LES MYSTIQUES
 

 Quelques-uns sentent que ce sont nos imperfections seules qui nous séparent du divin Maître et, dans leur fervent désir de Le rejoindre, entreprennent courageu-sement le travaildepurification néces-saire à la vie unitive.  Ces sontles mys-tiques.   Ils peuvent appartenir à desreli-gionsextérieures connues, ou être des iso-lés,mais, dans l'uncomme dans l'autre cas, ce qui les caractérise c'estqu'ils mettenten pratique les préceptes avec une énergieinlassable. 

 Ils ne prennent pas ces préceptes pour desapproximations ou des métaphores, mais comme devant êtreappliquésjus-qu'au sacrifice total.  C'est dans la véritédufait matériel qu'ils tourneront la joue gauche à celui quiles aura frappés sur la joue droite, en ce sens qu'ils opposeronttoujoursla douceur et l'humilité à la violence et àl'injure. Ils n'entreprendront pas de procès pour réclamerleur dû,pardonnant à leur pire ennemi et cherchant mêmeà luirendre service. 

 Faisant face à toutes leurs obligations familiales,professionnelles ou sociales, le temps qui leur restera, ils le consacrerontaux pauvres, et aux malades, demandant, en outre, pour ces patients, l'aidedu Ciel par la prière qui absorbera une partie de leurs nuits.  

 Pondérés et équilibrés en tout, joignant la prudence du serpent à la simplicitédela colombe, sans priver leurs foyers de la nourriture, du vêtementetdu confort indispensable, ils prendront sur leur budget personnel, l'argentnécessaire pour secourir les malheureux. 

 Comme ils sont constamment appliqués àcombattre leurs propres défauts, ils ne s'apercevront pasde ceuxdu prochain et ne s'occuperont de lui que pour lui donner de leurbonheur. S'il succombe, la charité clôt leur lèvres: ils savent qu'ils sont tout aussi fragiles et que nul n'est impeccable. 

 Lorsqu'ils font partie d'une religion ou d'une églisedonnée, ils en suivent les rites par obéissance et pour nepas scandaliser les faibles.   D'ailleurs, parce qu'ils appartiennentau Grand Berger, leur observance de ces rites communique à ceux-ciune vitalité nouvelle, car tout est vivant et se ressent du contactdes vrais serviteurs.   Ces derniers savent cependant que cen'est pas par des pratiques de pure forme qu'ils s'unissent à leur Rédempteur, mais en gardant Ses commandements, comme Il l'a Lui-même affirmé, à diverses reprises, à Ses disciples.  

 Toutefois, les voies de l'église peuvent paraître trop lentes à certaines âmes qui, alors, s'engagent, toutes seules, sur « l'étroit sentier ».  Ce sont les mystiques indépendants.  Comme ils sont isolés etprivés de secours extérieurs, le Christ leur envoie des guidesspéciaux et les entoure invisiblement d'une particulièresollicitude, car le chemin qu'ils ont à parcourir est pénible,exposé aux dangers de toute sorte;  seulement, il monte plusvite vers les sommets lumineux. 

 « Quoi qu'il en soit, écrit Sédir, je n'oserais jamais conseiller de prendre la coursière;  ceux qui sont assez forts pour s'y engager, se décident tout seuls.  Il y a le vertige, les terreurs nocturnes, les éboulements, desvoleurs parfois, des fauves aussi.  C'est là votre route, vousviolents, par où vous montez à l'assaut de la divine Citadelle.  Route inconnue, route glorieuse, route des solitudes et des solitaires,route des messagers de Lumière, des porteurs d'éternité,des martyrs de l'Idéal : puissions- 
nous, un jour, te gravir, dans cette détresse propice, dans cette agonie physique et mentale où brille, solitaire, la grande torche de l'Amour! »  . 

 C'est ce dernier mot qui explique le mystère de ces êtres d'exception, le courage de leur vie de sacrifice, dans laquelle ils restent incompris de leur entourage, de leurs proches et souvent bafoués et ridiculisés.  Ils pressentent un Amour infini au foyer duquel ils alimentent et rajeunissent leurs forces dépensées au service de tous.  Ils ne sont pas toujours favorisés devisions;  souvent le Ciel les conduit par la foi nue, dépouilléede tout charme, de tout signe extérieur.  C'est l'étatle pluspénible pour eux, car ils s'immolent sans arrêt pourl'invisibleAmi qui semble se cacher d'eux et les sevrer de toute douceur. Et celapeut durer ainsi des années!  

 Qu'ils persévèrent cependant.  Si le Seigneur paraît les priver de dons de voyance ou autres, c'est pour qu'ils ne s'arrêtent pas aux mondes intermédiaires, qu'ils ne s'y complaisent pas, que leur coeur, dépouillé de toutenourriture sensible, se tenant dans la pauvreté mystique, se remplissede Dieu seul.   Le jeûne spirituel rigoureux auquel ilsauront été soumis, sera récompensé par le donmagnifique de la foi, qui leur apportera, un jour, tous les dons et toutesles voyances en même temps, car la vraie foi c'est la descente duVerbe en eux.  C'est Lui qui, à ce moment-là, verrapar leurs yeux, entendra par leurs oreilles et réalisera, par leurintermédiaire, la guérison des malades et la conversion desintelligences dévoyées.  

 Leurs esprits, purifiés par une longue périoded'ascèse-morale, accoutumés par l'oraison à l'auditiondes paroles intérieures, seront devenus les souples instruments de l'Esprit.  Heureux sont-ils et bienheureux, car le Seigneur lesa, de cette manière, préparés à recevoir lebaptême définitif et à devenir les vrais enfants deDieu, c'est-à-dire des hommes libres.  La divine sollicitudedu Père les aura fait passer successivement, le long des siècles,d'un appartement invisible à un autre plus élevé.  jusqu'à l'appartement le plus haut, jusqu'au Ciel proprement dit,domaine du Verbe incréé.  

 Alors, quand le plan de la Création se seratout entier dévoilé pour eux, ils com-prendront quelle sagesseadmirable y a présidé et leur reconnaissance sera infinie envers Celui qui a disposé toutes choses avec poids, nombre et mesure.