBULATIONS, AFIN QUE NOUS PUISSIONS, A NOTRE TOUR, CONSOLER LES,AFFLIGÉS , ET VERSER DANS LEURS COEURS CES CONSOLATIONS QUI NOUS VIENNENT DE DIEU. (CHAP. 1, 1-4.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Saint Chrysostome commente les cinq premiers versets du premier chapitre.

3-6. Il fait ressortir le dessein de l'Apôtre dans cette Epître. — Il s'élève à de belles considérations sur le mérite des souffrances. — Exemple d'Abraham et de Job.

 

1. Demandons-nous d'abord pourquoi l'apôtre adresse aux Corinthiens cette seconde épître, et pourquoi dès le début. il leur parle de la bonté de Dieu et des consolations qu'il répand dans les âmes? Pourquoi donc une seconde épître? Dans la première il leur avait dit : « J'irai vous voir, et je ne me contenterai pas d'entendre les paroles de ceux qui sont enflés d'orgueil, je m'informerai de leurs oeuvres »; en terminant il leur fait la même promesse en termes plus doux : « J'irai vous voir », leur dit-il, « en passant par la Macédoine ; je ne ferai que traverser ce pays ; mais je séjournerai chez vous, et peut-être y passerai-je l'hiver ». Il s'écoula bien du temps sans que l'apôtre eût pu tenir sa promesse. L'époque fixée passa, et il n'arrivait pas à Corinthe : car l'Esprit-Saint le tenait occupé à des travaux plus urgents. C'est pourquoi il crut nécessaire d'écrire une seconde fois aux Corinthiens; il eût pu s'en dispenser, s'il eût tardé moins longtemps à les visiter. — (2) Un autre motif, c'est que sa première lettre avait produit chez eux des fruits de salut. Car cet impudique qu'ils favorisaient auparavant et dont ils s'enorgueillissaient , ils l'avaient complètement retranché de leur communion. Ce qu'il leur rappelle en ces termes: « Si l'un de vous m'a contristé, il ne m'a pas contristé moi seul, mais vous tous aussi, au moins en quelque sorte ; ce que je dis pour ne le point surcharger dans son affliction ». C'est assez qu'il ait été repris par un grand nombre de fidèles. C'est la même idée qu'il suggère un peu plus loin : « Cette tristesse que vous avez ressentie selon Dieu, vous a remplis de sollicitude; elle vous a justifiés; vous vous êtes indignés contre le coupable , vous avez redouté la justice divine, vous vous êtes trouvés pleins d'ardeur pour l'accomplissement de sa loi, pour venger l'injure faite à Dieu; en un mot vous avez montré que vous n'avez en rien participé au crime ». (II Cor. VII, 11.) Bien plus, ils s'étaient empressés de recueillir la somme d'argent qu'il leur avait demandée. Aussi leur disait-il : « Je sais quel est votre empressement, et je m'en glorifie auprès des Macédoniens , et je leur dis que l'Achaïe est toute prête depuis l'année dernière ». (II Cor. IX, 2.) D'ailleurs ils avaient reçu avec bienveillance son disciple Tite qu'il leur avait envoyé. Il leur en témoigne sa reconnaissance en ces termes : « Tite vous aime tendrement : il se souvient de votre obéissance et du saint tremblement avec lequel vous l'avez reçu ». (II Cor. VII, 15.)

