DIXIÈME CHAPITRE.

Depuis le clôture de la première fête de Pâques, jusqu’à l’emprisonnement de Jean Baptiste.


(Du 16 mai au 24 juillet.)

 


    Jésus près d'Ono, sur les bords du Jourdain.- Envoyés et lettre d'Abgare, roi d'Edesse.- Jésus lui répond.- Jésus à l'endroit du baptême au-dessus de Béthabara.- Persécution contre Jésus et les disciples.- Jésus va à Tyr.- Jean est retenu en captivité par Hérode pendant quelque temps.- Les disciples sont traduits devant les tribunaux.- Jésus à Capharnaum près de Marie.- Il enseigne à Adama et à Séleucie près du lac Mérom.- Reprise de la communication journalière des visions.- Jésus à Tyr.- il quitte Tyr et va à Sichor-Libnath. - Jésus à Adama et dans les environs. - Jésus fait une grande instruction.-Conversion merveilleuse d'un vieux juif endurci.-Jésus prêche sur l'économe infidèle.- Jésus enseigne à Séleucie,- sur la montagne voisine d'Adama. - il va à Capharnaum.- Jean Baptiste est arrêté.- Sur Ainon et Melchisédech.- Jean en prison à Machérunte.- Madeleine à Magdalum.- Fête de naissance des amants de Madeleine.- Détails sur la jeunesse de Madeleine.


    Ce fut environ trois semaines après Pâques que Jésus alla de Béthanie à l'endroit où l'on baptisait, près d'Ono. Il y était reste des surveillants pour veiller à ce qu'on ne dérangeât rien. Des disciples s'y étaient rassemblés de nouveau, et il y avait là beaucoup de monde. Je vis Jésus s'asseoir, appuyé contre la chaire, et instruire les hommes qui étaient là assis en cercle ou debout. Il avait un grand nombre d'auditeurs, parmi lesquels étaient des disciples de Jean. Dans quelques endroits on avait dressé des échafauds de bois où l'on s'asseyait.

Note : Anne Catherine avait vu tout cela dans les premiers jours de mai pendant l'absence de l'écrivain, mais elle ne le raconta qu'au mois d'août.

  Je vis une scène qui se passait dans un pays éloigné. un roi était malade dans une ville qui n'était pas très éloignée de Damas : il avait une maladie de peau ; mais elle n'était pas tout à fait sortie : elle lui était tombée sur les pieds et il boitait. Ce roi était un homme de bien, et je vis des voyageurs lui raconter beaucoup de choses sur Jésus, sur ses miracles et sur le témoignage de Jean. et lui dire aussi quelle fureur il avait excitée parmi les Juifs à la fête de Pâques. Je vis que ce roi conçut une grande affection pour Jésus et un grand désir de le voir : il désirait être guéri par lui, et il lui écrivit une lettre pour le prier de venir le guérir. Je le vis aussi appeler un jeune homme de sa cour qui savait peindre, lui donner la lettre adressée à Jésus et lui ordonner, s'il ne pouvait pas venir en personne, de lui rapporter son portrait. Je vis aussi qu'il lui donna des présents et que l'envoyé monta sur un chameau, ayant avec lui six serviteurs montés sur des mulets.

Je vis cet homme s'arrêter avec sa suite, à quelque distance de l'endroit où Jésus enseignait, dans un lieu où d'autres personnes avaient aussi dressé leurs tentes ; je le vis faire des efforts inutiles pour arriver jusqu'à Jésus, car ne pouvant pas lui parler pendant qu'il enseignait, il désirait au moins l'entendre et aussi faire son portrait.

Il avait vainement essayé d'approcher de quelques pas, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, sans pouvoir se frayer passage à travers la foule attentive, lorsque Jésus dit à un disciple de Jean. qui se tenait assez près de lui, de faire faire place à cet homme qui cherchait à percer la foule sans pouvoir y parvenir, et de le conduire à un banc peu éloigné de lui. Le disciple conduisit l’envoyé à ce siège et plaça aussi, de manière à ce qu'ils pussent voir et entendre, les gens de sa suite, porteurs des présents du roi qui consistaient en étoffes, en petites plaques d'or enfilées les unes près des autres, et en plusieurs couples de très beaux agneaux.

Le bon envoyé, tout joyeux de voir enfin Jésus, ne voulut pas perdre de temps : il mit aussitôt devant lui, sur ses genoux, son attirail de peintre, regarda Jésus avec beaucoup d'admiration et d'attention, et se mit au travail. Il avait devant lui une planchette blanche qui semblait être de buis ; alors il prit d'abord comme avec un crayon l'esquisse de la tête et de la barbe de Jésus, sans le cou ; puis il sembla l'enduire avec quelque chose d'épais' comme de la cire : il avait aussi comme des formes qu'il appliquait fortement dessus : ensuite il donna encore plusieurs coups de crayon, et pressa fortement sur son enduit : il continua longtemps à travailler ainsi, mais il ne put jamais mener son œuvre à bien. Chaque fois qu'il regardait Jésus, son visage semblait lui causer une nouvelle surprise et il était obligé de recommencer. Saint Luc ne peignait pas tout à fait de cette manière : il employait aussi le pinceau. Ce portrait-ci me parut avoir une espèce de relief sensible au toucher.

Jésus enseigna encore quelque temps, puis il envoya le disciple à cet homme pour lui dire qu'il pouvait s'approcher davantage et remplir sa mission. Alors celui-ci quitta son siège pour aller trouver Jésus, et les serviteurs le suivirent avec les présents et les agneaux il avait un vêtement court sans manteau, à peu près comme l'un des trois rois. Son tableau était en forme de coeur, comme un bouclier, et il le portait suspendu par un cordon au bras gauche. Il tenait dans sa main droite l'écrit du roi qui paraissait roulé comme ceci (en disant cela elle plia un linge d'une certaine façon). Il s'agenouilla devant Jésus, s'inclina profondément, ce que firent aussi les serviteurs, puis il lui dit : ‘ Votre serviteur est l'envoyé d'Abgare, roi d'Edesse, qui est malade, et qui vous envoie cette lettre en vous priant d'accepter ces présents de sa part. r, Alors les gens de sa suite s'approchèrent avec les présents : Jésus lui répondit que les bons sentiments de son maître lui étaient agréables et il ordonna aux disciples de prendre les présents et de les distribuer aux plus pauvres des gens qui se trouvaient là. Ensuite Jésus déplia la lettre et la lut. Je me souviens seulement qu'il y était dit entre autres choses que Jésus avait le pouvoir de ressusciter les morts et que le roi le priait de venir le guérir. Dans cette lettre la partie sur laquelle était l'écriture semblait plus raide, mais tout ce qui était autour était mou et souple : c'était comme de l'étoffe, de la peau ou de la soie, sur laquelle la lettre était attachée. Je vis aussi qu'un fil y pendait. Lorsque Jésus eut lu la lettre il la retourna et prit un fort crayon qu'il tira de dessous sa robe et duquel il fit sortir quelque chose comme les paysans font sortir de l'amadou de la boite aux allumettes ; il écrivit de l'autre côté de la lettre plusieurs mots en assez gros caractère, puis il la replia.

Note : Probablement l'enveloppe de soie de la lettre était double et la surface où se trouvait l'écriture en avait une semblable de l'autre côté, car elle vit distinctement Jésus retourner la lettre lorsqu'il écrivit, et la plier.

Jésus se fit alors donner de l'eau, se lava la figure, pressa contre son visage l'enveloppe molle de la lettre et la donna à l'envoyé. Celui-ci l’appliqua sur son portrait, ce que Jésus, à ce que je crois, lui avait dit de faire, et alors le portrait devint tout autre et parfaitement ressemblant. Le peintre fut plein de joie : je le vis tourner le portrait vers ses plus proches voisins, puis se prosterner devant Jésus et repartir aussitôt.

Quelques-uns de ses serviteurs restèrent en arrière et suivirent Jésus qui après cette instruction passa le Jourdain et alla au second endroit où Jean avait baptisé et que celui-ci avait quitté. Ils se firent baptiser aussitôt. Je vis aussi que l'envoyé d'Abgare passa la nuit devant une ville, près de longues constructions en pierre qui ressemblaient à des tuileries ; que le matin suivant, quelques ouvriers y vinrent beaucoup plus tôt qu'à l'ordinaire parce qu'ils avaient vu une lumière brillante, comme la flamme d'un incendie, et qu'il arriva quelque chose d'extraordinaire relativement au portrait. On accourut en foule dans cet endroit. Je crois que le peintre montra le portrait aux assistants et je vis que le linge que Jésus avait appliqué sur son visage en avait aussi l'empreinte : mais en outre il était arrivé, relativement au portrait, quelque chose qui avait motivé l'arrivée si matinale des ouvriers : malheureusement je l'ai oublié.

Je vis aussi comment l’envoyé arriva, comment le roi vint à sa rencontre en passant par ses jardins et fut indiciblement ému en voyant le portrait et en lisant la lettre. Il changea aussitôt de vie et renvoya les nombreuses femmes avec lesquelles il péchait

J'ai vu précédemment comment après la mort du fils de ce roi, sous un méchant successeur, la face de Jésus qui était exposée publiquement, resta longtemps cachée par les ordres d'un saint évêque qui fit murer l'entrée de la niche et qu'après un long intervalle de temps elle fut de nouveau découverte : alors le portrait s'était imprimé sur la pierre placée devant. Je ne me rappelle tout cela que confusément. Je me souviens aussi maintenant d'une statue que l'hémorroïsse guérie par Jésus avait fait ériger à Césarée, comme témoignage de sa reconnaissance. Elle était de bronze et le représentait au moment où cette femme touchait le bord de sa robe et où il se retournait vers elle. Cette image était placée sur un socle peu élevé, au milieu d’un petit jardin, et quand les plantes de ce jardin avaient touché le bord de la robe de la statue de Jésus, elles étaient cueillies par des femmes affligées de pertes de sang et avaient la vertu de les guérir.

La lettre d'Abgare était comme un parchemin et. taché à une étoffe de soie de couleur, qu'on pliait à trois reprises différentes et qu'on roulait ensuite.

D'Ono, où il avait jusqu'à présent enseigné et préparé an baptême, Jésus alla avec ses disciples, au-dessus de Béthabara, en face de Galgala, au lieu que Jean avait quitté et dont les disciples que Jésus chargeait de baptiser avaient déjà pris possession d'avance. Pendant quinze jours environ, il fit baptiser beaucoup de monde par André, Saturnin, Pierre e Jacques. Plusieurs disciples de Jean allèrent à lui, et il venait plus de personnes se faire baptiser là qu'il n'en venait à Jean. Jésus parlait du baptême d'une manière plus sublime, et sa douceur comparée à la sévérité et à la rudesse de Jean, fit que le public le vanta et le goûta davantage. Il résulta de là des discussions entre quelques disciples de Jean et des Juifs qui avaient été baptisés par les disciples de Jésus, touchant les différents degrés de la purification conférée par l'un ou l'autre baptême.

Les disciples de Jean étaient jaloux du succès plus grand de Jésus et du grand nombre d'auditeurs de Jean qui venaient à lui, et ils portèrent leurs plaintes au précurseur. Il leur fit la réponse qui se lit dans l'évangile (Jean, III, 22-26). Cette dispute sur la différence de la purification dans les deux baptêmes, le témoignage important rendu à Jésus dans la réponse de Jean, et la grande affluence qui se portait au lieu où Jésus baptisait, produisirent une nouvelle agitation parmi les pharisiens ; alors ils organisèrent tout un système de persécution, de contradiction et d'oppression contre lui et ses disciples. Ils envoyèrent des messagers à toutes les synagogues du pays, avec des lettres qui enjoignaient de l'arrêter là où on le trouverait, et de se saisir de ses disciples pour lés interroger sur sa doctrine et les redresser.

Pendant que les Pharisiens s'occupaient à prendre ces mesures, Jésus quitta sans bruit le lieu où l'on baptisait, et les disciples, de leur côté, se dispersèrent et revinrent chacun chez eux. Mais Jésus, sans s'arrêter nulle part, passa le Jourdain, traversa la Samarie et la Galilée, et se rendit par Sichor-Libnath et le pays de Khaboul, sur les frontières de Tyr.

Dans ce même temps, vers le milieu de mai, je vis Hérode faire arrêter Jean Baptiste. Il le fit conduire par des soldats de Sukkoth à Callirrhoë, sous le prétexte d'une invitation pressante. Jésus le lui avait fait annoncer par des disciples peu de temps auparavant.

Hérode le tint enfermé dans une prison souterraine de son château. Personne ne pouvait le voir.

Le roi l'écoutait souvent. Sa femme l'avait poussé à cet acte de violence. Lui-même avait un grand respect pour Jean, et il désirait seulement qu'il ne le reprit pas à cause de son mariage adultère. Le dimanche de la Trinité (2 juin), je le vis dans sa prison. Six semaines après que Jean eut été fait ainsi prisonnier, Hérode lui rendit la liberté.

Pendant que Jésus, voyageant avec les disciples séparés en petites troupes, gagnait la plaine d'Esdrelon à travers la Samarie, je vis Barthélemy, venait du baptême de Jean à Dabbeseth, sa rencontrer les disciples qui lui parlèrent de faisait Jésus. André particulièrement lui parla du Seigneur avec un grand enthousiasme. Barthélémy écouta tout cela avec joie et avec qui proposait volontiers d'enrôler parmi les disciples des hommes instruits, se rapprocha de Jésus et lui parla de Barthélémy comme de quelqu'un qui se mettrait volontiers à sa suite. Lorsque Barthélémy passa devant le Seigneur, André le lui montra. Jésus le regarda et dit à André : ‘ Je le connais, il me suivra ; je vois du bon en lui, et je l'appellerai quand le temps sera venu. Barthélémy résidait à Dabbeseth, à peu de distance de Ptolémais : il était scribe. Je le vis ensuite se rencontrer avec Thomas, lui parler de Jésus et le bien disposer à son égard.

Pendant ce voyage fait en toute hâte vers Tyr, des disciples et des membres de la famille de Jésus vinrent le trouver, spécialement en Galilée et l'accompagnèrent quelque temps : quelques-uns le quittèrent de nouveau. Il les exhorta à la persévérance dans les épreuves qu'ils allaient avoir à subir, leur fit connaître ce qu'il allait faire, et leur donna diverses instructions pour les siens et pour d'autres disciples.

Jésus, en faisant ce voyage, eut à souffrir de grandes privations ; je vis plusieurs fois Saturnin ou d'autres disciples de sa suite apporter du pain dans une corbeille et Jésus tremper dans l'eau des croûtes desséchées afin de pouvoir les manger. Pendant qu'il enseignait et guérissait sur les confins de Sidon et de Tyr, ayant avec lui quelques disciples des moins connus qui allaient et venaient alternativement, les pharisiens mettaient leurs mesures à exécution. On conduisait les disciples, selon le pays d'où ils étaient, à Jérusalem ou, en Galilée, à Gennabris devant de grandes assemblées, dans les synagogues et les écoles, pour avoir à répondre sur Jésus, sa doctrine, ses desseins et leurs relations avec lui. Les pharisiens les vexèrent de toutes les façons. J'ai vu une fois Pierre, André et Jean les mains liées, mais ils brisèrent leurs liens par un loger mouvement, comme par miracle : ils furent renvoyés sans bruit, comme tous ceux qu'on avait conduits à Gennabris, et se retirèrent à Bethsaide et à Capharnaüm pour y reprendre les travaux de leur profession.

Quand tout cela eut pris fin, Jésus revint en secret des confins de Sidon et de Tyr à Capharnaüm dans la maison de sa mère, et il la consola. Ses disciples vinrent le rejoindre et lui racontèrent ce qu'ils avaient eu à souffrir. Il les rassura, leur recommanda la persévérance, et leur promit de les appeler et de leur donner leur mission.

Jésus alla de là, à quelques lieues au nord, dans deux villes situées près d'un petit lac couvert de roseaux. Je ne sais pas m'expliquer bien précisément, mais il me semble qu'il y avait un canton étranger enclavé entre ces villes et la Galilée. (Peut-être parce qu'elle voyait des païens dans ces endroits.) Les deux villes sont en face l'une de l'autre ; entre elles sont de sombres profondeurs : des rivages escarpés, une eau trouble et marécageuse couverte de joncs ; c'est comme un petit lac : beaucoup de bêtes sauvages se tiennent là dans le marécage et les roseaux. Je crois que le Jourdain coule au travers : là où sont les villes, la pièce d'eau n'est pas large ; l’une d'elles a un nom comme celui d'Adam, elle s'appelle Adama, l’autre s'appelle, je crois, Séleucie. Jésus séjourna longtemps et tour à tour dans ces deux villes et dans cette contrée : il y enseigna et il y guérit. à Adama il y a des Juifs, mais d'une race rejetée : dans l'autre ville, ce sont des paiens ; les Juifs n'y habitent que dans des coins, dans des trous, dans des murs en ruine. Jésus était tantôt dans l'une de ces villes, tantôt dans l'autre. Saturnin et deux nouveaux disciples de ce pays étaient habituellement près de lui : on le regardait comme un prophète, revêtu d'une vertu venant d'en haut. Il enseignait plutôt dans des réunions particulières que dans des synagogues. Il ne se produisait qu'avec une certaine circonspection. Il se rencontrait avec des gens choisis dans des lieux solitaires, et c'était sans bruit qu'il guérissait et qu'il donnait ses conseils. Ici et à Tyr, je remarquai dans ses manières et dans sa façon d'enseigner quelque chose qui différait de ses procédés parmi les Juifs. On ne le connaissait pas autant et on le tenait pour un prophète. Son œuvre était une préparation.

