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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME TROISIéME

 

CHAPITRE XV

 

ANNE CATHERINE EST TRANSPORTƒE DANS UN NOUVEAU LOGEMENT. ELLE PREND SUR ELLE L'ƒTAT CORPOREL ET SPIRITUEL DE PERSONNES VIOLEMMENT TENTƒES ET D'AGONISANTS.

 

           1. Le 15 fŽvrier 1821, sur la nouvelle de la mort de Lambert, le conseiller de la chambre des finances Diepenbrock, pre du cardinal Melchior Diepenbrock, Žcrivit de Bocholt ˆ la malade pour l'inviter amicalement ˆ venir passer dans le sein de sa famille ce qui lui restait de temps ˆ vivre : il offrait en mme temps au pre Limberg la position d'aum™nier ˆ Bocholt, afin qu'Anne Catherine ne fžt pas privŽe de son assistance sacerdotale. Ces marques de bienveillante sympathie, succŽdant aux douloureuses Žpreuves des derniers jours, furent pour Anne Catherine aussi bien que pour le pre Limberg un ŽvŽnement qui les remplit d'Žmotion joyeuse et de vive reconnaissance. La premire dŽclare, aprs avoir lu la lettre : Ç Il y a des annŽes, Žtant dans la dernire dŽtresse, j'ai criŽ une fois vers Dieu que je ne pouvais pas conserver le trŽsor de mon ‰me au milieu de tribulations si grandes et si continuelles; il me dit que je devais persŽvŽrer jusqu'ˆ la fin; qu'il viendrait ˆ mon secours, quand mme je serais abandonnŽe ou mŽprisŽe par mes meilleurs amis, et que je vivrais tranquille pendant quelque temps. J'ai toujours espŽrŽ en ce secours. È

Ces paroles Žtaient la premire expression de son profond sentiment de reconnaissance et contenaient l'aveu involontaire qu'elle Žtait prte ˆ accepter l'invitation autant que cela. pouvait dŽpendre de son inclination personnelle. Elle regarda son confesseur qui rŽpondit : Ç Nous prierons pour savoir si c'est la volontŽ de Dieu. È Quelques semaines plus tard, Diepenbrock renouvela ses offres par l'intermŽdiaire de sa fille Apollonie qui vint ˆ Dulmen visiter la malade, et cela ne put que contribuer ˆ accro”tre la grande affection qu'Anne Catherine, tant qu'elle vŽcut, porta dans son coeur ˆ cette gŽnŽreuse famille. Apollonie Žtait accompagnŽe de Louise Hensel, laquelle, dans les annŽes prŽcŽdentes, avait dŽjˆ passŽ un temps assez long prs d'Anne Catherine. Toutes deux appartenaient au petit nombre de connaissances avec lesquelles elle avait nouŽ des relations particulirement amicales et intimes, et auxquelles elle ne cessa de porter jusqu'ˆ la fin la plus vive et la plus ardente sympathie spirituelle, s'intŽressant ˆ toutes leurs affaires, surtout aux affaires de leur ‰me, et les accompagnant de ses prires sur tous les chemins de la vie. Il Žtait naturel qu'Anne Catherine ne cach‰t pas l'Žmotion joyeuse produite chez elle par les offres gŽnŽreuses qui lui Žtaient faites, qu'elle rŽpŽt‰t souvent et avec vivacitŽ combien elle en Žtait reconnaissante et combien elle croyait ˆ l'accueil cordial qu'elle trouverait : il n'y avait rien lˆ qui fžt en contradiction avec l'assurance intŽrieure que, dans les desseins de Dieu, elle ne, devait pas quitter Dulmen pour finir ses jours dans une situation plus agrŽable et plus tranquille. Elle rŽussit aussi ˆ insinuer cette persuasion ˆ son pre spirituel, mais le Plerin et son frre ne pouvaient pas renoncer ˆ la pensŽe que son Žmigration ˆ Bocholt serait pour elle le plus grand des bienfaits et la dŽlivrerait, suivant leur plus vif dŽsir, de tous ces dŽrangements qui faisaient obstacle ˆ leurs propres efforts. Ils attendaient seulement l'instant convenable pour mettre le projet ˆ exŽcution. Ayant la conviction inŽbranlable qu'ils travaillaient pour le bien gela malade, ces deux hommes indŽpendants, d'un esprit remarquable, qui jusque-lˆ avaient plut™t obŽi ˆ l'impulsion de hautes facultŽs poŽtiques et scientifiques qu'ˆ une vocation solide les appelant ˆ une vie plus relevŽe oublirent compltement que pour Anne Catherine la translation ˆ Bocholt pouvait tre quelque chose de plus grave que ne l'est pour un voyageur le changement des auberges o il passe la nuit. Le Plerin, dans son journal, avait exprimŽ en termes assez secs son opinion sur l'Žtat des choses : Ç Au milieu du dŽsordre et de la confusion qui l'entourent (C'est ˆ dire de la situation extŽrieure, telle qu'il la voyait), lorsqu'on voit se produire en elle des phŽnomnes d'une portŽe incalculable qui exigeraient qu'elle vŽcžt dans la retraite la plus absolue, sous la protection des personnes les plus intelligentes, son incurable condescendance fait qu'elle entretient chez toute sorte de personnes, bonnes sans doute, mais parfaitement inintelligentes (Il qualifiait ainsi tous ceux qui ne partageaient pas sa manire de voir), le sentiment qu'elle leur tient par des rapports Žtroits et intimes. Ces personnes se scandalisent alors de ce que d'autres (c'est-ˆ-dire le Plerin et son frre), cherchent ˆ faire prŽvaloir des vues diffŽrentes en ce qui la concerne ; elles soulvent des inimitiŽs et suscitent des bavardages, tandis qu'elle mme impute tous les ennuis qui naissent de lˆ ˆ ceux qui l'assistent sans la troubler (!!!). Si elle n'est pas entirement sŽquestrŽe, si les discours, les actes, les conseils en ce qui touche les choses du monde ne sont pas compltement retranchŽs, - si elle ne meurt pas entirement au monde extŽrieur et ne cesse pas de s'entretenir seule et longuement avec toute sorte de personnes, le dŽsordre ne finira jamais. Le Plerin lui a dit dernirement qu'elle parlait souvent comme quelqu'un qui divague. Elle a pris cela fort ˆ coeur et il en est rŽsultŽ des pleurs qui ont abouti ˆ un fort vomissement de sang. È

 

Avec de semblables vues sur la situation de la malade et ses relations, il est certain qu'on ne pouvait pas hŽsiter ˆ tout faire pour la Ç sŽquestrer È totalement du monde une fois pour toutes.

 

           2. Au mois de juillet, Overberg Žtait venu ˆ Dulmen. Anne Catherine lui avait exposŽ sa situation tout entire, lui avait rendu compte de l'Žtat de sa conscience et avait reu de lui des conseils et des consolations. Ç Il a, dit-elle, pris sur lui tous mes scrupules (c'est-ˆ-dire qu'il l'avait tranquillisŽe en lui disant qu'elle n'Žtait nullement responsable de l'irritation qu'avait excitŽe, en fŽvrier, sa rŽpugnance bien justifiŽe ˆ changer de domicile). Il n'a rien dit non plus cette fois sur le changement projetŽ dans ma situation. È Les jours suivants, elle rŽpŽta plusieurs fois : Ç Le diable veut empcher par force ce que Dieu veut de moi. Je vois en face de moi cro”tre une grande croix... Je me suis vue mourant dans une bruyre que je traversais en voiture. Je ne vais ˆ Bocholt qu'en esprit .... On veut se saisir de moi et m'emporter... È Et le 1er aožt : Ç Je suis pleine d'anxiŽtŽ comme si une grande souffrance me menaait È... Mais le Plerin en reproduisant toutes ces paroles, fait la remarque suivante : Ç Ce sont lˆ des visions mŽlangŽes d'angoisse et de dŽlire auxquelles on ne peut se fier; È ou bien : Ç Elle a ŽtŽ toute la journŽe dans un Žtat trs-misŽrable et en proie ˆ un dŽlire fŽbrile. È

 

           Cependant, ds le 6 aožt, il fut Žvident qu'elle avait bien vu et que ce pressentiment plein d'angoisse n'avait ŽtŽ que trop fondŽ : car, ce jour-lˆ, on vit s'arrter devant la maison de la malade une voiture commandŽe par le Plerin et son frre, dans laquelle elle devait tre conduite sans retard ˆ Bocholt. Le Plerin lui-mme raconte cet incident dans les termes suivants : Ç A midi arrivrent Mme Hirn et M. de Druffel (Sur l'invitation du frre du Plerin). On parla beaucoup des dŽmarches faites auprs de Son Excellence le prince Žvque ˆ Munster et auprs de M. le doyen, et il fut dit que tout obstacle au voyage Žtait levŽ. Il se tint divers propos et certaines personnes s'irritrent. Le frre du Plerin se confirma dans l'opinion qu'il avait du triste Žtat moral de la malade. La malade devint plus malade. Le confesseur s'opposa, contre toute attente, ˆ ce qu'on la port‰t dans la voiture et, dans son extrme anxiŽtŽ, il eut recours aux plus Žtranges subterfuges. M. de Druffel et Mme Hirn lui reprŽsentrent qu'ils avaient des preuves par Žcrit (que la chose se faisait d'accord avec l'Žvque). Il demanda ˆ les voir et quand on les lui ežt montrŽes, il ne voulut pourtant pas se rendre. Druffel se retira dŽgožtŽ, Mme Hirn eut l'imprudence de dire au frre de la malade que celle-ci devait partir. Ce frre qui, naturellement, ne voulait pas entendre parler de cela, rŽpŽta la chose ˆ l'extravagante soeur : ce fut comme si le feu prenait partout et le dŽpart devint impossible ! È

Anne Catherine vit avec la plus grande tristesse l'irritation qui s'emparait de nouveau des esprits, et poussŽe par sa bontŽ et par le dŽsir de prŽvenir des dissentiments, ultŽrieurs, elle se montra prte ˆ cŽder aux exigences des deux frres, en tant que Dieu le lui permettrait. Elle se consulta ˆ cette fin avec son confesseur aux yeux duquel le fait que le nouveau prince Žvque de Munster avait pris connaissance du projet de changement de domicile comme d'une chose dŽcidŽe, pesait d'un tel poids dans la balance qu'il dŽclara qu'Anne Catherine pouvait, au nom de Dieu, quitter la maison, se rendre dans un autre logement et aussi congŽdier sa soeur. Elle se soumit ˆ cette dŽcision comme ˆ un ordre et, la mre supŽrieure Hackebram Žtant absente, elle fit mander son ancienne ma”tresse des novices, la soeur Neuhaus, pour dŽclarer, en sa prŽsence et en prŽsence du confesseur, au Plerin et ˆ son frre qu'elle Žtait prte ˆ faire ce que dŽcidait son confesseur. Le Plerin rapporte ˆ ce sujet en termes qui tŽmoignent d'un sentiment d'irritation encore trs-grand que la faible et vieille soeur Neuhaus se prŽcipita sur le frre du Plerin et ne voulait pas laisser la malade s'en aller. Il la remit ˆ sa place. La malade garda le silence, elle le laissa dans l'embarras (!), elle ne dit pas que c'Žtait sa volontŽ d'tre emmenŽe. Cette marque de faiblesse le blessa et le confirma dans la mauvaise opinion qu'il a d'elle. La ma”tresse de la maison se jeta aussi sur lui. Elle et la Neuhaus reprochrent au Plerin qu'il Žtait toujours prs de la malade et, qu'il lui Žtait ˆ charge. La malade ne dit pas un mot pour y contredire (note).

 

(note) Comme on le comprend, elle ne pouvait pas plus contredire ce qui Žtait vrai que dŽclarer qu'elle-mme dŽsirait tre emmenŽe ailleurs

 

Ce second reniement l'irrita encore davantage. Il eut encore ˆ combattre contre la soeur et contre l'enfant. Mme Hirn (note) dŽclara qu'elle ne partirait pas que la malade n'ežt ŽtŽ emmenŽe hors de la maison.

 

(note) Que cette bonne dame qui n'avait jamais eu de relations particulires avec la malade se permit pareille chose, c'est une preuve de plus que chacun se croyait appelŽ ˆ contr™ler les voies par lesquelles Dieu conduisait son instrument choisi.

 

 

Enfin, dans la nuit du 6 au 7, elle fut retirŽe de cette maison ou rgne le dŽsordre (note) et conduite dans un autre.

 

(note) Mais, dans cette maison, Anne Catherine avait ŽtŽ traitŽe avec tant d'affection et de respect que le propriŽtaire, ClŽment Limberg, conserva, jusqu'en 1859, les deux petites chambres qu'elle avait habitŽes dans l'Žtat o elles se trouvaient lorsqu'elle fut transportŽe dans sa nouvelle demeure. Et aprs la publication du premier volume de cette biographie, ce vieillard envoya ˆ l'auteur un rapport fidle sur toutes les impressions

que lui avait fait Žprouver Anne Catherine et qu'il avait conservŽes dans toute leur vivacitŽ jusqu'ˆ l'‰ge trs-avancŽ oit il Žtait parvenu.

 

Quoiqu'Žtant entirement sans connaissance, elle s'inclina profondŽment devant le Saint-Sacrement lorsqu'on la fit passer devant l'Žglise et, le lendemain, elle croyait qu'on la lui avait fait traverser. Cela est touchant et pourtant instructif pour les personnes qui font les choses de mauvaise volontŽ. È

 

3. Mais il y a aussi quelque chose de " touchant " dans les aveux que le Plerin se vit amenŽ ˆ faire involontairement et ˆ plusieurs reprises, les jours suivants. A peine la malade ežt-elle ŽtŽ transportŽe dans son nouveau et sombre logement et installŽe dans une petite chambre fort triste situŽe au rez-de-chaussŽe que le Plerin et son frre l'accablrent de reproches sur Ç ce qu'elle n'avait agrŽŽ en rien les peines qu'ils avaient prises (pour l'emmener ˆ Bocholt). Le frre du Plerin lui dit tout ce qu'il pensait de son Žtat moral (note).

 

(note) Ce jugement sŽvre portŽ sur l'Žtat de son ‰me par un la•que qui n'Žtait revenu ˆ la foi que depuis peu de temps, Žtait la plus rŽvoltante injustice envers une religieuse dirigŽe, comme elle l'Žtait, par des prtres aussi consciencieux et restŽe invariablement fidle ˆ ses voeux de religion.

