TREIZIÈME CHAPITRE.

Prédication de Jésus sur les bords du lac de Génésareth.

(Du 18 au 24 août.)


 
 

    Jésus guérit des lépreux à Tarichée. - La veuve possédée à Naim. - Sa guérison opérée de loin. - Entretiens de Jésus avec ses disciples sur le chemin. - Instruction faite aux paiens, confusion des pharisiens. - Jésus dans la maison de Pierre. - Guérisons de malades. - Jésus à Capharnaum. - Humilité de Pierre.


    (18 août.) Les trois disciples suivant les instructions de Jésus avaient quitté Nazareth aussitôt après que la synagogue eut été fermée et ils l'attendaient dans un endroit qu'il avait désigné, sur le chemin qui va dans la direction du levant vers Tarichée. Je vis Jésus marcher seul pendant la nuit et rejoindre les disciples vers le matin : je vis aussi Saturnin qui venait de Capharnaum les rencontrer et se joindre à eux il avait été mandé ici et les autres disciples étaient allés à sa rencontre il portait avec lui du pain, du miel et d'autres provisions. Je les vis avec Jésus se reposer et prendre quelque chose près d'une cabane, dans une vallée solitaire habitée par des bergers. Jésus parla de ce qui s'était passé à Nazareth et leur recommanda de rester paisibles et obéissants pour ne pas faire obstacle à son travail par des démonstrations bruyantes. Je les vis ensuite suivre des chemins solitaires, passer devant des villes et se rendre par des vallées à l'endroit où le Jourdain sort de la mer de Galilée. Il y avait là une grande ville fortifiée, située au pied d'une montagne, à l'extrémité méridionale de la mer de Galilée, non loin de la sortie du Jourdain. Elle était sur une langue de terre et l'eau la bordait au midi. Il s'y trouvait un grand pont et aussi une digue : c'était une situation singulière. De la ville au lac une plaine verdoyante descendait en pente douce. La ville s'appelle Tarichée.

Je n'ai jamais vu Jésus ici. Il n'entra pas dans la ville, mais il prit un sentier qui le conduisit le long d'un mur méridional, à peu de distance d'une porte. Il y a en dehors de ce mur un groupe de cabanes destinées à recevoir des lépreux. Ce n'était pas proprement le mur d'enceinte de la ville ; mais un mur extérieur de la banlieue. Il était environ quatre heures de l"après-midi ; étant encore à quelque distance de cet endroit, il dit aux disciples : "Appelez les lépreux de loin afin qu'ils me suivent et que je les guérisse ! mais éloignez-vous quand ils sortiront, afin de ne pas vous souiller, et ne dites rien de ce que vous verrez ; car vous savez quelle est la fureur des gens de Nazareth et vous ne devez scandaliser personne. "Alors Jésus s'avança un peu dans la direction du Jourdain et les disciples crièrent aux malades : "Sortez et suivez le prophète de Nazareth ! Il vous viendra en aide. "Et quand ils virent ces gens sortir ils se retirèrent en toute hâte.

Jésus marchait lentement, se rapprochant de la ville, dans la direction du Jourdain.

Je vis cinq hommes de différents âges, en longs vêtements blancs sans ceintures, coiffes d'un capuchon d'où s'abaissait sur le visage un morceau d'étoffe noire, avec des trous pour les yeux, sortir des cellules adjacentes au mur. Ils suivirent le Seigneur à la file les uns des autres, jusqu'à un endroit isolé où Jésus s'arrêta. Alors celui qui était en avant se prosterna à terre et baisa le bas de sa robe ; Jésus se retourna vers lui, lui mit la main sur la tête, pria, le bénit et lui dit de se ranger de côté. Le second fit de même et ainsi de suite jusqu'au cinquième. Ils découvrirent leur visage et leurs mains et la croûte de la lèpre s'en détacha. Jésus leur fit une exhortation sur le péché qui était la cause de leur maladie et sur la manière dont ils devaient vivre dorénavant, puis il leur défendit de dire qu'il les avait guéris. Mais ils répondirent : " Seigneur, Vous vous montrez à nous inopinément : il y a longtemps que nous vous espérions. que nous soupirions après vous, et nous n'avions personne pour vous parler de notre misère et vous conduire vers nous : Seigneur, vous vous montrez si soudainement comment pourrions-nous cacher notre joie et taire vos miracles ? "il leur dit encore qu'ils ne devaient pas en parler jusqu'à ce qu'ils eussent fait ce que la loi commande ; qu'ils devaient se montrer aux prêtres qui constateraient leur guérison, et faire les offrandes et les purifications prescrites ; qu'après cela ils pourraient dire qui les avait guéris. Ils se prosternèrent de nouveau pour le remercier et retournèrent dans leurs cellules. Quant à Jésus, il alla du côté du Jourdain retrouver les disciples. Ces lépreux n'étaient pas tout à fait renfermés, ils avaient à leur disposition un espace désigné dans les limites duquel ils pouvaient se promener. Personne ne s'approchait d'eux, et on ne leur parlait que de loin : on leur portait de la nourriture à certains endroits, dans des plats qu'on ne reprenait pas, mais qui étaient brisés et enfouis par eux : on apportait chaque fois de nouveaux vases de peu de valeur.

Jésus s'avança encore avec les disciples dans la direction du Jourdain à travers des bosquets et des les avenues : ils se reposèrent dans un endroit solitaire où ils prirent quelque nourriture, et il les enseigna. Ils i : se reposèrent assez longtemps : je crois même qu'ils dormirent : ce ne fut que dans la nuit que je les vis traverser le fleuve sur une poutre qui était placée là.

Pendant que Jésus était absent de Capharnaum, je vis Marthe qui s'y rendait avec Jeanne Chusa et Véronique. à Cana, où elles s'arrêtèrent (probablement pendant le sabbat), une parente de la sainte famille, une veuve d'environ trente ans, nommée Marie, vint trouver Marthe et la pria d'intercéder pour elle auprès de Jésus. C'était cette veuve que précédemment l'amie de la veuve de Naïm avait recommandée à Jésus, mais sans rien obtenir encore de lui. Elle avait vécu dans le désordre dans d'autres endroits, et elle avait fini par empoisonner un de ses amants. On ne savait pas cela dans le pays : quant à elle, elle avait été vivement touchée en entendant parler de la miséricorde de Jésus à l'égard des pécheurs, et elle ne demandait qu'à faire pénitence et à rentrer en grâce. Elle vint chercher Marthe à Cana, la pria de parler en sa faveur à la mère de Jésus et lui avoua toutes ses fautes : elle apportait une partie de son bien convertie en petits lingots d'or, et voulait en outre donner tout le reste. Les saintes femmes, n'oubliant pas ce que Jésus leur avait dit à Béthanie à l'occasion de la perle perdue, l'accueillirent avec bonté et l'accompagnèrent à Capharnaum parce qu'elle était alors possédée d'un démon muet. Il fallait donc la surveiller : car dans ses attaques elle ne pouvait pas appeler au secours ; elle était alors tout à fait muette, et le démon la poussait tantôt dans le feu, tantôt dans l'eau. Quand elle revenait à elle, elle s"asseyait ou se couchait dans un coin et pleurait amèrement. Cette veuve était la fille ou la petite-fille d'une sœur de sainte Anne ; du côté paternel elle était alliée à la mère de Lazare, qui était de Jérusalem. Elle était aussi parente de Maroni, la veuve de Naïm, par Eliud, mari de celle-ci et fils d'une soeur de sainte Anne : voilà pourquoi l'amie de Maroni l'avait recommandée à Jésus, lors de son passage à Naïm.

(19 août.) Hier, comme on l'a dit, Jésus traversa le Jourdain avec les quatre disciples au-dessous de Tarichée. Il y avait en divers endroits du fleuve des barques sur lesquelles on passait soi-même et elles étaient toujours ramenées à leur place par des gens qui travaillaient sur les bords, et qui habitaient des cabanes disséminées de loin en loin le long du fleuve sur une grande étendue. Jésus ne suivit pas le bord du lac, mais il monta au levant vers la ville de Galaad. Les quatre disciples qui étaient avec lui étaient Parménas de Nazareth, Saturnin, et deux autres déjà mentionnés qui étaient de Jérusalem, et dont l'un s'appelait comme une ville qui a des rapports avec saint Paul, Tarsus, ou peut-être Tharzissus ; l"autre qui était frère du premier, avait aussi comme un nom de ville terminé par bolus (elle dit plus tard : Aristobolus). Tharzissus devint évêque d'Athènes. Aristobolus fut plus tard subordonné à Barnabé : j'entendis le mot de fraternité : mais il était seulement son frère spirituel2.

