CHAPITRE NEUVIÈME

Prédication et miracles de Jésus à Capharnaum et dans les environs.

- Jésus rencontre sur le chemin de Capharnaum, Marie et plusieurs autres de ses saints amis.
- Projets des Pharisiens, -guérisons à Capharnaûm.
- Qui est ma mère, qui sont mes frères ?
- Guérison de l'homme à la main desséchée et du possédé sourd muet.
- Les apôtres et les disciples rendent compte de leur mission.
- Jésus donne aux douze apôtres la prééminence sur les soixante-douze disciples.
- Multiplication des pains en faveur des cinq mille personnes.
- Jésus marche sur la mer pour la deuxième fois.
- il enseigne sur le pain de vie.
- Connaissance qu'avait Marie du mystère de l'Incarnation.
- Les deux royaumes.


(du 30 janvier au 8 février 1823).

(30 janvier.)
Jésus fit aujourd'hui environ quatre lieues dans la direction de Damna : il entra dans l'hôtellerie qui est devant cette ville. Il y arriva vers midi. Il trouva là sa mère et plusieurs des saintes femmes, réunies aux six autres apôtres et au reste de ses disciples. La joie fut très grande et tous s'embrassèrent tendrement, mais le deuil fut encore plus grand ; ils pleurèrent amèrement en entendant raconter les circonstances de la mort de Jean-Baptiste. Jésus avait avec lui les deux soldats de Machérunte, qui avaient quitté les insignes de leur profession et deux disciples de Jérusalem. Après le départ de Jésus, Lazare les avait envoyés directement par la Samarie, et ils avaient rejoint le Sauveur à Azanoth, où avait eu lieu la conversion de Madeleine.

Parmi les parents de Jésus qui se trouvaient ici, étaient trois filles de sainte Anne, issues de son second et de son troisième mariage. Toutes trois avaient épousé des bergers, qui descendaient comme elles, de David, mais par une autre femme. Elles habitaient dans la plaine de Séphoris. Une des filles de sainte Anne, née de son second mariage, est plus âgée que Jésus ; elle a de grands enfants, des jeunes gens sont avec elle. Les deux autres filles de sainte Anne sont plus jeunes et issues du troisième mariage Elles n'ont pas amené leurs enfants. Toutes mènent le même genre de vie qu'Anne et Joachim. J'ai toujours dit qu'Anne devait se remarier parce que sa bénédiction n'était pas épuisée, et qu'elle devait encore donner naissance à ces trois bonnes mères de famille. Il y avait là un mystère que je ne puis pas exprimer clairement. Il y avait encore ici plusieurs fils des frères de saint Joseph, venus de Dabrath, de Nazareth et de la vallée de Zabulon ; sans compter quelques autres personnes, comme la veuve de Naïm, etc.

Toutes les personnes présentes représentèrent l'affluence du peuple à Capharnaum comme dépassant tout ce qu'on pouvait imaginer et racontèrent toutes les menaces proférées par les Pharisiens et toutes les démarches faites par eux contre Jésus et les disciples. A Capharnaum, il y avait en ce moment jusqu'à soixante quatre Pharisiens venus de toutes les parties du pays à l'occasion de leurs vacances. Déjà, pendant leur voyage, ils avaient fait des enquêtes sur les guérisons qui avaient fait le plus de bruit, mandé à Capharnaüm la veuve de Naïm avec son fils et des témoins, ainsi que l'enfant d'Achias, le centurion de Giscala. Ils avaient interrogé Zorobabel et son fils, le centurion Cornélius et son serviteur, Jaïre et sa fille, plusieurs aveugles et plusieurs paralytiques, et tout ce qu'il avait dans le pays de gens guéris par Jésus : ils avaient fait les enquêtes les plus rigoureuses, les recherches les plus minutieuses, entendu beaucoup de témoins, et ils étaient d'autant plus furieux qu'avec toute leur mauvaise volonté ils n'avaient pu rien trouver que des preuves attestant la réalité des miracles de Jésus. Leur ressource était encore de dire qu'il était en rapport avec le démon. Ils répétaient aussi qu'il courait le pays avec des femmes de mauvaise vie, qu'il agitait le peuple, qu'il retirait les aumônes à la synagogue, qu'il profanait le sabbat, et ils se faisaient fort, cette fois, de mettre ordre à ses menées.

Intimidés par toutes ces menaces, inquiets de l'immense affluence du peuple, rendus d'ailleurs plus craintifs encore par le supplice de Jean, tous les proches de Jésus l'avaient supplié à l'envi de ne pas se rendre à Capharnaum et d'établir sa résidence ailleurs : ils lui proposaient à cet effet divers endroits, Naïm, Hébron, la contrée au delà du Jourdain, etc. Mais Jésus leur dit de se tranquilliser, qu'il irait à Capharnaum, qu'il y enseignerait, qu'il y guérirait et que quand il serait en présence de ces gens, ils garderaient le silence.

Comme les disciples l'interrogeaient sur ce qu'ils auraient à faire dorénavant, il leur répondit qu'il le leur dirait bientôt, et qu'il confierait aux douze apôtres sur les disciples une prééminence semblable à celle que lui-même avait sur eux, etc.

Lorsqu'ils eurent pris un peu de nourriture et que le soir fut venu, ils se séparèrent. Jésus avec Marie, les saintes femmes et les proches du Sauveur se rendirent, par groupes séparés, en passant à l'est par le village de Zorobabel, à la vallée de Capharnaum et à la maison de Marie. Les apôtres et les disciples prirent d'autres chemins. Pendant la nuit, Jaire vint visiter Jésus et lui raconta toutes les persécutions qui avaient eu lieu : Jésus le rassura. Jaïre avait perdu son emploi et il était maintenant tout à fait dévoué à Jésus.

(31 janvier.) A Capharnaum, on ne voit partout qu'étrangers, malades et bien portants, Juifs et païens. Tous les vallons et les coteaux environnants sont couverts de campements. Des chameaux et des ânes paissent dans tous les champs en friche et dans tous les recoins de montagne : même de l'autre côté du lac, les vallées et les hauteurs sont parsemées d'hommes, et tous attendent Jésus. Il y a des gens de toutes les parties de la Terre Sainte : il en est venu aussi de la Syrie, de l'Arabie, de la Phénicie, même de l'île de Chypre.

Ce matin de bonne heure, Jésus visita Zorobabel, Cornélius et Jaïre. Celui-ci a été destitué : sa famille et lui sont complètement convertis. Sa fille est beaucoup mieux portante qu'elle ne l'a jamais été : elle est très modeste et très pieuse. Jésus se rendit ensuite à l'hospice de la ville qui était tout rempli de malades. Il s'y trouvait même des païens, ce qui n'avait pas lieu autrefois. La foule était si grande que les disciples avaient placé en divers endroits des échafaudages où les uns étaient au-dessus des autres. Ce n'était pas seulement Jésus que l'on appelait de tous côtés, et autour duquel on se pressait : on appelait aussi les apôtres et les disciples, et on les implorait en ces termes : " N'êtes-vous pas disciples du Prophète ? Ayez pitié de moi ! secourez-moi ! conduisez-moi à lui "! Jésus, les apôtres et les disciples, au nombre de vingt-quatre environ, enseignèrent et guérirent pendant toute la matinée. Il y avait ici des possédés qui poursuivirent Jésus de leurs cris, et d'où les démons furent chassés. Les Pharisiens n'étaient pas présents, mais il se trouvait là un certain nombre d'espions et de gens dont les dispositions étaient équivoques.

Jésus, après avoir opéré un grand nombre de guérisons, se rendit dans la salle publique et enseigna. Beaucoup de gens guéris par lui et d'autres personnes l'y suivirent. Quelques-uns des disciples continuèrent à guérir, d'autres l'accompagnèrent. Il prêcha encore sur les béatitudes et raconta plusieurs paraboles. Il enseigna, entre autres choses, sur la prière, disant qu'on ne doit jamais l'abandonner, et expliqua la parabole du juge inique (Luc, XVIII, l, etc.) qui finit par faire droit aux requêtes incessantes de la veuve, afin de se débarrasser d'elle. Si un juge injuste se conduit ainsi, combien plus le Père céleste se montrera-t-il miséricordieux !