 

Elle en eut beaucoup de chagrin et en vint ˆ douter d'elle-mme. Elle s'en ouvrit ˆ son confesseur qui en fut aussi extrmement agitŽ. Alors ses misres recommencrent et elle eut de nouveaux vomissements de sang. Mais souvent l'expression de son visage annonce que son ‰me jouit de la paix la plus profonde. È

 

9 aožt. Ç Elle est extrmement troublŽe de ce que lui a reprochŽ le frre du Plerin. Elle n'a probablement pas bien compris de quelle nature Žtaient ses reproches. Elle en appelle ˆ Dieu et ˆ son tribunal. Au milieu de tout cela, elle se montre, dans certains moments, pleine d'un calme inexprimable : on dirait une image de la paix. È

 

10 aožt. " Aujourd'hui elle a ŽtŽ trs-malade et elle a eu ˆ plusieurs reprises une sueur de sang et d'eau. Elle est en outre si faible qu'elle ne peut ni parler, ni remuer la main. Mais avec cela l'expression de son visage est celle d'une paix impossible ˆ dŽcrire, d'un calme intŽrieur plein de douceur et d'une parfaite puretŽ d'‰me. On ne peut dire combien elle est douce et ŽpuisŽe de fatigue. Elle a dit : " Je suis mieux maintenant. Quand je suis malade, je suis toujours meilleure. Saint Ignace m'a ordonnŽ de demander ˆ Dieu le vŽritable esprit de paix et la connaissance de moi-mme. Je reois souvent de lui des consolations : mais on ne peut jamais savoir dans quels termes on est avec Dieu. È

Cette profonde et solide humilitŽ, par suite de laquelle Anne Catherine Žtait toujours portŽe ˆ prendre pour vraie toute accusation portŽe contre elle, si injuste et si passionnŽe qu'elle fžt, et ˆ se croire rŽellement la cause Ç que la discorde et l'irritation naissaient autour d'elle È, comme le frre du Plerin le lui avait reprochŽ, cette humilitŽ fut rŽcompensŽe de Dieu par la vision consolante sur la puretŽ de sa contemplation, citŽe plus haut (tom. II, ch. viii), et qui commence par ces mots : " Quand je vis na”tre de tels ennuis, etc., etc. " Elle se sentit tellement fortifiŽe par lˆ que le Plerin put dire : " Je la trouvai le soir en vision. Elle chanta d'un air trs-paisible des cantiques ˆ la louange de Marie, et dit en revenant ˆ elle : " J'ai suivi une procession. " Son visage avait l'expression d'une gravitŽ calme et sereine. Cela prouve combien il est absurde qu'elle s'occupe encore des choses du dehors, È c'est-ˆ-dire combien le Plerin a raison, en dŽpit de tout, de vouloir Ç la sŽquestrer absolument du monde. È

La soeur Gertrude ne fut pas emmenŽe dans le nouveau logement, et ainsi toutes les exigences du Plerin semblaient satisfaites : cependant ˆ ses yeux la malade n'Žtait pas encore assez sŽparŽe du monde, et il fallait que la petite nice aussi fžt renvoyŽ ˆ Flamske. Ç Le Plerin demanda trs-simplement si elle ne pensait pas ˆ renvoyer l'enfant chez ses parents. Elle se mit ˆ gŽmir de ce qu'on ne voulait pas mme lui laisser l'enfant, ce ˆ quoi pourtant personne ne pense (!). È Le Plerin lui dit en plaisantant : Ç Je vous connais bien et je parie que vous seriez capable de reprendre votre soeur prs de vous. È Elle se mit ˆ pleurer. Certainement il ne s'Žtait pas trompŽ en comptant sur sa bontŽ : elle ne reprit pas sa soeur avec elle et elle renvoya l'enfant ˆ Flamske. Mais quel grŽ lui en sut le Plerin? Il se plaignit de nouveau : Ç Le retour de l'enfant chez ses parents lui donne tant d'inquiŽtudes et de soucis que toutes les visions sont mises de c™tŽ pour un peu de linge destinŽ ˆ faire des serre tte. Ainsi beaucoup de choses se perdent encore. En gŽnŽral, depuis qu'elle jouit du repos, elle fait ses communications avec plus de faiblesse et de langueur, ce qui est assez singulier, car le confesseur maintenant ne s'y oppose en rien, et mme l'y encourage ! È Et ailleurs : Ç Elle est trs-fatiguŽe et pourtant pleine de douceur ; mais elle raconte d'une manire dŽcousue (c'est-ˆ-dire, ˆ cause du grand effort qu'il lui faut faire, avec des interruptions et par fragments). Cela augmente de plus en plus depuis qu'elle jouit du repos de sa nouvelle demeure... Elle a eu de trs-belles visions sur les choeurs des anges : mais le rŽcit ne passe qu'aprs un travail domestique trs-insignifiant, une lessive, etc. Elle a aussi omis les visions les plus importantes par suite d'un entretien assez inutile avec le chapelain Niesing (que le Plerin appelle ailleurs son meilleur ami). È C'est par des -plaintes de ce genre que se cl™t le mois d'aožt, lequel pourtant avait fourni ˆ l'Žcrivain une moisson d'une richesse plus qu'ordinaire.

 

 

4. Plus d'un lecteur trouvera peut-tre inexplicable la condescendance presque passive de la malade en face des exigences du Plerin, et l'auteur du prŽsent livre l'avait aussi trouvŽe telle lorsqu'il prit d'abord connaissance des incidents relatŽs plus haut. Mais quand il s'est mieux rendu compte de la direction suivie par cette ‰me privilŽgiŽe, sa conduite lui a apparu sous un tout autre jour. Tout ce qu'elle avait ˆ supporter de la part du Plerin Žtait disposŽ par la Providence divine et placŽ sur le chemin de sa vie dans le mme but que toutes les autres circonstances que nous avons appris ˆ conna”tre jusqu'ici. Jamais elle ne reut de son guide spirituel l'injonction d'Žloigner le Plerin de son voisinage ou de rŽsister absolument ˆ tout ce que celui-ci voudrait lui persuader de faire. Dans les visions prŽalables, elle Žtait, il est vrai, prŽparŽe d'avance ˆ tout ce qui la menaait de ce c™tŽ : toutefois ce n'Žtait pas afin qu'elle se dŽrob‰t aux Žpreuves, mais pour qu'elle en triomph‰t par sa vertu. Un jour elle raconta ceci : Ç J'ai eu, en vision, extraordinairement ˆ faire avec le Plerin. Il fut obligŽ de me montrer son journal. Je ne pouvais pas comprendre comment il s'Žtait arrogŽ tant de droits sur moi et avait pris tant de libertŽs. Mais il me fut ordonnŽ de lui dire tout. Cela me parut Žtrange et j'en fus fort surprise parce qu'aprs tout, le Plerin n'est pas prtre. È

Elle Žtait donc convaincue qu'elle obŽissait uniquement ˆ la volontŽ de Dieu quand elle acceptait avec mansuŽtude les procŽdŽs les plus durs. S'il y a du reste des faits assurŽs o l'oeil faible des mortels puisse reconna”tre avec une entire clartŽ combien les voles de Dieu sont diffŽrentes de celles de l'habiletŽ et du calcul humain, ce sont prŽcisŽment les ŽvŽnements journaliers de la vie des personnes arrivŽes ˆ une haute perfection et favorisŽes de gr‰ces extraordinaires. Nous sommes accoutumŽs ˆ juger d'aprs la grandeur et le caractre merveilleux de leurs dons spirituels les rapports extŽrieurs dans lesquels Dieu les a placŽs afin qu'ils accomplissent leur t‰che dans ces circonstances et non dans celles qu'ils auraient choisies; nous voudrions en consŽquence que leur vie extŽrieure se rŽgl‰t sur leur vie intŽrieure parce que nous trouvons cela plus conforme ˆ l'ordre tel que le conoit notre intelligence si courte. Mais c'est lˆ une grande erreur et le Plerin y est tombŽ de son c™tŽ, lui qui, voyant Anne Catherine surabondamment comblŽe de gr‰ces extraordinaires, ne voulut jamais reconna”tre que ces dons sublimes n'Žtaient pas le but de sa vie, mais la rŽcompense de sa fidŽlitŽ dans les petites choses, de ses pratiques de chaque jour et de chaque heure, de ses victoires dans des combats qui se dŽrobaient souvent ˆ ses yeux, et que Dieu est plus glorifiŽ par des actes d'abnŽgation et de charitŽ parfaites, quoique cachŽs au monde parce qu'ils se font intŽrieurement, que mme par les miracles et les signes que ses Žlus pourraient opŽrer. Si nous appliquons cette mesure aux directions donnŽes ˆ Anne Catherine, sa condescendance envers les demandes du Plerin, la bontŽ, la douceur et la patience avec lesquelles elle supporte ses caprices et ses, exigences croissantes de jour en jour, nous appara”tront comme un enchantement des vertus les plus sublimes et comme la garantie de sa fidŽlitŽ envers Dieu : nous verrons dans le Plerin lui-mme un simple instrument dont les procŽdŽs perdent beaucoup de leur duretŽ apparente, lorsque nous considŽrons quelles intentions et quel zle pur leur servaient de mobiles. Quand elle lui raconta; le 14 fŽvrier, la vision sur les deux chÏurs de saints dont l'un priait pour qu'elle continu‰t ˆ vivre, l'autre pour sa dissolution, elle tait par humilitŽ qu'il avait ŽtŽ laissŽ ˆ son libre choix de dŽcider laquelle des deux prires serait exaucŽe : le rŽsultat devait dŽpendre de sa prire ˆ elle et du c™tŽ vers lequel elle inclinerait. Mais elle fut si Žmue par la vue soudaine d'une personne qui allait faire une fin malheureuse, ˆ moins d'un secours extraordinaire, qu'elle demanda ˆ rester encore ici-bas sur la voie de souffrances qu'elle avait suivie jusqu'alors, pour le salut de ceux qui se perdaient, et ˆ y marcher avec la mme fidŽlitŽ aux vues de Dieu sur elle. C'est pourquoi la premire manifestation de cette vie qui lui Žtait rendue fut un acte d'obŽissance envers le reprŽsentant de Dieu, puisqu'elle ne voulut prier ˆ genoux pour le mourant que si son confesseur le permettait. Et, cet acte, si insignifiant en apparence, Žtait plus que la vision qui ne pouvait lui tre octroyŽe qu'en vue d'une semblable fidŽlitŽ. Elle voyait dans le Plerin l'instrument des desseins de Dieu, au moyen duquel elle pouvait arriver ˆ exercer sans rel‰che les vertus les plus difficiles. Elle ne pouvait pas et ne voulait pas l'Žloigner d'elle : car il fallait qu'il fžt prs d'elle pour qu'elle pžt remplir compltement sa t‰che et c'est ce qui eut lieu en rŽalitŽ. Du reste ses visions et sa direction intŽrieure aussi bien que les ŽvŽnements du dehors, comme nous le verrons bient™t, indiquaient clairement qu'avec son entrŽe dans sa nouvelle demeure commenait aussi pour elle une nouvelle pŽriode de sa vie.

 

5. Le Plerin avait obtenu tout ce qui avait ŽtŽ si longtemps l'objet de ses dŽsirs : cependant il se sentit bient™t aussi peu satisfait qu'auparavant. Les anciennes plaintes se renouvellent. Peu de jours aprs la mort de l'abbŽ Lambert, il s'emporte dŽjˆ contre le P. Limberg pour n'avoir pas empchŽ les visites des anciennes consÏurs et d'autres personnes s'intŽressant ˆ Anne Catherine. Ç Aprs la mort du malade qui causait tant de dŽrangements, le calme qui en devait rŽsulter n'aboutira qu'ˆ crŽer un foyer de commŽrages et ˆ faire na”tre l'agitation la plus dŽraisonnable dans l'entourage. On ne prendra aucun moyen pour assurer du repos ˆ la malade et on ne parviendra pas non plus ˆ dompter sa soeur. Ainsi l'on pourra voir que ce n'Žtait pas Lambert qui mettait obstacle au bon ordre, mais qu'il soutenait encore comme une espce d'Žtai cet amas de dŽcombres sous lequel ce pauvre vermisseau malade a sa demeure et qu'avec la chute de cet Žtai tout tombe sur elle. Il n'y a nul ordre, nulle discrŽtion, mais seulement un empressement inintelligent dans tout ce qu'on cherche ˆ faire pour elle... Elle-mme reoit amicalement toutes les personnes qui la visitent et ne refuse d'en voir aucune. Et pourtant elle dŽsirait que personne ne v”nt la voir ! È Et un an aprs la mort de Lambert, le Plerin fait cet aveu : Ç Elle tŽmoigne souvent un vif regret que Lambert n'existe plus. Cela tient ˆ ce que, de son vivant, elle pouvait recevoir plus souvent la communion dont la privation lui est trs-pŽnible. Son plus vif attrait la porte uniquement vers les prtres qui peuvent la bŽnir et lui donner la nourriture. Et celui qui lui porterait chaque jour la communion deviendrait son unique et son meilleur ami. Tous les autres tŽmoignages d'affection ne semblent faire aucune impression sur elle. Comme le Plerin n'est pas un prtre qui puisse lui porter le sacrement, elle ne s'intŽresse pas ˆ lui ni ˆ ses efforts et va jusqu'ˆ dire nettement quand elle est dans son Žtat de faim et de langueur : Ç Je n'ai aucun secours, aucune consolation : le Plerin lui-mme est pour moi une fatigue, je le sens tous les jours davantage. È Quiconque conna”t sa situation peut dire qu'elle n'a jamais eu une vŽritable consolation, mais au contraire infiniment d'ennuis et dÕembarras. Du reste les plaintes qu'elle fait viennent seulement de la privation du Saint-Sacrement, dont elle a si grande faim. È

Wesener aussi se tenait ˆ l'Žcart, mais le Plerin fait cette remarque : Ç Le confesseur en est attristŽ. Le Plerin trouva la malade trs-abattue par suite de ce qu'elle avait eu ˆ souffrir la nuit. Elle dit qu'elle s'abandonnait entirement ˆ la volontŽ de Dieu : qu'elle ne ferait rien pour amŽliorer son Žtat. Mais elle semble dans un Žtat de tentation par suite de la cha”ne de lÕhabitude : car elle s'afflige, ˆ cause du confesseur de ce que les visites du mŽdecin sont interrompues; ce que Dieu peut-tre a disposŽ pour un plus grand bien. Ç Or c'Žtait ˆ cause, de la continuelle irritabilitŽ du Plerin que Wesener venait plus rarement pour Žviter de le rencontrer trop souvent prs de la malade.

La sÏur Gertrude est enfin congŽdiŽe et ˆ sa place on a pris une Žtrangre comme garde malade, mais cette soeur reste encore, ˆ Dulmen, elle vient toutes les semaines voir Anne-Catherine qui l'accueille avec bontŽ : bien plus celle-ci se fait tancer par le Plerin pour le mŽfait impardonnable qui consiste ˆ s'entretenir avec Gertrude et parfois ˆ pleurer avec elle. Combien, le Plerin, doit tre inconsolable de pareilles choses ! Et la garde de son c™tŽ n'est pas comme une ombre qui disparaisse sans bruit ˆ l'approche du Plerin. Oui, elle ose s'adresser ˆ la malade pour lui demander conseil et elle a par lˆ dessus le malheur d'tre trs maladroite et de nՐtre bonne ˆ rien. È Mais Ç l'insurmontable condescendance È de la malade fait que non-seulement elle la supporte patiemment; mais Ç qu'elle travaille et coud pour la vieille fille qui ne vient jamais ˆ bout de rien finir, en sorte que les visions les plus importantes sont laissŽes de c™tŽ. È Et encore Ç malheureusement aujourd'hui la malade est dans un triste Žtat, pleine de soucis et de chagrins et elle a de telles douleurs ˆ la place des stigmates que ses mains tremblent continuellement. En outre elle augmente encore sa fatiguŽ en bavardant avec la vieille fille et en travaillant ˆ l'aiguille, et les deux ou trois minutes accordŽes au Plerin ne sont pas sŽrieusement utilisŽes. On voit mme qu'elle n'a ni l'envie ni la volontŽ de raconter. Il faut toujours solliciter comme ferait un mendiant. Et le Plerin ne rŽclame que quand elle voudrait parler d'autres choses tout ˆ fait indignes de l'occuper. Chaque jour il se fait des pertes irrŽparables. Elle-mme est un simple miroir qui, lorsqu'elle parle pendant la vision, rend parfaitement ce qu'elle voit: Si elle raconte, Žtant ˆ l'Žtat de veille, alors elle passe sous silence ce qu'il y a de plus important, soit par ennui de raconter, soit par suite de prŽjugŽs ou de scrupules de toute espce. Elle a toujours sous la main une excuse fort commode : Ç cela; dit-elle, est dans l'Ecriture sainte : È et le Plerin a beau rŽpŽter mille fois que non; elle ne cesse pourtant pas d'y revenir: Elle ne semble pas tenir compte de la fatigue du Plerin. Tout reste comme par le passŽ. Bien plus, elle s'est plainte au chapelain Niesing que le Plerin la fatigue par ses importunitŽs, tandis qu'au contraire celui-ci la mŽnage ˆ l'excs. Le Plerin ne peut voir dans ces plaintes que de pures imaginations, ne doit-il pas tre affligŽe que tant de choses se perdent ? Elle sent qu'il en est tout contristŽ et cela augmente la difficultŽ qu'elle trouve ˆ raconter. È Enfin le Plerin est aussi irritŽ contre la pauvre vieille fille qu'il l'avait ŽtŽ prŽcŽdemment contre Gertrude. Ç Il n'y a autour de la malade que dŽsordre et confusion, c'est ˆ dŽgožter ! È s'Žcrie-t-il au bout d'un an. Par suite de son impuissance totale ˆ s'aider elle-mme, de ses innombrables souffrances intŽrieures et des dŽsagrŽments extŽrieurs qui rŽsultent de la grossiretŽ et de la stupiditŽ de la vieille fille, elle est avec ses maux d'yeux et ses terribles vomissements une vŽritable image de la douleur, mais plus il serait possible de lui venir en aide, plus il est rŽvoltant de la voir ainsi souffrir. Il n'y aurait rien ˆ faire qu'ˆ renvoyer la vieille fille et ˆ prendre une servante entendue et humble, mais le confesseur s'y refuse toujours.