Notes : 
C'est ce que dit aussi Dorotheus, dans la Synopsis discipulorum. 
2 Dans plusieurs légendes, il est appelé frater Barnabae : dans d"autres on lui donne aussi le nom de Zébédée.

Il alla souvent avec Paul et Barnabé, et, je crois, fut évêque à Britannia. Il avait été présenté à Jésus par Lazare, lors de son dernier voyage en Galilée, si je ne me trompe ils étaient étrangers, Grecs, à ce que je crois. Leur père s'était établi à Jérusalem, il n'y avait pas longtemps. C'étaient des gens qui faisaient le commerce maritime : leurs esclaves ou serviteurs, transportant des marchandises sur leurs bêtes de somme, étaient venus entendre prêcher Jean et s'étaient fait baptiser par lui. Ces serviteurs avaient fait des rapports sur Jean et sur Jésus à leurs maîtres, lesquels allèrent eux-mêmes trouver Jean avec leurs fils. Le père et les fils se firent baptiser, reçurent la circoncision et la famille revint à Jérusalem. Ils avaient quelque aisance, et je crois que dans la suite ils donnèrent tout ce qu'ils possédaient à la communauté. Les deux frères étaient grands, bruns, intelligents, et ils avaient reçu une bonne éducation. C'étaient des jeunes gens arrivés à l'âge adulte. Je les voyais en route tout arranger et mettre en ordre avec beaucoup d'adresse et de dextérité. 
Une petite rivière descend de l'endroit où montait Jésus : je crois qu'il la traversa. Le prophète Elie avait séjourné là autrefois : Jésus raconta quelque chose à ce sujet.

Jésus fit des instructions aux disciples pendant toute la route : j'en avais retenu beaucoup de choses, mais une visite que j'ai reçue ce matin me l'a fait oublier. Il enseigna en paraboles tirées de divers états et de divers métiers, et aussi des buissons, des pierres, des plantes, des lieux et de ce qui se présentait sur le chemin, Les disciples firent des questions sur diverses circonstances où ils s'étaient trouvés avec lui à Séphoris et à Nazareth.

Note : Dorotheus écrit à tort Béthanie.

Il leur parla du mariage, à propos de la dispute avec les pharisiens de Séphoris et s'éleva contre le divorce. Il parla de l"irrévocabilité du consentement, ajoutant que Moise n'avait permis la répudiation que parce qu'il avait affaire à un peuple grossier et pécheur.

Ils l'interrogèrent encore sur le reproche qu'on lui avait fait à Nazareth de ne pas aimer son prochain, parce qu'il n'avait pas voulu opérer de guérisons dans sa patrie, qui était ce qu'il avait de plus proche : ne devait-on donc pas, disaient-ils, regarder ses compatriotes comme son prochain ? Là-dessus Jésus enseigna fort au long sur l'amour du prochain et leur présenta des comparaisons et des questions de toute espèce. Il tira ces comparaisons des divers états qui sont dans le monde, et tout en parlant il montrait du doigt certains endroits qu'on pouvait voir dans le lointain et ou ces métiers étaient particulièrement exercés. Il dit aussi que, quand on voulait le suivre, on devait quitter son père et sa mère et pourtant observer le quatrième commandement ; qu'on devait traiter sa patrie comme il avait fait à Nazareth, si elle le méritait, et pourtant pratiquer l'amour du prochain ; que le prochain était, avant tout, Dieu le Père céleste, et celui qu'il avait envoyé. Il parla ensuite de l'amour du prochain selon le monde : il parla des publicains de Galaad où ils allaient alors, lesquels aimaient pardessus tout ceux qui leur payaient exactement la taxe : il montra Dalmanutha qui était à leur gauche et dit : "Ces faiseurs de tentes et de tapis aiment leur prochain quand il leur achète beaucoup de leurs produits : mais ils laissent sans abri leurs propres pauvres.

Il tira du métier des cordonniers une comparaison qui avait rapport à la curiosité des gens de Nazareth. Je ne la sais plus bien : mais il disait à peu près : "Je n'ai pas besoin de l'honneur du monde qui a de belles couleurs comme les sandales bariolées, exposées sur les établis des cordonniers, lesquelles ensuite sont mises sous les pieds et foulées dans la boue." Il dit encore : "ils sont comme les cordonniers de cette ville (qu'il montrait du doigt), leurs propres enfants les injurient et les méprisent, et ils sont ainsi poussés vers l'étranger : s'ils ont entendu parler des chaussures vertes à la nouvelle mode, ils en font venir par curiosité et veulent ensuite se pavaner avec ces chaussures qui sont foulées aux pieds comme cet honneur dont je parle." Il parla de la même manière des pêcheurs, des architectes et de diverses autres professions.

Ils lui demandèrent où il voulait habiter dorénavant, et s'il voulait bâtir une maison à Capharnaum ? Il répondit qu'il ne voulait pas bâtir sur le sable, et il parla d'une autre ville qu'il voulait bâtir. Je ne comprenais pas toujours ce qu'ils disaient lorsqu'ils marchaient : je comprenais mieux quand ils étaient assis Je crois me rappeler qu'il voulait avoir un petit navire à lui pour aller et venir sur le lac. Il voulait enseigner sur l'eau et sur la terre.

Ils allèrent dans le pays de Galaad : Abraham y avait séjourné avec Loth : ils avaient déjà fait un partage entre eux à cette époque. Il leur dit quelque chose à ce sujet. Il leur enjoignit de ne pas parler de la guérison des lépreux afin de ne scandaliser personne, et d'éviter avec soin tout ce qui pouvait faire de l'éclat, parce que certainement les gens de Nazareth chercheraient à faire du bruit et soulèveraient les passions. Il voulait, à ce que je crois, enseigner encore à Capharnaum le jour du sabbat : c'était là qu'ils pourraient apprendre ce que c'était que l"amour du prochain et la reconnaissance des hommes : car il devait y être reçu d'une toute autre façon que lorsqu'il avait guéri le fils du centurion.

Ayant fait quelques lieues au nord-est ils arrivèrent dans l'après-midi en face de Galaad (?), au sud de Gamala. Il y avait dans cette ville des Juifs et des paiens comme dans la plupart des villes de cette contrée. Les disciples y seraient entrés volontiers, mais Jésus leur dit que s'il allait aux Juifs, ils le recevraient mal et le laisseraient manquer de tout ; que s'il allait aux païens, les Juifs s'en scandaliseraient et le calomnieraient. Il dit aussi de cette ville qu'elle serait entièrement détruite et qu'elle était très mauvaise. Je ne sais à quelle occasion, peut-être par suite de ce qu"ils avaient entendu dans l'hôtellerie les disciples lui parlèrent d'un certain Agabus, un prophète d'Argob, résidant alors dans les environs, qui depuis longtemps avait eu des visions relatives à Jésus, et avait encore prophétisé à son sujet assez récemment. Il devint plus tard son disciple. Jésus dit de lui que ses parents étaient hérodiens et l'avaient élevé dans cette secte mais qu'il s'était converti. Il parla ensuite des sectes qu"il compara à des sépulcres, beaux à l'extérieur, mais pleins de pourriture au dedans. 
Les hérodiens se rencontraient fréquemment à l'est du Jourdain, dans la Pérée, la Trachonitide et l"Iturée : ils ne voulaient pas être connus et agissaient dans l'ombre : ils se soutenaient les uns les autres en secret : des gens pauvres qui entraient dans leur société étaient aussitôt secourus et trouvaient des ressources. Ils avaient des dehors très Pharisaïques, travaillaient sous-main à délivrer les Juifs du joug des Romains et avaient des rapports intimes avec Hérode. Ils formaient une société comme celle des francs-maçons. Je compris par les paroles de Jésus, qu'ils affichaient une haute vertu et une grande sainteté, mais que c'étaient des hypocrites.