Voilà les divers motifs qui le décident à écrire une seconde épître aux fidèles de Corinthe. Après leur avoir reproché leurs désordres, ne devait-il pas les féliciter d'être revenus à de meilleurs sentiments? Aussi ne fait-il paraître ni amertume ni colère dans tout le cours de cette épître , excepté cependant vers la fin. C'est qu'il y avait chez eux des Juifs enflés d'orgueil et qui , pleins de mépris pour l'apôtre, le traitaient d'homme arrogant, mais sans valeur. Ils disaient : « Ses lettres sont graves et fortes, mais son extérieur ne fait aucune impression, et son langage est méprisable ». C'est comme s'ils eussent dit : Dès qu'il est ici , il n'inspire aucun respect ; et quand il est parti, ses lettres sont pleines de faste et d'orgueil. Tel est le sens de ces mots : « Ses lettres sont graves et fortes ». Et pour se faire de la réputation, ils se flattaient hypocritement de ne rien accepter de personne : c'est de cette hypocrisie que parle saint Paul quand il dit : « Pour trouver un sujet de gloire, ils veulent paraître tout à « fait semblables à nous ». En outre, comme ils ne manquaient pas d'éloquence, ils faisaient gloire de ce talent. C'est pourquoi l'apôtre s'appelle lui-même un homme simple et sans habileté, pour montrer qu'il ne rougit pas de ce défaut; et que l'éloquence à ses yeux n'a aucune valeur, aucun prix. Il était vraisemblable que leurs discours en avaient entraîné plusieurs loin de la vérité : aussi, après avoir loué leurs bonnes actions, les blâme-t-il de leur zèle à pratiquer les cérémonies judaïques, et leur adresse-t-il quelques reproches à cet égard. Tel est, à mon avis, pour le dire en passant, le sujet et comme -le sommaire de cette épître. — Expliquons-en maintenant le commencement , et disons pourquoi , tout aussitôt après les avoir salués selon sa coutume, il leur parle de la miséricorde du Seigneur. Demandons-nous cependant, avant toutes choses, pourquoi il fait ici mention de Timothée. « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, et Timothée, son frère ». Dans sa première épître, en effet, il leur promettait de leur envoyer son disciple, et les exhortait à bien l'accueillir. « Quand Timothée sera venu , faites en sorte qu'il vive sans crainte au milieu de vous ». Pourquoi donc joint-il à son propre nom le nom de son disciple? Selon la promesse .du Maître, Timothée s'était transporté à Corinthe. « Je vous l'ai envoyé, dit-il, pour qu'il vous fasse part de mes desseins, qui sont selon Jésus-Christ » ; et après avoir établi dans cette ville un ordre parfait, il était revenu près de l'apôtre. En le leur envoyant , saint Paul leur disait : « Congédiez-le dans la paix du Seigneur; car je l'attends avec les frères ».

2. Quand donc il fut de retour, ils s'occupèrent ensemble d'opérer en Asie les réformes nécessaires : « Je resterai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte, dit saint Paul » (I Cor. XVI, 8), et ils passèrent en Macédoine. C'est donc à juste titre qu'il le nomme au commencement de son épître, puisqu'il l'accompagnait dans ce voyage Il écrivait sa première épître en Asie; sa seconde, il la leur adressa de la Macédoine. S'il joint à son nom celui de Timothée, c'est pour recommander de plus en plus son (3) disciple, et aussi par humilité. Timothée était bien au-dessous de Paul; mais la charité supprime les distances. Et c'est pourquoi il ne met point de différence entre Timothée et lui. Tantôt il dit de son disciple : « Il m'aide, comme un fils aide son père » (Philipp. II, 22); tantôt : « Il accomplit l'oeuvre de Dieu , comme je l'accomplis moi-même ». (I Cor. XVI, 8.) Enfin dans cette épître il l'appelle son frère, afin de lui concilier par tous les moyens la vénération des fidèles de Corinthe. Car il avait séjourné dans cette ville, et tous avaient été témoins de sa piété.