 

6. En se plaignant qu'Anne-Catherine ressemble dans la contemplation ˆ un simple miroir o aucune image ne se perd et qu'ˆ l'Žtat de veille elle passe beaucoup de choses sous silence, le Plerin a trahi le motif secret de ses efforts pour bannir de son voisinage tout ce qui pourrait l'interrompre pendant la contemplation. Ce zle excessif lui faisait oublier que ce n'Žtaient pas les visions, mais la pratique de l'amour de Dieu et du prochain qui servaient ˆ sanctifier la malade et qu'aucun mortel ne peut possŽder la lumire prophŽtique sans des vertus et des souffrances extraordinaires. Il ne sentait pas qu'il combattait contre l'ordre voulu de Dieu et c'est pourquoi l'insuccs inŽvitable de ses plans rendait cet homme, malgrŽ son bon coeur, irritable et dur envers tous ceux qui, dans son opinion, mettaient obstacle ˆ ce que les visions lui fussent racontŽes pendant la contemplation mme. Bien plus, il n'Žpargne aucun reproche ˆ la malade elle-mme lorsqu'il voit que sa bienveillance et sa bontŽ envers tous est cause que les visites ne diminuent pas. Presque tous les jours, il voit de ses yeux comment, oubliant ses propres souffrances, elle reoit tous les pauvres, tous ceux qui cherchent des consolations ou de l'assistance, avec une bienveillance si parfaite et si sincre que personne ne peut la quitter sans tre consolŽ. Elle tressaille quelquefois involontairement et laisse Žchapper de faibles plaintes, s'il lui vient des visiteurs lorsqu'elle est en proie ˆ des souffrances plus qu'ordinaires, mais pourtant son admirable amour du prochain est plus fort que toutes les peines qu'elle a ˆ endurer. Elle surmonte ˆ l'instant mme les rŽpugnances de la faiblesse humaine, elle reoit la force nŽcessaire pour servir Dieu dans la personne du prochain et pour accomplir, en le servant ainsi, quelque chose d'incomparablement plus grand qu'en contemplant les visions qui lui sont prŽsentŽes. Mais c'est ce que le Plerin ne veut pas comprendre; de lˆ des explosions, de plaintes comme celles-ci : Ç Tout s'est perdu aujourd'hui ! La malade, presqu'ˆ l'agonie, a ŽtŽ assiŽgŽe de visites, personne ne leur refuse l'entrŽe. Et elle-mme les accueille amicalement. Mais quand les visiteurs sont ˆ la porte, elle se meurt dans les souffrances et les tortures d'une cruelle maladie. On ne peut prendre la responsabilitŽ de tout cela, car toutes ces personnes n'ont rien ˆ lui dire, mais la malade rassemble ses forces et fait en sorte que les gens croient tre les bienvenus. Qu'en rŽsulte-t-il ? La perte de toutes les visions. Elle gŽmit le soir de ne pouvoir plus rien raconter. Le Plerin n'a jamais vu qu'elle ait dŽclinŽ la moindre visite pour communiquer ses visions. È Et encore. Ç Elle Žtait malade et dans un Žtat pitoyable. Elle pleurait parce que des visites allaient venir. Et pourtant elle reoit ces gens, jase avec eux et leur fait mme des cadeaux. È

Quoique les propres frres et les plus proches parents d'Anne Catherine ne vinssent que trs-rarement dans l'annŽe passer deux ou trois jours ˆ Dulmen et missent la rŽserve la plus discrte dans leurs rapports avec la malade, le Plerin, pourtant, en venait ˆ se regarder comme trs-malheureux lorsque cela arrivait. La malade, il est vrai, s'entretenait avec eux, se faisait raconter leurs soucis et leurs arrangements domestiques. Ce sont lˆ des mŽfaits o le Plerin voit une infidŽlitŽ impardonnable ˆ la mission de sa vie. Son frre a”nŽ a pour fils un trs-bon jeune homme qui veut se faire prtre. Ce jeune homme se permet, tous les ans, de passer prs de la malade une partie de ses vacances: celle-ci a pour lui la sollicitude d'une mre spirituelle afin qu'il soit un jour un bon prtre; mais tant que le timide neveu rŽside ˆ Dulmen, la malade et lui sont forcŽment dans une inquiŽtude continuelle et tremblent que la colre pŽniblement contenue du Plerin ˆ propos " des dŽrangements " n'en vienne ˆ un Žclat douloureusement blessant. Ç Son neveu et sa nice aussi, dit-il, sont ici de nouveau. Elle est, sans la moindre nŽcessitŽ, prŽoccupŽe, affairŽe, troublŽe ˆ leur occasion ! Elle leur fait des tartines de beurre, leur coupe des tranches de jambon, leur verse du cafŽ. C'est pour de pareilles choses qu'elle laisse tout s'Žchapper. Plus elle a vu et moins elle dit. Il faut au Plerin une patience de fer pour persŽvŽrer au milieu d'un tel dŽsordre, quand il n'y a ni surveillance, ni rŽgularitŽ. È Elle pleure de la colre injuste du Plerin et dit : Ç J'ai toujours des visions pendant que j'ai ˆ

Travailler ici. Il faut que j'aie mon neveu (note) prs de moi afin qu'il ne tombe pas dans le pŽchŽ, quÕil ne sente pas le poids de sa pauvretŽ et ne devienne pas orgueilleux.

 

 

(note) Le Plerin observe ˆ ce sujet trs-injustement : Ç raisons donnŽes d'une manire trs-confuse, consŽquence absurde ! È Et pourtant combien ces paroles sont vraies et profondes ! Nulle part l'orgueil n'est plus dangereux et plus opini‰tre que chez l'homme nŽ dans une condition basse et indigente qui porte son fardeau avec irritation et avec honte, mais qui sait, qu'en changeant d'Žtat, il peut franchir rapidement le large intervalle qui le sŽpare d'une position supŽrieure.

 

Je ne dois pas non plus renvoyer l'enfant (sa nice) aux paysans : car je vois toutes ses dispositions et je sais ce qui l'attend si je la laisse ˆ Flamske. J'ai des visions touchant sa vie future et j'ai ˆ prier et ˆ travailler pour qu'elle Žchappe aux dangers dont son ‰me est menacŽe. La comtesse de Galen a la bontŽ de vouloir prendre l'enfant chez elle, mais je ne sais pas si je dois accepter cette faveur. È Quel est d'effet de ces paroles si conciliantes ? Un nouvel accs de mauvaise humeur car voici comment parle le Plerin : Ç Que le neveu ne veuille pas rester chez ses parents et l'enfant non plus, c'est chez le premier un sot amour-propre, chez l'autre l 'effet des habitudes qu'elle a prises ailleurs. È Mais les exigences du Plerin allaient encore plus loin : il ne voulait pas qu'Anne Catherine s'occup‰t, mme en pensŽe, de son neveu et de sa nice.

 

8 septembre 1822 : Ç C'est aujourd'hui son jour de naissance. Elle est entravŽe, dŽrangŽe par son rustique neveu des dŽfauts duquel elle parle volontiers: mais si le Plerin indique des moyens d'y remŽdier, elle se choque facilement. Elle a dit, pendant que ce neveu se promenait dans la chambre, qu'elle ne pouvait rien raconter aujourd'hui. Le Plerin en a eu du chagrin : il lui a rappelŽ sa promesse de lui tout raconter et il s'est retirŽ. Elle a ŽtŽ trs-malade et elle a vomi. Le soir le Plerin, par l'intermŽdiaire du confesseur, a fait persuader au neveu de quitter Dulmen pour un voyage ˆ pied. È

 

9 septembre. " Le neveu est parti. Elle est occupŽe intŽrieurement de sa nice et de son neveu : elle est distraite et accablŽe de soucis inutiles. "

 

13 octobre. Ç La nice part pour retourner chez ses parents. Grand trouble intŽrieur. È

 

14 octobre : Ç Elle est un peu plus calme : mais elle a encore l'esprit occupŽ de sa nice. È

 

Le rŽsultat ultŽrieur a montrŽ qui Žtait dans le vrai et qui agissait en conformitŽ avec les desseins de Dieu clairement reconnus : car ce neveu, aidŽ par la bŽnŽdiction et les prires de la malade, devint un des ornements du clergŽ de Munster auquel il fut enlevŽ trop t™t par une mort prŽmaturŽe, au grand regret de tous les gens de bien.

 

20 octobre 1822. Ç Vomissements trs-forts avec accs de toux convulsive. Lorsqu'elle est en train de raconter la vie de JŽsus, arrive son frre le tailleur; et quoique cette visite soit tout ˆ fait superflue et importune, le Plerin est obligŽ de se retirer comme si c'Žtait le Pape. Quand sa soeur vient, elle lui fait ordinairement signe de s'enfuir. Ainsi le sŽrieux travail auquel le Plerin a dŽvouŽ sa vie doit cŽder la place ˆ la premire servante venue, ˆ la causerie la plus inutile, et le Plerin a appris ˆ ne jamais faire mauvaise mine quand de telles occasions se prŽsentent. A ce frre vient se joindre encore un paysan et ils restent assis-lˆ jusqu'au d”ner. Le soir encore Mme Wesener est venue et il n'est restŽ au Plerin qu'une petite heure pour recueillir les dŽbris de visions perdues. Ainsi, depuis plusieurs annŽes, rien ne s'est amŽliorŽ dans ses rapports avec le dehors. Jamais elle n'a jugŽ que ces graves communications fussent une raison de faire attendre un instant la visite la plus insignifiante. Il faut que ces choses d'un intŽrt si sŽrieux se perdent ˆ l'occasion de l'incident le plus futile. Tout reste en suspens, mais sa vie spirituelle et contemplative poursuit son cours sans interruption ! È

Ç Une bonne vieille parente est venue la visiter aujourd'hui. Elle se trouve trs-malheureuse de ne pouvoir lui offrir du cafŽ, ˆ cause de l'absence de la vieille fille. Celle-ci est ˆ l'Žglise: la vieille parente se rŽjouit de pouvoir faire le chemin de la croix Žtant encore ˆ jeun, mais la malade jase encore avec le jeune paysan, son neveu, et laisse les visions s'Žchapper. Oui ! elle jase gaiement avec la vieille. C'est merveille qu'il reste encore ce qui suit pour le Plerin... È

 

Ç A peine le Plerin a-t-il subi, avec une impatience qui le met au supplice, des rŽcits embrouillŽs touchant sa maladie et les soucis qui la prŽoccupent (or tout cela est un vrai labyrinthe parce qu'elle ne dit jamais les causes intŽrieures), qu'arrive le vicaire Hilgenberg avec lequel elle cause sur des riens et tout est perdu pour le Plerin... È

Mais quand le Plerin introduit lui-mme des visiteurs auprs de la malade, ou quand elle reoit des visites qu'il trouve agrŽables, il n'a garde de se plaindre. Par exemple: Ç chose remarquable, Žtant presque incapable d'ouvrir la bouche, elle fut rassŽrŽnŽe par, la venue de N. N. et put, une heure durant, s'entretenir suffisamment avec lui. Aprs cela elle Žtait plus morte que vive, tant sa fatigue Žtait extrme. È Et encore : Ç Le frre du Plerin vint et ses nombreux et intŽressants rŽcits apportrent quelque trouble dans le courant paisible de ses communications... È Ç Les visions de la nuit se sont perdues par suite de la visite que le frre du Plerin a faite ˆ la malade dans la matinŽe. L'effort qu'elle a fait pour s'entretenir avec lui l'a tellement ŽpuisŽe qu'elle a vomi du sang lorsqu'il s'est retirŽ. Gr‰ce ˆ Dieu, le repos de la matinŽe n'est pas troublŽ intŽrieurement par lˆ, non plus que celui du Plerin. È

 

7. La vision o la vie avait ŽtŽ donnŽe de nouveau ˆ Anne Catherine et o elle avait eu ˆ prier pour un mourant dont l'‰me se serait perdue sans son secours, signifiait que dorŽnavant la partie la plus importante de ses oeuvres de charitŽ envers le prochain consisterait ˆ prŽparer les agonisants ˆ une bonne mort en prenant sur elle leur Žtat quant au corps et quant ˆ l'‰me. Elle n'avait donc pas seulement ˆ prendre sur elle, ˆ combattre et ˆ surmonter les maladies et les souffrances physiques des mourants, mais aussi leurs infirmitŽs spirituelles, les consŽquences de mauvaises habitudes ,et de passions ayant durŽ de longues annŽes avec les tentations dont elles Žtaient la source. Le secours des saints dont les reliques se trouvaient dans son "Žglise" lui fut promis pour cette pŽnible lutte. – Elle dit le 30 aožt 1821 : Ç J'ai eu une merveilleuse vision de toutes les reliques qui sont prs de moi. Je les vis toutes selon leur forme, les couleurs de leur enveloppe et le nombre des parcelles. Alors tous les saints sortirent de leurs reliques et se rangrent autour de moi selon les hiŽrarchies auxquelles ils appartenaient. Je les reconnus tous et je vis les scnes de leur vie. Il y avait entre les saints et moi une grande table (note) couverte de mets cŽlestes et les ossements disparurent.

 

(note) Cette table signifie les secours et les consolations qu'elle doit recevoir des saints.

 

Je chantai avec les saints le Lauda Sion (note) avec accompagnement d'une musique cŽleste : je vis les instruments dont jouaient plusieurs saints.

 

(note) Le chant du Lauda Sion se lie ˆ la t‰che donnŽe ˆ Anne Catherine et en vertu de laquelle il lui faut amener ˆ leur accomplissement pour tant de mourants les paroles de l'hymne :

 

Bone pastor, panis vere,

Jesu, nostri miserere;

Tu nos pasce, nos tuere,

Tu nos bona fac videre

ln terra viventium.

 

 

Il y avait aussi lˆ beaucoup d'enfants bienheureux. J'Žtais trs-triste pendant cette vision : c'Žtait comme si les saints me faisaient leurs adieux :ils montraient une affection touchante envers moi parce que je les avais honorŽs et aimŽs et je compris intŽrieurement que je ne devais plus avoir si souvent les visions provoquŽes par des reliques parce que d'autres travaux me sont rŽservŽs. Les saints se retirrent aux sons de la musique cŽleste, faisant volte-face et me tournant le dos.