Jésus resta avec les disciples à quelque distance de Galaad, dans une hôtellerie de publicains : il y avait là plusieurs publicains auxquels les païens payaient un droit Pour les marchandises qu'ils faisaient entrer. Ils avaient aujourd"hui rencontré çà et là plusieurs personnes sur le chemin, mais elles ne paraissaient pas connaître Jésus et il ne leur adressa pas la parole. Jésus enseigna ici sur l'approche du royaume de Dieu, sur le Père qui envoie son Fils dans sa vigne et il donna clairement à entendre qu'il était lui-même ce Fils, mais il ajouta que tous ceux qui faisaient la volonté du Père étaient ses enfants, ce qui les laissa encore dans l'incertitude à ce sujet Il les exhorta aussi a recevoir le baptême et plusieurs se convertirent. Ils lui demandèrent s'ils devaient se faire baptiser par les disciples de Jean ; il leur répondit qu'il fallait attendre jusqu'au moment où ses disciples baptiseraient dans cet endroit. Les disciples lui demandèrent aussi aujourd'hui si son baptême était autre chose que celui de Jean, parce qu'ils avaient reçu celui de Jean. Il fit une différence et appela le sien une ablution de pénitence, etc. (Elle ne se souvient plus bien de ce qu'il dit à ce sujet).

Dans l'instruction qu'il fit aux publicains, il y eut quelque chose sur la sainte Trinité sur le Père. le Fils, le Saint-Esprit et leur unité toutefois en termes tout différents. Les disciples ici ne se firent pas de scrupules de frayer avec les publicains. 
Comme Jésus, à Nazareth, avait logé chez les Esséniens et que les pharisiens lui en avaient fait un reproche, les disciples lui tirent des questions sur les Esséniens, et j'entendis Jésus les louer sous forme d'interrogation. Il parla de diverses fautes contre l'amour du prochain et la justice, en ajoutant à chaque fois : les Esséniens font-ils ceci, les Esséniens font-ils cela ? etc.

Dans le voisinage de Galaad, quelques possédés qui couraient autour de la ville dans une contrée déserte poursuivirent Jésus de leurs cris. Ils étaient tout à fait abandonnés, ils volaient et tuaient les gens qui passaient par là et commettaient toute espèce d"abominations. Il les regarda et les bénit : alors ils furent délivrés, coururent à lui et se jetèrent à ses pieds. Il les exhorta au baptême et à la pénitence, et leur dit d'attendre le moment où ses disciples viendraient baptiser à Ainon. Près de Galaad le sol était pierreux, c'était un fond de rocher blanc et friable.

(20 août.) Jésus traversa aujourd'hui les montagnes à l'extrémité méridionale desquelles se trouve Gamala ; il alla au nord-ouest dans la direction du lac. Dans cette marche à travers les montagnes situées au levant de la mer de Galilée, il passa à une lieue environ à l'est de Gergesa, où plus tard il chassa les démons dans les pourceaux. Gergesa était située dans un enfoncement résultant d'une dépression de l'arête de la montagne, et il y avait tout auprès un marais formé par le barrage d'un ruisseau qui se jette dans le lac près de Magdalum, à travers un ravin. Sur le chemin Jésus parla de cet endroit avec les disciples : il dit qu'un prophète (dont j'ai oublié le nom) avait eu a essuyer les moqueries des gens de Gergesa, à cause de sa taille contrefaite et qu'il leur avait dit : "` Écoutez, vous qui vous moquez de moi ; vos enfants resteront endurcis quand un plus grand que moi enseignera et guérira ici, et vous n'accueillerez pas le salut avec joie à cause du chagrin que vous causera la perte d'animaux immondes.

Note : Aujourd'hui Anne Catherine essaya de représenter, au moyen des plis qu'elle faisait dans ça couverture, la vallée de la petite rivière qui se jette dans le Jourdain, au midi du lac de Génésareth, et aussi les montagnes et la position des lieux au levant du lac. Elle fit cela pour mieux faire comprendre à l'écrivain la direction du voyage de Jésus, et il vit avec plaisir que beaucoup de ses indications étaient d'accord avec les meilleures cartes. Vis-à-vis de Tarichée, dit-elle, à une lieue dans l'intérieur des terres, se trouve Dalmanutha, située sur une hauteur. On l'a à gauche quand on entre dans la vallée de la petite rivière. à droite, au côté méridional de la vallée, se trouve Gadara, placée sur une hauteur au-dessous de laquelle un autre ruisseau s'unit au Hiéromax : la vallée de celui-ci descend du nord derrière les montagnes placées à l'est du lac et tourne à l'ouest vers le Jourdain. Les montagnes au levant du lac forment plusieurs terrasses superposées. Au point culminant on a une vue étendue sur les montagnes, le lac et plusieurs villes. De cette hauteur en abaissant ses regards vers le couchant, on voit dans un enfoncement Gergesa d'où part un ravin qui aboutit au lac. Au delà du lac, au nord-ouest on voit Capharnaum ; si l'on regarde au nord, sur la rive orientale du Jourdain, on voit Bethsaïde-Juliade, et en avant de celle-ci à peu de distance, dans la direction du sud-est, Gerasa dominant une vallée qui descend au lac. un peu au nord de Gerasa est le pays de Chorozaim. Au nord, par delà Gerasa, on voit une arête élevée, se terminant par une haute chaîne où se dressent de nombreux sommets et où il y a beaucoup de bois et de rochers blancs ; c'est a l'ouest de cette chaîne qu'est située Séleucie au bord du lac Mérom. Si de la hauteur d'où j'ai vu tout cela, on regarde vers le midi, on voit à son extrémité méridionale sur une sommité escarpée la ville forte de Gamala, et au-dessous, à une lieue au sud, autour d'une éminence, la ville où était allé Jésus, et qui, si je ne me trompe, s'appelle Galaad. Galaad a une position admirable ; la ville est étagée autour d'une hauteur. On y voit des jardins s'élever en amphithéâtre par dessus des temples et des maisons. Sur le point culminant s'élève Gamala.

Cette prédiction se rapportait au Christ et aux démons envoyés dans les pourceaux. Jésus parla à ses disciples de ce qui l'attendait à Capharnaum. Il leur dit que les pharisiens de Séphoris irrités de son enseignement sur le mariage avaient envoyé à Jérusalem, que les habitants de Nazareth avaient aussi porté des accusations contre lui et que toute une troupe de pharisiens de Jérusalem, de Nazareth et de Séphoris, avait été envoyée à Capharnaum, pour l'espionner et lutter contre lui.

Aujourd'hui sur le chemin ils rencontrèrent de grands cortèges de païens avec des mulets et des bœufs qui avaient des mufles épais, de larges et fortes cornes, et qui marchaient la tête baissée. Il y avait là des caravanes de commerce qui venaient de la Syrie et de l'Arabie, et qui, arrivées dans la contrée de Gerasa, s'embarquaient sur le lac ou passaient plus haut sur le pont du Jourdain. Il s'y trouvait beaucoup de gens qui s'étaient adjoints à ces caravanes pour entendre le prophète. Quelques troupes allaient sur des chemins séparés, mais plusieurs personnes d'une troupe vinrent à lui sur la route et lui demandèrent si le prophète enseignait à Capharnaum. Il leur dit de ne pas aller pour le moment à Capharnaum, mais de s'arrêter sur la pente de la montagne au nord de Gerasa, où le prophète irait bientôt. La manière dont il leur parla fit qu'ils lui dirent : "Seigneur, vous aussi, vous êtes un prophète ! "et en le voyant ils furent en doute s'il n'était pas celui qu'ils cherchaient.

Pendant ce voyage, un messager de la sainte Vierge vint trouver Jésus, je ne sais plus bien dans quel endroit. Elle le faisait prier de venir à Capharnaum et de délivrer la veuve Marie, que Marthe lui avait amenée et qui était possédée d'un démon muet. Je vis à cette occasion comment Marthe l'avait amenée à la sainte Vierge et lui avait demandé son intercession. La mère de Jésus jeta un regard sévère sur cette malheureuse femme et la fit rester longtemps à une certaine distance. Alors le repentir devint plus vif dans le cœur de la veuve et elle l'implora en ces termes avec une grande abondance de larmes : " O Mère du Prophète, priez votre Fils pour moi afin que je puisse rentrer en grâce avec Dieu. "La Mère de Jésus, ayant reconnu qu'elle était sincèrement repentante, envoya un messager à son Fils. Mais Jésus le renvoya disant que la malade était guérie maintenant et qu'il viendrait en temps opportun. Il la guérit de loin comme le fils du centurion de Capharnaum. Au moment même où il parlait ainsi, je vis la veuve tomber par terre comme morte et les femmes la porter sur un lit : mais elle revint bientôt à elle et se trouva complètement délivrée. Je crois que précédemment déjà, pendant qu'elle exprimait son repentir, d'autres démons étaient sortis d'elle. Marthe et ses compagnes repartirent avec elle pour Béthanie, avant l'arrivée de Jésus. Marthe l'établit dans un bâtiment voisin de sa maison où elle avait déjà à demeure plusieurs femmes qui préparaient des pièces d'habillement de toute sorte pour les pauvres et pour les disciples. Elle vécut là retirée dans la pénitence et le travail, et donna tout ce qu'elle possédait à la communauté. Sa vie avait beaucoup de rapports avec celle de Madeleine, sinon qu'elle avait été mariée. Elle connaissait très bien Dina, la Samaritaine, qui était, comme elle, de Damas.