« A l'église de Dieu qui est à Corinthe ». Il donne aux Corinthiens le nom d'Eglise, pour les porter à une étroite union, et les concilier entre eux. Une église cesse d'être une, dès que ceux qui la composaient sont en désaccord et séparés les uns des autres. « Avec tous les saints qui sont dans toute l'Achaïe ». Il veut faire honneur aux Corinthiens , en saluant tous les chrétiens du pays, et en les comprenant tous dans cette lettre adressée aux fidèles de Corinthe. S'il les appelle des saints, c'est afin de montrer que ses salutations ne s'adressent pas aux hommes corrompus. Pourquoi l'apôtre, en écrivant à la Métropole, s'adresse-t-il en même temps à tous les chrétiens d'Achaïe ? Il s'en faut bien qu'il agisse toujours de la sorte. Quand il écrit aux Thessaloniciens, il ne s'adresse pas aux habitants de la Macédoine; quand il écrit aux Ephésiens, il ne s'adresse pas à tous les fidèles de l'Asie ; l'épître aux Romains n'est pas envoyée non , plus aux chrétiens répandus en Italie. Dans celle-ci, il écrit à tous ceux d'Achaïe ; et c'est encore le même procédé dans l'épître aux Galates. Ce n'est pas à une ou à deux ou à trois villes qu'il écrit, mais à tous les chrétiens de ce pays. Voici en effet ses paroles : « Paul, apôtre, non par la volonté des hommes ou d'un homme en particulier, mais par celle de Jésus-Christ et de Dieu le Père qui l'a ressuscité d'entre les morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux églises de Galatie la grâce et la paix soient avec vous». (Gal. I, 1-3.) Il écrit de même une lettre commune à tous les Hébreux, et non pas à telle ou telle de leurs villes. Pourquoi donc agit-il de cette manière? En voici, je crois, la raison. C'est que chez ces divers peuples il y avait des maladies spirituelles communes; ils avaient besoin d'un remède commun, et il le leur donne par une lettre commune... Tous les Galates, tous les Hébreux étaient malades; et, je le crois aussi , tous les chrétiens de l'Achaïe. Aussi s'adresse-t-il à toute la nation et les salue-t-il, selon sa coutume : « La grâce et la paix soient avec vous, dit-il, par Dieu notre Père et Jésus-Christ Notre-Seigneur ».

Entendez maintenant comment son exorde répond bien au dessein qu'il se propose « Béni soit Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». Quel rapport, direz-vous, entre ces paroles et le dessein de l'apôtre ?  — Le rapport est manifeste. Voyez en effet : Les Corinthiens étaient vivement affligés et troublés de ne point voir arriver l'apôtre qui leur avait promis de venir, et qui persistait à séjourner en Macédoine, préférant, ce semble, les Macédoniens à ceux de Corinthe. Pour calmer leur affliction, il leur expose donc le motif qui l'a retenu. Il ne le fait pas en propres termes sans doute, et ne leur dit pas : Je sais que je vous avais promis d'aller vous voir, mais mille traverses m'en ont empêché. Pardonnez-moi, je vous prie, et ne me reprochez ni orgueil ni négligence. Il tient un langage plus élevé et plus persuasif; il leur adresse des consolations, pour qu'ils ne songent plus à lui demander le motif de ses délais. Il parle comme parlerait un homme qui aurait promis à son ami de venir le voir et que mille obstacles auraient arrêté. Gloire à Dieu, dirait cet homme, qui rue permet enfin de voir votre visage si cher ! Béni soit le Seigneur, qui m'a tant de fois sauvé du péril ! Cette action de grâces n'est-elle pas une excuse qui prévient tout reproche et tout murmure? L'ami rougirait en effet d'accuser son ami, de lui demander compte de son retard , quand il l'entend rendre gloire à Dieu, et le remercier de l'avoir sauvé de tant de maux. Tel est le sens de ces paroles de l'apôtre : « Béni soit le Dieu des miséricordes ». Elles insinuent que Dieu l'a tiré des mille dangers qu'il courait.

David n'invoque pas toujours Dieu de la même manière ni dans les mêmes circonstances : s'agit-il de guerre et de victoire : « Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma force : le Seigneur est mon protecteur ». S'agit-il de quelque péril auquel il vient d'échapper, ou de quelque trouble qui obscurcissait son âme : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut », s'écrie-t-il. Tantôt c'est la (4) bonté et la clémence de Dieu, tantôt sa justice et ses jugements qu'il célèbre. De même en cet endroit saint Paul donne au Seigneur un nom que lui suggère sa clémence et sa bonté; il l'appelle « le Dieu des miséricordes », c'est-à-dire, le Dieu qui vient de faire éclater sa miséricorde envers lui, en l'arrachant aux portes mêmes de la mort.

