COLOSSIENS XI
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HOMÉLIE XI. CONDUISEZ-VOUS AVEC SAGESSE ENVERS CEUX QUI SONT HORS DE L'ÉGLISE, EN RACHETANT LE TEMPS; QUE VOTRE ENTRETIEN, TOUJOURS ACCOMPAGNÉ D'UNE DOUCEUR ÉDIFIANTE, SOIT ASSAISONNÉ DU SEL DE LA DISCRÉTION, EN SORTE QUE VOUS SACHIEZ COMMENT VOUS DEVEZ RÉPONDRE A CHAQUE PERSONNE. (IV, 5-11.)

 

163

 

Analyse.

 

1. Il faut être circonspect dans sa conduite et dans son langage; il faut rendre à chacun ce qui lui appartient. — Affection de Paul pour ses frères.

2. Paul recommande ses amis aux Colossiens.

3. Humilité de Paul. — Il faut se réjouir -avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent. — Il faut applaudir aux succès de ses frères, pour les partager.

4. L'envie doit être foulée aux pieds.

 

1. Les conseils que le Christ donnait à ses disciples, Paul les donne ici. Que disait le Christ? « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Ayez donc la prudence du serpent et la simplicité de la colombe ». (Matth. X, 16.) C'est-à-dire, prenez vos précautions, ne donnez jamais prise sur vous. S'il ajoute: «Avec ceux qui sont hors de l'Eglise», c'est que nous avons moins de précautions à prendre avec ceux qui sont nos membres qu'avec les étrangers. Entre frères, on se passe bien des choses, parce qu'on s'aime; pourtant, même entre frères, il faut se tenir sur ses gardes; mais il faut y être surtout avec les étrangers. Car autre chose est de se trouver au milieu de ses ennemis, autre chose est de vivre parmi ses amis. Après les avoir intimidés, voyez comme Paul les rassure. « En rachetant le temps », dit-il; car le moment présent est court. S'il leur tenait ce langage , ce n'était point pour en faire des caméléons et des hypocrites, car l'hypocrisie est folie plutôt que sagesse. Mais il veut dire : Dans les choses indifférentes, ne donnez pas prise sur vous. C'est ce qu'il dit aux Romains : « Rendez à chacun ce qui lui est dû; le tribut, à qui vous devez le tribut; les impôts, à qui vous devez les impôts; hommage à qui vous devez hommage ». (Rom. XIII, 7.) Ne combattez que pour la parole de Dieu; c'est cette parole seule qui doit vous donner le signal de la guerre. Car si, pour d'autres motifs, nous levions l'étendard de la guerre contre les étrangers, ce serait là une guerre sans profit pour nous, qui les rendrait pires qu'ils ne sont, et qui leur donnerait, en apparence, le droit de nous accuser; par exemple, si nous ne voulions pas payer l'impôt et rendre hommage à qui de droit, si nous n'étions pas humbles. Voyez-vous comme Paul s'abaisse, quand il ne s'agit pas de la parole de Dieu? Ecoutez ce qu'il dit à Agrippa : « Je m'estime heureux d'avoir à plaider ma cause devant vous, parce que vous connaissez à fond les coutumes des Juifs et les questions qui s'agitent entre eux». (Act. XXVI, 2, 3.) S'il avait cru devoir humilier le souverain, tout aurait été perdu pour lui. Ecoutez encore saint Pierre qui répond aux Juifs avec douceur : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ». (Act. V, 29.) Et pourtant ces hommes, qui avaient fait le sacrifice de leur vie , auraient pu se répandre en outrages et tout oser. Mais s'ils avaient fait le sacrifice de leur vie, ce n'était pas pour courir après une vaine gloire; car alors leurs insultes n'auraient été que de la jactance. Mais leur unique but était de publier la parole de Dieu et de parler en toute liberté et en toute assurance. Courir après la vaine gloire aurait été, de leur part, un acte d'impudence.

« Que votre entretien, étant toujours accompagné d'une douceur édifiante, soit toujours assaisonné du sel de la discrétion». Cela veut dire que cette douceur et cette grâce de style ne doivent pas être employées indifféremment. On peut, en effet, parler avec urbanité et avec grâce, sans oublier pour cela la dignité du langage et les convenances. « En sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne faut donc point parler à tous nos auditeurs le même langage ; il faut savoir faire la différence des gentils et de nos frères. Parler autrement serait le comble de la folie.