(21 août.) Jésus vers le soir entra avec ses disciples dans une hôtellerie, devant Gérasa. Il y avait là une telle affluence de paiens et de voyageurs, que Jésus se retira aussitôt à part : les disciples s'entretinrent du prophète avec les païens et les instruisirent. Je crois confusément que Jésus s'entretint encore ce soir avec un maître d'école juif. Gérasa est située au penchant d'une vallée qui est a peu près à deux lieues de l'extrémité septentrionale du lac, et à une lieue et demie environ du lac lui-même. C'est une ville plus grande et aussi plus propre que Capharnaum, Gérasa, comme presque tous les lieux de cette contrée, a une population à moitié païenne : il s'y trouve des temples. Les Juifs sont la partie opprimée : ils ont toutefois une école et des maîtres. Il y a ici beaucoup de commerce et d'industrie : car il y passe des caravanes allant de Syrie et d'Asie en Egypte. J'ai vu devant la porte un bâtiment long d'un demi quart de lieue, où l'on forge de longues barres de fer et des tuyaux du même métal. On forgeait les barres à plat, puis on les soudait ensemble circulairement : on fabriquait aussi des tuyaux de plomb. On ne se servait pas de charbon de bois pour ces travaux, mais on brûlait des masses noires qu'on tirait de terre. Il vient ici du fer d'Argob, la patrie du prophète Agabus, car je vois qu'en cet endroit le sol est ferrugineux : c'est un fond d'ocre jaune : je n'y vis pas de mines.

Les païens qui passaient avaient planté leurs tentes au nord de Gérasa, sur la pente méridionale du promontoire : il y avait là aussi des païens de la ville, et quelques Juifs qui se tenaient à part. Les païens étaient autrement habillés que les Juifs : ils avaient des robes qui leur venaient à mi jambe. Il devait y avoir parmi eux des gens riches, car je vis des femmes qui étaient toutes coiffées de perles : quelques-unes avaient au-dessus de leur voile les cheveux tressés avec des perles et formant ensemble un petit réseau.

Jésus se rendit sur cette hauteur et il enseigna tout en gravissant la montagne ; il passait le long des divers groupes, et s'arrêtait tantôt ici, tantôt là. Il enseignait sous forme de conversation avec les voyageurs. Il les interrogeait et laissait des réponses instructives aux questions qu'ils lui adressaient eux-mêmes. Il leur demandait : "D'où êtes-vous ? Quel est l'objet de votre voyage ? Qu'attendez-vous du prophète ? " Il leur enseignait ce qu'ils avaient à faire, s'ils voulaient avoir part au salut. Il leur disait : "Heureux ceux qui viennent chercher le salut, en faisant un voyage si long et si pénible. Malheur à ceux parmi lesquels il se lève et qui ne l'accueillent pas. n Il expliquait les prophéties sur le Messie, la vocation des païens, et racontait la vocation et le voyage des trois rois, etc. Ces gens en savaient quelque chose.

Il y avait parmi eux des gens du pays et de la ville où le serviteur d'Abgare, roi d"Édesse, rapportant à son maître le portrait de Jésus et sa lettre, avait passé la nuit près d'une tuilerie. Jésus leur raconta différentes paraboles. Il ne guérit pas de malades. Ces gens étaient pour la plupart d'un bon naturel. Quelques-uns d'entre eux toutefois regrettaient d'être venus : ils s'attendaient à toute autre chose de la part du prophète, à quelque chose qui frappât davantage leur imagination.

Vers midi, Jésus alla avec les quatre disciples manger chez un docteur juif de la secte des pharisiens, qui demeurait devant la ville. Cet homme avait invité hier soir, ou ce matin, à venir chez lui, mais il était trop orgueilleux pour assister aux instructions que Jésus donnait aux paiens. D'autres pharisiens de la ville étaient présents. Ils accueillirent Jésus avec une bienveillance apparente, mais hypocrite, et il se présenta pendant le repas une occasion de leur dire nettement la vérité. Un esclave ou serviteur païen ayant apporté sur la table un beau plat de couleurs varices, avec des gâteaux pétris d'épices recherchées, et figurant des oiseaux, des fleurs et d'autres objets du même genre, un des assistants fit grand bruit de ce que le plat n'était pas propre, repoussa très grossièrement le pauvre esclave, l"injuria et le renvoya parmi les autres serviteurs. Jésus dit alors : " Ce n'est pas le plat, c'est ce qui est dedans qui est plein d'impureté. "Le maître de la maison répondit que c'était une erreur, que les gâteaux étaient très propres et faits avec des ingrédients exquis "Jésus fit une réponse, dont voici à peu près le sens : " Rien n'est plus impur, car ce ne sont que des friandises pétries avec la soeur, le sang, la moelle et les larmes des veuves, des orphelins et des pauvres. a Puis il leur adressa des leçons sévères sur leurs intrigues, leur prodigalité, leur cupidité et leur hypocrisie ils en furent fort dépités : mais ils ne trouvèrent rien à répliquer, et quittèrent la maison sauf le maître, qui continuait à flatter hypocritement Jésus, parce qu'il espérait découvrir quelque chose dont il put l'accuser devant les pharisiens réunis à Capharnaum.

Vers le soir Jésus instruisit encore les Païens sur la montagne. Ils lui demandèrent s'ils devaient se faire baptiser par les disciples de Jean, et exprimèrent le désir de s'établir ici dans le pays. Jésus leur conseilla d'attendre qu'ils fussent mieux instruits pour recevoir le baptême, et d'aller d'abord de l'autre côté du Jourdain, vers la haute Galilée, dans la contrée d'Adama, où il y avait déjà des païens convertis et des gens de bien, et où il devait enseigner de nouveau. Il leur encore une instruction à la lueur des flambeaux, parce qu'il était déjà tard, puis il les quitta.

(21-22 août.) Il se dirigea alors vers le nord-ouest, et franchissant la montagne, il se rendit à l'endroit où les serviteurs de Pierre l'attendaient avec une barque. Il descendit sur le bord du lac et s'embarqua à une demi lieue à peu près au-dessous de Bethsaide-Juliade, qui est entourée de murs comme une ville. On était déjà à une heure avancée du soir, et les trois mariniers qui étaient des esclaves païens de Pierre avaient avec eux des lanternes à l'aide desquelles ils se dirigeaient sur le lac. Jésus monta sur un petit navire que Pierre et André avaient construit eux-mêmes pour Jésus avec leurs serviteurs, car ils n'étaient pas seulement mariniers et pêcheurs, ils construisaient en outre leurs barques eux-mêmes. Pierre en avait trois, dont une était très grande, aussi longue qu'une maison. La barque où était Jésus pouvait contenir environ dix personnes : quant à la proportion entre la longueur et la largeur, elle avait à peu près la forme d'un œuf. à l'avant et à l'arrière était comme une cave fermée où l'on pouvait déposer toutes sortes de choses, et même se laver les pieds. Au milieu s'élevait le mât, contre lequel venaient s'appuyer des perches partant du rebord de la barque. On pouvait faire tourner par en haut la voile autour de ces perches. Des sièges étaient adossés au mât. Plus tard Jésus enseigna souvent sur cette barque : elle le fit souvent aborder au rivage en passant au milieu des autres embarcations. Les grands navires avaient autour du mat des plates-formes circulaires, comme des galeries superposées, à travers lesquelles on pouvait voir ce qui se passait, et où l'on pouvait se faire des niches séparées avec de la toile à voiles. Les perches qui s'appuyaient aux mâts étaient garnies d'échelons pour grimper ; des deux côtés du navire étaient des caisses ou des tonnes flottantes, faisant l'effet d'ailes ou de nageoires, en sorte que le bâtiment ne pouvait pas chavirer dans la tempête : on les allégeait ou on en augmentait le poids selon qu'on voulait que l'embarcation tirât plus ou moins d'eau. Quelquefois elles étaient remplies d'eau, quelquefois vides Elles servaient encore à conserver le poisson qu'on avait pris. De l'avant et de l'arrière du navire on faisait sortir des planches mobiles pour arriver plus facilement à ces caisses ou aux barques voisines, et aussi pour tirer les filets. Quand on ne pêchait pas, ces navires servaient à passer des caravanes ou des voyageurs d'un bord du lac à l'autre. Les gens employés en sous-ordre à la pêche et à la manœuvre étaient pour la plupart des esclaves païens : Pierre aussi avait des esclaves.