 

 

 

Je courus aprs eux et je voulus encore voir les traits de la dernire apparition : c'Žtait sainte Rose ; mais elle disparut. Cependant, la Mre de Dieu, saint Augustin et saint Ignace de Loyola vinrent ˆ moi et me donnrent des consolations et des instructions que je ne puis pas rŽpŽter. È

-Ces instructions se rapportaient aux nouveaux travaux par la souffrance, car, peu de jours aprs, le Plerin eut ˆ rendre compte d'un Žtat de la malade qu'il nÕavait jamais vu chez elle et qu'il trouva incomprŽhensible et tout ˆ fait Žtrange. Ç Depuis le 29 aožt, dit-il, elle passa dÕune maladie ˆ lÕautre ;ce fut une alternative de convulsions, de sueurs, de douleurs dans les membres et aux plaies. Souvent, elle semblait ˆ toute extrŽmitŽs dans les intervalles, abattue et fatiguŽe comme elle l'Žtait, elle avait ˆ combattre les tentations les plus insensŽes, ,des inquiŽtudes extravagantes touchant la nourriture, etc. Le 2 septembre, dans lÕaprs-midi, ces luttes amenrent chez elle un dŽlire bien caractŽrisŽ. Il vint une nouvelle attaque de ses souffrances corporelles, elle Žtait ˆ la fois ˆ l'Žtat de veille et clair-voyante et elle faisait entendre des plaintes incessantes comme celle-ci : Ç Cela ne peut pas aller plus loin, je nÕai jamais ŽtŽ aussi pauvre. Je ne puis pas payer mes dettes. Tout est perdu, l'intŽrieur et l'extŽrieur. È et encore dÕautres extravagances. Avec cela elle n'Žtait pas de mauvaise humeur, mais prenait la chose presque gaiement, car elle secouait la tte, dŽsirait voir bien loin ces sottes pensŽes et traitait dÕinsensŽs les discours quÕelle tenait. Elle rŽpŽta aussi devant la ma”tresse de la maison ces paroles dŽlirantes, mais en mme temps elle sÕexcusa de sa dŽraison, demanda

pardon, dit qu'elle Žtait au supplice et dans un grand trouble. Vint ensuite une nuit de cruelles souffrances. Les attaques durrent jour et nuit jusquՈ la soirŽe du 4. Elle les combattit si fortement que dans la matinŽe elle tomba en dŽfaillance. Son dŽlire portait sur ce quÕelle nÕavait pas d'argent, qu'elle ne pouvait subvenir ˆ ses besoins et que pour cela elle n'avait personne sur qui compter. È Le Plerin termine ce rŽcit par ces mots : " C'est une des Žpreuves les plus propres ˆ bouleverser que de voir une personne si favorisŽe de Dieu dans un tel Žtat de dŽtresse, de misre et d'infirmitŽ quand la gr‰ce se dŽtourne d'elle. Mais, par suite de toutes ces rveries, les visions les plus importantes se perdent. Quel pauvre vaisseau est l'homme ! Combien Dieu est misŽricordieux et patient avec lui! "

Pourtant la gr‰ce ne s'Žtait pas ŽloignŽe d'elle comme le croyait ˆ tort le Plerin et elle n'avait pas ŽtŽ dans le dŽlire, ni dans la rverie, mais elle avait livrŽ victorieusement un rude combat contre les passions d'un mourant et ˆ la place de celui-ci qui, sans les expiations extraordinaires d'une personne substituŽe ˆ lui, n'aurait pu dŽlivrer son ‰me de soucis et d'attachements immodŽrŽs qui l'encha”naient aux choses de la terre et dans lesquels il Žtait restŽ captif pendant toute sa vie. Anne Catherine avait pris sur elle la violence de ces passions, luttŽ contre elles, triomphŽ d'elles et affranchi par lˆ les forces morales du mourant, devenu ds lors capable de coopŽrer avec la nouvelle gr‰ce qu'elle lui avait obtenue et de s'occuper avec fruit de pensŽes salutaires.

Cette terrible tache lui avait ŽtŽ dŽjˆ annoncŽe pour la premire fois, le jour de l'Assomption, dans une vision dont elle raconta ce qui suit : " Je vis cŽlŽbrer l'Assomption de Marie dans l'ƒglise du ciel. Je vis la Mre de Dieu enlevŽe de lՃglise de la terre, situŽe plus bas, par des anges innombrables, portŽe comme sur une couronne formŽe de cinq arceaux et planant au-dessus de l'autel. La sainte TrinitŽ s'abaissa du haut des cieux et posa une couronne sur la tte de Marie. Les choeurs des saints et des anges environnaient l'autel o des ap™tres cŽlŽbraient le service divin; ces choeurs Žtaient rangŽs comme les chapelles latŽrales d'une Žglise. Je reus le saint Sacrement et Marie vint ˆ moi, puis, comme sortant d'une chapelle latŽrale, vint saint Ignace en l'honneur duquel j'ai fait, cette semaine, un exercice de dŽvotion spŽcial. Il me fut dit que si mon confesseur me l'ordonnait au nom de JŽsus, je me lverais et pourrais de nouveau marcher, mme quand je serais tout ˆ fait malade et dans le plus triste Žtat. J'Žtais trs impatiente que cela arriv‰t et je rŽpondis: " Pourquoi pas ˆ prŽsent (note)? " alors j'entendis ˆ ma droite une voix semblable ˆ celle de mon Žpoux cŽleste qui disait : Ç Tu es ˆ moi: pourquoi faire ces questions, si je le veux ainsi et non autrement. È

 

 

(note) Cette impatience est la joyeuse aspiration vers la t‰che liŽe ˆ la possibilitŽ de marcher, et qui consiste ˆ prŽparer les mourants ˆ faire une bonne mort, t‰che qu'elle ne doit accomplir, comme ses autres travaux, que sur la voie et par les moyens voulus de l'ƒglise, c'est-ˆ-dire par l'obŽissance ˆ son confesseur.

 

 

Lorsqu'elle donna connaissance de cette vision ˆ son confesseur, celui-ci rŽpondit qu'avant de donner cet ordre, il lui fallait tre assurŽ que c'Žtait la volontŽ de Dieu quÕil risqu‰t une chose aussi grave.

 

8. La promesse touchant la facultŽ de marcher s'accomplit le jour de la NativitŽ de la sainte Vierge. Voici ce qu'elle raconta : " La veille de la fte, je fus en proie ˆ de grandes douleurs, j'eus de violentes convulsions, cependant je ressentais une joie intŽrieure. J'eus aussi une trs-mauvaise nuit : mais ˆ trois heures du matin, ˆ l'heure o la sainte Vierge fut mise au monde , elle m'apparut et me dit que je me lverais et que je pourrais marcher un peu. Je l'aurais pu dŽjˆ le jour de l'Assomption ou celui de la fte de saint Augustin, si mon confesseur me l'avait ordonnŽ mais maintenant c'Žtait par elle que cela devait se faire. Je dois dans cet Žtat, faire et souffrir en son honneur tout ce qui se prŽsentera. Elle ajouta que je ne redeviendrais jamais tout ˆ fait bien portante, ni capable de manger et de boire comme dÕautres personnes, mais que jÕaurais encore ˆ supporter beaucoup de maladies et de souffrances ; elle dit encore que les gr‰ces qui ont ŽtŽ dŽparties aux hommes le jour de sa naissance continuent ˆ se rŽpandre sur eux, maintenant encore, et que je devrais prier pour la conversion des pŽcheurs. Je ne devrais non plus essayer de marcher quÕen prŽsence de mon confesseur : mais il ne fallait me laisser arrter par aucun doute. Je fus remplie de joie, mais plus faible et plus malade quÕauparavant : jÕeus des crampes et des douleurs encore plus fortes, surtout dans la poitrine. Mais la sainte Vierge me dit :  Ç Je te donne la force È et, au moment o elle parlait, sa parole sortit substantiellement de sa bouche pour entrer dans la mienne sous la forme et avec le gožt dÕun aliment dŽlicieux.

Je me mis aussit™t ˆ prier, suivant son ordre; pour la conversion des pŽcheurs qu'elle me montra et dont je vis quelques-uns devenir contrits. J'eus encore une vision le matin, aprs que mon confesseur m'eut donnŽ la sainte communion. Je vis la sainte Vierge, sainte Anne, saint Joachim, saint Joseph, saint Augustin et saint Ignace. La sainte-Vierge me releva sur mes pieds, je crus marcher autour de la chambre, soutenue par tous ces saints, et ce fut comme si tout m'y aidait et se prtait ˆ mes mouvements, le plancher, la table et les murailles: Je ne sais pourtant pas si je me suis levŽe, corporellement ou seulement en vision. È

Vers midi, elle demanda ˆ son confesseur la permission de se lever et de marcher. Il doutait encore et lui reprŽsenta son extrme faiblesse : mais elle lui redit la promesse quÕelle avait reue; alors, il donna la permission. Elle se couvrit de son manteau avec un joyeux empressement, descendit du lit, marcha ˆ travers la chambre comme un enfant dont les pas sont mal assurŽs et alla sÕasseoir sur une chaise. Elle paraissait ŽpuisŽe de fatigue; mais ivre de joie. La lumire qui tombait sur son visage et ˆ laquelle elle n'Žtait pas habituŽe, l'Žblouit. Elle Žtait trs dŽpourvue de force, et il fallut la soutenir pour qu'elle pžt faire encore quelques pas dans la chambre. Elle souffrait beaucoup ˆ l'endroit des stigmates; aux pieds, aux mains et, au c™tŽ: Elle se mit ensuite sur le fauteuil ˆ bras ; se montra trs joyeuse et trs Žmue et ne revint ˆ son lit que le soir.

Elle prit ds lors trs sŽrieusement l'habitude de se lever, et de marcher, ce qui, ˆ raison des diverses infirmitŽs de soir corps martyrisŽ, lui occasionnait de grandes fatigues, mais elle y voyait un, ordre auquel elle s'efforait d'obŽir chaque jour dans la mesure de ses forces. Toutefois-elle se tra”nait si pŽniblement autour de sa petite chambre que le Plerin; pour la soulager, lui procura une paire de bŽquilles: ce dont il parut bient™t avoir du regret; car il craignait que ses efforts pour marcher nÕapportassent un nouvel obstacle ˆ la communication des visions. Un jour qu'ayant une crainte de ce genre, il bl‰mait la malade de ce qu'une personne comblŽe de si grandes gr‰ces pouvait se montrer impatiente d'essayer une misŽrable promenade de quelques pas, faite, non sans danger, avec des bŽquilles ; elle lui rŽpondit : Ç J'ai vu la plus parfaite des crŽatures, la sainte Vierge quand elle Žtait au temple, demander plusieurs fois avec impatience ˆ la prophŽtesse Anne : Ç Quand donc l'enfant viendra-t-il au monde? Ah ! si du moins je pouvais voir l'enfant! Ah ! si du moins j'Žtais vivante quand l'enfant, na”tra ! È Alors Anne paraissait mŽcontente et disait : Ç Ne me trouble pas dans mon travail ! Je suis ici dŽjˆ depuis soixante-dix ans, il faut que j'attende l'enfant jusqu'ˆ cent ans! Et toi, tu es si jeune, tu n'attendras pas ! È Et Marie pleurait souvent, consumŽe par son ardent dŽsir. È

Le Plerin ne comprit pas le sens profond de cette touchante rŽponse, quoiqu'il ne fžt pas difficile ˆ saisir. Elle voulait en effet lui donner ˆ entendre qu'elle n'Žtait pas impatiente de marcher avec des bŽquilles, mais qu'elle Žtait impatiente de secourir les ‰mes pour lesquelles seules la facultŽ de marcher et de manger lui avait ŽtŽ donnŽe.

Voici ce qu'il rapporte, ˆ la date du 1er novembre : Ç Depuis quelques semaines la malade trouve plus de facilitŽ ˆ se lever, ˆ marcher ˆ l'aide de bŽquilles, ˆ se tenir assise et ˆ coudre. Elle arrive aussi ˆ s'habiller entirement de ses propres mains. Elle peut prendre du potage et un peu de cafŽ. Dans les derniers jours d'octobre , elle a sucŽ des carottes. È

Pendant que l'entourage de la malade considŽrait ces phŽnomnes extŽrieurs comme une amŽlioration purement naturelle dans son Žtat physique et l'exercice qu'elle faisait en marchant comme une marque de son dŽsir d'tre guŽrie, tout cela Žtait, suivant l'ordre voulu de Dieu, une oeuvre d'expiation douloureuse accomplie pour le salut des ‰mes.

Elle ne se borne plus simplement ˆ endurer de grandes souffrances afin d'obtenir pour des pŽcheurs impŽnitents ou pour d'autres personnes qui s'approchent des sacrements avec des dispositions dŽfectueuses ou mauvaises la gr‰ce efficace d'un repentir proportionnŽ ˆ la grandeur des fautes, d'une contrition vŽritable et d'une humble et sincre confession, mais elle est comme substituŽe ˆ ces personnes, quant ˆ leurs souffrances, aux dangers que court leur ‰me, par consŽquent, quant aux tentations et au vif attrait vers certains pŽchŽs qu'Anne Catherine doit combattre ˆ fond, indŽpendamment des attaques de l'esprit malin. A cela se lie l'acceptation de toutes les suites extŽrieures, souvent honteuses, de ces pŽchŽs d'habitude qui alors psent de tout leur poids sur l'instrument d'expiation substituŽ aux vrais coupables jusqu'ˆ ce que le combat soit suivi de la victoire. Elle ne put raconter que ce qui suit d'une grande vision concernant cette substitution. Ç J'ai eu une vision qui m'a montrŽ pourquoi j'avais tant de maladies. Je vis JŽsus appara”tre avec une taille gigantesque entre le ciel et la terre. Il avait la mme, figure et le mme vtement que lorsqu'il fut livrŽ aux insultes de ses ennemis. Mais il avait les mains Žtendues et pesait sur le monde : c'Žtait la main de Dieu qui pesait ainsi sur lui. Je vis, sous forme de rayons colorŽs, le malheur, la souffrance et la douleur descendre sur beaucoup de personnes de toutes conditions; je vis aussi que, quand j'Žtais saisie de pitiŽ et que je priais, des torrents entiers de douleurs les plus variŽes se dŽtournaient de la masse, pŽnŽtraient en moi et me torturaient de mille manires ; la plus grande partie me venait de personnes de ma connaissance. C'Žtait JŽsus, mais toute la sainte TrinitŽ Žtait intŽrieurement dans cette apparition. Je ne la vis pas, mais j'en eus le sentiment. È

Un fait qu'elle raconta le 18 fŽvrier 1823 montre de quelle force elle Žtait armŽe pour sa tache et combien cette force Žtait accrue par ses souffrances et ses vaillantes luttes : Ç Je parlais ˆ mon confesseur, dit-elle, et j'Žtais dans l'Žtat de veille naturel. Tout ˆ coup je me sentis tomber en dŽfaillance et ce fut comme si j'allais mourir. Mon confesseur s'aperut de cet Žtat et dit : " Qu'est-ce que cela peut signifier ? " Je lui dis que je sentais qu'une force sortait de moi, et je vis cette force sous forme de rayons s'en aller au loin et se rŽpandre sur vingt personnes. J'en vis quelques-unes ˆ Rome, d'autres en Allemagne, d'autres dans notre pays. Je vis ces hommes appelŽs ˆ combattre contre une puissance formidable : leur courage fut ranimŽ par cette effusion de force. Cela me fit plaisir. Je vis alors la prostituŽe de Babylone venir ˆ moi sous une forme rŽvoltante pour la pudeur. Elle portait ˆ la main son pourpoint bariolŽ chamarrŽ de rubans, et la force qui Žtait encore en moi se dirigea vers elle. Cela me causa d'abord beaucoup de rŽpugnance : mais cette force la contraignit de se recouvrir de son pourpoint, puis avec chaque rayon ŽmanŽ de cette force je nouai l'un aprs l'autre tous les rubans de son pourpoint en faisant des nÏuds de plus en plus serrŽs, si bien que tout ce qu'elle portait en elle fut comprimŽ et ŽtouffŽ. C'Žtaient mille plans formŽs par l'impiŽtŽ contre l'ƒglise, plans qu'elle avait conus dans ses accointances avec les esprits du monde et du sicle. È

Dans cette substitution aux mourants et cette lutte contre les dangers que courait leur ‰me, Anne Catherine apparaissait comme une personne double: tant™t elle Žtait comme surmontŽe par la tentation ou par l'attraction violente vers le pŽchŽ contre laquelle elle luttait pŽniblement, tant™t elle Žtait comme l'image de la paix et du repos. On voyait alors jusque sur les traits de son visage, dans sa parole, dans son geste, dans le ton de sa voix, se peindre le caractre de la personne Žtrangre pour laquelle elle avait entrepris la lutte, jusqu'ˆ ce que la puretŽ de son coeur brill‰t comme un rayon de soleil ˆ travers les nuages et rŽvŽl‰t que rien n'avait terni le miroir de son ‰me. On peut se reprŽsenter ce double Žtat si l'on se figure un homme pratiquant le ježne et la pŽnitence qui, pour sauver un ivrogne d'une chute inŽvitable dans l'ab”me, prend sur lui-mme l'Žtat d'ivresse malgrŽ le dŽgožt et l'horreur qu'il en a. Quoiqu'il ne perde pas par lˆ la conscience de lui-mme, il se trouve pourtant comme liŽ par une force Žtrangre contre laquelle il lui faut lutter avec les plus grands efforts afin de ne pas tre entra”nŽ dans le vertige, et il lui faut combattre en mme temps la rŽpugnance involontaire que lui inspire l'Žtat qu'il a pris sur lui. Alors deux choses se manifestent en lui nŽcessairement et simultanŽment : l'Žtat de l'homme sobre et l'Žtat d'ivresse. Un jour qu'Anne Catherine voulait rendre compte de ce qu'elle ressentait dans cet Žtat de souffrance, elle dit : Ç Il me semble que je suis double, qu'il y a sur ma poitrine une image en bois de moi-mme, laquelle parle sans que je puisse l'en empcher (c'est-ˆ-dire par laquelle l'Žtat empruntŽ de dŽsespoir, d'impatience, d'intempŽrance, etc., arrive ˆ s'exprimer par des paroles). En rŽflŽchissant lˆ-dessus; je vois que je dois laisser les choses aller ainsi, que l'image doit mieux savoir que moi ce qu'elle a ˆ faire et qu'elle doit rŽpondre pour moi. Dans cet Žtat, l'autre conscience qui est en moi a comme le gosier comprimŽ. È