« Tychique, mon très-cher frère, ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux, vous apprendra tout ce qui me regarde ». Ah ! que saint Paul est sage! Dans ses lettres, il ne met rien qui ne soit nécessaire et urgent. C'est qu'avant tout il ne veut pas être prolixe. Puis il veut faire respecter son envoyé, il veut que cet envoyé ait quelque chose à dire. Il montre aussi l'affection qu'il a pour lui; car autrement il n'en aurait pas fait son mandataire. Enfin, il y avait certains détails qu'il ne pouvait exprimer par lettres. « Mon très-cher frère », dit-il. C'était donc pour lui un confident auquel il ne cachait rien. « Ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux ». S'il est fidèle, il est incapable d'en imposer. S'il sert Dieu avec (164) Paul, c'est qu'il a partagé ses épreuves. Il groupe ici tous les motifs qui peuvent l'accréditer auprès des Colossiens. « Et je vous l'ai envoyé, afin qu'il apprenne l'état où vous êtes vous-mêmes (8) ». Il leur donne par là une preuve de sa vive affection pour eux; cette preuve, c'est le motif même du voyage de Tychique. C'est ainsi qu'il écrivait aux Thessaloniciens : « Ne pouvant y tenir plus longtemps, j'ai voulu rester seul à Athènes, et je vous ai envoyé mon frère Timothée ». (I Thess. III, 1, 2.) Il l'envoie aussi, pour la même cause, chez les Ephésiens: « Pour qu'il s'informe de ce qui vous concerne et qu'il vous console ». (Eph. VI, 22.) Voyez ce qu'il leur dit: Je ne tiens pas à vous faire connaître ma situation, mais je veux connaître la vôtre c'est ainsi qu'il abdique toujours sa personnalité. Il fait allusion aussi à leurs épreuves en ces termes: « Afin qu'il vous console ». — « J'envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère, qui est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici (9) ». C'est ce même Onésime, à propos duquel il écrivait à Philémon : « J'avais voulu le garder auprès de moi, afin qu'il me rendît quelque service, en votre place, dans les chaînes que je porte pour l'Evangile; mais je n'ai voulu rien faire sans votre avis ». (Philém. 13.) Puis vient un mot flatteur pour leur cité : « Il est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici. Aristarque, qui est prisonnier avec moi, vous salue (10) ».

2. Il fait là le plus bel éloge de cet Aristarque, qui avait été amené avec lui de Jérusalem. Le langage de Paul surpasse celui des prophètes. Les prophètes s'appellent des hôtes, des étrangers, des voyageurs; Paul s'honore du nom de captif. Car c'était comme captif qu'il était promené çà et là et qu'il se voyait exposé à tous les outrages; il était même plus maltraité que les prophètes. Les prophètes une fois pris par les ennemis recevaient du moins les soins que l'on donne à des esclaves que l'on regarde comme sa propriété; mais lui, tout le monde le traitait en ennemi, on le frappait à coups de fouets et à coups de verges; on l'accablait d'insultes, on le calomniait. C'était là une consolation pour ses auditeurs; car lorsque le maître est persécuté comme eux, c'est un sujet, de consolation pour les disciples. — «Aussi bien que Marc, cousin de Barnabé». Cette parenté est, pour Marc, une recommandation ; car c'était un grand homme que Barnabé. « Au sujet duquel on vous a écrit : s'il vient chez vous, recevez-le bien». Ils l'auraient certainement bien reçu, sans cette recommandation. Mais Paul veut dire qu'il faut l'accueillir avec un zèle empressé, comme on accueille un homme supérieur. Qui avait écrit? il ne le dit pas. — «Jésus aussi, appelé le juste, vous salue ». Ce Jésus était peut-être de Corinthe. Puis il enveloppe dans un commun éloge tous ces hommes dont il a déjà fait l'éloge en particulier. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis. Ce sont les seuls qui travaillent maintenant avec moi, pour avancer le royaume de Dieu, et qui ont été ma consolation ». Il a, tout à l'heure, parlé d'un « compagnon de captivité ». Mais, pour ne pas abattre ses auditeurs, voyez comme il relève leur courage, en disant : « Ils travaillent avec moi pour le royaume de Dieu »; c'est-à-dire, ils ont partagé mes épreuves, ils partagent mon oeuvre glorieuse. « Ils ont été ma consolation ». Ils sont bien grands, puisqu'ils ont été les consolateurs de saint Paul. Mais remarquons la prudence de Paul : « Conduisez-vous avec sagesse envers ceux qui sont au dehors, en rachetant le temps »; c'est-à-dire, le temps d'aujourd'hui, c'est leur temps à eux; le vôtre n'est pas encore venu : ne vous arrogez donc pas la souveraineté et l'autorité; mais rachetez le temps. Il n'a pas dit: « Achetez », mais « rachetez le temps».