Jésus débarqua au-dessus de Bethsaïde, non loin de la maison des lépreux où Pierre, André, Jean, Jacques le Majeur, Jacques le Mineur, Philippe, et un autre encore l'attendaient. Il ne passèrent pas par Bethsaïde, mais prirent le chemin le plus court qui passait devant l'extrémité septentrionale de la ville, et franchissant le coteau, ils se rendirent à la maison de Pierre dans la vallée entre Capharnaum et Bethsaide.

La mère de Jésus et les autres femmes étaient dans cette maison. La belle-mère de Pierre était malade et couchée. Jésus la visita, mais il ne la guérit pas encore. On lui lava les pieds et il y eut un repas où l'on s'entretint beaucoup de l'arrivée à Capharnaüm de quinze pharisiens envoyés pour espionner Jésus par les principales écoles de la Judée et de Jérusalem. Quelques endroits d'une certaine importance en avaient envoyé chacun deux : il n'y en avait qu'un de Séphoris ; le jeune homme de Nazareth qui, à plusieurs reprises, avait prié Jésus de le prendre avec lui et qu'il avait encore refusé récemment, était maintenant adjoint en qualité de scribe à cette commission. Il s'était marié peu de temps auparavant, et Jésus dit à ses disciples : " voyez qui vous m'aviez recommandé ! Il vient pour m'espionner et il voudrait être mon disciple!" Ce jeune homme avait voulu se joindre à Jésus par vanité, et parce qu'il n'avait pas été accueilli par lui, il se rangeait maintenant parmi ses ennemis. Ces pharisiens devaient séjourner un certain temps à Capharnaum. De ceux qui étaient arrivés par couples, l"un devait revenir et faire son rapport, l'autre rester à Capharnaum pour surveiller les actes et les enseignements de Jésus Ils avaient déjà eu une réunion où ils avaient fait venir le centurion Zorobabel qu'ils avaient interrogé ainsi que plusieurs autres personnes sur les guérisons opérées par le Sauveur et les enseignements donnés par lui. Ils ne pouvaient pas nier les guérisons ni rejeter la doctrine : toutefois ils n'étaient jamais satisfaits, quoi qu'il arrivât. Ils se scandalisaient de ce que Jésus n'étudiait pas chez eux, de ce qu'il frayait avec des gens du commun, Esséniens, pêcheurs, publicains, etc., de ce qu'il n'avait pas de mission de Jérusalem, de ce qu'il ne leur demandait pas conseil comme à des savants, de ce qu'il n'était ni pharisien, ni sadducéen, de ce qu'il avait enseigné chez les samaritains et guéri le jour du sabbat. En un mot ils le trouvaient en faute, parce qu'ils n'auraient pu lui rendre justice sans avoir à se mépriser eux-mêmes. Le jeune homme de Nazareth était surtout un ennemi acharné des Samaritains qu'il persécutait de toutes les manières.

Les amis et parents de Jésus désiraient qu'il n'enseignât pas à Capharnaum le jour du sabbat ; sa mère elle-même était inquiète et disait qu'il ferait mieux d'aller encore sur l'autre rive du lac. Dans ces occasions, Jésus répondait brièvement et se refusait à ce qu'on lui demandait sans donner d'explications.

Il était venu à Bethsaïde, et aussi a Capharnaüm, une foule de malades, de païens et de juifs. Plusieurs troupes de voyageur3 qui l'avant-veille avaient rencontré Jésus de l'autre côté du lac l'attendaient ici. Prés de Bethsaïde. Il y avait de grandes hôtelleries couvertes avec des toits de roseaux, où païens et juifs logeaient séparément ; au-dessus de cet endroit, se trouvaient des bains pour les païens, au-dessous d'autres bains pour les juifs.

Pierre avait reçu beaucoup de malades juifs dans l'intérieur de sa maison, et Jésus en guérit plusieurs ce matin. Il avait dit hier soir à Pierre, qu'il devait pour aujourd'hui laisser là sa pêche et l'aider à pêcher des hommes, que bientôt il l'appellerait définitivement. Pierre obéit, mais cela le mettait un peu dans l'embarras. Il avait toujours la pensée que vivre avec le Seigneur était quelque chose de trop relevé pour lui, que c'était au-dessus de sa portée. Il croyait, il voyait les miracles, il s'ouvrait volontiers, faisait ce qui lui était demandé : mais il s'imaginait qu'il n'était pas fait pour cela, qu'il était trop simple, qu'il n'en était pas digne ; à cela se joignait une secrète inquiétude touchant ses affaires privées. Souvent aussi il était fatigué des reproches injurieux qui lui étaient adressés sur ce qu'un simple pêcheur comme lui allait partout avec le prophète, faisait de sa maison an foyer de fanatisme et de rébellion, laissait ses affaires en souffrance. Il y avait en lui un combat intérieur, car alors il n'était pas aussi plein d'ardeur et d'enthousiasme qu'André et les autres. Il était pourtant plein de foi et d'amour, mais en outre il était humble, timide, ne connaissait que son métier et ne demandait pas mieux que de s'y tenir en toute simplicité.

Jésus alla de la maison de Pierre à l'extrémité septentrionale de Bethsaide. Tout le chemin était couvert de malades païens et juifs, toutefois ils étaient séparés les uns des autres et les lépreux se tenaient à part à une grande distance. Il y avait des aveugles, des paralytiques, des muets, des sourds, des goutteux et particulièrement beaucoup de Juifs hydropiques. Les guérisons se firent aujourd'hui avec plus d'ordre et de solennité que dans d'autres occasions antérieures. La plupart des malades étaient ici depuis deux jours, et les disciples du pays, André, Pierre et les autres auxquels Jésus avait annoncé son arrivée, les avaient placés commodément suivant les instructions qu'il leur avait données d'avance : il y avait sur cette route plusieurs massifs de verdure isolés et quelques petits jardins Jésus enseigna et exhorta les malades qu'on portait ou qu'on amenait par troupes autour d"eux. Plusieurs demandaient à lui confesser leurs fautes, et il se retirait à l"écart avec eux. Je les voyais s'agenouiller devant lui, confesser leurs fautes et pleurer. Parmi les païens, il y en avait plusieurs qui s'étaient rendus coupables de vols et de meurtres dans leurs voyages. Il en laissait quelques-uns couchés par terre pendant un certain temps, allait d'abord aux autres, puis revenait à eux et leur disait : " Lève-toi ; tes péchés te sont remis' "Parmi les Juifs il y avait des adultères et des usuriers. Quand il les voyait sincèrement repentants et leur avait prescrit la restitution, il priait avec eux, leur imposait les mains et les guérissait. Il ordonna à plusieurs de se purifier en prenant un bain. Il envoya un certain nombre de paiens au baptême ou vers les païens convertis de la haute Galilée. Les troupes passaient l'une après l'autre devant lui, et les disciples maintenaient l'ordre. Aujourd'hui je ne vis pas d'enfants en bas âge, hier près de Gérasa, il y avait des femmes païennes avec des enfants tout petits et d'autres un peu plus grands.