(25 juin.) J'ai vu Jésus se rendre d'Adama à Tyr avec un couple de disciples. Il y avait plus d'une journée de voyage. Je le vis partir, faire la route et entrer à Tyr. Je ne je vis s'arrêter en chemin que dans de pauvres maisons. Jésus enseigna à Tyr dans une hôtellerie, près de la porte du côté de la terre. Il lui fallut franchir dans son voyage une très haute chaîne de montagnes. Tyr est une très grande ville, qui est bien cinq fois aussi grande que Munster. Quand on la regarde de haut en bas, on voit une partie de la ville placée sur une pente, comme si elle allait rouler du haut de la montagne. Jésus n'alla pas au centre de la ville, il se tint le long des murs, du côté qui regarde le continent. Cette partie n'était pas très peuplée, l'hôtellerie était dans cette muraille épaisse et un chemin la traversait.

Jésus porte une tunique brune ou grise et un manteau de laine blanche. Il ne va pas dans la synagogue ni dans les lieux de réunions publiques, mais il entre ça et là dans les maisons des pauvres pratiquées dans la muraille ; il console, exhorte, guérit et enseigne dans des réunions particulières. Deux disciples vont et viennent entre lui et ses amis de Galilée, ce sont Saturnin et un tout jeune homme de seize à dix-huit ans, pour lequel Marie a de l'affection : son nom ne me revient pas. Ils ne vont pas en public avec lui, mais ils se rencontrent avec lui comme par hasard dans quelque hôtellerie.

Il se montre ici comme un prophète, comme un homme éclairé d'en haut, et des païens même se laissent enseigner par lui. Les gens se tiennent tranquilles et restent silencieux quand ils le voient pour ne point attirer de désagréments à lui et à eux. Je l'ai sous les yeux de temps en temps : j'ai vu le 25 qu'étant dans une maison, il ordonna à un malade de se lever, et qu'il le conduisit par la main : je l'ai vu aussi bénir des enfants. Je vis, entre autres choses, qu'il tint un enfant couché sur ses bras et le plongea dans l'eau d'un bassin. Je crois que ce fut plus qu'une guérison, que ce fut aussi une purification. Je l'ai souvent vu plonger des enfants dans l'eau. C'était cette fois un enfant de sept ans, Jésus le tenait couché sur ses deux bras et le mit dans le bassin : on l'enveloppa ensuite d'un linge blanc. Saturnin et l'autre disciple étaient là : ils avaient quelque chose à faire, je crois qu'ils versèrent l'eau. Les parents de l'enfant se tenaient plus à distance : c'était comme un baptême, mais aussi comme une purification et une guérison : je ne puis pas le dire exactement. Jésus me parut être allé là pour y faire venir ses disciples.

(26 juin.) Aujourd'hui, il arriva à Tyr une vingtaine de disciples galiléens. Pierre, André, Jacques le Mineur, Thaddée, Nathanaël-Khased Nathanaël le fiancé étaient là ainsi que tous les autres qui avaient tété aux noces de Cana Je vis parmi eux environ six des futurs apôtres. Ils avaient voyagé séparés en petites troupes, et étaient allés dans des hôtelleries différentes a Tyr. Jésus alla à eux comme par hasard et les salua.

Le soir, je vis Jésus dans un endroit voisin de Tyr, dans la direction du nord. Je crois que c'était une dépendance de la ville : il fallait passer l'eau. (Peut-être était-ce la nouvelle Tyr et un canal qui la séparait de l'ancienne.) il fut là dans une hôtellerie, et les disciples vinrent tous l'y rejoindre. La manière dont il les salue est très touchante : il passe devant eux successivement et leur donne la main. Ils sont très respectueux, mais pourtant tout à fait en confiance avec lui ; ils le traitent comme un personnage surhumain. Ils ressentaient une joie indicible de le revoir. Il leur tint un long discours : ils lui racontèrent ce qui s'était passé dans leur pays par rapport à lui et à eux. Jésus les exhorta à la persévérance : il dit aux futurs apôtres d’abord, et à tous en général, qu'ils devaient acheter de mettre ordre à leurs affaires et propager de plus en plus sa doctrine parmi le peuple dans les endroits qu’ils habitaient il leur donna aussi des instructions touchant leurs femmes, et leur dit ce que celles-ci avaient à faire. Il dit encore qu'il viendrait bientôt près d'eux et recommencerait à se montrer en public ; j'appris aussi qu'il ferait une grande instruction publique lorsqu'il serait revenu près d'eux en Galilée. Je crois que ce sera dans les environs de Tibériade, au lieu ou Jésus, après la résurrection, mangea du poisson avec eux. J'ai aussi entendu que ce serait le 15 ou le 25 : le nombre 5 y était. Il leur dit encore qu'il les appellerait plus tard solennellement et leur donnerait leur mission.

Tous mangèrent ici avec Jésus. Ils avaient apport. dans des besaces du pain, des fruits, du miel, et aussi du poisson. Je vis aussi que tous passèrent la nuit dans cette maison ainsi que Jésus. Pour aller à la première ville de Tyr, Jésus avait à passer un petit canal : mais pour venir où il était maintenant, il lui fallait traverser un bras de mer de peu de largeur : car ceci est tout à fait une île. Il y a plus de commerce dans cette partie de la ville, quoiqu'elle soit beaucoup plus petite, que dans l'autre, qui paraît très abandonnée.

(27 juin.) Ce soir, la narratrice, activement occupée à ranger divers morceaux d’étoffe destinés à l'habillement des pauvres, parut avoir une espèce d'absence, et dit : Je mets tout cela en ordre, puis je reviens tout à coup à moi, et alors je ne sais plus distinguer les couleurs, car je vois Jésus aller et venir. Il est maintenant au nord-est de Tyr, entre des collines.

Aujourd'hui jeudi, les disciples partirent de bon matin pour retourner en Galilée. Jésus, accompagné de Saturnin et du jeune disciple, alla sur la terre ferme, à deux lieues au nord-est de Tyr. Je le vois maintenant marcher entre des collines : il y a là des paysans qui habitent dans des cabanes, parmi des arbres fruitiers : ils sont occupés de la récolte des fruits. Le fruit était mur sur l'un des côtés des collines, mais ne l'était pas encore sur l'autre côté. Jésus visite ces gens les uns après les autres, il les enseigne et les exhorte. Il se rend maintenant avec eux dans une cabane pour y manger, et il y passera la nuit.

J'ai oublié de parler d'une ville singulière par laquelle Jésus passa lorsqu'il alla de Galilée à Tyr, et qu'il laissa à gauche sur le chemin d'Adama. Elle est située au sud-est de Tyr, dans la triste contrée (Khabul) qui sépare Tyr de la Galilée. Elle est à droite du chemin de Tyr, dans une position élevée entre des montagnes. Elle n'est pas très grande ; elle est entourée d'eau, et quand les sources grossissent, et est souvent inondée, si bien que les gens sont forcés de se réfugier sur les toits. Son nom m'a échappé : j'ai dans l'oreille des sons qui s'y rapportent, comme Joris, Sichor, Libna, Ani, etc. : mais je ne puis pas, m'y retrouver.

(28 juin.) Jésus est revenu aujourd’hui avec les deux disciples à la presqu'île de Tyr, dans la même maison où il s'était trouvé avec les disciples. Ce n'était pas proprement une hôtellerie, mais un lieu de' réunion pour les Juifs. Il y a là un homme qui est comme un lecteur public : il a un manipule qui lui pend au bras. Il y a là une école ; elle n'est pas sur une hauteur. comme c'est l'ordinaire en Judée, mais dans la plaine.

Il y a toujours dans les grandes villes deux hôtelleries auprès de la porte et une au milieu de la ville. La maison où est Jésus se trouve au milieu de l'île. Lorsqu'il y revint, il passa sur une large chaussée qui repose sur des pieux et sur des arches en maçonnerie. Des deux côtés de la chaussée sont des allées d'arbres couverts de fruits jaunes. Deux chaussées semblables mènent dans l'île. Je vis encore Jésus aller ça et là dans les maisons, et le soir célébrer le sabbat dans une réunion. Dans les derniers temps, je n'ai vu Jésus que tous les deux ou trois jours, et jamais longtemps de suite : c'est pourquoi je n'ai pas toujours vu célébrer le sabbat.

(30 juin). Hier, je ne vis pas Jésus : il célébra le sabbat à Tyr. Aujourd'hui, après midi, je le vis dans la maison où il s'était trouvé récemment avec les apôtres. C'était un lieu de réunion : il y avait un jardin où l'on prenait des bains. Aujourd'hui, il alla dans un autre endroit. Au milieu d'une cour entourée d'un mur, et, en dedans du mur, d'une haie d'arbrisseaux tortueux, taillés de manière à former diverses figures, se trouvait une salle environnée de corridors et de petites chambres. Ce jardin de plaisance où l'on prenait des bains se trouvait au bord de l'eau qui sépare l'île de la terre ferme. La salle ouverte sur la cour était une salle à colonnes. On voyait dans la cour une citerne spacieuse pour les baigneurs : il y courait de l'eau vive. On pouvait descendre par un côté : au milieu était une colonne avec des degrés et des poignées, de sorte qu'on pouvait descendre dans l'eau aussi profondément qu'on voulait. De vieux Juifs habitaient ce lieu, ils étaient d'une secte ou d'une origine décriée, mais c'étaient des gens pieux et bons.

Il y avait ici beaucoup d'hommes, de femmes et d'enfants rassemblés autour de Jésus : on apportait aussi des malades et spécialement des enfants sur des lits. Mais tout cela se faisait très tranquillement et avec beaucoup d'ordre. Les gens allaient et venaient, et les vieux habitants de la maison les présentaient au Sauveur. Jésus fit ici une instruction ou une exhortation. Il parla de Moïse, des prophètes, de l'approche du Messie. Il donna des explications sur la sécheresse qui eut lieu du temps d'Élie, la prière du prophète pour la pluie, la nuée qui s'éleva de la mer et la pluie qui en résulta. Il parla de l'eau et de la purification. Il guérit beaucoup de malades et leur recommanda d'aller au baptême de Jean. Il guérit plusieurs enfants qu'on avait apportés sur des lits. Il prit sur ses bras plusieurs de ces enfants qu'il plongea dans l'eau dans laquelle Saturnin avait versé auparavant d'autre eau qu'il avait bénie. Les deux disciples les baptisèrent. Il y avait là aussi des garçons plus avancés en âge qui descendirent et se plongèrent en se tenant au pieu et furent ainsi baptisés. Bien des choses se faisaient là autrement qu'ailleurs. Plusieurs des adultes devaient se tenir à distance. Cela dura jusqu'à l'entrée de la nuit.

(1er juillet.) Ce matin, Jésus regagna la terre ferme par la chaussée avec les deux disciples. Il les envoya à Capharnaum inviter six disciples à venir le joindre dans les environs de Tibériade, pour assister à l'instruction dont j'ai parlé récemment. Ils devaient ensuite se rendre près de Jean Baptiste. Jésus lui-même alla seul à dix ou onze lieues au sud-est de Tyr, dans cette ville que je l'ai vu traverser récemment et dont j'ai dit qu'elle était souvent inondée. Jésus alla entre le midi et levant, et laissa à sa gauche plusieurs endroits dont un désert le séparait. Il avait à l'est sur sa gauche, à une grande distance, le lac Mérom avec ses deux villes. Il allait seul, cependant il rencontrait parfois sur les chemin de traverse des voyageurs qui l'accompagnaient quelque temps et auxquels il causait un grand étonnement. Il eut à traverser une crête de montagnes : de l'autre côté on descendait à travers beaucoup de broussailles et sur un gazon incroyablement haut et touffu.

Il tombe bien cinq ruisseaux dans la vallée et ils sont plus ou moins abondants selon la saison de l'année. Il y a ici dans la vallée beaucoup de bêtes sauvages de grande taille qui se dispersent dans le pays quand vient l'inondation.

La ville est très grande, divisée en parties isolées, entourée et traversée par l'eau. Il y a dans les intervalles beaucoup de jardins et d'arbres fruitiers. La partie agglomérée la plus considérable est bien aussi grande que Munster. à quelque distance se trouve encore une autre grande ville. Ce pays est celui que Salomon donna au roi Hiram. La ville, quoique libre, dépend de Tyr à certains égards. J'ai encore oublié le nom, mais il ressemble à Ami-Chores (Amead-Sichor), et elle est surnommée la ville de l'eau ou la ville de la pluie. On élève dans cet endroit beaucoup de bétail ; j'ai vu aussi beaucoup de grands moutons à laine fine qui peuvent traverser l'eau à la nage. On y tisse de belles étoffes de laine qui sont teintes à Tyr. Je n'ai pas vu ici cultiver les champs, il y a seulement des vergers. Il croît dans l'eau une espèce de blé à grande tige dont on fait du pain : je crois qu'il vient sans culture. Il y a une route pour aller de là en Syrie et en Arabie : aucune route ne conduit en Galilée. Jésus alla à Tyr par un chemin de traverse La grande ville située dans le voisinage est sur le territoire juif Jésus n'a traversé qu'un petit coin de la terre de Khaboul.

Je vis ici deux grands ponts, l'un très élevé et très long, servait de passage quand tout était inondé : on pouvait descendre en bas de l'autre par les arches. Les maisons étaient hantes et arrangées de manière qu'au temps des grandes eaux les gens Pussent s'établir sur le toit sous des tentes.

La plupart des habitants étaient paiens et de diverses religions, à ce que je crois : car je vis plusieurs édifices terminés en pointe et surmontés de petits drapeaux. que je pris pour des temples d'idoles. Ce qui me surprit, c'est qu'un assez grand nombre de Juifs habitaient ici et même dans de grands et beaux bâtiments, quoiqu'ils soient soumis à une certaine oppression. C'étaient, je crois, des Juifs fugitifs.

La maison où Jésus entra était devant la ville, du côté par où il arriva : il lui fallut pourtant d'abord passer l'eau. Il s'était déjà mis en rapport avec ces gens lorsqu'il avait passé là récemment. Ils me paraissaient aussi attendre son arrivée, car ils vinrent à sa rencontre et le reçurent avec beaucoup de déférence. C'étaient des Juifs ; parmi eux était un homme âgé avec une nombreuse famille : il demeurait dans une très belle maison. C'était comme un palais avec beaucoup de bâtiments plus petits qui en dépendaient. Par l’effet d'une crainte respectueuse, il ne conduisit pas Jésus dans sa maison, mais dans une habitation attenante où il était seul : il lui lava les pieds et l'hébergea.

J'ai aussi vu une grande troupe d'ouvriers, hommes, femmes et enfants, gens de toute race, parmi lesquels des hommes bruns et noirs, arriver sur une grande place. C'étaient vraisemblablement des esclaves de cet homme qui revenaient de leur travail et allaient prendre leur nourriture. Ils demeuraient dans des bâtiments latéraux peu élevés : ils avaient avec eux des pelles et des charrettes de toute espèce : ils portaient aussi sur leurs épaules de petites barques légères, semblables à des baquets, au milieu desquelles il y avait un siège avec des rames J'y vis aussi des instruments de pêche. Je crois qu'ils étaient employés à construire des ponts et des chaussées. Ces gens recevaient leurs aliments dans des pots : il y avait des légumes verts et des oiseaux : il s'en trouvait parmi eux qui se nourrissaient de poisson cru. Jésus les fit passer devant lui, leur adressa la parole amicalement, et ils se réjouirent de voir un pareil homme.

Deux Juifs vinrent trouver Jésus avec des cahiers d'écriture : ils mangèrent avec lui, et il leur donna diverses explications qu'ils désiraient beaucoup avoir Je crois que c’étaient des gens chargés d'instruire la jeunesse. Il me sembla qu'il se trouvait une synagogue près de la maison : car il y avait un bâtiment sur lequel était une banderole.

Jésus ira plus tard d'ici à Adama : il doit ensuite faire un détour et aller beaucoup plus au nord. Adama et Séleucie ne sont séparées que par une pièce d'eau trouble, et il semble qu'autrefois elles n'aient fait qu'une ville, car il y a des murs en ruines qui vont jusqu'au lac.

(2 juillet.) L'homme chez lequel Jésus loge est un riche Juif ; il s'appelle Siméon, et il est des environs de Samarie. Lui ou ses ancêtres ont aidé à la construction du temple qui est sur le mont Garizim ou se sont unis aux Samaritains ; cela les fit chasser du pays, et ils s'établirent ici.

Jésus enseigna toute la journée près de la maison de son hôte, sur une place publique entourée de colonnes, au-dessus de laquelle on avait tendu des couvertures. Le maître de la maison allait et venait : beaucoup de Juifs de tout âge et de tout sexe étaient réunis ; je ne vis pas ici de malades ni d'impotents : les gens sont d'un tempérament sec, maigres et de haute taille.

Ici aussi Jésus enseigna sur le baptême, et dit que des disciples envoyés par lui viendraient baptiser dans ce lieu il me revient maintenant en mémoire que les quatre apôtres doivent venir ici et que Jésus y enseignera encore Le soir, il alla de nouveau avec son hôte sur le chemin par où les esclaves revenaient de leur travail : il leur parla, les consola et leur raconta une parabole. Il y avait parmi eux plusieurs braves gens qui furent très touchés, et aussi des hommes vulgaires et grossiers qui se montraient mécontents et hostiles : c’étaient ceux qui mangeaient le poisson cru : ils étaient tenus plus sévèrement, et quelques-uns des autres leur étaient préposés. Ils reçurent de nouveau leur salaire et leur nourriture Cela me lit penser à la parabole où le maître de la vigne paye les ouvriers. Ils demeuraient à environ un quart de lieue de la maison de Siméon, dans un groupe de cabanes. Siméon les faisait travailler en vertu d'une espèce de privilège : c'était comme une corvée qu'ils faisaient pour lui.

(3 juillet,) Ce matin je vis Saturnin et les autres disciples revenir près de Jésus Je crois que d'autres disciples de Galilée ont été envoyés à Jean. Jésus enseigna encore toute la journée comme hier : il ne mangea que le matin et le soir. Le soir, quand tous les Juifs furent partis, vingt païens environ vinrent le trouver : dès les jours précédents, ils l'avaient fait prier de les recevoir. La maison de Siméon était bien a une demi lieue de la ville, et les paiens ne pouvaient aller au delà d'une certaine tour ou d'une certaine arcade. Mais Siméon amena ceux-ci à Jésus, qu'ils saluèrent respectueusement et qu'ils prièrent de les instruire il s'entretint longtemps avec eux dans une salle ; cela se prolongea si bien, que le soir vint et qu'on alluma les lampes il les consola, raconta une espèce de parabole relative aux trois rois, et dit que la lumière se tournerait vers les païens.