3. Rien qui convienne mieux à Dieu, qui soit plus dans sa nature que la miséricorde; et c'est pourquoi l'apôtre le nomme « Dieu des miséricordes ». Mais considérez aussi l'humilité de saint Paul. C'était la prédication de l'Evangile qui l'exposait à tous ces dangers : il n'attribue pas néanmoins son salut à ses propres mérites, mais à la bonté du Seigneur. Il développe plus loin sa pensée. Pour le moment il ajoute: « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il ne dit pas : Qui nous préserve de l'affliction ; mais : « Qui nous console dans l'adversité », paroles bien propres à montrer la puissance de Dieu , et à redoubler la patience dans les âmes affligées. C'est là ce que le prophète avait en vue lui-même, quand il disait : « Au sein de l'affliction, vous avez dilaté mon coeur ». Il ne dit pas : Vous n'avez point permis au malheur de fondre sur moi; ni, vous avez bien vite écarté loin de moi l'adversité ; mais bien , vous avez dilaté mon âme plongée dans la douleur. N'est-ce pas ce qui arriva aux trois jeunes Hébreux? Dieu n'empêcha pas qu'on les jetât dans la fournaise; et quand on les y eut précipités, il n'éteignit point la flamme, mais il sut, même au milieu de ces brasiers, leur ménager le bien-être et la consolation.

Telle est toujours la conduite de la Providence ; et c'est là ce que nous enseigne l'apôtre par ces paroles : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il veut encore nous donner un autre enseignement. Ce n'est pas une fois ou deux seulement que Dieu nous console, mais toujours, mais continuellement. Il ne nous console pas aujourd'hui pour nous abandonner demain; non , jamais il ne cesse de nous consoler. « Qui nous console », dit l'apôtre, et non pas, qui nous a consolés; « dans toutes nos tribulations », et non pas seulement dans celle-ci ou dans celle-là. Oui , dans toutes nos tribulations , « afin qu'à notre tour nous puissions consoler ceux qui souffrent , et répandre dans leurs âmes ces consolations qui nous viennent du Seigneur ». Voyez-vous comme il trouve moyen de s'excuser, en laissant supposer au lecteur qu'il s'est trouvé en proie aux plus cruelles afflictions? En même temps, quoi de plus modeste que ce langage ? Cette miséricorde, l'apôtre et son disciple en ont éprouvé les effets non pas à raison de leurs mérites ou de leur dignité, mais pour le bien de ceux qu'ils doivent assister eux-mêmes. Dieu nous a consolés, dit-il, pour qu'à notre tour nous consolions les autres. Et comme le dévouement de l'apôtre éclate dans ces paroles ! A peine est-il consolé, à peine commence-t-il à respirer, que, loin de demeurer oisif comme nous faisons, il s'empresse d'exhorter les fidèles, de les affermir, de les exciter. D'autres donnent de ce passage une autre explication. Le sens, d'après eux, serait celui-ci Notre consolation est aussi la consolation des autres. Il semble aussi que saint Paul veuille dans cet exorde censurer la conduite de ces faux apôtres, qui, pleins de jactance, restaient dans leurs maisons et y vivaient dans les délices; mais il le fait d'une manière obscure et détournée. Ce qu'il se proposait surtout , c'était d'écarter tout reproche de négligence au sujet du retard qu'il avait mis à tenir sa promesse. Si en effet Dieu nous console pour qu'à notre tour nous consolions les autres, ne nous blâmez pas d'avoir différé notre voyage à Corinthe. Nous avons passé tout ce temps à résister aux attaques de nos ennemis, à écarter les dangers qui nous menaçaient.