Jésus passa ensuite par Bethsaïde où il y avait foule comme à un grand pèlerinage. Je le vis aussi guérir dans différentes hôtelleries et sur la route. Après cela il se rendit dans la maison d'André où une collation était préparée. Je vis ici des enfants, la belle-fille de Pierre, âgée d'environ dix ans, avec d'autres jeunes filles de son âge, deux autres d'à peu prés dix et huit ans, et un petit garçon d'André, qui avait une robe jaune avec une ceinture. Il y avait avec eux des femmes âgées. Ils se tenaient sous un hangar de la maison et parlaient du prophète ; ils demandaient s'il viendrait bientôt, et couraient ça et là regardant s'il arrivait. On les avait amenés là pour le voir, car d'ordinaire les enfants étaient tenus très à l'écart. Jésus en passant les regarda et les bénit. Je le vis ensuite revenir à la maison de Pierre et guérir en chemin beaucoup de gens : il a bien guéri aujourd'hui une centaine de personnes, leur a remis leurs péchés et leur a. donné des instructions sur ce qu'ils auront à faire à l'avenir.

J'ai vu encore aujourd'hui qu'il y avait une grande diversité dans la manière dont Jésus opérait ses guérisons : vraisemblablement, il procédait ainsi pour montrer aux disciples comment eux-mêmes plus tard et l'Eglise jusqu'à la fin des temps auraient à agir en pareil cas. Dans toute sa manière d'agir, les choses se passaient d'une façon simple et naturelle ; il n'y avait rien de prestigieux, pas de métamorphoses soudaines. Je vis dans toutes les guérisons certaines transitions conformes à la nature des maladies et des péchés. Je vis tous ceux sur lesquels il priait ou auxquels il imposait les mains rester calmes et recueillis pendant quelques moments : leur guérison était précédée comme d'une légère défaillance. Les paralytiques se relevaient doucement, se prosternaient devant lui, et se trouvaient guéris, mais ce n'était qu'au bout d'un certain temps que les membres recouvraient toute leur force et toute leur souplesse : chez quelques- uns, après quelques heures, chez d"autres après quelques jours, etc. Je vis des hydropiques qui pouvaient se traîner près de lui, d'autres qu'il fallait porter. Il leur mettait la plupart du temps la main sur la tète et sur l'estomac. Aussitôt après qu'il avait parlé, ils étaient en état de se lever et de marcher, ils se sentaient tout allégés et l'eau s'en allait par les sueurs. Des lépreux perdaient leurs écailles tout de suite après leur guérison, mais il leur restait des taches rouges aux endroits que la lèpre avait atteints. Ceux qui recouvraient la vue, l'ouïe, la parole, se ressentaient encore au commencement d'avoir été longtemps privés de l'usage de ces sens. Je le vis guérir des gens enflés par la goutte : ils n'avaient plus de douleurs et pouvaient marcher ; mais l"enflure ne disparaissait pas à l'instant même : elle ne s'en allait que peu à peu, quoique très  promptement. Les gens affligés de convulsions en étaient délivrés sur-le-champ : les fièvres s'en allaient, mais les malades ne se trouvaient pas immédiatement frais et dispos : leur guérison était comme celle d'une plante flétrie qui reverdit, arrosée par la pluie. Les possédés ordinairement perdaient connaissance pendant quelques instants : en revenant à eux, ils se sentaient délivrés, mais fatigués, quoiqu'avec je visage reposé. Tout procédait avec ordre et tranquillité, et les prodiges de Jésus n'avaient rien qui pût effrayer personne, si ce n'est les incrédules et ses ennemis.

Les païens qui étaient venus ici y avaient été poussés pour la plupart par des gens qui avaient été au baptême et à la prédication de Jean, et aussi par d'autres païens de la haute Galilée et des autres endroits où Jésus avait enseigné et guéri : ils avaient un vif désir d'être instruits. Plusieurs avaient reçu le baptême de Jean, d'autres ne l'avaient pas reçu. Jésus ne leur prescrivait pas la circoncision : quand ils l'interrogeaient à ce sujet, il parlait de la circoncision du cœur et de tons les sens. Il leur donnait des règles de conduite, il leur enseignait l'amour du prochain, la tempérance, le détachement ; leur ordonnait de garder les dix commandements, leur apprenait les diverses parties d'une prière à réciter : c'était comme les demandes du Pater, prises à part. Il leur disait en outre qu'il leur enverrait ses disciples et je vis en effet les disciples aller principalement chez des gens comme ceux-ci.

(23 août.) Hier soir, déjà, je vis à Bethsaïde et à Capharnaum, déployer sur la synagogue et sur d'autres édifices publics, des étendards avec des noeuds et des guirlandes de fruits, parce que le dernier jour du mois d'Ab commence et que ce soir, le mois d'Elul s'ouvre avec le sabbat. Jésus guérit encore ce matin plusieurs Juifs malades à Bethsaide : il mangea chez Pierre, et alla ensuite avec les disciples dans la maison que celui-ci possède en avant de Capharnaum, tout près de la ville. Les femmes s'y étaient rendues d'avance et beaucoup de malades l'y attendaient. Il y avait là deux sourds auxquels Jésus mit les doigts dans les oreilles On en amena deux autres qui pouvaient à peine marcher, dont les bras étaient raides et immobiles et dont les mains étaient très enflées. Jésus posa la main sur eux, fit une prière, leur prit les deux mains auxquelles il fit faire un mouvement de haut en bas et ils furent guéris. L'enflure ne disparut pas à l'instant, mais peu à peu, dans l'espace de deux heures.

Il les exhorta à employer dorénavant leurs mains au service de Dieu, car c'était à cause de leurs péchés qu'ils étaient dans cet état. Il en guérit encore plusieurs, puis il alla dans la ville pour le sabbat. Il s'y trouvait une foule innombrable et l'on avait fait sortir les possédés du lieu où ils étaient renfermés. Ils couraient au-devant de lui dans les rues et le poursuivaient de leurs cris. Il leur ordonna de se taire et de s'éloigner ; alors, au grand étonnement de tous, ils le suivirent tranquillement à la synagogue et écoutèrent ses enseignements. Les pharisiens et notamment les quinze qui étaient nouvellement arrivés étaient assis autour de sa chaire : on l'accueillit avec un respect simulé qui cachait une véritable frayeur. On lui donna les Écritures et il prit pour texte un passage d'Isaïe (XLIX), disant que Dieu n'avait pas oublié son peuple Je me souviens qu'il y était dit que quand même une mère oublierait son enfant, Dieu pourtant n'oublierait pas son peuple. Il lut ce passage et les suivants, puis il les expliqua, disant que Dieu ne pouvait pas être empêché par l'impiété des hommes d'avoir pitié des délaissés ; que le temps dont le prophète parle était venu, que Dieu avait toujours les yeux fixés sur les murs de Sion. Maintenant le moment était arrivé où les démolisseurs devaient s'enfuir et où les architectes devaient venir. Dieu allait en rassembler un grand nombre pour orner son sanctuaire. Beaucoup devaient être bons et pieux ; les bienfaiteurs et les guides du pauvre peuple devaient être si nombreux que la synagogue stérile s'écrierait : Qui m'a engendré ces enfants ? Les païens devaient se convertir à l'Eglise, les rois être ses serviteurs. Le Dieu de Jacob devait les enlever au pouvoir de l'ennemi, les tirer des mains de la synagogue pervertie et faire en sorte que ceux qui s"attaqueraient au Sauveur comme des meurtriers, tourneraient leur fureur les uns contre les autres et s'extermineraient mutuellement (Isaie, L, 1, etc.). Il appliqua ce texte à la ruine de Jérusalem, qui devait périr si elle n"accueillait pas le royaume de la grâce. Demandez à Dieu s'il s'est séparé de la synagogue, s'il l'a répudiée, s'il a vendu son peuple ! Oui, ils sont vendus à cause de leurs péchés, la synagogue est abandonnée à cause de ses prévarications. Il a appelé et averti, personne n'a répondu. Mais Dieu est tout-puissant, il peut ébranler le ciel et la terre. Jésus appliqua tout cela à son temps. Il prouva que tout était accompli. Il dit que le Père l'avait envoyé pour annoncer et pour apporter le salut, pour rassembler ceux qui étaient délaissés et égarés par la synagogue ; puis il cita comme s'appliquant à lui-même le passage où il est dit : " Dieu le Seigneur m'a donné une langue savante afin que je puisse ramener les délaissés, les égarés ; il m'a ouvert les oreilles de bonne heure pour écouter ses préceptes et je ne l'ai point contredit. "Lorsque Jésus dit cela, les pharisiens prirent ses paroles dans un sens tout grossier comme s'il se fût glorifié lui-même.