Soyez dans ces dispositions, et, par là, faites en sorte que ce temps soit aussi le vôtre. Ce serait, en effet, de notre part le comble de la démence d'imaginer des prétextes de guerres et de discordes. Outre les périls inutiles et sans profit que nous aurions à braver, nous aurions le malheur d'éloigner de nous les gentils. Au milieu de nos frères, nous marchons avec assurance; il n'en est pas de même, quand nous nous trouvons avec les gentils. Voilà pourquoi Paul écrivait à Timothée : « Il faut que ceux du dehors portent aussi sur vous un bon témoignage». (I Tim. III, 7.) Et il dit encore : « Il ne m'importe pas de juger ceux qui sont au dehors ». (I Cor. V, 12.) « Conduisez-vous», dit-il, « avec sagesse envers ceux qui sont au dehors ». Les gentils, en effet, tout en habitant le même monde que nous, sont en dehors de l'Eglise; ils sont en dehors du royaume et de la maison de notre Père. Il console en même temps ses auditeurs, en (165) donnant aux gentils le nom d'étrangers. N'a-t-il pas dit plus haut: « Votre vie, à vous, est cachée en Dieu avec Jésus-Christ? » Quand il paraîtra, cherchez la gloire, les honneurs et tous les biens. Mais ne cherchez rien de tout cela, pour le moment; laissez tout cela aux gentils. Puis, pour qu'on n'aille point penser que saint Paul veut leur parler de la richesse, il ajoute : « Que votre entretien, toujours accompagné d'une grâce édifiante, soit assaisonné du sel de la discrétion, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne veut pas dire par là que vos paroles doivent être pleines d'hypocrisie, car l’hypocrisie n'est pas de l'aménité; elle ne peut pas non plus servir d'assaisonnement à un entretien. Mais ne vous refusez pas à rendre hommage à qui de droit, si cet hommage est sans péril. Si les circonstances vous permettent de parler avec douceur, ne prenez pas cette douceur de langage pour de la flatterie. Rendez aux princes du monde tous les hommages possibles, pourvu que la religion n'en souffre pas. Ne voyez-vous pas Daniel honorer un impie? Ne voyez-vous pas la sage conduite de ces trois jeunes hommes qui se présentent au roi, en déployant une franchise et un courage qui n'ont cependant rien d'âpre ni de téméraire? Car l'âpreté et la témérité n'ont rien de commun avec la franchise, avec une noble assurance; ce n'est que vanité.

« Afin que vous sachiez», dit l'apôtre, «comment vous devez répondre à chacun». C'est qu'il ne faut pas parler à un prince comme à un sujet, à un riche comme à un pauvre. Pourquoi? Parce que les princes et les riches, nageant dans la prospérité, ont l'âme faible et gonflée d'orgueil, ce qui nous oblige à nous incliner devant eux et à nous plier à leurs caprices. Les pauvres, au contraire, et ceux qui sont soumis à une puissance quelconque, sont plus forts et plus sages, ce qui fait qu'on peut leur parler avec plus de franchise, en ne s'attachant qu'à une chose, à rendre sa parole édifiante. Ce n'est point parce que l'un est riche et l'autre pauvre que vous rendez plus d'honneurs à l'un qu'à l'autre; c'est à cause de sa faiblesse, que l'un se trouve élevé plus que l'autre... N'allez donc pas, sans motif, traiter un gentil d'homme abominable et l'aborder, l'insulte à la bouche. Mais, si l'on vous demande votre avis sur ses croyances, dites ,'que vous les trouvez abominables et impies.