« Car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, de même aussi les consolations surabondent dans nos âmes par Jésus-Christ ». Pour ne pas consterner ses disciples par le récit de ses souffrances, il leur montre d'autre part l'abondance des consolations. Ainsi les rassure-t-il; et c'est encore dans ce dessein qu'il leur rappelle Jésus-Christ, et qu'il regarde ses souffrances comme étant celles du Sauveur; et ainsi avant même de prononcer le mot de consolation , il sait trouver un motif de consolation dans les souffrances elles-mêmes. Quoi de plus doux en effet, quoi de plus agréable que d'être associé à Jésus-Christ et de souffrir à cause de lui? Quelle consolation comparable à celle-là? Voici une autre parole bien capable aussi de soutenir ceux qui souffrent : « Elles abondent, ces souffrances », dit-il. Il ne dit pas : De même que les souffrances de Jésus-Christ (5) fondent sur nous; mais, « de même qu'elles abondent », voulant ainsi montrer, que les apôtres endurent non-seulement les mêmes souffrances que le Sauveur, mais de plus nombreuses encore. Nous n'avons pas seulement à souffrir ce qu'il a souffert; mais nous souffrons beaucoup plus qu'il n'a souffert lui-même. Voyez en effet : le Christ a été tourmenté, persécuté, battu de verges, il est mort. Eh bien ! nous souffrons davantage encore; et c'en serait assez pour nous consoler. On ne saurait taxer l'apôtre d'arrogance ou de témérité. Ecoutez ce qu'il dit ailleurs : « Maintenant je me réjouis de mes souffrances; et j'accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ ». (Coloss. I, 4.) Oui, l'apôtre peut tenir ce langage sans arrogance ni témérité. Les disciples n'ont-ils point fait des miracles plus grands que ceux du Sauveur lui-même? « Celui qui croit en moi, fera des miracles plus étonnants que ceux-ci ». (Jean, XIV,12.) Mais toute la gloire en revient à Jésus-Christ , qui agit dans ses serviteurs. Toute la gloire de leurs souffrances revient pareillement au Sauveur, qui les console, et qui leur donne la force de supporter avec courage les maux qui viennent fondre sur eux.

4. Aussi l'apôtre adoucit-il sur-le-champ ce qu'il vient de dire, et il ajoute: « De même la consolation abonde par Jésus-Christ ». C'est à Jésus-Christ qu'il rapporte toutes choses, et il aime à publier la bonté du Sauveur. Il ne dit pas : La consolation égale les souffrances ; mais bien : « La consolation abonde » ; en sorte que le temps de la lutte est aussi le temps des nouveaux triomphes. Quoi de plus grand, quoi de plus glorieux que d'être battu de verges pour Jésus-Christ, que de s'entretenir avec Dieu, que d'être assez fort pour résister toujours, que de vaincre les persécuteurs, que de ne pouvoir être dompté par l'univers entier, que d'attendre des biens que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur de l'homme ne peut comprendre? Est-il rien de comparable à ces souffrances endurées pour, la religion, à ces innombrables consolations qui nous viennent du Seigneur, à ce pardon qui nous délivre de péchés si multipliés et si graves; à cette justice et à cette sainteté dont le Saint-Esprit orne les coeurs, à cette assurance, à ce courage en face de l'ennemi , à cette gloire dont l'éclat brille au sein même du danger? Ne nous laissons donc point abattre, quand l'affliction vient nous éprouver. On ne peut vivre dans les délices, on ne peut s'endormir dans la mollesse, et demeurer uni au Sauveur. Pour s'approcher de Jésus, il faut secouer toute indolence , passer par l'épreuve des afflictions , entrer résolument dans la voie étroite. C'est le chemin qu'il a suivi lui-même. Ne disait-il pas : « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête? »