Quoiqu'ébranlés par son discours et se disant les uns aux autres après l'instruction : "Jamais prophète n'a enseigné de la sorte : "ils se mirent pourtant à chuchoter entre eux. Il appliqua ensuite ce que dit le prophète : qu"il a travaillé et souffert pour eux, qu'il s'est laissé frapper au visage et fouetter, à la persécution qu'il subissait déjà et qu'il aurait encore à subir. Il parla des mauvais traitements qu'il avait soufferts à Nazareth : il ajouta que tous ses ennemis passeraient et tomberaient avec leur doctrine ; car leur juge allait venir à eux. Ceux qui avaient la crainte de Dieu devaient écouter sa voix, les ignorants qui marchaient dans les ténèbres invoquer Dieu et espérer ! Le jugement était proche et alors ceux qui avaient allumé le feu seraient anéantis (Isaie, L, II). Il appliqua encore cela à la ruine du peuple juif et de Jérusalem.

Ils ne pouvaient rien lui répondre et ils l'écoutaient en silence, seulement ils chuchotaient ensemble d'un air moqueur et pourtant tous étaient entraînés et remues. Il expliqua ensuite un passage de Moïse, mais cela vient toujours en dernier lieu. Il termina par une parabole qu'il adressa plus directement à ses disciples et aussi au jeune scribe de Nazareth qui avait agi traîtreusement à son égard. C'était la parabole des talents confiés par le maître, allusion aux connaissances dont ce jeune homme était si vain. Il en ressentit intérieurement une grande confusion, mais il n'en devint pas meilleur. Jésus ne raconta pas tout à fait cette parabole comme elle est dans l'Evangile, mais d"une façon assez analogue.

Il guérit encore dans la rue devant la synagogue, puis il se rendit dans la maison de Pierre, située devant la porte. Nathanaël Khased, Nathanaël le fiancé et Thaddée étaient venus de Cana pour ce sabbat. Thaddée venait souvent ici : d'habitude il allait ça et là dans le pays, car il faisait le commerce de filets de pêche, de toile à voiles, de cordages, etc.

La maison se remplit encore de malades pendant la nuit. Il s'y trouvait plusieurs femmes affligées de pertes de sang, qui se tenaient à part : on lui en conduisit quelques-unes : d'autres étaient portées par des femmes sur une civière, tout enveloppées de linges. Elles paraissaient pâles et souffrantes, et avaient, depuis longtemps, un vif désir d'être secourues par lui. Je le vis cette fois leur imposer les mains et les bénir, puis il fit dégager de leurs enveloppes celles qui étaient couchées et leur commanda de se lever. Elles s'aidaient les unes les autres. Il leur donna des avis et les congédia.

On prit encore une petite collation, comme de coutume, et il s'entretint de nouveau avec ses disciples. Lorsqu'ils furent allés se coucher, il se retira à part pour prier pendant la nuit.

Les pharisiens, venus à Capharnaum pour l'espionner, n'avaient pas fait connaître publiquement le but de leur mission, ils avaient seulement interrogé en secret le centurion Zorobabel. Ils s'étaient arrêtés là sous prétexte du sabbat que bien des Juifs allaient célébrer ailleurs que chez eux, et surtout dans les endroits où se trouvait un docteur célèbre ; en outre, beaucoup de personnes viennent dans la contrée de Génésareth pour se reposer de leurs occupations et jouir de la beauté et de la fertilité du pays.

(24 août.) Jésus alla de très grand matin à Capharnaum ; une foule innombrable, dans laquelle étaient beaucoup de malades, s'était rassemblée devant la synagogue. Il guérit plusieurs personnes. Lorsqu'il entra dans la synagogue où, pendant ce temps, les pharisiens s'étaient rassemblés, plusieurs possédés vinrent à sa rencontre en poussant des cris, et l'un d'eux, qui était des plus furieux, courut vers lui et s'écria : " Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth ? Tu viens pour nous perdre ! Je le sais, tu es le Saint de Dieu ! ,' Jésus lui ordonna de se taire et de s'éloigner. Cet homme se rejeta vivement en arrière parmi les autres et il se débattit un peu : après quoi le démon sortit de lui : il redevint calme et se jeta aux pieds de Jésus. Alors beaucoup de gens, et notamment les disciples, dirent, au grand scandale des pharisiens qui les écoutaient : "Qu'est-ce donc que ce nouvel enseignement? Qui peut-être celui-ci qui a pouvoir sur les esprits immondes?"

Il y avait une affluence si extraordinaire et une telle quantité de malades dans la synagogue et à l'entour, que Jésus fut obligé de prêcher à une place d'où l'on allait vue non seulement dans l'intérieur, mais encore dans le vestibule tout rempli d'auditeurs. Les pharisiens se tenaient autour de lui dans la synagogue, et il adressait son enseignement au peuple qui était dehors et vers lequel il se tournait souvent. Les salles qui entouraient la synagogue étaient ouvertes, et il y avait autour de la cour des édifices avec des degrés sur lesquels on se tenait pour écouter et d'où l'on pouvait aller dans le vestibule en descendant par l'autre côté. Au-dessous étaient des cellules et des chambres pour les pénitents et les gens qui voulaient prier. Tout était plein d'auditeurs, et, à certaines places, plein de malades.

Jésus prêcha encore sur des textes d'Isaïe : il parla avec beaucoup de chaleur et il appliqua tous les passages du prophète à l'époque présente et à lui-même.

Il dit que les temps étaient accomplis, et que le royaume de Dieu était proche. Ils n'avaient cessé, disait-il, de soupirer après l'accomplissement des prophéties, d'implorer le prophète et le Messie, qui devait les soulager de leurs fardeaux, mais quand il viendrait, ils ne voudraient pas de lui parce qu'il ne répondrait pas aux idées fausses qu'ils s'en faisaient. Il énuméra ensuite les signes de l"avènement du prophète, signes qu'ils désiraient si vivement voir paraître, qui se trouvaient marqués dans les Ecritures qu'ils lisaient dans leurs écoles, et qu'ils appelaient de leurs prières : il leu r montra que tout était accompli. a Les boiteux marcheront, dit-il, les aveugles verront, les sourds entendront. Or, cela n'a-t-il pas lieu ? Que signifie cette affluence de paiens qui veulent être instruits ? Que crient les possédés ? Pourquoi les démons s'en vont-ils ? Pourquoi tant de malades guéris rendent-ils grâces à Dieu ? N'est-il pas persécuté par les corrupteurs ? N'est-il pas entouré d'espions ? Ils chasseront et mettront a mort le fils du maître de la vigne, mais que leur en reviendra-t-il ? Si vous ne voulez pas recevoir te salut, Il ne doit pourtant pas se perdre, et vous ne devez pas y faire obstacle pour les pauvres, les malades, les pécheurs, les publicains, les pénitents, les païens eux-mêmes vers lesquels il ira en se détournant de vous. C'était à peu près en ces termes qu'il parlait. Il dit encore : "Vous reconnaissez comme prophète Jean qu'ils ont emprisonné : allez à lui dans sa prison, demandez-lui pour qui il a préparé les voies et de qui il rend témoignage.' Pendant qu'il parlait ainsi, la rage des pharisiens allait toujours croissant, ils ne cessaient de chuchoter entre eux et de murmurer.