Si l'on ne vous interroge pas, si l'on ne vous force pas à parler, ne vous faites pas à la légère un ennemi. A quoi bon, en effet, soulever, sans aucun profit, des haines contre soi? Cherchez-vous à instruire un auditeur sur la religion? dites ce que le sujet vous force à dire, et rien autre chose. Si votre parole est assaisonnée du sel de la discrétion, en tombant dans une âme énervée, elle la guérira de sa mollesse; en tombant dans une âme rebelle, elle en adoucira les aspérités. Ne choquez pas les oreilles de vos auditeurs, soyez agréable, sans mollesse; joignez le charme du langage à la gravité. Soyez agréable, sans être importun; point de fadeur, mais un style grave et charmant tout à la fois. Un langage trop austère fait plus de mal que de bien; un langage trop plein d'agréments cause plus d'ennui que de plaisir. Il faut de la mesure en tout. Ne vous montrez pas triste et farouche; c'est le moyen de déplaire. Ne soyez pas diffus et mou; c'est le moyen d'encourir le mépris. Prenez ce qu'il y a de bon dans chaque genre, en évitant les excès; faites comme l'abeille qui, en butinant . les fleurs, puise dans ce calice des sucs doux, et dans cet autre des sucs sévères. Le médecin n'emploie pas indifféremment toutes sortes de matières; il en est de même à plus forte raison du maître; que dis-je? les remèdes dangereux sont moins nuisibles au corps, que certaines paroles ne le sont à l'âme. Un gentil vient à vous, par exemple, et il devient votre ami. Ne lui parlez de religion que lorsqu'il est devenu votre ami intime et, même alors, n'entamez ce chapitre que peu à peu.

3. Voyez comme Paul parle aux Athéniens, quand il vient à Athènes ! Il ne leur dit pas O hommes criminels et abominables ! Il leur dit: « Athéniens, vous êtes, je le vois, religieux à l'excès ». (Act. XVII, 22.) Mais, quand il faut prendre un ton sévère, il sait élever la voix et dit avec véhémence à Elyme : « Homme rempli d'astuce et de fausseté, fils du démon, ennemi de toute justice». (Ibid. 13.) Il y aurait eu de la démence à prendre ce ton-là avec les Athéniens; il y ,aurait eu de la pusillanimité à ménager Elyme. Quand, pour quelque affaire, vous comparaissez devant les magistrats, rendez-leur les honneurs qui leur sont dus. « Vous saurez par eux», dit-il, «tout ce qui se passe ici ». Il s'excuse de ne pas être venu en personne. Mais que veulent dire ces mots : « Tout ce qui se passe ici? » Il fait allusion à ses chaînes (166) et à tout ce qui le retient. C'est comme s'il disait: Si je vous envoie des messagers, moi qui voudrais tant vous voir, c'est que de puissants obstacles me retiennent loin de vous; autrement, je n'aurais pas tardé un seul instant à venir moi-même. C'est ainsi qu'il prévient tout reproche. Apprendre aux Colossiens les épreuves qu'il subissait et le courage avec lequel il les supportait, c'était prouver qu'il méritait leur confiance, et c'était en même temps les encourager.

« J'envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère ». Paul donne à un esclave le nom de frère, et avec raison, puisqu'il s'appelle lui-même l'esclave des fidèles. Rabaissons tous notre orgueil, foulons aux pieds l'arrogance. Il se donne le nom d'esclave, ce Paul qui est aussi grand que l'univers, et dont l'âme est toute céleste, et vous, vous êtes plein de hauteur ! Lui qui remuait un monde, qui tenait dans le ciel le premier rang, qui a mérité une couronne, qui est monté au troisième ciel, il donne à des esclaves le nom de frères, il les appelle ses compagnons de chaînes. Que dire de votre folie? Que dire de votre arrogance ? Il fallait qu'Onésime fût bien digne de foi, pour que Paul le chargeât de son message; aussi bien que Marc, « cousin de Barnabé, au sujet duquel on vous a écrit. S'il vient chez vous, recevez-le bien ». Peut-être avaient-ils reçu de Barnabé quelque mandat. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis ». Il rabat ici l'orgueil des juifs et relève les esprits de ses auditeurs; car il s'était fait moins de conversions chez les juifs que chez les gentils. « Et qui ont été ma consolation »; ce qui montre que Paul avait été en proie à de cruelles épreuves. Quand on console une âme pieuse par sa présence et par ses entretiens assidus, c'est beaucoup de partager son affliction. Avec les prisonniers, pleurons comme si nous étions prisonniers. (Hébr. XIII, 3.) Si nous nous intéressons à leurs souffrances, nous partagerons leurs couronnes. Vous n'êtes pas descendu vous-même dans la lice, c'est un autre qui entre dans l'arène, c'est un autre qui lutte. Mais si vous voulez, vous pouvez partager sa couronne. Frottez d'huile cet athlète qui va combattre, soyez son ami, encouragez-le de la voix. Voilà ce qu'on peut toujours faire. C'était dans le seul but d'encourager ses auditeurs, que Paul leur parlait.