Souvent je ne sais plus que faire pour rŽsister aux nombreuses visions qui me remplissent d'angoisse et de terreur. Ce ne sont pas des attaques soudaines ou de simples pensŽes, mais des scnes entires que je vois et que j'entends, qui tendent ˆ m'attirer, ˆ m'effrayer, ˆ m'irriter : en sorte qu'il me faut combattre de toutes mes forces pour ne pas succomber. Des personnes et des ŽvŽnements me sont montrŽs en vision : il me faut voir les plans suivant lesquels telle ou telle chose se fait, contre moi : j'entends le rire insultant de l'ennemi et il me faut lutter trs-pŽniblement pour reconna”tre que tout cela se fait parce que Dieu le permet, pour ne pas me laisser abattre et pour repousser l'ennemi avec ses mensonges. Quand toutes ces visions m'excitent ˆ l'impatience, l'approche de mon confesseur, une parole de consolation de sa part, sa bŽnŽdiction sont pour moi un secours momentanŽ; mais l'impatience de mon entourage (c'est-ˆ-dire les plaintes Žternelles du Plerin) m'est dans ces moments-lˆ plus pŽnible encore qu'ˆ l'ordinaire. "

" On m'a prŽsentŽ un grand miroir avec un magnifique cadre dorŽ, mais o je n'ai pu voir que des choses qui devaient m'exciter ˆ la colre. Je me scandalisai ˆ la vue de ce vaniteux miroir et je cachai mon visage dans les oreillers pour ne pas tre obligŽe de le voir : mais il restait toujours devant moi. A la fin je le saisis, je le jetai contre terre et je dis : Ç Qu'ai-je ˆ faire avec la pompe d'un tel miroir? È Mais il tomba mollement et ne se brisa pas. Il ne s'Žloigna que lorsqu'avec le mŽpris de sa magnificence, s'accrut aussi en moi le sentiment de ma bassesse et de ma misre : aprs cela je pus aller visiter Marie dans la grotte de la crche. È

 

8. Ce qui Žtait le plus pŽnible et le plus humiliant pour elle, c'Žtait de prendre sur elle l'appŽtit glouton de certains mourants qui, pendant toute leur vie, avaient obŽi ˆ l'amour dŽsordonnŽ du boire et du manger et qui maintenant, ˆ l'article de la mort, Žtaient violemment pressŽs par la force indomptable de cette passion tyrannique. Dans ces cas-lˆ, Anne Catherine avait ˆ ressentir une envie de manger qui excitait chez elle le plus grand dŽgožt, mais qui s'emparait d'elle tout ˆ coup sous la forme d'une faim dŽvorante insurmontable, de sorte qu'involontairement elle demandait ces aliments qui Žtaient l'objet de la convoitise des mourants. Si l'entourage satisfaisait ˆ cette demande et qu'on lui procur‰t les aliments en question, souvent elle en Žtait affligŽe au point de fondre en larmes, car son supplice s'accroissait par lˆ et elle se trouvait comme obligŽe de manger de ce qui lui Žtait prŽsentŽ, ce qui avait toujours pour suites des vomissements et des maux de coeur, jusqu'ˆ Žpuisement total de ses forces. Dans d'autres cas o elle Žtait attaquŽe moins violemment, la convoitise empruntŽe ˆ autrui se manifestait comme un besoin de nourriture qui lui rŽpugnait beaucoup, mais cependant plus naturels comme une sorte de faim vŽritable qui devait tre apaisŽe pour l'empcher de tomber en faiblesse. Elle cherchait alors ˆ se soutenir en prenant de la soupe, des lŽgumes, en suant un fruit, etc. : mais les suites Žtaient toujours les mmes. Ainsi le Plerin Žcrivait en dŽcembre 1823 : Ç Elle est dans un Žtat constant de maladie, sans consolation, accablŽe de souffrances, soutenant des combats dŽsespŽrŽs contre des tentations et contre les attaques de l'ennemi. On l'entend seulement tousser, vomir, se plaindre de manger sans pouvoir supporter les aliments. Des faims subites la saisissent jusqu'ˆ la faire tomber en dŽfaillance. Elle mange et elle vomit, elle a envie de toute sorte d'aliments grossiers et indigestes, puis elle se lamente et pleure de ce qu'elle a demandŽ ˆ manger, contrairement ˆ sa volontŽ; et tout cela se rattache ˆ l'Žtat de son ancienne consoeur M... qui est au moment de mourir, pour laquelle elle prie, des souffrances de laquelle elle s'est chargŽe, et dont le dŽfaut capital Žtait et, s'il faut en croire Wesener, est encore la gourmandise, jusque dans cette dernire maladie qui est une hydropisie de poitrine. È

Outre cette envie de manger, elle avait encore ˆ supporter les autres maladies des mourants, telles que la goutte, l'hydropisie,, toutes les variŽtŽs de la fivre, des affections de la rate, du poumon, des reins et du foie, avec tous leurs sympt™mes et toutes les souffrances particulires qui en rŽsultent. Elle souffrait souvent, jusqu'ˆ en tre presque mourante, toutes les douleurs de la pierre avec de terribles spasmes de vessie et elle avait ˆ subir avec cela l'Žtat de dŽcouragement, d'obscurcissement et de dŽsespoir de malades excitables, abandonnŽs, privŽs de toutes consolations. Ces maladies et ces dangers spirituels, quelle prenait sur elle ˆ la place des mourants, se liaient constamment ˆ des souffrances et ˆ des combats pour l'ƒglise en tant que les individus Žtaient les reprŽsentants de professions et de classes entires aussi bien que de fautes gŽnŽrales, d'actes coupables envers le corps de l'ƒglise elle-mme, contre lesquels Anne Catherine avait ˆ lutter dans cette situation o elle ne semblait substituŽe qu'ˆ tel o tel particulier malade. Le Plerin pouvait ˆ la vŽritŽ, d'aprs ce quelle disait dans ses extases, reconna”tre en gŽnŽral ce caractre spirituel plus ŽlevŽ des souffrances dont elle s'Žtait chargŽe, mais cela ne suffisait pas ˆ son impatiente curiositŽ qui ne se tenait pour satisfaite que si le rapport intime d'aprs lequel chaque souffrance et chaque maladie Žtait appropriŽe ˆ la faute ˆ expier ou au mal spirituel ˆ guŽrir, Žtait mis clairement et compltement sous ses yeux. Ainsi, dans ce cas aussi, il assignait ˆ ses comptes rendus un but qu'il Žtait impossible d'atteindre; car les douleurs et les maladies de la patiente, nonobstant leur caractre spirituel, Žtaient si rŽelles, si sensibles ˆ la nature et si intenses qu'elle Žclatait en plaintes et en larmes et demandait du secours en gŽmissant plut™t qu'elle ne les dŽcrivait. Mais le Plerin ressemblait presque toujours ˆ un mŽdecin qui n'accorde de sympathie ˆ son malade que dans la mesure o celui-ci, en lui dŽcrivant exactement tous les sympt™mes de sa maladie, le met ˆ mme d'observer compltement un cas particulirement intŽressant et d'enrichir ses connaissances et ses expŽriences pathologiques. Il Žcrit en dŽcembre 1821 : Ç Les trois derniers jours ont ŽtŽ un encha”nement de souffrances horribles aboutissant ˆ une prostration voisine de la mort : au milieu de tout cela continuation incessante des visions. Tant™t elle affirme tranquillement et avec assurance qu'elle doit souffrir cela, qu'elle l'a pris sur elle et l'endurera avec persŽvŽrance : tant™t elle est tentŽe d'impatience, avec des alternatives subites, de douceur et de calme. Quant ˆ ces souffrances, considŽrŽes d'aprs leurs phŽnomnes extŽrieurs, on s'y accoutume ˆ un degrŽ tel qu'on doit para”tre un barbare au spectateur qui en est tŽmoin pour la premire fois, de mme qu'au commencement le Plerin taxait tous les autres d'inhumanitŽ. Quand on peut conna”tre quelque chose de leur signification intŽrieure, elles excitent au plus haut degrŽ l'Žtonnement et l'admiration ; bien plus elles font pressentir la solution de la grande Žnigme de la vie et du christianisme : mais l'Žtude qu'on en pourrait faire est compltement empchŽe et rendue impossible par mille dŽtails frivoles de la vie quotidienne... È

 

Et ailleurs : Ç Quoique tous ses Žtats de souffrance se lient Žtroitement ˆ des travaux spirituels et qu'elle-mme le sache bien, elle n'en parle pourtant qu'en passant et d'une manire superficielle ; si on veut observer les choses avec calme et d'une manire sŽrieuse, elle voit lˆ un manque de compassion. È

 

Janvier 1822. Ç Toutes ces maladies seraient trs-instructives s'il lui Žtait ordonnŽ d'en expliquer le but et la marche, car elle les voit toujours d'avance dans une vision d'autant plus remarquable qu'elle est toujours merveilleusement allŽgorique et comme une parabole pleine d'un sens profond. La plupart du temps elle sait trs-positivement pourquoi elle souffre et comprend aussi ce qu'elle fait dans des scnes variŽes se rapportant ˆ l'agriculture et au jardinage. Elle voit d'abord un tableau sommaire des misres existantes, comme l'Žcroulement de plusieurs Žglises, l'Žtat du ministre pastoral dans tout un district sous l'image de plusieurs troupeaux de moutons et de leurs bergers, dans des paraboles pleines de sens: avec tout cela il lui faut courir, porter des fardeaux, creuser la terre, avertir, etc. Alors elle entreprend des voyages trs-pŽnibles, fait de trs-grands efforts pour exciter des personnes de toute espce ˆ remplir leurs devoirs et pour empcher du mal. Elle est aidŽe dans ses travaux par les saints du jour. Tout cela se perd et il ne reste rien que l'indication des tentations que l'ennemi lui suscite pendant son travail. Il est vrai que ses souffrances sont bien faites pour apitoyer : mais pourtant elle est comblŽe intŽrieurement de gr‰ces si fŽcondes et de visions si frappantes de vŽritŽ qu'elle est au fond plus ˆ envier qu'ˆ plaindre. Et sa nŽgligence ˆ communiquer ces visions dont elle ne tire aucun parti dans l'Žtat de veille et qui ne semblent pas servir ˆ son instruction, est cause qu'on est moins portŽ ˆ la plaindre qu'ˆ regretter pour la postŽritŽ le gaspillage de tout cela. En outre les continuels dangers de mort qui pourtant n'ont jamais de consŽquences plus graves finissent par vous laisser trs rassurŽ sur ces maladies dŽsespŽrŽes et inexplicables : l'on s'habitue, en prŽsence de ces maladie, ˆ les envisager avec une sorte de compassion et de patience qui ne profite ni ˆ l'esprit, ni au coeur et qui nous laisse un arrire-gožt de politique par lequel on cherche ˆ se tirer d'affaire sans scandale et sans colre. È

On voit clairement combien il devait tre difficile, dans de pareilles circonstances, de raconter en outre jour par jour les visions touchant la vie de JŽsus, et il n'est pas nŽcessaire d'expliquer plus longuement pourquoi Anne Catherine rŽussissait de moins en moins ˆ satisfaire les exigences du Plerin. On lit dans le journal de celui-ci, ˆ la date du 4 fŽvrier 1822 : Ç Quoique chaque jour elle communique une moindre partie de ses visions, sans parler de descriptions de ses maladies et de ses souffrances que ses rŽticences sur les causes intŽrieures rendent fort peu claires, elle a dit pourtant : Ç Depuis No‘l, Žpoque o ces tourments ont commencŽ, j'ai beaucoup souffert de la mauvaise humeur qu'avait le Plerin parce que je ne lui raconte pas assez, et mon cÏur en a ŽtŽ presque brisŽ de douleur. Je l'aurais fait volontiers, mais je ne le pouvais pas et souvent j'Žtais si abattue (note) ˆ l'arrivŽe du Plerin qu'il m'Žtait impossible de parler.

 

(note) Par le sentiment de l'irritation et de la sombre disposition du Plerin.

 

J'ai fait des prires spŽciales pour savoir ce que j'avais ˆ faire, mais je n'ai reu aucune rŽponse. J'avais espŽrŽ que Dieu me laisserait mourir de cette maladie afin que je n'eusse plus besoin de rien raconter. Le Plerin verra ce jour-lˆ combien je raconterais volontiers si je le pouvais. È Elle a dit cela dans une trs-bonne intention. DŽjˆ souvent elle a priŽ pour n'tre plus obligŽe de raconter, mais elle a reu pour rŽponse l'ordre formel de tout communiquer. È

 

23 fŽvrier 1822. Ç Le Plerin la trouva malade ˆ la mort. Le confesseur lui dit que, pendant toute la matinŽe, l'excs de ses douleurs lui avait fait perdre connaissance, qu'elle s'Žtait entirement remise entre les mains de fa Mre de Dieu et qu'elle avait de plus pris la charge de souffrir quelque chose pour la conversion de gens impudiques. Plus tard elle raconta elle-mme qu'elle avait ŽtŽ aussi trs affligŽe ˆ cause du Plerin qui avait tout quittŽ pour s'Žtablir ˆ Dulmen ˆ cause d'elle, et auquel elle ne pouvait tre bonne ˆ rien. Le Plerin la consola. Puisse-t-elle toujours prendre ses rŽcits au sŽrieux, jamais lŽgrement ni comme une charge pŽnible ! È Cet attendrissement momentanŽ n'eut pas d'autres suites chez le Plerin, car voici ce qu'il rapporte peu de jours aprs : Ç Elle reut le Plerin trs-affectueusement ; elle Žtait pourtant dans la mme incapacitŽ d'apprŽcier son Žtat, car elle croyait s'tre un peu remise et un peu reposŽe pendant les trois jours qu'avait durŽ l'absence du Plerin. Comme si la prŽsence de celui-ci l'empchait de se remettre ! Cela montre de plus en plus qu'il n'y a pas ˆ attacher d'importance ˆ de tels discours et qu'il faut les ranger parmi les idŽes fixes. È

Mais, dix mois avant sa mort, elle fit dire au Plerin par son confesseur ces graves paroles : Ç Le Plerin reconna”tra un jour qu'il n'aura pas eu lieu de se vanter de sa patience en comparaison de la mienne. J'ai eu avec lui autant de patience qu'avec ma soeur. È

 

9. Mais pour ne pas mettre trop ˆ l'Žpreuve la patience du lecteur, il ne faut extraire des rapports interminables sur les maladies d'Anne Catherine, qu'un petit nombre de faits au moyen desquels on peut se bien rendre compte du caractre et des suites de cette substitution par laquelle elle se soumettait aux souffrances, aux tentations et aux pŽrils d'autrui.