(4 juillet.) Je vis ce matin Jésus aller avec les deux disciples à la rencontre des apôtres qui arrivaient. Il leur fallut d'abord franchir la montagne : ils avaient fait à peine une lieue qu'ils étaient déjà sur le territoire de la Galilée : ils allèrent bien jusqu'à trois ou quatre lieues en avant. Dans l'après-midi, je vis Jésus et ses compagnons réunis aux disciples qu'ils attendaient de Galilée dans une hôtellerie située sur le territoire galiléen. Il en était venu encore plusieurs autres, et aussi quelques femmes, parmi lesquelles je reconnus Marie, mère de Marc, qui avait fait un séjour près de la mère de Dieu, et la tante maternelle de Nathanael le fiancé, une de celles que j'appelle les trois veuves. Parmi les sept qui étaient venus spontanément, se trouvait Jean. Ceux qui avaient été convoqués étaient Pierre, André, Jacques le Mineur et Nathanaël-Khased. J'ai vu tous ceux-là avec Jésus dans l'hôtellerie, où ils prirent quelque nourriture. Marie n'était pas là.

(5 juillet.) Je vis hier soir, très tard, lorsqu'il faisait déjà nuit, Jésus et ses compagnons retourner à Sichor-libnath et les sept autres reprendre leur route vers la Galilée. C'était une nuit d'été singulièrement agréable. L'air était embaumé et le ciel très clair. Ils marchaient quelquefois tous ensemble, quelquefois les uns devant, les autres derrière, et Jésus seul au milieu. Je les vis une fois se reposer dans une contrée extrêmement fertile, sous des arbres chargés de fruits, dans le voisinage de prairies humides. Lorsqu'ils repartirent, il s'éleva de la prairie un essaim d'oiseaux qui les suivit constamment. Ces oiseaux étaient presque gros comme des poulets, avaient des becs rouges et de longues ailes effilées, à peu près comme celles des anges dans les tableaux, et ils avaient entre eux d singuliers colloques. Ils accompagnèrent le Seigneur jusqu'à la ville, où ils s'abattirent sur les eaux dans les roseaux : ils rasaient la surface de l'eau comme des poules d'eau. Je me disais qu'ils voulaient sans doute se faire tuer là pour Jésus.

Il y avait quelque chose d'indiciblement touchant dans cette belle nuit, lorsque Jésus parfois s’arrêtait, priait ou enseignait, et que les oiseaux aussi se posaient. Je les vis ainsi franchir la montagne et descendre de l'autre côté. Je vis ce matin Siméon aller au devant d'eux : il leur lava les pieds à tous, leur offrit à boire et à manger dans un vestibule, et les conduisit dans sa maison. Les oiseaux que j'ai vus appartenaient au maître de la maison ; c'étaient des oiseaux aquatiques, mais qui s'envolaient comme des pigeons. Pendant la journée, Jésus enseigna ici, et le soir ils célébrèrent le sabbat dans la maison de Siméon. Outre Jésus et les disciples, il y axait une vingtaine de Juifs rassemblés. La synagogue était dans un caveau souterrain où l'on descendait par des degrés : elle était arrangée avec beaucoup de soin. Il y avait là un lecteur attitré qui entonna les chants et fit des lectures. Après cela, Jésus enseigna encore. Je vis plus tard les disciples et Jésus aller se coucher : ils passèrent la nuit dans la même maison que lui.

(6 juillet.) Jésus et les disciples ne dormirent que deux heures. Je les vis aujourd'hui au point du jour assez avancés déjà sur le chemin qui mène au nord-ouest par des détours dans les montagnes à une petite ville juive du pays de Khaboul. Il y avait là des Juifs chasses de leur patrie qui avaient souvent demandé leur réhabilitation ; mais les pharisiens ne voulaient point les recevoir. Ils désiraient ardemment depuis longtemps que Jésus vint les voir, mais ils ne s'en jugeaient pas dignes et à cause de cela ils ne le lui avaient pas fait demander, mais il alla de lui-même les visiter. Il y avait bien cinq à six lieues de chemin, à cause des nombreux détours qu'il fallait faire à travers les montagnes.

A l'approche de la petite ville juive, deux disciples allèrent en avant et annoncèrent au chef de la synagogue l'arrivée de Jésus. Quoique ce fût jour de sabbat, Jésus fit pourtant ce voyage, car dans ce pays, il se dispensait, lorsqu'il y avait urgence, d'observer rigoureusement la prescription relative au chemin du sabbat.

Il alla trouver les préposés de la synagogue qui le reçurent très humblement. Ils lui lavèrent les pieds ainsi qu'aux disciples, et lui offrirent quelque chose à manger. Il se fit ensuite conduire chez tous les malades et il en guérit une vingtaine. Il y avait parmi eux des hommes très courbés, des paralytiques, des femmes affligées de pertes de sang, des aveugles, des hydropiques' avec tout cela beaucoup d'enfants et des lépreux.

Sur le chemin quelques possédés crièrent après lui et il les délivra. Tout se passa du reste avec beaucoup d’ordre et de calme. Quelques disciples aidaient ceux qui étaient guéris à se lever, d'autres donnaient des avis aux gens qui suivaient et se rassemblaient. Aux portes. J'ai vu Jésus exhorter certains malades avant de les guérir, à croire et à changer de vie. Quant à d'autres qui avaient déjà la foi, il les guérit immédiatement. Je le vis lever les yeux au ciel et prier sur eux : il en toucha quelques-uns ou passa la main sur eux. Je le vis aussi bénir l'eau, en asperger lui-même les assistants et faire asperger la maison par ses disciples. Dans quelques maisons il mangea ou but quelque chose ainsi que les disciples. Plusieurs de ceux qui étaient guéris se levaient, se prosternaient devant lui, l'accompagnaient pleins de joie, comme on accompagne le saint Sacrement, mais toujours à une distance respectueuse. Il ordonna à d'autres de rester chez eux.

Je le vis en outre ordonner à quelques-uns de se baigner dans l'eau qu'il avait bénie : c'étaient principalement des lépreux et des enfants. Je le vis aussi aller bénir une fontaine près de la synagogue : on y descendait par des marches : car elle était située à une grande profondeur : il y jeta aussi du sel qu'il bénit. Il enseigna à cette occasion touchant Elisée, qui avait sanctifié l'eau avec du sel, près de Jéricho, et dit aussi ce que le sel signifiait : mais je l'ai oublié Il ordonna aux gens de se laver plus tard avec l'eau de cette fontaine quand ils seraient malades. Il bénissait toujours en forme de croix : les disciples tenaient son manteau qu'il déposait souvent et lui présentaient le sel qu'il jetait dans l'eau. Il faisait tout cela avec beaucoup de gravité et de solennité.

J'ai bien vu à cette occasion combien l'eau bénite est une chose sacrée, et j'aurais voulu voir là le professeur R... qui m'a parlé une fois si légèrement de l'eau bénite. Il m'a été dit aussi que ce même pouvoir de guérir a été donné aux Prêtres, que ceux qui guérissent. comme par exemple le prince de Hohenlohe, font précisément ce que faisait Jésus, et que le peu de foi qu'a le grand nombre, montre qu'on est bien tombé en décadence.

Je vis encore qu'on porta à Jésus sur des lits quelques malades qu'il guérit et qu'il fit encore une instruction dans la synagogue. Je ne je vis pas prendre de repas. Il enseigna et guérit toute la journée. Le soir, après le sabbat, il quitta cet endroit avec les disciples, et quand il prit congé des habitants qui étaient tout tristes, il leur ordonna de rester là, de ne pas l’accompagner : ils lui obéirent en toute humilité. Il avait béni et purifié l'eau, parce qu'ils n'avaient que de mauvaise eau, dans laquelle il y avait des serpents et des bêtes avec de grosses têtes et de longues queues (des salamandres). Il se rendit avec les disciples à deux lieues d'ici, à une grande hôtellerie isolée, située dans la montagne ; il y mangèrent et y couchèrent. Ils l'avaient laissée de côté en venant.

(7 juillet.) Aujourd'hui beaucoup de gens vinrent avec des malades à cette hôtellerie parce qu'ils avaient su que Jésus devait y venir. Ils habitaient sur les deux pentes de la montagne dans des huttes et des grottes. Sur le côté occidental qui regardait Tyr, habitaient des païens qui, eux aussi, étaient venus : sur le côté oriental demeuraient de pauvres Juifs. Il enseigna sur la purification, l'ablution et- la pénitence et guérit au moins trente malades.

Les paiens se tenaient à part et il ne les enseigna que quand les autres furent partis. Il leur adressa des paroles très consolantes. Cela dura jusqu'à l’après-midi Ce sont de pauvres gens, ils ont de petits jardins et des plantations autour de leurs demeures : ils se nourrissent de lait de brebis dont ils font du fromage qu'ils mangent en guise de pain : en outre, ils recueillent les fruits de leurs jardins avec d’autres fruits qui croissent sans culture et vont les vendre au marché : plusieurs aussi portent de la bonne eau dans des outres à la petite ville où Jésus était hier et en d'autres endroits ; car dans ce pays l'eau est très mauvaise et pleine de vilaines bêtes : c'est pourquoi Jésus la bénit et la purifia par sa bénédiction. Il y avait chez ces gens beaucoup de lépreux. Jésus bénit l'eau et leur dit de s'y laver.

Vers le soir Jésus revint à Amichorès ou Sichor-libnath, il y enseigna encore et dit qu’il baptiserait le jour suivant. La ville d'Amichorès, surnommé ville aquatique ou ville de la pluie, s'appelle aussi Amead Sichor Libnath : elle est à deux lieues de Ptolémaïs, dans l'intérieur des terres, près d'un petit lac d'une eau trouble ; il est inaccessible d'un côté où il est bordé par une haute montagne. De ce lac sort l'eau chargée de sable du petit fleuve Bélus, appelé aussi Sichor Libnath, dont la source est surmontée d'un monument, et qui se jette dans la mer près de Ptolémais. La ville est si grande que je ne puis pas comprendre comment on sait si peu de chose sur elle. La ville juive de Miseal n'était pas éloignée : il y avait plusieurs autres villes à l'entour. Lorsque Jésus, s'enfuyant du lieu où il baptisait, vint ici pour la première fois, il passa par un endroit voisin appelé Bethsemès.

(8 juillet.) Dans la cour de Siméon, l’hôte de Jésus il y avait un grand bassin rond plein d'eau, autour duquel on avait creusé un fossé profond ; il était alimente par les eaux qui, dans ce pays, sortent partout de terre, et l’eau n'en était pas bonne ; elle avait un mauvais goût. C'est pourquoi Jésus l'avait bénie récemment, comme il avait fait dans l'autre endroit.

Le sel qu'il y jeta n'était pas comme notre sel ; c'était comme des morceaux de pierre. Il y en avait toute une mine dans les environs.

Près de ce bassin, qui auparavant avait été vidé, puis curé, eut lieu aujourd'hui le baptême d'environ trente personnes. On baptisa le maître de la maison, les mâles de sa famille et ses commensaux, quelques autres Juifs de l'endroit, en outre plusieurs païens qui étaient allés voir Jésus récemment, et quelques-uns des esclaves des cabanes avec lesquels il s'était entretenu plus d'une fois quand ils revenaient du travail. Les païens passèrent les derniers, et ils eurent d'abord à faire certaines ablutions. Jésus versa d'abord dans le bassin un peu de cette eau du Jourdain que lui et ses disciples portaient habituellement avec eux, et il bénit l'eau. On fit aussi entrer dans le bassin de l'eau du canal qui régnait à l'entour, en sorte que les baptisés en avaient jusqu'aux genoux.

Jésus les instruisit longuement et les prépara. Ils se présentèrent couverts de longs manteaux gris et avec des capuchons sur la tète ; je crois que c'était une espèce de manteau pour la prière. Quand ils entrèrent dans le fossé qui était autour du bassin, ils déposèrent leurs manteaux : ils n'avaient qu'un linge autour des reins, et sur le haut du corps un petit manteau ouvert sous les bras qui couvrait la poitrine et le dos. un disciple leur mit la main sur les épaules et un autre sur la tête. Le baptisant leur versait plusieurs fois de l'eau du bassin sur la tête avec une espèce de soucoupe, en invoquant, je crois, le nom du Très-Haut. André baptisa d'abord, puis ce fut Pierre, lequel fut remplacé par Saturnin. Cela, avec les préparations, dura jusqu'au soir.

Quand ces gens furent partis, Jésus et les disciples sortirent de la ville par petits groupes, comme s'ils eussent été se promener ; ils se réunirent sur la route et allèrent au levant vers Adama, près du lac Mérom. Je les vis se reposer la nuit sur un beau gazon très touffu.

(9-21 juillet.) Quoique Adama me parût être à peu de distance, Jésus dut pourtant faire encore quelques lieues, en remontant le long d'une petite rivière, pour arriver au passage qui avait lieu sur un radeau de poutres placé là, sans l'aide d'aucun batelier. Ils se dirigèrent ensuite vers Adama, où ils arrivèrent dans l'après-midi. Plusieurs des principaux de l’endroit étaient rassemblés dans un jardin destiné à prendre des bains : on y conduisait l'eau de la petite rivière. Ils semblaient avoir attendu Jésus, car ils allèrent au-devant de lui et le conduisirent à une maison qui se trouvait sur une place au milieu de la ville : elle était entourée d'un grillage de métal brillant et de diverses couleurs. Ils furent reçus là, on leur lava les pieds, on battit leurs manteaux et on les nettoya avec soin. On avait aussi préparé un repas très abondant, il y avait spécialement beaucoup de fruits et d'herbes vertes.

Ils conduisirent ensuite Jésus à la synagogue, où une grande partie des Juifs se rassembla. Elle avait trois étages superposés. Les femmes se tenaient à l'arrière-plan. Ils commencèrent par des prières et des chants adressés à Dieu, pour indiquer qu'ils considéraient comme fait en son honneur tout ce que ferait Jésus. Il parla des promesses divines et de la manière dont elles s'étaient succédées et accomplies. Il parla aussi de la grâce, dit comment la grâce acquise à un homme par les mérites de ses ancêtres ne se perdait pourtant pas, lors même qu'il ne méritait pas lui-même de la recevoir, mais était donnée à quelque autre qui en était plus digne. Il parla encore d'un acte méritoire de leurs aïeux, accompli dans cette ville à une époque si reculée qu'ils n'en avaient presque plus connaissance, mais qui leur profitait encore. Ils avaient autrefois donné asile à des étrangers chassés de leur pays.

(10 juillet.) Ce matin, les disciples parcoururent les quatre quartiers, allant dans diverses maisons afin d'en convoquer les habitants à une grande instruction pour le jour suivant. Ceux-ci en faisaient part à leurs voisins. Le soir, je vis un grand repas dans une salle ouverte, entre la cour et le jardin de la maison dans laquelle Jésus avait été conduit d'abord. Il y avait bien cinquante convives de la ville, et ils mangeaient à cinq tables. Jésus mangea avec les principaux habitants, les disciples aux autres tables avec les autres convives. Le repas était abondamment servi ; je crois que Jésus et les disciples y avaient contribué pour quelque chose. On avait placé sur la table des arbustes plantés dans des pots où était de la terre. Jésus donna divers enseignements pendant le repas : il alla aussi de table en table et s'entretint avec les conviés.

Après le repas, lorsqu'on eut desservi et dit l'action de grâces, on laissa encore les arbustes sur la table : tous les assistants formèrent un demi cercle devant Jésus : il les enseigna et les invita tous à une grande instruction qu'il voulait faire le lendemain en plein air, sur une place voisine du jardin où il avait été reçu.

Il y avait là un tertre vert, au milieu duquel était une chaire ombragée par un arbre ; tout autour était un grand espace protégé contre le soleil par cinq rangées d'arbres dont les branches se touchaient et formaient une seule masse. C'était un lieu très agréable. Il se trouvait au côté méridional de la ville ; le jardin des bains était plus au sud-est. Les habitants appelaient ce jardin le lieu de la grâce, parce qu'ils croyaient qu'autrefois une grâce leur était venue de ce côté. Ils avaient aussi sur le côté du nord une tradition, suivant laquelle il était venu autrefois de cette région un grand désastre pour la ville.

La ville était toute entourée d'eau, avait le lac Mérom au levant, et autour d'elle un canal qui se réunissait de nouveau au lac, près du jardin des bains : cinq ponts le traversaient. La ville n'avait pas de murailles.

Jésus logeait dans une grande hôtellerie, près de la porte par laquelle il était entré. Les habitants avaient coutume de très bien héberger les étrangers, et ils croyaient que cela leur portait bonheur ; mais quand les gens leur déplaisaient, il leur arrivait quelquefois de les mettre en prison.

Le lac Mérom, qui est au levant de la ville, est situé dans une cavité profonde et taillée à pic, couverte de roseaux et d'arbustes : son eau est trouble, excepté au milieu, où le Jourdain le traverse. Beaucoup de bêtes féroces ont là leurs repaires : on prend aussi dans le lac toute sorte d'animaux étranges, entre autres des serpents et de grands lézards que de pauvres gens de l'endroit promènent pour les montrer. J'ai vu en outre des gens qui, avec un sabre court et recourbé au côté, et armés d'épieux, vont mettre des appâts dans les fourrés pour attirer les bêtes sauvages et les prendre ils posent aussi des boules où il y a des crochets attachés à des cordes : ils attirent ainsi les bêtes à eux comme avec des hameçons et les tuent. Je les ai vus faire manger les bêtes dans des caisses en avant desquelles était une auge avec du lait que des serpents venaient boire. (La Sœur décrivit à cette occasion des animaux ressemblant à des chiens de mer et faisant de grands sauts hors de l'eau, de grosses anguilles, des lions, des tigres, des sangliers, contre lesquels on se mettait en garde et auxquels on faisait la chasse pour protéger les troupeaux et les jardins.)

