La Personnalité de Jésus
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Un grand nombre parmi les philologues et les savants modernes qui ont étudié les origines du christianisme, ont voulu ignorer son âme vivante qui, seule, aurait pu éclairer, pour eux, les faits et se sont appliqués à compulser les textes et à disséquer les Écritures.   Ils ont délaissé l'esprit pour s'en tenir à la lettre.   Aussi n'ont-ils saisi que le vêtement extérieur, non l'organisme vivant que ce vêtement recouvrait et ont-ils abouti aux conclusions les plus divergentes.

Les modernistes, n'ayant pu rejeter complètement les Évangiles, y ont montré des interpolations, des lacunes, des contradictions.   De chaque fait ils ont essayé de donner une interprétation naturelle; ils ont ainsi réduit la divine figure de Jésus à celle d'un simple philosophe mystique, d'un homme comme les autres.   D'aucuns ont fait de lui un médium ou un mage et voilà que certains écrivains  témoin l'auteur de l'étude du Mercure de France que nous avons analysée dans notre précédent article  en sont arrivés même à nier son existence historique, le considérant comme un mythe spirituel, simple objet de foi, sous le prétexte que les documents qui parlent de lui ne satisfont pas aux exigences de la critique moderne.

Que diriez-vous de physiciens qui voudraient connaître le mystère de la télégraphie sans fil et négligeraient cependant l'étude du milieu éthéré et des ondes hertziennes qui s'y propagent ?   Passant outre à celles-ci, ils s'acharnent à examiner les appareils transmetteur et récepteur.   Ils n'arrivent évidemment pas à en tirer l'explication qu'ils cherchent et sont réduits, s'ils persistent dans leur attitude obstinée, à nier purement et simplement le phénomène !

Serait il plus heureux, l'amateur de littérature qui, désirant pénétrer la poésie d'un livre, en disséquerait les mots et les phrases et les comparerait les uns aux autres ?   Ou le soi-disant psychologue qui chercherait à découvrir la pensée d'un homme, en mesurant simplement sa boîte crânienne ?

Dans chaque chose il y a l'âme et le corps, le centre et la périphérie, le fond et la forme.   Cette dernière donne sans doute des renseignements utiles pour l'analyse détaillée, mais elle ne suffit pas pour la synthèse.   Elle n'est qu'une manifestation extérieure, une écorce : l'amande est intérieure.   Or le point de vue intérieur de la religion a été négligé par les critiques qui n'ont vu que des textes, des lieux, des monuments et des témoins historiques.   Ces derniers, quoique en nombre suffisant, ne pouvaient pas les conduire jusqu'à la compréhension de Jésus, le centre vivant du christianisme.

Les grands événements spirituels ne se font remarquer qu'à la longue et par leurs lointaines conséquences sur le plan sensible; ils ne s'accompagnent pas toujours de faits matériels notoires.   Pourquoi donc voudrait-on que l'histoire profane se fût occupée plus qu'elle ne l'a fait d'un " roi dont le royaume n'était point de ce monde " ?   Elle ne relate d'ordinaire que les gestes éclatants.   Or la naissance et la vie de Jésus ont été obscures; ses paroles qui devaient, plus tard, transformer le monde, n'ont été écoutées, durant la période publique de sa vie terrestre, que de quelques modestes pêcheurs de Galilée.   Pour un spectateur ordinaire et indifférent, la mort de Jésus sur la croix n'a été qu'un fait divers que l'histoire humaine pouvait très bien ignorer, bien qu'elle l'ait relaté toutefois.   C'est au spirituel  c'est-à-dire sur un plan caché à la conscience normale de la plupart des hommes  que cette mort constituait l'événement le plus considérable de tous les temps.

De nos jours encore, est-ce que la chronique ou l'histoire officielle ne méconnaît pas totalement le travail, pourtant si fécond, et même jusqu'à l'existence de certains initiateurs ?   Cela n'empêche pas qu'ils soient là bien vivants, sous nos yeux.

Quand les derniers témoins de sa vie auront disparu, il sera également possible, dans quelques années, de contester, par exemple, la réalité historique de Behâ Ullah, le célèbre fondateur du mouvement religieux qui porte son nom (le Béhaïsme).   Pourtant nous savons pertinemment qu'il a existé et nous avons connu, en personne, son propre fils et continuateur Abbas Essendi, mort tout récemment.

Ainsi, quoi qu'en disent certains critiques, et sans que nous voulions faire aucune comparaison sacrilège avec Behâ Ullah, Jésus a bel et bien vécu sur terre et, après avoir donné les enseignements et accompli les principaux faits et miracles rapportés dans les Évangiles, Il a été mis à mort et est ressuscité.   Qu'importe s'il y a des interpolations des erreurs matérielles et même des contradictions apparentes dans ces récits sacrés ?   " Ce n'est pas la lettre des Écritures qui est vraie, c'est leur esprit. " Or cet Esprit, pour se manifester dans le plan sensible, a dû passer par des interprètes humains qui ont plus ou moins déformé sa lumière.   Et pour des raisons de justice supérieure, il fallait qu'il en fût ainsi, comme nous le verrons.