Il enseigna aussi comment on devait prier, répéta les unes après les autres les sept demandes du Pater (Luc, XI, l-12), et se mit à les expliquer en commençant par la première : " Notre Père qui êtes aux cieux ". Il avait déjà précédemment, pendant ses voyages, donné quelques explications là-dessus à ses disciples, mais maintenant il enseignait publiquement sur ce sujet comme sur les huit béatitudes : il donnera successivement des enseignements sur tout cela, les répétera en divers lieux et les fera répandre par les disciples. Il continue en même temps à traiter des huit béatitudes. Il enseigna encore sur la prière et dit que, si un enfant demande du pain à son père, celui- ci ne lui donne pas une pierre, non plus qu'un serpent, ou un scorpion, au lieu d'un poisson.

Il était déjà trois heures après midi : la sainte Vierge avec ses demi soeurs et d'autres femmes, et les neveux de saint Joseph, venus de Dabrath, de Nazareth et de la vallée de Zabulon, se trouvaient dans un bâtiment dépendant de l'hospice où ils avaient préparé à manger pour Jésus et ses disciples. Car ceux-ci, ayant eu un surcroît de travail extraordinaire, n'avaient pas pris de repas en règle depuis plusieurs jours. Cette salle était séparée de la grande salle où Jésus enseignait, par une cour où s'était entassée une foule de gens qui écoutaient la prédication de Jésus a travers la colonnade ouverte de la salle Cependant Jésus continuant toujours à enseigner sans relâche. ses proches commencèrent à s'inquiéter relativement à lui et à ses disciples : Marie, pour ne pas entrer seule dans la foule, s'avança avec les gens de sa famille, et ils demandèrent à parler à Jésus pour l'engager à prendre un peu de nourriture. Ils ne purent s'ouvrir un passage à travers le peuple et leur requête arriva de bouche en bouche jusqu'à un homme qui se trouvait à proximité de Jésus et qui était un affidé des Pharisiens. Comme Jésus venait de parler plusieurs fois de son Père céleste, cet homme lui dit, non sans une certaine intention ironique : "  Voici votre mère et vos frères qui sont dehors et qui désirent vous parler "! Jésus le regarda et dit : "  Qui est ma mère et qui sont mes frères "  ? Puis il réunit les : douze apôtres en un groupe, plaça les disciples près de lui, étendit le bras au-dessus d'eux et dit, en désignant les apôtres : "  Voici ma mère " ; et en indiquant les disciples : " Et voici mes frères qui écoutent et observent. la Parole de Dieu, car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère "! (Matth. XII ; Marc, III ; Luc, VIII) Jésus ne sortit pas alors pour manger, et il continua à enseigner ; mais il envoya successivement les disciples prendre quelque nourriture.

Je le vis après cela aller à la synagogue avec les disciples. Plusieurs malades qui étaient encore en état de marcher implorèrent son secours et il les guérit. Or, comme le sabbat venait de s'ouvrir, un homme vint à sa rencontre dans le vestibule de la synagogue, lui montra sa main qui était réduite à rien, tordue et desséchée, et le pria de lui venir en aide : mais Jésus lui dit d'attendre encore un peu. Il fut aussi interpellé par des gens conduisant avec des cordes un possédé sourd qui se démenait horriblement. Jésus lui ordonna de se tenir tranquille et de l'attendre à l'entrée de la synagogue. Le possédé s'assit aussitôt, les jambes croisées, courba sa tête sur ses genoux, regardant toujours obliquement du côté de Jésus, et, bien qu'agité encore par moments de quelques mouvements convulsifs, il se tint en repos pendant toute l'instruction.

La lecture du sabbat traitait de Jethro et du conseil qu'il donna a Moïse ; il y était dit comment les Israélites arrivèrent près du mont Sinaï, comment Moïse y monta et y reçut les dix commandements : puis venaient des passages du prophète Isaïe, où il raconte comment il vit le trône de Dieu et comment un séraphin lui purifia les lèvres avec un charbon ardent (Exode, XVIII-XXI. Isaie VI, 1-13.) La synagogue était entièrement pleine et il y avait encore une foule nombreuse à l'extérieur : car toutes les ouvertures avaient été dégagées et beaucoup de gens regardaient des bâtiments adjacents ce qui se passait dans l'intérieur. Il y avait là beaucoup de Pharisiens et d'Hérodiens : ils étaient pleins de fiel et de rage, mais la synagogue était remplie de gens guéris par Jésus. Tous les disciples et les proches de Jésus étaient présents, et les habitants de Capharnaum aussi bien que les nombreux étrangers qui se trouvaient là étaient pénétrés de respect et d'admiration pour lui, en sorte que les Pharisiens n'osaient pas le contredire sans un prétexte spécieux. En général, s'ils étaient là, c'était plutôt par suite d'une sorte de défi qu'ils s'étaient porté les uns aux autres, que dans l'espoir de lui opposer une résistance sérieuse qui était devenue impossible, et ils ne se souciaient plus beaucoup de le contredire ouvertement, parce que la plupart du temps ses réponses les couvraient de contusion devant tout le peuple. Mais quand il était parti, ils cherchaient par tous les moyens possibles à lui aliéner les esprits et à répandre contre lui des imputations mensongères.

Ils savaient que l'homme à la main desséchée était là et ils voulaient tenter Jésus pour voir s'il guérirait le jour du sabbat, afin d'avoir occasion de l'accuser. C'étaient surtout les nouveaux arrivés de Jérusalem qui auraient été bien aises d'avoir quelque chose à rapporter devant le sanhédrin. Mais comme ils n'avaient pas d'autre grief à présenter contre lui, quoique depuis longtemps ses sentiments à ce sujet leur fussent connus, ils reproduisaient toujours les mêmes accusations, et Jésus avec une patience sans bornes leur faisait toujours à peu près les mêmes réponses. Plusieurs d'entre eux lui demandèrent donc s'il était permis de guérir le jour du sabbat. Jésus qui connaissait leurs pensées appela l'homme à la main desséchée, et quand il se fut approché, il le plaça au milieu d'eux et dit à son tour : "  est-il permis de faire du bien ou du mal le jour du sabbat ? de sauver un homme ou de le faire périr "? Aucun d'eux ne répondit rien : alors Jésus répéta la comparaison qui lui était familière en pareil cas : "  Lequel d'entre vous, si sa brebis tombe dans un fossé le jour du sabbat, ne l'en retirera pas ? Or, un homme a plus de prix qu'une brebis. Il est donc permis de faire du bien le jour du sabbat ". Il était très contristé de l'entêtement de ces hommes, il leur lança à tous un regard plein de colère qui pénétra jusqu'au fond de leur conscience, puis il prit de la main gauche le bras de l'homme, le long duquel il passa la main droite, sépara ses doigts tout racornis, et lui dit : "  Étendez votre main " ! L'homme étendit la main et la remua elle avait repris sa forme première et était aussi saine que l'autre. Ce fut l'affaire d'un instant. Cet homme se jeta aux pieds de Jésus en lui exprimant sa reconnaissance. Le peuple fut transporté de joie et les Pharisiens pleins de rage allèrent se réunir à l'entrée de la synagogue où ils se mirent à conférer ensemble. Quant à lui, il chassa encore le démon du corps du possédé qui était assis là et qui recouvra l'ouïe et la parole : cette guérison ayant excité de nouveaux transports de joie parmi le peuple, les Pharisiens répétèrent encore : " il est possédé du démon, il chasse un démon avec l'aide d'un autre ". Mais Jésus se tourna vers eux et leur dit : "  Qui d'entre vous peut me convaincre d'iniquité' Si l'arbre est bon, son fruit est bon aussi : si l'arbre est mauvais, son fruit l'est aussi. C'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre. Race de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais. La bouche parle de l'abondance du coeur, etc. "

Note : Anne Catherine ne put pas s'étendre davantage à ce sujet à cause de son extrême fatigue à laquelle s'était joint un fort enrouement.