Je crois que ces chasseurs d'animaux sont des soldats, car je vis qu'ils n'avaient pas de femmes et qu'ils habitaient un édifice peu élevé avec des rangées de chambres disposées autour d'une vaste cour ; il s'y trouvait une grande arcade par laquelle j'avais vue dans la cour du château qui était au milieu de la place publique. J'ai seulement vu l'intérieur, je n'étais pas dedans. (C'est ainsi qu'elle parla avec le sentiment de pudeur d'une fille de la campagne qui parle d'une caserne.)

Les chefs qui conduisirent Jésus dans le château, habitaient également à part des femmes, lesquelles logeaient sur le derrière dans un édifice séparé où on faisait la cuisine. Tous les étrangers qui venaient dans la ville étaient conduits à cette maison où on les interrogeait.

Cette ville, avec un district d'environ vingt petits villages à l'entour, dépendait d'une contrée que gouvernait encore un Hérode.

Azor ou Hazor est à cinq lieues à l'ouest d'ici : Jésus a passé devant. Cette ville est sur une montagne qui s'abaisse en pente douce d'un côté où il y a une petite rivière. La Sœur décrit en outre toutes les villes d'alentour, preuve de l'exactitude avec laquelle elle voit.

Jésus parla encore ici du baptême comme d'une purification ou d'une ablution spirituelle. Du reste Le baptême avant la Pentecôte ne rendait pas membre de l'église On ne baptisa pas de femmes avant cette époque, mais seulement, en compagnie d'autres enfants, quelques petites filles de cinq, sept ou huit ans, toutefois aucune qui fût nubile ou à la veille de l'être. Il y avait à cela une signification mystérieuse que j'ai oublié.

J'ai appris qu'un grand jeûne approche. (Vraisemblablement le jeûne commémoratif de la rupture des tables de la loi par Moise, et aussi de la destruction de Jérusalem.) il tombe le 17 du mois de thamuz.

(11 juillet.) Les disciples n'avaient invité au repas que des personnes choisies qu'ensuite Jésus avait convoquées à l'instruction d'aujourd'hui. Plus de cent hommes d'élite se réunirent devant la porte, autour de la chaire, sous l'ombre des arbres : il y avait aussi plusieurs femmes derrière eux. Jésus et les disciples arrivèrent vers les neuf heures. Ils passèrent d'abord par le château qui est sur la place publique ; là Jésus voyant que le chef ou seigneur de la ville voulait aller en costume officiel et accompagné des gens de sa suite, lui dit de n'en rien faire, mais de se présenter comme les autres en manteau long et en habit de pénitents. Ils portaient tous de longs manteaux de laine et une espèce de scapulaire, dont la Partie antérieure était fendue en deux, et représentait en quelque sorte les tables de la loi de Moïse ; tandis que la partie postérieure était entière : l'une et l'autre étaient réunies sur les épaules par une petite courroie. Ces pièces d'étoffe étaient noires : je crois que les sept péchés principaux y étaient marqués par des caractères de diverses couleurs. Les femmes qui se tenaient en arrière. avaient la tête entièrement voilée.

L'auditoire était déjà réuni lorsque Jésus vint avec les disciples vers neuf heures. Quand il entra, les assistants s'inclinèrent respectueusement : les principaux de la ville se tenaient serrés autour de la chaire. C'était un beau siège de pierre dont le bas était sculpté. Les disciples rangés en cercle avaient chacun autour d'eux un groupe dans lequel se trouvaient les femmes et ils enseignaient aussi.

Jésus leva d'abord les yeux au ciel et pria à haute voix le Père duquel tout procède, pour que l'instruction trouvât des cœurs contrits et sincères, puis il ordonna aux auditeurs de répéter ses paroles, ce qu'ils firent en effet. Son instruction dura sans interruption de neuf heures du matin jusque vers quatre heures de l'après-midi. Il n'y eut qu'une seule pause pendant laquelle on lui apporta des rafraîchissements. Les auditeurs se succédaient les uns aux autres : ils arrivaient et se retiraient parfois quand ils avaient des affaires dans la ville. Il enseigna sur la pénitence, sur la purification et l'ablution par l'eau ; il parla aussi de Moïse, des tables de la loi brisées par lui, du veau d'or, du tonnerre et des éclairs sur le Sinai.

Lorsque Jésus eut achevé son instruction et que plusieurs personnes, notamment le chef supérieur, furent retournées à la ville, un vieux Juif, de grande taille et de bonne mine, portant une longue barbe, vint hardiment à Jésus et lui dit : ‘ Maintenant je veux aussi m'entretenir avec vous : vous avez expose vingt-trois vérités, mais il y en a vingt-quatre ‘ Et alors il énonça successivement une série d'aphorismes et commença à disputer. Jésus lui dit : ‘ J'ai toléré votre présence ici pour que vous puissiez vous convertir : j'aurais pu vous renvoyer devant tout le monde car vous êtes venu sans invitation. Vous dites qu'il y a vingt-quatre vérités et que je n'en ai enseigné que vingt-trois, mais vous en mettez trois de trop, car il n'y en a que vingt et je les ai enseignées. "Alors Jésus fit le compte de vingt vérités suivant le nombre des lettres de l'alphabet hébraïque que celui-ci avait aussi énumérées, puis il parla du péché de ceux qui ajoutent quelque chose à la vérité, et du châtiment qui leur est réservé. Mais le vieux Juif ne voulut en aucune façon reconnaître son tort, et quelques-uns des assistants l'approuvaient et l'écoutaient avec un malin plaisir. Alors Jésus lui dit : "Vous avez un beau jardin, apportez-moi les fruits les plus beaux et les plus sains : ils se gâteront pour preuve de votre mauvais procédé : vous avez un corps droit et sain : vous devez devenir contrefait parce que vous êtes dans votre tort, afin que vous puissiez voir comment ce qu'il y a de meilleur se corrompt et s'altère quand on ajoute quelque chose à la vérité. Si vous pouvez opérer un seul signe, alors les vingt-quatre vérités sont vraies. "Le Juif alors se rendit en hâte avec ses adhérents a son jardin qui n'était pas loin de là. Il possédait là tout ce qu'on pouvait trouver de rare et de précieux en fait de fruits, de plantes et de fleurs en outre, derrière des grillages, toute espèce de bêtes et d'oiseaux choisis, et au milieu un bassin d'eau assez grand avec des poissons rares. Avec l'aide de ses amis, il eut bientôt recueilli les plus beaux fruits, des pommes jaunissantes et des raisins déjà mûrs dont il remplit deux petites corbeilles : d'autres fruits plus petits furent placés dans un plat qui semblait fait avec des fils de verre de couleur tressés ensemble Il prit en outre avec lui dans des cages des oiseaux de diverses espèces, et des animaux rares de la grosseur d'un lièvre et d'un petit chat.

Pendant ce temps-là, Jésus avait encore enseigné sur l'obstination et sur les funestes effets qui se produisent quand on ajoute à la vérité.

Lorsque le vieux Juif avec ses compagnons eut apporté toutes ses raretés dans des corbeilles et dans des cages et les eut déposées près de la chaire de Jésus, il y eut un grand mouvement dans l'assemblée. Mais comme il persistait avec orgueil et opiniâtreté dans sa première affirmation, les paroles de Jésus s'accomplirent sur tout ce qu'il avait apporté. Un mouvement intérieur commença à s'opérer dans les fruits, il en sortit de tous les côtés des vers et des insectes hideux qui les dévorèrent, si bien que d'une pomme il ne resta plus bientôt qu'un fragment de pépin oscillant ça et là sur la tête d'un ver. Les petits animaux qu'on avait apportés s'affaissèrent sur eux-mêmes, rendirent du pus dont il se forma des vers qui les rongèrent et ils ne furent plus à la fin que des morceaux de chair informes. Tout cela était si dégoûtant, que les assistants qui s'étaient approchés pleins de curiosité se mirent à crier et à se détourner avec horreur, d’autant plus que le Juif en même temps devint tout blême et tout jaune, se tordit sur lui-même et devint tout contrefait d'un côté.

A ce prodige il y eut dans la foule de grands cris et un grand tumulte, et le vieux Juif pleura, reconnut son tort et pria Jésus d'avoir pitié de lui.

En ce moment, la narratrice interrompit son récit par ces paroles : ‘ Ici je m'éveillai un moment de ma vision, mais pendant toute l'instruction de Jésus sur la vérité, j'avais fort à faire pour transmettre constamment ses paroles à différentes religieuses et aussi à d'autres personnes que je devais exhorter au respect de la vérité. Au commencement j'étais dans notre couvent, comme autrefois, à l'infirmerie, et je disais tout ce qui me venait à l'esprit pour exhorter à respecter la vérité ; je m'adressai d'abord aux nonnes qui n'écoutaient pas cela très  volontiers : il vint ensuite plusieurs soldats. Mais la révérende mère ne voulut pas les laisser entrer. Alors je me levai, me mis à la fenêtre, et les exhortai de là en quelques paroles à toujours dire la vérité, ce qu'enseignait aussi Jésus. Ensuite je me trouvai dans un couvent au-dessus de la terre, planant en l'air : d'un côté étaient sainte Hildegarde, sainte Brigitte et plusieurs autres religieuses de la même catégorie : j'étais seule de l'autre côté et regardais à travers la grille avec beaucoup d'attention l'endroit où Jésus enseignait : je voyais tout d'en haut. Lorsque le Juif devenu contrefait cria vers le ciel pour demander grâce, je pensai qu'il me demandait aussi de prier pour lui, parce qu'il m'avait vue lorsque je m'étais placée à la grille, et je priai Jésus de tout mon cœur de vouloir bien le guérir. Mais c'était une prière pour la conversion de gens qui comme lui altèrent obstinément la vérité. ”

Il y eut un tel tumulte que le chef supérieur qui s'était retiré précédemment fut rappelé de la ville pour rétablir l'ordre, lorsque le Juif confessa son tort et avoua qu'il avait ajouté quelque chose à la vérité. voyant le vif repentir de cet homme qui suppliait tous les assistants de prier pour lui, Jésus bénit les objets qu'il avait apportés et le bénit aussi lui-même. Tout revint aussitôt à son étal antérieur ; les fruits, les animaux et l'homme qui se prosterna devant Jésus en pleurant et en rendant grâces.

Cet homme se convertit si bien qu'il devint un des plus fidèles adhérents de Jésus, et en convertit encore plusieurs autres. Pour expier sa faute il distribua aux pauvres une grande partie des beaux fruits de son jardin. Ce prodige fit une grande impression sur tous les auditeurs qui étaient allés manger et étaient revenus. un semblable prodige était nécessaire ici, car ces gens, même quand ils se savaient dans l'erreur, étaient fort opiniâtres, comme c'est le plus souvent le cas chez les gens d'extraction mêlée ; or, ceux-ci descendaient de Samaritains qui avaient contracté des mariages mixtes avec des paiens et avaient été chassés de Samarie. Ils ne jeûnaient pas en mémoire de la destruction du temple de Jérusalem, mais en mémoire de leur expulsion de Samarie. Ils reconnaissaient en pleurant qu'ils étaient tombés dans l'erreur, mais ils ne voulaient pourtant pas en sortir.

Ils avaient accueilli Jésus avec une bienveillance marquée, parce que conformément à une ancienne révélation qui leur était venue des païens, plusieurs signes leur avaient fait croire que le temps était venl1 où Dieu devait leur accorder de grandes grâces. Cette révélation avait eu lieu à l'endroit qu'ils appelaient le lieu de la grâce et où était maintenant le jardin des bains. Tout ce dont je me souviens encore, c'est que ces paiens se trouvant dans une grande détresse avaient prié alors dans cet endroit les mains levées vers le ciel, et qu'il leur avait été annoncé qu'ils trouveraient grâce devant Dieu quand de nouvelles sources se jetteraient dans le lac, qu'une nouvelle source coulerait dans la fontaine qui était là et quand la ville s'étendrait de ce côté jusqu'à la fontaine. Or toutes ces choses s'étaient accomplies récemment. Cinq cours d'eau, à ce que je crois, se jetaient alors dans le lac ou dans celui-ci et dans le Jourdain. Il s'était encore accompli quelque chose relativement à un bras du Jourdain, et de nouvelle eau de bonne qualité était venue remplir la fontaine du lieu de grâce.

Jésus doit baptiser dans cet endroit et toutes ces prophéties touchant l'eau peuvent se rapporter à la fontaine baptismale. En outre, on n'avait ici que de mauvaise eau. Du reste la ville s'était étendue de ce côté : la partie du nord était dans un fond ; elle était sombre et souvent couverte par les brouillards du marécage : il n'y avait dans ce quartier qu'une populace paienne habitant de petites cabanes. Du côté du sud-est au contraire, on voyait beaucoup de maisons neuves, des jardins et des bâtiments en construction jusqu'au lieu de grâce. Le lieu de grâce était dans un enfoncement : le terrain était uni à l'entour. Par suite des dérangements qu'une nouvelle montagne en se formant avait produits dans ses rivages, un bras du Jourdain s'était détourné à l'ouest jusqu'à ce jardin : il se réunissait ensuite à la petite rivière et revenait grossi par elle au lit principal : il avait un parcours assez considérable ; quand l'eau du Jourdain coula de ce côté, on y vit un des signes annoncés. Les habitants ici n'adoraient point les idoles, les paiens mêmes ne le faisaient qu'en secret dans des caves. C'étaient des Juifs samaritains, mais par suite de leur séparation, ils avaient emprunté certaines choses à d'autres sectes.

(12 juillet.) (Son état de maladie fut cause d'un peu de désordre dans la suite de ses récits.) Je vis Jésus enseigner dans une grande et belle synagogue au côté méridional de la ville. Il y avait au milieu un magnifique buffet où était renfermés les écrits contenant la loi. Les Juifs vinrent pieds nus à la synagogue : il leur était interdit de se laver ce jour-là : c'est pourquoi ils s'étaient lavés et baignés la veille après l'instruction. Ils portaient aujourd'hui à la synagogue par-dessus leurs habits du jour précédent un long manteau noir avec un capuchon : il était ouvert sur le côté et attache avec des cordons. Ils avaient deux manipules noirs au bras droit, un seul au bras gauche : le manteau avait une queue. Ils priaient et chantaient avec beaucoup de ferveur : ils s'enveloppèrent quelque temps dans des sacs ouverts par le milieu et se prosternèrent ainsi la face contre terre dans les passages autour de la synagogue. Les femmes en faisaient autant dans leurs maisons.

 Dès hier, tous les feux avaient été couverts : ce ne fut que le soir que je vis un grand repas, mais sur une table non couverte, dans l'hôtellerie de Jésus, qui mangea seul avec ses disciples : les autres mangèrent dans une grande salle dans la cour. On apporta des aliments froids de la maison située sur la place du marché : Jésus enseigna sur le manger. Beaucoup de gens vinrent alternativement se mettre à table, parmi lesquels des boiteux et des estropiés. Il y avait sur la table de petits plats avec de la cendre. Le vieux Juif converti donna aux pauvres beaucoup de ses plus beaux fruits. Je ne sais pas bien si le repas de vendredi, après midi, ou celui de jeudi était avant le Sabbat du jeûne, mais je crois que c'était le premier. Le soir, le sabbat commença à la synagogue.

Je vois souvent Marie dans sa vie actuelle. Elle habite la maison voisine de Capharnaum, seule avec une servante. Des femmes de ses parentes demeurent à peu de distance. Je la vois prier et travailler, je vois aussi des disciples qui apportent des nouvelles et quelques-unes des saintes femmes. Je vois que souvent elle ne reçoit pas des visiteurs de Nazareth et de Jérusalem, qui pourtant sont venus de loin. à Jérusalem tout est calme en ce qui touche Jésus. Lazare y habite dans son château, il reçoit des messagers de Jésus et des siens et leur en envoie.

(13 juillet.) J'ai vu Jésus enseigner dans la synagogue hier soir et encore aujourd'hui : je l'ai vu ensuite avec ses disciples et une dizaine de Juifs se promener dans les montagnes qui sont devant la ville du côté du nord. Le pays en cet endroit était plus âpre et plus sauvage. Je les vis s'arrêter sous des arbres près d'une maison isolée et prendre quelques aliments qu'on leur porta de cette maison. Jésus leur donna diverses règles de conduite : il dit qu'il partirait bientôt et qu'il ne reviendrait qu'une fois. Il les exhorta, entre autres choses, à ne pas tant gesticuler pendant la prière, et avant tout à ne pas être si sévères envers les pécheurs et les païens, mais à être compatissants envers eux ; à ce propos il raconta la parabole de l'économe infidèle et la leur présenta comme une énigme. Elle les surprit fort et il leur dit pourquoi la conduite de l'économe était louée.

Malheureusement la Sœur a oublié cette explication. Il semble toutefois, d'après d'autres choses qu'elle a dites sur la défense d'être rigoureux, que le Christ, par l'économe infidèle, voulait indiquer la synagogue, et par les autres débiteurs les sectes et les paiens. Ainsi, la synagogue doit remettre une partie de leurs dettes aux schismatiques et aux paiens, puisqu'elle est pourvue de l'autorité et des grâces. c'est-à-dire qu'elle possède la richesse sans l'avoir méritée et sans y avoir droit, afin que lorsqu'elle-même sera chassée, elle puisse avoir recours à l'intercession des débiteurs qu'elle aura traités avec douceur. Du moins est-il possible d'ajouter cette interprétation à beaucoup d'autres qui peuvent être données.