Et vous aussi, en toute circonstance, fermez la bouche aux médisants, entourez l'athlète de sympathies, accueillez-le avec empressement quand il sort de la lice ; c'est ainsi que vous partagerez ses couronnes et sa gloire. Sans avoir combattu vous -même, par cela seul que vous avez applaudi à ses travaux, vous vous y êtes associé en grande partie, car vous l'avez soutenu de vos sympathies; et le plus grand de tous les avantages, c'est de se sentir soutenu. En effet, si ceux qui pleurent avec nous semblent partager notre chagrin et contribuent à l'adoucir, à plus forte raison ceux qui se réjouissent de notre succès augmentent le plaisir qu'il nous cause. C'est un grand malheur de ne trouver personne qui compatisse à nos souffrances. Ecoutez cette parole du Prophète : « J'attendais quelqu'un qui s'attristât avec moi, et je n'ai trouvé personne ». (Ps. LXVIII, 21.) C'est pour cela que Paul ici nous dit «de nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, et de pleurer avec ceux qui pleurent ». (Rom. XII, 18.) Ajoutez à la joie de vos frères. Voyez-vous votre frère jouir de l'estime publique? ne dites pas : S'il est estimé, tant mieux pour lui ! Pourquoi m'en réjouirais je; moi? Ce n'est pas là le langage d'un frère, c'est le langage d'un ennemi. Si vous voulez, les avantages que possède votre frère, deviendront les vôtres; vous n'avez qu'à ajouter à cette bonne renommée de votre frère; au lieu de vous en affliger, vous n'avez qu'à y applaudir: C'est là une vérité évidemment prouvée parce qui suit. Les envieux, en effet, portent envie tout à la fois à ceux qui jouissent de l'estime publique et à leurs amis qui sont heureux de les voir estimés. Ils savent que ces amis sont estimés eux-mêmes à cause de cette généreuse sympathie, et que ce sont eux qui se glorifient le plus de la gloire de leurs amis. Ceux-ci, en effet, rougissent des pompeux éloges qu'on leur donne, tandis que ceux-là en sont tout heureux et tout fiers.

Voyez les athlètes ! A l'un la couronne, à l'autre la défaite. Quant à la douleur et à la joie, elle est pour leurs partisans et pour leurs ennemis qui bondissent et qui trépignent. Voyez comme il est beau de ne pas être jaloux! La fatigue est pour un autre, et le plaisir est pour vous. Un autre a la couronne, mais c'est vous qui bondissez, qui trépignez de joie. Car, dites-moi, je vous prie, pourquoi ces transports de joie, quand c'est un autre que vous qui remporte la victoire? Ah ! c'est qu'il y a, (167) vous le savez bien, communauté de succès entre vous. Aussi n'est-ce pas à l'athlète que s'adressent les envieux; ils cherchent seulement à rabaisser sa victoire, et c'est à vous qu'ils viennent dire : Vous voilà renversé ! vous voilà terrassé ! Un autre a donc combattu, et c'est vous qui avez la gloire. Si donc, quand il s'agit d'un avantage extérieur, il est si utile d'être exempt d'envie, pour s'approprier ainsi le succès d'autrui, que sera-ce quand il s'agira d'un triomphe spirituel, remporté sur le démon? C'est alors que le démon est furieux contre nous, parce que c'est nous surtout qui applaudissons à sa défaite. Son âme, quelque noire qu'elle soit, connaît toute l'étendue de la joie que nous éprouvons. Voulez-vous attrister le démon ? réjouissez-vous, applaudissez-vous des succès de vos frères. Attristez-vous-en, si vous voulez faire plaisir à l'esprit du mal. La douleur que lui cause la victoire de votre frère est moins grande, quand vous en gémissez aussi. Vous passez de son côté, en vous séparant de votre frère, et vous êtes plus coupable encore que le démon. Ce n'est pas la même chose en effet d'agir en ennemi quand on est l'ennemi de quelqu'un, et de tenir envers quelqu'un une conduite hostile quand on est son ami. Dans ce dernier cas, on est plus son, ennemi, on est plus coupable qu'un ennemi déclaré. Votre frère s'est-il fait une réputation par sa parole ou par ses actes? associez-vous à sa gloire, en montrant qu'il est de votre famille.

