IMPORTANCE DE L'HUMILITÉ 

 

  Ainsi deux attitudes diamétralement opposées caractérisent la position de l'intelligence vis-à-vis des problèmes éternels. Dans l'une, s'exaltant elle-même, se plaçant sur un piédestal, d'où elle prétend juger de toutes choses, la raison ne veut admettre que ce qu'elle comprend ou ce qu'elle expérimente. Comme son champ visuel est forcément restreint, elle en arrive à nier tout ce qui la dépasse et elle se rend ainsi aveugle aux plus grandes clartés qui pourraient lui parvenir de l'Irrévélé. 

 La seconde attitude est celle de l'humilité et de la vérité : reconnaissant son impuissance, se rendant compte qu'après tout, il n'est qu'une créature, le disciple s'en remet à son Créateur omniscient qui lui distribue les lumières au fur et à mesure de son avancement. 

 En parlant de ces deux attitudes différentes de l'intelligence, je ne peux pas m'empêcher de me rappeler ce qu'en a écrit un auteur anglais dans une fiction bien caractéristique. Supposez, dit-il, deux vers qui se trouvent dans une mare et qui se parlent l'un à l'autre. L'un affirme à son frère que, s'ils pouvaient sortir de cette flaque d'eau, ils verraient des forêts luxuriantes, une multiplicité de formes animales plus belles les unes que les autres qui courent sur leurs jambes, tandis que quelques-unes ont des ailes et vont dans l'air, comme eux voguent dans ce liquide et d'autres merveilles encore. Et le second ver de lui répondre que tout cela était le produit fantaisiste d'une imagination en délire, car tous les deux sont nés dans cette mare où il y a d'autre vers, de la boue et des herbes et ils vont, sans doute, mourir, sans avoir jamais rien vu de toutes ces magnificences dont son camarade lui affirmait gratuitement l'existence.  Sa logique de ver raisonnable lui interdisait de croire à toutes ces choses.   
Et l'auteur d'ajouter: «Nous aussi, nous sommes dans la mare matérielle; n'imitons pas l'exemple de ce ver incrédule et ne nous hâtons pas de prétendre qu'en dehors de notre sphère sensible rien n'existe ». 
 Notre siècle qui a beaucoup développé l'intelligence, a malheureusement pris en général, l'attitude de négation de tout ce qui la dépasse, parce qu'au lieu d'en user comme d'un moyen, il a voulu faire du savoir un but en soi. Ses découvertes dans le monde de la matière l'ont grisé et il en a perdu l'équilibre. La désillusion cependant commence à venir et il apprend, tous les jours, que ce qu'il appelle orgueilleusement le progrès ne lui a pas apporté la stabilité ni le bonheur. Il ne lui a pas davantage permis de connaître l'essence des choses ni d'arrêter la souf-france universelle. 

 L'homme a perfectionné les instruments de production, mais le monde pâtit d'un excès des choses produites qui ne trouvent pas d'écoulement et le chômage en grand est devenu la cause de pertur-
bations économiques graves. 

 On a décuplé la rapidité des moyens de transport, mais on a augmenté aussi la force des engins de destruction et voici que la bataille chimique menace de devenir autrement plus meurtrière que les guerres du passé. 

 Sans doute, rien n'arrive sans la permission de Dieu et toutes ces inventions ont été voulues par Lui, parce que ce sont des moyens pour nous faire travailler. Nous aussi, nous fabriquons pour nos enfants des mécanos à construire et des jeux de toute sorte pour leur apprendre l'adresse, la maîtrise d'eux-mêmes et le discernement. Que diriez-vous si ces bambins irréfléchis, après avoir réussi à monter leur moulin à vent ou leur maison en carton, se croyant devenus de grands ingénieurs, se retournaient vers leurs parents en prétendant leur apprendre les règles de la mécanique et de l'architecture ? 

 N'ayons donc pas la même attitude à l'égard de notre Père céleste. Il sait tout et peut tout, de toute éternité. Ou plutôt, il n'y a pas de science pour Lui : la science n'est que Sa créature, car elle exprime simplement les lois qu'Il a Lui-même établies dans notre univers et l'on peut parfaitement concevoir d'autres univers basés sur d'autres lois et sur d'autres normes qui seraient tout aussi parfaites et harmonieuses, car la Volonté de Dieu est souveraine et antérieure à tout. Pour ces « autres » univers, il y aurait d'autres chimies, d'autres géométries et d'autres physiques que les nôtres. 
Ne prenons donc pas prétexte de nos pauvres petites trouvailles permises par Dieu, pour nous croire plus savants que Lui et nous permettre de critiquer Ses oeuvres magnifiques, avant d'en avoir compris la dix-millionième partie. La création est trop vaste pour que notre entendement puisse la circons- crire; elle dépasse démesurément nos conceptions les plus hardies. 