Etant enfant, je voyais déjà toutes les paraboles se produire devant mes yeux comme des tableaux vivants, et je croyais reconnaître ça et là dans le monde où je vivais certaines figures que j'y avais vues. Ainsi, ce fut le cas avec cet économe, que j'ai toujours vu comme un comptable un peu bossu, avec une barbe rousse, courir alerte et prompt, et faire écrire des sous-fermiers avec un roseau. Quand j'allais à l'église dans la petite ville et que j'achetais quelque chose dans une certaine boutique, j'y voyais un marchand qui avait une figure de ce genre, en sorte qu'il me rappelait toujours cet économe infidèle et rusé. Je ne pouvais m'empêcher de rire sous cape quand je le voyais. De la représentation de cette parabole je ne me rappelle que ce qui suit : L'économe infidèle habitait dans le désert d'Arabie, à peu de distance du lieu ou les enfants d'Israël murmurèrent Son maître, qui demeurait très loin, peut-être au delà du mont Liban, possédait là un terrain produisant du blé et de l’huile, situé sur la frontière de la terre promise.

Des deux côtés habitaient deux paysans auxquels les champs étaient affermés. L'économe était un petit homme contrefait, alerte, avec une barbe rousse, très résolu et très fin : il se disait : Le maître ne vient pas encore, et là-dessus il vivait dans la débauche et laissait tout aller de mal en pis : les deux paysans aussi dissipaient tout en débauches. Je vis un jour le maître venir : je vis bien loin, par delà de hautes montagnes, comme une ville magnifique et un palais : je vis une belle route qui allait du palais directement à ce lieu en passant par toutes les villes, et je vis le roi partir de là avec un grand cortège de chameaux, de petites voitures basses traînées par des ânes' et toute sa cour. Je vis cette arrivée de même que Je vols quelquefois une route qui descend de la Jérusalem, céleste, et c'était un roi céleste qui avait sur la terre un bien produisant du froment et de l'huile : mais il venait, à la façon des vieux rois patriarches, avec un grand cortège. Je le vis venir par cette route qui descendait ; car l'intendant, le petit homme, était accusé près de lui de tout dissiper.

Les débiteurs du maître étaient deux hommes vêtus de longues robes boutonnées jusqu'en bas : l’intendant avait un petit bonnet sur la tête. Le château où habitait l'intendant était un peu plus rapproché de désert : les champs de blé et d'oliviers, près desquels demeuraient les paysans, étaient plus près de la terre de Chanaan. Le Seigneur descendit près du champ de blé. Les deux débiteurs dissipaient les revenus avec l'intendant, et ils avaient sous eux de pauvres gens qui devaient tout leur fournir : on aurait pu les comparer à deux mauvais curés et l'intendant à un évêque prévaricateur : cependant il me faisait aussi l'effet d’un séculier qui est chargé de tout administrer. L'intendant pressentit ou vit de loin l’arrivée du maître : il fut dans une grande anxiété : il prépara un grand repas, et il était très agité et très affairé. Lorsque le maître fut entré dans le palais, il lui dit : Qu'est-ce que j'entends raconter de toi ! On dit que tu dissipes mon bien : rends-moi tes comptes, tu ne peux plus être mon économe ! "

Je vis alors l’économe faire venir en toute hâte les deux paysans : ils avaient des cahiers d'écritures qu'ils déroulèrent. Il leur demanda ce qu'ils devaient, car il n'en savait rien, et ils le lui firent voir : il les fit écrire en toute hâte une reconnaissance où leur dette était diminuée, et il se disait : si je suis chassé, je me retirerai chez eux et Ils me nourriront, car je ne puis pas travailler.

Je vis alors les paysans envoyer au maître leurs subordonnés avec des chameaux et des ânes, qui étaient chargés de grain dans des sacs et d'olives dans des paniers. Ceux qui portaient des olives portaient aussi de l'argent : c'étaient de petits bâtons de métal. en faisceaux de diverse grosseur, mais tenus ensemble par des anneaux, suivant les sommes. Le maître vit d'après ce qu'il avait reçu plusieurs fois auparavant que c'était beaucoup trop peu, et il devina d'après le compte falsifié quelles étaient les vues de l'intendant ; alors il se mit à rire devant les fermiers et dit : "voyez comme cet homme est fin et habile ; il veut se faire des amis parmi ses subordonnés : les enfants du siècle sont plus habiles dans leurs voies que les enfants de lumière, qui font rarement pour le bien comme il a fait pour le mal : car autrement ils seraient récompensés comme celui-ci sera puni. "Je vis que ce bossu malhonnête perdit sa place et fut renvoyé dans le désert. Le sol y était jaunâtre, dur, stérile, et il y venait des aunes. (signe de stérilité dans les visions de la soeur.) Cet homme était tout bouleversé et tout abattu. Je vis pourtant qu'il finit par se mettre à piocher et à travailler la terre. Les deux paysans furent aussi renvoyés. et on leur assigna un terrain sablonneux mais un peu meilleur. Les pauvres subordonnés eurent à cultiver les champs dévastés, car tout leur avait été enlevé.

(14 et 15 juillet.) Aujourd'hui, Jésus et les disciples parcoururent séparément toute la ville : Jésus la partie la plus centrale, les disciples les parties les plus éloignées jusqu'aux maisons des paiens. Ils allèrent presque de maison en maison, et convoquèrent les gens qui étaient préparés, soit à l'instruction et au baptême pour le lendemain, soit à une grande instruction pour le surlendemain ; elle devait avoir lie u de l'autre côté du lac, à un endroit couvert de verdure et entouré d'une enceinte. Ils enseignèrent, tout en faisant cette invitation. Cela se prolongea jusqu'à la chute du jour.

Je vis ensuite les disciples hors de la ville, remonter la rive occidentale du lac et aller visiter des pêcheurs qui pêchaient sur leurs barques avec des flambeaux, dans un endroit où le lac s'élargissait au-dessous de l'entrée du Jourdain. Ils attiraient les poissons au moyen de la lumière des torches, et les prenaient avec des dards et des hameçons. Les disciples montèrent sur les barques pour les aider : ils enseignèrent les pêcheurs et leur dirent de porter leur poisson à un endroit voisin de Séleucie, où devait se faire l'instruction et où ils seraient bien payés. cet endroit était une espèce de parc entouré de murs et de haies, où on avait coutume d'enfermer les bêtes sauvages qu'on prenait vivantes. On y avait creuse des fosses pour elles. Cet endroit dépendait d'Adama et était à peu près à une lieue et demie de Séleucie.

Vers le matin Jésus vint trouver les disciples et ils revinrent avec lui à la ville par un chemin détourné le long duquel était un grand nombre de cabanes : on fit dans ces cabanes ce qu'on avait fait dans les maisons. Jésus alla avec eux dans la ville, dans la maison du premier magistrat qui était sur la grande place, et il prit avec eux quelque nourriture. C'étaient des petits pains, attachés ensemble deux à deux : il y avait aussi sur la table de petits poissons avec des têtes relevées, sur un grand plat en forme de navire, brillant comme du verre de diverses couleurs ; et Jésus servit à chacun des disciples un de ces poissons sur un petit pain. Autour de la table étaient des trous creusés comme des assiettes où l'on mettait des portions.

Après ce repas, Jésus fit une instruction dans la salle ouverte qui était en face de la cour, devant le premier magistrat et les gens de sa maison qui devaient être baptisés.

Jésus se rendit ensuite devant la ville à un endroit où beaucoup de personnes l'attendaient déjà et il y prépara aussi au baptême. Les gens venaient et se retiraient successivement par troupes séparées. Ils allèrent de là dans la synagogue, où ils prièrent, et se mirent de la cendre sur la tête en signe de pénitence, puis ils se rendirent au lieu de grâce où ils firent leurs ablutions deux par deux dans un bassin où ils étaient séparés par des rideaux.

Quand tous eurent quitté le lieu où l'instruction avait eu lieu, Jésus se rendit au lieu de grâce avec ses disciples. La fontaine baptismale était ce réservoir dans lequel l'eau venait par un bras du Jourdain. Ici aussi était le bassin, entouré d'un fossé dans lequel deux personnes pouvaient passer l'une à coté de l'autre à ce fossé aboutissaient cinq conduits venant du bassin central et qu'on pouvait fermer.

Ce réservoir d'eau avec ses cinq conduits n'avait pas précisément été arrangé ainsi pour le baptême. C'était une forme qui se retrouvait fréquemment en Palestine et dont les rapports avec les cinq entrées de la piscine de Béthesda, avec la fontaine de Jean dans le désert, avec la fontaine baptismale de Jésus et avec les cinq plaies du Sauveur doivent avoir une signification symbolique et religieuse.

Jésus enseigna encore ici, pour préparer prochainement au baptême. Ceux qui devaient être baptisés étaient en manteaux longs qu'ils déposaient ; après quoi ayant les reins enveloppés d’un linge et un petit manteau sur la poitrines ils descendaient dans le fossé circulaire où l'on faisait entrer l'eau du bassin du milieu. Ceux qui baptisaient elles parrains se tenaient sur les passages. L'eau était versée trois fois sur la tête au nom de Jéhovah et de son envoyé. Il y avait toujours quatre disciples qui baptisaient en même temps et deux imposaient les mains. Cela dura jusqu'au soir. Plusieurs furent refusés et renvoyés.

(16 juillet.) Au point du jour les disciples s'embarquèrent pour Séleucie, et l'endroit où devait avoir lieu l'instruction. à quelque distance d'Adama, le lac, qui avait la forme d'un violon, se rétrécissait : il avait environ un quart de lieue de large. Séleucie, ville de moyenne grandeur, était une forteresse : elle avait une muraille, puis un retranchement et encore une muraille. Le côté du nord était escarpé et elle était tout à fait inaccessible par là. Elle n'était habitée que par des soldats païens. Je vis, dans un quartier séparé, les femmes qui habitaient de longs bâtiments où elles avaient chacune leur chambre. Les Juifs en petit nombre qui demeuraient ici vivaient très retirés et logeaient dans de misérables trous de murailles. Ils étaient chargés de travaux pénibles et rebutants dans les fossés et le marécage.

Je ne vis pas là de synagogue, mais un temple rond. Il était supporté par des colonnes et aussi par de grandes figures. Au milieu s'élevait une très grosse colonne dans laquelle étaient pratiqués des degrés qui conduisaient dans le temple. Il y avait au-dessous des caveaux souterrains où l'on déposait, je crois, les urnes contenant les cendres de leurs morts. Il y avait aussi près de là une place noircie où je suppose qu'on brûlait les cadavres. Dans le temple étaient des images de serpents avec des visages d'hommes, des figures humaines avec des têtes de chiens, et aussi une figure avec la lune et un poisson.

Le pays d'alentour était peu fertile, mais les gens étaient très laborieux, ils faisaient toute espèce d'ouvrages en cordes pour le harnachement des chevaux : il y avait là aussi plusieurs armuriers : on fabriquait tout ce qui était à l'usage des soldats.

Les disciples allèrent de côté et d'autre et invitèrent les gens à l'instruction et au repas qui devait avoir lieu à l'endroit désigné. Pendant ce temps Jésus faisait de même dans les maisons païennes d'Adama. Les disciples se rendirent ensuite au parc des animaux, à un endroit où il y avait de beau gazon, des fleurs et des arbustes, et ils préparèrent tout pour le repas avec l'aide de plusieurs pêcheurs qui avaient déposé leur poisson dans une citerne voisine. Les tables étaient de grandes poutres, larges d'environ deux pieds, qu'on avait tirées du lac. Derrière le jardin étaient des foyers où l'on faisait griller le poisson. Il semblait qu'on donnât souvent des repas en cet endroit. car il se trouvait là, dans des caves souterraines, des espèces d'écuelles plates en pierre qui paraissaient formées par la nature et sur lesquelles on apportait les mets : c'étaient des pains, du poisson, des herbes vertes et aussi des fruits.

Quand tout cela fut préparé et qu'une centaine de paiens furent rassemblés Jésus vint aussi en traversant le lac. Il était suivi d'environ douze Juifs, du magistrat supérieur et en outre de plusieurs païens d'Adama. Jésus prêcha sur une colline. Le magistrat et les autres Juifs prirent part aux préparatifs du repas et ils servirent à table avec les disciples. Jésus parla de la créature humaine, dit comment elle était composée d'un corps et d'une âme, et il traita de la nourriture corporelle et spirituelle. Il ajouta qu'ils étaient libres d'écouter son instruction ou de manger. Il dit cela pour les éprouver, et alors quelques-uns allèrent se mettre à table, suivis bientôt de plusieurs autres, en sorte qu'il n'en resta guère que le tiers pour l'écouter. Il enseigna aussi sur la vocation des païens et leur raconta la venue des trois rois qui ne leur étaient pas inconnus.

Quand l'instruction et le repas furent finis, Jésus vers le soir alla avec ses disciples et les Juifs à Séleucie qui était au midi, à une lieue et demie environ, et qui n'était pas tout à fait au bord du lac : les gens y étaient déjà retournés. Il fut accueilli par les hommes les plus considérables de la ville et on lui offrit à boire et à manger, ainsi qu'aux disciples et aux Juifs. On les fit entrer dans la ville : Jésus salua et enseigna les femmes païennes, à peu de distance de la porte, dans un endroit où on avait coutume de les instruire et où elles s'étaient rassemblées pour le voir. Elles ont le même costume que les Juives, mais ne sont point aussi décemment voilées ; elles ne sont pas très belles : en général les gens de ce pays ne sont pas grands, mais vigoureux et trapus.

Jésus se rendit alors à une grande hôtellerie où on lui avait préparé un grand festin : on en donne beaucoup dans ce pays. Jésus, les disciples et les Juifs mangeaient seuls à une table. Au commencement les Juifs ne voulaient pas manger ici. Mais Jésus leur dit que ce qui entre dans la bouche, ne souille point l’homme, que s'ils ne voulaient pas manger avec lui, ils ne se conformaient pas à son enseignement, etc.

Il enseigna sans relâche pendant tout le repas. Les païens avaient des tables plus hautes que les Juifs et aussi de petites tables isolées : ils s'asseyaient sur des coussins les jambes croisées comme les gens du pays des trois rois. Les mets étaient du poisson, des légumes verts, du miel et des fruits. Je vis de la viande rôtie de couleur brune.

Jésus les toucha beaucoup par son enseignement et le soir ils furent très affligés lorsqu'il prit congé d'eux. Ils le prièrent instamment de rester, et il leur laissa André et Nathanaël. Les païens étaient en général fort curieux de nouvelles choses.

Le soleil était déjà couché lorsqu'il les quitta. Les habitations des femmes étaient appuyées par derrière au mur de la forteresse et au rempart : le devant donnait sur une large rue. Il y avait là de très belles maisons séparées quelquefois par des jardins et des cours, où ces femmes faisaient le ménage et la lessive. Jésus s'entretint avec elles dans un lieu de réunion. Jésus à Séleucie a parlé du baptême comme d'une ablution et comme ils voulaient le garder plus longtemps, il dit que pour le moment ils ne pouvaient pas en porter davantage.

(17 et 18 juillet.) Aujourd’hui je vis baptiser de nouveau à Adama ; il y eut auparavant une fête d'actions de grâces des nouveaux baptisés dans la synagogue où ils occupaient les premières places et où ils chantaient des cantiques de louanges : Jésus y enseigna. André et Nathanaël revinrent de Séleucie. Le Juif converti s'est mis à la disposition de Jésus, et il rend toute espèce de services. Il est parfaitement humble et obligeant.

Jeudi. Ce matin, de très bonne heure, les quatre disciples qui sont venus de Galilée, allèrent dans quelques villes situées plus au nord, entre autres à Azor, à Cadès et je crois aussi à Berotha, car je me souviens de la terminaison otha. Cadès est au nord-ouest d'Adama à environ deux ou trois lieues, Azor ou Khazor à deux lieues au nord-ouest de Cadès, Berotha à l'ouest de Cadés : elles forment un triangle. Outre ces trois villes, la Sœur en mentionne une quatrième dont elle a oublié le nom, mais elle croit qu'un oncle de Tobie habitait dans les environs. D'Azor descend une petite rivière qui passe aussi près de Cadès. C'est près de Berotha que les Chananéens se rassemblèrent pour combattre Josué. Cadès est beaucoup plus grand qu'Azor.

Entre ces deux villes est une montagne élevée sur laquelle on a coutume d'enseigner. Les disciples ont invité à s'y rendre, pour entendre une instruction de Jésus, les habitants de ces villes et aussi des bergers qui habitent un groupe de maisons dans les environs. Le quatrième endroit est Thisbé, je vois que Tobie (Tob. 1-2) y fut autrefois fait prisonnier : la situation est très élevée. La montagne dont j'ai parlé monte en pente douce de Cadès à Berotha : Berotha est plus haut. Sur les pentes de cette montagne qui regardent le nord et le midi, sont des groupes de maisons où habitent les bergers.

Au sommet de la montagne qui est couverte de verdure se trouve une enceinte où il y a une chaire. Quelque chose de remarquable s'est passé là autrefois ; c'est, je crois, pendant la guerre entre les Chananéens et Josué. Je vis que les disciples allaient séparément dans ces endroits : dans les plus importants, ils se rendaient chez les magistrats et les chargeaient d'inviter le peuple à l'instruction que Jésus, le prophète de Galilée, devait donner sur la montagne le jour d'après le sabbat : ailleurs, ils allaient eux-mêmes inviter les gens dans leurs maisons. Parmi les nombreuses villes que je vis, je me souviens d'Hétalon, où dernièrement j'ai eu quelque chose à faire dans un songe. Hétalon est au penchant oriental des premières hauteurs du Liban.