4. Comment faire, direz-vous? Moi, je n'ai point acquis une pareille renommée. Ne parlez pas ainsi, taisez-vous. Si vous étiez près de moi, vous qui tenez ce langage, je vous aurais mis la main sur la bouche, pour empêcher l'ennemi de vous entendre. Souvent,.en effet, il s'élève entre nous des haines particulières que nous cachons à nos ennemis communs ; et vous, vous dévoilez au démon votre âme haineuse. Ah ! ne parlez pas, ne pensez pas, comme vous le faites; dites au contraire : Cet homme illustre est un membre de moi-même sa gloire rejaillit sur le corps dont il fait partie. Mais pourquoi, dites-vous, les étrangers, ceux qui sont hors de l’Eglise, ne partagent-ils pas ces sentiments? Pourquoi? c'est que vous leur donnez le mauvais exemple. Ils vous voient rester étrangers au bonheur d'autrui, et ils y restent étrangers eux-mêmes. S'ils vous voyaient vous associer à sa gloire, ils n'oseraient se conduire comme ils le font; et vous aussi, vous seriez illustre. Vous ne vous êtes pas fait un nom par votre éloquence, mais en félicitant votre frère, qui s'est acquis de la célébrité par sa parole; vous avez obtenu plus de gloire que lui. Car si la charité est une chose si importante, si elle est la source de tous les biens, la couronne dont elle dispose vous est décernée. Votre frère remportera le prix de l'éloquence, et vous, vous remporterez celui de la charité. S'il montre la puissance de sa. parole, de votre côté vous triomphez de la haine, et vous foulez aux pieds l'envie. Vous méritez donc mieux que lui la couronne; vos travaux ont plus d'éclat que les siens ; vous ne vous êtes pas borné à triompher, de l'envie, vous avez été plus loin. Votre frère n'a remporté qu'une couronne; vous en avez remporté deux qui sont plus brillantes que la sienne. Ces couronnes, quelles sont-elles ? Celle-ci, vous l'avez obtenue en triomphant de l'envie ; cette autre vous a été décernée par la charité. Car cette joie que vous cause le succès de votre frère prouve tout à la fois que vous n'avez point de jalousie dans le coeur, et que la charité a jeté dans votre âme de profondes racines.

Le triomphateur a souvent ses ennuis qui proviennent de quelque trouble intérieur , de la vanité par exemple; mais vous êtes affranchi, vous, de tous ces troubles; la vanité ne vous tourmente pas, et si vous vous réjouissez, c'est du bonheur d'autrui. Votre frère, dites-moi, a-t-il rehaussé l'éclat de l'Eglise, a-t-il fait des prosélytes? S'il en est ainsi, faites encore son éloge, vous aurez deux couronnes, l'une pour avoir terrassé l'envie, l'autre pour avoir entendu la voix de la charité. Ah ! je vous en prie, je vous en conjure, écoutez-moi. Voulez-vous que je vous parle d'une troisième couronne que vous allez mériter? Tandis qu'ici-bas les hommes applaudissent aux succès de vos frères, vous vous attirez là-haut les applaudissements des anges. Ce n'est pas la même chose, en effet, d'avoir une diction élégante et belle, et de triompher de ses passions. La gloire de la parole passe; la gloire que l'on acquiert en domptant ses passions, est éternelle. La première vient des hommes; la seconde vient de Dieu. Ici-bas, c'est devant tout le monde que le triomphateur reçoit sa couronne ; mais vous, c'est en secret que vous recevez votre couronne des mains de votre Père qui vous (168) voit. Si l'on pouvait ouvrir la poitrine des hommes, pour lire dans leur âme, je vous montrerais l'âme de l'homme exempt d'envie, plus resplendissante que l'âme du triomphateur. Foulons donc aux pieds les aiguillons de l'envie ; veillons nous-mêmes à nos intérêts, ô mes chers frères, et nous nous couronnerons de nos propres mains.