Alors ils l'interrompirent par leurs clameurs : "  Restons-en là ! en voilà assez "! lui criaient-ils, et l'un d'eux eut l'insolence de lui demander s'il ne savait pas qu'ils pouvaient l'expulser. La réponse de Jésus m'a échappé, je me souviens seulement qu'après tout ce bruit, ses disciples et lui se perdirent dans la foule à la lueur du crépuscule.

Ils se rendirent par des chemins détournés à la maison de Marie et à la maison de Pierre située au bord du lac. Jésus mangea chez Marie avec ses proches ; il enseigna et consola les saintes femmes. Il passa la nuit ainsi que les apôtres et environ vingt quatre disciples dans la maison de Pierre, près de la fontaine baptismale. Depuis que Pierre s'est mis à la suite de Jésus, sa femme habite son autre maison située tout près de la ville et y a son ménage. Cette maison-ci, étant plus écartée, sert en quelque sorte de refuge à Jésus et aux disciples.

(1er février.) Aujourd'hui Jésus se tint renfermé toute la journée avec les douze apôtres et les disciples dans la maison de Pierre, voisine de la fontaine baptismale. Le peuple qui l'attendait le chercha en plusieurs endroits : mais ils ne sortirent pas de la maison.

C'est ici qu'il se fit raconter pour la première fois par les apôtres et les disciples ce qui leur était arrivé pendant leur mission : ils vinrent pour cela le trouver les uns après les autres, toujours deux par deux, de même qu'ils avaient fait leur voyage. Il éclaircit les doutes et les difficultés qui les avaient embarrassés dans certaines occasions et leur donna des instructions sur ce qu'ils auraient à faire à l'avenir. Il dit aussi que le lendemain il leur donnerait une nouvelle mission.

Les six qui avaient travaillé dans la haute Galilée avaient trouvé un bien meilleur accueil et de beaucoup meilleures dispositions que les autres : ils avaient donné le baptême à un grand nombre de personnes. Ceux qui étaient allés dans la Judée n'avaient pas baptisé et ils avaient trouvé de la résistance dans quelques endroits. Le jour du sabbat fut employé par eux à faire leurs rapports et à écouter les instructions de Jésus, sauf le temps donné à la prière et à un repas frugal. A la fin du sabbat la foule commença à affluer autour de la maison ; mais ils se tinrent toujours renfermés. Comme le navire de Pierre était à sa place, tout prêt à prendre la mer, ils se rendirent secrètement à bord pendant la nuit.

(2 février) Pendant la nuit d'après le sabbat, comme le peuple, s'étant aperçu que Jésus était dans la maison de Pierre, se portait en foule de ce côté, je vis Jésus et les siens s'éloigner en silence de la maison et s'embarquer sur le navire de Pierre. La nuit était sereine et le ciel brillant d'étoiles : il leur fallut se disperser et faire des détours pour éviter les gens qui attendaient de tous les côtés. Mais ceux-ci s'aperçurent bientôt de leur départ et ils se hâtèrent de prendre leurs mesures pour les suivre. La nouvelle se répandit dans toutes les tentes, et les troupes campées près de Bethsaïde, s'embarquèrent pour traverser le Lac ou remontèrent plus haut pour passer le Jourdain. Beaucoup de gens s'étaient portés sur l'autre rive, et lorsqu'au point du jour ils virent l'embarcation de Pierre s'approcher du bord, ils accoururent en foule. (Matth. XIV, 13. Marc, VI, 31-33. Luc, IX, 10-11.)

Note : Le 2 février, Anne Catherine ne put rien raconter. Mais le 3, elle rapporta quelque chose de ce qu'elle avait vu la veille.

Cependant Jésus naviguait sur la barque de Pierre avec les apôtres et vingt-quatre disciples environ, et ils prirent terre entre le bureau de péage de Matthieu et le petit Chorozaim. Ils se rendirent de là sur la montagne au pied de laquelle est le bureau de péage. Jésus voulait se retirer dans la solitude avec les disciples pour leur donner ses instructions : mais ils turent bientôt entourés de tous côtés par la foule, et Jésus s'arrêta sur la montagne, à un endroit qui offrait toutes les facilités désirables. Les disciples ayant fait ranger la multitude autour de lui, il fit une instruction sur les béatitudes et sur la prière, et il expliqua de nouveau le commencement du Pater. Au bout de quelques heures la multitude avait beaucoup grossi : il arrivait des gens de toutes les villes d'alentour, notamment de Juliade, de Chorozain, de Gergesa, et ils amenaient des malades et des possédés : Jésus et les disciples en guérirent un grand nombre. Vers midi vinrent tous les autres disciples qui étaient restés à Capharnaum ou qui n'y étaient arrivés qu'après le sabbat ; plusieurs aussi s'étaient occupés de transporter des passagers au delà du lac.

Après midi, Jésus congédia la multitude ; il leur dit qu'il enseignerait le lendemain à l'endroit du sermon sur la montagne. nuis il monta Plus haut avec les apôtres et les disciples et gagna un lieu solitaire et couvert d'arbres. Il avait avec lui les douze apôtres et soixante-douze disciples, sans compter les deux soldats de Machérunte qui l'avaient aussi accompagné. Parmi les disciples, il y en avait plusieurs qui n'avaient pas encore été envoyés en mission et qui n'avaient pas encore été envoyé en mission et qui n'avaient pas encore reçu leur admission formelle : ils ne s'étaient joints à lui que dans les derniers jours. Les neveux de saint Joseph étaient présents. Ici Jésus parla en termes plus forts aux disciples de tout ce qui devait arriver, il ne leur annonça pourtant pas encore la persécution dans toute sa rigueur. Il leur dit plusieurs choses qu'il ne leur avait pas dites lorsqu'il les avait envoyés la première fois, par exemple, qu'ils ne devaient prendre avec eux ni besace, ni pain, ni argent, mais seulement une robe et une paire de chaussures. Ils devaient secouer la poussière de leurs souliers sur les villes où ils seraient mal accueillis. Il leur dit encore autres choses du même genre, cependant il ne leur donna pas encore là leur mission. Ce furent seulement des instructions générales pour l'avenir sur leur ministère d'apôtres et de disciples. Il leur dit bien des choses qui se trouvent dans le discours que lui fait tenir l'Evangile au moment où il les envoie en mission (Matth. X ,1-42), et dans lequel toutes ses instructions sont renfermées. Il leur en dit d'autres qui se rencontrent dans le sermon sur la montagne, ou qu'il leur avait déjà dites antérieurement, par exemple : " Vous êtes le sel de la terre ". Il leur parla aussi de la lumière qu'il ne faut pas mettre sous le boisseau, de la ville placée sur la montagne, de l'abandon à la Providence, etc.

La principale chose qu'il fit aujourd'hui fut d'assigner aux apôtres la prééminence sur les simples disciples et de leur dire qu'ils auraient à appeler et à envoyer ceux-ci, comme il les appelait et les envoyait eux-mêmes' c'est-à-dire en vertu de leur mission spéciale. Il divisa aussi les disciples en plusieurs classes et préposa les plus anciens et les plus instruits aux plus jeunes et aux plus nouveaux. Il les rangea ensuite tous de la manière suivante : les apôtres furent rangés deux par deux, ayant à leur tête Pierre et Jean : les plus anciens disciples se tenaient en cercle autour d'eux et derrière ceux-ci les autres disciples, suivant leur grade. Quand cela fut fait, il leur tint un discours très grave et très émouvant, et imposa de nouveau les mains aux apôtres pour leur donner cette autorité dont il avait parlé. Quant aux disciples, il se contenta de les bénir. Tout cela se fit d'une façon très calme et très touchante et sans qu'aucun d'eux élevât des objections ou se sentît mécontent.

Cependant le soir était venu : alors Jésus prenant avec lui André, Philippe, Jean et Jacques le Mineur, s'enfonça plus avant dans la montagne où il passa la nuit avec eux. Lui-même dormit peu. Il pria presque tout le temps, les bras étendus et les yeux levés au ciel. Vers minuit tous se mirent en prière. Jésus s'entretint aussi avec eux et leur donna des instructions. Les autres descendirent et allèrent dormir sur les barques ou dans des cabanes isolées au milieu des jardins.