Je vis Jésus à Adama, avec Saturnin et le disciple allié à sa famille, visiter et guérir une grande quantité de malades qui n'avaient pas pu venir à ses instructions et au baptême. Il alla chez des riches et des pauvres, soit juifs, soit païens, et il guérit des hydropiques, des perclus, des aveugles et des personnes affligées de pertes de sang. Je me souviens particulièrement de dix possédés, parmi lesquels il y avait des femmes : tous étaient Juifs : je ne vis jamais autant de possédés parmi les païens. Quelques-uns étaient des gens considérables, enchaînés dans des chambres grillées ou dans le vestibule des maisons. Quand Jésus s'approchait du lieu où ils étaient, ils se mettaient à pousser des cris affreux et devenaient furieux, mais quand il venait à eux lui-même, ils se taisaient et le regardaient immobiles et terrifies. Je vis aussi qu'il suffisait de son regard pour chasser d'eux le démon qui se retirait visiblement, d'abord comme une vapeur laquelle formait ensuite une ombre hideuse de forme humaine et disparaissait. Les assistants s'étonnaient et restaient stupéfaits, les délivrés devenaient pâles et tombaient en défaillance. Jésus leur adressait la parole, les prenait par la main et leur ordonnait de se lever : alors ils avaient l’air de sortir d'un songe, se mettaient à genoux, remerciaient et devenaient tout autres. Jésus leur faisait des exhortations et leur indiquait les fautes dont ils avaient à se corriger. C'est ainsi que se passa le jeudi tout entier jusqu'au soir.

Les disciples ne revinrent à Adama que vers midi et ils prirent un repas avec Jésus, chez le magistrat principal. Ils avaient acheté des poissons et des pains dans les lieux qu'ils avaient visités et avaient fait porter tout cela sur la montagne où devait avoir lieu l'instruction, pour la nourriture des auditeurs. Jésus reçut aussi des présents de diverses personnes. Je vis des petits bâtons comme d'or natif. Ces dons servaient à faire les frais des repas dans de semblables occasions. Jésus n'avait encore rien mangé depuis le repas de Séleucie.

(19 et 20 juillet.) Je vis, hier soir, la célébration solennelle du sabbat : Jésus enseigna dans la synagogue ; il fit de même aujourd'hui toute la journée. Je vis les disciples se reposer et prier avec Jésus.

Du reste il y a à Adama, un parti opposé à Jésus. Ils ont envoyé deux pharisiens à la prédication de Jean, pour savoir ce que celui-ci dit de Jésus, et aussi à Bethabara et à Capharnaum. Ils ont annoncé là à leurs pareils que Jésus parcourt maintenant leur pays, qu'il y baptise et y fait des disciples. Ces gens sont revenus : ils racontent ce qu'ils ont entendu dire, calomnient Jésus et murmurent contre lui, mais ils n'ont qu'un petit nombre d'adhérents.

Ces jours derniers, ou même aujourd'hui, les principaux d'Adama demandèrent à Jésus, pendant le repas, ce qu'il pensait des Esséniens. Ils voulaient l'induire en tentation, parce qu'ils croyaient avoir remarque une certaine ressemblance entre leurs principes et les siens, et parce que Jacques le Mineur, son parent, qui était avec lui, appartenait aux Esséniens. Ils leur firent divers reproches touchant l'observation de la continence et spécialement touchant le célibat. Jésus leur répondit en termes très généraux qu'on ne pouvait rien leur reprocher : que, si telle était leur vocation, ils étaient très louables de la suivre : que cependant chacun avait sa vocation particulière et que si, par exemple, un boiteux voulait marcher droit, cela ne lui réussirait pas et ne lui siérait pas. Comme ils objectaient qu'ils donnaient naissance à très peu de familles, Jésus leur énuméra un grand nombre de familles d'Esséniens, et il parla de la bonne éducation qu'ils donnaient à leurs enfants. Il parla de la bonne et de la mauvaise propagation des races, il ne prit pas parti pour les Esséniens, mais il ne les condamna pas non plus, et ils ne le comprirent pas. Ils avaient eu cela en vue parce que Jésus avait parmi eux des membres de sa famille et était en rapport avec eux, et qu'eux aussi vivaient dans la continence.

(21 et 22 juillet.) Dans la nuit du sabbat au dimanche, avant le jour, je vis Jésus, qui avait pris congé après le sabbat, sans dire toutefois qu'il ne reviendrait pas, partir d'Adama, accompagné de ses disciples et de plusieurs Juifs, et se rendre sur la montagne pour y enseigner.

Il passa un pont près de la porte d'Adama par laquelle il était entré. s’ils avaient passé par l'autre porte, ils auraient eu à traverser le cours d'eau qui va d'Azor à Cadès, et qui se jette dans le Jourdain, près d'Adama, en passant devant la ville. Ils laissèrent Cadès à droite et se dirigèrent vers l'ouest, gravissant des rampes de montagnes dont la pente était douce. Il se trouvait dans ce pays de hautes arêtes de montagnes qui formaient de grands plateaux, et il n'y avait pas autant de ravins et de sommets abruptes et déchirés que dans la Palestine méridionale. Thisbé, qui était située à une grande hauteur, se trouvait à leur gauche. Tobie y avait habité autrefois : il avait un beau-frère ou un frère de sa femme marié là : il avait aussi résidé à Anichorès (la ville aquatique), et il aurait pu s'y retirer ; mais il préféra aller en captivité avec son peuple pour lui être utile. Elie résidait aussi à Thisbé, et Jésus y avait déjà passé une fois, si je ne me trompe. Les villes étaient ainsi placées à peu près. (Ici elle marqua avec son doigt sur la couverture du lit leurs diverses positions.)

La foule était déjà rassemblée sur la montagne. Dès la soirée précédente, des gens étaient venus après le sabbat et avaient tout préparé. Il y avait au point le plus élevé une enceinte avec une chaire. Ceux qui habitaient des deux côtés de la montagne les groupes de maisons que j'ai mentionnés précédemment, s'occupaient à préparer des tentes, et ils en avaient déjà dressé quelques-unes avec des perches et des cordes. Ils les avaient apportées avec eux, et ils avaient tendu des toiles au-dessus de la chaire et en d'autres endroits. Ce lieu était mémorable, car Josué y avait célébré une fête d'actions de grâces après avoir vaincu les Chananéens. On avait apporté de l'eau dans des outres, ainsi que du pain et du poisson dans des corbeilles Ces corbeilles ressemblaient à nos ruches d'osier ; on pouvait les mettre l'une au-dessus de l'autre, et il y avait des cases où l'on pouvait placer différentes choses.

Lorsque Jésus arriva sur le sommet de la montagne, au milieu du peuple, il fut reçu par des acclamations a : Vous êtes le véritable Prophète, le Sauveur, etc., lui criait-on et quand il passait à travers la foule, on s'inclinait profondément devant lui. Il pouvait être neuf heures quand il arriva, car il y avait bien six ou sept lieues d'Adama jusque-là. On avait amené beaucoup de possédés qui criaient et s'agitaient violemment. Mais Jésus les regarda et leur commanda de se taire, et il suffit de son regard et de son commandement pour les calmer et les guérir.

Quand Jésus fut arrivé à l'endroit où il devait parler, le peuple ayant été placé par les disciples et le silence s'étant établi, il adressa une prière au Père céleste, duquel tout procède, et le peuple pria aussi. Il parla de ce lieu, de ce qui s'y était passé, des enfants d'Israël : il dit comment Josué avait paru là autrefois et avait délivré ce pays des Chananéens et de l'idolâtrie, et comment Azor avait été détruite : il expliqua tout cela comme des symboles : maintenant la vérité et la lumière venaient à eux avec mansuétude pour les combler de grâces et les délivrer de l'empire du péché ; ils ne devaient pas résister comme les Chananéens, afin que la punition divine ne tombât pas sur eux comme elle était tombée sur Azor. Il raconta aussi une parabole, dont il fit encore usage plus tard ; elle se trouve dans le livre des Evangiles : je crois qu'il y était question de blé et de labourage. Il enseigna aussi sur la pénitence et l’avènement du royaume de Dieu ; il parla cette fois plus clairement de lui-même et du Père céleste qu'il ne l'avait fait dans ce pays.

Le fils de Jeanne Chusa et celui de Véronique vinrent le trouver ici, envoyés par Lazare pour l'avertir à propos de deux émissaires que les 1lharisiens de Jérusalem avaient envoyés à Adama. Les disciples les lui amenèrent pendant une pause, et il leur dit qu'ils ne devaient pas s'inquiéter à son sujet, qu'il remplirait sa mission, qu'il les remerciait de leur attachement, etc. 
Les envoyés des pharisiens vinrent aussi ici avec les Juifs mécontents d'Adama, mais Jésus ne leur parla point. Dans sa prédication, il s'expliqua sans détour, dit qu'on l'espionnait et qu'on le poursuivait, mais qu'on ne réussirait pas à l'empêcher de faire ce dont le Père céleste l'avait chargé, qu'il paraîtrait encore parmi eux, pour leur annoncer la vérité et le royaume de Dieu, etc. Il y avait là plusieurs femmes avec leurs enfants, et elles lui demandèrent sa bénédiction. Les disciples avaient quelques craintes et pensaient qu'il ne devait pas faire cela à cause des espions qui étaient présents : Jésus leur reprocha de s’inquiéter ainsi : il leur dit qu'il voyait de bonnes dispositions dans ces femmes, que les enfants deviendraient bons, puis il traversa la foule et les bénit.

L'instruction dura depuis dix heures du matin jusque vers le soir, après quoi la multitude s'assit pour manger. Il y avait d'un côté de la montagne du feu avec des grils sur lesquels on faisait cuire le poisson : tout était bien réglé : les habitants de chaque ville étaient placés ensemble, puis distribués par rues et par familles. Il y avait pour chaque rue un homme qui faisait les parts et distribuait les aliments. Les convives isolés, ou l'un d'eux, dans une compagnie qui mangeait ensemble, avaient un cuir roulé qui, déployé, servait d'assiette ; ils avaient aussi des couteaux et des cuillers en os. Les uns avaient des calebasses, les autres des verres faits d'écorce roulée où ils recevaient l'eau qu'on versait des outres. Plusieurs savaient se faire des verres de ce genre sur le lieu même ou bien en route. Les préposés recevaient les mets de la main des disciples et partageaient une portion entre quatre ou cinq personnes assises ensemble, pour lesquelles ils mettaient de la viande et du pain sur le cuir placé devant elles. Jésus bénit les mets avant qu'on ne fit les parts, et il se fit ici aussi une multiplication des aliments, car ce qu'il y avait n'aurait pas suffi, à beaucoup près, pour les deux mille hommes qui étaient présents. Chaque groupe ne reçut qu'une petite portion, mais quand ils eurent mangé, tous furent rassasiés, et il y eut encore beaucoup de restes que les pauvres recueillirent dans des corbeilles et emportèrent avec eux.

Il y avait quelques soldats romains mêlés parmi les auditeurs : ils étaient de ceux qui connaissaient Lentulus à Rome ou qui étaient sous ses ordres : car il avait des soldats sous lui. Peut-être avaient-ils été chargés par lui de prendre des informations sur Jésus, car ils vinrent trouver les disciples et leur demandèrent quelques-uns des pains bénis par Jésus, pour les faire parvenir à Lentulus. Ils reçurent de ces petits pains et les mirent dans un sac qu'ils portaient sur leurs épaules.

Lorsque le repas prit fin, il faisait déjà nuit, et l'on avait allumé des flambeaux. Jésus bénit le peuple et quitta la montagne avec ses disciples. Mais il se sépara d'eux : ils prirent un chemin plus court pour revenir à Bethsaïde et à Capharnaum. Quant à lui, il se dirigea au sud-ouest, avec Saturnin et le disciple son parent, vers une ville qui est à côté de Bérotha, et qui s'appelle Zédad. Il passa la nuit dans une hôtellerie devant cette ville.

(23 et 24 juillet.) Dans la nuit du lundi au mardi, je vis Jésus dans la montagne avec Saturnin et l'autre disciple. Comme il marchait seul et priait, ils lui demandèrent pourquoi il faisait ainsi, et il leur donna des enseignements sur la prière faite en particulier et sur la prière en général. Il leur parla comme exemple, de serpents et de scorpions. (il dit probablement que quand un enfant demande un poisson, son père ne lui donne pas un scorpion, etc.) Je le vis ce jour-là dans divers petits endroits habités par des bergers, guérir et exhorter : je le vis aussi dans une ville appelée Hépher (Gatepher), où Jonas est né, et où habitaient, à ce que je crois, des parents de Jésus (peut-être est-il question des neveux de sainte Anne qui demeuraient près de là à Séphoris). Il y fit aussi des guérisons, puis vers le soir il alla jusqu'à Capharnaum. Il avait fait un détour, en passant beaucoup plus au midi, et il n'arriva qu'après minuit.

Je pense en ce moment combien il était infatigable et à quels efforts il obligeait les disciples et les apôtres. Au commencement surtout ils étaient souvent excessivement fatigués et tombaient de sommeil. Quelle différence avec le temps d'à présent, où souvent les apôtres s'endorment d'ennui ! ils couraient après les gens et au-devant d'eux parfois sur la grande route, et leur donnaient quelques bonnes instructions ou les convoquaient à la prédication.

Lazare, Obed, fils de Siméon, les neveux de Joseph d'Arimathie, le fiancé de Cana et quelques autres disciples, étaient venus dans la maison de Marie : il s'y trouvait aussi environ sept femmes, parentes ou amies de la sainte Vierge : tous attendaient Jésus. On allait et on venait, et on regardait sur la route par laquelle il devait venir. Les disciples de Jean vinrent aussi et apportèrent la nouvelle de son emprisonnement qui causa une grande tristesse. Ces disciples allèrent au-devant de Jésus qu'ils rencontrèrent a peu de distance de Capharnaum, et ils lui annoncèrent ce qui était arrivé. Il les tranquillisa et vint chez sa mère.

Jésus arriva seul : il avait envoyé ses disciples en avant. Lazare alla à sa rencontre, et lui lava les pieds dans le vestibule de la maison. Il se trouvait là d'autres disciples : mais ceux qui avaient été à Adama étaient tous à leurs pêcheries.

Pendant que Jésus approchait, les disciples et tous les autres étaient agiles, comme lorsqu'on attend quelqu'un avec impatience. Ils étaient dans la pièce antérieure, en avant de la chambre du foyer où habitait Marie : celle-ci était avec eux : les autres femmes, parmi lesquelles étaient les veuves, la fiancée de Cana, et Marie de Cléophas, se trouvaient dans un bâtiment attenant.

Lorsque Jésus entra, les hommes s'inclinèrent profondément. Il les salua tous et vint à sa mère, à laquelle il tendit les mains : elle aussi s'inclina avec beaucoup de tendresse et d'humilité. On ne se précipitait pas ici dans les bras les uns des autres ; on restait maître de soi mais avec une simplicité affectueuse qui donnait aux cœurs, aux attitudes et aux visages, une expression pleine de bonté et de cordialité. Jésus alla aussi aux autres femmes qui se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui. Il les bénissait toutes quand il arrivait ainsi ou qu'il partait.

Je vis apprêter un repas : les hommes étaient couchés autour de la table : à l'autre extrémité, les femmes étaient assises les jambes croisées On parla de l'emprisonnement de Jean avec quelque amertume : Jésus leur en fit des reproches. Il leur dit qu'ils ne devaient pas juger ni s'irriter, que tout cela devait être ainsi : que si Jean n'était mis de côté, il ne pouvait pas, lui, commencer son œuvre et aller maintenant à Béthanie. Il dit ensuite quelque chose des gens chez lesquels il avait été. L'arrivée de Jésus ici fut secrète, personne n'en savait rien si ce n'est les personnes ici présentes et quelques disciples affidés. Jésus passa la nuit, ainsi que les autres étrangers, dans le bâtiment adjacent à l'un des côtés de la maison, les saintes femmes dans celui qui était de l'autre côté ou dans la maison même. excepté quelques-unes d'entre elles qui avaient leur demeure dans le voisinage.

 (24 juillet.) Jésus resta depuis hier jusqu'à ce matin dans la maison de Marie. Il raconta et enseigna : quelques disciples allaient et venaient, et parmi eux quelques-uns des pêcheurs qui étaient revenus : il leur donna à tous rendez-vous, après le sabbat suivant, dans le voisinage de Bethoron, dans une maison isolée, située sur une hauteur, où Jésus et Marie avaient logé plus d'une fois.

Je le vis s'entretenir seul avec Marie : elle pleurait parce qu'il allait du côté de Jérusalem s'exposer au danger. Il la consola et lui dit de ne pas s'inquiéter, qu'il accomplirait sa tâche, et que les jours de l'affliction n'étaient pas encore venus il lui recommanda de se tenir constamment en prière ; il dit à tous les autres qu'ils devaient s'abstenir de tout jugement et de toute remarque sur l'emprisonnement de Jean et sur les procédés des pharisiens envers lui, qu'autrement ils ne feraient que rendre le danger plus grand. Il ajouta que les pharisiens aussi concouraient à l'accomplissement des desseins de Dieu, que c'était contre eux-mêmes qu'ils travaillaient.

Il fut aussi question de Madeleine ; on répéta ce que Véronique avait raconté d'elle. Il leur dit qu'ils devaient prier pour elle, n'avoir que des pensées charitables à son égard, qu'elle viendrait bientôt, et deviendrait si bonne qu'elle serait un modèle pour plusieurs.

Jésus partit de bonne heure pour Béthanie avec Lazare et environ cinq disciples de Jérusalem. Aujourd'hui l'on fêtait le commencement de la nouvelle lune : je vis à Capharnaum, et partout où je passai, de longs draps avec des nœuds suspendus à l'extérieur des synagogues, et d'autres édifices décorés avec des guirlandes de fruits.