 

3 avril 1823. Ç Elle souffrait d'une maladie rŽsultant d'un rapport sympathique constant avec la dame Br. qui est attaquŽe d'une hydropisie de poitrine et ˆ l'article de la mort. Elle est presque suffoquŽe et elle Žprouve une agitation, une angoisse et un trouble continuels. Mais la femme malade gagne par lˆ un peu de repos, commence a prier et ˆ avoir davantage sa connaissance. È

 

5 avril. Ç Elle se plaint de la confusion qui est dans ses pensŽes; il lui semble qu'elle n'a pas fait ses P‰ques. L'oppression de la poitrine va toujours croissant. È

 

7 avril. Ç Les souffrances qu'elle partage avec la femme mourante augmentent ˆ mesure qu'approche la mort de celle-ci. Elle porte le poids d'une moitiŽ entire des souffrances de cette femme et son Žtat est exactement le mme. Ordinairement il se manifeste une lŽgre amŽlioration quand la mort est imminente. Le Plerin l'a vŽrifiŽ chaque jour chez toutes les deux. Il se trouve que le sentiment qu'eut hier Anne Catherine de n'avoir pas encore fait ses P‰ques provient de l'Žtat de cette mourante qui en effet ne les a pas encore faites. Elle engage son confesseur ˆ aller voir la famille et ˆ la prŽvenir. È

 

9 et 10 avril. Ç Ce matin on voyait encore chez elle tous les sympt™mes et toutes les souffrances d'une personne qui meurt d'une hydropisie de poitrine. Pendant la nuit elle avait souffert et combattu jusqu'ˆ l'agonie. La femme qui Žtait auparavant si agitŽe et si pleine d'angoisses y gagna du calme et vit venir la mort sans s'effrayer, ˆ la grande consolation de sa famille. Vers midi le Plerin trouva la patiente faible jusqu'ˆ en mourir, elle pouvait ˆ peine donner un signe de vie. Mais il trouva la dame Br. sommeillant doucement et rŽpŽtant par intervalles de pieuses oraisons jaculatoires apprises dans sa jeunesse : ˆ deux heures et demie, la patiente reprit tout ˆ coup une force extraordinaire, se redressa dans son lit et rŽcita ˆ haute voix les litanies de la Passion de JŽsus-Christ. En ce mme moment la dame Br. mourut, s'endormant doucement comme un enfant. Mais avec sa mort cessa chez Anne Catherine l'oppression qui donnait ˆ ses souffrances le caractre d'une hydropisie de poitrine. Elle respira librement : mais sa misŽricorde clairvoyante ne lui laissa pas prendre de repos : ses souffrances prirent tout d'un coup le caractre d'une fivre inflammatoire de poitrine, ce que son pouls indiqua : car une autre bourgeoise nommŽe Sch. qu'elle connaissait peu et qui Žtait trs-gravement malade se substitua ˆ la prŽcŽdente. Elle souffrit cruellement pour celle-lˆ jusqu'au jour suivant qui fut celui de la mort. Mais dŽjˆ une autre panure malade phtisique, au dernier degrŽ, la femme du vannier W., attendait son assistance. Anne Catherine l'aida ˆ supporter les terribles souffrances d'une consomption qui la mettait frŽquemment ˆ l'extrŽmitŽ et souffrit indiciblement pour cette personne ˆ laquelle elle envoya toute sorte de choses propres ˆ la soulager, en fait, de boissons et d'aliments, si bien que cette pauvre femme trs-simple qui avait ŽtŽ traitŽe fort durement par son mari et par ses proches, fut prŽservŽe du ressentiment et du dŽsespoir, se prŽpara ˆ la mort avec de grands sentiments de charitŽ et pardonnant ˆ tous. La patiente dŽplorait l'abandon o bien des personnes de cette sorte sont laissŽes quant aux secours spirituels. Elles sont presque toujours, disait-elle, sans aucune espce d'instruction, puis, quand une longue maladie les retient au lit, elles se sentent dŽnuŽes de toute consolation parce qu'elles sont laissŽes ˆ leur misre, privŽes de l'assistance qu'il leur faudrait et ne reoivent que rarement la visite d'un prtre. Le 20, le Plerin la trouva trs-troublŽe, le visage bruni, pleine d'angoisses intŽrieures et d'irritation contenue contre certains prtres avares de consolations. Cet Žtat s'expliqua aussi comme un combat entrepris pour la mourante. Le prtre l'avait enfin visitŽe aprs un long intervalle de temps, mais il n'Žtait pas capable de consoler la pauvre malade dont l'esprit Žtait un peu bornŽ et de lui donner du courage. Elle se sentit plus troublŽe qu'auparavant, aprs l'avoir ŽcoutŽ, et elle fut prise d'une telle aversion pour lui qu'elle ne voulait plus recevoir dŽ prtre. Ç Quel chapelain ? s'Žcriait-elle, je ne veux pas le voir. È Telle Žtait l'impression de cette pauvre mourante, humble et douce d'ailleurs. Anne Catherine prit ce combat sur elle et lutta tout le dimanche, sentant en elle la plus violente irritation contre la conduite du prtre si nŽgligent du salut des ‰mes. Le 20 au soir, on croyait ˆ chaque instant, chez la vannire, qu'elle allait rendre le dernier soupir. Anne Catherine, pendant toute la nuit, supplia Dieu de lui conserver la vie jusqu'ˆ ce qu'elle ežt recouvrŽ la paix de l'‰me. Le 21 au matin, elle vivait encore et elle montrait beaucoup de douceur, pardonnant ˆ tout le monde et disant ˆ la mort qu'elle Žtait la bienvenue. Vers midi, Anne Catherine parut tre ˆ ses derniers moments. Le Plerin rŽcita avec elle plusieurs litanies pour la malade. - Elle fut dans le mme Žtat, avec des alternatives de lutte, jusqu'au lendemain, A sept heures et demie, o elle Žprouva du soulagement: mais celle pour qui elle souffrait mourut. Elle fut toute la journŽe dans un grand abattement : un nouveau travail approchait. Le soir le Plerin la trouva dans un Žtat extrmement diffŽrent. Elle souffrait de vives douleurs dans les membres, Žprouvait un froid glacial et un sentiment de vide dans le bas-ventre et la rŽgion de l'estomac; etc. Elle avoua qu'elle pensait maintenant ˆ une autre malade, la pieuse femme du pauvre tailleur H. Elle s'Žtait dit : " Quand j'aurai fini avec la vannire, je prierai pour celle-lˆ. Ces gens sont si pieux et si humbles, peut-tre la femme peut-elle encore revenir de lˆ : elle n'a ni remdes, ni aliments. " Le Plerin ne connaissait pas cette femme : il alla chez elle pour lui remettre des aum™nes et trouva toutes ses souffrances semblables ˆ celles d'Anne Catherine. Celle-ci avait dit : Ç Il y a quelques jours, cette femme s'est prŽsentŽe ˆ mes yeux et je me suis promis de prier aussi pour elle aussit™t que la vannire serait morte. È Cette malade dit au Plerin qui en fut fort surpris : Ç Ah ! j'ai rvŽ, il y a quelques jours que j'Žtais devant ma porte : alors la soeur Emmerich passa devant moi, venant de la porte de Coesfeld, elle me donna la main et me dit : Ç Eh ! bien, Gertrude, comment vas-tu? Il faut que tu ailles mieux ! È Je la vis trs-distinctement. È Le Plerin demanda ˆ Anne Catherine si elle se souvenait d'avoir fait ce chemin en vision. Elle rŽpondit : Ç Je ne puis rien dire de prŽcis lˆ-dessus : mais dans mes dernires courses, j'ai ŽtŽ souvent prs de; cette femme et j'ai vu tout ce qu'elle faisait. Je ne me rappelle rien de particulier, car je suis allŽe dans plusieurs endroits. È

 

25 avril. Ç Elle Žtait en trs-mauvais Žtat et trs-faible. Elle a dit que, toutes les nuits, depuis la mort de la vannire, elle avait eu des visions o il lui avait fallu pousser pour celle-ci sur une brouette de lourdes charges de blŽ. C'Žtait un des rudes travaux que cette femme avait sans cesse ˆ faire. Ces charriages Žtaient ceux que la femme avait faits de mauvaise humeur et en colre ou qu'elle avait nŽgligŽ de faire. Anne Catherine se disait hors d'Žtat de supporter plus longtemps ce travail; elle pria le Plerin de faire dire une messe pour en tenir lieu. La chose se fit et elle n'eut plus de blŽ ˆ transporter.

 

10. Personnes sauvŽes de dangers pressants.

 

En aožt 1822, le Plerin ayant trouvŽ un matin le confesseur prs de la malade, celui-ci lui rapporta que, depuis la veille au soir, elle avait des maux de tte qui lui donnaient le dŽlire et que, dans cet Žtat, elle avait dit plusieurs fois qu'elle avait reu un coup de fusil dans la tte et l'avait priŽ de la lui raccommoder, mais ces choses dites pendant le dŽlire se rŽduisirent aux faits suivants, racontŽs paisiblement par la malade elle-mme : Ç J'offris le soir mes souffrances pour qu'elles pussent profiter ˆ des gens qui se trouveraient en danger, et comme je commenais mon voyage accoutumŽ vers la maison des noces, mon guide me conduisit dans de hautes montagnes o un honnte savant grimpait au milieu des rochers, ayant ˆ la main des tablettes. Il fit une chute et tomba de trs-haut la tte en bas, mais il appela Dieu ˆ son secours : j'arrivai alors et je le portai sur mon dos jusqu'ˆ une voiture qui le suivait. J'ai beaucoup souffert pour lui. È

Ç Ensuite je vis dans des rochers escarpŽs des gens munis de perches et ayant des crochets ˆ leurs souliers : ils tirrent sur une troupe d'oiseaux. Un des coups aurait frappŽ un chasseur ˆ la tte : mais je me jetai devant lui ; je reus dans la tte toute une charge de plomb et je ressentis une terrible douleur. Ma tte Žtait comme fendue en deux et je vis dans la suite de la vision que les grains de plomb Žtaient comme des perles (des mŽrites). Il me vint aussi la pensŽe que, si les Prussiens me tenaient emprisonnŽe ˆ prŽsent, ils me les retireraient : je ne sais pas comment cette idŽe me vint. Ma tte fracassŽe me rendait toute gŽmissante. È

           Dans les mois de novembre et de dŽcembre, elle fut en proie ˆ de trs-grandes souffrances pour l'Eglise qui se succŽdrent sans interruption. Ç Ces souffrances, dit-elle le jour de la fte de saint Thomas de CantorbŽry, m'ont ŽtŽ

imposŽes, ˆ la Sainte-Catherine, pour l'ƒglise et pour les Žvques. J'ai vu aujourd'hui la vie de ce saint martyr (saint Thomas) et les grandes persŽcutions qu'il a subies et j'ai eu ˆ cette occasion des visions continuelles touchant la tiŽdeur et la faiblesse des pasteurs dans le temps prŽsent : mon coeur en est dŽchirŽ. È Le Plerin fit ˆ ce propos la remarque suivante : Ç Les douleurs augmentent : elle est prise d'accs de toux insupportables qui l'empchent de parler, mais elle a une grande patience. Au milieu de ces tourments affreux, elle est en gŽnŽral pleine de courage et de paix intŽrieure. Ses souffrances continuelles sont encore augmentŽes parce qu'elles sont aux places de la plaie du

c™tŽ et de la couronne d'Žpines. Elle ne peut appuyer sa tte nulle part, elle a toujours la sensation d'une large couronne d'Žpines acŽrŽes : cependant elle parle souvent avec beaucoup de courage des fortes, mais salutaires douleurs

qu'elle a ˆ endurer. Au dŽbut de l'annŽe 1823, ces souffrances arrivrent ˆ leur apogŽe, accompagnŽes de visions incessantes sur l'Žtat de l'ƒglise et, dans la soirŽe du 11 janvier, le Plerin la trouva toussant beaucoup et souvent ne pouvant respirer. Elle Žtait en contemplation et demanda qu'on fit bouillir de l'orge et des figues et qu'on lui en m”t un cataplasme sžr le c™tŽ droit. On fit ce qu'elle disait. Elle but aussi du jus de ces figues, puis, se sentant plus libre et Žtant revenue ˆ elle, elle dit : Ç J'ai une inflammation dans le c™tŽ : il y a quelque chose de brisŽ, je l'ai entendu craquer : je sens une dislocation intŽrieure : je ne puis en rŽchapper que par un miracle. È Le confesseur rŽpondit : Ç Vous avez dŽjˆ eu le dŽlire toute l'aprs-midi. È Mais le Plerin aprs l'avoir observŽe avec plus de soin, la trouva tout ˆ fait dans son bon sens, parlant et agissant d'une manire trs-suivie conformŽment ˆ sa direction intŽrieure et extŽrieure, ayant les idŽes claires et l'‰me tranquille. Elle indiqua comment il fallait prŽparer l'empl‰tre, demanda ˆ tous de prier et, le lendemain, elle fut en Žtat de rendre ainsi compte de ce qui s'Žtait passŽ : Ç Il me fallut aller ˆ l'endroit qu'habite le pasteur (Rome); le danger Žtait grand. On voulait assassiner le fidle chef des serviteurs, celui qui (note) a le petit chien ; alors je me jetai devant lui et le couteau me pera le c™tŽ droit et arriva jusqu'au dos.

 

(note) Note de d'auteur. Canis et coluber. C'est l'emblme du Pape LŽon XII, dans la prophŽtie connue de saint Malachie. Mais cela s'expliquerait peut-tre mieux par ce que dit le cardinal Wiseman, dans ses Souvenirs que LŽon XII avait habituellement dans ses appartements, un fidle compagnon, un petit chien trs-intelligent. È (Note du traducteur).

 

Le bon serviteur rentrait dans sa demeure; alors, sur un chemin o il Žtait facile de s'Žchapper; un tra”tre vint ˆ sa rencontre, ayant sous son manteau un poignard triangulaire. Il fit semblant de vouloir embrasser amicalement le chef des serviteurs, mais je me prŽcipitai sous le manteau et je reus le coup qui pŽnŽtra jusqu'au dos. Il y eut un craquement : je pense que le poignard doit s'tre brisŽ dans l'intŽrieur. Le chef des serviteurs para le coup et tomba en dŽfaillance : il vint des gens autour de lui : l'assassin s'enfuit. Je crois que le scŽlŽrat ayant frappŽ sur quelque chose de dur, crut que le chef des serviteurs portait une cuirasse. Lorsque j'eus dŽtournŽ le coup, le diable s'en prit encore ˆ moi : il Žtait plein de rage, me poussa de c™tŽ et d'autre et m'injuria: Ç Qu'as-tu ˆ faire ici? Il faut que tu sois partout, mais pourtant je viendrai ˆ bout de toi. È Les suites de la blessure qu'elle avait reue eurent leur cours pendant tout le mois de janvier : elle passa par toutes les phases d'une fivre inflammatoire comme cela aurait eu lieu naturellement dans un cas semblable o la guŽrison ežt ŽtŽ possible. È

 

17 janvier. Ç Elle souffre encore des douleurs atroces dans le c™tŽ blessŽ, au point que quelquefois elle perd presque connaissance. Le c™tŽ est trs-enflŽ : en outre elle a une forte toux qui la fait beaucoup souffrir. Mais elle est trs-patiente et mme gaie. È

 

18 janvier. Ç Elle a eu la vue de sa blessure avec ses dŽtails anatomiques et elle en donne une description trs minutieuse. Elle souffre beaucoup. È

 

22 janvier. Ç La maladie semble diminuer. Malheureusement elle parle de choses trs-vulgaires comme de ses affaires de mŽnage et de l'enfant malade d'un bourgeois d'ici. Le Plerin ne comprend pas comment de pareilles choses peuvent l'intŽresser ˆ ce point. È

 

27 janvier. Ç Un revirement semble se manifester dans sa maladie causŽe par la blessure. Elle devient plus prompte, plus active, elle prend quelque chose de dŽcidŽ dans sa personne et dans son langage. Elle dit qu'elle a de grandes luttes ˆ soutenir parce qu'elle se sent poussŽe malgrŽ elle ˆ la colre et au ressentiment contre plusieurs personnes : elle a surtout une violente tentation de colre contre l'homme dont elle a empchŽ le projet d'assassinat. Les vomissements de sang et de pus sont plus violents, la tumeur du c™tŽ s'amollit et se vide ˆ l'intŽrieur. Elle dŽcrit l'abcs intŽrieur comme un champignon qui se vide et se remplit tour ˆ tour et qui alors fait sentir sa prŽsence entre les c™tes. Elle dŽclare que les vomissements ne viennent pas du poumon : cela se passe dans l'orifice de l'estomac. È

10 fŽvrier. Ç Cette nuit les vomissements de sang et de pus ont ŽtŽ si considŽrables qu'elle s'est affaissŽe sur elle mme comme morte. Elle assure qu'elle a vomi ce qu'on appelle le sac du pus et sent maintenant ˆ la place de l'abcs intŽrieur un vide et comme une plaie qui n'est pas encore cicatrisŽe. È

 

11 . Elle se charge de douleurs causŽes par des plaies.