(3 février.) Ce matin Jésus se rendit sur la montagne où il avait fait déjà, à plusieurs reprises, son sermon sur les béatitudes. Tout le peuple était déjà arrivé et beaucoup de malades avaient été rangés dans un emplacement commode et abrité : les autres apôtres et les disciples avaient tout préparé et ordonné. Jésus et les apôtres commencèrent à guérir et à enseigner. Beaucoup de gens qui, en cette occurrence, étaient venus à Capharnaum pour la première fois, reçurent le baptême : on les fit s'agenouiller en cercle et ils furent baptisés par aspersion, trois par trois, avec de l'eau qu'on avait apportée dans des outres.

La sainte Vierge, ses demi soeurs et d'autres femmes étaient venues et elles s'occupaient des femmes et des enfants malades : mais elles ne parlèrent pas à Jésus et elles retournèrent à Capharnaum d'assez bonne heure dans l'après-midi.
Jésus enseigna encore sur les huit béatitudes et il arriva aujourd'hui à la sixième. Il répéta aussi devant cette nombreuse assistance l'enseignement sur la prière déjà commencé dans l'hospice de Capharnaum, et il leur expliqua les diverses demandes de l'oraison dominicale.

Cependant il était déjà plus de quatre heures et la multitude qui était là n'avait rien à manger. Ils étaient partis dès la veille pour le suivre, et les petites provisions qu'ils avaient apportées étaient épuisées. Plusieurs d'entre eux se sentaient très affaiblis et les femmes et les enfants souffraient de la faim. Quand les apôtres en furent instruits, ils vinrent trouver Jésus et le prièrent de terminer son instruction afin que ces gens pussent avant la nuit chercher un abri et acheter du pain, car les forces leur manquaient déjà. Jésus leur dit : " Il n'est pas nécessaire qu'ils s'en aillent, donnez-leur à manger ". Philippe répondit : " Devons-nous aller acheter pour deux cents deniers de pain pour leur donner à manger " ? Il dit cela avec un peu de mécontentement, parce qu'il croyait que Jésus entendait qu'ils allassent avec de grandes fatigues recueillir du pain pour tout ce monde dans la contrée environnante. Mais Jésus leur dit : " voyez ce que vous avez de pain ", et il reprit son discours.

Il y avait là un serviteur qui avait apporté cinq pains et deux poissons pour les apôtres de la part de son maître et André le dit à Jésus en ajoutant ces mots : "Mais qu'est-ce que cela pour tant de monde? "Jésus leur commanda d'apporter ce qu'ils avaient et quand les pains et les poissons eurent été déposés près de lui sur le gazon, il continua à expliquer l'oraison dominicale et spécialement la demande relative au pain quotidien. Quelques-uns des assistants commençaient à tomber en défaillance et beaucoup d'enfants demandaient du pain en pleurant. Alors Jésus dit à Philippe : " Ou achèterons-nous du pain pour donner à manger à ces gens " ? Il disait cela pour l'éprouver, car il le savait préoccupé de la pensée qu'il leur faudrait aller chercher du pain pour cette multitude. Philippe répondit : " Deux cents deniers ne suffiraient pas pour nourrir tout ce monde ".

Jésus dit alors : " Faites asseoir le peuple, les plus affamés cinquante par cinquante, les autres cent par cent et apportez-moi les corbeilles à pain que vous avez là ". Ils lui présentèrent alors un certain nombre de corbeilles plates, faites d'écorce tressée, d'une forme assez semblable à celle des corbeilles à pain dont nous faisons usage en Westphalie, puis ils se répandirent parmi le peuple et le firent asseoir par groupes de cinquante et de cent autour de la montagne qui s'élevait en amphithéâtre et qui était couverte d'une belle herbe touffue. Ils se placèrent tous sur le penchant de la montagne, un peu plus bas que l'endroit où se tenait Jésus.

Autour de la place où Jésus enseignait, le sol avait été relevé et formait comme un grand banc de gazon coupé par plusieurs brèches. Jésus y fit étendre une couverture sur laquelle on mit les cinq pains et les deux poissons. Les pains étaient placés les uns sur les autres : ils étaient plus longs que larges et avaient environ deux pouces d'épaisseur : la croûte en était jaune et mince ; à l'intérieur ils n'étaient pas parfaitement blancs, mais compactes et de belle qualité.

Tous étaient comme divisés en compartiments par des raies que suivait le couteau, ce qui les rendait faciles à partager. Les poissons étaient de la longueur du bras : ils avaient la tête un peu proéminente et ne ressemblaient pas à nos poissons. Ils étaient déjà grillés et apprêtes : ils étaient déposés sur de larges feuilles. Un autre homme avait apporté en outre deux rayons de miel qu'on avait aussi placés sur des feuilles à côté du reste.

Pendant que les disciples faisaient le compte des assistants et les faisaient asseoir par cinquantaines et par centaines, ainsi que Jésus l'avait prescrit, Jésus entailla les cinq pains avec un couteau en os, il découpa transversalement les poissons dont la chair était déjà détachée dans le sens de leur longueur : après quoi il éleva un peu sur ses mains d'abord un des pains, puis un des poissons, en faisant une prière : je ne me souviens plus de ce qu'il fit pour le miel. Trois disciples étaient à ses côtés. Jésus bénit alors les pains, les poissons et le miel, et il commença à partager le pain en tranches dans le sens de la largeur, puis ces tranches eu petites portions. Chaque portion grandissait, elle avait aussi des entailles, et Jésus en faisait encore de nouvelles portions qui étaient assez grandes pour qu'un homme y trouvât de quoi se rassasier : il les donnait ensuite en y ajoutant des parts de poisson. Saturnin qui était à ses côtés mettait continuellement une part de poisson sur un morceau de pain, et un jeune disciple de Jean Baptiste, un fils de berger qui devint plus tard évêque, mettait par-dessus un peu de miel : et les poissons ne diminuèrent pas sensiblement et les rayons de miel aussi semblaient prendre de l'accroissement. Thaddée mit dans les corbeilles les portions de pain sur lesquelles était un morceau de poisson et un peu de miel, et on les porta d'abord aux plus affamés, ceux qui étaient assis par groupes de cinquante.

Les corbeilles qui revenaient à vide étaient aussitôt remplacées par des corbeilles pleines, et ce travail dura environ deux heures jusqu'à ce que tous eussent reçu leur nourriture. Ceux qui avaient une femme et des enfants (lesquels étaient assis à part des hommes), se trouvaient avoir une portion assez forte pour pouvoir donner aussi à ceux-ci de quoi se rassasier. On but de l'eau qu'on avait apportée dans des outres : la plupart de ces gens avaient avec eux des gobelets d'écorce roulée en forme de cornets ou des calebasses creuses.

Tout cela se fit avec un grand déploiement d'activité, mais avec beaucoup d'ordre. Les apôtres et les disciples furent occupés la plupart du temps à porter, à rapporter et à distribuer ; mais tous étaient muets d'étonnement en voyant se produire cette incroyable surabondance. Les pains avaient à peu près cinq palmes de long (Anne Catherine les mesura sur son coude), et un cinquième de moins en largeur. Les cinq pains furent divisés chacun en vingt parties, cinq dans la longueur et quatre dans la largeur, en sorte que la substance de chaque partie se multiplia cinquante fois pour nourrir cinq mille personnes. Le pain était épais de trois doigts. Les poissons découpés en deux moitiés dans le sens de leur longueur étaient divisés par Jésus en un très grand nombre de parts, en sorte qu'il ne restait jamais que deux poissons dont toutefois la substance se multipliait d'une manière surprenante

Note : Il fut difficile à Anne Catherine à cause de ses grandes souffrances, de décrire exactement la manière dont s'opéra matériellement la multiplication : cependant il parait résulter de ses paroles que ce fut moins une multiplication du nombre des pains et des poissons qu'un accroissement intérieur de la substance, et que cela ne se fit pas tout d'un coup, mais successivement à mesure qu'on faisait la distribution.