(19-22 juillet.) J'ai passé aujourd'hui, à l'occasion de ce voyage, près de l'endroit où avait enseigné Jean Baptiste. Je passai près de Jérusalem et j'arrivai, par Jéricho, à la fontaine baptismale abandonnée : elle était restée dans le même état, sauf que la décoration était flétrie. Je vis aussi les douze pierres des enfants d'Israël sur l'île du baptême de Jésus, qui était restée comme auparavant, seulement les feuillages avaient été retirés. 
Je vis Hérode et sa femme, avec un cortège de soldats, voyager de l'autre côté du Jourdain et aller vers le lieu où Jean enseignait. Il allait de son château à Liviade, qui était à douze lieues de chemin : il passa près de Dibon, où il traversa les deux bras d'une petite rivière, et par Bethzobra, d'où était la femme à laquelle la faim fit manger son enfant. Je me souviens de cet endroit, parce que Jésus passa par là lors de la dernière fête des Tabernacles. Jusqu'à Dibon le chemin était très bon, plus loin il devenait difficile et inégal, ne convenant qu'aux piétons et aux bêtes de somme. Hérode voyageait sur un chariot long et étroit, où l'on était assis de côté : plusieurs autres personnes étaient assises près de lui. Il était traîné par des ânes : les roues ordinaires étaient des disques sans rayons, épais et bas : il y avait encore d'autres roues plus grandes et des rouleaux attachés par derrière. Le chemin était très inégal, et tout cela marchait très difficilement. La femme d'Hérode était assise sur une voiture semblable avec des femmes de chambre. Les chariots étaient traînés par des ânes, des soldats allaient devant et derrière ainsi que d'autres suivants.

Hérode allait là, parce que Jean prêchait de nouveau et avec plus de netteté et de force que jamais ; il voulait l'entendre pour savoir s'il ne disait rien contre lui. Il l'avait récemment fait conduire près de lui et l'avait retenu assez longtemps, dans l'espoir de le faire changer de sentiment et de l'intimider il le relâcha par crainte de la foule innombrable de peuple qui s'était portée pour l'entendre.

Je vis que la femme d'Hérode n'attendait qu'une occasion pour le pousser à des mesures extrêmes contre Jean, mais qu'elle feignait d'avoir des intentions bienveillantes, quoiqu'elle n'allât avec lui que dans le dessein de le circonvenir. Hérode était poussé par un motif secret : il avait appris qu'Aretas, un roi arabe, père de la première femme répudiée par lui, était allé trouver Jean et se tenait parmi ses disciples. Il voulait l'observer pour voir s'il ne tramait rien là contre lui parmi le peuple.

Cette première épouse était une femme très belle et très vertueuse elle était en ce moment près de son père, lequel ayant entendu parler de la prédication de Jean et de son blâme de la conduite d'Hérode, voulait s'en convaincre lui-même pour sa consolation : il ne paraissait pas de manière à être remarqué, mais il était vêtu très simplement et caché parmi les disciples de Jean auxquels il s'était adjoint comme l'un d'entre eux.

Jean enseigne maintenant vis-à-vis Salem, à une lieue et demie à l'est du Jourdain, à deux lieues au midi de Sukkoth, près d'un joli petit lac ou plutôt d'un étang qui a bien un quart de lieue de long et duquel sortent deux ruisseaux qui, après avoir fait le tour d'une colline, vont se perdre dans le Jourdain. Sur cette colline s'élèvent de vieux édifices d'un aspect seigneurial et aussi d'autres habitations autour desquelles il y a des avenues et des jardins. Cette contrée dépendait de Philippe, mais pénétrait comme une enclave dans les terres d'Hérode, qui, à cause de cela craignait un peu de mettre à exécution ses desseins à l'égard de Jean Il y avait encore là un vieux château un peu délabré : c'était, pris en masse, un lieu de plaisance qu'on n'entretenait plus. Jean était quelquefois à Sukkoth, ville située dans le voisinage.

L’étang qui est très limpide et très poissonneux est à l'est de la colline : entre les deux est la fontaine baptismale, puis vient la colline, qui se termine par une plate-forme très spacieuse environnée de retranchements écroulés. Sur ce rebord se trouvent les restes d'un château avec des tours, qui est encore habité et où Hérode entra.

Au milieu de la plate-forme s'élève un tertre maçonné avec des degrés et un rebord, et au-dessus il y a encore une élévation recouverte d'une tente que les disciples ont dressée : c'est là que Jean prêche. Il y a tout autour une immense affluence de gens venus pour l'entendre, des caravanes entières venant d'Arabie avec des chameaux et des ânes et plusieurs centaines d'hommes et de femmes de Jérusalem et de la Judée Ces troupes vont et viennent alternativement, - se tiennent au haut de la colline et campent sur le rebord.

Les disciples de Jean maintiennent un grand ordre parmi tout ce monde. Les uns sont couchés, d'autres sont à genoux, d'autres debout, en sorte que tous peuvent voir les uns par-dessus les autres. Les païens et les Juifs sont séparés : il en est de même des hommes et des femmes : celles-ci se tiennent en arrière. Ceux qui se tiennent sur le penchant sont pour la plupart accroupis, la tête appuyée sur les genoux, ou bien couchés sur une hanche et les bras passés autour du genou resté libre.

Depuis qu’Hérode lui a rendu la liberté, Jean semble plein d'un nouveau feu : sa voix a un accent singulièrement agréable, et pourtant elle est très forte et a une portée extraordinaire de sorte qu'on ne perd pas un mot il se fait entendre très loin, et sa parole arrive à deux mille personnes à la fois. Il est de nouveau couvert de peaux de bêtes, et vêtu plus grossièrement que je ne l'ai vu prés d'Ono : alors il portait souvent une longue robe.

Il disait d'une voix tonnante comment on avait persécuté Jésus à Jérusalem ; il montrait du doigt la haute Galilée : C'est là, disait-il, qu'il parcourt le pays, qu'il guérit, qu'il enseigne ; il viendra bientôt, ses persécuteurs ne pourront rien contre lui jusqu'à ce qu'il ait achevé son œuvre.

Hérode était assis sur une terrasse avec des degrés attenante aux bâtiments du château, sa femme était plus loin entourée de ses gens et de ses gardes, assise sur de beaux coussins, protégée par un pavillon. Jean cria au peuple qu'il ne fallait pas se scandaliser du mariage d'Hérode, qu'il fallait l'honorer et ne pas l'imiter : cela fit plaisir à Hérode tout en l'irritant.

(21 juillet.) Je passai de nouveau le Jourdain, près du lieu du baptême de Jésus, et j'arrivai à travers la Pérée, près de Jean que je vis prêcher avec encore plus de véhémence qu'hier : il parle avec une force incroyable : sa voix est comme un tonnerre et cependant si agréable et si intelligible ! Je crois qu'il sera bientôt arrêté, car on dirait qu'il veut jouer de son reste. Il a déjà dit à ses disciples que son temps tirait à sa fin, en les exhortant toutefois à ne pas l'abandonner et à je visiter quand il serait en prison. Il n'a rien mangé ni bu depuis trois jours, et il n'a pas cessé de prêcher et de parler de Jésus avec une grande véhémence.

Aujourd'hui il a publiquement reproché à Hérode son adultère. Les disciples l'ont prié instamment de se reposer et de prendre quelques rafraîchissements, mais il ne l'a pas voulu : il est dans un état d'enthousiasme extraordinaire.

La foule est maintenant très grande : il y a plusieurs campements dans le pays d'alentour. De la hauteur où Jean prêche, la vue est merveilleusement belle : on peut apercevoir le Jourdain dans le lointain, on voit les villes environnantes et entre elles : des champs et des vergers. Il doit y avoir eu ici autrefois un grand édifice, car je vois de grandes arcades sur lesquelles l'herbe a poussé : ce sont comme des ponts ou des arches de grosses pierres. Le château où Hérode habite est en partie détruit et dévasté, mais on a récemment restauré deux tours et c'est là qu'Hérode se tient.

Je crois que cet endroit pourrait bien être Ennon ou Ainon près de Salem, car Salem est située vis-à-vis et Jean a déjà baptisé là ; (plus haut, elle a décrit vaguement le lieu du baptême comme une enceinte ruinée près de Salem, au bord du Jourdain : elle ne savait pas bien d'où l'eau y venait et disait alors que c'étaient les restes d'un château de tentes de Melchisédech). Les sources sont très abondantes ici et la fontaine où l'on se baigne est en très bon état : c'est même un ouvrage d'art, car la source sort par un canal voûté de la colline sur laquelle Jean enseigne. Le bassin ovale de la fontaine est entouré de trois belles terrasses couvertes de verdure qui sont coupées par cinq conduits. Quoique plus petit, il est plus beau que celui de Béthesda à Jérusalem, où il y a des joncs en quelques endroits et dans lequel tombent les feuilles des arbres environnants. Ici il y a aussi des arbres, mais tout est très bien tenu '. Le bassin de la fontaine est derrière la colline et environ cinquante pas plus loin est le grand étang, dans lequel il y a beaucoup de poissons, parmi lesquels de fort gros : je les ai vas se presser du côté où Jean prêchait comme s'ils eussent voulu l'écouter. Il y a sur l'étang de petites barques ; ce sont des poutres creusées, où deux hommes tout au plus peuvent tenir, avec des sièges au milieu pour pêcher. J'ai vu plus d'une fois Jean s'y embarquer avec les disciples Jean mange très peu et des choses fort communes : quand je le voyais manger avec ses disciples, il ne prenait presque rien. Je le vois souvent prier seul, quelquefois aussi, pendant la nuit, couché sur le des et regardant le ciel.

(23 juillet, mardi matin.) Je me suis trouvée près de Jean, il est arrêté. Des soldats d'Hérode l'ont emmené ; j'ai poussé des cris et j'ai couru : je voulais dire à ses disciples consternés quel chemin ils devaient prendre pour le suivre : ils ne le savaient pas et ne me comprenaient pas : ils couraient ça et là et semblaient ne pas me voir.

Note : Elle voit toujours le lieu où Jean baptise très bien entretenu, probablement par les soins des disciples et à cause du fréquent usage.

C'est quelque chose de bien triste ; j'ai beaucoup pleuré avec eux. Je savais bien que son arrestation était proche : c'était pour cela qu'il se pressait tant de parler et qu'il était si animé ces jours derniers : il a aussi pris congé d'eux. Il avait annoncé Jésus plus clairement qu'il ne l'avait encore fait, comme quelqu'un qui venait, à qui il devait faire place et auquel il fallait aller. Il prêcha encore lundi, il dit à ses auditeurs qu'il serait bientôt enlevé, qu'ils étaient des gens grossiers et à la tête dure, qu'ils devaient se souvenir comment il était venu d'abord ; il avait, disait-il, préparé les voies du Seigneur, construit les ponts et les chemins, enlevé les pierres, arrangé les fontaines pour le baptême, conduit les eaux ; ç'avait été un travail rude et difficile, car la terre était dure, les rochers réfractaires, le bois noueux ; et il lui avait fallu faire tout cela avec ce peuple qui était aussi endurci, grossier et opiniâtre. Ceux dont il avait touché le coeur devaient maintenant aller au Seigneur, au Fils bien-aimé du Père : celui qu'il recevrait serait reçu, celui qu'il rejetterait serait rejeté : il venait maintenant, il allait enseigner, baptiser et accomplir ce que lui, Jean, avait préparé. Il reprocha encore vivement à Hérode son adultère devant tout le peuple, et Hérode, qui d'ailleurs l'écoutait et le respectait ressentit une vive irritation intérieure, mais n'en laissa rien apercevoir.

Du reste ce jour-là parut être la clôture de sa prédication, car les troupes s'en allèrent successivement de tous les côtés ; ainsi faisaient aussi les gens venus d'Arabie et avec eux Aretas, le beau-père d’Hérode. Hérode n'était pas parvenu à le voir. La femme d'Hérode est déjà partie hier ou avant-hier.

Les soldats se relayèrent plusieurs fois : il en était arrivé de nouveaux aujourd'hui. Hérode partit aussi : il dissimulait sa colère et il prit congé de Jean, d'un air tout à fait amical. Il avait beaucoup de bagage qui le précédait ou le suivait, porté par des chameaux : il monta de nouveau sur son chariot.

Jean sentait bien que la liberté ne tarderait pas à lui être enlevée : il ignorait que ce dût être sitôt. Il envoya plusieurs de ses disciples avec des messages de différents côtés : parmi ceux-ci se trouvaient les deux que Saturnin, sur l'ordre de Jésus, lui avait envoyés de Galilée, lorsqu'il y était venu pour convoquer, à Tyr, les futurs apôtres. Je crois qu'Obed, fils de Siméon, était là.

Vers le soir, plusieurs des disciples étaient de retour auprès de lui : il n'y avait plus personne dans le voisinage ; seulement on voyait encore quelques tentes à une certaine distance. Jean entra dans sa tente et congédia ses disciples : il voulait se reposer et se recueillir dans la prière. Comme il faisait déjà nuit et que les disciples s'étaient retirés, je vis s'approcher les soldats d'Hérode, qui étaient arrivés hier, et dont une partie était restée en arrière. Environ vingt hommes s'avancèrent de plusieurs côtés vers la tente après avoir placé des sentinelles sur les chemins qui y aboutissaient. Il n'en entra d'abord qu'un seul qui parla à Jean, puis d'autres vinrent successivement. Jean leur dit qu'il les suivrait sans résistance, qu'il savait que son heure était venue et qu'il devait faire place à Jésus : qu'ils n'avaient pas besoin de l'enchaîner, qu'il allait avec eux de sa pleine volonté. Il les engagea en outre à l'emmener sans bruit pour ne pas exciter de tumulte. Alors vingt hommes partirent de là avec lui, marchant à grands pas. Il n'avait que son grossier vêtement de peau et son bâton à la main. Quelques disciples s'approchèrent pendant qu'on l'emmenait : il les regarda comme pour prendre congé d'eux et leur dit de venir je visiter dans sa prison.

Il y eut ensuite un grand concours de disciples et de peuple : on disait qu'on avait enlevé Jean, on pleurait, on se lamentait. Ils voulaient le suivre, mais ils ne savaient pas de quel côté, car les soldats n'avaient pas tardé à quitter la route ordinaire et avaient pris un chemin peu fréquenté, se dirigeant vers le midi. La contusion était grande : ce n'étaient que pleurs et gémissements ;moi aussi je pleurais avec eux, je criais à haute voix et voulais leur dire quel chemin les soldats avaient pris, mais on ne semblait ni me voir ni m'entendre. Les disciples se dispersèrent de tous les côtés : ils s'enfuirent comme ceux de Jésus, lors de son arrestation, et répandirent la nouvelle dans tout le pays. 
Je me hâtai d'aller vers Jésus, et je le trouvai avec Saturnin et les autres disciples qui passaient près de la ville aquatique, se dirigeant vers Gatepher. Il allait par un chemin détourné à Capharnaum, où ses disciples étaient allés directement. Je le vis un instant pendant qu'il marchait, puis je le perdis de vue, et je me mis à pleurer et à gémir parce que je l'avais perdu. 
Le lieu où Jean baptisait quand il fut fait prisonnier est en effet cet Ainon que l'Ecriture dit être voisin de Salem. Melchisédech avait établi ses tentes sur les fondations voisines du lieu où enseignait le précurseur. Je crois qu'il demeurait déjà là quand Abraham vint dans le pays : c'est aussi lui qui a établi le premier la fontaine du baptême et l'étang. Il avait en outre posé plusieurs fondements à Jérusalem. Melchisédech appartient aux chœurs des anges préposés aux divers pays. Ces anges font partie de ces chœurs qui vinrent visiter les patriarches et leur porter différents messages, entre autres à Abraham. Ils se tiennent en face des anges Gabriel, Raphaël, Michel, etc.

L'endroit du baptême dont il vient d'être parlé est entre Bethabara et l’embouchure de la petite rivière à deux bras qui va de Dibon se jeter dans le Jourdain. Il était tout au plus à deux lieues de Bethabara, en remontant le fleuve, en face de Galgala, à environ un quart de lieue du Jourdain, dans le coin d'une vallée. 
Voici comment il était situé. (En disant cela, elle marqua les divers points avec les plis de sa couverture).

Elle pensait que l'eau était conduite là du Jourdain par un ruisseau ou un canal, qui allait en se rétrécissant à partir du Jourdain, et que dans la vallée elle passait à travers la montagne par des conduits de plomb. (Elle se trompe le plus souvent sur le cours des rivières : vraisemblablement la source venait de la montagne même ou, à travers la montagne, du Jourdain dans l'étang.) L'étang est plus dégarni que les deux autres, cependant la vallée est couverte de beaux arbres.

Je vis ce matin saint Jean conduit par les soldats à Hésebon, dans la tour d'un château assez délabré. Il y avait de beaux étangs et quelques allées devant ce château. Ils avaient voyagé la nuit avec Jean, et vers le matin d'autres soldats vinrent d'Hésebon à leur rencontre, car c'était déjà le bruit public que Jean avait été arrêté, et il y avait ça et là des rassemblements de peuple. Les soldats qui conduisaient Jean ne me parurent pas être des soldats ordinaires, mais des espèces de gardes du corps d'Hérode, car ils avaient des casques sur la tête, des écailles et des anneaux pour protéger la poitrine et les épaules : ils avaient aussi de longues piques.

Je vis qu'ici beaucoup de gens se rassemblèrent devant la prison de Jean, et que les gardes eurent fort à faire pour les chasser. Il y avait des ouvertures au haut de la prison, et je vis que Jean, debout dans son cachot, parlait en élevant beaucoup la voix, en sorte que ceux qui étaient au dehors l'entendaient. Il avait, disait-il, préparé les voies, brisé des rochers, abattu des arbres, conduit des sources, creusé des puits, construit des ponts ; il avait eu à lutter contre des matériaux résistants et rebelles : tel était aussi ce peuple, et c'était pour cela qu'il était en prison. Il ajoutait qu'ils devaient aller à celui qu’il avait annoncé, à celui qui venait sur le chemin qu'il avait frayé ; que quand le maître vient, ceux qui ont préparé la route se retirent, qu'ils devaient tous aller à Jésus ; qu'il n'était pas digne, lai, de délier les courroies de ses chaussures : que Jésus était la lumière et la vérité, le Fils du Père, etc. Ses disciples devaient je visiter dans sa prison, car on n'oserait pas encore mettre la main sur lui, son heure n'était pas encore venue, etc. Il parlait et enseignait ainsi, aussi hautement et aussi nettement que s'il eût été encore sur sa chaire au milieu du peuple assemblé. à la fin les gardes forcèrent le peuple à se retirer. Il y eut à plusieurs reprises dans la matinée grande affluence de peuple, et Jean répéta les mêmes discours. Le soir je vis Jean, accompagné des soldats, placé sur un chariot bas et étroit, surmonté d'une espèce de caisse couverte, où plusieurs d'entre eux s'assirent près de lui : ce chariot était traîné par des ânes.