Ne vous plaignez donc pas d'être affligés; songez que vous êtes dans la société de Jésus, que par l'affliction vous effacez vos crimes et vous vous acquérez de grands mérites. Ce qu'il faut craindre, ce qu'il faut redouter, c'est d'offenser le Seigneur. Cela excepté, ni l'affliction, ni les attaques de l'ennemi ne sauraient attrister une âme vraiment sage. Que dis-je ? Si vous jetez une étincelle dans l'Océan, n'est-elle pas éteinte aussitôt? Ainsi en est-il de la souffrance; fût-elle excessive, quand elle rencontre une conscience pure, elle se dissipe et s'évanouit sur-le-champ. C'est pourquoi saint Paul ne cessait de se réjouir, parce qu'il avait confiance en Dieu ; et il n'avait pas même le sentiment de si cruelles épreuves. Il était homme et il souffrait, mais sans se laisser abattre. Abraham n'était-il pas joyeux aussi, malgré les douleurs auxquelles il était en proie? Exilé, condamné à de longs et pénibles voyages , il n'a pas où mettre le pied sur la terre étrangère. La famine sévit dans le pays de Chanaan et le force à passer en Egypte. Alors on lui enlève son épouse ; il court risque d'être tué. Ajoutez à tous ces maux la stérilité de Sara, les guerres qu'il est obligé de soutenir, les dangers qui l'environnent, et cet ordre qui lui enjoint d'immoler son Fils unique , cet Isaac qu'il aime si tendrement et dont la mort doit lui causer d'indicibles, d'irrémédiables douleurs. Il obéit promptement, il est vrai ; mais ne croyez pas qu'il ait supporté tant de maux, sans éprouver de souffrances. Quelque parfaite que fût sa justice , il était homme, et, comme tel, sensible à la douleur. Rien cependant ne put le décourager; mais il soutint la lutte avec générosité, et chacun de ces combats fut suivi d'une victoire.

De même aussi le bienheureux apôtre qui chaque jour voyait fondre sur lui les afflictions , semblait goûter les délices du paradis ; il était heureux, il tressaillait de joie. Au sein (6) d'une telle joie, l'homme est inaccessible au découragement. Mais qu'il tombe aisément , s'il ne sait point la préférer à tout le reste ! C'est un soldat mai armé, et que renverse du premier coup son adversaire. S'il avait d'autres armes, il repousserait tous les traits dirigés contre lui. Y a-t-il une arme plus forte que cette divine allégresse ? Non , l'homme qui la ressent, ne peut se laisser vaincre; il supporte courageusement toutes les attaques de ses ennemis.,Y a-t-il un supplice plus horrible que le feu? Y a-t-il rien de plus cruel que de continuelles tortures? On endurerait plus facilement la perte de ses biens , la mort de ses enfants. « Peau pour peau » , dit l'Ecriture, « et tout ce que possède un homme, il le donnerait pour racheter sa vie ». (Job , XI, 4.) Non, il n'est rien de plus affreux que les tourments du corps ; et cependant ces supplices dont le nom seul fait horreur, deviennent, grâce à cette joie divine, faciles à supporter et vraiment dignes d'envie. Retirez du bûcher, ou du gril le martyr qui conserve encore un reste de vie, vous trouverez son âme toute remplie d'une ineffable allégresse.

A quoi bon ces réflexions? direz-vous, nous ne sommes plus au temps du martyre. Que dites-vous? Nous ne sommes plus au temps du martyre!... Mais n'est-ce pas sans cesse le temps du martyre , n'est-il pas sans cesse devant nous, si nous savons être sages?, Pour être martyr, il n'est point nécessaire d'être mis en croix; si cela était nécessaire, Job aurait-il obtenu de si nombreuses couronnes? Fut-il traîné devant les tribunaux? Entendit-il la voix des juges, vit-il les bourreaux, fut-il pendu à un gibet? Et cependant il souffrit plus cruellement qne bien des martyrs ; ces messagers qui se succédaient sans interruption lui faisaient de plus profondes blessures que les instruments de supplice les plus horribles. — C'étaient autant de traits qui s'enfonçaient dans son âme; et ces vers qui le rongeaient de toutes parts le faisaient souffrir plus que n'eussent fait les bourreaux eux-mêmes.