Lorsque tous eurent reçu leur part et furent rassasiés, Jésus dit aux disciples de parcourir la foule avec des corbeilles et de recueillir tous les restes afin que rien ne se perdît. Ils rapportèrent douze corbeilles pleines de morceaux. Mais beaucoup de personnes demandèrent qu'il leur fût permis de conserver de ces morceaux et les emportèrent avec eux comme souvenir. Je vis par là que déjà à cette époque on conservait des objets sanctifiés, ainsi que nous le faisons maintenant pour les rameaux de la semaine sainte et d'autres objets semblables. Cette fois il ne se trouvait pas ici de soldats quoique j'en aie vu toujours beaucoup assister aux grandes prédications de Jésus. Ils étaient tous, en ce moment, rassemblés autour d'Hésébon où Hérode résidait.

Le peuple s'étant levé se divisa de nouveau en plusieurs groupes. Ce miracle du Seigneur avait rempli tout le monde d'étonnement et d'admiration et on entendait courir de bouche en bouche des paroles comme celles-ci : "  C'est vraiment lui! c'est le prophète qui doit venir dans le monde, celui qui a été promis, etc. "
Le jour tombait déjà et Jésus dit aux disciples d'aller près des navires et de s'embarquer sans lui pour Bethsaïde, ajoutant qu'il les suivrait lorsqu'il aurait congédié le peuple. Les disciples descendirent alors jusqu'au rivage avec les corbeilles pleines de morceaux et une partie d'entre eux s'embarqua pour Bethsaide. Ils prirent le pain avec eux pour le distribuer aux pauvres de l'autre côté du lac. Les apôtres et quelques-uns des disciples les plus anciens restèrent encore quelque temps sur la montagne, puis ils descendirent jusqu'à l'embarcation de Pierre, qui était encore toute seule et sur laquelle ils montèrent.

Jésus alors congédia le peuple qui s'était rassemblé de nouveau autour de lui. Il leur parla de ce que Dieu venait de faire pour eux et récita une prière d'actions de grâces. La multitude était profondément émue, et à peine se fut-il retiré, qu'on entendit ça et là des voix qui disaient : " il nous a donné du pain! c'est notre roi! nous voulons qu'il soit notre roi "! Alors ils se dirigèrent en hâte du côté où ils l'avaient vu aller. Mais leur projet n'avait pas échappé à Jésus et ils ne le trouvèrent pas. Il s'enfuit sur une montagne dans un lieu désert, et il y pria.

Je vis le navire de Pierre sur lequel se trouvaient les apôtres et plusieurs disciples, arrêté pendant la nuit par un vent contraire. Ils firent force de rames et pourtant ils dérivèrent au midi par rapport à la direction qu'ils voulaient suivre. J'ai vu toutes les deux heures de petits bateaux sur lesquels il y a des falots, partir des deux rives du lac. Ils transportent quelques gens attardés jusqu'aux navires de plus grande dimension et aident ceux-ci à se diriger dans l'obscurité. On les relève à des heures fixes comme des sentinelles, toutes les deux heures, par exemple : ce qui fait qu'on les appelle ici gardes de nuit. Je vis en route le quatrième relai de ces bateaux, quant au navire de Pierre il était sortit de la ligne qu'il voulait suivre et avait été poussé un peu au midi.

Ce fut alors que Jésus marcha sur la mer, se dirigeant du nord-est au sud-ouest. Il était tout lumineux et entouré de clarté : on voyait à ses pieds son image réfléchie dans l'eau. Comme il allait de Bethsaïde Juliade dans la direction de Tibériade, vis-à-vis de laquelle à peu près se trouvait le navire de Pierre, il passa entre les deux bateaux gardes de nuit qui étant partis, l'un de Capharnaum, l'autre de la rive opposée, avaient déjà fait un peu de chemin sur le lac. Les gens qui étaient dans ces bateaux le virent marcher ainsi ; ils poussèrent des cris d'effroi et se mirent à sonner du cor : ils le prenaient pour un fantôme. Pendant ce temps, comme le navire de Pierre se dirigeait à force de rames vers la lumière de ces bateaux pour se remettre dans le bon chemin, les apôtres qui s'y trouvaient regardèrent et le virent venir à eux. Il semblait qu'il planât et qu'il allât plus vite qu'on ne peut aller en marchant : à son approche la mer se calmait. Il y avait une brume sur le lac et ils ne le virent qu'étant déjà assez près. Quoiqu'ils l'eussent déjà vu une fois marcher ainsi sur l'eau, cependant ce qu'il y avait d'étrange et de fantastique dans ce spectacle les frappa de terreur et ils poussèrent des cris d'effroi.

Comme pourtant ils se rappelaient ce qu'ils avaient déjà vu une fois, Pierre voulut de nouveau faire preuve de foi, et dans l'ardeur de son zèle, il s'écria encore : " Seigneur, si c'est vous, commandez-moi d'aller à vous "! Et Jésus lui répondit encore : " Viens ". Pierre fit cette fois beaucoup plus de chemin vers Jésus que la première, pourtant sa foi ne persista pas jusqu'au bout. Comme il était déjà tout près de Jésus, la pensée du danger lui vint encore : il commença à enfoncer, tendit les mains et cria : " Seigneur, sauvez-moi "! Mais il n'enfonça pas autant que la première fois, et Jésus lui répéta les mêmes paroles : " Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté "? lorsque Jésus monta sur la barque, tous coururent à lui, se jetèrent à ses pieds et dirent : "  Vous êtes vraiment le Fils de Dieu "! Jésus leur reprocha leur pusillanimité et leur peu de foi ; il leur fit à ce sujet une réprimande sévère, puis il enseigna encore sur l'oraison Dominicale. Je ne sais pas vers quel point ils se dirigèrent : Jésus leur ordonna de mettre le cap au midi. Ils avaient bon vent et voguaient très rapidement : ils prirent un peu de sommeil dans les cabines qui se trouvaient autour du mât au-dessous des bancs des rameurs. La tempête n'était pas si forte que l'autre fois. Ils étaient entrés dans le courant qui est très fort au milieu du lac, et ils ne purent pas en sortir.

C'est ainsi que Jésus laisse encore Pierre venir à lui sur l'eau afin de l'humilier devant lui et devant les autres, car il sait bien qu'il enfoncera : Pierre est très ardent, sa foi est très vive, et il se sent porté à en faire montre en présence de Jésus et des disciples. Mais bientôt le pied lui manque et cela le préserve de l'orgueil. Les autres n'ont pas assez de confiance pour faire comme lui, et en admirant la foi de Pierre, ils reconnaissent pourtant que cette foi, quoique supérieure à la leur, n'est pas encore suffisante.

(4 février.) Au lever du soleil, je vis la barque de Pierre côtoyer la rive orientale du lac entre Magdala et la ville de Dalmanutha, qui est située sur une colline, à une petite lieue du lac ; ils se dirigèrent vers un petit endroit consistant en deux groupes de maisons et dépendant de Dalmanutha. C'est de cet endroit qu'il s'agit lorsque l'Evangile dit : "Sur le territoire de Dalmanutha "(Marc, VIII, 10). J'en ai oublié le nom.

De petits bateaux vinrent à leur rencontre et les gens qui les montaient, prièrent Jésus de les visiter. Alors il descendit à terre. Les habitants en voyant approcher le navire, avaient mis en mouvement tous leurs malades et la plupart se présentèrent à Jésus sur le rivage même. Je le vis guérir dans les rues, ainsi que les disciples. Il s'avança ensuite un peu dans les terres jusqu'à une colline située derrière la ville, où tous les habitants, Juifs et paiens, se rassemblèrent autour de lui. Il guérit des malades et enseigna sur les huit béatitudes et sur le Pater. Ils restèrent là jusqu'à midi, après quoi ils se rembarquèrent.

Cet endroit, où il se fait un transit assez considérable, possède un bureau de péage : il y vient surtout de la ville d'Ephron, située dans le pays de Basan, une grande quantité de fer qu'on expédie d'ici aux autres villes du littoral pour toute la Galilée. Du haut des montagnes d'Ephron la vue s'étend jusqu'ici.