 

Elle dit en mars 1822 : Ç J'ai de trs-fortes douleurs au pied gauche. Il m'a fallu aller dans un h™pital o a ŽtŽ mise ˆ ma charge une femme qui s'Žtait dangereusement blessŽe ˆ la jambe en tombant d'un escalier. È On ne fit pas grande attention ˆ ces paroles qui semblaient dites au hasard, mais, aprs quelques semaines il fut Žvident qu'Anne Catherine avait souffert les douleurs du premier bandage ˆ la place de cette pauvre personne, et que plus tard une opŽration Žtait devenue nŽcessaire ; car, au mois d'avril suivant, elle interrompit tout ˆ coup un entretien avec son confesseur par ces paroles : Ç On m'enlve une esquille du pied gauche. È Puis elle eut, en plein Žtat de veille, une vision lointaine et, dans cette vision, la sensation que le bandage Žtait appliquŽ ˆ la suite de l'opŽration faite sur elle auparavant. Elle dit encore: Ç Je ne puis pis comprendre comment le fragment de mon os si mince s'adapte ˆ la jambe d'une grande et forte femme comme celle-lˆ. Combien la douleur a ŽtŽ cruelle lorsqu'ils sont arrivŽs tout contre l'os. Cette pauvre personne, pieuse catholique, m'a ŽtŽ rŽcemment montrŽe; elle est bien loin d'ici, obligŽe de vivre dans un h™pital o il y a d'autres malades d'un voisinage dŽsagrŽable. Elle a beaucoup ˆ supporter et m'inspire une grande pitiŽ. J'ai priŽ pour elle et demandŽ pour moi ses souffrances. Il y a lˆ des mŽdecins luthŽriens qui, aujourd'hui ˆ midi, ont enlevŽ un gros fragment de l'os de la jambe et je me suis alors en mme temps laissŽ enlever un fragment qu'ils ont insŽrŽ dans sa blessure mais je ne puis m'imaginer comment mon os si maigre peut convenir lˆ. Elle est si grande et si forte ! maintenant ils ont bandŽ sa plaie et la mienne : c'est une douleur affreuse. È Elle donna ˆ cette occasion beaucoup de dŽtails minutieux et pendant ce temps, la prŽoccupation qu'elle avait de tout cela ne l'empchait pas de suivre une conversation avec son entourage. È

 

12. Maux d'yeux.

 

Le pre d'un enfant atteint d'une ophtalmie fort grave lui demanda ses prires. A peine avait-elle accueilli cette demande qu'elle ressentit de terribles douleurs dans les yeux, lesquelles persŽvŽrrent pendant plusieurs jours, si bien qu'elle eut une forte inflammation ˆ un oeil. C'Žtait celui-lˆ mme qui chez l'enfant Žtait considŽrŽ comme dŽjˆ perdu. Anne Catherine ressentit une telle compassion qu'elle se fit porter le pauvre enfant et sua l'oeil malade. Elle espŽrait que cet oeil n'Žtait pas perdu sans ressource, et elle-mme souffrit une semaine entire avant de recouvrer l'usage du sien. Pendant ce temps, elle eut en vision plusieurs travaux ˆ faire dans les champs attenant ˆ la maison des noces, o il lui fallut, avec ses maux d'yeux, arracher des souches d'arbre. Eu mme temps, elle vit autour du champ o elle travaillait une quantitŽ d'autres personnes atteintes d'ophtalmie pour lesquelles elle souffrit et pria. Elle se souvenait particulirement d'un pauvre tailleur qui avait dŽjˆ perdu un Ïil.

Ordinairement, quand elle priait pour des enfants malades, elle les sentait comme corporellement prŽsents sur son lit, et alors elle prenait tout prs d'elle ceux qui avaient les maux les plus dŽgožtants. Elle les voyait dans leurs demeures et leur envoyait, autant qu'elle le pouvait, du linge et de la nourriture.

 

13. Tentations.

 

Le vendredi saint de 1822, son confesseur avait recommandŽ ˆ ses prires un paysan qui, ayant perdu deux chevaux, s'abandonnait ˆ une tristesse allant jusqu'au dŽsespoir. Le matin du dimanche de P‰ques, elle dit qu'elle Žtait assaillie de terribles visions qui lui faisaient presque perdre la tte, et pendant la grand'messe, cet Žtat s'aggrava tellement qu'elle se crut au moment de mourir dans les angoisses. Aprs l'office divin, le pre Limberg vint la voir et raconta que, pendant la cŽlŽbration, le paysan avait pleurŽ et poussŽ de tels cris qu'il avait fallu le faire sortir de l'Žglise. Elle tressaillit involontairement ˆ ce rŽcit qui confirmait ce qu'elle avait vu et senti intŽrieurement jusqu'au soir du mardi de P‰ques, elle fut dans un Žtat de lutte incessante contre l'angoisse, le dŽsespoir, la colre et la rage et elle se plaignit d'avoir de si tristes ftes de P‰ques. Enfin le combat cessa dans la soirŽe du mardi. Le confesseur trouva le pauvre homme calmŽ et dans de meilleures dispositions. Mais avant qu'il ežt pu le faire savoir ˆ Anne Catherine, celle-ci dit avec de joyeuses actions de gr‰ces : Ç C'est sainte Anne qui a fait cela ! Je l'ai invoquŽe tout le temps pour ce pauvre homme. Elle a obtenu la gr‰ce. Elle est la patronne des gens dŽsespŽrŽs et tourmentŽs par le mauvaise esprit. Ces derniers jours, j'ai terriblement souffert pour cet homme qui m'a ŽtŽ montrŽ depuis longtemps dŽjˆ. Il est sans religion et comme il s'est ŽloignŽ de l'Žtat de gr‰ce qui rend le chrŽtien invulnŽrable, il est tombŽ sous le pouvoir d'une malŽdiction. En faisant cuire par superstition un coeur de cheval, il s'est mis dans un rapport idol‰trique avec le diable, et le dŽsespoir s'Žtait tellement emparŽ de lui que, le dimanche de P‰ques, il a assistŽ, la haine et la rage dans le coeur, au trs-saint sacrifice du fils de Dieu qui a donnŽ sa vie pour ses ennemis. Sainte Anne l'a sauvŽ. Si maintenant il ne se corrige pas entirement, il lui arrivera encore pis. È Wesener qui voyait cet homme comme mŽdecin, apprit de lui que, par le conseil de gens superstitieux, il avait fait cuire le coeur d'un des chevaux qu'il avait perdus en profŽrant des imprŽcations contre celui qu'il croyait avoir ŽtŽ la cause de la mort des chevaux : celui-ci ne devait plus trouver de repos jusqu'ˆ ce qu'il se fžt fait conna”tre au paysan comme en Žtant l'auteur. Le paysan avait aussi pris la rŽsolution de tirer un coup de fusil ˆ la premire personne qu'il rencontrerait aprs son opŽration, magique.

 

Quelques. semaines aprs, cet homme apparut prt ˆ retomber parce qu'il Žtait sur le point de perdre un troisime cheval. Anne Catherine, l'ayant su par son confesseur, fut trs-attristŽe et dit : Ç Il ne faut pas que cela arrive; autrement cet homme retomberait dans le dŽsespoir : il faut prier pour que le cheval ne meure pas. È Les deux jours suivants, elle fut de nouveau trs agitŽe, son visage prit une teinte brune et sombre : son regard Žtait ŽgarŽ et craintif : son expression Žtait tout ˆ fait celle des jours o elle avait eu le plus d'assauts ˆ soutenir pendant le Carme. Elle avoua qu'elle avait beaucoup priŽ pour cet homme violemment tentŽ et qu'elle avait eu rŽcemment ˆ lutter contre 1e diable. Le cheval guŽrit.

Mai 1823 : Ç Elle a fourni du linge et une layette ˆ une pauvre accouchŽe qui Žtait maltraitŽe par un mari brutal. Cet homme ne s'Žtait pas approchŽ des sacrements depuis plusieurs annŽes et il vivait dans des sentiments de haine et d'inimitiŽ envers son prochain. Anne Catherine avait souvent priŽ pour qu'il se convertit et pour qu'il rŽflŽch”t sur le misŽrable Žtat de son ‰me. Elle renouvela encore ses prires pour lui, mais elle avait en mme temps de tels combats ˆ livrer contre de violentes excitations au ressentiment et ˆ la colre que son visage en Žtait tout dŽfigurŽ. L'homme cependant avoua ˆ sa femme qu'il Žprouvait une angoisse intŽrieure ; et une agitation dont il ne savait comment se dŽlivrer. Anne Catherine ne cessa point de s'occuper de lui jusqu'ˆ ce qu'il fžt allŽ trouver le P. Limberg et lui ežt demandŽ ˆ se confesser. Ses souffrances prirent alors un caractre d'intensitŽ plus grande et il fut bient™t Žvident que cet homme lui avait fourni l'occasion d'implorer des gr‰ces semblables pour une infinitŽ d'autres qui se trouvaient dans le mme cas. La douleur la faisait ressembler ˆ une personne mise ˆ la torture et elle raconta en pleurant ce qu'elle avait endurŽ : Ç J'ai cru mourir de douleur: mais je n'ai reu aucune assistance. J'offris mes misres pour tous les malheureux qui languissent sans consolation et sans le secours des saints sacrements. J'Žtais parfaitement ŽveillŽe et je vis tout ˆ coup autour de moi, les unes voisines, les autres ŽloignŽes, d'innombrables scnes de douleur; c'Žtaient des malades, des mourants, des voyageurs ŽgarŽs, des prisonniers, sans prtres et sans sacrements. Je criai au secours pour eux et j'implorai Dieu. Mais il me fut dit: Ç Tu ne peux pas obtenir cela gratuitement, il y faut du travail. È Sur cela je m'offris et je me trouvai dans un Žtat terrible. Des cordes me garent passŽes autour des bras o elles furent fortement attachŽes, puis on les tendit si violemment que je crus que tous mes nerfs allaient se dŽchirer. Mon cou Žtait ŽtranglŽ, les os de la poitrine remontaient, et ma langue raidie se retirait au fond de mon gosier. J'Žtais ˆ l'agonie, mais je vis pour ma consolation que beaucoup furent assistŽs. È Ces souffrances se renouvelrent la nuit d'aprs et elle se vit formellement crucifiŽe. Le Plerin la trouva avec le cou et la langue gonflŽs. Elle raconta pŽniblement ce qui suit : Ç J'ai vu une bien grande dŽtresse dans l'ƒglise par suite des nŽgligences; des omissions et des trahisons. Quelque pitoyable que soit l'Žtat de ce pays ci, j'ai vu encore bien pis dans d'autres endroits. J'ai vu des prtres en trs-mauvaise compagnie et au cabaret pendant que leurs paroissiens mouraient sans sacrements. J'ai eu de nouveau la vision de la secte secrte sapant de tous les c™tŽs l'Žglise de Saint-Pierre. Ils travaillaient avec des instruments de toute espce et couraient ˆ et lˆ, emportant des pierres qu'ils en avaient dŽtachŽes. Ils furent obligŽs de laisser l'autel, ils ne purent pas l'enlever. Je vis profaner et voler une image de Marie. Je me plaignis au Pape et lui demandai comment il pouvait tolŽrer qu'il y ežt tant de prtres parmi les dŽmolisseurs. Je vis ˆ cette occasion pourquoi l'ƒglise a ŽtŽ fondŽe ˆ Rome ; c'est parce que c'est lˆ le centre du monde et que tous les peuples s'y rattachent par quelques rapports. Je vis aussi que Rome restera debout comme une ”le, comme un rocher au milieu de la mer, quand tout, autour d'elle, tombera en ruine. Je vis comment JŽsus donna cette force ˆ Pierre et le prŽpara ˆ tout ˆ cause de sa fidŽlitŽ et de sa droiture. Lorsqu'il lui dit : Ç Suis-moi, È Pierre comprit par lˆ que lui aussi serait crucifiŽ. Lorsque je vis les dŽmolisseurs, je fus ŽmerveillŽe de leur grande habiletŽ. Ils avaient toutes sortes de machines : tout se faisait suivant un plan : rien ne s'Žcroulait de soi-mme. Ils ne faisaient pas de bruit ; ils faisaient attention ˆ tout, profitaient de tout; ils avaient recours ˆdes ruses de toute espce, et les pierres semblaient souvent dispara”tre sous leurs mains. Quelques-uns d'entre eux reb‰tissaient; ils dŽtruisaient ce qui Žtait saint et grand et ce qu'ils Ždifiaient n'Žtait que du vide, du creux, du superflu. Ils emportaient des pierres de l'autel et en faisaient un perron ˆ l'entrŽe. È

Son confesseur Žtait trs-Žmu ˆ la vue de ces horribles souffrances et il cherchait ˆ les conjurer par le nom de JŽsus et au moyen d'exorcismes. Il avait lu dans une relation concernant l'exorciste Gassner, que celui-ci, en Bavire, guŽrissait souvent par l'exorcisme des maladies qu'il croyait provenir du mauvais esprit. Anne Catherine lui dit ˆ ce sujet : Ç Les exorcismes seront sans effet sur moi, car je sais que cette maladie que j'ai ne vient pas de l'esprit malin. Je ne puis tre aidŽe que par la bŽnŽdiction, par la patience ˆ supporter les douleurs d'autrui et par la prire pour ce qui est la cause de ma souffrance. J'ai toujours eu, depuis que je me connais, une foi inŽbranlable dans le nom de JŽsus et l'invocation de ce saint nom a ŽtŽ souvent un secours pour moi-mme et pour d'autres : mais je suis certaine que ce que je souffre maintenant; je l'ai pris sur moi au nom de JŽsus (elle voulait dire qu'il n'Žtait pas ˆ propos de lui faire retirer ces souffrances au nom de JŽsus). J'ai vu aussi plusieurs des maladies guŽries par le pre Gassner : elles ne me plaisaient gure; elles avaient pour cause premire des Žtats de pŽchŽ. È

Un an auparavant, le Plerin eut ˆ noter un fait remarquable montrant de quel secours pouvait tre pour elle le saint nom de JŽsus. C'Žtait le 20 janvier : Ç Je priai Dieu avec les plus vives instances, dit-elle, afin qu'il m'assist‰t dans ce qui me faisait le plus souffrir, l'affreux mal que j'avais au bas-ventre. Mon Žpoux me rŽpondit d'un ton trs-grave : Ç Pourquoi aujourd'hui ? demain ne vaut-il pas autant ? ne t'es-tu pas donnŽe ˆ moi ? ne puis-je pas faire de toi ce que je veux ? È Je veux m'abandonner compltement ˆ lui, qu'il fasse selon sa volontŽ. Oh ! quelle gr‰ce de pouvoir souffrir ! heureux qui est injuriŽ et mŽprisŽ ! C'est tout ce que je mŽrite et je n'ai ŽtŽ que trop honorŽe. Ah ! si j'Žtais couverte de crachats et foulŽe aux pieds sur le grand chemin, je voudrais baiser les pieds ˆ tous pour les remercier ! Sainte Agns a aussi beaucoup souffert : j'ai vu tout ce qu'elle a endurŽ. È

Le soir de ce jour, le docteur Lutterbeck se trouvant ˆ Dulmen et le Plerin lui ayant rendu compte des souffrances de la malade sans que celle-ci pžt l'entendre le moins du monde, elle s'Žcria, Žtant en extase : Ç Comment peux-tu te mettre au milieu de mes fleurs, tu Žcrases toutes ces belles fleurs ! È Elle avait donc vu celui qui rŽvŽlait ses tortures secrtes comme marchant sur ses fleurs et les Žcrasant. Le jour suivant, la douleur du bas-ventre fut si violente que le confesseur tout Žmu lui donna un peu d'huile bŽnite et, priant sur elle, ordonna au mal de se retirer au nom de JŽsus. Elle se sentit aussit™t assistŽe et tout ˆ fait remise. Ce qui avait ŽtŽ dit de " demain " se rŽalisa, donc.