(25 juillet). Ce matin ou ce soir, à l'heure du crépuscule, je vis conduire Jean dans la prison de Machérunte. Machérunte est située dans un lieu très élevé et très escarpe. Ils firent d'abord gravir à Jean un sentier très raide, ensuite on l'introduisit dans la forteresse, non par une porte, mais par une ouverture pratiquée dans le mur et couverte de gazon. Ils l'y firent passer sans bruit et le firent d'abord descendre jusqu'à une grande porte de bronze suivie d'un corridor. Il passa sous la porte de la forteresse, et ensuite dans un grand caveau voûté qui se trouvait sous l'édifice, et recevait le jour d'en haut par des ouvertures : le cachot était très propre, mais entièrement nu.

Je vis ensuite Hérode dans un château qu'avait bâti le vieil Hérode, et où il avait une fois fait noyer des gens dans l'étang pour se récréer. Ce château s'appelait Hérodium. Le roi s'était caché là, tout découragé : il ne voulait voir personne, et comme beaucoup de personnes demandaient à lui parler pour lui faire des remontrances sur l’emprisonnement de Jean, je le vis, inquiet et troublé, errer ça et là dans les appartements, puis enfin se tenir caché. Sa femme n'était pas ici.

(21 juillet.) C'est demain la fête de Madeleine. C'est pourquoi, dans mon voyage, j'allai d'auprès de Jean vers Madeleine à Magdalum, et il me fallut d'abord repasser le Jourdain. Je trouvai des hôtes chez elle ; ils étaient autour d'une table, dans la salle où sont les miroirs et les arbres verts : le repas paraissait à sa fin. Il y avait bien une douzaine d'hommes, tant juifs que paiens. L'un d’eux semblait avoir là son domicile et être considéré par les autres comme le maître de la maison ou le mari de Madeleine. Mais ce n'était qu'un amant qui s'était impatronisé depuis quelque temps et avec lequel elle vivait : les autres étaient des compagnons de celui-ci, des étrangers de passage et des officiers, dont il y avait un grand nombre en cet endroit. Il se trouvait aussi parmi eux des Romains. En général, ce n'étaient pas des gens de distinction, mais des artistes, des officiers et des aventuriers : Madeleine semblait être un peu déchue par suite de sa mauvaise réputation, quoiqu'elle fût encore très belle.

Elle était vêtue d'une façon originale et distinguée, mais non pas très richement ; elle ne portait pas de voile. Il y avait tous les jours ici de semblables réunions, car elle était très hospitalière et très dépensière. La maison et les jardins étaient négligés : tout semblait se dégrader, à l’exception des appartements qu'elle habitait.

Au commencement Madeleine assistait au repas, et j'entendis les hommes tenir des propos qui ressemblaient parfaitement à ceux que l'on. tient aujourd'hui sur les choses saintes. Madeleine parla avec respect et avec une émotion secrète de Jésus, qu'elle avait vu une fois à Jezrael. Elle fit aussi mention de Véronique, une femme de distinction qui lui avait fait une visite huit jours auparavant, ainsi que de la vénération et du dévouement absolu que celle-ci témoignait pour Jésus. Alors les hommes s'emportèrent à toutes sortes de paroles injurieuses, et oubliant qu'ils étaient eux-mêmes gens de mauvaise compagnie, les uns païens, les autres juifs, violateurs de la loi, ils s'étonnèrent qu'on pût prendre la défense de cet homme et de son entourage, disant que la femme dont elle parlait devait être bien aveuglée pour s'attacher à des gens de cette espèce : que Jésus était d'une famille de petites gens tombés dans la pauvreté, et qu'il courait le pays pieds nus, comme un fou. Après la mort de son père, au lieu de prendra un métier honnête et de nourrir sa mère, il l'avait laissée dans l'embarras pour courir le pays et ameuter le peuple : il avait trouvé en Galilée une brillante société d'ignorants et de pêcheurs paresseux, qui laissaient aussi leurs familles dans l'embarras et le suivaient au lieu de travailler. Mais on savait bien ce qu'il était : il avait été chassé de Jérusalem à cause de ses fausses doctrines et des troubles qu'il avait excités à la fête de Pâques : sa mère aussi avait été renvoyée chez elle Mais au lieu de profiter de cette leçon. Il courait maintenant la haute Galilée, tournait la tête aux gens et portait partout le trouble et le désordre. Il y avait aussi dans cette société des Romains qui disaient qu'il était étonnant que cet homme fit tant de bruit : qu'il avait des amis jusque dans Rome ; qu'un homme considérable, Lentulus, était tout engoué de lui, chargeait une quantité de gens de lui envoyer des informations sur Jésus, et quand des navires arrivaient de Judée, y courait aussitôt pour apprendre quelque chose sur lui et sur ce qu'il faisait.

Au commencement, je vis ces propos refroidir les bonnes dispositions de Madeleine : elle semblait prêter l'oreille à ces bavardages ; mais quand à la fin ils devinrent trop ignobles, elle se retira dans une chambre voisine où elle faisait sa résidence. Ces manières vulgaires et grossières blessaient sa fierté : accoutumée comme elle l'était à des relations plus relevées, elle sentit combien elle était descendue, elle eut le sentiment de son esclavage, elle pensa aux paroles de Véronique, à la manière d'être de ses proches à elle, elle sentit sa misère et quand l'homme auquel elle semblait intimement attachée : c'était un très bel homme, - la suivit pour lui demander ce qu'elle avait, elle se mit à pleurer et demanda qu'on la laissât seule. Ses femmes de chambre étaient auprès d'elle : elle en avait deux, l’une qui ne valait rien, l’autre qui était bonne, et informait habituellement sa famille de ce qu'elle faisait et de ce qui se passait chez elle. 
Je vis par là quel était alors l'état de Madeleine : elle était profondément déchue : elle avait été fort émue lors de sa rencontre avec Jésus à Jezraël, mais cette impression avait été fugitive et elle était tombée encore plus bas : toutefois, le souvenir de sa vie antérieure, criminelle toujours, mais bien autrement brillante, rouvrait la voie à l'émotion : elle était en proie à une lutte intérieure. 
Lorsque Véronique était chez elle, elle y passait la nuit. Cette femme âgée et respectable venait toujours la voir lorsqu'elle allait visiter Marie ; elle était en liaison intime avec sa famille, et cherchait à produire sur elle une bonne impression. Les amis qui venaient ainsi la visiter n'allaient jamais dans la partie du château où Madeleine menait sa vie dissipée : ils allaient dans l'aile opposée, en passant sous la porte d'entrée, et Madeleine, de son côté, se rendait auprès d'eux par un passage pratiqué au-dessus de cette porte. Ces sortes de visites lui étaient pénibles par un côté, parce qu'elle recevait des avertissements qui la faisaient rougir : d'un autre côté, elles satisfaisaient son orgueil ; elle croyait sa situation aux yeux du monde moins mauvaise, par cela seul qu'elle n'empêchait pas ses parents, gens de distinction et considérés, de venir la visiter. 
Je vis une fois Jacques le Majeur chez Madeleine : poussé par un vif sentiment de compassion, quelque temps avant que Marthe l'invitât à entendre la prédication de Jésus par laquelle elle fut convertie, il était allé la trouver à Magdalum pour la décider à prendre cette résolution : il voulait voir jusqu'à quel point elle était récalcitrante : je le vis plusieurs fois chez elle Il prenait occasion de quelque message de la part de Marthe. Elle ne le recevait pas dans le château, mais dans un bâtiment attenant. Elle prenait plaisir à le voir : il avait un extérieur imposant, parlait avec gravité et sagesse, et, quand il le fallait, avec bienveillance. Elle lui permettait de la visiter quelquefois quand il venait dans le pays. Elle se cachait quelque peu pour recevoir ces visites : car alors elle était engagée dans certains liens. L'homme avec lequel elle vivait ne savait rien de ses entretiens avec Jacques. Celui-ci ne lui parlait pas sévèrement, mais avec égards et amicalement. Il louait son esprit et l'engageait à aller une fois entendre Jésus, lui disant qu'on ne pouvait rien entendre de plus ingénieux, de plus éloquent ; qu'il y avait là quelque chose à apprendre. Elle ne devait pas, ajoutait-il, se préoccuper de ce qu'étaient les auditeurs et de leur manière d'être ; elle n'avait qu'à venir vêtue comme elle l'était habituellement. Elle prenait en bonne part ses invitations ;elle croyait vouloir en tenir compte. Elle y était, en effet, très disposée, et pourtant plus tard elle se montra encore très dédaigneuse quand Marthe la pressa de s’y décider. Du reste, elle ne savait pas bien quelles étaient les relations de Jacques. Je le vis quelquefois chez elle.

(22 juillet) Je me trouvai encore aujourd'hui à Magdalum, près de Madeleine ; comme j'allais à Capharnaum. C'était l'après-midi, vers le soir. Il y avait une fête chez Madeleine, et l'on y dansait : je crois que c'était le jour de naissance de l'homme avec lequel elle vivait alors. Il était Juif et militaire, et il se trouvait en garnison à Magdalum.

Je vis danser environ vingt à trente couples dans une grande et belle salle, voisine de la salle à manger. Dans cette salle aussi il y avait des miroirs ou les danseurs pouvaient voir leurs mouvements répétés. Sur un des côtés était un large siège, un peu exhausse, avec des coussins et des draperies. Madeleine s'y tenait assise, ou bien elle allait parler aux uns et aux autres. Je ne vis pas qu'elle prît part à la danse. Elle ne s’occupait pas beaucoup des hôtes, ni ceux-ci d'elle : cela paraissait plutôt l'affaire de l'homme qui tranchait ici du maître : on paraissait, du reste, se trouver là comme à une réunion habituelle où il n'y a pas à se gêner beaucoup. La société se composait de gens légers et frivoles ; c'étaient des femmes et des filles vivant selon le monde et non selon la loi, des officiers, des employés de Magdalum et des aventuriers. Les musiciens étaient presque exclusivement des enfants des deux sexes avec des couronnes, des flûtes et des triangles. La danse n'était pas sautillante ou tournoyante comme chez nous, c'était une série de figures artistement combinées, où l'on passait les uns au milieu des autres en faisant de petits pas élastiques et avec un mouvement continuel et gracieux de tout le corps, de la tête et des mains. Tout cela était bien mesuré et habilement ordonné, mais destiné à exprimer des passions et des folles de toute espèce, et l'on y faisait continuellement parade de son corps. Lés femmes avaient de très longues queues, mais elles n'étaient pas voilées comme les juives de mœurs plus sévères l'étaient en dansant ; leurs mains non plus n'étaient pas recouvertes comme chez celles-ci ; toutefois, on ne se touchait qu'avec des espèces de mouchoirs qu'on tenait à la main. En général, je n'ai jamais vu même les juives de mœurs légères, avoir en public des familiarités choquantes avec les hommes ; tandis que chez les paiens et les Romains les rapports entre les deux sexes étaient très indécents.

Les danseurs appartenaient à ce monde élégant et pécheur qui vit selon la chair et recouvre sa honte et son infamie de beaux habits et de manières gracieuses ; mais ils étaient pourtant très inférieurs à l’entourage antérieur de Madeleine, qui se composait plutôt de gens d'esprit, de savants et d'artistes, où l'on lisait et composait des poésies et des énigmes. Elle ressentait vivement en cela sa déchéance, et prenait peu de part à ce qui se faisait.

La danse eut lieu le jour. Je les vis ensuite dans la chambre des miroirs, devant une table richement servie. Les femmes étaient assises ensemble d’un côté, les hommes étaient étendus de l'autre côté, et Madeleine avait entre eux un siège formé de coussins. Comme ils étaient à table, il vint quelques nouveaux convives, lesquels apportèrent la nouvelle qu'Hérode avait mis Jean en prison. Là-dessus il y eut des marques d'approbation et des applaudissements indécents. Mais comme Madeleine en parut affligée et le fit voir par quelques paroles, les hommes se mirent à rire et firent des plaisanteries sur Jean. .Je vis qu'elle en fut très mécontente : elle quitta bientôt la table et se retira toute pensive dans une pièce entourée de coussins, voisine de la salle à manger. C'est là que je la laissai.

Le père de Lazare était du pays où allèrent les trois rois à leur retour de Bethléhem. Le grand-père venait d'Egypte. Il était prince syrien : mais plus tard il fut dépossédé. Il avait acquis à la guerre les biens près de Jérusalem et en Galilée dont il a été parlé ; il s'était fait juif et avait épousé une juive de distinction appartenant à une famille de pharisiens.

Ils avaient de grands biens : le château de Lazare, à Béthanie, était fort vaste, avec beaucoup de jardins, de terrasses, de fontaines et une double enceinte de fossés. La famille avait connaissance des prophéties d'Anne et de Siméon. Elle attendait le Messie, et déjà, lorsque Jésus était jeune, elle avait établi avec la sainte famille des relations semblables à celles qu'on voit souvent s'établir entre des gens pieux d'un rang élevé et d'autres gens pieux de moindre condition.

Ils avaient quinze enfants, dont six moururent de bonne heure ; neuf arrivèrent à l'âge adulte : quatre seulement vivaient encore à l'époque de la prédication de Jésus. Ces quatre étaient Lazare, Marthe, plus jeune de deux ans, Marie la silencieuse, qui avait deux ans de moins que Marthe, enfin Marie Madeleine venue au monde cinq ans après celle-ci. J'ai appris que cette soeur malade d'esprit n'est pas nommée, ni mentionnée dans l'Ecriture, mais elle n'est pas en oubli devant Dieu. Elle est tout à fait inconnue : toutefois, je l'ai vue dans les visions relatives à la vie de Madeleine.

Madeleine, la plus jeune des soeurs, était très belle grande et formée de bonne heure. Elle était, dès son jeune âge, comme une grande fille ; du reste, très fantasque et très capricieuse. Elle avait sept ans lorsque ses parents moururent. Dès sa petite enfance elle les avait pris en aversion à cause de leurs jeûnes rigoureux. J'ai vu beaucoup de choses de son enfance. Elle était incroyablement vaniteuse, friande, orgueilleuse, délicate et capricieuse : elle était singulièrement volage et se laissait aller à tous ses penchants. Elle était en outre dépensière, bienfaisante par l’effet de sa sensibilité naturelle ; elle avait très bon coeur, mais se laissait séduire par tout ce qui avait de l'éclat et de l'apparence. Sa mère l'avait assez mal élevée, et elle tenait d'elle cette sensibilité compatissante qui la distinguait.

La mère et les tantes de Madeleine la gâtaient, elles la mettaient toujours en avant et voulaient qu'on admirât ses espiègleries et ses gentillesses : elles la faisaient asseoir avec elles à la fenêtre, où elles se tenaient souvent en grande parure. Cette habitude de se mettre ainsi en vue fut la première origine de sa perte. Je la voyais sans cesse à la fenêtre, ou sur les terrasses attenantes à la maison, assise sur de beaux tapis et de riches coussins. Elle se montrait là, dans tous ses atours, aux gens qui passaient dans la rue. Elle commença ses coquetteries et sa vie splendide dès l'âge de neuf ans.

A mesure que ses talents et ses charmes allaient croissant, elle attirait de plus en plus l'attention et l'admiration. Elle voyait beaucoup de monde ; du reste, elle avait l'esprit cultivé et se plaisait à écrire des maximes amoureuses sur de petits rouleaux de parchemin ; je la voyais compter sur ses doigts en faisant cela. Elle faisait circuler ces écrits, en faisait ; des échanges avec ses adorateurs, et partout on la vantait et on l'admirait.

Je n’ai jamais vu qu'elle ressentit ou inspirât un attachement véritable : tout cela n'était que vanité, mollesse, adoration de soi-même et jactance fondée sur sa beauté. Je vis qu'elle était un scandale pour ses frères et sœurs : elle les méprisait à cause de la simplicité de leur vie, et elle rougissait d'eux.

Lorsque l'on fît le partage des biens de la famille, elle eut dans son lot le château de Magdalum. Magdalum était une très belle habitation de plaisance : elle y était allée souvent dans son enfance et avait pour ce lieu une prédilection particulière. Madeleine n'avait guère plus de onze ans lorsqu'elle alla s'y établir en grande pompe, avec tout un attirail de servantes et de serviteurs : ses amants la suivirent et tous ceux qui menaient avec elle une vie de plaisir et de désordre, et par lesquels elle avait été pervertie, irrités de ses infidélités ou dégoûtés d'elle pour quelque autre raison, devinrent ses ennemis et ses calomniateurs.

Au commencement, ceux qui venaient la visiter a Magdalum n'étaient pas précisément des gens de mauvaise vie, mais plutôt des personnes riches et considérables des deux sexes, vivant selon les maximes du monde. Mais quand cette vie dissipée devint une vie dissolue, les gens de distinction et ceux qui tenaient à leur réputation s'éloignèrent, et les choses ne cessèrent d'aller de mal en pis. Le château et ses dépendances se délabrèrent et se dégradèrent ; il n'y eut que les appartements où Madeleine se tenait habituellement qui conservèrent leur magnificence et leur éclat. Je vis une chambre ou les murs étaient tout couverts de miroirs de métal, entre lesquels étaient des arbustes verdoyants et des fleurs. Madeleine se trouva une fois dans une grande détresse. Elle était tombée dans le mépris, sans ressources, malade, dévorée de chagrin ; en outre elle était délaissée et n'avait plus de courtisans. Alors elle rechercha la solitude et le repos, recouvra sa santé et sa beauté, et revint a son ancien genre de vie. Sa vie pécheresse à Magdalum a duré environ quatorze ans, et elle était dans sa vingt-cinquième année lorsqu'elle fut convertie par la prédication de Jésus.