Ils traversèrent le lac pour aller à Tarichée, ville située à trois ou quatre lieues au midi de Tibériade ; elle s'élève sur la pente d'une hauteur à un quart de lieue du rivage ; cependant il y a des maisons dans l'intervalle qui la sépare du lac. Tarichée domine un golfe terminé par une langue de terre qui s'avance très loin : de là jusqu'à la sortie du Jourdain, le rivage est bordé d'une chaussée solidement construite en pierres noirâtres sur laquelle passe un chemin. La ville est jolie et nouvellement bâtie à la mode des païens, avec des colonnades devant les maisons ; toutefois elle n'est pas grande. Il y a sur la place du marché un très beau puits couvert et orné de colonnes.

Ce fut près de ce puits que se rendit Jésus, et tout le peuple y accourut avec un grand nombre de malades que le Seigneur guérit. Plusieurs femmes voilées, accompagnées de leurs enfants, se tenaient à quelque distance derrière les hommes. Il vint beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens parmi lesquels il y avait aussi des Hérodiens. Il enseigna sur les huit béatitudes et sur l'oraison Dominicale. Les Pharisiens commencèrent à lui adresser divers reproches, mais ce sont toujours les mêmes griefs : il fraye avec des Publicains, des pécheurs et des femmes de mauvaise vie ; ses disciples ne se lavent pas les mains avant les repas, il guérit le jour du sabbat, etc. Je me souviens qu'ici aussi Jésus les appela des renards. Mais il ne tarda pas à rompre l'entretien avec eux et il appela à lui les enfants qu'il enseigna, qu'il bénit et dont il guérit quelques-uns. Il les montra aux Pharisiens, dit qu'ils devaient devenir semblables à eux, etc. Il dit à ce propos sur les enfants et sur l'estime qu'on doit en faire beaucoup de choses qu'il répéta plus tard.

Tarichée est située plus bas que Tibériade. Au-dessous de la ville, un bras du lac coule vers le Jourdain en traversant la chaussée dont j'ai parlé, à laquelle il laisse un quart de lieue de largeur et dont il fait une île. Au commencement, le canal est étroit et renfermé entre des bords revêtus de maçonnerie ; au bout d'un quart de lieue, il passe sous un pont et se décharge dans le Jourdain, après sa sortie du lac. Tarichée est en outre traversée par un ruisseau qui vient d'une vallée se jeter dans ce canal. On prépare ici beaucoup de poissons salés et séchés, et l'on voit devant la ville beaucoup de grands établis en bois où l'on dépose le poisson à cet effet.

Le pays d'alentour est extraordinairement fertile et plantureux. Sur les hauteurs qui entourent la ville, on voit partout des vignes et des terrasses couvertes d'arbres fruitiers de toute espèce : toute la contrée jusqu'au Thabor et au lac des bains de Béthulie est d'une beauté et d'une richesse dont on ne peut pas se faire une idée. Gennabris est située plus à l'ouest entre Tarichée et Tibériade.

Vers le soir, Jésus quitta la ville et s'embarqua avec les disciples. Ils se dirigèrent vers le nord-est. Plusieurs disciples sont partis d'ici pour Capharnaum sur une petite embarcation. Pendant la traversée, Jésus fit encore aux disciples des instructions sur l'oraison Dominicale. Il traita de la quatrième demande. Il les prépare toujours ainsi, lorsqu'il est seul avec eux, à recevoir des enseignements plus profonds. Je ne sais pas encore où ils vont.

(5 février.) Le matin, je vis Jésus ayant pris terre entre le bureau de péage de Matthieu et Bethsaide-Juliade. Il enseigna à quelque distance du rivage. Il y avait autour de lui une certaine quantité de personnes : c'étaient pour la plupart des gens du pays : parmi eux, se trouvaient quelques-uns des Juifs qui avaient pris possession de là demeure de Matthieu dont le ménage avait été transporté ailleurs. Il enseigna encore ici sur l'oraison Dominicale. Les gens qui avaient été témoins de la multiplication des pains et qui avaient voulu le faire roi, avaient été surpris de ne pouvoir le trouver nulle part, car ils savaient que ses disciples s'étaient embarqués sans lui, et qu'il ne s'était trouvé là qu'un seul navire : dès hier, ils s'étaient retirés ; plusieurs d'entre eux avaient traversé le lac pour se rendre à Capharnaum.

Jésus et ses disciples avaient dormi cette nuit sur le navire près du lieu de débarquement, et ils étaient venus là pour trouver un peu de repos, de même que Jésus s'était éloigné la veille afin de laisser se refroidir un peu l'enthousiasme du peuple qui voulait le faire roi.

Vers midi, ils firent voile vers Capharnaum et débarquèrent sans être vus. Jésus entra dans la maison de Pierre où il trouva Lazare qui était venu d'Hébron avec le fils de Véronique et deux autres personnes. Il était venu aussi trois femmes, parmi lesquelles Marie Salomé, cette riche veuve qui était fille illégitime d'un frère de saint Joseph. Elle demeurait déjà depuis longtemps chez Marthe et elle fut de celles qui se tinrent au pied de la croix de Jésus et assistèrent à sa mise au tombeau, aussi bien que la mère de Jacques et de Jean, laquelle s'appelait seulement Salomé.

J'ai oublié de quoi Jésus s'entretint avec Lazare : je crois que celui-ci est venu pour vendre Magdalum ; probablement il aura été question de l'emploi du prix de vente à la délivrance des prisonniers de Thirza.

Dans l'après-midi, je vis Jésus aller derrière la maison de Pierre, sur la hauteur où passe le chemin le plus court de Capharnaum à Bethsaïde et où beaucoup d'étrangers sont campés.
Antérieurement il a guéri là beaucoup de malades. Il se rendit à un endroit commodément situé, avec les apôtres et plusieurs disciples, et tout le peuple qui était campé là y courut à sa suite. Plusieurs d'entre eux qui avaient assisté à la multiplication des pains et qui l'avaient cherché inutilement hier et aujourd'hui, lui demandèrent : " Maître, quand avez-vous passé? nous vous avons cherché là-bas et ici " (Jean, VI, 27). Mais Jésus leur répondit, et ce fut là le début de son instruction : " En vérité, en vérité, vous ne me cherchez pas parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé de ce pain et que vous en avez été rassasiés. Travaillez, non pour une nourriture périssable, mais pour la nourriture qui se conserve jusque dans la vie éternelle et que le Fils de l'homme vous donnera : car Dieu le père l'a marqué de son sceau ". Il dit cela avec beaucoup plus de développements qu'il n'y en a dans l'Évangile où sont reproduits seulement les points essentiels. Ces gens lui adressèrent des questions de toute espèce et plusieurs se disaient tout bas les uns aux autres : " Que veut-il dire avec son Fils de l'homme' Nous aussi nous sommes des enfants des hommes "!

Il leur dit encore qu'ils devaient faire les oeuvres de Dieu, et comme ils demandaient ce qu'il y avait à faire pour cela, il leur répondit : " Croire à celui que Dieu a envoyé "! puis il continua à enseigner sur la foi. Ils lui demandèrent quel prodige il voulait faire pour qu'ils eussent foi en lui, disant que Moïse avait donné à leurs pères le pain du ciel, c'est-à-dire la manne, afin qu'ils crussent en lui. "  Que voulait-il donc leur donner". Jésus répondit alors : " Je vous le dis, Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, mais mon père vous donne le véritable pain du ciel ; car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde ".

Il parla longuement sur ce sujet et quelques-uns dirent : " Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain ". D'autres, au contraire, disaient : " Son Père nous donne le pain du ciel! qu'est-ce que cela peut vouloir dire ? Son père Joseph n'est-il pas mort "? Jésus prolongea et multiplia ses enseignements sur ce point et il s'expliqua très clairement ; mais peu le comprirent, parce qu'ils se croyaient entendus et savants. Cependant il revint à son premier enseignement sur l'oraison Dominicale et sur les béatitudes, et il ne dit pas aujourd'hui que c'était lui qui était le pain de vie. Les apôtres et les plus avancés des disciples ne l'interrogèrent pas : ils méditaient ses paroles et les comprenaient en partie ; plus tard aussi ils se firent donner des explications.

Le soir, Jésus alla chez Zorobabel, le centurion de Capharnaum, prendre un repas avec les apôtres. Lazare, le centurion Cornélius et Jaïre y assistaient : on y parla beaucoup de Jean.