 « En fait de science, nous n'en sommes qu'à la lettre C. » a dit une voix auguste. 

 Ayons donc du discernement et ne nous laissons pas emporter par les engouements de la foule qui attribue de l'importance aux choses qui n'en ont pas, ce qui fait souvenir de cette parole de Jésus :   « Mais à qui dirai-je que cette génération est semblable?   Elle est pareille aux enfants qui sont assis sur la place publique et crient à leurs compagnons, disant : Nous avons chanté pour vous et vous n'avez pas dansé; nous nous sommes lamentés et vous n'avez pas pleuré. » 

 Les événements de cette terre ne méritent, en eux-mêmes, ni qu'on danse de joie ni qu'on verse des larmes, c'est notre attitude vis-à-vis d'eux qui seule importe, parce qu'elle caractérise notre obéissance à la loi de Dieu ou notre révolte contre elle. Or, Sa volonté est l'unique réalité substantielle dans un univers où tout le reste n'est qu'apparence fugace. 

 C'est ainsi qu'au point de vue de l'im-muable Vérité, un geste de bonté à l'égard d'un être qui souffre, a plus de poids pour nous que des hauts faits qui nous attirent la célébrité et les honneurs et qui appartiennent, par eux-mêmes, à l'ordre des choses périssables, tandis que l'acte de charité se rattache à l'ordre éternel et nous rapproche du foyer permanent de l'Amour. 

 La foi apporte, comme vous voyez, un changement complet de nos notions sur les choses et sur leur valeur respective : « Ne jugeons pas sur les apparences, nous dit notre Maître, mais selon la Vérité ». Le Christ n'est-Il pas venu pour mettre en bas ce qui est en haut, et en haut ce qui est en bas ? 

 Pourquoi n'en serait-il pas ainsi ? Est-ce que, selon l'ordre matériel, les progrès des sciences n'ont pas aussi renversé tou-tes nos anciennes notions? Jadis on croyait que notre petite terre était le centre du Monde, autour duquel gravitaient le so-leil et les étoiles, comme cela paraît être en effet, « selon les apparences ». Nous savons maintenant qu'il n'en est rien et que notre planète tourne, au contraire, autour du Soleil, lui-même perdu au milieu des milliards d'autres corps célestes qui naviguent dans l'espace où notre mi-nuscule terre est un grain de sable au milieu des grèves immenses. Certaines étoiles sont à une telle distance de nous que leur lumière ne nous est pas encore arrivée, bien que sa vitesse soit de l'ordre de 300.000 kilomètres par seconde! 

 Et rien ne nous dit que ces astres si prodigieusement éloignés pourtant, sont aux confins du Créé.   Pourquoi, au delà, n'y aurait-il pas encore d'autres constellations et d'autres voies lactées que nous ne verrons peut-être jamais, dans notre ligne d'évolution actuelle? 

 Quelque fantastique que soit ce tableau de l'immensité du Monde matériel, n'y cherchons cependant pas Dieu.  Nous ne Le trouverions pas, en nous appuyant sur l'ordre des grandeurs physiques.  Toute matière n'est que le revêtement d'un esprit, d'une parole du Père.  L'Univers, dans son ensemble, est conditionné et limité;  il ne peut donc pas donner une idée adéquate de l'Absolu, qui est libre, infini et éternel. 

 Toutes ces merveilles et ces astres gigantesques que décrit la science astronomique sont, devant Dieu, comme s'ils n'étaient pas, car ils n'ont que l'existence. Lui seul est. Profitons, cependant, de ce qu'ils nous donnent du Monde physique une conception démesurément agrandie, pour élargir aussi notre idée de l'Univers spirituel. N'y mettons pas arbitrairement des bornes, des catégories artificiellement créées par notre imagination. Ne prétendons pas soumettre l'Absolu à notre propre compréhension.   Nous fermerions ainsi l'accès à toutes les possibilités de l'Imprévu divin. 

 Et nous qui croyons à un Père tout-puissant et vivant, et non pas à un simple plan supérieur et abstrait, nous n'avons qu'à nous abandonner entre Ses bras miséricordieux. 

 Or, dans cet abandon, dans cette foi, il y a des degrés presque à l'infini. Tout être en vérité croit en Dieu, depuis le minéral puisqu'il s'efforce, vit et espère, jusqu'à la plante, à l'animal, à l'homme et à l'ange.  Tous communient plus ou moins médiatement ou immédiatement de la libéralité divine. Dans cette participation à la Vie du Verbe, il n'y a pas de bornes, le progrès est sans fin. Les possibilités qui nous sont offertes deviennent donc illimitées, dès que, revenus de tout le créé, nous savons faire silence en nous-mêmes pour permettre à l'Incréé de nous parler.