Pendant cette maladie, elle avait aussi fait cette dŽclaration : Ç Quand je prends sur moi les souffrances des personnes impatientes, ces souffrances sont trs-aggravŽes en ce qu'alors j'ai une intolŽrable excitation ˆ l'impatience qu'il me faut surmonter. Jusqu'ˆ prŽsent, dans le cours de cette longue maladie, j'ai ŽtŽ merveilleusement soutenue. La plupart du temps, pendant la nuit et souvent aussi pendant le jour, je vois devant moi ou prs de moi planer en l'air une table blanche qui semble de marbre: il y a dessus divers vases contenant des jus et des herbes et je vois tant™t un saint martyr, tant™t un autre, homme ou femme, s'avancer et me prŽparer un remde ; souvent c'est un mŽlange de plusieurs ingrŽdients et il me semble aussi qu'on le pse dans une balance d'or : la plupart du temps ce sont des jus d'herbes. Souvent j'ai ˆ sentir de petits buissons de fleurs, souvent ˆ sucer quelque chose et ces remdes guŽrissent quelquefois la douleur : mais plus souvent ils me donnent la force de supporter les douleurs les plus extraordinaires et les plus compliquŽes qui succdent immŽdiatement aux remdes. Je vois tout cela aller son train distinctement et rŽgulirement, si bien que parfois j'ai craint que mon confesseur, en allant et venant, ne renvers‰t cette pharmacie cŽleste. Ç Cette table disparut tout ˆ coup un jour que, par une parole irrŽflŽchie, Anne Catherine donna ˆ une personne l'occasion de faire son Žloge. Ayant donnŽ des avis ˆ cette personne sur les moyens ˆ prendre pour mener une vie retirŽe et observer la modestie, elle avait conclu par ces mots : Ç J'ai toujours ŽtŽ fidle ˆ ces pratiques dans ma jeunesse et je m'en suis bien trouvŽe. È Lˆ dessus, on lui donna des Žloges et la table cŽleste disparut subitement avec sa pharmacie.

 

14. Souffrances pour des gens qui se confessent.

 

Ç Lorsque je vois des gens qui se confessent, j'ai souvent d'effrayantes vidons qui me font sentir vivement combien il est nŽcessaire de prier pour eux. Ainsi je vois des personnes qui, en se confessant crachent un serpent, mais l'avalent de nouveau bient™t aprs, souvent mme avant la communion. Ceux qui cachent des pŽchŽs m'apparaissent avec un visage hideux et je vois prs d'eux une horrible bte qui leur enserre la poitrine dans ses griffes. Quant ˆ ceux qui vivent dans des relations criminelles, je vois souvent, pendant qu'il se confessent, une figure leur souffler ˆ l'oreille de n'en rien dire. J'en vois d'autres, pendant leur confession, serrer contre eux une figure qui a un corps de dragon. È

Ç J'ai toujours vu que de hideuses btes comme les vers et certains insectes proviennent des pŽchŽs et sont les images des pŽchŽs. Quant aux personnes qui renferment dans leur intŽrieur des pŽchŽs secrets, mais qui se montrent extŽrieurement pieuses et irrŽprochables, je vois de vilaines btes qui se tiennent ˆ c™tŽ d'elles ou sur leurs habits, ou bien je vois ces btes cachŽes, caressŽes et nourries en secret. Souvent j'ai vu si clairement des btes de ce genre attachŽes ˆ certaines personnes que je voulais les leur ™ter, mais je m'apercevais bient™t que je leur causais un grand Žtonnement. La cigale , par exemple, est une image du pŽchŽ. Elle est inquite, criarde, avare ; elle fait beaucoup de bruit. Je vois que la cigale remue chacun de ses poils, se fait belle, agite bruyamment ses ailes quand elle crie. Ainsi font aussi ceux qui nourrissent en eux les pŽchŽs dont la cigale est l'image symbolique. È

Elle raconta un jour ce qui suit: Ç Je priais pour les pŽnitents d'un prtre sur sa demande et j'eus ˆ faire un travail trs-pŽnible. Je vis deux canots qui allaient couler bas. Dans l'un Žtaient les hommes: dans l'autre les femmes : celles-ci Žtaient en trs-grand nombre. Le confesseur Žtait sur le bord et voulait tirer les canots ˆ terre l'un aprs l'autre. Le canot o Žtaient les hommes marchait passablement : mais beaucoup de femmes ou plut™t presque toutes avaient, contre la volontŽ du confesseur et en partie ˆ son insu, cachŽ des chats sous leurs fichus, et ces chats rendaient la barque si pesante quÕelle Žtait au moment de s'enfoncer. Ils s'accrochaient fortement, ne voulaient pas se laisser dŽtacher et donnaient des coups de griffe ˆ droite et ˆ gauche. Je me mis sur une planche, je poussai jusqu'au canot et j'exhortai les femmes ˆ se dŽbarrasser de leurs chats, mais elles prirent la chose trs mal et se mirent ˆ me quereller. Le confesseur tirait de toutes ses forces, mais pas toujours comme il fallait, si bien que je lui criai de s'y prendre autrement. È

Anne Catherine eut trs-frŽquemment, quoiqu'ayant l'estomac absolument vide, des crises de vomissement qui se succŽdrent pendant deux jours sans quelle pžt rien rendre. Cela la faisait tomber dans des dŽfaillances semblables ˆ la mort ; en mme temps elle soupirait souvent et disait involontairement: Ç Les pŽchŽs doivent sortir: il faut qu'ils soient confessŽs. È Et on reconnaissait qu'elle avait pris ces souffrances sur elle pour empcher des confessions sacrilges. È

Comme elle avait une dŽvotion particulire ˆ saint Antoine, elle reut plusieurs fois, pendant l'octave de sa fte, la t‰che de pousser des pŽcheurs au repentir et ˆ la confession, au moyen de prires et de souffrances et avec l'assistance du saint. Pendant ces huit jours, elle resta en proie ˆ des maladies qui changeaient rapidement, ˆ des convulsions, ˆ des angoisses intŽrieures et ˆ un dŽlaissement spirituel. Elle raconta un jour ce qui suit : Ç Le saint m'a montrŽ les personnes que je devais exciter ˆ faire une confession gŽnŽrale. Elles allaient successivement trouver Overberg et mon confesseur. Je ne les connais qu'en vision, mais non ˆ l'Žtat de veille. Dans de pareils travaux, les choses se passent comme si le saint envoyait un ordre ou un message ˆ mon guide lequel me dit alors : Ç Tiens-toi prte et suis-moi si tu veux porter secours en tel et tel endroit. È Je me mets alors en chemin pour un voyage qui me fatigue beaucoup et je rencontre des difficultŽs de toute espce qui se rapportent aux obstacles spirituels existant dans l'‰me des pŽnitents et qui sont l'image des idŽes fausses, des passions et de la rŽpugnance intŽrieure que ceux-ci ont ˆ surmonter en eux-mmes avant d'en venir ˆ une confession sincre et accompagnŽe de repentir. Quelques-uns de ces gens m'apparaissent petits et dans l'Žloignement; d'autres sont plus prs: cela indique le chemin plus ou moins long qu'ils ont ˆ faire pour arriver ˆ une confession sincre. Je vois souvent une personne qui en rŽalitŽ n'est pas loin d'ici, comme trs-petite et trs-ŽloignŽe, une autre rŽellement ŽloignŽe m'appara”t grande et rapprochŽe spirituellement. J'en vois plusieurs qui sont trs-prs de moi, mais pour arriver ˆ elles, il me faut gravir une montagne escarpŽe d'o je retombe sans cesse. Quand avec la gr‰ce de Dieu et l'assistance du saint, je puis venir ˆ bout de la franchir, j'arrive jusqu'aux personnes et je trouve leur coeur changŽ. È

 

Le 29 novembre 1822, six dangereux bandits qu'on conduisait ˆ la forteresse furent amenŽs ˆ Dulmen pour y passer une nuit dans la prison de la ville. Elle vit cela en esprit, pria pour ces misŽrables et raconta ce qui suit le jour d'aprs : Ç J'ai visitŽ les prisonniers pour la conversion desquels je priais. Lorsque je m'approchai de la prison, tout ˆ l'entour Žtait rempli de buissons d'Žpines. Je m'y mis les mains en sang en grimpant aprs ces Žpines qui dŽpassaient le mur et retombaient de l'autre c™tŽ. Il n'y avait pas de toit : je descendis, mais je ne pus pas arriver jusqu'aux prisonniers, ils Žtaient dans des trous ou des crevasses de forme Žtrange et il y avait au-dessus d'eux et devant eux une quantitŽ de poutres et de solives entremlŽes et formant de solides barrires. Il faisait sombre, tout Žtait dŽsolŽ et comme pŽtrifiŽ: je me donnai beaucoup de peine sans pouvoir arriver ˆ aucun d'eux: il Žtaient comme changŽs en poutres et compltement endurcis. Alors le gendarme N. vint pour les visiter et je m'en allai, craignant qu'il ne me trouv‰t et qu'il ne cržt que je voulais les dŽlivrer.

 

Avril 1820. Elle Žprouvait une douleur si violente dans tout le cotŽ gauche qu'elle semblait au moment d'expirer. Elle ne pouvait se coucher qu'a demi sur le c™tŽ droit, elle Žtait hors d'Žtat de parler et avait des Žvanouissements causŽs par l'excs de la souffrance : cependant elle Žtait pleine de sŽrŽnitŽ et dit : Ç Ceci est un reste du Carme pendant lequel j'ai pris un fardeau trop fort pour moi : je croyais que cela ne viendrait que plus tard. J'ai pris cette charge pour un Žtranger qui voulait faire ici sa confession pascale. Je le vis au confessionnal en mauvaise disposition, il ne voulut pas tout avouer et se rendit gravement coupable. J'ai priŽ le Seigneur de me laisser souffrir ˆ sa place pour satisfaire ˆ la justice divine et toucher le coeur de cet homme : alors cette violente douleur m'a tout ˆ coup assaillie. Mais je puis ˆ peine la supporter. È L'abbŽ Lambert pria alors sur elle et elle reut quelque soulagement : mais lorsqu'il s'Žloigna, les souffrances recommencrent et devinrent si violentes qu'elle tomba en dŽfaillance et qu'une sueur froide coula sac son front.. On appela le confesseur qui la bŽnit et ordonna au mal de s'en aller au nom de JŽsus. A l'instant elle se sentit mieux et pžt retrouver un peu de repos.

Temps pascal de 1823. Ç J'ai eu ˆ tra”ner de force un homme ˆ l'Žglise jusque ˆ la table de communion. Il ne voulait pas y aller et il me jeta presqu'ˆ terre. Je souffrais horriblement et je reus ˆ cette occasion de si terribles coups sur le coeur que je crus qu'il allait tre ŽcrasŽ. È Ce travail se renouvela encore trs-souvent et dura jusqu'ˆ la semaine d'avant la Pentec™te. Lorsqu'un des jours de cette semaine, elle raconta ˆ son confesseur qu'elle s'Žtait encore fatiguŽe, jusqu'ˆ en mourir, ˆ l'occasion de cet homme, ce dernier, peu de minutes aprs, f”t prier le confesseur d'entendre sa confession gŽnŽrale. Le pre le reut avec beaucoup de bontŽ et, sur sa prire, le conduisit prs de la malade ˆ laquelle il demanda pardon en pleurant de l'avoir souvent calomniŽe.

 

15. Les jours du carnaval Žtaient tous les ans pour elle un temps de terribles souffrances. Elle Žtait alors livrŽe ˆ des tortures incessantes ˆ cause des pŽchŽs qui se commettaient pendant ces jours lˆ. Ç Il me faut voir toutes les abominations de la dŽbauche, mme les pensŽes et la malice intŽrieure des coeurs, les piŽges tendus par le diable, l'affaissement, l'Žbranlement, l'Žgarement des ‰mes et leur chute. Je vois partout le diable prŽsent et il me faut aller, courir, souffrir, exhorter, implorer Dieu, me livrer au ch‰timent. En mme temps, je vois les affronts que ces insensŽs font au RŽdempteur, ˆ mon Sauveur bien-aimŽ; je le vois tout dŽchirŽ, couvert de sang et de crachats. Je vois des divertissements innocents en apparence dans leur affreuse nuditŽ et avec leurs tristes consŽquences. Je suis saisie de terreur et de pitiŽ et je passe d'un martyre ˆ un autre, afin d'obtenir pour tel ou tel pŽcheur un rŽpit et la gr‰ce de la conversion. Je vois cela chez des la•ques et chez des prtres et la vue de ces derniers est ce qui me fait le plus souffrir. J'Žtais dernirement si abattue que je n'en pouvais plus et que je priai mon ange gardien de faire agir les anges de quelques personnes dont l'Žtat me touchait beaucoup. È Elle est rŽduite ˆ une telle extrŽmitŽ qu'elle ne peut pas se remuer, ni mme respirer sans de vives douleurs. Mais elle est pleine de paix, de calme, de douceur, et sa patience est indicible. Avec tout cela, elle a encore ˆ soutenir les assauts du mauvais esprit qui l'attaque jour et nuit. È

 

Mars 1821, mercredi des cendres. Ç Le Plerin la trouva ce matin toute brisŽe et en proie ˆ d'affreuses tortures. Elle put ˆ peine prononcer quelques mots, elle Žtait compltement affaissŽe sur elle-mme, ŽpuisŽe et p‰le; mais sa figure Žtait paisible et aimable, son ‰me Žtait en paix et tout en elle respirait la bienveillance et la bontŽ. Elle dit : Ç J'ai eu cette nuit, je crois, toutes les souffrances et tous les martyres qui peuvent torturer un corps humain. A la fin il est encore survenu un mal d'oreilles Žpouvantable. J'ai obtenu quelque soulagement au moyen d'un peu d'huile bŽnite sur du coton. È Elle dit tout ˆ coup : Ç Maintenant encore une danse ! È et elle se tordit sur elle-mme et agita ses pieds avec un tremblement douloureux. Aprs cela elle eut un mouvement de terreur et sembla se dŽfendre : Ç Ces gens ont excitŽ contre moi un mŽchant petit chien, qui est tout ˆ fait furieux. Plus tard elle raconta ceci : Ç J'avais ŽtŽ envoyŽe dans un village o les habitants dansaient encore aujourd'hui : je devais leur dire quelque chose. Cela ne servit qu'ˆ les exciter; ce fut comme s'ils l‰chaient sur moi un petit chien plein de rage. Au commencement j'eus grand peur : mais ensuite il me vint ˆ l'esprit que je n'Žtais pas lˆ avec mon corps et qu'il ne pouvait pas me mordre. Alors je me ramassai dans un petit coin et je vis que le chien n'Žtait autre que le diable. Il avait d'horribles griffes et le feu lui sortait par les yeux. En ce moment un saint me tendit d'en haut comme un gros b‰ton de fer qui me sembla creux ˆ l'intŽrieur, tant il Žtait lŽger; puis il me dit : Ç Avec cela j'ai souvent, moi aussi, rossŽ le diable. È Je le prŽsentai au chien qui mordit dedans, le tira ˆ lui et finit par s'enfuir en l'emportant. Je pus cependant faire ce dont j'Žtais chargŽe et les danseurs se sŽparrent. È

 

Avril 1822. Ç Elle parait tre dans un Žtat des plus pitoyables. Elle a pris de l'huile de sainte Walburge et s'est sentie soulagŽe. Les souffrances et les douleurs augmentent, mais la vivacitŽ de l'esprit semble aussi augmenter. Elle est singulirement patiente, elle est mme joyeuse dans ses souffrances. A la toux, aux vomissements et ˆ la rŽtention vient s'ajouter une douleur cuisante au visage avec enflure des lvres qui sont couvertes de pustules blanches. Elle ne peut ni parler, ni boire. Le mŽdecin ordonne des remdes externes qui n'apportent aucun soulagement. Son guide dit qu'elle doit s'en remettre ˆ Dieu, qu'elle expie les pŽchŽs de la langue. Cette maladie dura environ sept jours et, pendant ce temps, elle eut, sur l'ordre de son guide, de longues prires vocales ˆ rŽciter durant une grande partie de la nuit.

 

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