(6 février.) Aujourd'hui je vis de nouveau Jésus enseigner sur la hauteur qui est derrière la maison de Pierre ; c'était la suite de son instruction de la veille. Il y avait là environ deux mille hommes qui se succédaient les uns aux autres pour mieux entendre. Jésus, en outre, va de temps en temps d'une place à l'autre, répète souvent son enseignement avec infiniment de patience et de charité et fait plusieurs fois les mêmes réponses à des objections qui sont toujours les mêmes. Il se trouvait là plusieurs femmes voilées, à une place séparée ; quelques-unes des amies de Jésus étaient parmi elles. Les Pharisiens allaient et venaient ; ils faisaient des questions et cherchaient encore à insinuer leurs doutes parmi le peuple.

Jésus répéta plus brièvement ce qu'il avait dit hier, puis il s'exprima à peu près en ces termes : " Je suis le pain de vie ; quiconque vient à moi n'aura plus faim, quiconque croit en moi n'aura plus soif "! Il dit encore que ceux que le Père lui donnait pouvaient venir à lui, qu'il ne les repousserait pas : qu'il était venu du ciel pour faire, non pas sa volonté ; mais celle de son Père : que c'était la volonté de son Père qu'il ne perdît rien de ce qu'il lui avait donné, mais qu'il le ressuscitât au dernier jour : que c'était la volonté du Père que quiconque voyait le Fils et croyait en lui, eût la vie éternelle et que celui-là serait ressuscité par lui au dernier jour.

Il y avait aujourd'hui beaucoup d'auditeurs qui ne le comprenaient pas et qui chuchotaient et murmuraient : les Pharisiens se mettaient plus souvent en avant, l'interrogeaient, se retiraient en ricanant et en haussant les épaules, et lançaient aux faibles des regards pleins d'un orgueilleux mépris. Beaucoup se disaient les uns aux autres : " Comment peut-il dire qu'il est le pain de vie et qu'il est descendu du ciel ? N'est-ce pas le fils du charpentier Joseph ; sa mère n'est elle pas parmi nous? ses cousins y sont aussi et nous connaissons les parents de son père Joseph. Il dit aujourd'hui que Dieu est son père, puis il dit qu'il est le Fils de l'Homme ". Et ils murmuraient d'autres propos du même genre et ils questionnaient. Jésus leur dit qu'ils ne devaient pas ainsi murmurer, qu'ils ne pouvaient pas venir d'eux-mêmes à lui, que c'était le Père dont il était l'envoyé qui devait les attirer à lui ! Mais ils ne pouvaient pas comprendre cela, demandaient ce que cela voulait dire et prenaient ses paroles dans un sens tout matériel. Il dit encore : "  On lit dans les Prophètes que tous seront instruite par Dieu. Donc quiconque entend la parole du Père et reçoit son enseignement vient à moi ".

Plusieurs dirent encore : "  Ne sommes-nous pas près de lui et pourtant nous n'avons pas entendu la parole du Père ni reçu son enseignement "? Alors il dit de nouveau : "  Nul n'a vu le Père que celui qui est de Dieu. Quiconque croit en moi, a la vie éternelle. Je suis le pain descendu du ciel, le pain de vie ".

Là-dessus ils déclarèrent qu'ils ne connaissaient d'autre pain descendu du ciel que la manne. Il leur répondit que ce n'était pas là le pain de vie, car leurs pères qui l'avaient mangé étaient morts : mais il s'agissait ici du pain descendu du ciel afin que quiconque en mangerait ne mourût Pas. Il était ce pain de vie et quiconque en mangeait vivrait éternellement.

Toutes ces instructions étaient longuement développées et accompagnées d'explications et de citations de la loi et des prophètes : mais la plupart ne voulant pas le comprendre, prenaient tout dans un sens grossier et charnel : ils recommençaient leurs questions et disaient : " Que veut dire cela qu'on doit le manger pour vivre éternellement? qui peut vivre éternellement? qui peut manger de sa chair? Hénoch et Elie ont été retirés du monde et on dit qu'ils ne sont pas morts : on ne sait pas non plus où est allé Malachie : on ne sait rien de sa mort : mais tous les autres hommes doivent mourir ". Jésus leur répondit à ce sujet et leur demanda à son tour s'ils savaient où étaient Hénoch et Elie et ce qu'était devenu Malachie. Quant à lui, il ne l'ignorait pas. Savaient ils ce qu'Hénoch avait cru? ce qu'Elie et Malachie avaient prophétisé? et il expliqua plusieurs de ces prophéties.

Il n'alla pas plus loin aujourd'hui : les esprits étaient singulièrement excités et on se livrait à des réflexions et à des discussions de toute espèce. Il y eut même plusieurs des disciples les plus nouveaux qui se laissèrent aller au doute et à l'erreur. C'étaient pour la plupart les nouveaux venus parmi les disciples de Jean, mais non les plus anciens dont les uns s'étaient joints tout de suite à Jésus, dont les autres avaient été alternativement avec Jean et avec lui. Ceux qui doutaient étaient des hommes superficiels, dominés par la passion et les préventions. C'étaient eux qui venaient de compléter le nombre des soixante-dix : car Jésus n'avait d'abord que trente-six disciples en titre. Il y en avait pourtant plusieurs qui avaient déjà pris part à la dernière mission des apôtres. Les femmes étaient environ au nombre de trente-quatre, mais en comptant toutes les directrices, les servantes, les surveillantes des hôtelleries, il y en avait aussi soixante dix au service de la communauté dans les derniers temps.

(7 février.) Lazare est déjà reparti. Jésus enseigna de nouveau le peuple sur la hauteur qui est devant la ville : toutefois il ne parla pas du pain de vie, mais de l'oraison Dominicale et des sujets traités dans le sermon sur la montagne. Il y avait beaucoup de monde, mais comme la plupart des malades qui s'étaient trouvés là étaient déjà guéris, l'affluence était moins considérable et moins tumultueuse : car lorsqu'on amène et qu'on ramène les malades, il y a toujours grande presse et grande confusion, parce que tous veulent être au premier rang et bientôt après veulent se retirer. Tous les auditeurs et une partie des nouveaux disciples, spécialement beaucoup de disciples de Jean sont vivement préoccupés de ce que sera la conclusion de l'instruction commencée par Jésus.

Le soir Jésus enseigna dans la synagogue sur la lecture du sabbat. Elle était tirée de l'Exode et contenait des prescriptions de toute espèce sur les esclaves, les meurtriers, le vol et les jours de fête, ainsi que le récit de ce que fit Moïse lorsqu'il monta sur le mont Sinaï : il y avait aussi des passages de Jérémie où il était question de l'affranchissement des esclaves. (Exod., XXI jusqu'à XXIV, 1-18. Jérém., XXXIV, 1-22.)

Jésus dit quelque chose de tout cela, mais bientôt on l'interrompit et on l'interrogea de nouveau à propos de ses enseignements de la veille sur le pain de vie. " Comment pouvait-il, disait-on, s'appeler le pain de vie descendu du ciel, lorsqu'on savait si bien qui il était "? Mais Jésus répéta ce qu'il avait dit précédemment à ce sujet, et comme les Pharisiens reproduisaient leurs objections, parlant d'Abraham leur père et de Moïse et demandant pourquoi il appelait Dieu son père, il leur demanda pourquoi ils appelaient Abraham leur père et Moïse leur maître, eux qui ne suivaient pas les préceptes et les exemples d'Abraham et de Moïse ; puis il leur mit sous les yeux toutes leurs actions perverses, leur malice et leur hypocrisie, ce qui les couvrit de confusion et les rendit furieux.