5. N'est-ce pas là un véritable martyre , ou plutôt n'est-ce pas endurer mille fois le martyre? Il soutint en effet mille combats divers, qui lui valurent autant de couronnes. Il perdit ses biens, il perdit ses enfants, il souffrit dans son corps ; amis , ennemis , épouse , tous s'acharnèrent contre lui; ses serviteurs même lui crachèrent au visage. Joignez-y la faim, les rêves, la puanteur. N'ai-je pas eu raison de dire que Job avait souffert le martyre , non une fois ou deux , mais plutôt mille fois. Ce qui multiplie encore ses triomphes , c'est le temps que durèrent ses souffrances, et l'époque où il souffrit. C'était avant la promulgation de la loi , avant l'avènement de Jésus-Christ ; elles durèrent plusieurs mois, elles furent excessives et vinrent fondre sur lui toutes ensemble. Chacune semblait intolérable, même la perte de ses biens , qui cependant paraît plus facile à supporter que les autres malheurs. Combien n'en voit-on pas en effet qui se résignent aux blessures , et qui ne peuvent supporter la perte de leur fortune? Pour en sauver une partie, ils consentent à être battus de verges et à souffrir les plus horribles traitements : rien ne leur semble plus pénible que de perdre ce qu'ils ont. C'est donc une sorte de martyre que de supporter généreusement la perte de ses richesses.

Et comment, direz-vous; comment avoir cette généreuse résignation? — Sachez qu'un seul mot d'action de grâces nous profite plu; que ne peut vous nuire la perte de tous vos biens. Quand nous apprenons ce malheur sans nous troubler, et que nous nous écrions: Dieu soit béni, nous retrouvons des trésor; bien autrement précieux. Il y a moins d'avantage pour vous à verser toutes vos richesse; dans le sein des pauvres, à les visiter, à le; rechercher, qu'à dire cette unique parole. Oui, j'admire moins Job, tenant sa maison ouverte aux indigents, que je ne l'admire , que je ne l'exalte en l'entendant rendre grâce! après la perte de ses biens. Il agit encore de la sorte en apprenant la mort de ses enfants. Vous recevrez la même récompensa qu'Abraham , qui emmène son fils sur la montagne pour l'immoler, si, témoin de la mort de votre enfant, vous bénissez la bond du Seigneur. Auriez-vous en effet moins de mérite que le patriarche? Lui , il ne vit point son fils étendu sans vie à ses pieds; il ne fit que trembler pour les jours d'Isaac. Il s'apprêtait à le sacrifier, et en cela il l'emporte sui vous; il tenait le glaive levé contre lui, en cela encore il vous est supérieur; mais votre fils est mort, et en cela vous l'emportez ci votre tour sur Abraham.

Ne trouvait-il pas d'ailleurs une bien grande (7) consolation dans l'accomplissement de cette action héroïque, qui devait faire éclater toute la force de son âme? Cette voix venue d'en-haut ne redoublait-elle pas son ardeur? Rien de semblable pour vous. Oui, il faut une âme d'airain pour supporter avec résignation et sans murmure la perte d'un fils unique, élevé au sein des richesses, qui donnait de si belles espérances, et que l'on voit désormais étendu dans un tombeau. Heureux. l'homme qui , apaisant dans son coeur les flots irrités de la nature, peut s'écrier, sans verser de larmes : « Dieu me l'avait donné; Dieu me l'a ôté ». Cette unique parole lui vaudra d'être placé auprès d'Abraham, de recevoir comme Job la couronne due au vainqueur. Qu'il comprime . les sanglots des femmes, qu'il écarte les choeurs des pleureuses, qu'il excite tout le monde à célébrer les louanges de Dieu , il sera magnifiquement récompensé dès cette vie; les hommes l'admireront , les anges applaudiront, Dieu le couronnera.