Or, pendant qu'il prêchait, huit hommes à moitié infirmes en traînèrent quatre autres affligés d'une maladie impure dans le vestibule de la synagogue, à une place où ils pouvaient voir Jésus et entendre ce qu'il disait. C'étaient des gens considérables de Capharnaum. à cause de leur maladie, ils ne pouvaient être introduits que par un côté qui était envahi par la foule, et pour ce motif les autres qui les conduisaient durent faire ranger ceux qui étaient sur des grabats de l'autre côté d'un ouvrage en maçonnerie et se faire faire place à travers les gens qui se retiraient devant eux parce qu'ils étaient impurs. Lorsque les pharisiens virent cela, ils se scandalisèrent, et murmurèrent contre ces gens, comme contre des pécheurs publics atteints d'une maladie impure, et se plaignirent hautement d'un désordre à la faveur duquel des hommes de cette sorte osaient venir dans leur voisinage. Comme ces propos, passant par la bouche du peuple, arrivaient jusqu'aux malades, ils en furent très contristés, et craignirent que Jésus, instruit de leurs péchés, ne voulût pas les guérir. Ils étaient du reste pleins de repentir et soupiraient après lui depuis longtemps. Lorsque Jésus entendit ces murmures des pharisiens, il se tourna, tout en parlant, du côté du vestibule où se tenaient ces malades, et cela, au moment même où ils s'étaient sentis si découragés. Il les regarda gravement et affectueusement, et leur cria : " Vos péchés vous sont remis ! " Alors ces pauvres gens fondirent en larmes et les pharisiens murmurèrent avec plus d'aigreur : "Comment ose-t-il tenir ce langage" Comment peut-il remettre les péchés, "Mais il leur dit : " Suivez-moi et voyez ce que je fais : pourquoi vous scandalisez-vous de ce que j'accomplis la volonté de mon Père ? Si vous ne voulez pas du salut, au moins ne l'enviez pas à ceux qui se repentent. Vous vous scandalisez de ce que je guéris le jour du sabbat : est-ce que la main du Tout-Puissant cesse le jour du sabbat de faire le bien et de punir le mal ? est ce qu'il cesse ce jour-là, de nourrir, de guérir, de bénir ? Ne vous envoie-t-il pas des maladies, ne vous laisse-t-il pas mourir le jour du sabbat ? Ne vous scandalisez pas que le Fils fasse le jour du sabbat la volonté et les œuvres de son Père. "Quand il fut arrivé près des malades, il fit ranger les pharisiens assez loin d'eux et leur dit : "Restez ici, car ils sont impurs pour vous, pour moi ils ne le sont pas ; car leurs péchés leur sont remis : et maintenant dites-moi s'il est plus difficile de dire à un pécheur repentant : Tes péchés te sont remis, que de dire à un malade : Lève-toi et emporte ton lit ? ils ne trouvèrent rien à répondre, alors Jésus s'approcha des malades, leur mit successivement la main sur la tête, fit sur eux une courte prière, les releva en leur prenant les mains : puis il leur ordonna de remercier Dieu, de ne plus pécher et d'emporter leurs lits. Ils se levèrent sur leur séant tous les quatre ; les huit qui les avaient portés et qui, eux aussi, étaient assez infirmes, recouvrèrent toutes leurs forces ; ils aidèrent les autres à se débarrasser des couvertures qui les enveloppaient, et ceux-ci parurent seulement un peu fatigués et étonnés : ils rassemblèrent les bâtons de leurs litières, qu'ils mirent su r leurs épaules : puis tous les douze s'en allèrent joyeux à travers la foule émerveillée et transportée d'allégresse et ils chantaient : " Loué soit le Seigneur, le Dieu d'Israël : il a fait en nous de grandes choses, il a eu pitié de son peuple et nous a guéris par son prophète."

Cependant les pharisiens, pleins de dépit et couverts de confusion, s'en allèrent sans prendre congé. Ils étaient scandalisés de tout ce qu'il faisait j de ce qu'il ne jugeait pas comme eux, de ce qu'ils n'étaient pas à ses yeux les justes, les sages, les élus, de ce qu'il frayait avec des gens qu'ils méprisaient. Ils avaient mille objections à faire : ils lui reprochaient de ne pas observer exactement les jeûnes, d'aller avec des pécheurs, des paiens, des Samaritains et toute sorte de gens de bas étage, d'être lui-même de basse extraction, de laisser trop de liberté à ses disciples et de ne pas les tenir suffisamment en respect : en un mot, rien n'était à leur gré et pourtant ils ne trouvaient rien à lui répondre, ils ne pouvaient nier sa sagesse et ses miracles surprenants, mais ils s'engageaient toujours plus avant dans la voie de la haine et de la calomnie. Quand on considère ainsi la vie de Jésus, on reconnaît que le peuple juif et ses prêtres étaient alors ce que beaucoup de gens sont aujourd'hui : si Jésus venait maintenant, il lui arriverait encore pis avec bien des docteurs et avec la police.

La maladie de ces gens qui venaient d'être guéris, était un écoulement impur : il en était résulté un état de consomption, d'amaigrissement général et de paralysie des membres, comme s'ils eussent été frappes d'apoplexie. Les huit autres étaient en partie paralysés d'un côté. Les lits se composaient de deux perches avec des pieds et une barre transversale. Au milieu était tendue une natte ; on roulait le tout ensemble et on l'emportait sur ses épaules, comme une couple de perches. Il y avait quelque chose de singulièrement touchant à voir ces gens passer, en chantant, à travers le peuple.

Jésus sans s'arrêter plus longtemps gagna la porte de la ville avec les disciples et s'en alla en longeant la montagne à la maison de Pierre près de Bethsaide ; car on l'avait fait prier de venir en toute hâte parce qu'on croyait que la belle-mère de Pierre allait mourir. Sa maladie s'était fort aggravée et elle avait une fièvre ardente. Jésus alla tout droit dans sa chambre. Il y avait d'autres personnes avec lui, parmi lesquelles était, je crois, la fille de Pierre. Il vint auprès du lit de la malade, du coté où reposait sa tête. et il se pencha sur la couche. Il lui dit quelques paroles, puis il lui mit la main sur la tête et sur la poitrine ; et le calme lui revint avec le complet usage de ses facultés. Alors debout devant elle, il la prit par la main, la releva sur son séant et dit : "Donnez-lui à boire." La fille de Pierre lui donna à boire dans un vase qui avait la forme d'un navire. Jésus bénit le breuvage : il lui ordonna de se lever et elle se leva de sa couche qui était très basse. Elle avait la partie inférieure du corps toute enveloppée et avait encore par là-dessus une grande robe de chambre. Elle se débarrassa des linges qui l'entouraient, descendit du lit et remercia le Seigneur, ce que fit aussi toute la maison.

Ils se mirent ensuite à table et la malade, entièrement revenue à la santé, les servit avec d'autres femmes. Il pouvait être midi lorsqu'elle fut guérie et deux ou trois heures lorsqu'ils mangèrent.

Après le repas Jésus accompagné de Pierre, d'André, de Jacques, de Jean et de plusieurs autres disciples, alla se promener au bord de la mer, à l'endroit où était la pêcherie de Pierre ; il les enseigna et insista principalement sur ce que bientôt ils auraient à quitter tout à fait leur travail pour le suivre. Pierre devint alors tout soucieux. Il se jeta aux pieds de Jésus et le pria d'avoir égard à son ignorance et à sa faiblesse et de ne pas exiger de lui qu'il se mêlât de choses si importantes : il n'en était pas digne, disait-il. et n'était pas en état d'enseigner les autres. Jésus répondit qu'ils ne devaient pas se préoccuper des choses de ce monde et que celui qui donnait la santé aux malades leur donnerait aussi la nourriture avec la force nécessaire pour faire ce dont ils seraient chargés. Les autres éprouvaient un grand contentement : Pierre seul dans son humilité et sa simplicité ne pouvait pas comprendre que, de pêcheur, il pût devenir docteur. Ce n'était pas encore là la vocation des apôtres rapportée dans l'Evangile. Celle-là n'a pas encore eu lieu. Cependant Pierre a déjà presque entièrement remis ses affaires entre les mains de Zébédée. Après cette promenade au bord de la mer, Jésus revint à Capharnaum et trouva une énorme quantité de malades devant la ville autour de la maison de Pierre. Il en guérit plusieurs et enseigna encore dans la synagogue.

Mais comme la presse devenait toujours plus grande, Jésus se retira sans être aperçu : il gagna, près de la synagogue, le jardin placé dans un ravin où, l'année précédente, après le sabbat du 30 kisleu (29 décembre) il s'était retiré avec plusieurs disciples ; il arriva par là à une gorge sauvage d'un aspect très agréable qui s'étend, au midi de Capharnaum, entre la demeure de Zorobabel et un petit village qu'habitent ses serviteurs et ses ouvriers. Dans cette gorge il y avait de belles grottes, des bosquets, des sources et des plantes de toute espèce : on y conservait en outre beaucoup d'oiseaux et des animaux rares apprivoisés. C'était une solitude artistement arrangée, appartenant à Zorobabel, mais qui du reste était à l'usage du public Jésus y passa la nuit en prière : ses disciples ne savaient pas où il était. Les gens qui étaient à Capharnaum partirent, les uns le soir, les autres le matin. On faisait alors la seconde