Il reprit ensuite son enseignement sur le pain de vie et dit : "  Le pain que je donnerai est ma chair que je livrerai pour la vie du monde ". Là-dessus on se mit a murmurer et à chuchoter : " Comment peut-il nous donner sa chair à manger "? Mais Jésus continua avec beaucoup plus de développements que dans l'Évangile, disant que qui ne boira pas son sang et ne mangera pas sa chair n'aura pas la vie en lui . que qui fait cela a la vie éternelle et sera ressuscité par lui au dernier jour ; "  car ma chair est véritablement viande et mon sang véritablement breuvage. Quiconque mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le Père qui est vivant m'a envoyé et de même que je vis par le Père, de même qui me mange vivra par moi. Ceci est le pain descendu du ciel et non un pain comme la manne que vos pères ont mangée et qu'elle n'a pas empêchés de mourir. Qui mange ce pain vivra éternellement ". Il apporta à l'appui de tout cela des textes des prophètes et surtout de Malachie : il montra comment la prophétie de celui-ci avait eu son accomplissement dans Jean-Baptiste sur lequel il s'étendit beaucoup. Comme ils lui demandaient quand il leur donnerait cette nourriture, il répondit nettement : "  Quand le temps sera venu ", et il indiqua d'une certaine façon une époque déterminée : je fis le calcul et je trouvai un an, six semaines et quelques jours. L'émotion était grande dans l'assistance, les Pharisiens agitaient les esprits tant qu'ils pouvaient.

Note : Anne Catherine est malade à la mort, de violents vomissements l'empêchent de parler : c'est pourquoi la narration est si peu suivie et si pleine de lacunes.

(8 février.) Le matin et le soir Jésus enseigna à la synagogue devant une nombreuse assemblée. Il expliqua la sixième et la septième demandes de l'oraison Dominicale et l'une des béatitudes : " Bienheureux les pauvres d'esprit ". Il ne réprouvait pas par là la science, il disait seulement que ceux qui étaient savants devaient l'ignorer, et que de même les riches ne devaient pas savoir qu'ils étaient riches. Là-dessus ils murmurèrent de nouveau et dirent qu'on ne pouvait pas faire usage de ce qu'on ne connaissait pas. Mais il répondit : " Bienheureux les pauvres d'esprit "! Il fallait se sentir pauvre et s'humilier devant Dieu duquel émane toute science et en dehors duquel toute science est une abomination.

Cependant ils l'interrogeaient encore à propos de son enseignement de la veille sur le pain de vie et sur ce qu'il fallait manger sa chair et boire son sang ; et comme Jésus maintint ce qu'il avait dit et continua à s'exprimer à ce sujet en termes très forts et très nets, plusieurs de ses disciples se mirent à murmurer et à dire : " Cette parole est dure, qui peut y prêter l'oreille " ? Mais il leur répondit qu'ils ne devaient pas se scandaliser, qu'ils verraient encore bien autre chose, et il leur prédit qu'on le persécuterait et que les plus fidèles l'abandonneraient et prendraient la fuite ; qu'alors il se jetterait dans les bras de son ennemi et qu'on le ferait mourir ; que toutefois il n'abandonnerait pas ceux qui auraient fui, mais que son esprit serait avec eux. Il ne dit pas précisément " se jeter dans les bras de son ennemi ", c'était plutôt quelque chose comme " embrasser son ennemi ou être embrassé par lui " ; je ne m'en souviens plus bien.
Cela faisait allusion, je crois, au baiser de Judas et à sa trahison.
Comme ils se scandalisaient de plus en plus, il leur dit encore : " Que sera ce quand vous verrez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant? C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. Mais il y en a quelques-uns parmi vous qui ne croient point, c'est pourquoi je vous ai dit : personne ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par mon Père ".

Comme il enseignait ainsi dans la synagogue, il y eut beaucoup de murmures et d'invectives contre lui : trente et quelques des plus nouveaux parmi ses disciples et ses adhérents, spécialement des disciples de Jean, hommes superficiels et prévenus, se rapprochèrent des Pharisiens, murmurant et chuchotant avec eux : mais les apôtres et les anciens disciples se groupèrent autour de Jésus, et il leur dit encore tout haut qu'il était bon que ceux-là montrassent à quel esprit ils appartenaient avant de causer de plus grands maux.

Lorsque Jésus voulut sortir de la synagogue, on se pressa tumultueusement à sa sortie : les Pharisiens et les disciples infidèles qui s'étaient concertés ensemble voulurent le retenir. Il devait, disaient-ils, discuter encore avec eux, ils avaient bien des explications à lui demander. Mais les apôtres, ses disciples et ses amis l'entourèrent et il échappa à leurs efforts au milieu de la presse, du tumulte et des clameurs. Or ces discours et ces cris étaient ce qu'ils seraient aujourd'hui en pareille occasion : " Nous y voilà! nous ne demandons rien de plus! il a montré clairement pour tout homme de sens qu'il a complètement perdu la raison. Il propose des choses insensées et révoltantes : il met en avant une doctrine inouïe. Il faut manger sa chair, dit-il, et boire son sang ! Il vient du ciel! il montera au ciel "!

Cependant Jésus gagna avec les siens, qui se dispersèrent sur divers chemins, la hauteur qui s'élève au nord de la ville et de la vallée, près des habitations de Zorobabel et de Cornélius : quand ils se furent rejoints à un endroit qui avait été désigné d'avance, il leur parla encore des scandales de la journée et demanda aux douze s'ils voulaient aussi le quitter. Alors Pierre lui dit au nom de tous : " Seigneur, à qui irions-nous? vous avez les paroles de la vie éternelle, et nous avons cru et reconnu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant "! Jésus leur répondit entre autres choses : " Je vous ai choisis tous les douze et pourtant un de vous est un démon "!

Ils se rendirent ensuite à la maison que Pierre avait près du lac, et ils y prirent de la nourriture : Jésus visita encore Marie.

J'eus encore une vision que je ne puis rapporter complètement. La mère de Jésus s'était trouvée présente à ses dernières instructions sur la hauteur et à la synagogue. Quoiqu'elle eût eu de bonne heure la connaissance des mystères que Jésus exposait, elle ne s'en était pourtant pas rendu compte bien clairement. Car de même que la seconde des Personnes divines s'était incarnée en elle-même, de même que le Verbe s'était fait homme et était devenu son fils, de même aussi toutes ces profondes connaissances étaient restées en elle comme enveloppées dans son amour maternel pour Jésus, amour souverainement humble et respectueux. Mais aujourd'hui Jésus ayant exposé clairement les mystères de son origine, de sa présence actuelle et de son retour futur sur la terre, au grand scandale des hommes aveuglés, les méditations de Marie furent particulièrement attirées sur ces mystères. Cette nuit, je la vis en prière dans sa chambre où elle eut une vision, une intuition intérieure touchant la salutation Angélique, la naissance et l'enfance de Jésus, la réalité de sa propre maternité et de la filiation du Seigneur qui faisait qu'elle traitait comme son enfant celui qui était le fils de Dieu. Cet enfant qui était le sien lui fut montré comme le fils de Dieu et elle y reçut la connaissance des mystères les plus sublimes : alors accablée par ses sentiments d'humilité et de vénération, elle versa des torrents de larmes, et toutes ces intuitions se perdirent de nouveau dans le sentiment de l'amour maternel pour son divin fils, de même que le Dieu vivant se cache sous l'espèce du pain dans le sacrement de l'autel.

Lors de la séparation des disciples de Jésus j'eus encore une grande vision explicative, mais je suis trop malade pour la rapporter. Je vis le royaume de Jésus et le royaume de Satan formant deux sphères. Je vis une cité de Satan et une femme, la prostituée de Babylone, avec les prophètes et les prophétesses du démon, ses thaumaturges et ses apôtres ; tout cela m'apparaissait revêtu d'une grande splendeur, bien plus magnifique, plus riche et plus rempli que le royaume de Jésus. Je vis des rois, des empereurs et même beaucoup de prêtres y accourir avec un cortège de chevaux et de voitures. Satan avait un trône magnifique.

Je vis le royaume du Christ sur la terre, pauvre, sans apparence, plein de douleurs et de peines : je vis Marie figurant l'Eglise, et le Christ sur la croix figurant aussi l'Eglise avec une entrée latérale par la blessure de son côte, etc. Ici elle s'interrompit 1.

Note : La pieuse Anne Catherine fut malheureusement tellement absorbée pendant plusieurs jours par des visiteurs envers lesquels elle pratiquait des oeuvres de miséricorde spirituelle, qu'elle ne put communiquer au Pèlerin que quelques rares fragments des visions de ces jours-là.