L'envieux s'attaque à Dieu et non pas à l'homme qui est l'objet de son envie. Car, lorsqu'il voit que celui-ci est en faveur, lorsqu'à cette vue il se chagrine et s'irrite jusqu'à vouloir détruire l'Eglise, c'est contre Dieu qu'il combat. Dites-moi, en effet, voilà un homme qui est occupé à parer la fille d'un roi, et cette occupation lui vaut l'estime publique. Survient un envieux qui fait des voeux pour que la fille du roi compromette sa réputation, et pour que celui gui s'occupe de rehausser son éclat ne puisse plus travailler pour elle. A qui cet envieux tendra-t-il ses piéges ? Ne sera-ce pas au roi et à sa fille? Il en est ainsi de vous qui portez envie à votre frère en Jésus-Christ; c'est contre l'Eglise, c'est contre Dieu que vous combattez. N'y a-t-il pas, entre la gloire de votre frère et l'intérêt de l'Eglise, une connexion intime, et la chute de l'un n'entraîne-t-elle pas nécessairement celle de l'autre? C'est donc une oeuvre de démon que vous faites, puisque c'est au corps même du Christ que vous vous attaquez. Votre dépit et votre ressentiment s'allument contre un homme qui ne vous a rien fait, et contre le Christ en particulier. Qu'est-ce qu'il vous a donc fait, le Christ, pour que sa gloire et celle de sa jeune épouse vous offusque? Mais voyez donc quel supplice vous vous infligez. Vos ennemis, vous les comblez de joie, et celui-là même dont vous voulez empoisonner les succès, vous le faites rire à vos dépens, puisque votre jalousie fait encore ressortir sa gloire et sa réputation. S'il ne la méritait pas, en effet, vous ne seriez pas jaloux de lui ; vous montrez chaque jour davantage à quel point le dépit vous dévore. J'ai honte de vous exhorter à ce sujet; mais, puisque nous sommes encore si faibles, après les leçons que nous avons reçues, délivrons-nous donc du fléau de l'envie. Les éloges et l'estime que l'on accorde à votre frère vous aigrissent ! Pourquoi donc ajoutez-vous à sa gloire? Vous voulez le tourmenter ! Pourquoi donc faire éclater votre dépit? Pourquoi vous punir vous-même, avant de punir celui à la gloire duquel vous vous opposez? Il y a là pour lui un double plaisir, un double triomphe, et pour vous un double tourment; d'abord, vous le faites valoir, et c'est un plaisir bien amer pour vous que vous lui procurez ; puis, cette envie, qui fait votre tourment, fait sa joie.

Voyez quel mal nous nous faisons à nous-mêmes, sans le savoir. Cet homme est notre ennemi, mais pourquoi? Quel mal nous a-t-il fait? Ne faut-il pas songer après tout que par notre jalousie nous lui donnons plus de lustre et que nous nous punissons nous-mêmes? Ce qui est encore un supplice pour nous, c'est de croire qu'il s'est aperçu de nos sentiments. Peut-être notre jalousie n'entre-t-elle pour rien dans la joie qu'il éprouve; mais nous croyons qu'elle y est pour quelque chose, et nous en gémissons. Bannissez donc l'envie, car à quoi, bon ces blessures que vous vous faites à vous-même? Songeons, ô mes chers frères, à cette double couronne qui attend l'homme exempt d'envie. Eloges de la part des hommes, éloges dé la part de Dieu, voilà ce qui lui est réservé. Réfléchissons aussi à tous les maux dont l'envie est la mère. C'est ainsi que nous parviendrons à étouffer ce monstre, à obtenir les éloges de notre Dieu, à obtenir l'estime des hommes, comme les autres. Si nous ne parvenons pas à nous faire une réputation, c'est que cette réputation ne serait pas pour nous un avantage. Mais, après tout, si notre vie a été employée pour la gloire de Dieu, il nous sera permis d'obtenir les biens promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

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