II n'est donc pas indispensable de compiler des notes, de confronter les documents et les manuscrits, si l'on en veut saisir le sens intérieur.   On doit plutôt, dans ce but, tâcher de faire passer l'enseignement de ces livres divins dans sa propre vie.   Sédir a écrit dans " l'Enfance du Christ " : " L'ignorant qui réalise chaque jour le peu qu'il a compris, trouvera plus de vérités dans la version la moins fidèle que l'érudit...  n'en découvre dans les textes les plus authentiques. "

Cette phrase révélatrice jette une grande clarté sur le sujet qui nous occupe.   La compréhension de la Vérité est progressive et a lieu dans la proportion où le sujet qui la perçoit se rend pénétrable à ses rayons.   Une vie de perfection et de sacrifice est plus nécessaire pour cela que l'étude approfondie des sciences.

En effet, la Vérité habite le plan du Verbe; c'est de là que découle toute vie comme tout don parfait.   Elle est elle-même Dieu; s'en approcher, c'est donc s'approcher de Dieu, de la béatitude immuable, de la régénération définitive et il est juste, équitable et logique que ne puissent y parvenir que ceux qui ont le coeur assez purifié pour mériter un tel bonheur.

La culture intellectuelle n'y suffit pas.   On peut le constater tous les jours, elle s'allie fort bien avec l'égoïsme, l'orgueil, la cupidité et les autres vices.   On rapporte le trait caractéristique suivant d'un des chefs du bolchevisme russe, un théoricien s'il en fût : " Il y a quelque dix ans, il dut passer la nuit à veiller auprès de sa mère à l'agonie.   Il apporta ses papiers et ses notes, s'installa pour remuer ses idées révolutionnaires.   Le matin le surprit en plein travail, à côté d'un cadavre déjà refroidi; le fils ne s'était pas aperçu de la mort de sa mère. "

Ainsi l'intellectualité exclusive est dangereuse si elle n'est pas guidée par les qualités du coeur.   Nous avons beau être un puits de science, si notre âme n'est pas encore parfaitement détachée, les vérités centrales lui demeureront voilées; elle ne verra qu'une fraction des choses, et elles lui apparaîtront déviées à travers le prisme non encore limpide du mental.

C'est qu'il n'y a pas grand mérite dans l'érudition pour ceux qui y trouvent leur plaisir; prise pour elle-même, c'est une simple satisfaction de la curiosité naturelle.   L'étude est une passion comme une autre; si elle n'est pas entreprise exclusivement dans le but de servir le prochain, elle n'est plus qu'une cupidité cérébrale.   On désire posséder le savoir, comme on convoite la puissance ou la fortune.

Si la Vérité pouvait être, tout entière, contenue en termes explicites dans des livres ou des textes, elle serait accaparée par les plus studieux et les plus intelligents, comme la richesse matérielle par les plus audacieux et les plus actifs.   Or la richesse est une déesse mortelle; elle peut quelquefois être conquise par les manoeuvres de l'homme, sauf à le décevoir lorsqu'il en aura sondé le vide.   Il n'en peut être ainsi de la Vérité vivante et éternelle; elle ne se laisse arracher ni par violence ni par surprise ni par adresse.   Sa recherche ne peut être utilement tentée qu'en suivant la voie étroite de l'Évangile.   Elle est elle-même le don parfait, qui ne demande qu'à se donner aux êtres créés, mais dans la mesure où ceux-ci sont préparés à le recevoir.   " Nul n'entrera dans la salle du festin, s'il n'a auparavant revêtu l'habit de noces. " La voie pour conduire au Vrai métaphysique sera donc le long chemin au cours duquel l'âme se dépouille des convoitises, de l'égoïsme, de la tyrannie du Moi et, en se vidant d'elle-même, se remplit peu à peu de l'Amour désintéressé, dont l'entrée en elle s'accompagne, en même temps, de celle de la vraie Lumière.   On comprend dès lors pourquoi cette Lumière arrive déformée, méconnaissable aux yeux qui n'ont pas encore été régénérés et ceci n'est que l'expression de la simple justice, comme nous le disions plus haut.  Cette régénération, en effet, doit être le fruit patiemment mûri des oeuvres de sacrifice, le couronnement des labeurs persévérants et sans cesse renouvelés du disciple et non point la suite heureuse et comme par un coup de chance d'une étude plus ou moins habile ou d'une expérience plus ou moins réussie.

C'est du Centre incréé que dérive toute existence, toute vérité; c'est donc en Lui seulement que peuvent s'apercevoir les lois générales de la vie et le mystère des êtres, leur secret essentiel.   Il n'y a aucun moyen d'arriver à cette connaissance sans s'approcher de ce centre et il n'y a aucune possibilité de s'en approcher sans suivre d'abord la voie que le Père a lui-même indiquée par ses envoyés et que le Christ a parachevée.

Or nous ne sommes point encore parvenus à ce stade avancé vers le Coeur des choses; nous nous trouvons à la périphérie, dans les champs extérieurs, d'où chacun de nous aperçoit seulement un coin de l'univers, sous un angle particulier.   De là les innombrables contradictions, les erreurs, les préjugés, les faux jugements, les doctrines les plus extravagantes.   Ces divagations de notre intelligence sont comme le corollaire forcé de l'égoïsme, de la violence, de la cupidité qui règnent encore, hélas !   sur notre globe.   Ceci va de pair avec cela.   Voilà pourquoi Satan a été appelé " le Prince de ce monde " et en même temps " le Père du mensonge. "

L'harmonie des intelligences ne saurait être là où dominent les désordres du coeur : il faut donc la chercher plus haut, dans le Royaume de la Paix promis aux seuls " pauvres en esprit ".   Ce n'est qu'une fois admis dans l'enceinte de ce palais magnifique que les voiles tomberont et nous laisseront voir l'Ineffable face à face.