6. Mais, direz-vous, qui pourrait ne point verser de larmes? Abraham et Job ne pleurèrent point, et cependant ils étaient hommes et ils vivaient avant la loi, avant la grâce , avant cette sublime philosophie donnée par Dieu au monde. D'ailleurs, celui qui vient de mourir, habite une région plus heureuse, il jouit d'un meilleur sort; loin d'avoir perdu votre fils, vous l'avez mis en lieu sûr. Ne dites donc pas : J'ai cessé d'être père : Ce n'est plus sur la terre seulement que vous êtes appelé de ce nom, mais encore dans le ciel. Bien loin de l'avoir perdu , vous le possédez plus que jamais : Vous êtes père, non plus d'un fils sujet à la mort, mais d'un fils immortel, d'un généreux soldat qui ne doit plus quitter sa patrie. Il n'est plus à côté de vous ; mais gardez-vous de croire qu'il soit perdu pour vous. Supposez-le parti pour un voyage : il est absent de corps, il est vrai ; mais cela suffit-il pour que le nom de parent disparaisse? Ne considérez donc point ce visage désormais sans vie; vous ne feriez que rappeler votre chagrin; mais faites en sorte d'élever votre âme jusqu'au ciel. Ce n'est point ce cadavre étendu par terre qui est votre fils; mais il s'est envolé, pour ainsi dire, à des hauteurs intimes. A la vue de ces yeux fermés , de cette bouche muette, de ce corps sans mouvement, gardez-vous bien d'accueillir cette pensée; cette bouche ne parle plus, ces yeux ne voient plus,

ces pieds ne marchent plus; tous ces organes sont la proie de la corruption. Dites au contraire : cette bouche parlera un plus digne langage , ces yeux contempleront de plus beaux spectacles , ces pieds s'élèveront au-dessus des nuées , et ce corps enfin , maintenant livré à la corruption, sera un jour revêtu d'immortalité , et je reverrai mon fils tout éclatant de lumière. Si ce que vos yeux aperçoivent vous cause de la tristesse, faites ces réflexions: C'était un vêtement qu'il a dépouillé pour en prendre un plus beau ; c'était une maison , que l'on a renversée , pour en construire une plus belle.      .

Quand nous devons nettoyer nos maisons , laissons-nous quelqu'un dans l'intérieur? Non. — Mais nous faisons sortir tout le monde , pour que la poussière ne souille personne, pour que le bruit ne fatigue personne. Et quand nous avons cuis toutes choses en ordre, nous permettons d'y rentrer. C'est aussi la conduite du Seigneur. Après avoir détruit cette tente où votre fils habitait, il l'introduit dans sa propre demeure , afin de relever ce qu'il vient d'abattre et d'y ajouter une nouvelle splendeur. Ne dites donc point : Il est perdu , il n'est plus. C'est le langage de ceux qui n'ont pas de foi ; dites plutôt : Il dort et il ressuscitera ; il est parti pour un voyage d'où il doit revenir avec son roi. Qui est-ce qui parle de la sorte? Celui dans l'âme duquel parle Jésus-Christ lui-même. « Si en effet , dit l'apôtre , nous croyons que Jésus-Christ est mort, qu'il est ressuscité, qu'il est plein de vie ; de même aussi Dieu ramènera avec lui, par Jésus-Christ, ceux qui se sont endormis dans la mort ». (I Thess. IV, 14.) C'est pourquoi , si vous cherchez votre fils, cherchez-le dans le palais du roi, dans les rangs de l'armée céleste, non pas dans le tombeau , non pas dans la terre; et tandis qu'il habite ces sublimes régions, ne restez point cloué à la terre. — Avec de telles réflexions, nous n'aurons pas de peine à bannir toute espèce de chagrins. Daigne le Dieu des miséricordes et le Père de toute consolation consoler tous les coeurs de ceux qui sont en proie à cette Tristesse ou qui endurent d'autres souffrances ! Daigne sa bonté nous délivrer de tout chagrin, nous faire goûter les délices spirituelles et nous accorder les éternelles richesses. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel (8) avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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